Achard-soldat

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faim. Les repus vendaient le produit de leur rapine aux affamés. On mettait aux enchères les pains de munition et les pièces de lard. Je me tirai comme je pus de cette cohue qui trébuchait. Après l’indignation, le dégoût.

V Ce sommeil de plomb qui m’avait surpris sur l’herbe aux approches de la citadelle, m’attendait dans le même campement. Une lassitude extrême m’accablait, une lassitude nerveuse qui venait du cerveau plus que des membres. J’étais littéralement brisé. Au réveil, je devais entrer dans un cauchemar plus terrible. Les régiments reçurent l’ordre de livrer leurs armes. Non, jamais je n’oublierai le spectacle à la fois superbe et lugubre qui frappa mes yeux. Un frémissement parcourut la ville. La mesure était comble ; c’était comme le déshonneur infligé à ceux qui restaient des héroïques journées de Spickeren et de Reischoffen, de Wissembourg et de Beaumont. Ce fut bientôt un tumulte effroyable. Les vieux soldats d’Afrique faisaient pitié. Ils se demandaient entre eux si c’était bien possible. On en voyait qui pleuraient. Moimême, – et je n’étais qu’un conscrit, – j’avais des 56


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