Histoires de Colette

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histoires de Colette les 100 ans de Colette Andrieu May - 20 janvier 2012



les 100 ans de Colette Andrieu May - 20 janvier 2012


Sommaire


p. 7 - 19 p. 10 - 11 p. 12 - 13 p. 14 - 15 p. 16 - 17 p. 18 - 19

Les fils 1940 / Mic - Michel 1941 / Jim - Jean Marie 1944 / Oliv’ - Olivier 1946 / Vadius - Daniel 1947 / Joc - Jean Paul

p. 21 - 35 p. 24 - 25 p. 26 - 27 p. 28 - 29 p. 30 - 31 p. 32 - 33 p. 34 - 35

Les belles-filles 1948 / Maureen Mazurek 1958 / Frédérique Andrieu Charbonneau 1965 / Barbara Morihien & 2002 Victor 1946 / Anyvonne Andrieu Herry 1958 / Christèle Andrieu Julien 1969 / Juliette Andrieu

p. 37 - 57 p. 40 - 41 p. 42 - 43 p. 44 - 45 p. 46 - 47 p. 48 - 49 p. 50 - 51 p. 52 - 53 p. 54 - 55 p. 56 - 57

Les petits enfants 1984 / Justine Andrieu Mazurek 1984 / Céline Andrieu Herry 1986 / Nicolas Andrieu Julien 1988 / Cécile Andrieu Jullien 1991 / Louise Andrieu Morihen 1993 / Anouk Andrieu Julien 1995 / Camille Andieu 1999 / Jeanne Andrieu 1999 / Alexis Andrieu Charbonneau

p. 59 - 67 p. 62 - 63 p. 64 - 65 p. 66 - 67

Les colocs, amis et May Zoraida Imane Daniel Blanchard

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Très bon 100ème anniversaire Colette !


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72 annĂŠes de maternitĂŠ



Mic Jim Oliv’ Vadius Joc

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Mic 10

Michel Andrieu 1940


Notre fille Justine vient de naître à l’hôpital du Bon-Secours. Ma mère, qui a été médecin de la protection maternelle et infantile, admire sa toute neuve petite fille mais bientôt reprise par son métier et ses connaissances médicales, tout à la fois grand-mère et médecin, elle se met à compter ses doigts de pieds et ceux de ses mains pour voir si aucune pièce de l’enfant nouveau né ne manque. Ravie, elle se tourne vers belle-fille et fils. Tout va bien, le compte est bon. Dans mon premier souvenir, ma mère n’est pas loin, sans doute juste derrière moi à surveiller le petit bonhomme qui dans le corridor obscur d’une maison, tirait une voiture en bois. Où était cette maison ? Était-ce l’été ou l’hiver ? Je n’en ai aujourd’hui aucune idée. La seule image qui me reste c’est ce espace à contre-jour d’une porte ou d’une porte fenêtre. La voiture que je tirais par une ficelle cahotait. Le monde était encore fermé et réduit aux quelques pas qui m’éloignaient de la présence maternelle.

Je tourne mon premier long-métrage dans une belle maison de maître en mauvais état à quelques encablures de la Loire. J’avais convié mes parents à venir sur le plateau et j’ai ce souvenir précis de la crainte et presque l’anxiété qui s’était emparé de ma mère au vu d’une équipe de quarante personnes qui couraient dans ce qu’il lui semblait être un désordre destructeur au milieu des rails de travelling, de projecteurs à lentille de Fresnel et de 20 kilos HMI arrimés solidement sur des tours à l’extérieur de la maison qui baignaient la maison d’une lumière solaire. Ma chère mère n’arrive pas à comprendre que tout ce tintouin va permettre me permettre de filmer deux jeunes femmes, deux belles sœurs, Juliette Berto et Anna Prucnal dans un petit salon où l’une, Anna, en robe noire de deuil photographie l’autre, Juliette, nue et réfrigérée. Découverte ravie d’un métier.

