L'école de la réussite

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L’ÉCOLE DE LA RÉUSSITE



L’ÉCOLE DE LA RÉUSSITE Kristof De Witte & Jean Hindriks (eds.) Itinera Institute Septembre 2017


Ce livre est une édition de Itinera Institute

© Les auteurs SKRIBIS est la plateforme de publication de l’imprimerie Nevelland Graphics. Les publications de Skribis sont éditées à compte d’auteur. SKRIBIS – Nevelland Graphics cvba-so Industriepark-Drongen 21 9031 Gent Tel. 09 244 72 68 info@skribis.be www.skribis.be Mise en page: Karakters, Gent Couverture: Nevelland Graphics Kristof De Witte & Jean Hindriks (eds.) L’École de la réussite Gand, 2017, 208 p. ISBN 978 90 736 2656 0 D/2017/3988/16

Le présent ouvrage ne peut être, en tout ou en partie, reproduit et/ou publié par voie d’impression, de photocopie, de microfilm ou par tout autre procédé sans accord écrit préalable de l’éditeur.


Pour tous les enseignant(es) qui sont les artisans au quotidien de notre enseignement



1  Chances de réussite et égalité des chances 9 2  Un système scolaire équitable est-il plus efficace? 29 3  La ségrégation et les inégalités sociales à l’école 57 4  Décrochage scolaire 87 5  La transition vers emploi 119 6  L’éducation financière à l’école 155 7  Financement de l’enseignement obligatoire 185   Biographies 205



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Introduction Générale: Chances de réussite et égalité des chances 1

Kristof De Witte & Jean Hindriks

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Nous remercions Johan Albrecht, Marc Devos, Simon Ghiotto, Leo Neels et Ivan Van de Cloot pour leurs commentaires et suggestions sur ce chapitre.

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Pluralité d’opportunités L’éducation est primordiale pour la diffusion à grande échelle de valeurs fondamentales telles que la culture, la justice, la liberté et la paix. Pour les penseurs des Lumières, ces valeurs sont « indispensables pour la dignité de l’homme et la cohésion de la société. Dans nos sociétés de plus en plus diversifiées, il est indispensable d’assurer une interaction harmonieuse et un vouloir vivre ensemble de personnes et de groupes aux identités culturelles à la fois plurielles, variées et dynamiques. Des politiques favorisant l’intégration et la participation de tous les citoyens sont garantes de la cohésion sociale, de la vitalité de la société civile et de la paix » (Article 2 de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle de l’UNESCO). En outre, l’éducation est cruciale sur le plan individuel, afin que chacun puisse s’épanouir et réussir sa vie. La réussite est un processus cumulatif tout au long de l’existence. Selon la « pluralité d’opportunités » de Joseph Fishkin et l’« équation » de James Heckman, l’éducation est porteuse d’opportunités de développement dès le plus jeune âge, et améliore les compétences parentales.2 En élargissant les opportunités, l’éducation permet à chacun de mener une vie en phase avec ses aspirations personnelles. Le devoir sacré de l’éducation consiste par conséquent à étendre la panoplie d’opportunités qui s’offrent aux individus à chaque étape de leur vie. La « pluralité d’opportunités » de Fishkin postule que l’on peut y parvenir en partie en desserrant les goulets qui étranglent l’accès aux opportunités, autrement dit les interstices par lesquels il faut se faufiler pour parcourir les chemins de vie multiples qui mènent de l’autre côté de la rive. En desserrant ces goulets, nous pouvons construire une structure plus ouverte et pluraliste en matière d’oppor­ tunités susceptible d’accroître les probabilités que les personnes choisissent, tout au long de leur existence, des chemins de vie qui leur conviennent plutôt que ceux dictés par des opportunités limitées, ou pire encore, une voie unique. Cette approche a des conséquences profondes sur l’organisation et la structure de notre système d’éducation monolithique censé répondre à toutes les aspirations. L’éducation est aussi un facteur-clé de la croissance économique et de la prospérité sociale tant sur le plan national que régional. À partir des données liées aux tests de connaissances internationaux, Hanushek & Woessmann (2010) ont clairement démontré l’effet positif significatif de la qualité de l’enseignement mesurée par les notes obtenues aux examens (par opposition à la quantité d’enseignement mesurée par les années de scolarité) sur la croissance économique. Leurs estimations centrales suggèrent qu’une augmentation de la moyenne des notes d’un 2

Heckman, James. “Giving Kids a Fair Chance: A Strategy That Works.” The MIT Press, 2013. Fishkin, Joseph. “Bottlenecks: A New Theory of Equal Opportunity.” Oxford University Press, 2014.

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Liberté, égalité et efficacité de l’enseignement D’une manière générale, l’enseignement est considéré comme l’épine dorsale d’une société. Dans le débat autour de l’enseignement, on distingue une multitude d’objectifs essentiels, qui font en général l’unanimité parmi les universitaires et les décideurs. Nous nous proposons ici d’en aborder trois : la liberté, l’équité et l’efficacité des systèmes d’enseignement. Ces objectifs forment, ensemble, le triangle normatif qui sous-tend l’essentiel de l’analyse et de la discussion contenues dans le présent ouvrage. La liberté d’enseignement, qui est le premier objectif auquel nous nous attachons, a de multiples implications. Premièrement, elle implique la liberté d’opinion, qui se rattache à l’identité et l’inclusion, qui prend de plus en plus d’importance au vu du débat qui fait rage sur l’identité culturelle et religieuse. Dans l’esprit de Voltaire, il serait logique de plaider pour une liberté libérée du joug de la religion et des philosophies traditionnelles. L’article 5 de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle stipule que « Toute personne a le droit à une éducation et une formation de qualité qui respectent pleinement son identité culturelle ». Il y va de la qualité et du respect des identités et, par voie de conséquence, de l’inclusion de tous les membres de la communauté politique. La défense de la liberté d’opinion a été remarquablement traduite par le penseur français des Lumières Condorcet : « L’éducation, si on la prend dans toute son étendue, ne se borne pas à l’instruction positive, à l’enseignement des vérités de fait et de calcul, mais elle embrasse toutes les opinions politiques, morales ou religieuses. Or la liberté des opinions ne serait plus qu’illusoire si la société s’emparait des généra-

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Hanushek & Woessmann. “The High Cost of Low Educational Performance: The Long Run Economic Impact of Improving PISA Outcomes.” OECD, 2010. Hindriks & Godin. « Disparités et convergences économiques : rattrapage économique wallon ? » Regards économiques n°120, 2015.

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1 INTRODUCTION GÉNÉRALE: CHANCES DE RÉUSSITE ET ÉGALITÉ DES CHANCES

écart-type (soit une hausse de 20%) se traduiraient par une majoration du taux de croissance économique de deux point de pour cent.3 Dans cette perspective, réduire le fossé de la qualité de l’enseignement devient un instrument efficace pour combler le retard en matière de développement économique. En ce qui concerne la Belgique, le message est clair : lors des tests PISA, les écoles flamandes obtiennent des résultats significativement supérieurs à ceux de leurs homologues francophones. En réduisant le fossé lié au niveau scolaire, la Belgique pourrait réduire le fossé régional en matière de développement économique, et contribuer ainsi à la cohésion socio-économique du pays.4


tions naissantes pour leur dicter ce qu’elles doivent croire » (Condorcet, Premier mémoire sur l’instruction publique, 1791). Toutefois, l’identité de chacun ne saurait être la norme principale, car il faut également composer avec l’importance du tissu social, le « vivre ensemble » et les règles communes fondamentales telles que la citoyenneté et l’État de droit qui ne sauraient être remis en cause sous couvert de « respect de l’identité culturelle ». L’un des défis majeurs actuels de l’enseignement consiste précisément à en faire un levier de citoyenneté commune dans un contexte multiculturel qui débouche de plus en plus sur des demandes d’aménagements culturels en matière d’enseignement. Dans le même ordre d’idées, la liberté d’enseignement ne doit pas être poussée à l’extrême, jusqu’à la priver de sa tutelle étatique, de supervision, de restrictions, d’accréditation, d’évaluation, de normes, de son statut obligatoire et de subsidiation. Cette définition poussée à l’extrême de la liberté d’enseignement entrerait en effet inévitablement en conflit avec les valeurs fondamentales d’une société soucieuse de promouvoir une cohabitation harmonieuse, en particulier les valeurs de justice et d’équité. La tutelle de l’État, dans certaines limites, est inévitable pour protéger les enfants issus des familles défavorisées. Il y va de la nécessité de promouvoir autant que faire se peut l’égalité des chances et la pluralité d’opportunités. Deuxièmement, la liberté d’enseignement implique également l’autonomie des établissements scolaires en matière d’innovation et d’adaptation aux méthodes d’apprentissage et de formation pour répondre aux attentes et aux besoins de leurs élèves. Il convient de promouvoir un enseignement plus différencié et davantage réactif en termes de pédagogie plutôt qu’une approche de type « uniformisant ». Très souvent, les innovations surgissent du bas de la pyramide et répondent à des besoins spécifiques de la communauté locale. L’autonomie des établissements scolaires est de nature à promouvoir ce type de changements progressifs et plus radicaux. Troisièmement, la liberté d’enseignement inclut aussi la liberté pour les parents de choisir pour leur progéniture une école. La jouissance du droit à l’éducation n’est possible que s’il s’accompagne de la liberté académique du corps enseignant et des étudiants. La liberté académique est la liberté des membres de la communauté académique, tant individuellement que collégialement, de poursuivre, développer et transmettre un savoir et des idées par le truchement de la recherche, de l’enseignement, de l’étude, de la discussion, de la documentation, de la production, de la création et/ou de l’écriture. Cependant, l’État a l’obligation de garantir que cette liberté ne débouche pas sur des disparités extrêmes en matière d’opportunités éducatives pour certains groupes de la société. Autrement dit, cette liberté se heurte elle aussi à certaines limites. En outre, la liberté d’enseignement soulève le problème de sa finalité. À quoi sert l’éducation ? Étymologiquement, éduquer signifie ex-ducere « conduire hors », mais « hors » de quoi ? Et qui, au juste, doit faire office de guide ? Et pour guider « vers » où ? À l’évidence, l’éducation a vocation à « sortir de l’ignorance », mais qui définit ce qu’est l’ignorance et, à l’inverse,

