Le Procès Bobigny

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CJP NEWS Le 45ème anniversaire du Procès Bobigny Le procès Bobigny Une affaire politique et sociale qui marquera un tournant dans l’histoire de la femme.

Simone Veil “J’ai consacrée ma vie pour que la femme ait sa place dans la société”

Gisèle Halimi L’avocate du féminisme

Simone de Beauvoir Une intellectuelle féministe


EDITO

L’avortement reste un grand problème de société, malgré sa légalisation par la loi Veil en 1975. A cette époque entre 250 000 et 800 000 femmes se faisaient avorter chaque année clandestinement en France causant énormément de dégâts physiques et psychologiques. Grâce à des femmes comme Simone Veil, Simone de Beauvoir ou encore Gisèle Halimi, l’avortement est légalisé aujourd’hui. Néanmoins le combat est toujours actif car l'avortement a été encore remis en cause récemment. Le magazine que vous allez lire revient sur ce combat à partir de l'affaire Bobigny : comment un fait divers a-t-il pu être au cœur d'un processus d’émancipation de la femme ? Trois jeunes femmes journalistes vont retracer pour vous l'affaire de Bobigny pour vous montrer comment ce droit à disposer de son corps est devenu une des plus grandes victoires du XX siècle pour l’émancipation de la femme.

Cédéline Brunelli, Joana Badia, Paola Guyot.


SOMMAIRE :

Chronologie………………………………………………………………………………..….p.3 Le procès Bobigny…………………………………………………………………………...p.4 Une prise de conscience collective dans un contexte politique et social patriarcal….p.6 Retour sur un combat violent jusqu’à l’adoption de cette loi…………………………...p.8 Simon Veil et sa parole pour les femmes…………………..……………………………..p.10 Gisèle Halimi, l’avocate du féminisme……………………………………………………..p.11 Simone de Beauvoir et l’affaire Bobigny……………………………………………….….p.12 Simone de Beauvoir un éclairage sur l’image de la femme………………………….…p.13 Glossaire……………………………………………………………………………………..p.15 Conclusion …………………………………………………………………………..…..….p.18


CHRONOLOGIE :

1910 : Idée d’une journée internationale de la femme. 8 mars 1921 : Lénine déclare la journée de la femme. Jusqu’en 1923 : L’avortement est un crime. Vers 1930 : Le Sénat est hostile à toute idée de vote féminin. 1945 : Premier droit de vote pour les femmes et doivent se battre pour exister en politique. 1960 : Création du planning familial 1967 : Loi Neuwirth autorisant la contraception ; celle-ci sera remboursée en 1974. 5 avril 1971 : Dans le nouvel observateur est publié le «manifeste des 343 salopes» par Charlie Hebdo. 1971 : Un million de femmes se font avorter en France. 1973 : On parle de l’éducation sexuelle dans les collèges et dans les lycées. 1974 : Remboursement de la loi Neuwirth 17 janvier 1975 : Loi Veil 8 mars 1977 : La journée de la femme est officialisée. 1981 : La femme devient seule juge de la nécessité à recourir à l’IVG. 2000 : Loi en faveur de la parité hommes/femmes en politique. Loi du 4 juillet 2001 : L’avortement quitte le code pénal et rejoint le code de la Santé publique.


LE PROCÈS BOBIGNY, UNE HISTOIRE DE LA VIE QUOTIDIENNE

« Un enfant quand je le veux et si je le veux !» Le procès de Bobigny a eu lieu en Octobre et Novembre 1972 et il a marqué un tournant dans l’histoire de la femme. Marie - Claire Chevalier est alors âgée de 16 ans lorsqu’elle se fait violer par un garçon de son lycée. Venant d’une famille modeste et vivant sur le seul revenu de sa mère, soit 1500 francs de revenu annuel, celle-ci ne pouvait pas se permettre un avortement clandestin à 4500 francs pratiqué par un médecin. Sa mère, Michèle Chevalier, demande alors de l’aide à ses collègues de la RATP, Lucette Duboucheix et Renée Sausset qui à leur tour contactent Mme Bambuke Malade, une « faiseuse d’ange » qui accepte de pratiquer l’opération pour 1200 francs, au domicile de Madame Chevalier à l’aide d’une sonde, sur la table de la cuisine. Quelques semaines après l’intervention, le violeur est inculpé pour un vol de voiture, celuici dénonce alors Marie-Claire dans l’espoir de lever les accusations pour le vol qu’il avait commis. La police inculpe alors Marie-Claire et sa mère, puis quelques jours plus tard les trois collègues pour complicité et pratique d’avortement clandestin. Lors de sa mise en examen Michèle C. tomba sur le livre Djamila Boupacha, écrit par Gisèle Halimi, une militante féministe engagée ; étant aussi avocate elle est contactée par la mère de Marie-Claire pour les défendre lors du procès ce qu’elle accepte aussitôt. Gisèle Halimi a alors l´intelligence de transformer un énième procès pour un avortement clandestin en un procès politique sur l’avortement, dans le but de faire monter la pression médiatique. Très vite cette stratégie porte ces fruits, le procès devient une source de débat public et engendre des manifestations afin de faire entendre la voix du peuple qui jusque là se taisait. Allant des tracts distribués dans la rue, aux articles de presse, le procès devient le moyen de faire entendre le droit des femmes de disposer de leur corps.