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Jim 12

Jean Marie Andrieu 1941


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Oliv’ Olivier Andrieu 1944 14


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Vadius 16

Daniel Andrieu 1946


1er mars 1986, Maman, Christèle et moi nous roulons dans ma 205 vers Antony. Nous venons de nous marier à la mairie du 11ème arrondissement, et avant de déjeuner à la Coupole avec nos témoins, nous allons voir Papa, très malade et qui mourra quelques jours plus tard. Il commence à neiger, je suis concentré sur la conduite, Christèle et Maman parlent derrière moi, sans que j’y prête trop attention, quand j’entends: «... Christèle, Daniel vous a bien dit qu’il était juif ? » Fin des années 60, vacances de Pâques. Nous sommes à Ker Josy avec Joc, Jean (Rolin) et Maman. Maman est dans la cuisine. Nous sommes dans le séjour, avec Joc et Jean à préparer quelques feux. Tout à coup, un hurlement déchirant dans la cuisine, Maman traverse le couloir, se précipite vers nous: «Sautez par la fenêtre, la maison va exploser !!» Ni une, ni deux, par la fenetre ouverte, heureusement en rez-de-chaussée surélevé, nous plongeons tête la premiere, directement dans la haie de troènes ... Foulés, griffés, endoloris, nous attendons l’explosion. Rien. Une minute passe, deux minutes passent, rien. Nous décidons de rentrer prudemment, par la porte cette fois.Dans la cuisine tout parait normal, rien ne brule, le gaz est éteint, et en y faisant attention, il y a peut être une très légère odeur de gaz. Maman à remplacé la bouteille de Butagaz.

Début des années 50, c’est l’hiver, il pleut, il fait froid, la nuit est tombée. Derrière la fenêtre de la chambre sur rue du 1er étage, la lumière est éteinte, nous sommes dans le noir, je suis avec Joc, on a le front collé à la vitre embuée qui nous glace. C’est bientot l’heure de diner, tout est silencieux dans la maison, c’est sur, on a été abandonnés. On scrute la nuit, grâce au réverbère plus haut dans la rue d’Alembert. On attend, on ne parle pas, le temps en long, très long, on n’a ni montre, ni heure.Le monde n’existe plus que par cette attente sans fin. Personne ne passe dans la rue déserte.Quand soudain, un bruit de voiture, une 2CV se gare devant la maison. La vie reprend, Maman est rentrée. 17


Joc 18

Jean Paul Andrieu 1947


Je marche avec mes parents, voilà ce que je pense un jour du côté d’Étampes au début de mon voyage à pied à travers la France vers la Méditerranée. Je vis et éprouve ces choses qu’ils ont aimé. Une amie me racontait il y a peu, d’une façon qui devient très opportune, avoir trouvé dans les papiers de sa mère une lettre que celle-ci adressait à une vieille amie et dans laquelle elle établissait sans aucune amertume que quand il s’agit de leurs parents les enfants ne voient qu’à partir d’eux.

La nature particulière des liens dans une famille de cinq frères, que dis-je une tribu, un comité d’admiration mutuelle disait papa, rend assez difficile l’expression individualisée des souvenirs et des anecdotes. Un grand souvenir cependant. Un soir maman, de retour de Paris, a dans sa voiture un chien remarqué par elle l’aprèsmidi, errant près du Marché aux Fleurs, plus ou moins affolé au milieu de la circulation. Chien perdu sans collier. Cette décision de le prendre et de le ramener à la maison fit souffler tout à coup un vent d’improvisation et de liberté nouveau. Louki fut le nom de ce chien, plus

ou moins berger belge, immédiatement adopté et aimé. Comme nous avons joué avec lui ! Un fou qui ravagea le jardin, terrorisa le facteur, coursa les voitures, courant à fond de train à leur coté, les devançant parfois pour leur barrer la route, ou encore le museau au ras des roues essayant de leur mordre les pneus. Ce chien protégea la chambre de sa bienfaitrice comme un lion. Défense d’entrer! Si on le faisait, la porte à peine poussée - on était tout de même chez nous- il se dressait en grondant, commençait à avancer, les babines retroussées, rendant visible ses crocs et la base rose et humide de ses gencives. Ce propriétaire ombrageux signifiait ainsi qu’il n’y aurait pas plus de parents que de quartiers. Maman semblait assez satisfaite et le tempérait avec une grande modération. Il fallu, un jour, se débarrasser de ce grand nerveux. Louki partit pour la campagne.

