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© Angèle Rousseau

LIBER

Bruno Lahontâa est plasticien, scénographe et performer ; Laurence de la Fuente est metteur en scène et auteur. Ensemble, ils publient Performances éthologiques de Font, leur premier livre, qui est aussi le premier titre de la nouvelle collection des éditions de l’Attente, « Au trait », associant images et textes d’ « artistes écrivant », dans l’esprit de son catalogue, lieu d’expérimentation au croisement des arts. L’ouvrage, insolite, rend compte des tentatives étranges d’un artiste argentin, le susnommé Font, injoignable à l’heure de l’entretien : contre l’anthropocentrisme, il s’agit d’éprouver sur l’humain les comportements animaux. Chimères ? Propos recueillis par Elsa Gribinski.

QUI FAIT L’HOMME

FAIT LA BÊTE Qui est Font ? Font est un artiste majeur de la scène artistique argentine. Son travail s’est ancré dès le début des années 1980 dans une observation minutieuse du comportement animal qui a contribué à nourrir sa créativité absurde et burlesque, créativité qui s’est déployée dans un cercle restreint de l’art contemporain. Il fut le précurseur des performances éthologiques. Cet artiste secret a disparu de tous les champs à la fin des années 1990, et on s’est longuement posé la question d’un suicide programmé dans le cadre d’une action extrême autour de l’automutilation. Nous avons pu approcher Font dans les années 1990, avant qu’on ait perdu toute trace de ses activités.

Des performances… éthologiques ? Les performances éthologiques sont des performances liées à l’étude du comportement animal. Font a pris les entrées d’un dictionnaire éthologique comme base de sa démarche artistique : l’attachement, le cronisme, l’aire vitale, la cleptobiose pour n’en citer que quelques-unes. Ce n’est certainement pas pour faire rire les oiseaux ou chanter les abeilles. Nous souhaitons organiser d’après les dessins et les textes de Font un certain nombre de reenactments de ses performances pour rendre hommage à l’artiste. Concrètement ? Eh bien, prenons deux exemples. Pour le mimétisme, la mise en œuvre est très simple : une actrice, Séverine Batier (si le budget le permet) ; une robe à fleurs ; un paravent recouvert du même motif floral ; quelques pas de danse  ; un conférencier/une conférencière.

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Pour l’écholocalisation, il suffira d’un acteur : à défaut de Ghérasim Luca, Stéphane Roger (si le budget le permet), muni d’un pavillon de tête ; un orque projeté sur petit écran type diapo ; un vidéoprojecteur.

Ce qui dit bien qu’une performance est en acte. Pourquoi un livre ? Le livre est bien la matrice des performances, seul témoin d’une œuvre dont ne subsiste aujourd’hui aucune trace audio ni filmique. Il apporte donc un témoignage graphique et textuel précieux sur ces performances éthologiques, réalisées, avortées, ratées, rêvées... En ce qui concerne les performances réactivées, elles s’inscriront dans le cadre d’une conférence dans laquelle la conférencière/le conférencier s’autorisera l’utilisation d’objets, de prothèses, tous supports lui permettant d’être le plus conforme possible aux intentions originales de l’artiste. Espérez-vous retrouver d’autres œuvres de Font ? Nous pensons que Arnaud Labelle-Rojoux, grand performer et auteur de la préface de ce livre, est en possession d’autres documents fontiens. Il s’agirait, entre autres, d’un disque vinyle intitulé Cuisine de la pampa argentine… Performances éthologiques de Font, Laurence de la Fuente et Bruno Lahontâa, préface

d’Arnaud Labelle‑Rojoux, éditions de l’Attente, coll. « Au trait ».

Un verre, deux vers : célèbre pour ses Brèves de comptoir, adaptées au théâtre puis récemment au cinéma par Jean‑Michel Ribes, Jean-Marie Gourio cueille, recueille et sème aux vents contraires des haïkus et des rêves.

GOURIO NOUS

RESSERT ! Le dernier opus de Jean-Marie Gourio, qui est aussi le millième édité par Le Castor astral, va des Haïkus aux Rêves, en passant par les Pensées pressées. « Pressées » peut s’entendre de deux manières. La rime sémantique se fait avec « brèves », qui contient « rêves », qui est l’envers du vers. « Curieusement, le presque rien en mots n’est pas si simple. » Y ajouter la contrainte, non seulement formelle, c’est accroître la difficulté pour mieux l’intégrer. Mais le haïku ne contraint pas tant : dix-sept syllabes, parfois moins, trois vers, pour exprimer l’instant, qui est aussi le temps – la saison… Les règles ont leur souplesse. L’été, du reste, les brèves de comptoir s’allongent comme les jours. Cela donne de petits poèmes, en prose ou en vers libres, avec des échos de Prévert, de Tardieu, de Vian, des ballades rebaptisées « promenades », où l’absurde le dispute à la mélancolie, l’humour au noir, le tout léger, léger. Cela donne aussi des recettes, car Jean-Marie Gourio ne fait pas que boire : il mange, à sa manière, escalade le bifteck, s’allonge dans le persil, « la tête sur un tronçon d’échalote », s’aperçoit que, contre toute apparence, il n’est pas dans son assiette ; normal, c’est dimanche. La cuisine, donc, tout un poème : Recette de la confiture de vieille, Recette du cocktail à la sardine, du melon à la fatigue, Larmes salées et Poème à la noix… Avec pas mal de questions sans réponses, ou pas celles qu’on attend. Des sornettes à la buvette ? Porté par les vents contraires, Gourio flotte et sème le doute, un genre de graine qui fait pousser des fleurs à la boutonnière. L’apéro prolongé se prête aux jeux de l’esprit : le bon sens et l’inverse, un vers, deux vers, trois rêves… au comptoir, ça vaut bien un coup de dés. EG Haïkus de mes comptoirs, Jean-Marie Gourio,

Le Castor astral.

Brèves de comptoir, réalisé par Jean-Michel Ribes, scénario et dialogues de Jean-Marie Gourio et Jean-Michel Ribes.


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