À la recherche du temps perdu X

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Mme Verdurin demanda à l’oreille de son mari : « Est-ce que je donne le bras au baron de Charlus ? Comme tu auras à ta droite Mme de Cambremer, on aurait pu croiser les politesses. – Non, dit M. Verdurin, puisque l’autre est plus élevé en grade (voulant dire que M. de Cambremer était marquis), M. de Charlus est en somme son inférieur. – Eh bien, je le mettrai à côté de la princesse. » Et Mme Verdurin présenta à M. de Charlus Mme Sherbatoff ; ils s’inclinèrent en silence tous deux, de l’air d’en savoir long l’un sur l’autre et de se promettre un mutuel secret. M. Verdurin me présenta à M. de Cambremer. Avant même qu’il n’eût parlé de sa voix forte et légèrement bégayante, sa haute taille et sa figure colorée manifestaient dans leur oscillation l’hésitation martiale d’un chef qui cherche à vous rassurer et vous dit : « On m’a parlé, nous arrangerons cela ; je vous ferai lever votre punition ; nous ne sommes pas des buveurs de sang ; tout ira bien. » Puis, me serrant la main : « Je crois que vous connaissez ma mère », me dit-il. Le verbe « croire » lui semblait d’ailleurs convenir à la discrétion d’une première présentation mais nullement exprimer un doute, car il ajouta : « J’ai du reste une lettre d’elle pour vous. » M. de Cambremer était naïvement heureux de revoir des lieux où il avait vécu si longtemps. « Je me retrouve », dit-il à Mme Verdurin, tandis que son regard s’émerveillait de reconnaître les peintures de fleurs en 88


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