L’éolien a-t-il tenu ses promesses?

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janvier 2012 Graffici

L’éolien a-t-il tenu ses promesses ?

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DOSSIER

En 2002, un peu avant Noël, le gouvernement de Bernard Landry décrétait un premier appel d’offres de 1000 MW d’énergie éolienne. C’était le départ d’un immense chantier qui a changé la face de la Gaspésie. Neuf ans plus tard, les espoirs et les craintes des Gaspésiens se sont-ils concrétisés ? Bilan et perspectives dans votre journal et sur GRAFFICI.CA.

Les Micmacs veulent leur part

GASPÉ – S’il n’en tenait qu’aux Micmacs, le vent de l’arrière-pays d’Escuminac ferait bientôt tourner des éoliennes à leur profit. Les trois communautés autochtones de la Gaspésie planchent sur un projet de 150 mégawatts (MW), dont ils seraient actionnaires majoritaires. Et, après deux tentatives ratées, ils espèrent que cette fois-ci sera la bonne. GENEVIÈVE GÉLINAS | REDACTION.gaspe@graffici.ca Gesgapegiag et Gespeg – sont partenaires du projet. Elles ont entamé des discussions avec l’Administration financière des Premières Nations, un organisme à but non lucratif qui offre des prêts abordables aux gouvernements autochtones. Les Micmacs de la Gaspésie discutent aussi avec le ministère des Ressources naturelles depuis un an et demi. Ils comptent avoir leur part du nouveau bloc de 700 MW que la ministre Nathalie Normandeau a promis quelques mois avant sa démission. M. Jeannotte estime toutefois que le projet micmac « n’est pas obligé » de passer le test

d’un appel d’offres. « On était là les premiers, et on veut faire partie du développement économique de la Gaspésie », affirme le chef. En 2010, les Micmacs ont refusé de participer aux appels d’offres réservés aux projets communautaires et autochtones. Ils jugeaient insuffisante la limite de 50 MW par nation. Et Hydro-Québec n’avait pas retenu les projets de 168 MW et 75 MW présentés par Listuguj lors des appels d’offres précédents. M. Jeannotte est convaincu que cette fois-ci sera la bonne. Le travail commun

des trois communautés joue à leur avantage, selon le chef. Et cette solidarité servira les Micmacs, dit-il, que le projet soit accepté ou non. Dès 2005, des rapports du BAPE sur les projets de L’Anse-à-Valleau et de Murdochville recommandaient de « déterminer, à brève échéance, le rôle de la nation micmaque dans la mise en valeur du potentiel d’énergie éolienne de la Gaspésie, puisque ce potentiel y est limité ».

« On veut profiter d’une part de notre territoire que nos ancêtres ont partagé [avec les Blancs], et qu’ils ont perdu. »

Photo: Maïté Samuel-Leduc

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laude Jeannotte, le chef de Gespeg, se lève de son bureau pour montrer une carte affichée au mur. Il pointe le Gespe'gewa'gi, la terre que les Micmacs revendiquent comme leur territoire traditionnel et qui correspond grosso modo à la Gaspésie touristique (Sainte-Flavie à Sainte-Flavie). « Nous, avec 150 MW, on demande moins de 10  % des 1  660 MW prévus sur notre territoire traditionnel, argue M. Jeannotte. On veut profiter d’une part de notre territoire que nos ancêtres ont partagé [avec les Blancs], et qu’ils ont perdu », ajoute-t-il. Les Micmacs posséderaient de 51 % à 60 % des parts du projet de 300 millions, mené avec une firme que le chef Jeannotte refuse de nommer, faute d’entente finale. « C’est une compagnie privée, cotée en Bourse, qui mène déjà des projets éoliens au Québec », dit-il. Les éoliennes seraient installées à 30 kilomètres au nord d’Escuminac, en terre publique. Les trois communautés micmaques gaspésiennes – Listuguj,

Les Micmacs estiment que leur projet de parc correspond à moins de 10 % de la puissance qui sera installée sur leur territoire traditionnel.

Carte des parcs

Des oiseaux et des pales

Exporter pour survivre


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Graffici

L’éolien a-t-il tenu ses promesses ? Gros-Morne /Sainte-Madeleine Cartier Énergie Éolienne

parcs gaspésiens

211,5 MW

MONTAGNE SÈCHE Cartier Énergie Éolienne

Éolienne Mont-Louis Northland Power

EN FONCTION

58,5 MW

100,5 MW

EN CONSTRUCTION CONTRAT SIGNÉ

mont Copper et mont miller Florida Ligth and Power Le Nordais TransAlta

Anse-à-Valleau Cartier Énergie Éolienne

100,5 MW

108 MW

57 MW

979 MW d’énergie éolienne installés en

Le Plateau Invernergy Carleton Cartier Énergie Éolienne

138,6 MW

109,5 MW

Gaspésie d’ici la fin 2013

Venterre nrg TransAlta

67,8 MW

1,77 milliards $ :

