Dignité aux insurges de 1870

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Joslen JONAZ


e r i a m m o S Introduction

Joslen JONAZ

Editorial

Armand NICOLAS

Extraits de la brochure de 1931 REVUE DE LA MARTINIQUE Jules MONNEROT

Extraits de la brochure de 1970 INSURRECTION DU SUD A LA MARTINIQUE Armand NICOLAS

Extraits du Poème de 1990 LE SUD REBELLE

Henri CORBIN

Remerciements

Editions Nécessité

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n o i t c u d o r t In DIGNITE ET REHABILITATION AUX INSURGES DE 1870

Pourquoi est-il nécessaire de 1. réapproprier de la dignité aux insurgés 2. réhabiliter “apolitiquement” (c’est-à-dire avec la valeur historique qu’elle mérite en dehors de tout contexte de récupération politique) le combat des défenseurs des Droits de l’Homme de septembre 1870 ?

Révéler ce qui était diminué et restituer à tout un chacun son histoire Les troubles de Septembre 1870, qui ont éclaté dans le Sud de la Martinique, sont nés simplement du fait qu’une population ait, d’une part, désiré se montrer solidaire d’un citoyen nommé Léopold LUBIN, qui subissait alors une action de haine raciale et d’autre part, aussi dénoncer l’injustice sociale de type apartheid, de l’époque post-esclavagiste. Avant la révolte anti-esclavagiste et l’abolition du système de l’exploitation de l’homme par l’homme le 22 mai 1848, la majorité des habitants de la Martinique, soit près de 92% d’africains et afro-descendants, étaient considérés, selon le Code Noir dans leur condition inhumaine d’esclaves, comme des biens meubles ou des « choses ».

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En 1870, 22 ans après leur nouveau statut d’hommes libres, acquis dans la lutte et le sang, leur condition sociale et politique ne s’en est pas trouvée réellement changée pour autant. En 1848, à travers son décret, l’abolitionniste Victor Schœlcher était davantage préoccupé par la violence montante qui se généralisait sur les habitations. L’abolition de l’esclavage, du point de vue de la république cette fois, était plus une affaire de rentabilité économique et politique au bénéfice des anciens colons propriétaires, avec lesquels il y avait commerce, qu’une réelle intention humaniste d’émancipation des esclaves, puisque ceux-ci n’ont été indemnisés à aucun moment. Près de 248 500 esclaves sont libérés (plus de 87 000 en Guadeloupe, près de 74 450 en Martinique, 60 650 à La Réunion, 12 500 en Guyane, plus de 10 000 au Sénégal d’après les demandes d’indemnisation présentées par les propriétaires. Article 5 du décret du 27 avril 1848 d’abolition de l’esclavage pris par le gouvernement provisoire «L’Assemblée nationale réglera la quotité de l’indemnité qui devra être accordée aux colons». La nouvelle que la République abolit l’esclavage (décision du gouvernement provisoire du 4 mars) parvient quelques semaines plus tard dans les colonies américaines et y provoque une profonde émotion. Aussi quand les décrets du 27 avril y parviennent, la situation est explosive. Les décrets prévoient deux mois de délai mais les évènements précipitent les décisions. Le 23 mai, en Martinique, à la suite de désordres liés à la connaissance des décisions parisiennes, les autorités de SaintPierre et Fort Royal, abolissent l’esclavage. Le 27 mai, alors que la situation est plus calme, le gouverneur de la Guadeloupe proclame l’abolition générale. Fin mai, l’île de la Réunion est enfin mise au courant, mais le gouverneur attend le 20 décembre pour appliquer les décrets. Ce n’est que le 10 juin que le gouverneur de la Guyane prend la

