Fiodor Dostoievski - Le Double.

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« Voici notre Faublas national. Permettez-moi de vous présenter, messieurs, le jeune Faublas », claironna l’usurpateur avec son habituelle insolence, voltigeant au milieu des fonctionnaires et leur désignant l’authentique M. Goliadkine, debout, immobile, pétrifié. « Allons, embrassons-nous, mon chéri », ajouta-t-il avec un ton de familiarité intolérable, en s’avançant insidieusement vers l’homme qu’il bafouait. La plaisanterie de cet abject individu trouva un écho parmi une partie des spectateurs, d’autant plus facilement qu’elle contenait une allusion directe et perfide à un événement que tout le monde semblait déjà connaître. Notre héros sentait sur ses épaules la main pesante de ses ennemis. Il prit rapidement une décision. L’œil enflammé, le visage blême, un rictus au bord des lèvres, il se dégagea tant bien que mal de la foule et d’un pas chancelant et menu se dirigea vers le bureau de Son Excellence. Dans l’antichambre, il se trouva face à face avec André Philippovitch qui sortait du bureau directorial. Il y avait dans la pièce quelques personnes absolument étrangères à toute cette affaire, mais cette circonstance ne parut aucunement l’émouvoir. Ferme et résolu, intrépide, presque surpris lui-même de son courage et s’en félicitant intérieurement, il aborda aussitôt André Philippovitch, passablement ahuri de cette attaque inopinée.

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