« L’Angleterre pour les riches, la prison pour les pauvres ». Pendant ce temps les juges émettent des doutes sur la réalité du viol pour ensuite tenter de faire dire à Marie-Claire Chevalier que sa mère l’avait contrainte à avorter, mais sans succès. Suite aux audiences, Gisèle Halimi, dénonce l’inégalité entre les femmes n’ayant pas les moyens de payer un avortement et celles qui peuvent se le permettre, une accusation qui donne vie au slogan « L’Angleterre pour les riches, la prison pour les pauvres ». Lors d’une de ces prises de parole, elle conclura devant les juges son discours par « Alors, messieurs, demandons-nous si le véritable inculpé n’est pas l’article 317 du Code Pénal* ». Les juges finiront par relaxer Marie-Claire car ils décrètent qu’elle a souffert de « contraintes d'ordre moral, social, familial, auxquelles elle n'avait pu résister », Lucette D. et Renée S. seront elles aussi relaxées, quant à Mme B. Malade, elle est condamnée à un an de prison avec sursis pour avoir pratiqué l’avortement, la mère elle, évitera la prison mais écopera d’un sursis avec 500 francs d’amende.


UNE PRISE DE CONSCIENCE COLLECTIVE DANS UN CONTEXTE POLITIQUE ET SOCIAL PATRIARCAL.

C’est au XIXe siècle et au début du XXe siècle, que les principales revendications sur les femmes se rapportent à leur droit de vote, à leurs conditions de travail et à leurs droits d’éducation. À partir de 1960, la question du rôle de la femme dans la société est remise en cause ; les inégalités se ressentent. C’est à partir de 1960, que les féministes parlent du rôle maternel réservé aux femmes, elles dénoncent les différences sexuelles. La plupart d’entre elles ne supportent pas d’être vues comme des « femmes objets » et luttent pour disposer de leur corps. Dans les rues, elles clament haut et fort « mon corps m’appartient ». Dès les années 1970, les féministes se divisent en deux groupes : les égalitaristes, qui veulent l’égalité hommes et femmes, c'est-à-dire être traités de la même manière, puis les différentialistes, qui comme leur nom l’indique, veulent la différence entre l’homme et la femme ; pour elles, l’égalité passe par le respect des spécificités. Dès 1968, la libération sexuelle ouvre les portes au MLF*, les hommes et les femmes se retrouvent donc sur le même pied d’égalité. Entre 1973 et l’arrivée de la contraception et 1975 et la libéralisation du divorce, Madame Arlette Laguiller est la première femme en 1974 à se présenter aux élections présidentielles. Une nouvelle association « SOS Femmes Alternative*» voit le jour en 1978, qui soutient, aide les femmes battues par leur mari. En 1980, le viol est enfin considéré comme un crime et est puni par la loi. Politiquement, les femmes trouvent peu à peu leur place, Madame Edith Cresson est la première femme élue premier ministre. La discrimination liée au sexe est interdite et punissable à partir du 13 juillet 1983 avec la loi Roudy contre la discrimination envers les femmes sur l’accès à l’emploi et le salaire d’un travail identique aux hommes.


