Balzac-17

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de sa femme. – Ah ! me dit-elle en fondant en larmes, Henri, si tu avais parlé ! oui, si tu l’avais voulu (j’avais tort, comprenez-vous ?), nous fussions allés vivre toute notre vie dans un coin, mariés, heureux, à la face du monde. – Enfin, il est trop tard, repris-je en lui baisant les mains et prenant un petit air de victime. – Mon Dieu ! mais je puis tout défaire, reprit-elle. – Non, vous êtes trop avancée avec le duc. Je dois même faire un voyage pour nous mieux séparer. Nous aurions à craindre l’un et l’autre notre propre amour... – Croyezvous, Henri, que le duc ait des soupçons ? J’étais encore Henri, mais j’avais toujours perdu le tu. – Je ne le pense pas, répondis-je, en prenant les manières et le ton d’un ami ; mais soyez tout à fait dévote, réconciliez-vous avec Dieu, car le duc attend des preuves, il hésite, et il faut le décider. Elle se leva, fit deux fois le tour de son boudoir dans une agitation véritable ou feinte ; puis elle trouva sans doute une pose et un regard en harmonie avec cette situation nouvelle, car elle s’arrêta devant moi, me tendit la main et me dit d’un son de voix ému : – Eh ! bien, Henri, vous êtes un loyal, un noble et charmant homme : je ne vous oublierai jamais. Ce fut d’une admirable stratégie. Elle fut ravissante dans cette transition, nécessaire à la situation dans laquelle elle voulait se mettre vis-à-vis de moi. Je pris l’attitude, les manières et le regard d’un homme si profondément affligé que je vis sa dignité trop récente mollir ; elle me 28


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