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INTRODUCTION GÉNÉRALE: CHANCES DE RÉUSSITE ET ÉGALITÉ DES CHANCES

en quoi consiste la sagesse, le savoir ou encore la vérité vers lesquels il faut conduire l’élève ? Qui décide ? La controverse sur la liberté d’enseignement est profondément enracinée dans le mythe de la neutralité. Pour faire bref, le mythe de la neutralité postule simplement que dans l’éducation comme dans tous les autres domaines de la vie, la neutralité n’existe pas. Nous pensons cependant que 1 le système éducatif est un élément important du tissu social et, indépendamment des autres éléments, qu’il a le devoir important de transmettre les valeurs sociétales aux jeunes générations. Nous sommes également d’avis que le système éducatif trouve sa justification dans sa capacité à développer certaines aptitudes et compétences chez nos enfants (cf. les socles de compétences/Eindtermen). Développer la lecture, l’écriture et le calcul est une exigence fondamentale pour l’élargissement de la pluralité d’opportunités. De manière empirique, on observe sur le plan juridique que la liberté d’enseig­ nement est universellement reconnue. Parmi les 136 pays étudiés dans un rapport consacré à la liberté d’enseignement, seuls trois interdisent la création d’écoles non publiques : Cuba, la Gambie et la Libye. Dans quatre-vingt-quatre pays, la constitution reconnait les écoles non publiques, ce qui leur confère la protection maximale.5 La liberté d’enseignement est remarquablement établie en Belgique, qui se classe en 3ème place de l’index lié à la liberté d’enseignement (sur 136 pays au total). Cet index repose sur trois critères : (a) la possibilité juridique de créer et de gérer des écoles non publiques (ENP), (b) l’existence de subventions publiques La liberté d’enseignement est pour les ENP et (c) les taux d’inscription remarquablement établie en Belgique, dans les ENP tant dans l’enseignement qui se classe en 3ème place de l’index primaire que secondaire. lié à la liberté d’enseignement Le deuxième objectif principal abordé dans le présent ouvrage est l’égalité devant l’enseignement. Dans un discours prononcé devant le Collège des conseillers économiques en janvier 2012, Alan Krueger décrit l’équité dans les termes suivants : « Il en coûte à l’économie et à la société si les enfants issus des familles à faibles revenus n’ont pour ainsi dire aucune opportunité de développement et d’exploitation de leur talent, car les enfants issus des familles plus nanties peuvent fréquenter de meilleures écoles, suivre des cours préparatoires à l’enseignement supérieur et bénéficier d’un réseau de connaissances familial susceptible de faciliter leur accès au marché de l’emploi ». Il va sans dire que comparé aux États-Unis l’enseignement en Belgique souffre beaucoup moins de stratification géographique, tant au niveau fédéral que régional. Il n’en reste pas moins que l’une des missions prioritaires du système éducatif consiste à fournir des opportunités et à mettre tous les étudiants sur un pied d’égalité. Motivés par cet objectif, nous 5

Freedom of Education Index: Worldwide Report 2016, OIDEL & Foundation Novae Terrae.

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apportons au travers de cet ouvrage un éclairage original et des preuves évidentes du lien entre ségrégation scolaire et mobilité intergénérationnelle. Nous proposons un nouvel étalon de mesure de la mobilité sociale à l’intérieur du système éducatif qui tient compte aussi bien de l’excellence que du mérite. En effet, l’approche traditionnelle de la mobilité sociale tend à mesurer l’effet moyen du contexte familial sur les performances scolaires. Ce faisant, on ignore les écarts importants au niveau des résultats scolaires chez les enfants issus de contextes familiaux similaires. Les élèves résilients sont l’exemple type des élèves performants issus de familles à bas revenus. Il est utile de prêter attention à ce groupe afin de tenir compte de la capacité réelle d’un système scolaire à mettre tous les élèves sur un pied d’égalité. Nous apportons également de nouvelles preuves du lien entre efficience et égalité des chances au sein du système scolaire dans la mesure où les pays soucieux de dispenser une bonne éducation à tous les enfants, notamment ceux issus de familles défavorisées, affichent également de meilleurs niveaux de réussite scolaire. L’excellence du système éducatif et l’égalité des chances ne sont pas forcément contradictoires. Que du contraire, puisque nos recherches suggèrent que l’égalisation des chances s’avère un puissant moteur en termes de mobilisation des talents de tous les enfants et d’optimisation des performances scolaires générales.6 Au travers de la pluralité d’opportunités, notre système éducatif contribue également à l’excellence et à une culture du mérite. Un troisième objectif participe de l’efficacité de l’enseignement. Cet objectif impose tout simplement à notre système éducatif d’avoir une valeur ajoutée, d’avoir un impact et d’atteindre certains objectifs compte tenu des ressources mobilisées tout au long du processus. La signification du terme « efficacité » varie en fonction des différents aspects de l’enseignement et de son organisation. L’efficacité peut être mesurée à court terme sur la base des performances scolaires ou sur le long terme à l’aune de la réussite ultérieure de nos enfants devenus professionnels, chefs d’entreprise ou citoyens. L’enseignement étant un processus cumulatif, l’efficacité d’une école ou d’un enseignant est la contribution de l’école ou de l’enseignant dans le processus d’accumulation de capital humain. Des bons enseignants et des bonnes écoles sont aussi essentiels au bon épanouissement de l’enfant qu’un bon encadrement parental. En revanche, des enseignants et des écoles de mauvaise qualité, au même titre qu’un piètre encadrement parental, sont des obstacles majeurs à l’épanouissement de l’enfant. Par ailleurs, tout le monde s’accorde à dire que l’efficacité constitue un objectif louable et valable dans la mesure où les inefficacités sont autant de ressources gâchées. On reproche parfois à l’efficacité de venir saper les valeurs essentielles d’un enseignement de qualité. La difficulté découle en partie d’une incompréhension 6

Voir aussi The Opportunities Lost in Global Education Digest 2012 – Opportunities Lost: The Impact of Grade Repetition and Early School Leaving. Unesco Institute for Statistics, 2012.

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De Witte, K. & Lopez-Torres, L. “Efficiency in Education. A Review of Literature and a Way Forward.” Journal of Operational Research Society 68 (4), 2017, 339-363.

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liée à la signification du terme « efficacité ». La notion d’efficacité est une idée d’une simplicité désarmante qui suppose que certains « inputs » soient transformés en « outputs » dans le processus de formation du capital humain. Tels des ingrédients, les inputs ou les ressources sont transformés en résultats, produits ou aboutissements. Par exemple, dans un contexte pédagogique, un enseignant et les moyens scolaires peuvent être considérés comme des inputs (même si l’enseignement et les moyens scolaires constituent une part importante du processus de transformation effectif) et les performances scolaires des étudiants comme un résultat. Le concept d’efficacité est dès lors lié à un impératif moral qui consiste à obtenir plus de résultats en mobilisant moins de ressources. Evidemment, l’efficacité doit être vue comme une question de degré. L’efficacité n’est pas un objectif de type « tout ou rien ». Il convient plutôt de le considérer dans des termes relatifs ou comparatifs. Le retentissement public de l’évaluation internationale des systèmes scolaires comme les tests PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) démontre clairement l’importance que l’opinion publique attache à la notion d’efficacité d’un système scolaire donné (relativement aux autres systèmes scolaires). La recherche d’une efficacité accrue n’est jamais acquise ; cette quête perpétuelle est d’ailleurs l’une des sources du sentiment d’angoisse généralisé qui entoure le concept d’efficacité. Les tests standardisés de différentes natures, sur lesquels on s’est fondé pour mesurer les résultats de l’enseignement, ont été critiqués pour différents motifs. L’efficacité permet certes d’atteindre des objectifs ambitieux, mais ce concept doit être traité avec précaution dans le domaine de l’enseignement et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, il nous appartient de définir de manière consensuelle la palette de résultats souhaitables et adéquats. L’étude de la littérature indique que ce n’est pas le cas actuellement.7 Si l’objectif consiste à atteindre plus de résultats escomptés avec moins de ressources, alors il est important de définir clairement ce que l’on recherche. Un système scolaire peut être jugé efficace car il produits des résultats élevés avec peu de ressources, mais si les résultats ne correspondent pas à ce qui est intimement souhaité, la sensation réelle est que le système n’est pas très efficace. Cela soulève des questions quant à savoir qui doit décider de ce que sont les résultats souhaitables de l’enseignement. Dans les milieux académiques, les résultats que le système éducatif est censé obtenir sont au centre d’un débat permanent. Deuxièmement, la distinction entre résultats pédagogiques et inputs n’est pas toujours simple à établir. Supposez qu’une école désire fournir un degré élevé d’attention personnalisée au travers du cursus qu’elle dispense. S’agit-il d’un intrant ou d’un résultat ? Si cette approche est onéreuse à mettre en œuvre, l’école