Ce procès aussi bien injuste que scandaleux a eu un grand retentissement sur l’opinion publique. De nombreuses manifestations, associations et médias ont commencé à porter leur attention sur l’histoire de Marie-Claire Chevalier. L’action publique a eu un rôle très important dans l’affaire. On assiste à un questionnement sur la condition et les droits de la femme. Ces femmes, dont Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir, soutiennent la libération de Marie-Claire tout en revendiquant le droit aux femmes de disposer de leur corps. Créé en août 1970, le Mouvement de Libération Féminine (MLF) et l’association « Choisir* », sont deux regroupements de femmes à tendance philosophique, politique ou sociologique. En utilisant les principaux moyens de communication, elles feront entendre leurs revendications en organisant des manifestations, comme celle du 20 novembre 1971 où 2000 femmes environ marcheront dans les rues pour réclamer leur droit à disposer de leur corps. La loi Veil marquera un tournant dans l’histoire de la femme française. Sans la mobilisation ni les luttes acharnées des mouvements féministes de cette époque, entre autre le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC)* créé en 1973. Cette loi n’aurait probablement jamais vu le jour. Selon ces mobilisations, la femme n’aurait pas été suffisamment entendue au sein de la société. Même si au milieu du XXème siècle on accédait progressivement à la fin d’un tabou, des manifestations ont continué à avoir lieu.


RETOUR SUR UN COMBAT VIOLENT JUSQU’À L’ADOPTION DE CETTE LOI. Simone Veil, ministre de la Santé le 26 novembre 1974, présente devant les députés son projet de loi sur l'avortement. Le 17 janvier 1975, la loi Veil légalisant l'interruption volontaire de la grossesse est adoptée. Retour sur le combat qui a mené à l'adoption de cette loi : Le 5 avril 1971, la bataille pour le droit à l'avortement commence bien avant l'arrivée de Simone Veil au gouvernement. Le Manifeste des 343 femmes Le réclament 26 le droit à l'avortement paraît dans le Nouvel Observateur : « un million de femmes se fait avorter chaque année en France... Je déclare que je suis l'une d'elle » écrivent Simone de Beauvoir, Catherine Deneuve, et d'autres. Charlie Hebdo rebaptisera le Manifeste les « 343 salopes »*. Avec cette déclaration, ces femmes se sont exposées à des poursuites pénales pouvant aller jusqu'à l’emprisonnement dû à l’ilégalisation de l’avortement. Elles critiquent cet injuste code pénal* qui leur empêche de disposer de leur corps.

Le « Manifeste 343 » accélère le combat pour les droits des femmes, dans la rue mais aussi devant la justice. Le 13 décembre 1973, l'Assemblée Nationale examine un projet de loi du gouvernement Messmer, porté par le ministre de la Santé, Michel Poniatowski, autorisant l'interruption de grossesse en cas de risque pour la santé de la femme. Mais le texte sera finalement repoussé. Le 28 mai 1974, Jacques Chirac nomme Simone Veil ministre de la Santé. Jusque-là, elle occupait le poste de secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature et était peu connue du grand public. Dès son entrée, elle est chargée de préparer un nouveau projet de loi sur l'avortement. Le 11 novembre 1974, le projet de la loi Veil autorise l'interruption de grossesse avant la dixième semaine sur une demande d'un médecin. Mais ce n'est quand 1983, que la Sécurité Sociale pourra rembourser l'acte.


Le 26 novembre 1974, Simone Veil prononce son discours devant une Assemblée très tendue : « Je voudrais vous faire partager une conviction de femme. Je m'excuse de le faire devant une Assemblée constituée quasiexclusivement d'hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement ». Pendant 25 heures de débat, 64 orateurs prennent la parole. Les oppositions viennent de la droite. Hélène Missoffe, l'une des rares femmes, est la première à prendre la parole après la ministre Veil. Elle dit alors devant l´assemblée : « se fermer les yeux, faire comme si le problème n'existait pas, est à la fois lâche, bête et stupide ». En revanche, Jean Royer, député de la majorité de droite déclare que « le temps n'est pas loin ou nous connaitrons en France ces « avortoirs », ces abattoirs où s'entassent des cadavres de petits hommes et que certains de mes collègues ont eu l'occasion de visiter à l'étranger ». Ne baissant pas les bras Simone Veil confie dans son autobiographie Une Vie « Actuellement, celles qui se trouvent dans cette situation de détresse, qui s’en préoccupe ? La loi les rejette non seulement dans l’opprobre, la honte et la solitude, mais aussi dans l’anonymat et l’angoisse des poursuites. Contraintes de cacher leur état, trop souvent elles ne trouvent personne pour les écouter, les éclairer et leur apporter un appui et une protection. » Le 29 novembre 1974, la loi est finalement votée par 284 voix pour et 189 contre. Le 30 novembre, la nouvelle parut dans le journal Libération qui titrera « l'adoption du projet de la loi sur l’avortement : une victoire ».

