Maupassant-mort

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ses doigts. Un jour, exaspérée par cette lutte entre elle et ce morceau de verre, elle le lança contre le mur où il se fendit et s’émietta. Mais au bout de quelque temps son mari, qui l’avait fait réparer, le lui remit plus clair que jamais. Elle dut le prendre et remercier, résignée à le garder. Chaque soir aussi et chaque matin enfermée en sa chambre, elle recommençait malgré elle cet examen minutieux et patient de l’odieux et tranquille ravage. Couchée, elle ne pouvait dormir, rallumait une bougie et demeurait, les yeux ouverts, à songer que les insomnies et le chagrin hâtaient irrémédiablement la besogne horrible du temps qui court. Elle écoutait dans le silence de la nuit le balancier de sa pendule qui semblait murmurer de son tic-tac, monotone et régulier « ça va, ça va, ça va », et son cœur se crispait dans une telle souffrance que, son drap sur sa bouche, elle gémissait de désespoir. Autrefois, comme tout le monde, elle avait eu la notion des années qui passent et des changements qu’elles apportent. Comme tout le monde, elle avait dit, elle s’était dit, chaque hiver, chaque printemps ou chaque été : « J’ai beaucoup changé depuis l’an dernier. » Mais toujours belle, d’une beauté un peu 311


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