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même décision (avec effets au 10 août). Ce décret d’abolition met fin non seulement au Code Noir en vigueur depuis 1685 aux Antilles françaises, mais aussi aux «Lettres patentes de 1723», ou simplement «Lettres patentes.» Ce sont des lettres patentes émises par le Roi de France Louis XV en 1723 pour réglementer l’esclavage dans les colonies insulaires du sud-ouest de l’océan Indien que sont l’île Bourbon et l’île de France, aujourd’hui La Réunion et l’île Maurice. Elles procèdent à une transposition du Code noir «Antillais» dans cette région du monde alors gérée par la Compagnie française des Indes orientales. Une mise à jour parut en 1777 sous le nom de Code Delaleu. Une loi votée le 30 avril 1849, indemnise les planteurs et les colons. Le lobby des colons était déjà bien à l’œuvre à l’époque et des indemnités en dédommagement de la libération de près de leurs 248 500 esclaves leur furent versés pour leur pertes ‘de capital’. Après cette loi du 30 avril 1849, la loi du 11 juillet 1851 établira le principe des banques coloniales de prêt. On comprend dès lors pourquoi autant de mouvements internationaux parlent actuellement de réparations à tous niveaux car cette abolition était plutôt à sens unique. Le Caricom par exemple, dans la Caraïbe anglophone, est très actif sur ce sujet, aidé en ce sens par le MIR de Garcin MALSA, une des rares voix politiques martiniquaises militantes à réclamer réparation.

Situation en 1870 Cette nouvelle émancipation était si nécessaire pour eux les esclaves que le reste passait peut être pour secondaire au moment de la liberté obtenue, mais passée la jouissance éphémère de l’abolition, la condition sociale n’ayant pas changé, la réalité implacable se fit jour.

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D’un côté, les anciens colons restent propriétaires des terres spoliées aux amérindiens et sont très bien indemnisés tandis que les anciens esclaves ne voient pas leurs conditions de nouveaux citoyens améliorer leur cadre de vie. L’injustice est déjà instaurée par décret. Les attitudes alimentant les distances, les nouveaux libres réclament de la dignité au même titre que la liberté. Ils ne veulent plus travailler pour leurs anciens maîtres des habitations, les békés, mais se voient contraints de dépendre d’eux financièrement par le travail dans les usines. La situation se dégrade de jour en jour. Les riches s’enrichissent les pauvres deviennent plus pauvres. La moindre injustice ne peut plus être tolérée et ce que l’on nomme l’affaire LUBIN fait déborder le vase. La révolte se manifeste vivement et l’insurrection démarre du Sud et atteint plusieurs communes de la Martinique.

L’affaire Lubin Léopold Lubin a foi en son statut d’homme libre et croit que la justice lui donnera gain de cause et réparation face à la provocation et les mauvais traitements subis de la part de deux colons croisés sur une route tantôt, (février 1870), et en tant que citoyen porte plainte, sans résultat. Bien au contraire ; il est condamné au bagne après s’être fait justice lui-même quelques temps après (avril 1870), cravachant à son tour, les deux fauteurs de troubles. Mais fallait-il s’attendre à autre chose de la part d’une justice composée à près de 100% de colons (7% de la population totale d’alors) et de « métropolitains » (la Martinique était encore colonie, la départementalisation est intervenue en 1946) ?

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La condamnation de LUBIN à 5 ans de bagne, fait exploser cette poudrière allumée depuis plus de 22 ans, la colère s’empare de la plupart des nouveaux libres et la situation déborde. La réponse automatique des autorités a tout simplement été la répression (comme d’ailleurs systématiquement ultérieurement, même en tant que départements français, ce fut le cas en février 1952 au Moule en Guadeloupe, en décembre 1959 à Fort de France en Martinique, mai 1967 à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, sans oublier février 1974 à Basse-Pointe en Martinique, méthode que l’on ne voit pas fleurir sur le territoire hexagonal). En définitive, les forces de l’ordre, lourdement armées, aidées de milices para militaires formées de citoyens issus de «l’élite» blanche mobilisables à souhait (NDLR et les colons ont beaucoup insisté auprès du gouverneur afin qu’il demande l’aide de la Sainte-Lucie voisine, alors colonie britannique, n’ayant pas abouti pour des raisons de diplomatie politique), ont réprimé avec dureté le mouvement de révolte et quelques centaines de militants ont ainsi été fusillés, ou déportés aux bagnes de Guyane et de Nouvelle-Calédonie, sans jamais avoir pu revoir leur île natale.