Le 13 décembre 1974, à la tribune du Sénat, Simone Veil défend de nouveau sa loi Veil nécessaire en raison de « l'iniquité » et « l'inefficacité » de la législation en vigueur sur l'avortement, selon le ministre et l'inégalité sociales des femmes devant une grossesse non désirée. Un mois plus tard, le 17 janvier 1975, la loi Veil est provisoire pendant 5 ans. Le 31 décembre 1979, l'avortement sera définitivement légalisé. La mobilisation de femmes a été fondamentale pour que son application soit possible.


SIMONE VEIL ET SA PAROLE POUR LES FEMMES « J'ai consacré ma vie et fais mon possible pour que la femme ait sa place dans la société. »

Née en 1927 dans une famille heureuse, Simone vit son enfance à Nice. Politiquement ses parents étaient d'opinions divergentes/ droite pour son père et gauche pour sa mère. Celle-ci a beaucoup aidé les juifs allemands après la prise du pouvoir d'Hitler. À partir de 1940, Simone devra se séparer de sa famille pour se protéger et continuera ses études à domicile avec ses professeurs. Le 29 mars 1944, elle passe ses épreuves de BAC et le 30 mars elle sera arrêtée avec des amis lors d'un contrôle d'identité. Jusqu'au 13 mai 1944, elle sera interrogée par la Gestapo. Sa mère, sa sœur et elle sont déportées à Auschwitz-Birkenau. Ce qu'a subi Simone en déportation à forgé sa sensibilité et son intention de défendre ses points de vue. Sa volonté de lutter contre les discriminations est aussi liée à son passé. Elle est favorable à toutes les mesures de discrimination positive et n'a pas cessé d'être une militante de la cause des femmes. « Parmi ceux qui combattent aujourd’hui une éventuelle modification de la loi répressive, combien sont-ils ceux qui se sont préoccupés d’aider ces femmes dans leur détresse ? Combien sont-ils ceux qui, audelà de ce qu’ils jugent comme une faute, ont su manifester aux jeunes mères célibataires la compréhension et l’appui moral dont elles avaient grand besoin ? »


GISÈLE HALIMI , L’AVOCATE DU FEMINISME Gisèle Halimi née en Tunisie en 1927 est une avocate, militante féministe et femme politique francotunisienne. Issue d’un milieu conservateur, elle revendique depuis son enfance les droits des femmes en commençant déjà dans son milieu traditionnaliste. Dès l’âge de 13 ans elle fait une grève de la faim pour cesser de faire le lit à son frère, en remettant en cause ses obligations de fille au sein de sa famille. Obtenant ce qu’elle désire elle dit : « aujourd’hui j’ai gagné mon premier petit bout de liberté ! ». Fondant son combat sur l’égalité entre les deux sexes et la liberté des femmes, elle consacre sa vie à une véritable lutte pour faire acquérir aux femmes les différents droits dont elles étaient privées jusque là. Un fait nous prouve ce combat constant : elle choisit de défendre Djamila Boupacha, militante du Front de Libération Nationale Algérienne arrêtée pour tentative d’attentat à la bombe le 10 février 1960, au risque de voir sa carrière s’effondrer. Lors de sa détention, elle est violée et torturée par l’armée française ce qui est totalement effacé par sa condamnation à mort le 28 juin 1961 mais qui ne laisse pas l’avocate indifférente. Gisèle Halimi décide donc de défendre les intérêts de cette femme et réussit à la faire libérer grâce au soutien de nombreux intellectuels dont Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir.

SIMONE DE BEAUVOIR ET

Cette dernière a crée le Comité pour Djamila Boupacha en 1960 et écrit l’introduction du célèbre libre Djamila Boupacha rédigée par l’avocate elle-même. L’affaire prend donc une ampleur médiatique internationale. Il est donc à souligner que lors du procès Bobigny en 1972 Gisèle Halimi rôdée aux procès très médiatiques n’hésite pas une seconde à défendre ces femmes innocentes condamnées pour avoir choisi d’être maîtresses de leur propre corps. « Je ressens avec une plénitude jamais connue à ce jour un parfait accord entre mon métier, qui est de plaider, qui est de défendre, et ma condition de femme. » Simone de Beauvoir et l’avocate se retrouvent à nouveau ensemble dans un contexte politique très tendu menant une véritable et authentique lutte pour les droits essentiels des femmes. « Que quatre femmes comparaissent devant quatre hommes… Et pour parler de quoi ? De sondes, d’utérus, de ventre, de grossesse, et d’avortements !... Croyez-vous que l’injustice fondamentale et intolérable n’est pas déjà là ? » Gisèle Halimi avec son courage et sa grandeur a permis de grands changements sociaux pour toutes les femmes françaises. Aujourd’hui encore elle continue son combat …


