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Wax Tailor
b-boy dans l’âme
Que sera sera. C’est par une référence au titre d’un de ses plus grands succès que Wax Tailor, Jean-Christophe Le Saoût de son vrai nom, décrit son état d’esprit alors que son nouvel album, Fishing for accidents, vient de débouler dans les bacs. “J’ai tellement bossé ces derniers mois que je n’ai pas le temps de stresser”, nous raconte-t-il, chez lui, à Vernon, où il nous a reçus. En vingt ans de carrière, le producteur normand, véritable self-made-man, s’est hissé tout en haut de la scène hip-hop internationale. Lancé dans une tournée mondiale, Wax Tailor, connu pour ses shows très visuels, jouera “à domicile”, au 106 de Rouen, le samedi 13 mai.
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chacun de tes albums, un univers. Comment ce dernier opus, Fishing for accidents, a-t-il été pensé ?
Je sortais d’un album très concept, sombre, cathartique, The Shadow of Their Suns… J’avais envie de quelque chose de plus lumineux… Pas que je sois très optimiste, mais tu ne peux pas ruminer toute ta vie dans ton coin. Le process de l’accident, du hasard dans la production, m’a toujours intéressé. C’est un acte créatif, contrairement à ce qu’estiment certains. Ton travail de réalisateur est de provoquer ces moments, de les capter. C’est l’album qui met sur un piédestal ces accidents, une ode à ces instants.
Tu pars en tournée mondiale après une pause imposée de cinq ans due au Covid. A quoi peut-on s’attendre en matière de show ?
C’est en lien avec la façon dont je crée des disques : une sorte de renouvellement sans trahison, un fil directeur avec un noyau dur qui est là, et d’autres qui apparaissent. Mon batteur est arrivé sur la tournée précédente, mais il y a toujours ma flûtiste, mon violoncelliste, un guitariste, ma chanteuse Charlotte… On sera une grosse tribu. Le côté DJ derrière un Ableton ne m’excite pas, je ne vais pas voir un live pour ça. Vidéos, contenus, écrans, décors : on bosse sur la créa visuelle depuis octobre.
Hip-hop, trip hop, electro ? Tu te situes où ? Je n’en jamais rien eu à faire. J’ai souvent revendiqué le terme hip-hop, car les gens font une confusion avec le rap. Je viens de cette culture, je suis un b-boy dans l’âme. On a parfois parlé de triphop, mais ce n’est qu’un tampon journalistique. Il y a vingt ans, j’étais un peu taliban là-dessus. Mais quand tu te rends compte que tu galères toi-même pour définir ta musique, n’emmerde pas les autres quand ils n’y arrivent pas ! J’ai tendance à parler de hip-hop orchestral.
Sur la scène actuelle, la production lorgne plus sur les sonorités trap que sur le down tempo orchestral ? Où se place un artiste comme toi dans ce contexte ?
Depuis sept-huit ans, sur la scène des nouveaux entrants, il y a plein de nullités, comme à notre époque d’ailleurs, mais il y a des vraies pépites, des passeurs qui font la liaison entre la génération 90 et aujourd’hui, comme Kendrick Lamar, Anderson Paak… Mais il y aussi ces mecs qui marmonnent sous sirop à la codéine. Il faut accepter l’évolution. On me dit parfois “que penses-tu du rap aujourd’hui ?”. Mais on s’en fout, j’ai 47 ans, je suis hors sujet ! Le tampon rap aujourd’hui, c’est les yéyés, la variété des années 2020. Il y a à prendre et à laisser. De toute façon, on a toujours été une culture de voleurs.
Quand tu crois avoir lâché les chaînes des mass medias, tu dois payer Mark Zuckerberg pour être vu. On a trouvé de nouveaux maîtres…
Indépendance et intransigeance sont souvent associées à ton nom. Au-delà des mots qui claquent, qu’est-ce que cela veut dire au quotidien ?
C’est mon ADN. J’ai toujours été un peu indélicat avec le terme d’artiste, je ne m’en fais pas une gloriole. Par contre, je suis bien plus attaché au terme d’artisan. Aujourd’hui, les mecs se collent sur YouTube et se disent indépendants. Il y a 25 ans, être indépendant était un acte militant fort. Ça voulait dire : achète ton fax, presse tes disques, colle tes affiches la nuit…
On te décrit comme un self-made-man, qui souhaite tout contrôler : label, production, marketing. Est-ce toujours le cas ? Comme au début, et plus qu’au milieu en tous cas. Quand j’ai commencé à exploser, j’ai fait deux ou trois licences et j’ai pété les plombs car ce n’est pas mon ADN. Je bosse toujours en petite équipe.
Les médias t’ont largement mis en lumière. A-t-on encore besoin d’eux actuellement pour percer et durer ?
Oui, je pense. Il y a le fantasme des réseaux… Mais quand tu crois avoir lâché les chaînes des mass media, tu dois payer Mark Zuckerberg pour être vu. On a trouvé de nouveaux maîtres. Et puis on a muté sur le lifestyle, avec Instagram ou Tiktok, où la musique est devenue accessoire. Moi, je me suis toujours arc-bouté sur ma vie privée. Je suis Wax Tailor, je viens avec ma musique et mon chapeau, ma vie ne vous intéresse pas et vous avez bien raison.
Tu es parrain de la candidature de Rouen capitale européenne de la culture 2028… Ils sont venus me chercher, oui. J’ai mis des conditions car je ne veux pas me faire récupérer. Mais ce que j’ai trouvé intéressant, c’est de vouloir englober tout le territoire normand. Et puis tu ne peux pas te plaindre qu’il ne se passe rien sans jamais mettre ton obole. Enfin, je pense que Thomas Pesquet les aidera plus que Wax Tailor.
Un mot sur la Normandie, l’Eure, à Vernon où tu es resté vivre… T’as 15 ans, ici, c’est un mouroir, je m’ennuyais ferme… Aujourd’hui, c’est trop bien d’être là, c’est ma base arrière. Je bosse, je vais marcher en forêt. Et puis tu n’as plus besoin d’aller à Paris pour travailler. Ça va faire branleur mais certaines années j’étais plus souvent à New-York qu’à Paris !