qui poursuit cette stratégie sera plus chère, et si l’on ne considère que les performances académiques comme résultat standard, cette école sera considérée comme ayant des coûts élevés par rapport à ses résultats. Par conséquent, elle pourrait sembler inefficace pour la simple raison qu’elle a choisi de poursuivre un ensemble d’objectifs pédagogiques différents. Troisièmement, même si nous parvenons à nous accorder sur le dosage optimal d’objectifs à poursuivre, les détracteurs de l’approche de l’efficacité dans l’enseignement craignent que la facilité de mesure influence négativement le choix des résultats que le système poursuit. En d’autres termes, ils craignent que la quête de l’efficacité l’emporte, parfois involontairement, en raison du recours à certains objectifs pédagogiques choisis davantage parce qu’ils sont simples à mesurer qu’en raison de leur valeur intrinsèque à long terme pour les étudiants pris individuellement ou pour la société au sens large. Pour mesurer les performances pédagogiques, on se base souvent sur des épreuves standardisées de différents types, qui ont été critiquées pour ces motifs. Le grief le plus convaincant est que ces tests standardisés développent une culture dite de « préparation au test » (teaching to the test). Les établissements scolaires devraient cependant viser plus haut que l’obtention de bonnes performances aux tests. Les problèmes de mesure découlent également de la nature collective de l’enseignement, ce qui soulève des questions sur la manière optimale d’examiner les résultats au niveau du groupe contrairement aux performances individuelles des étudiants. Les premières recherches consacrées à l’efficacité pédagogique ont insisté lourdement sur les résultats moyens des épreuves uniques pour des unités relativement importantes telles que les districts scolaires. Les travaux plus récents font état d’un intérêt accru pour la mesure des inégalités entre les étudiants. Ce n’est que depuis peu que les études se penchent sur les étudiants résilients et la mobilité sociale.8 L’analyse de l’efficacité suppose une capacité de s’affranchir de la rhétorique pour prendre des décisions tranchées sur les attentes adéquates et souhaitables en matière de performances des étudiants. Quatrièmement, les coûts des inputs risquent d’influencer la sélection des objectifs pour la simple raison que certains objectifs sont plus onéreux à produire que d’autres. Par exemple, un étudiant aux prises avec des difficultés d’apprentissage coûtera, par définition, plus cher à éduquer. Or, ces surcoûts pourraient influencer les décisions en matière de degré d’uniformisation des niveaux de résultats scolaires. Dès lors, la distinction entre les résultats et les inputs est une fois de plus malaisée.

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Strengthening Resilience through Education: PISA Result. OECD, 2014.

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Perspective de l’économie de l’éducation

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Hanushek & Welch. Handbook of the Economics of Education. North Holland, 2006.

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1 INTRODUCTION GÉNÉRALE: CHANCES DE RÉUSSITE ET ÉGALITÉ DES CHANCES

Tous les chapitres de ce livre ayant été rédigés par des économistes, le présent ouvrage traduit sur le plan opérationnel les principes fondamentaux et leur équilibrage sur le plan économique. Il en résulte une perspective intéressante et complémentaire par rapport aux points de vue pédagogique, sociologique et psychologique traditionnels en matière d’éducation. Les économistes ont en effet tendance à penser en termes d’alternatives et à évaluer le coût des choix individuels et sociétaux. Étant donné que les économistes se penchent sur la manière dont la société gère ses ressources limitées, ils décrivent et analysent typiquement la production, la distribution et la consommation de biens et de services. Ce faisant, ils étudient les choix et comment des ressources limitées peuvent être mobilisées pour atteindre les objectifs attendus. En ce sens, les économistes considèrent l’éducation comme l’étude du changement du capital humain, qui correspond au stock de compétences, de connaissances et de compréhension véhiculés par l’enseignement, l’apprentissage et la pratique de la recherche. L’éducation est représentée comme un investissement en capital humain. L’économie de l’éducation couvre l’étude des choix qui affectent ce stock de capital humain. L’économie de l’éducation, en tant que sous-discipline de l’économie du travail, a vu le jour au 17ème siècle sous la plume de William Petty, qui fut le premier à évaluer la vie des individus en termes de compétences productives. Au 18ème siècle, Adam Smith a creusé cette discipline en se penchant sur l’organisation et le volet financier de l’éducation. Plus récemment, au 20ème siècle, des économistes tels que Gary Becker, Jabob Mincer ou encore Theo Schultz ont étudié le développement du capital humain. De nos jours, les économistes de l’éducation analysent l’impact de l’enseignement sur les résultats observables comme les rendements sur le marché de l’emploi, la santé et les résultats aux épreuves scolaires. Ils s’efforcent également de comprendre le processus de production du capital humain dans les écoles. Par exemple, ils étudient les facteurs qui influencent la qualité et les performances des écoles, l’effet des structures institutionnelles et la relation entre le financement de l’enseignement et la répartition des performances. Hanushek & Welch (2006) passent en revue la littérature en la matière.9 La Banque mondiale a pris acte de ces développements récents et définit la discipline de l’économie de l’éducation dans les termes suivants : « Sur quels facteurs reposent les décisions des individus et des familles à investir dans l’éducation ? Comment les familles choisissent-elles entre les différents types d’écoles ? Les rendements de l’enseignement sont-ils dictés par le nombre d’années passées à l’école ou par le type de compétences acquises


pendant le cursus scolaire ? Pourquoi l’État devrait-il allouer plus de ressources publiques pour financer l’éducation ? Quels sont les rendements sociétaux, pécuniers et non pécunier, de l’éducation ? Qu’est-ce qui motive les enseignants à déployer des efforts pour améliorer l’apprentissage chez leurs élèves ? Comment rendre les écoles comptables des performances scolaires ? L’économie fournit le cadre indispensable pour réponse à ces questions, parmi tant d’autres, auxquels sont confrontés les décideurs publics. De plus, la rigueur analytique propre aux économistes a permis de procéder à une batterie d’analyses sur les inégalités du système éducatif, les effets de pairs, la taille des classes, les chèques-formation, la gestion des établissements ou encore les dépenses liées à l’éducation. Les économistes sont aux premières loges pour évaluer l’impact d’une série d’interventions qui conditionnent le corpus de connaissances nécessaire pour alimenter le débat sur la politique en matière d’éducation.”10 Sous l’angle économique, nous nous penchons dans ce livre sur les interactions entre les trois principes essentiels cités plus haut. L’économie de l’éducation postule qu’il vaut mieux renoncer en partie à un objectif pour garantir l’obtention partielle des autres. À notre avis, la solution optimale consiste à trouver un juste équilibre entre ces trois objectifs. Trouver l’équilibre entre les objectifs que nous énonçons et l’équilibre entre les institutions que nous développons en vue d’atteindre ces objectifs.11

Le rôle médiateur de la qualité et de l’assurance qualité La qualité est un élément crucial pour l’équilibre des trois objectifs fondamentaux. La qualité de l’enseignement et de la formation est considérée comme un facteur clé de l’efficacité et de l’équité (à la fois en termes d’égalité des chances (voir chapitre 2) et d’égalité d’accès aux écoles (voir chapitre 3)). L’importance de la qualité de l’enseignement est une question centrale à une époque où la vie professionnelle, le marché du travail et les besoins en matière de compétences connaissent une évolution rapide. De même, la viabilité des finances publiques et les exigences d’efficacité exigent la mise en place d’un système éducatif capable de produire des compétences de qualité et ce, de manière flexible. À tous les niveaux de l’enseignement, l’assurance qualité relève de la responsabilité des prestataires et des institutions qui dispensent les services éducatifs.

10 Voir http://www..worldbank.org/en/topic/education/brief/economics-of-education. 11 Glenn, C., De Groof, J. & Stillings Candal, C. (eds.) Balancing Freedom, Autonomy and

Accountability in Education (1, 2, 3 & 4). Wolf Legal Publishers (WLF), 2012.

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L’éducation fondée sur des données factuelles (EBE) Tout au long de ce livre, nous préconisons fortement le recours à une approche de l’éducation fondée sur des analyses factuelles (Evidence Based Education en anglais, abrégé en EBE). Ce livre donne un aperçu des analyses factuelles existantes les plus récentes. En particulier, chaque chapitre résume les dernières avancées et, sur la base de ces observations empiriques, en déduit plusieurs implications politiques claires.

12 How Estonia Became a World Leader In Science. Alliance for Excellent Education, 2017.

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1 INTRODUCTION GÉNÉRALE: CHANCES DE RÉUSSITE ET ÉGALITÉ DES CHANCES

L’assurance qualité englobe la gestion de la qualité des prestataires de services éducatifs, de la direction centrale de l’enseignement et de la formation professionnelle, et l’évaluation externe. Aujourd’hui, de nombreux systèmes éducatifs réputés (comme la Finlande et le Canada) préconisent une très large autonomie locale dans l’enseignement. Outre les dispositions pratiques en matière pédagogique, les prestataires de services éducatifs sont responsables de l’efficacité et de la qualité de l’enseignement dispensé. Cela laisse aux équipes pédagogiques la liberté de trouver le meilleur moyen de proposer à tous les enfants un enseignement et un apprentissage de qualité. Par conséquent, les pratiques varient d’un établissement à l’autre et sont souvent taillées sur mesure afin de répondre aux besoins et aux contextes locaux. Le gouvernement central légifère, chapeaute le financement local des écoles et fournit un cadre directeur relatif aux contenus à dispenser et aux modalités y afférentes. Une source d’inspiration est la Finlande, où l’évolution vers une autonomie plus locale a commencé dès les années 1990, avec la décentralisation de l’admi­ nistration de l’enseignement. Au même moment, les inspections des écoles ont été supprimées et les manuels scolaires imposés ont été abolis. Jusque dans les années 1990, l’assurance qualité était largement basée sur des normes et des inspections. Les inspections avaient pour but de s’assurer du respect des règles, de fournir des directives et de formuler des propositions d’amélioration. Aujourd’hui, l’idée est d’orienter et de piloter par la formation, le soutien et le financement. Les activités des prestataires sont fondées sur les objectifs prévus dans la législation et les programmes de base établis au niveau national/régional. En outre, les équipes pédagogiques sont encouragés à développer la qualité sur une base volontaire. Les autorités nationales/régionales soutiennent ce principe en fournissant des outils et un soutien, notamment en récompensant la qualité dans la formation professionnelle et en formulant des recommandations en matière de qualité.12