Le devoir de mémoire Des martiniquais ont entrepris de relater de manière détaillée ces faits ô combien importants pour la compréhension à la fois de nous-mêmes, et des blessures de l’histoire des départements français antillais non intégrées dans l’histoire de France, et non livrées de manière officielle par les canaux de l’enseignement. Tout d’abord, l’oralité populaire a permis une transmission sérieuse au sein de la population rurale du sud, à l’image des

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griots africains, véritables encyclopédies vivantes. Et dès septembre 1931, Jules MONNEROT, avocat, dans le numéro 46 de sa brochure rouge de 81 pages au format A5, intitulée “Revue de la Martinique”, avait fait un rappel des minutes du procès. Armand NICOLAS, alors premier étudiant martiniquais en histoire en 1949, a procédé à des recherches en France dans les archives disponibles à l’époque. Il a notamment découvert la vérité historique de la révolte du 22 mai 1848 en autres. Puis dans le cadre du centenaire de cet épisode malheureux, soit en 1970, Armand NICOLAS a publié une brochure de 47 pages au format A5 intitulée “L’insurrection du Sud à la Martinique, (septembre 1870)”. Il avait 10 ans auparavant présenté publiquement sa fameuse conférence à la mutualité en avril 1960 sur le 22 mai 1848 puis publié en 1962 la première édition de la brochure sur le 22 mai En 1990, Henri CORBIN publiera un long et magnifique poème de 130 pages intitulé “le Sud Rebelle” qui sera édité au Venezuela. Dans ce poème, CORBIN s’est inspiré des faits historiques relatés dans la brochure de 1970 d’Armand NICOLAS. D’autres prendront le relais par la suite.

Joslen JONAZ

Président des Editions Nécessité Septembre 2013

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Editorial GLOIRE ÉTERNELLE AUX HÉROS DE L’INSURRECTION DU SUD Fin septembre 1870, des milliers d’hommes et de femmes, ouvriers, agriculteurs, artisans du Sud de la Martinique se lèvent, le coutelas et la torche à la main. Par son ampleur, par son contenu social et historique révolutionnaire, l’Insurrection du Sud fut, après 1848, la plus importante révolte martiniquaise, un de ces événements qui marquent toute une époque. Pendant huit jours, dans les campagnes et les mornes, les insurgés affrontent les troupes et la milice bourgeoise envoyée par le Gouverneur Menché De LOISNE. L’état de siège est proclamé dans 15 communes. Du Gros-Morne à Sainte-Anne, des Trois-Ilets au Vauclin, le pays s’est embrasé, plus de cinquante habitations ont été embrasées. Mais face aux fusils et aux canons, les insurgés conduits par Louis TELGARD (NDLR référencé TELGA en créole), cultivateur, et Eugène LACAILLE, petit propriétaire terrien de Rivière-Pilote, sont écrasés. La féroce chasse qui s’en suivit porta le nombre de victimes à plusieurs dizaines de morts et de blessés. Les femmes comme Lumina SOPHIE, Rosalie SOLEIL, se distinguèrent par leur vaillance. Plus de cinq cents insurgés furent jetés en prison, et déférés devant le tribunal spécial. Les chefs furent fusillés, dont Eugène LACAILLE, au polygone de Desclieux à Fort-de-France. Louis TELGARD, put échapper aux recherches et se réfugiera à Sainte-Lucie.

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Des dizaines d’autres furent envoyées au bagne, certains, jusqu’en Nouvelle-Calédonie.