Le Plateau Invernergy / Régie intermunicipale

coûts de construction des

23 MW

parcs gaspésiens

Des oiseaux et des pales L

a forêt du mont Pico, dans la vallée de la Cascapédia, héberge un hôte de marque : un nid d’aigle royal, une espèce classée comme vulnérable au Québec. Sur le dos de l’un des occupants du nid, les techniciens du ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) ont installé un émetteur retenu par un harnais, afin de suivre l’oiseau à la trace. C’est que dès l’an prochain, cet aigle devra partager son territoire avec d’imposantes voisines : les 33 éoliennes de la firme Venterre. D’où l’importance de la recherche. « On recueille des données sur son utilisation du territoire pendant qu’il n’y a pas d’éoliennes encore, explique Claudel Pelletier, biologiste au MRNF. Ainsi, on va pouvoir comparer son comportement actuel à son comportement lorsque les parcs seront en opération. »

Pas d’hécatombe Le danger de collision avec des éoliennes ne guette pas que les rapaces, mais aussi les autres espèces d’oiseaux et les chauves-

souris. Le promoteur doit donc chercher les morts au pied des éoliennes aux moments de l’année jugés critiques, pendant les trois premières années d’opération du parc. Une vigilance exercée jusqu’ici à Carleton et L’Anse-à-Valleau. « Il y a eu quelques mortalités, mais c’est loin d’être l’hécatombe, décrit M. Pelletier. Et il n’y a pas eu d’espèces menacées recensées [parmi les morts]. » Mais attention, avertit le biologiste, le suivi des parcs situés dans les secteurs les plus sensibles commence tout juste. « On considère qu’il existe un corridor migratoire du côté nord de la Gaspésie », dit M. Pelletier. Les oiseaux migrateurs suivent le bord du Saint-Laurent d’est en ouest jusque vers Le Bic, où la traversée du fleuve est enfin possible. Les parcs de Mont-Louis, GrosMorne et Cloridorme pourraient bien se trouver en plein sur leur chemin. Ailleurs au Québec, le BAPE commence à recommander des suivis de plus de trois ans. « Il peut y avoir dix ans sans problème, explique Magella Guillemette, professeur de biologie à l’Université du Québec

à Rimouski. Puis un jour, les facteurs sont réunis, de la brume, un plafond nuageux bas, et là, on a une mortalité massive », ajoute-t-il. Quand on lui fait remarquer que les édifices et les voitures tuent beaucoup plus d’oiseaux que les éoliennes, M. Guillemette éclate de rire. « C’est comme de dire : vous avez le cancer des testicules, mais c’est beaucoup moins fréquent que le cancer de la prostate, alors on ne l’étudiera pas ! »

Mais des risques à la hausse Les risques pourraient croître avec la multiplication des éoliennes et la tendance au gigantisme de ces machines, explique M. Guillemette. « Plus elles grimpent dans le ciel, plus on augmente le risque que des oiseaux soient happés par les pales ou heurtent la structure. » « Et on ne fait pas ce qu’on doit faire pour aller chercher des données de base importantes, déclare le scientifique. Les couloirs migratoires, on en parle souvent, mais on ne les connaît pas. » Les oiseaux migrent surtout de nuit, souligne M. Guille-

mette, et il faudrait des études qui détectent leur passage à l’aide de radars. Le Service canadien de la faune (SCF) a mené un projet pilote de détection par radar au parc de Baie-des-Sables en 2008, indique le biologiste du SCF, Daniel Bergeron. Toutefois, l’expérience visait davantage à tester la technologie qu’à déterminer une quelconque route migratoire, précise-t-il. M. Bergeron défend les suivis effectués : « Ça respecte les approches recommandées à travers le monde », dit-il. Le biologiste admet toutefois certaines lacunes. Lui-même suit de près la grive de Bicknell, un oiseau menacé qui partage son habitat avec les éoliennes de Murdochville. « On anticipait une mortalité forte, et ça ne s’est pas avéré, note M. Bergeron. Mais on est à la merci des données qu’on a. Avec les dates actuelles de suivi, on peut facilement passer à côté [de mortalités]. Et l’une de nos préoccupations, c’est l’impact cumulé de tous les projets sur l’ensemble de la péninsule. »

Photo : LM Wind Power

Les éoliennes sont-elles les machines à tuer les oiseaux que certains décrivent? En Gaspésie, les premières observations indiquent que non. Mais il est trop tôt pour dire ouf! Et surtout, il y a des trous béants dans les connaissances à ce sujet, avertit un scientifique.


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GENEVIÈVE GÉLINAS | REDACTION.gaspe@graffici.ca

Exporter pour survivre Les fabricants de pièces d’éoliennes en ont plein les bras avec les commandes québécoises, pendant qu’ailleurs, les marchés se ferment. Toutefois, le mantra du secteur éolien est toujours le même : les usines devront exporter pour durer. Et l’adoption du transport par train pourrait changer la donne.