SIMONE DE BEAUVOIR ET L’AFFAIRE BOBIGNY

De nombreuses figures féministes impliquées dans la lutte pour l’émancipation de la femme se sont regroupées ; elles se sont battues certes pour la libération de cette jeune fille mais elles en ont également fait un combat emblématique pour les droits des femmes. Tel est le cas de Simone de Beauvoir, philosophe féministe qui cette année-là était présidente de l’association « Choisir » qui luttait pour la dépénalisation de l’avortement. Elle a décidée avec Gisèle Halimi de mener un procès politique sur l’avortement pour réclamer sa légalisation. Elle et d’autres femmes ayant signé le manifeste des 343 salopes, dans lequel elles déclarent avoir avorté, s’exposent ainsi à des poursuites pénales dues à l´interdiction de l’avortement à cette époque-là. Ces femmes viennent courageusement et fièrement au procès pour raconter leur avortement dans le but de mettre en avant cette injustice envers ces femmes qui ont seulement aidé une fille à disposer de son corps. Elles critiquent cette injustice qui nuit à la liberté des femmes. Puis, elles évoquent les dures et dangereuses conditions que les femmes souhaitant avorter dans la clandestinité doivent affronter seules telles que la douleur, la souffrance dues à la sonde, l’aiguille à tricoter.

Les « 343 » réclament une loi pour un avortement légal et gratuit : tout le monde n’a pas les moyens d’aller avorter à l’étranger. Toutes ces femmes qui ont lutté pendant le procès ont voulu mettre en avant leur condition de femme : c’est en effet le premier procès qui voit des femmes défendre des femmes au nom de leur droit à disposer de leur corps.


SIMONE DE BEAUVOIR UN ECLAIRAGE SUR L’IMAGE DE LA FEMME

Simone de Beauvoir (1908/1986) est une intellectuelle, écrivaine et féministe française qui lutta toute sa vie contre l’idéologie patriarcale dominant le monde de son époque. Sa pensée et son questionnement intellectuel en font une des plus grandes figures féministes françaises. Compagne du célèbre philosophe Sartre elle refuse d’avoir le rôle traditionnel de la femme : « Lui interdire de travailler, la maintenir au foyer, c’est la défendre contre ellemême, c’est assurer son bonheur. On a vu sous quels voiles poétiques on dissimulait les charges monotones qui lui incombent : ménage, maternité ; en échange de sa liberté on lui a fait le cadeau des fallacieux trésors de sa « féminité » » Elle ne se marie pas, elle n’a pas d’enfants et préfère vivre une vie de couple libertin avec d’autres amants. Il s’agissait plutôt d’une relation intellectuelle et leur fusion était incomparable.


Elle publia de nombreux romans ainsi qu´une autobiographie en trois tomes qui nous permet de comprendre sa pensée. Mais le plus célèbre, révélateur et critiqué est Le deuxième sexe publié en 1944. Il s’agit d’un élément plus qu’annonciateur pour l’époque : cet essai devient la bible des féministes. Elle utilise la biologie, la psychanalyse* et le matérialisme historique sur la connaissance de la femme pour nous montrer le rôle essentiel qu’elle a pour l’humanité. Elle ne veut pas se résigner à sa situation « Oui les femmes dans l’ensemble sont aujourd’hui inférieures aux hommes, c’est-à-dire que leur situation leur ouvre moindres possibilités : le problème c’est de savoir si cet état des choses doit se perpétuer » et défend l’idée que les femmes aient des droits tels que le droit au travail, le droit d’avoir une indépendance économique, le droit de contrôler les naissances pour qu’elles soient définitivement libres. « Tant qu’il n’a pas entraîné les conséquences morales, sociales, culturelles, etc., qu’il annonce et qu’il exige, la femme nouvelle ne saurait apparaître. » Elle remet en cause le schéma dominant de supériorité masculine et ose ainsi critiquer toute la pensée de l’époque, acte de courage mais qui bien entendu suscitera de violentes réponses et critiques : le livre fait un scandale, c’est la première fois que la mise en philosophie du corps et de la sexualité fait irruption dans le débat public. Simone de Beauvoir a influencée beaucoup d’intellectuels. C’est une femme qui a eu un engagement idéologique authentique et grâce à elle, la condition féminine a beaucoup progressé dans la société même s´il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant d´atteindre une égalité totale entre les sexes.