Dans les années soixante, tu allais certaines après-midi, en quittant le dispensaire - je dis certaines après-midi mais la chose ne s’est peut-être produite qu’une fois, c’est comme ça que ce font les souvenirs et s’inventent les légendes - sur la terrasse d’Orly, regarder décoller les avions.« J’ai été regarder partir les avions ». 19


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35 (54...) annÊes de belle-mère



Maureen Frédérique Barbara Anyvonne Christèle Juliette

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Maureen 24

Maureen Mazurek 1948


Ma chère Colette que je ne connais que depuis 35 de tes 100 ans. Je t’avais rencontrée avec Pierre quand tu avais à peu près le même âge que moi aujourd’hui. Une nouvelle belle-fille potentielle, étrangère de surcroît avec un accent qu’elle n’a jamais réussi à perdre, qui a mis neuf ans à produire ce petit-enfant tant désiré, première petite-fille, suivie par tant d’autres ce qui te réjouissait, toi qui n’a eu ni sœur ni fille.

ta canne, pour contempler la mer au loin et les acrobaties des mouettes. C’est toi qui m’a donné l’envie de marcher et de redécouvrir la nature que j’avais un peu abandonnée dans mon désir de devenir citadine et parisienne.

Puis il y a le jour où Justine avait passé la journée chez toi à Antony. C’est seulement le soir qu’elle nous a appelés au secours du haut de ses 2 ans car tu étais tombée et t’étais cassé la clavicule. Je me rappelle surtout nos promenades Même dans les affres de la douleur, tu es à Sceaux et à Sauveterre où, dans les restée calme, maîtresse de toi-même, et splendeurs automnales, tu gambadais a réussi à dicter le numéro à Justine qui comme une chèvre, toi la randonneuse, ne savait pas encore lire, après avoir atsans t’essouffler comme celle derrière tendu des heures pour ne pas nous gêner avec ses 36 ans de moins. Les Mont- dans notre travail. Blancs que tu préparais avec la purée de châtaignes faite maison. Les bains de Et la soirée de la projection du film de mer dans ton maillot bleu délavé dont on Mic, Le Commissariat, au cinéma Hara recousu les bretelles. La connaissance lequin en 2009. Le film terminé, une époustouflante de ton arbre généalo- foule se pressait pour essayer d’atteindre gique aux branches tentaculaires. Les le bar et, habillée très classe, tu trônais histoires que tu nous racontais qui re- au milieu en acceptant royalement les montaient parfois avant ta naissance en compliments et les bises un peu trop col1912. Cette croix érigée à la mémoire des lantes du monde-ciné-TV avant de dire, maquisards que tu fis surgir par magie, le sourire en coin : « Je suis bien assise chère fée Colette, un jour de promenade, là comme la concierge. Je vois plein de ressuscitant l’Histoire, bien vivante à tra- gens passer que je ne connais pas et ils vers tes récits. Et ce pique-nique qu’on a me disent tous bonjour. » fait dans les Maures avec Mic et Justine, 15 ans plus tard, tout en haut à la chapelle Heureuse la mère, la belle-mère, la Notre Dame de Miremer. Et encore 20 grand-mère, l’amie. ans plus tard, cette promenade au bord de la rivière à Dourduff, cette fois avec Vive 2012, l’année de tes 100 ans ! 25


Frédérique Frédérique Andrieu Charbonneau 1958 26


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Barbara 28

Barabara Morihien 1965 & Victor 2002


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Anyvonne 30

Anyvonne Andrieu Herry 1946


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Christèle 32

Christèle Andrieu Jullien 1959


Depuis 26 ans belle-fille/belle-mère, des années pendant lesquelles vous nous avez accompagné pour beaucoup de petits moments de la vie et les plus importants : - Les déjeuners du dimanche, les promenades dans le parc de Sceaux ou au Luxembourg et les diners à la maison (pas toujours très calmes). - Les vacances au Cosquer avec les pique-nique à Calote, les bains et les promenade à Beg an Fry ainsi que vos points de vue préférés ( la pointe du Guerzit, la vue depuis le chemin de la chapelle, Beg an Fry….) - Les séjours à Sauveterre avec la fête de la châtaigne, les échaudés et le voyage au Chablais avec le Mont Blanc magique offert à chaque petit déjeuner.. - Les moments plus officiels comme notre mariage, le décès de Pierre quelques jours plus tard, la naissance des enfants et le décès de mes parents - Les Noël/anniversaires rue St Jacques toujours très électriques mais devenus un rendez-vous immanquable pour tous - Et bien sûr les crapettes, le mah-jong, le scrabble... Tous ces moments qui font que vos petits enfants vous écrivent de si belles choses grâce à la complicité que vous avez tissé avec eux.