Mais pourquoi cette colère de notre peuple, 22 ans après l’abolition de l’esclavage ? C’est que le régime de la Liberté (suffrage universel, aide sociale, écoles ...etc... mis en place avec Schoelcher à la IIe République ne durera pas. Louis Napoléon fit son coup d’état, s’empara du pouvoir, se proclama empereur Napoléon III en 1852. Il institua en Martinique un régime de fer, (on l’appela le régime Gueydon, du nom du gouverneur), le travail forcé, avec des salaires bas, ateliers de discipline pour les prétendus vagabonds, livrets de travail pour contrôler les déplacements, fermeture des écoles, suppression du suffrage universel etc,. Le pouvoir local, les maires furent confiés à l’aristocratie blanche des békés. Pour créer la concurrence, les autorités importèrent des travailleurs d’Afrique (NDLR Congolais), de l’Inde (NDLR Comptoirs français de Pondichery, Karikal, Yanaon, Mahé et Chandernagor) par milliers. Les brimades, les injustices, les abus de pouvoir, le mépris raciste régnèrent partout. Le résultat : une misère atroce, un peuple malmené, écrasé sous la trique des maîtres esclavagistes d’hier. Il est significatif que l’insurrection eut pour origine un déni de justice : l’affaire LUBIN.

L’Affaire LUBIN En février 1870, un jeune noir du Marin, Léopold LUBIN, cultivateur, est sauvagement cravaché par deux colons blancs, (NDLR Augier De MAINTENON, aide commissaire de la Marine et son ami Pellet De LAUTREC) sur la route près de l’habitation Grand Fond, parce qu’il n’a pas écarté assez vite son cheval pour

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laisser le passage aux représentants de la classe supérieure. LUBIN dépose une plainte et demande justice et c’est lui qui est emprisonné le 19 août 1870 condamné à 5 ans de bagne. Dans toute la Martinique, ce fut un tollé de protestations. Une campagne de souscription s’organise pour financer les démarches de LUBIN. Il faut se venger des blancs. La colère gronde. Mais en France, le régime de Napoléon III s’effrondre suite à la défaite française (NDLR à Sedan le 2 Septembre) dans la guerre contre la Prusse. C’est la proclamation de la troisième République. Celle-ci fut célébrée le 22 septembre 1870 à Rivière-Pilote qui était le centre du complot de la vengeance. Des milliers de personnes manifestèrent au nom de mort aux blancs, mort à CODE (NDLR prononcé Codé), le juge (NDLR assesseur) raciste qui sétait acharné contre LUBIN. C’est l’insurrection des Damnés de la Terre. CODE en sera la seule victime blanche. Ce fut la lutte contre le mépris raciste pour la dignité contre l’exploitation féroce des masses, pour une redistribution de la terre. Au cours des combats, trois habitations furent partagées entre les travailleurs. Ce fut aussi la lutte pour suivre l’exemple d’Haïti dans l’esprit de certains chefs insurgés. Ce fut un échec. Mais l’Insurrection du Sud de la Martinique a ouvert l’avenir comme le dit Henri CORBIN dans son magnifique et long poème “Le Sud Rebelle” paru en 1990. “N’importe, le Sud rebelle agrippé à ses vagues, illumine de son ampleur notre présent de peuple qui s’obstine”. Armand NICOLAS

Historien - Archéologue - Professeur d’Histoire Septembre 2013

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e d e r u h c o r b Extraits de la t o r e n n o M s e 1931 de Jul

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e d e r u h c o r b a l e d s t i a r t x E s a l o c i N d n a m r A e d 0 7 19

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0 9 9 1 e d e m è o P u d s t i a r t x E n i b r o C i r n e de H

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s t n e m e i c r e m e R Les Editions Nécessité remercient : Jules MONNEROT, à titre posthume Armand NICOLAS Henri CORBIN et toutes les bonnes volontés qui ont contribué à la réalisation de ce livre

DIGNITE ET REHABILITATION AUX INSURGES DE 1870

Un livre de Joslen JONAZ sur une idée de Nécessité Livre / e-book produit et réalisé par les Editions Nécessité BISSAP, JONAZ, MANELO

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Joslen JONAZ


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