JUNKPAGE#56—MAI 2018

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© Caroline Ablain

À Brive-la-Gaillarde, Danse en mai s’offre les dernières créations régionales (Immerstadje, Cargo, Nœuds…) mais aussi Event, un medley de Merce Cunningham remonté par Robert Swinston, et Jours étranges, pièce culte de Dominique Bagouet, presque trente ans après sa création.

TEENAGE KICKS Ce fut une pièce rebelle. De celles qui firent hausser les sourcils de la critique, dérangèrent le public aquis à un Dominique Bagouet au sommet de son art. En créant Jours étranges, en 1990, pour les dix ans du festival international Montpellier danse, qu’il avait fondé, Bagouet donnait un grand coup de griffe à la « belle danse » comme il savait faire : clean, esthétique, pleine de son savoir-faire de chorégraphe-auteur. Or, deux ans avant sa disparition, il avait pensé Jours étranges comme un surgissement d’adolescence. Un sursaut face à l’institutionnalisation qui le rattrapait. Un geste grotesque, informe, fragile, de ceux qui saisissent aux tripes. Quand surgit sur scène cette bande de six danseurs se lançant dans « de mauvaises pantomimes » – selon les mots de Bagouet –, des jeux et postures, des flottements et des énergies éruptives, cela sonne comme un coup de pied dans l’attendu. Dans une rencontre publique qui suivit la première, le chorégraphe assume : « C’est un peu un phénomène d’enfance, quand on casse un jouet. On aime beaucoup ce jouet mais on a tellement envie de le casser pour voir ce que ça donne (…). Moi, je me suis senti assez fort parce que les six autres se sont mis avec moi. Ils ont eu envie de casser du langage, casser de la danse ! C’est vraiment une chose qui s’est passée sans trop qu’on en parle. On a réalisé petit à petit, presque quand la pièce a été finie, que : “Oh là là, qu’est-ce qu’on a fait la !” » Comme moteur, Strange Days, morceau des Doors, madeleine de Proust du chorégraphe dans les années 1960. « Avec les six danseurs, on a instauré un climat de “foutre tout en l’air” parce qu’en écoutant cette chanson, on a réalisé que c’était ça qui se passait avec cette musique et qu’on ne pouvait pas faire une danse bien clean, propre, avec ce qui se passait dans la tête de ces bonshommes à cette époque-là. »

Presque trente ans après la première, à Montpellier, cette pièce considérée comme mineure dans l’œuvre de Bagouet a changé de statut pour devenir chouchoutée, terriblement en accord avec une époque qui voudrait tout contrôler. Elle a été remontée plusieurs fois. Mais la version présentée au festival Danse en mai, à Brive, est la dernière en date. Catherine Legrand, interprète puis assistante de Bagouet, personne centrale des Carnets Bagouet, a d’abord décidé de la remonter pour des adolescents amateurs, en 2012, avant de prolonger son geste par une version pour danseuses professionnelles. La distribution est passée d’un équilibre fille-garçon à un plateau exclusivement féminin (Magali Caillet, Lucie Collardeau, Katja Fleig, Élise Ladoué, Pénélope Parrau, Annabelle Pulcini). Elles sont de générations différentes, mais travaillent à retrouver, sur cet hymne rageur des Doors, cet élan adolescent, maladroit, spontané, irruptif. Celui que Bagouet recherchait dans « un état où la remise en question, la quête d’aventures, se heurtent encore à de nouvelles conventions, des systèmes qui redeviennent pesants et qu’il semble urgent de secouer. Alors avec cette pièce, disons qu’on essaie donc de commencer à “secouer” ». SP Jours étranges, Dominique Bagouet,

mardi 29 mai, 20 h 30, grande salle du théâtre, théâtre des Treize Arches, Brivela-Gaillarde (19100).

Conférence « Dominique Bagouet, une œuvre et sa transmission », Anne Abeille, lundi 28 mai, 19 h, salle Georges Brassens.

Atelier autour de Jours étranges,

Annabelle Pulcini, mercredi 30 mai, 14 h, petite salle.

Danse en mai,

du samedi 12 au mercredi 30 mai.

www.lestreizearches.com


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