André Lafon - L'élève Gilles.

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mouvement nous courbait tous sur nos tables ; sournoisement, les mains habiles faisaient disparaître un livre interdit, glissaient dans un cahier la lettre commencée ; sans un geste apparent, l’ordre s’établissait, mais point assez tôt que le Directeur n’en saisît quelque chose, ni que son doigt ne désignât un coupable qui se trahissait lui-même en rougissant. Il faisait ensuite, les mains derrière le dos, le tour de l’étude, rectifiait d’un signe une attitude, ouvrait au hasard un casier qui se trouvait être le plus mal tenu, et sortait en saluant le maître resté debout. L’Étude, alors, respirait. À côté de cette apparition, celle, plus fréquente et prévue, du Surveillant Général nous laissait presque indifférents ; le bureau de celui-ci était visible à tous ; lui-même se montrait sur le seuil au moindre bruit suspect en cour ; il assistait à la rentrée des études et des classes, surveillait le réfectoire et montait souvent au dortoir ; il nous devenait aussi familier que les maîtres. Mais une atmosphère mystérieuse enveloppait le Directeur ; l’entrée de son cabinet avait deux portes, dont l’une matelassée, entre lesquelles tout bruit de voix venait mourir. Lorsque la semonce du Surveillant ne suffisait pas à remettre en bonne voie l’élève dont un maître s’était plaint, cet élève se voyait appelé chez le Directeur d’où il sortait en pleurs, sans qu’on pût rien savoir de l’entrevue. L’Étude en devenait silencieuse, et 96


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