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Juliette Juliette Andrieu 1969 34


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27 annÊes de grand-mère



Justine Céline Nicolas Cécile Louise Anouk Camille Jeanne Alexis

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Justine Justine Andrieu Mazurek 1984 40


C’était l’été, nous étions au Cosquer. Le café était servi dans le salon et un match de ping pong faisait courir les Andrieu de droite à gauche. La dernière galette bretonne ayant été engloutie, Colette s’était décidée à retourner dans sa chambrette. Et là, alors que la balle d’un joueur était lancée à grande vitesse dans un coin de la pièce, elle heurta le dernier morceau de chocolat que Colette emportait sur une soucoupe. Le précieux carré fut projeté à terre et vola en éclats. C’est ainsi, et je peux en témoigner, que, pour le plus grand plaisir de ses petites filles ainées, Colette prononça pour la première fois son fameux : TRISTE CHOSE ! J’étais encore une fois malade et je m’étais blottie sous une couverture de laine dans le grand salon. Entourée de Bruno et de GrosChien, les yeux fermés, j’écoutais la voie de ma grand-mère me lire Les petites filles modèles. Sophie avait encore fait une bêtise. J’imaginais que Colette et moi avions le même âge et que nous jouions ensemble à servir le thé à nos poupées dans la chambre d’un grand chateau, celui de la comtesse de Fleureville, du manoir du Cosquer ou de la propriété de Coran peut-être.

Mah-jong! Mamie criait de joie, elle avait remporté une partie. Je garde la règle rouge... Encore une belle saleté vite fait bien fait ! haha ! Dépitées, maman, Céline et moi avions déja commencé à retourner nos dominos et reconstruisions en silence la muraille, malgré la certitude partagée de perdre à nouveau à la prochaine partie. 41


CĂŠline Andrieu Herry 1984 42


C’est l’été, nous venons de finir un dîner cosquérien tardif. Le feu crépite dans la cheminée du petit salon, les rideaux fleuris qui sentent un peu l’humidité et exhalent des années de souvenirs sont tirés. Joc lit Le Monde allongé sur le petit canapé face à la télé. Justine et moi réussissons à convaincre Mamie de jouer au Mah Jong avec nous. Ses yeux malicieux s’allument, Mamie prend la direction des opérations en main : pas question de déroger aux règles de la construction des murs. Il faut retourner avec douceur tous les dominos, les mélanger avec soin, puis construire chacun sa muraille en comptant. Les règles ne sont pas assez longues, cela énerve Mamie. Vient le moment de tirer les dés pour savoir qui commence, c’est toujours Justine ou moi qui lançons mais Mamie arbitre la cérémonie. Pendant la partie une seule obsession : réussir pour Justine ou moi à faire les fameuses 13 merveilles dont Mamie nous parle depuis l’enfance et qui nous fascinent. Mais elle ne nous laisse que rarement l’occasion de finir avec un jeu pur car elle s’écrie «Mah Jong!» la première en riant, dévoilant alors une des saletés combinant Tseus et Paons, Sapec et Caractères, dont elle seule a le secret.

Toute petite, je vais régulièrement avec mes parents à Antony voir Mamie. Le matin, lorsque je me réveille, Mamie est déjà affairée dans la cuisine, à préparer du café, dans sa robe de chambre rose matelassée, usée par les années, sentant bon un parfum que je lui associe toujours. Un jour, à la Toussaint, j’ai deux ou trois ans, nous allons en vacances à Sauveterre. Surprise : j’y trouve une dame qui ressemble fortement à ma grand-mère. Premier matin: je la découvre arborant la même robe de chambre que ma propre Mamie, préparant le petit-déjeuner dans la cuisine. Quel choc, quel trouble extrême ! J’ai donc deux grand-mères différentes, vêtues exactement de la même façon. J’ai une Mamie à Paris et une Mamie à Sauveterre et j’en resterai persuadée pendant longtemps.