GLOSSAIRE

Association Choisir : Mouvement de lutte pour la dépénalisation de l’avortement fondée en 1971 par Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir. Il s’agit d’un des éléments moteurs de la mobilisation pour le droit à l’avortement jusqu'à l’adoption de la loi. Elle se bat aussi pour la pénalisation du viol et la parité en politique. Code pénal, 1810. Article 317 : Quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, violences, ou par tout autre moyen, aura procuré l'avortement d'une femme enceinte, soit qu'elle y ait consenti ou non, sera puni de la réclusion. La même peine sera prononcée contre la femme qui se sera procuré l'avortement à elle-même, ou qui aura consenti à faire usage des moyens à elle indiqués ou administrés à cet effet, si l'avortement s'en est ensuivi. Les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé, ainsi que les pharmaciens qui auront indiqué ou administré ces moyens, seront condamnés à la peine des travaux forcés à temps, dans le cas où l'avortement aurait eu lieu. Féminisme : Mouvement militant pour l'amélioration et l'extension du rôle et des droits des femmes dans la société.

Groupe Information Santé : Crée en 1972, il mène une lutte pour la restitution aux usages du pouvoir sur le corps et la santé de chaque être humain. A un rôle dans la lutte pour l’avortement. Cite : Oui nous avortons !


Les 343 salopes : Terme employé une semaine après le manifeste. Le 12 avril 1971 le hebdomadaire satirique Charlie Hebdo questionne « Qui a engrossé les 343 salopes du manifeste de l’avortement ? » Avec comme réponse une caricature de Michel Debré qui cite : C’était pour la France. Le terme salopes sert à saluer leur geste courageux. « Que cette caricature, visant à ridiculiser un homme politique ait au contraire laissé à la postérité une insulte machiste pour qualifier ces femmes, est assez signifiant de l’antiféminisme que préside parfois à la réécriture de l’histoire de la lutte des femmes » La loi de Neurwirth : 28 décembre 1967, l’Assemblée Nationale adopte la loi proposée par le député Lucien Neuwirth, qui autorise la contraception, abrogeant la loi de 1920. La psychanalyse : Méthode d'investigation psychologique visant à élucider la signification inconsciente des conduites. Mouvement de libération de la femme (MLF) : Mouvement crée en 1970 qui mène toutes les formes de luttes contre les différentes formes d’oppressions de misogynie et qui revendique l’égalité de tous les droits (moraux, sexuels, juridiques, économiques et symboliques) des femmes.

Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) : Mouvement qui nait en 1973 pour la légalisation de l’interruption volontaire de la grossesse et la contraception. Regroupe des militants du Planning familial, du MLF et du Groupe information Santé.

Patriarcal : Qui relève de l'organisation sociale où le père a une autorité dominante.


Planning Familiale : Ensemble de moyens qui concourent au contrôle des naissances dans le but de permettre aux familles de choisir d’avoir un enfant.

IVG : Interruption Volontaire de la Grossesse. SOS Femmes alternative : crée en 1978, c’est un centre d'hébergement de femmes victimes de violences conjugales avec leurs enfants.


Notre magazine a essayé de montrer que le procès Bobigny, au delà d’une simple affaire d’avortement clandestin, a finalement, pris une dimension symbolique pour devenir le procès politique de l’avortement lui même. Il est aussi symbolique du poids pesant sur la jeune fille face à la question de son corps, du pouvoir masculin, et de la culpabilité. Sans les grandes figures féministe du XXe siècle et sans le courage de la jeune Marie-Claire Chevalier se fait divers se serait ajouté à tous les autres. Cela a donc été l’opportunité de revendiquer les droits fondamentaux des femmes, leur place, dans une société bien trop déterminée par les hommes. Véritable tournant dans le processus d’émancipation de la femme, ce fait divers et ses suites ont fait naître le droit à disposer de son corps. Grâce à leurs combats, ces femmes ont forgé nos libertés et aussi notre place dans la société. Alors à nous de ne pas l'oublier et de continuer à les faire vivre dans les luttes de demain.




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