Fiodor Dostoievski - Le Double.

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propres yeux par des motifs irréfutables ; ainsi il parvenait habituellement à apaiser sa conscience. Y étant pleinement parvenu cette fois encore, il prit sa pipe, la bourra et l’alluma. Mais à peine eut-il tiré quelques bouffées que, d’un bond, il sortit de son lit. Il jeta au loin sa pipe, se lava, se rasa, se coiffa, revêtit son uniforme, rassembla quelques papiers et sortit en toute hâte, courant à son bureau. Il entra dans le bureau très intimidé : son cœur battait fébrilement dans l’attente de quelque événement fâcheux. C’était un pressentiment trouble, inconscient, mais en même temps, nettement désagréable. Il s’installa timidement à sa place habituelle, à côté de son chef de service, Anton Antonovitch Siétochkine. Sans lever les yeux, sans se laisser distraire, il se plongea aussitôt dans les papiers posés devant lui. Il avait pris la ferme décision, il s’était juré d’éviter, dans la mesure de ses moyens, toute friction, toute provocation de nature à le compromettre, sous la forme de questions indiscrètes, de plaisanteries ou d’allusions indécentes à l’aventure de la veille. Il avait même décidé de passer outre aux politesses usuelles, questions et réponses concernant la santé, vis-à-vis de ses collègues. Mais il n’était guère facile de conserver longtemps une pareille attitude. Placé devant un événement pénible, M. Goliadkine était, d’ailleurs, toujours beaucoup plus tourmenté par

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