Les pays les plus performants ont le souci constant d’innover et d’améliorer leur système éducatif. Par exemple, de nombreux pays consentent d’énormes efforts pour continuer à améliorer les programmes et outiller leurs élèves afin qu’ils réussissent dans le monde moderne. Au cours des dernières décennies, l’utilisation de données objectives dans la réforme de l’éducation s’est peu à peu généralisée et un large éventail de recherches et de données sont aujourd’hui utilisées régulièrement pour identifier les forces et les faiblesses des écoles, la valeur ajoutée des enseignants, l’effet de cantines scolaires gratuites ou de l’autonomie scolaire. Ces analyses empiriques sont aussi utilisées pour orienter et guider les programmes scolaires et tenir les écoles et le corps enseignant (partiellement) redevables des résultats pédagogiques. Néanmoins, il convient d’éviter d’innover sans évaluer l’effet des innovations. De la même manière, il est préférable de fonder les innovations sur des analyses empiriques rigoureuses. L’éducation fondée sur des observations empiriques correspond au paradigme selon lequel nous basons l’enseignement sur ce qui se passe sur le terrain (et non dans l’imaL’éducation fondée sur des observations ginaire collectif). Avant d’introduire des innovations à une échelle plus empiriques correspond au paradigme selon lequel nous basons l’enseignement large, il est souhaitable de procéder à une évaluation rigoureuse de leur sur ce qui se passe sur le terrain impact dans le cadre de (quasi-)expériences à petite échelle. Grâce à ces informations (quasi-)expérimentales, il sera possible de tirer des conclusions solides sur l’impact des innovations et leur efficacité-coûts. Selon Levin, Belfield, Muennig & Rouse (2006): « Le critère d’investissement est simple : des investissements publics valent la peine d’être réalisés si les bénéfices dépassent les coûts. Même si l’enseignement est onéreux, un enseignement médiocre et inadéquat pour un nombre substantiel de nos jeunes peut avoir des conséquences encore plus coûteuses. Une telle analyse dépasse la question plus fondamentale de la justice sociale. Si les opportunités qui se présentent à nous au fil de notre vie dépendent largement de l’enseignement dont nous avons bénéficié, il est important de gommer les inégalités associées à la race, au genre, au statut d’immigrant, à la langue et au handicap dans l’enseignement. C’est le principe d’égalité des chances dans une société démocratique. Mais au-delà même de cette question de justice, il faut s’interroger sur les conséquences d’un enseignement de qualité médiocre sur la société au sens large. Les recherches en sciences sociales démontrent qu’un enseignement de piètre qualité constitue un fardeau social car il induit une baisse des revenus et de la croissance économique, une diminution des recettes fiscales et une augmentation des coûts liés à la santé, la criminalité et l’assistance publique. De ce point de vue, les efforts déployés pour améliorer les résultats scolaires des populations à risque peuvent être vus comme un investissement public dont les bénéfices pour l’ensemble de la société dépassent le coût. »

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13 Vanthienen, J. et De Witte, K. (2017). Data Analytics Applications in Education. Abingdon:

Taylor & Francis.

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1 INTRODUCTION GÉNÉRALE: CHANCES DE RÉUSSITE ET ÉGALITÉ DES CHANCES

À l’ère de l’information, le recours de plus en plus fréquent aux analyses empiriques, aux données et à la recherche dans l’enseignement reflète une tendance générale visant à privilégier des décisions mieux informées et plus objectives dans un large éventail de domaines d’activités et de professions. Historiquement, les enseignants fondaient largement les décisions qu’ils prenaient concernant ce qu’ils devaient enseigner et leur manière de procéder sur leur expérience personnelle, leur jugement professionnel, des pratiques passées, des conventions établies et d’autres facteurs subjectifs – autant d’éléments potentiellement imprécis, inadaptés, biaisés, voire préjudiciables aux élèves. Avec l’avènement des systèmes de données et des techniques de recherche modernes, les enseignants ont à présent accès à des informations plus objectives, précises et exactes concernant l’apprentissage, la réussite et le niveau scolaires.13 La qualité des observations empiriques disponibles ainsi que les méthodes utilisées pour interpréter les recherches et les données revêtent une importance cruciale. À la différence de nombreuses autres activités et professions qui font appel à une approche basée sur des éléments factuels (notamment la médecine), l’enseig­ nement est particulièrement exposé à une grande variété de points de vue, de convictions et de philosophies contradictoires qui peuvent donner lieu à des erreurs d’interprétation ou des distorsions de données factuelles apparemment concrètes et objectives. Par exemple, il est possible de manipuler la sélection et la présentation de données pour confirmer ou infirmer des théories existantes. On peut ainsi privilégier certaines conclusions de recherche et en ignorer d’autres pour donner l’impression que certaines stratégies pédagogiques sont plus efficaces qu’elles le sont en réalité. Lorsqu’on mène des recherches, ou que l’on rédige des rapports sur des approches d’une réforme scolaire basées sur des données factuelles, il est important d’étudier la source, la qualité, la fiabilité et la validité des éléments en question. Alors que des données qualitatives et quantitatives sont largement utilisées dans l’éducation, la manière dont ces différents types d’éléments factuels doivent être pondérés et considérés fait débat. Par exemple, certains enseignants sont convaincus que les données qualitatives sont nécessairement « spongieuses » ou « bruitées » et davantage sujettes à une interprétation subjective, alors que d’autres affirment que les données quantitatives (comme les tests standardisés) sont trop restreintes et limitées. Comme un certain degré d’erreur de mesure est inévitable dans les tests et le rapportage de données, les chercheurs en éducation, les statisticiens, et les concepteurs de tests reconnaissent souvent publiquement que les données liées aux performances, comme les taux de réussite dans l’enseignement supérieur ou d’inscription à l’université, ne sont pas parfaitement fiables ou que


les scores des tests ne reflètent pas toujours exactement les connaissances et les aptitudes des élèves. En d’autres mots, il n’existe pas de tests parfaitement fiables des connaissances des élèves et de l’acquisition de compétences. Alors qu’un certain degré d’erreur de mesure est – et sera peut-être toujours – inévitable, un grand nombre d’acteurs de l’enseignement prennent des mesures visant à limiter les erreurs de mesure à la fois dans les tests et le rapportage des données. L’erreur de mesure est la principale raison pour laquelle les experts en tests recommandent de ne pas fonder des décisions importantes en matière d’enseignement sur les résultats d’un seul test. Le programme PISA (Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves) a veillé soigneusement à ces questions de mesure et développé une batterie de tests suffisamment robustes pour évaluer les acquis scolaires en mathématiques, en lecture et en sciences dans les différents pays à l’âge de 15 ans. Même si des données empiriques ne sont pas parfaitement fiables, elles peuvent être utiles à condition de préciser la « marge d’erreur » d’une statistique ou d’une conclusion donnée. Le manque de précision dans l’évaluation des acquis véritables et durables et de la maîtrise de compétences implique que les données quantitatives ne devraient pas être utilisées sans prendre en considération d’autres formes de données factuelles, y compris les opinions et les perspectives des étudiants et des professeurs. Pour éviter la distorsion résultant d’un test à fort enjeu, les décideurs peuvent réduire ou éliminer les conséquences des résultats de tests pour minimiser le risque d’une inflation des résultats et réduire la motivation à manipuler les résultats. Au lieu de se baser sur une mesure potentiellement imprécise, les écoles peuvent obtenir des informations plus complètes en utilisant des méthodes multiples afin d’évaluer les performances des étudiants et le développement des apprentissages. A l’instar de notre triangle normatif « liberté-équité-efficacité », nous sommes convaincus que le compromis est utile et qu’il faut rechercher le bon équilibre entre les données qualitatives et quantitatives.

L’aide est parfois préjudiciable Pendant de nombreuses années, nous avons assisté à une déferlante d’idées diverses et variées sur la manière de réformer l’école et de prévenir la délinquance parmi les élèves, et très peu de recherches empiriques rigoureuses sur ces idées. Les gens ont tendance à penser que toute initiative bien intentionnée ne peut engendrer que des effets positifs. Mais les choses sont plus compliquées dans la réalité. De bonnes intentions ont alimenté des interventions politiques qui se sont avérées désastreuses pour ceux qu’elles étaient supposées aider (voir freakono-

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Sujets abordés Ce livre est le premier d’une série consacrée à l’éducation en Flandre et dans la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Comme nous l’avons souligné plus haut, il diffère des autres ouvrages par sa perspective économique de l’éducation, et par sa volonté de faire le point sur la littérature disponible et les analyses empiriques les plus récentes portant sur différents sujets. À partir de ces analyses pointues et rigoureuses, ce livre formule de manière prudente plusieurs recommandations politiques. Ce livre offre aussi des comparaisons entre l’enseignement francophone

14 Voir également Gottfredson, D. “Prevention Research in Schools: Past, Present and

Future.” Criminology and Public Policy 16, 2017, 16-26.

