Girardin-Balzac

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mais ce qu’il détestait plus que tout au monde, c’était de rencontrer, ce qui était rare, un homme de sa taille ! ! Oh ! alors il souffrait le martyre, il se sentait appareillé ; c’était affreux. Son ridicule s’attelait à celui d’un autre et se complétait ; il n’y pouvait tenir. Que faisait-il alors ? il prenait son chapeau, le mettait sur sa tête, et il s’en allait. Eh bien ! tout cela n’était rien ; il y avait un tourment plus horrible que tous ces tourments, une malédiction qui poursuivait encore cet homme, une fatalité qui mettait le sceau à ses misères – c’était son nom. Ah ! ce nom était un hasard bien cruel dans sa position. Quelle amère ironie ! quel jeu du sort ! quelle épigramme de la nature ! quelle mauvaise plaisanterie du destin ! ! Ce petit homme se nommait M. Legrand. M. Legrand arriva chez madame Poirceau à minuit moins un quart, en véritable ami de la maison ; il était encore plus maussade qu’à l’ordinaire. Il n’aimait pas les bals, les soirées d’apparat, parce que ces jours-là il lui fallait quitter ses bottes à hauts talons, et qu’en souliers vernis il perdait douze lignes... – Toujours élégant ! lui dit une mère dont la fille dansait – et l’on sait que les pauvres mères, contraintes à rester assises sur une banquette toute la soirée, sont alertes à la conversation. Le premier causeur qui traverse la salle de danse est bien vite saisi au passage, 40


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