JUNKPAGE#30—JANVIER 2016

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SONO MUSIQUES TONNE

La Nuit des conservatoires s’est inscrite dans les temps forts du vénérable établissement artistique du quai Sainte-Croix. Outre les concerts, spectacles et ateliers proposés, c’est l’occasion pour les équipes en place d’échanger avec les publics et de dévoiler la diversité des formations. Responsable de 150 enseignants et d’une population scolaire de 2 000 inscrits, Jean-Luc Portelli, son directeur, évoque les enjeux d’un conservatoire vivant et actuel. Propos recueillis par Guillaume Gwardeath

AU DIAPASON Quel genre de rendez-vous est La Nuit des conservatoires ? S’agit-il d’un moment festif ? De « journées portes ouvertes » un peu décalées ? Initialement, il s’agissait d’une mobilisation du syndicat des personnels de direction des conservatoires pour manifester contre la baisse des crédits de l’État. Tout en gardant cette veille, cette nuit s’est transformée en une façon d’ouvrir nos portes autrement et de créer une soirée particulièrement intense, joyeuse, participative et conviviale. C’est beaucoup plus que des portes ouvertes et c’est beaucoup plus qu’une opération de revendication. Peut-on dire du conservatoire de Bordeaux qu’il a une mission ? Il en a même plusieurs ! Il a une mission d’enseignement, c’est-àdire de formation des artistes, et une mission de développement culturel. Ces deux missions sont indissociables et cela est propre à tous les établissements en France. On peut aussi évoquer la notion de « mission de service public ». Ce point est très important pour moi : on défend des valeurs du service public, qui sont l’accessibilité, la continuité et l’adaptabilité.

Si on devait résumer notre démarche d’innovation en quelques mots, on dirait qu’on est sorti de la relation particulière, du type « un professeur / un élève », pour rentrer dans une relation entre un groupe d’élèves et une équipe d’enseignants. C’en est fini de l’excellence ? Mais pas du tout ! Je suis pour l’excellence ; à tous les niveaux. L’excellence des équipes, l’excellence de notre démarche, et même l’excellence de notre écoute. Le groupe d’élèves est devenu aussi important que le « super élève doué » d’il y a trente ans. L’équipe d’enseignants est devenue aussi importante que le « super prof réputé » d’il y a trente ans. Cela ne résout pas tout, mais je considère qu’on a un conservatoire d’aujourd’hui.

« En fait, nous sommes avant tout un conservatoire de quartier, ce qui veut dire que si on ne rayonne pas dans notre quartier, on a loupé une étape ! »

Cela veut dire quoi aujourd’hui, d’être « adaptable », pour un service public ? Pour évoquer un conservatoire d’il y a trente ans, on pourrait vous montrer une photo d’un pianiste en train de jouer, et ça irait très bien. Mais aujourd’hui, sur la photo, il pourra y avoir aussi bien un groupe de rock qu’une compagnie de danse contemporaine. On a une mission de développement culturel et de formation des artistes. Qu’est-ce que cela implique en termes d’innovation ? Il est intéressant, par exemple, d’innover dans notre manière d’observer nos publics. La vie des gens, et donc la nôtre, n’est pas la même qu’il y a trente ans ! Ordinateurs et téléphones portables ont pris une place majeure : cela nous interroge en matière de communication et de transmission. En termes d’innovation pédagogique, un conservatoire qui se définirait par des cours particuliers d’instruments, des cours de solfège et de l’orchestre quand on a le niveau, serait un conservatoire d’il y a trente ans, et peut-être même d’il y a quarante ans !

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Pouvez-vous nous donner un exemple concret de cette modernité ? Prenons l’évaluation. En musique ancienne, musiques actuelles et jazz, musique contemporaine et musique de chambre, les évaluations de nos élèves, ce sont vingt-trois concerts publics dans des lieux aussi divers que le Rocher De Palmer, la chapelle SaintGenès, la Manufacture Atlantique ou le château Malagar. On est très loin de l’examen avec le jury derrière une table qui agite la clochette. La musique n’est d’ailleurs pas la seule discipline que vous enseignez ? Ici, à Bordeaux, on a « les musiques » – on y tient beaucoup, à ce pluriel – et les arts de la scène, qui sont le théâtre, la danse et le chant. Pourquoi avoir mis le chant avec les arts de la scène ? On a considéré qu’il y avait de grandes transversalités entre le chant, la danse et le théâtre. Les chanteurs jouent la comédie ; les chanteurs lyriques, par exemple. Les comédiens travaillent leur voix tout autant que leur corps. Ici, un musicien ne saurait être complètement étranger à ce qui se passe en danse, un danseur ne va pas être étranger à ce qui se passe en théâtre, etc. On entretient ce lien transversal.

© Richard Nourry

D’AUJOURD’HUI

Peut-on dire de votre travail qu’il s’inscrit dans le cadre d’une politique du développement culturel telle qu’elle est définie par la ville de Bordeaux ? Le schéma d’orientation pédagogique et la charte de l’enseignement artistique sont définis par le ministère de la Culture, mais je suis un agent de la ville de Bordeaux, très clairement. Vous savez, la ville finance 98 % du conservatoire. Pourtant, le conservatoire est dit « à rayonnement régional » ? Oui, mais c’est une appellation purement règlementaire, pour ainsi dire. En fait, nous sommes avant tout un conservatoire de quartier, ce qui veut dire que si on ne rayonne pas dans notre quartier, on a loupé une étape ! Nous sommes un conservatoire dans notre ville, dans notre métropole, dans notre département, dans notre région, dans notre pays et à l’international. Nous sommes présents à chacun de ces niveaux, en nous questionnant à chaque fois : quelles actions, quels partenaires et quels financements ? Deux mots pour conclure sur votre lieu de travail. L’architecture du conservatoire ne passe pas inaperçue quai Sainte-Croix. Est-elle à votre goût et ne la trouvez-vous pas un peu datée ? Le bâtiment a été inauguré le 12 mai 1980, et donc conçu une dizaine d’années plus tôt. Évidemment, il est très imposant. S’il devait être construit aujourd’hui, ce ne serait certainement pas de la même manière. Mais je ne suis pas dans le jugement. Je me considère avant tout comme un utilisateur. Si vous regardez le théâtre dans lequel a travaillé Pina Bausch à Wuppertal, je ne suis pas sûr que vous allez trouver ce bâtiment tellement... magnifique. J’en avais parlé avec un de ses danseurs qui m’avait dit, et cela m’a beaucoup aidé dans ma vision, qu’un bâtiment est changé par le contenu. Je m’intéresse en priorité aux possibilités, très nombreuses, qu’offre donc notre lieu, et ce qui nous intéresse, bien sûr, c’est que les gens y rentrent. Troisième Nuit des conservatoires,

vendredi 29 janvier, de 17 h à 23 h, conservatoire de Bordeaux Jacques-Thibaud.

www.bordeaux.fr


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