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1 INTRODUCTION GÉNÉRALE: CHANCES DE RÉUSSITE ET ÉGALITÉ DES CHANCES

mics/podcast/when-helping-hurts).14 Mais s’il est important de recueillir des éléments matériels établissant que l’intervention publique a été utile et bénéfique, c’est aussi une tâche très compliquée. Parce que l’identification des causes et des effets de tout programme d’intervention requiert d’en isoler les effets et d’en mesurer réellement les résultats. Il faudrait séparer de manière aléatoire ceux qui font l’objet de l’intervention en un groupe de contrôle et un groupe de traitement qui se distingue du premier exclusivement par le fait d’être soumis à l’intervention. Ensuite, comparer le groupe de traitement et le groupe de contrôle afin de détecter les divergences éventuelles qui pourraient être imputées au programme d’intervention. Il existe aujourd’hui des centaines d’études de très haut niveau qui évaluent l’impact de programmes scolaires comme l’installation de policiers dans les écoles, la modification du climat social, le fait de rendre les écoles plus agréables, les cantines gratuites. Ces études nous ont fourni des informations utiles sur l’efficacité de telles mesures. Des éléments factuels ont démontré que de nombreux programmes punitifs ont eu l’effet inverse de celui escompté. D’autres suggèrent que des stratégies différentes s’avèrent efficaces, comme les efforts déployés pour développer chez les élèves des compétences sociales et de maitrise de soi. Plus important : ces études suggèrent que certains programmes permettent réellement de faire des économies. Les auteurs de ce livre sont convaincus de la nécessité de recourir aux analyses empiriques et de modifier notre vision de l’enseignement à la lumière de celles-ci. Nous pouvons avoir des opinions divergentes, mais nous devons nous incliner face à des faits avérés. L’important est de continuer à recueillir des données empiriques. Et de les utiliser – plutôt que de se fier à son instinct, une idéologie ou de simples bonnes intentions – pour tenter de développer une intervention publique utile et bénéfique. Telle est l’ambition de ce livre.


et flamand en Belgique. Comme l’enseignement n’a été décentralisé qu’avec la troisième réforme de l’état de 1988, les deux régions partagent un héritage commun. Ce cadre commun crée un environnement propice à des comparaisons, puisque la plupart des valeurs, institutions et organisations sont communes dans les deux communautés. Sans vouloir juger les communautés sur leurs bons ou mauvais résultats scolaires, le présent ouvrage se propose d’encourager l’échange d’informations et de bonnes pratiques, et de disséminer ces pratiques dans les deux communautés. De notre point de vue, on peut regretter au sein de chaque communauté un manque de compréhension générale de ce qui se passe dans la communauté voisine. C’est pourquoi ce livre est publié à la fois en français et en néerlandais. La supervision scientifique du livre est coordonnée par un expert de l’enseignement flamand (le professeur Kristof De Witte) et un expert de l’enseig­ nement francophone (le professeur Jean Hindriks). Cet ouvrage se base sur des recherches originales effectuées par plusieurs coauteurs sélectionnés avec soin. Tous les coauteurs se distinguent par leur grande expérience des domaines étudiés et par leur connaissance des données empiriques. Ils ont été invités à contribuer à ce livre sur la base de leur expertise reconnue dans le domaine. Le premier numéro de cette série traite de l’équilibre entre la liberté, l’équité et l’efficacité de l’enseignement au travers de comparaisons internationales. Chacun des chapitres de cet ouvrage repose sur des analyses tirées de bases de données internationales, ce qui nous permet de comparer l’enseignement en Flandre et dans la FWB avec ceux d’autres régions et pays. Nous présentons maintenant brièvement les différents chapitres de ce livre (que nous résumons entre parenthèses par un titre de chanson).

CHAPITRE 2 : Un système scolaire équitable est-il plus efficace ? (Give Me a Chance) Notre système éducatif doit non seulement faire réussir le plus grand nombre mais aussi intégrer le plus grand nombre. Notre pays la Belgique, comme la France, est une terre d’immigration. Par conséquent notre système scolaire, flamand ou francophone, a une mission d’intégration qui différencie note pays d’autres pays comme la Finlande beaucoup plus homogène socialement ou culturellement. C’est sur cette double mission d’excellence et d’intégration, en utilisant des comparaisons internationales, que ce chapitre se concentre. Dans ce chapitre, Jean Hindriks et Mattéo Godin proposent une comparaison internationale des systèmes scolaires des pays de l’OCDE en termes de mobilité sociale à l’école sur la base des résultats des tests PISA entre 2003 et 2012 en mathématiques. Ils calculent pour chaque pays, la mobilité individuelle des élèves sur la base de leur rang social comparé à leur rang au test PISA en mathématiques dans leur pays. Ils établissent ainsi une nouvelle représentation qu’ils appellent la Courbe de Gatsby

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CHAPITRE 3 : La ségrégation et les inégalités sociales à l’école (Together or Apart) Les discussions autour de la ségrégation sociale dans les écoles et les inégalités sociales du système scolaire font partie des débats qui provoquent d’intenses polémiques. Chacun reste bien souvent cantonné sur ses positions et présupposés idéologiques. La préoccupation pour la mixité et l’inégalité sociale dans les écoles n’est pas nouvelle. A vrai dire les récentes réformes des systèmes scolaires gravitent autour de cette problématique. Jean Hindriks propose dans ce chapitre une évaluation ouverte qui permet à la discussion de s’établir sur la base d’éléments factuels précis, où les croyances des uns et des autres sont confrontées à des arguments objectifs. Une première question consiste à mesurer le niveau de ségrégation des écoles. En fait, alors qu’on parle souvent de ségrégation scolaire, il semble qu’on n’ait jamais vraiment pris le soin de la mesurer de manière convaincante et systématique. Pour ce faire des indices de ségrégation plus complets et moins ponctuels sont utilisés sur base des enquêtes PISA entre 2003 et 2015. Pour savoir si le niveau de ségrégation d’un pays est élevé ou non, on compare la ségrégation entre pays pour déterminer un niveau de référence, et on compare la ségrégation scolaire d’un même pays dans le temps pour savoir si elle diminue ou augmente. Les résultats révèlent que la Belgique a l’un des taux de ségrégation sociale à l’école les plus élevés de l’OCDE. On retrouve également de forts taux de ségrégation dans les deux communautés prises séparément. Entre, 2003 et 2015 la

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1 INTRODUCTION GÉNÉRALE: CHANCES DE RÉUSSITE ET ÉGALITÉ DES CHANCES

de l’école (référence à le courbe de Gatsby des revenus). Selon cette représentation, la mobilité sociale d’un système scolaire est étroitement liée à l’inégalité scolaire. Les pays comme la Belgique ou la France avec une forte inégalité entre écoles sont aussi caractérisés par une faible mobilité sociale à l’école. A l’inverse des pays comme la Finlande ou le Canada sont caractérisés par une faible inégalité entre écoles et une forte mobilité sociale à l’école. Une seconde conclusion importante (et surprenante) de l’analyse c’est que les pays avec une mobilité sociale à l’école supérieure à la moyenne sont aussi le plus souvent les pays qui produisent un niveau scolaire supérieur à la moyenne. Pour expliquer ce phénomène, on peut recourir à une comparaison sportive : plus nombreux sont les prétendants à la victoire, plus intense sera la course et plus grande sera la performance d’ensemble. Inversement les pays qui découragent la progression sociale et scolaire restreignent le nombre de coureurs et donc le niveau de la course. Autrement dit l’excellence se marie très bien avec l’égalité des chances. Ce que ce chapitre révèle en définitive en comparant différents systèmes scolaires, c’est que si les pays ont tous adopté des mesures et politiques pour améliorer l’égalité des chances à l’école, certains pays y sont arrivés beaucoup mieux que d’autres. Cela doit nous convaincre que le changement est possible sans opposer l’excellence à l’équité, et sans opposer égalité et mobilité sociale à l’école.


ségrégation scolaire a stagné dans les écoles flamandes et dans les écoles francophones. Après les faits, les effets de la ségrégation sociale sont examinés, en établissant notamment une relation inverse entre performance scolaire et ségrégation sociale. Le chapitre se termine avec une analyse des causes possibles de cette ségrégation au niveau belge en distinguant le système de relégation par filières et les pratiques scolaires de redoublement et de transfert d’élèves entre établissements. En 2012, la relégation entre filières contribue pour 45% de la ségrégation sociale en Communauté flamande et 20% en Communauté française, où le redoublement et le changement d’école jouent un rôle plus important dans la ségrégation sociale.

CHAPITRE 4 : Décrochage scolaire (Don’t Let Me Down) Dans la société contemporaine, le diplôme d’enseignement secondaire (général, technique, artistique ou professionnel) constitue une condition importante pour réussir son entrée et se maintenir sur le marché du travail. Les élèves de moins de 24 ans qui n’ont pas accompli leur parcours d’enseignement secondaire et ne suivent plus l’enseignement ou une formation sont qualifiés de jeunes en décrochage scolaire. Le décrochage scolaire est un problème grave reconnu par à peu près tous les pays occidentaux. Tant la Belgique que la Flandre semblent à première vue en bonne voie d’atteindre leurs objectifs. Selon les chiffres les plus récents, le pourcentage de jeunes en décrochage scolaire s’élevait respectivement à 8,8 % en Belgique et 6,8 % en Flandre en 2016. Il est nettement plus élevé dans les deux autres régions : 10,3 % Le décrochage scolaire est un problème en Wallonie et 14,8 % en Région de Bruxelles-Capitale. À présent que les grave reconnu par à peu près tous solutions les plus accessibles ont été les pays occidentaux mises en œuvre, il est de plus en plus difficile de réduire le taux de décrochage scolaire. Dans ce chapitre, Kristof De Witte et Deni Mazrekaj expliquent la problématique du décrochage scolaire et présentent une série de « bonnes pratiques » (étrangères) scientifiquement éprouvées. Ils présentent ensuite les données disponibles. Dans un troisième temps, ils s’arrêtent sur les signes précurseurs du décrochage scolaire. Ensuite, ils expliquent les mesures actuellement mises en œuvre en Flandre et en Fédération WallonieBruxelles, avant de recommander une série de nouvelles mesures éprouvées. De Witte et Mazrekaj clôturent leur contribution par une série de recommandations politiques.

