Bourget-Cornelis

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Ce sentiment de sa force et de ma faiblesse me faisait redouter sa présence autant que je la désirais. Au vague et douloureux malaise qui m’avait toujours rendu intolérable de respirer, de parler, de manger à côté de lui, allait se joindre l’impression plus pénible encore de la difficulté de mon attitude. J’étais comme un novice qui doit se battre en duel avec un adversaire très adroit ; – il veut se défendre et vaincre, il est courageux, résolu, mais il doute de son propre sang-froid. Que faire maintenant que j’avais porté un premier coup, et qui ne s’était pas trouvé décisif ? Si cet entretien avait eu réellement une portée sur sa conscience, comment m’y prendre pour redoubler le premier effet, pour achever de bouleverser cette âme ? J’en étais là de mes réflexions, formant, reformant des plans toujours détruits, quand un billet de ma mère arriva, se plaignant que je ne fusse pas revenu depuis le jour où je ne l’avais pas rencontrée, et m’annonçant que, l’avant-veille, mon beau-père avait été repris d’une crise de foie très violente... L’avant-veille ? C’était donc le lendemain même de notre conversation ! Encore ici on eût dit que le sort se complaisait à redoubler l’ambiguité des indices, principe de mes pires désespoirs. Cette crise imminente expliquait-elle la physionomie angoissée de mon beau-père dans sa voiture ? Était-elle une cause ou bien simplement l’effet de la foudroyante terreur dont il avait dû être écrasé sous son masque d’indifférence, s’il 185


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