Sand-desertes

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ans, et j’avais déjà beaucoup souffert ; mais je n’aspirais point au premier rang, et cela fit que je parvins rapidement à pouvoir occuper le second. J’avais l’horreur du théâtre. Mon père y travaillant comme acteur, comme décorateur, comme souffleur même (il y a rempli tous les emplois, selon les jeux du hasard et de la fortune), je connaissais de bonne heure cette sentine d’impuretés où nulle fille ne peut se préserver de souillure, à moins d’être une martyre volontaire. J’hésitai longtemps ; je donnais des leçons, je chantais dans les concerts ; mais il n’y avait là rien d’assuré. Je manque d’audace, je n’entends rien à l’intrigue. Ma clientèle, fort bornée et fort modeste, m’échappait à tout moment. La Floriani mourut presque subitement. Je sentis que mon père n’avait plus que moi pour appui. Je franchis le pas, je surmontai mon aversion pour ce contact avec le public, qui viole la pureté de l’âme et flétrit le sanctuaire de la pensée. Je suis actrice depuis trois ans, je le serai tant qu’il plaira à Dieu. Ce que je souffre de cette contrainte de tous mes goûts, de cette violation de tous mes instincts, je ne le dis à personne. À quoi bon se plaindre ? chacun n’a-t-il pas son fardeau ? J’ai la force de porter le mien : je fais mon métier en conscience. J’aime l’art, je mentirais si je n’avouais pas que je l’aime de passion ; mais j’aurais aimé à cultiver le mien dans des conditions toutes différentes. J’étais née pour tenir l’orgue dans un 53


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