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CHAPITRE 5 : Transition école et emploi (Move in the Right Direction)

CHAPITRE 6 : Education financière à l’école (It’s All About Money Money) Vu l’importance de la compétence financière des jeunes, Geert Van Campenhout, Kenneth De Beckker et Kristof De Witte abordent plus particulièrement l’éducation financière à l’école. Ils formulent plusieurs points d’attention importants, basés sur des observations récentes et des constats, dans le but de développer une approche efficace de l’éducation financière à l’école. La première partie dresse la toile de fond sur base de laquelle on peut réfléchir au développement de stratégies visant à accroître les compétences financières. Le degré de compétence financière sera évalué de façon chiffrée, puis comparé entre la communauté flamande et la communauté francophone. La seconde partie propose une cartographie de la situation actuelle en Belgique et les réflexions par rapport à l’implémentation de l’éducation financière à l’école. Cette analyse débouche sur des recommandations politiques pour une approche plus intégrée.

CHAPITRE 7 : Financement de l’école (Pay Me My Money Down) Ce chapitre traite d’une série de principes de financement de l’enseignement obligatoire (c’est-à-dire l’enseignement maternel, primaire et secondaire) dans l’enseig­ ­nement néerlandophone et francophone. Au sein de cet enseignement obligatoire, Mike Smet et Kristof De Witte se concentrent sur le plus grand groupe d’élèves et d’écoles, à savoir ceux de l’enseignement ordinaire à temps plein. Bien qu’une série de réforme de l’État et de modifications de la Constitution aient confié aux communautés la majeure partie des compétences liées à l’enseignement, plusieurs

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1 INTRODUCTION GÉNÉRALE: CHANCES DE RÉUSSITE ET ÉGALITÉ DES CHANCES

Dans ce chapitre, Dieter Verhaest et Kristof De Witte approfondissent la problématique de l’adéquation entre les emplois et les qualifications au début de la carrière. Ils donnent un aperçu des données scientifiques existantes et en distillent une série d’applications politiques. Plus précisément, ils cartographient le problème de l’adéquation (lacunaire) entre qualifications et emplois. Deuxièmement, ils étudient plus en profondeur les effets de cette inadéquation (mismatch) et en analysent les conséquences pour le jeune, l’employeur et la société. Ensuite, ils discutent des mécanismes qui peuvent expliquer cette inadéquation. Dans ce cadre, ils établissent une distinction entre les facteurs liés à la qualité et la nature de l’enseignement, ceux liés au fonctionnement du marché du travail, et les déséquilibres qualitatifs entre l’offre et la demande sur le marché du travail. Ils clôturent le chapitre par une série d’implications politiques.


principes fondamentaux sont toujours fixés au niveau belge. Ainsi, l’article 24 de la Constitution belge garantit la liberté de l’enseignement, le droit à l’enseignement, la liberté de choix des parents et un accès gratuit à l’enseignement obligatoire. Ces principes fondamentaux ont toujours des implications importantes pour le financement des écoles et l’organisation et le fonctionnement du « marché de l’enseignement » dans les différentes entités fédérées. D’un point de vue économique, le Pacte scolaire crée de facto un quasi-marché de l’enseignement. Smet et De Witte en décrivent les caractéristiques et Le Pacte scolaire crée de facto expliquent pourquoi un financement public un quasi-marché de l’enseignement de l’enseignement est crucial. Les dépenses et leurs montants sont comparés entre les deux communautés et replacés dans une perspective internationale. On s’intéresse également aux incitants que crée le mécanisme de financement, notamment en faveur du maintien de petites écoles. Le chapitre se conclut par des recommandations politiques concrètes.

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Un système scolaire équitable est-il plus efficace ?  1

Jean Hindriks  et Mattéo Godin

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Nous avons bénéficié des corrections, améliorations et suggestions de plusieurs personnes qui ont relu des versions successives du texte. En particulier, nous souhaitons remercier Marc Devos, Hugues Draelants, ainsi que Kristof De Witte, Benoit Decerf, Dominique Lafontaine, Ivan van de Cloot, Dirk Van de Gaer, Marijn Verschelde, Vincent Wertz. Nous avons aussi bénéficié des commentaires et discussions avec Marinho Bertanha, Marc Fleurbaey, François Maniquet, Sandra Mc Nally, Joniada Milla, Pierre Pestieau et Alain Trannoy. Cette recherche a en partie été présentée au TIER 2nd workshop on Education Economics, Maastricht 23-24 Mars 2016 Les Pays-Bas, au labo du Girsef du 21 avril 2016, au séminaire Welfare Economics du CORE le 6 juin 2016, et au 15e LAGV 13-14 Juin, 2016 à Aix-en-Provence, France.

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RÉSUMÉ Dans ce chapitre, Jean Hindriks et Mattéo Godin proposent une comparaison internationale des systèmes scolaires des pays de l’OCDE en termes de mobilité sociale à l’école sur la base des résultats des tests PISA entre 2003 et 2012 en mathématiques. Ils calculent pour chaque pays, la mobilité individuelle des élèves sur la base de leur rang social comparé à leur rang au test PISA en mathématiques dans leur pays. Ils établissent ainsi une nouvelle représentation qu’ils appellent la Courbe de Gatsby de l’école (référence à le courbe de Gatsby des revenus). Selon cette représentation, la mobilité sociale d’un système scolaire est étroitement liée à l’inégalité scolaire. Les pays comme la Belgique ou la France avec une forte inégalité entre écoles sont aussi caractérisés par une faible mobilité sociale à l’école. A l’inverse des pays comme la Finlande ou le Canada sont caractérisés par une faible inégalité entre écoles et une forte mobilité sociale à l’école. Une seconde conclusion importante (et surprenante) de l’analyse c’est que les pays avec une mobilité sociale à l’école supérieure à la moyenne sont aussi le plus souvent les pays qui produisent un niveau moyen d’enseignement supérieur à la moyenne. Pour expliquer ce phénomène, on peut recourir à une comparaison sportive : plus nombreux sont les prétendants à la victoire, plus intense sera la course et plus grande sera la performance d’ensemble. Inversement les pays qui découragent la progression sociale et scolaire restreignent le nombre de coureurs et donc le niveau de la course. Autrement dit l’excellence se marie très bien avec l’égalité des chances. Ce que ce chapitre révèle en définitive en comparant différents systèmes scolaires, c’est que si les pays ont tous adopté des mesures et politiques pour améliorer l’égalité des chances à l’école, certains pays y sont arrivés beaucoup mieux que d’autres. Cela doit nous convaincre que le changement est possible sans opposer l’excellence à l’équité, et sans opposer égalité et mobilité sociale à l’école.

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Introduction

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Cette notion de résilience renvoie à ce qu’en sociologie de l’éducation, on appelle les réussites ou trajectoires « improbables » ou paradoxales.

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2 UN SYSTÈME SCOLAIRE ÉQUITABLE EST-IL PLUS EFFICACE ?

L’équité d’un système scolaire ne s’apprécie pas simplement par la dispersion des résultats scolaires entre élèves (ou écoles) mais aussi par la persistance de cette inégalité que l’on mesure par la mobilité sociale à l’école. Deux systèmes scolaires peuvent être identiques en termes d’inégalité mais très différents en termes de mobilité sociale à l’école. Dans les rapports officiels de l’OCDE, la mobilité sociale à l’école consiste souvent à comparer les résultats scolaires des élèves d’origine sociale différente. Les élèves issus de milieux plus favorisés obtiennent de meilleurs résultats à l’école et ceux issus de milieux défavorisés, de plus mauvais résultats. La Belgique est par exemple un des pays de l’OCDE où l’écart entre élèves socialement défavorisés et élèves socialement favorisés est le plus grand. Une des raisons souvent invoquées est le processus de séparation des systèmes scolaires qui consiste à reléguer les élèves en difficulté ou plus faibles dans des filières différentes (techniques ou professionnelles), ou à faire redoubler ces élèves en les renvoyant dans les écoles moins exigeantes au niveau académique (Hindriks et Verschelde, 2014). Comme le suggère les discussions actuelles, l’ascenseur social de l’école serait donc en panne. Cependant, la mesure de cette mobilité sociale à l’école est imparfaite car on travaille sur des résultats moyens que l’on compare aux indices socio-économiques moyens des élèves. De la sorte, on oublie une composante essentielle de cette mobilité sociale : les élèves résilients. Selon l’OCDE (2012) les élèves résilients sont des élèves défavorisés (autrement dit, qui font partie du quart inférieur du statut socio-économique d’un pays ou d’une région donnée) dont les résultats aux tests de mathématiques du PISA se situent dans le quart supérieur tous pays confondus.2 Dans ce chapitre, nous proposons d’analyser plus en détail la résilience et la mobilité sociale des systèmes scolaires dans une perspective internationale. A l’inverse de l’OCDE (2012), pour bien séparer le niveau moyen d’un système scolaire de sa mobilité sociale, nous allons définir la mobilité sociale à l’école sur base de la position relative d’un élève dans l’échelle des résultats de son pays (et non pas de l’ensemble des pays). Notre concept de mobilité sociale à l’école est étroitement lié à la notion d’égalité des chances à l’école stricto sensu. On dit qu’il y a égalité des chances face à l’école lorsque la distribution des résultats scolaires est indépendante de l’origine sociale des élèves. Il importe de noter que cette inégalité des chances à l’école considère comme acceptable des inégalités de résultats entre élèves de même origine sociale qui seraient liées à des degrés d’implication différent des élèves dans leur scolarité. Selon notre conception de l’égalité des chances