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ans l’usine de LM Wind Power à Gaspé, les travailleurs s’affairent à couper la fibre de verre, mouler les pales, et polir leur surface, sous les néons et dans l’odeur caractéristique de la résine. Les géantes de 37 ou 45 mètres rouleront ensuite vers les parcs du Lac-Alfred dans la Matapédia, de Saint-Robert-Bellarmin en Estrie, et de Gros-Morne en Haute-Gaspésie. Les 240 employés s’activent sur trois quarts de travail. Et ils seront occupés jusqu’en 2015 avec le contrat du turbinier REpower, estime le directeur de l’usine, Jean-Louis Loyer. « Exporter ? Je ne demande que ça », lance M. Loyer. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. L’Ontario a suivi l’exemple du Québec, et exigera 50 % de contenu local – et donc ontarien – en 2012, ce qui restreint l’accès aux fabricants du Québec. Aux États-Unis, alors ? « Le marché est presque à terre, et le protectionnisme remonte en flèche », décrit Jean-François Nolet, directeur des politiques pour le Québec à l’Association canadienne de l’énergie éolienne. Et la concurrence viendra bientôt de plus loin, prédit M. Loyer. « Les autres aussi s’organisent. Vous allez bientôt voir du dumping de la Chine et du Brésil. Ils vont nous livrer des pales pour moins cher qu’on peut les fabriquer ici. »

Qu’est-ce qu’on fait, alors ? Le marché local, qui devait être un tremplin vers l’exportation, est appelé à la rescousse. M. Loyer plaide pour qu’on agrandisse les parcs existants en Gaspésie. « Il faudrait encore des obligations de contenu gaspésien. Pas à 30 % (comme dans l’appel d’offres de 2007), mais à 50 % ou 60 % (de dépenses en Gaspésie et dans la MRC de Matane). » Quant à M. Nolet, il milite pour un nouvel appel d’offres d’Hydro-Québec qui totaliserait 8 000 MW sur dix ans, de 2016 à 2025. Les contrats locaux sont encore vitaux. Cependant, «  l’industrie de fabrication de composantes d’éoliennes va devoir exporter, à un moment donné, si elle veut survivre. Et il faut que ça sorte autrement que par camion », croit Christian Babin, président du créneau éolien ACCORD, voué au développement de l’éolien en Gaspésie.

L’expérience du train Chez Fabrication Delta, à New Richmond, on fabrique des sections de tours pour les éoliennes Enercon, qui seront érigées dans des parcs québécois. Une nouveauté, précise le président François Arsenault. « Avant, on a exporté vers l’Ontario, la Nouvelle-Écosse, le Michigan et l’Illinois, énumère-t-il. C’est la première fois qu’on bénéficie des appels

d’offres [d’Hydro-Québec]. On s’est fait les dents nous-mêmes. » Les tours de Fabrication Delta ont testé le transport par train : en 2008, certaines ont transité par wagon jusqu’au Michigan. « Contrairement à la croyance populaire, ça a été beaucoup plus facile, moins cher et plus rapide que par camion », remarque M. Arsenault. Les pales fabriquées à Gaspé, elles, n’ont jamais pris le train. Ça changera bientôt, foi d’Olivier Demers, directeur de la Société de chemin de fer de la Gaspésie. L’organisme a acheté le wagon le plus long sur le marché, et ajoutera des plates-formes à chaque extrémité. D’ici le printemps, LM Wind Power fournira deux pales de 45 mètres « ratées », qui emprunteront le rail jusque dans la Matapédia. « C’est une opération charme, explique M. Demers, pour convaincre les clients que le chemin de fer est la meilleure option. Pour la Société, ce serait un trafic intéressant. À l’est de Nouvelle, on n’a pas de transport régulier de marchandises. » Les clients de LM viennent chercher les pales dans la cour de LM à Gaspé. L’usine serait donc plus compétitive pour exporter si les acheteurs avaient accès à un mode de transport adapté aux longues distances, raisonne le directeur.

M. Demers a bon espoir que REpower adopte le rail. « On pense que le train est plus économique que le camion, même pour livrer des pales au chantier du Lac-Alfred [dans la Matapédia]. » Mais rien n’est acquis. « Les camions poussent très fort pour garder le transport », croit M. Demers.

Sur GRAFFICI.CA : Ces entreprises qui en profitent Elles sont moins visibles que les LM Wind Power et Fabrication Delta de ce monde. Mais à leur manière, ces entreprises participent au développement éolien de la Gaspésie, du Québec et même d’ailleurs, tant avec leurs cerveaux qu’avec leurs muscles.

Les pales de LM Wind Power voyagent par camion, un moyen de transport coûteux pour les longues distances.

Les dollars éoliens : pour qui ? Cette année, chaque mégawatt (MW) éolien installé à Murdochville rapportera 1 241 $ de loyer payé à l’État québécois. Le parc communautaire du Plateau rapportera 40 fois plus en revenus divers à la collectivité, soit 51 159 $ par MW. Et le gros de cette somme aboutira dans les coffres des municipalités, qui sont en partie propriétaires du parc. La Gaspésie a-t-elle raté une occasion ?


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