Par une magnifique après-midi d’été au Cosquer, Justine, Mamie et moi partons nous promener le long du chemin de terre où nous ramassons souvent des mûres. Nous nous arrêtons face à la mer dans un des champs qui surplombe la baie de Térénez. La vue sur la splendide Sterec et le château du Taureau nous ravissent. Nous déplions la petite chaise de plage de Mamie et étendons une couverture sur ses jambes. Là, elle nous raconte quelques uns des souvenirs du 20e siècle qu’elle a traversé de bout en bout. On ne sait jamais très bien pourquoi tel ou tel événement lui revient particulièrement à un moment précis. Elle commence à raconter, nous nous taisons et nous écoutons très attentivement. Aujourd’hui, c’est l’histoire de l’arrière grand-père juif Ernest May. Mamie nous explique les origines familiales alsaciennes, les revers de fortune, la cour qu’il a faite à Marie la bretonne, les tableaux impressionnistes qu’il a possédés. Les souvenirs de Mamie sont précieux. En finissant son récit, elle s’interroge toujours, l’œil pétillant et un petit sourire au coin des lèvres : « Mais qu’est ce qui a bien pu pousser la jolie Marie, catholique bon teint, à épouser ce juif très laid ? Peut-être avait-elle peur de la honte de rester vieille fille, après tout elle avait 29 ans lorsqu’il l’a rencontré… ».

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Nicolas Nicolas Andrieu Jullien 1986 44


Je m’en souviens comme si c’était hier. Août 2003, nous étions au Cosquer depuis une grosse semaine. J’avais débuté la conduite accompagnée au début de l’été et tannais sans arrêts mes parents pour conduire avec eux. Aller faire les courses, chercher le pain, voir si le Mousquetaire flottait, bref tout était prétexte pour conduire. Ce jour là, après le déjeuner, mamie me propose une ballade sur la plage de Plougasnou. J’accepte et nous voilà partis pour la plage de Ploug’. Le ciel est gris mais sans vent, une houle résiduelle vient chatouiller nos pieds dans le sable. Mamie me raconte son enfance, je me laisse bercer par sa découverte du Cosquer et autres anecdotes de sa jeunesse. L’après-midi passe et nous décidons de rentrer. Quand nous arrivons sur le parking de graviers, Mamie feignant la fatigue me dit d’un ton malicieux, « tu conduis ». Surpris, je rétorque « mais Mamie je n’ai pas le droit, je ne peux conduire qu’avec mes parents », « Allons, allons, tu conduis depuis que tu es tout petit et il n’y a que quelques kilomètres » insiste-t-elle.

Je m’installe donc au volant de la 205, Mamie à mes cotés. A mi-chemin, entre excitation et trouille, milles questions fusent dans ma tête: et si la police, et si je fais une erreur, et si et si… Je démarre. Le démarrage n’est pas très fluide mais bon, les vitesses se succèdent et nous voilà sur la route. Concentré et crispé comme jamais, je regarde partout, fais attention à tout. Le contraste avec Mamie, détendue, qui regarde le paysage, me fait sourire. Au fur et à mesure des virages qui s’enchainent, je me détends enfin et commence à profiter pleinement, enivré de l’illégalité du moment et de la confiance que m’accorde ma grand- mère. Après avoir coupé le contact devant l’écurie, Mamie s’apprête à ouvrir sa portière, s’arrête et me dit « tu ne dis rien a Daniel, hein ! » puis elle sort. Je reste quelques secondes dans la voiture les jambes encore tremblantes puis la rejoins sous le porche. À ma connaissance, mes parents ne l’ont jamais su. Et c’est l’un des plus beaux cadeaux que l’on ne m’ait jamais fait. Bref, j’ai fait une virée avec Mamie.

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CĂŠcile CĂŠcile Andrieu Jullien 1988 46


Il est 8h du matin, le Cosquer dort encore. A pas de loups, nous traversons l’escalier où nos pieds nus encore chauds de sommeil frissonnent sur la pierre froide. Le plancher grince si fort que Mamie doit déjà savoir que nous arrivons, avant même d’entendre le discret « toc toc » qui résonne sur sa porte en bois. Mamie prononce le mot magique sans lequel on ne poussera pas la porte. « Entrez ». Elle nous attend, un sourire en coin. Le temps d’embrasser chacune une joue, et nous voilà, sous une nouvelle couette, Louise d’un côté et moi de l’autre. Mamie joue déjà au Scrabble, depuis 6h nous dit-elle. On trouve ça fascinant de se réveiller si tôt pour voir des mots s’entrecroiser, et d’ailleurs, Mamie pourrait nous annoncer qu’elle y a joué toute la nuit, on y croirait, sans aucune réserve. Le défilé des parents commencera vers 9h, jusqu’à 11h, puisque « tout de même, les filles, il serait temps de s’habiller et d’aller petit déjeuner ». C’est au printemps 2011 que Mamie m’a accueillit chez elle pour quelques jours, semaines, par ci, par là, entre deux plans logements plus ou moins stables. J’étais alors venue à Paris pour réaliser des entretiens pour mon mémoire. Elle a supporté mes sacs éparpillés, mes allées et venues, et mes idées souvent changeantes. Nous avons partagé de longues après-midi à boire du thé, commenter l’actualité et jouer à la crapette. Mais ce que j’aime par-dessus tout, ce sont les mémoires de Colette. Son histoire, celle de son père, de ses frères, oncles, amies, cousins, etc. Je prends alors conscience de cent ans d’existence. Il y a dans ses récits