à l’école, les élèves sont responsables de leur choix mais pas de leur origine sociale.3 Cette conception de la justice intègre donc bien les notions de responsabilité individuelle (Fleurbaey & Maniquet, 2011). En ce sens, il est incorrect d’opposer égalité des chances et méritocratie scolaire ; l’élève résilient en est le prototype. On peut par contre s’interroger, comme certains le suggèrent, sur l’opportunité et la possibilité d’égaliser les résultats scolaires entre élèves de niveaux intellectuels différents. Notre approche doit aussi être mise en perspective avec l’approche de l’inéga­ lité des chances scolaires de Boudon (1973) selon laquelle (1) la valeur attachée à un niveau scolaire donné varie avec la position sociale d’un individu et, (2) sa position sociale influence ses attentes et ses choix scolaires. Selon Boudon, les politiques scolaires et réformes scolaires sont en général impuissantes à atteindre les racines de cette stratification sociale. Pour cette raison, la seule façon de réduire les inégalités scolaires consiste à réduire les inégalités sociales. Il est remarquable que Boudon et les autres sociologues insistent donc à juste titre sur l’importance de ne pas analyser l’individu hors contexte, c’est-à-dire sans considérer son environnement social. L’individu fait partie de groupes sociaux et ces groupes sociaux affectent de différentes manières ses attentes et ses comportements.4 Selon notre définition de l’égalité des chances scolaires c’est donc bien la perspective ex-post de l’égalité des chances qui nous intéresse (la distribution ex-post des performances scolaires selon l’origine sociale) et non pas la perspective exante de l’égalité des chances (la performance scolaire attendue ex-ante selon l’origine sociale) (Fleurbaey & Peragine, 2013). Pour des tentatives de mesurer empiriquement, sur base des tests PISA, les inégalités des chances scolaires selon une perspective ex-ante, nous renvoyons au très bon rapport de synthèse de Ferreira & Gignoux, 2011. En fin d’article, nous discutons plus en détail de cette distinction entre les deux perspectives. Il convient de préciser que notre approche de l’égalité des chances par la mobilité sociale à l’école est plus restreinte que l’approche classique de l’égalité des chances qui cherche, avec plus ou moins de succès, à décomposer la part de circonstances de la part de responsabilité (effort et choix) dans la mesure de l’inégalité des résultats dans un contexte parfois multidimensionnel (revenus, santé, école).5 Remarquons ici que certains auteurs comme Kanbur et Wagstaff (2014) sont assez septiques sur la pertinence politique de cette approche du fait d’un double problème de mesure et de décomposition.

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Une difficulté s’impose quand les choix sont eux-mêmes influencés par l’origine sociale. On trouve un développement comparable en économie sous le vocable de Identity Economics (voir notamment le chapitre 6 “Education and Identity Economics” dans Akerlof & Kranton, 2011). Roemer & Trannoy 2015, pour un survol assez complet des contributions théoriques et empiriques sur l’égalité des chances.

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C’est d’autant plus vrai que l’on travaille sur des données instantanées par cohorte d’élèves (PISA), il est alors impossible de dégager des séquences temporelles entre les variables et donc de spécifier des évolutions causales. Il est aussi toujours risqué, dans ce type d’analyse, de déduire des corrélations observées au niveau agrégé d’un pays des relations causales au niveau des individus. Un avantage de comparer des pays et non pas des écoles, consiste à éliminer tous les problèmes de sélection des élèves entre écoles qui biaisent fortement les relations entre inégalités et performance scolaires. Voir notamment les travaux du Groupe européen de recherche sur l’équité des systèmes éducatifs (Crahay & GERESE, 2003). Rawls, 1971 & Roemer, 1998.

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2 UN SYSTÈME SCOLAIRE ÉQUITABLE EST-IL PLUS EFFICACE ?

Dans ce chapitre, nous comparerons la mobilité sociale à l’école dans une perspective internationale. Nous aborderons la discussion actuelle sur la qualité des systèmes scolaires sous un prisme plus large qui intègre à la fois l’efficacité, l’égalité et la mobilité sociale. Nous verrons que ces dimensions ne sont pas nécessairement antagonistes. En particulier, l’efficacité n’est pas nécessairement en conflit avec l’égalité. C’est vrai au niveau d’un système scolaire dans son ensemble, même si une tension entre efficacité et égalité peut parfois apparaître au niveau d’une classe hétérogène (comment adapter mon enseignement pour accrocher les plus faibles sans ralentir les plus forts ?). De la même manière, la performance n’est pas en conflit avec la mobilité sociale. En fait, nous montrerons qu’il existe une relation positive entre performance scolaire et mobilité sociale à l’école. A l’inverse, nous montrerons aussi qu’il existe une relation inverse entre inégalité scolaire et mobilité sociale à l’école (la courbe de Gatsby des systèmes scolaires). Il importe de préciser que nos résultats n’établissent aucun lien de causalité, mais reposent sur des corrélations qui ont pour effet de renverser la charge de la preuve.6 En particulier nos corrélations contredisent l’opinion selon laquelle les systèmes scolaires avec plus de mobilité sociale sont associés à un nivellement par le bas des résultats scolaires. Indirectement, ce chapitre propose un examen critique de la notion d’équité, telle qu’elle a été définie dans les évaluations des systèmes scolaires.7 Aujourd’hui, alors que l’éducation obligatoire est perçue par tous comme un vecteur d’émancipation sociale, il est clair que l’égalité des chances devient un enjeu politique majeur. Selon des grands penseurs de la justice sociale tels que John Rawls et John Roemer, un système juste est un système où il y a égalité des chances de parvenir à la réussite scolaire, et à diplôme égal, d’accès aux emplois à responsabilités.8 Derrière la promotion de l’égalité des chances à l’école se cache aussi un enjeu plus important qui est celui de restaurer un rapport de confiance entre l’école et la société. Pour mener notre analyse, nous utiliserons les résultats en mathématiques aux tests PISA (2003, 2006, 2009 et 2012). Selon Hanushek & Woessmann (2015) les connaissances en mathématiques et en sciences sont un bon prédicteur de la prospérité d’une nation et des perspectives de revenus des élèves. La restriction de notre analyse aux résultats en mathématiques peut sembler discutable, mais dans


la mesure où les résultats au test PISA dans les autres matières sont fortement corrélés (à plus de 87% entre mathématiques et lecture), cela ne semble pas biaiser nos résultats. En outre, les mathématiques constituent généralement un pilier de la réussite et de l’excellence scolaire. Une lacune en mathématiques déclenche souvent soit un transfert vers une école moins exigeante, soit un redoublement ou une réorientation dans une filière académiquement moins exigeante. En plus d’évaluer les élèves, PISA a sondé les élèves sur leur origine sociale. Le statut social des élèves est alors mesuré par l’indice synthétique d’origine sociale ESCS (Economic, Social and Cultural Status). Cet indice intègre en plus de la profession et du niveau d’études des parents, un indice des ressources éducatives et culturelles de la famille (nombre de livres à la maison, endroit pour étudier, présence d’œuvres d’art, d’un dictionnaire, …). On peut ainsi contraster la position scolaire des élèves sur base de leur rang au test PISA et la position sociale des élèves sur base de leur rang dans l’indice synthétique d’origine sociale.9 Une dernière clarification s’impose avant de commencer notre analyse. Notre approche de la mobilité sociale se limite à une partie seulement de la chaîne de reproduction des inégalités sociales : le système scolaire. C’est pour cette raison que nous parlons de mobilité sociale à l’école. Nos résultats doivent donc être interprétées dans cette perspective. De manière plus générale, il faut aussi étudier en aval de l’école, le rôle du marché du travail, et en amont de l’école, le rôle de la transmission génétique entre parents et enfants. Comme les travaux en sociologie le suggèrent très clairement, une école inégalitaire, mais dont les diplômes n’auraient pas beaucoup d’influence sur le destin professionnel des élèves ne serait pas un rouage de la reproduction des inégalités sociales. Inversement, une école égalitaire, mais avec des diplômes entraînant une stricte hiérarchie des emplois, jouerait un rôle déterminant dans la reproduction des inégalités car les classes sociales les plus favorisées jouiraient toujours d’un avantage scolaire décisif (voir Dubet et al., 2010). Dans un article devenu célèbre, Solon (2004) propose un modèle de reproduction des inégalités sociales qui incorpore ces trois leviers : la transmission génétiques (via les aptitudes cognitives et attitudes non cognitives), la transmission scolaire (via l’investissement privé et public dans l’éducation), et la transmission professionnelle (via ce que Dubet et al., 2010) appellent l’emprise du diplôme sur les perspectives d’emploi et de salaires). Notre comparaison internationale des systèmes scolaires reflète la mobilité scolaire dans différents pays qui doit être confrontée aux différences de mobilités professionnelles et aux inégalités sur le marché du travail entre ces pays. L’inégalité scolaire peut en partie être compensée par une moindre inégalité professionnelle. C’est le cas de l’Alle­magne en particulier où la réussite scolaire n’est pas la seule voie possible vers la réussite profes9

Les données PISA en mathématiques sont de bonne qualité et parfaitement harmonisées pour permettre une mesure précise et comparable entre pays du lien entre position scolaire et position sociale (contrairement à une analyse de mobilité sociale basée sur les revenus).

