Maurice Blanchard/Danser sur la corde pdf- partie 1

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Et je me souviens d’un Radio-Paris, il y a deux ans, qui nous disait : « Le vainqueur pouvait vous tuer tous, sa victoire lui en donnait le droit. Sa magnanimité Adolf vous a tendu la main. Jusqu’ici vous n’en avez pas voulu. Maintenant c’est fini. Le vainqueur a compris, vous ne ferez pas partie de l’Europe Nouvelle. Même si, demain, vous veniez nous demander en pleurant votre place dans ce monde nouveau qui se forme, nous ne voudrions pas de vous. Il est trop tard, vous resterez dans la crotte. Adieu ! » Celui qui disait cela est un certain docteur Friedrich, qui parle très bien, trop bien le français, avec une pointe d’accent marseillais. J’ai parlé de cet oiseau à quelques Allemands, ils ne le connaissent point, et n’ont aucune idée de ce que ça peut être. Cet ahuri nous a expliqué un jour la conception allemande du droit qui, disait-il, s’oppose à la conception française. « En France, on a le respect des contrats. En Allemagne on a une conception dynamique des contrats. Un contrat n’a de valeur que si les circonstances sont les mêmes qu’au moment de la signature. Si les circonstances changent, le contrat doit s’adapter et il y a un certain jeu dans l’interprétation des textes. Nous sommes vivants et la vie est mouvement. Notre conception est une conception moderne qui favorise le progrès. La vôtre vous fige dans la mort, vous cadavérise. Il faudra que vous vous y mettiez, mes petits amis ! On vous apprendra. » Lundi 4 janvier 1943 L’année commence, comme l’autre a fini. J’ai poussé ma table dans le coin de la pièce, ma chaise est collée au radiateur, mes studieux loisirs recommencent. Voici deux mois que j’attends une réponse de Dessau. Je comprends très bien qu’ils aient des préoccupations majeures, je consens à passer au deuxième rang. J’attendrai, messieurs, ne vous gênez pas ! Tout le plaisir est pour moi ! La notion de Temps chez Shakespeare, voir As you like it, le prologue du troisième ou quatrième acte. Sonnet XIX : Yet do thy worst, old Time ! Despite thy wrong, My love shall in my verse ever live young.1 Ils disaient tous cela de son temps, mais il a tellement appuyé sur ce lieu commun qu’il montre sa peur du Temps. ––––– 1. Le Sonnet XIX n’a pas été traduit par Blanchard. La traduction de Pierre Jean Jouve donne : « Et pourtant fais le pire, vieux Temps ! malgré l’injure — par mes vers mon amour est jeune éternellement. » 118


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