des naissances, des morts, des guerres, parfois des rancœurs mais aussi des vacances, mai 68, des automobiles et des mariages. Un mélange de faits, de ressentis, un regard critique, une analyse presque sociologique des personnages qu’elle fait se rencontrer et interagir pour mon plus grand bonheur. Aujourd’hui, mon mémoire à moi est relié, rendu et soutenu. Il a été rédigé entre Québec, Beyrouth, Bruxelles, Le Cosquer et Paris, et c’est important pour moi que ma grand-mère fasse partie de cette histoire, de ces pages que j’ai noircies pendant plusieurs mois et qui signent un peu la fin de mes études, le début d’une nouvelle ère.

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Louise 48

Louise Andrieu Morhien 1991


Je me souviens d’aller régulièrement le dimanche après-midi prendre le thé chez Mamie avec Papa. J’adorais le rituel qui entourait ce thé (le joli service à thé, tout avait sa place!) mais surtout je m’éclipsais souvent discrètement pour aller dans la penderie de Mamie où se trouvait sa vieille balance dotée de multiples poids différents, avec laquelle je pouvais jouer longuement. Très jeune je me réveillais toujours (très) tôt, au grand désespoir de mes parents. Je m’ennuyais. Mais au Cosquer c’était différent : j’allais jouer aux Petits Cailloux. Il s’agissait de simples cailloux ramassés sur la plage, conservés dans le tiroir de la table de Mamie, face à la fenêtre de sa chambre, qui donne sur la cour. Avec ces cailloux, on s’amusait à faire des trains ou des personnages pendant qu’elle prenait son petit déjeuner.

Les Mah-Jong évidemment… et les cris et rires diaboliques de mamie lorsqu’elle gagne !

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Anouk 50

Anouk Andrieu Jullien 1993


Quand on me demande ce que je fais ce week end, je réponds que je vais à Paris, pour les 100 ans de ma Grand Mère, je sens leur regard plein d’admiration envers une vieille dame, qu’ils ne connaissent pas spécialement, mais dont ils savent qu’elle est née en 1912, qu’elle a connu les deux grandes guerres et à traversé un siècle de changements. Je me sens donc terriblement fière de savoir que ma Grand Mère, par son âge et l’histoire qu’elle a traversé, provoque autant d’admiration chez les jeunes.

Je me rappelle d’aprèsmidi passées chez Mamie à Paris, à jouer avec le cheval à bascule, au piano, à deplacer multiples jouets qui sont dans l’armoire à côté du canapé, en particulier le train et les puzzles, mais

ce dont je me souviens le plus, ce sont les parties de crapette avec Mamie sur sa table, à côté de la baie vitrée, avec ses mythique petites cartes, rouges et bleues. 51


Camille Camille Andrieu 1995 52


Quand on regardait la Flûte Enchantée chez Mamie le week-end, j’aimais le moment des tadédis, et je m’en souviens avec précision. Un tadédi est le moyen donné par Mamie, moyen intangible et sur, pour mesurer la seconde. Il fallait en compter par exemple une dizaine devant le microonde pour rendre la glace souple et délicieuse. Tadéditadéditadéditadédi… . Papa dit que l’inventeur de cette mesure du temps est le grand-père de Mamie, d’autres que c’est son frère Daniel. Autrefois on ne pouvait que compter les tadédis, maintenant on peut en manger. La glace elle-même a pris ce nom bien que papa continue de l’appeler un Mystère. Quand on va déjeuner chez Mamie, je peux encore demander : « y aura-t-il des Tadédis ?».

