Journal JUNKPAGE N°08

Page 20

VISITE D’ATELIERS

© Thierry Michelet

EXHIB

Où il est question de l’énigme N°17 dans le charivari mythique des arts : la Chapelle du Créateur, ce lieu du feu sacré où descendent les Muses, les modèles, les demi-mondaines, les beaux esprits parfois, et les autres créatures dont nous tairons les sobriquets les plus divers. L’Atelier de l’Artiste. Que dis-je ? Du Maître. Surtout s’il vient de disparaître.

par Gilles-Ch. Réthoré

Junkpage se propose d’évoquer – en plusieurs chroniques – la notion d’atelier-s d’artiste-s... Vastes rigolades engluées dans les idées reçues et stéréotypes que les non-dire habillent de fades aisances et lieux communs. Qui ne disent que rarement l’œuvre en laboratoire, en expansion aussi. En discrétions ou/et partages. Ateliers ? Oui, mais de savoirs et manières aristocratiques qui diffèrent d’un artiste ou/et groupe fédéré à un autre, avec apports et luttes, conjurations et évictions, partis pris et chemins intimes. L’atelier. Hors‑murs. Mais armure et cénacle, également. Huisclos et façade. Office du laboratoire salvateur et des avortements. Sanctuaire et fabriques. Vraie, cette histoire, quant aux « peintres » et assimilés, tous artistes-créateurs-chercheurs-découvreurs-trouve-ailleurs. Ces « lieux » ne sont restrictivement ni enclos bâtis ni espaces anodins. Des femmes et des hommes d’art y édifient, contre toute attente. Des « barbouilleurs » et des « babillards » qui, certain-e-s, donneront des Lettres au patrimoine savant, délicieusement et jubilatoirement indispensable. L’Atelier. De diplômes, de bric et de broc, d’erreurs bien reçues et de labeurs salutaires. Dans l’atelier, l’Artiste. Un choix pluriel, nous le croyons ici.

Thierry Michelet est/était de ceuxlà, moins les généralités idiotes et lieux-communs énoncés plus haut. Un diplômé de 1982 des Beaux-Arts de Bordeaux, ayant galeries le représentant et collectionneurs, achats d’institutions muséales, textes et catalogues disputant ou discutant ses mérites, ses phases de recherche, les pas de coté pour s’approprier (de nouveau...) une technique ou perception atypique d’un outil... L’atelier rend-il pour autant témoignage de ces contradictions et compléments, ajouts soudains ou récurrents ? L’atelier... Celui des combles de l’imaginaire romantique sclérosé, c’est-à-dire dépouillé, glacé l’hiver et torride l’été ? Le loft aux baies translucides zénithales ou septentrionales, parois de briques blanches et cimaises discrètes, treuils et élévateurs ; le hangar, le studio-duplex coquet ou le réduit sobre ? Et le coin de table du bistrot, il compte pour de la margarine, peut-être ? Michelet photographe autonome fit des tirages « normaux » chez les amis équipés pour cela, des maxi-tirages chez et avec son ami Alexandre Delay, découvrant les joies du mouillage-révélateur-fixateurrinçage au Mir dans des baignoires et gouttières de PVC construites à cet effet, et autres tours de main que la nécessité commande, pour maîtriser marouflages sur tissus ou plaquages sur bois. Mais également, atelier de terre battue partagé avec l’ami sculpteur-peintre Luc Lauras, dans un ex-chai des Chartrons. Ou bien l’appartement du vieux Saint-Pierre, qui dicte les formats des châssis, les heures d’ensoleillement, le studio dans la ruelle en coin où les Dames libéraient la vertu des magistrats du proche Palais. Et même, même... Un atelier « étudié pour », de ceux-là mêmes, ces prêts/ près-à-artister, que l’on bade rue du Faubourg-des-Arts, à Bordeaux,

20

JUNKPAGE 0 8 / décembre 2013 - janvier 2014

échec patent de la programmatique des technocrates qui « savent-si-bien-cequ’il-te-faut ». Charités stupides. Insultes à la différence, aux « modifications ». Thierry Michelet s’en évacua ; il ne fut pas le seul. Les Bâteau-Lavoir et Ruches ne se décrètent guère. Ni les squats inventifs et autonomes... L’atelier d’hier était parfois entre les pages d’un carnet Moleskine ou Conté. Il fut aussi dans les ordinateurs que Thierry Michelet dominait, ayant créé l’un des tout premiers blogs d’artistes, à Bordeaux, « Périclès », avec J.-Ph. Halgand et autres complices. Années 1990. Ateliers-palais aussi, en résidence, c’est-à-dire œuvrant dans de « bonnes conditions » en France ou à l’étranger : l’atelier est mobile, voire multiple, lorsqu’il faut que le peintre coopère avec un autre créateur, un « commanditaire », comme disait Emmanuel Hocquard, par exemple. Il y eut Alain Béguerie et son propre studio d’artiste-photographe, allié manœuvrant prises de vue et distorsions optiques, préalables négociés aux sidérantes peintures des apesanteurs et éthers d’une époque. Va-et-vient qui racontent la hauteur ou la distance prises par l’artiste, le ramenant tantôt à la période des « Polaroid arrangés » des années 1980, tantôt à des batailles fauvistesexpressionnistes, tantôt faux frères des Gauguin-Bacon et Lucian Freud... L’atelier. Les ateliers. Ceux de Michelet, impasse Bardos ou aux étages d’une Résidence du cours du Médoc, un puits de jour, une lucarne, une baie crépusculaire ; viendra le moment où le lecteur voudra goûter les éclairages de l’œuvre d’un ami, mien. Local. Universel. Thierry Michelet (1958-2013), collections du CAPC et autres. facebook/thierrymichelet

PANEL SUR PLACETTE DANS LE VIEUX BORDEAUX*

« Foutre dieu et torche-cul ! C’est fait ! » eut blasphémé Frère Nasier (alias François Rabelais) à propos de Molinier, en autres temps bénis. Dans sa légendaire munificence et magnanime gracieuseté, la Ville de Bordeaux a accordé un lambeau d’urbanité (!), un recoin d’espace public à un artiste photo-collagiste et peintre aquitain : il y a désormais une « placette Pierre-Molinier » (sic). Dix mètres sur vingt, sous les cieux croisés des rues Maubec et Fusterie, à un trait d’arquebuse des quais de Garonne, vers la basilique Saint-Michel. Flamboyant lopin qui désigne l’estime réservée à l’artiste « manustuprateur » (dixit Michel Montaigne) et adulateur des gambettes féminines, dont les siennes (!), enjolivées d’atours et olisbos faits maison. Clovis Trouille, indisposé, avait-il délégué l’honneur d’inaugurer la placette à l’adjoint-au-maire du secteur ? Qu’importe, désormais les artistes actuels se délectent à la lecture des critiques d’art de ce dernier, qui énonce de surréalistes idées sur « le vit et la mort » de Molinier... Tableautin d’émail et la nudité de la vis. Max Lampin & Amadeus Kirchenfüzer * Contrepèteries fournies avec français ancien.

DR

« thierry Michelet (.) »


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.