André Lafon - L'élève Gilles.

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je compris qu’on me réservait un sort semblable. Je me mis à courir pour éviter la poursuite de Méjean qui, fort heureusement retardé par ceux qu’il tirait à sa suite, ne réussit pas à m’atteindre. La chaîne changea de tactique et parut vouloir se refermer sur moi. Elle barrait la cour entière ; où que je fuie, elle menaçait de ses cent têtes. Le maître des Grands, se promenant dans l’allée, veillait seul aux deux cours ; j’aurais vainement appelé à l’aide. Je tentai d’échapper encore, mais chacun des vivants anneaux tendait vers moi, et, bientôt, je fus entouré, pressé, bourré par les genoux qui se levaient pour frapper, à défaut des mains liées ; des pieds foulèrent les miens, des faces hurlantes me couvrirent de crachats et d’injures ; l’une d’elles cria : Fils de fou !... Je frappai. À droite, à gauche, des pieds et des poings, la tête baissée, je frappai. Une sorte de rage m’avait saisi ; je ne sentais plus les coups reçus ; j’en donnais. Il me semblait que l’ennemi n’avait qu’un visage, celui de Rupert ou de Bereng, que je massacrais sur tous les autres. Mais le nombre m’écrasait : La chaîne rompue, les mains libérées m’atteignaient de toutes parts et me forcèrent de reculer. Je me trouvai soudain adossé à la porte du vestibule, elle céda ; je roulai dans le couloir. En me relevant, je vis, au fond, la grande porte entrouverte ; j’y courus et m’élançai... La rue qui m’apparut déserte au soleil de quatre heures n’arrêta pas mon élan ; elle menait à la 148


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