Mamie a découvert les Sudoku dans le train pour la Bretagne. Mais là-dessus, les avis divergent. Chacun a son histoire. Voici la mienne. Alors que nous étions assis dans un carré, une jeune femme lui faisant face était plongée dans la réalisation de Sudoku. (C’était le début de cette grande mode). Je ne sais plus dans quelle circonstance mais une conversation engagée a permis à Mamie de lui demander ce qu’elle faisait et de se faire ensuite expliquer les principes de ce jeu japonais. Elle ne fut pas longue à s’y mettre, transcendée par les possibilités et les défis toujours renouvellés qu’il offrait. Les Sudoku devaient vite régler son temps. Au Cosquer, elle y passait entièrement certaines après-midi, au cours dès quelles nous pouvions entendre parfois cette phrase clé : « En ce moment, je n’y arrive pas ! »

Avec Anouk, nous nous cachions sous le piano pendant les anniversaires, un endroit privilégié. On s’asseyait aussi sur le chien à bascule et sur la petite chaise en osier ! C’était bon !

J’aime, comme tout le monde le parasol breton de Mamie, sa canne, son bob et son fauteuil vert quand on va à la plage. Tout cela tient en un mot: la classe ! Juste une petite compote dit Mamie quand on lui demande ce qu’elle veut comme désert, comme s’il avait un choix de taille au Super Marché. Je me suis toujours imaginée le rayon où l’on trouvait les lots de très petites compotes. Les jours où cela ne va pas, Mamie mange la très petite compote. Les jours où cela va bien, son œil à la Mamie, qu’elle croit invisible, se promène sur la table. Mais qu’est ce que vous mangez-là? finit-elle par dire. Vous en voulez Colette ? dit une belle sœur. Quelle drôle d’idée de ne pas m’avoir proposé de cet excellent dessert, semble penser Mamie par devers-elle.

J’aime les promenades du dimanche avec Mamie, au printemps au Parc de St-Cloud, au Parc de Sceaux parfois, au jardin des Plantes.

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Jeanne 54

Jeanne Andrieu 1999


Chez Mamie il y a maintes boites que protègent des armoires, de petits meubles et de mystérieux tiroirs. Ces boites, très attirantes, on ne les a jamais ouvertes. On n’a pas le droit de les ouvrir. C’est beaucoup mieux comme ça. Tous ces tiroirs, toutes ces boîtes, contiennent les trésors de Mamie, cela fait partie du Monde de Mamie .

Les week-end de papa, nous allons souvent chez Mamie pour goûter, prendre le thé ou pour dîner. Mamie et moi, nous nous installons autour de la petite table dans le salon pour faire une partie de cartes. Je m’assois sur une des chaises en bois. Elles grincent toutes.

« Ah, ce granit ! » dit Mamie au Cosquer

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Alexis 56

Alexis Andrieu Charbonneau 1999


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20 annÊes de colloc, 75 de tante et 100 d’amie



Zoraida Imane Daniel B. les May (voir leur album)

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Zoraida 62

Zoaraida Martinez 1977


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Imane 64


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Daniel Blanchard 66


Quand j’étais petit, Colette était une fée - la Fée Colette, je l’appelais ainsi. Une bonne fée, bien sûr. Une bonne fée est une belle dame - et les petits garçons adorent les jolies jeunes femmes. Une fée sait passer de la vie réelle dans le rêve - et je rêvais beaucoup, alors, et je jouais avec mes rêves. Et Colette entrait dans mes jeux, elle en suscitait même qui m’enchantaient. Et avec quel tact elle m’offrait ainsi sa connivence... Cet alliage précieux de délicatesse et de chaleur affectueuse, je le retrouve dans un souvenir moins lointain, je devais avoir seize ans. De Saint Samson où nous séjournions avec ma famille, en compagnie des Andrieu, Pierre nous avait emmenés en voiture visiter les Monts d’Arrée. J’étais assis à l’arrière de la voiture entre Colette et ma mère. Et voilà que Colette, tout doucement, me demande si cela me dérangerait qu’elle passe son bras derrière mes épaules. Evidemment, j’étais ravi et sans doute flatté. Ce bras, si léger sur mes épaules, ce geste de familiarité affectueuse, la délicatesse de cette demande dont j’étais presque confus... La fée Colette était bien là encore. Je la retrouve à chaque rencontre dans ses gestes, dans son sourire, sa voix - et sa présence me rajeunit.

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très bon ème 100 anniversaire Colette !



Paris, Janvier 2012 les Andrieu - May - Mazurek - Charbonneau - Herry - Jullien



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