Fiodor Dostoievski - Le Double.

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tu définitivement. M. Goliadkine se débattait au milieu d’un groupe et marmonnait machinalement, avec un faible sourire : « Mais oui, pourquoi pas ? La polka, à mon avis, est une danse moderne. C’est une danse intéressante, inventée pour l’agrément de ces dames... mais, étant donné les circonstances, ma foi, je consens à essayer moi aussi. » Mais on n’avait cure de son consentement. Tout à coup, notre héros sentit une main se poser sur son bras ; une autre main le prenait par le dos, avec beaucoup de ménagement d’ailleurs. Il sentit qu’on le poussait dans une direction déterminée. Il remarqua presque aussitôt qu’on l’emmenait droit vers la porte. M. Goliadkine voulut faire un geste, dire un mot... Mais non, en fait, il ne voulait plus rien. Il se contentait de rire, faiblement, comme un automate. Il sentit enfin qu’on le revêtait de son pardessus, qu’on lui enfonçait son chapeau jusque sur les yeux. Il se rendit compte ensuite, qu’il était sur le palier, dans le froid et l’obscurité... qu’il descendait déjà l’escalier. Il trébucha. Il eut l’impression qu’il tombait dans un précipice. Il voulut crier. Mais il était déjà dans la cour. Il sentit un souffle frais au visage, s’arrêta une seconde. Au même moment les sons d’une danse arrivèrent à ses oreilles. L’orchestre se remettait à jouer. Subitement M. Goliadkine se souvint de tout. Il parut reprendre des forces. Il s’arracha de l’endroit où il était resté, jusqu’alors, littéralement cloué ; il bondit, 77


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