34


La mobilité sociale à l’école On distingue trois formes d’indice de mobilité sociale : la mobilité absolue, la mobilité relative et la mobilité ordinale. Les deux premières sont les plus souvent utilisées pour mesurer la mobilité sociale sur base des revenus (Fields & Ok, 1999). La finalité de cette section est de comparer la mobilité ordinale des systèmes scolaires des pays de l’OCDE.10 Les outils de comparaison sont le coefficient de corrélation de Spearman et la mobilité interdécile. Ces deux concepts mesurent la mobilité d’un point de vue purement ordinal sous la forme d’une mobilité entre position sociale et position scolaire. La mobilité interdécile permet en outre de distinguer la mobilité ascendante de la mobilité descendante. L’éducation est dans cette perspective perçue comme un bien « positionnel » et non comme un bien absolu qui a un effet direct et positif sur les élèves (voir Dubet et al., 2011). On est dans un jeu à somme nulle où la position gagnée par un élève implique une position perdue par un autre élève. Il sera donc nécessaire de compléter cette approche par une mesure de la performance moyenne des systèmes scolaires pour apprécier leur contribution positive. Nous compléterons l’analyse d’une mesure des inégalités scolaires pour déterminer la variance entre élèves de la contribution positive du système scolaire.

10 Nous travaillons dans cette section et dans le reste de l’article avec 27 pays de l’OCDE

dont les données PISA sont disponibles depuis 2003. Ces pays sont L’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Canada, la Suisse, la Tchéquie, l’Allemagne, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, la Grande-Bretagne, la Hongrie, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, le Japon, le Corée du Sud, le Luxembourg, le Pays-Bas, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, la Pologne, le Portugal, la Slovaquie, la Suède et les Etats-Unis.

35

2 UN SYSTÈME SCOLAIRE ÉQUITABLE EST-IL PLUS EFFICACE ?

sionnelle. Cela est en particulier le fruit d’un système de formation en alternance de grande qualité. Nous reviendrons ultérieurement sur cette importante question de l’emprise scolaire. Pour être clair, ce chapitre ne présuppose pas que tout se joue à l’école et qu’il n’existe pas de chance de réussite sociale hors de l’école. Mais cela ne dépend plus de l’école, car c’est l’économie qui détermine l’emploi et les salaires. Constatons aussi que l’emprise « psychologique » du diplôme est devenue une réalité dans beaucoup de pays où l’on croit volontiers que tout le destin des individus se joue dans leurs études. La réussite sociale par le biais de la réussite scolaire y semble plus importante que la réussite sociale par le mérite professionnel. On peut déplorer cette emprise de l’école, mais c’est une réalité dans laquelle ce chapitre qui se concentre sur l’école comme rouage des inégalités prend tout son sens.


La mobilité de Spearman à l’école La mobilité de Spearman se base sur la corrélation de rang de Spearman.11 Cela consiste, par pays, à classer les élèves sur base de leur indice socio-économique et de comparer ce classement avec leur classement sur base de leur résultat au test PISA. On mesure ensuite la corrélation de rang entre ces deux classements (dite corrélation de Spearman). La mobilité de Spearman est égale à 1 moins la corrélation de rang de Spearman. La mobilité de Spearman mesure donc l’absence de lien entre la position sociale de l’élève et sa position scolaire. Si les deux classements sont parfaitement corrélés au sens où la position sociale de l’élève est identique à sa position scolaire, notre indice de mobilité de Spearman est égal à zéro. A l’inverse si la position scolaire est indépendante de la position sociale de l’élève, la mobilité de Spearman est égale à 1 (mobilité parfaite si la corrélation de Spearman est égale à zéro). Figure 2.1 : La mobilité de Spearman à l’école (PISA 2012) SVK FRA HUN CZE LUX PRT BEL DEU DNK POL NZL USA AUS IRL OECD AUT ESP GBR FIN NLD CHE KOR SWE JPN CAN ITA ISL NOR

0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,5

0,6

0,7

0,8

Note : la mobilité de Spearman est égale à un moins la corrélation de rang de Spearman. Dans notre cas, la corrélation de Spearman mesure la corrélation entre la position sociale des élèves et leur position scolaire. Plus la corrélation de Spearman est forte, plus notre

11

Pour une justification normative de cette mesure de la mobilité sociale, voir D’Agostino & Dardanoni, 2009.

36


indice de mobilité de Spearman est faible. Pour la France l’indice de mobilité de Spearman est de 52% contre 70% en Norvège ou au Canada. Source : Données PISA 2012. Calculs propres.

UN SYSTÈME SCOLAIRE ÉQUITABLE EST-IL PLUS EFFICACE ?

2 Les pays de l’OCDE ont donc tous une mobilité de Spearman au-dessus de zéro mais inférieure à un. En d’autres termes, la position sociale de l’élève est partiellement corrélée à sa position scolaire. Les résultats scolaires des élèves au sein d’un même pays sont liés à la position socio-économique des élèves au sein de ce même pays. Mais ce lien varie d’un pays à l’autre. Le système scolaire Belge favorise moins la résilience scolaire (mobilité ordinale) que la moyenne OCDE (son indice de mobilité Spearman est le 7ième plus mauvais sur 27 pays). La France a une très faible mobilité de Spearman (son indice de mobilité de Spearman est le 2ème plus mauvais sur 27 pays). Une faiblesse du classement des pays sur base de la mobilité de Spearman est sa relative instabilité liée à la forte variabilité d’échantillonnage des mobilités individuelles de l’échantillon de PISA. Une première façon de limiter la variabilité d’échantillonnage est de travailler avec plusieurs enquêtes PISA successives pour stabiliser notre mesure de mobilité. C’est ce que nous ferons par la suite en fusionnant les enquêtes PISA 2003, 2006, 2009 et 2012. Une autre façon de limiter cette variabilité d’échantillonnage est de limiter la mobilité individuelle à une mobilité interdécile. Nous adopterons une mobilité interdécile qui, contrairement à la mobilité de Spearman, distingue la mobilité ascendante Les résultats scolaires des élèves au sein et la mobilité descendante selon la d’un même pays sont liés à la position position sociale des élèves concernés. socio-économique des élèves au sein Dans cette perspective, la mobilité de ce même pays. Mais ce lien varie sociale à l’école n’est plus nécessaired’un pays à l’autre ment un jeu à somme nulle dans la mesure où si un élève socialement défavorisé gagne une place au détriment d’un élève socialement favorisé, l’impact global sur la mobilité sociale à l’école est positif.12 Remarquons aussi que cette approche fait écho à la théorie sur l’égalité des chances développée dans Boudon (1973) dont le point de départ est l’idée simple que l’importance accordée par un individu à un niveau scolaire donné varie en fonction de sa position sociale. Par exemple, le baccalauréat pour un fils d’ouvrier représente une promotion plus importante que pour un fils de cadre supérieur. Ensuite, le choix des études fait par un individu sera fonction de ses chances de réussite qui elles même varient en fonction de sa position sociale. En cas d’inégalité des chances, les chances de réus-

12 En ce sens, notre mobilité interdécile à l’école dépasse le modèle relatif de l’éducation

comme un bien positionnel dont l’impact serait un jeu à somme nulle (Dubet, 2011).

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site sont croissantes avec la position sociale. Cette théorie implique donc qu’à chaque position sociale est rattaché un système d’attentes et de décisions différents. La conclusion de Boudon est que les politiques scolaires sont illusoires pour établir l’égalité des chances si elles ne parviennent pas à modifier cette stratification sociale des attentes et décisions scolaires. Notre contribution vise précisément à montrer sur base de comparaisons internationales que certains systèmes scolaires arrivent mieux que d’autres à limiter cette stratification sociale avec un effet bénéfique tant sur la performance moyenne que sur les inégalités scolaires.

La mobilité interdécile Selon cette approche, la mobilité individuelle n’est prise en compte que si l’élève change de décile entre sa position sociale et sa position scolaire.13 Pour ce faire, nous classons dans chaque pays les élèves par décile en matière socio-économique et par décile en matière de score au test PISA (en utilisant la moyenne des différentes valeurs possibles au test). Le premier décile socio-économique regroupe les 10% des élèves les plus bas dans l’échelle sociale du pays. Le premier décile au test PISA regroupe les 10% des élèves dont les résultats au test sont les plus faibles du pays. Pour chaque élève, nous prenons le ratio de son décile au test et de son décile socio-économique pour calculer sa mobilité individuelle. Un élève dans le premier décile socio-économique qui se retrouve dans le 10éme décile au test obtient donc un ratio de mobilité individuelle (ascendante) de 10/1. A l’inverse un élève du 10ème décile socio-économique qui se trouve dans le premier décile au test obtient un ratio de mobilité individuelle (descendante) de 1/10. La mobilité interdécile totale est la simple moyenne des mobilités individuelles. Si l’ensemble de la population a un rang au test qui correspond à son décile socio-économique, alors le ratio de mobilité individuelle est égal à 1 pour tous et la mobilité interdécile est donc aussi égale à 1. La mobilité ascendante d’un élève socialement défavorisé augmente toujours la mobilité interdécile. La valeur de l’indice de mobilité interdécile est donc croissante avec la mobilité ascendante. La valeur optimale de la mobilité interdécile correspond à une situation d’égalité des chances au sens où chaque décile social est également représenté dans chaque décile scolaire.14 La valeur minimale de la mobilité est égale à 1. Nous normalisons par la suite notre indice de mobilité interdécile pour l’exprimer en pourcentage de la valeur optimale de mobilité. Pour la Belgique nous obtenons une mobilité interdécile de 53

13 Voir supra Chetti et al. (2014) pour une approche comparable sur la mesure de la mobi-

lité intergénérationnelle des revenus aux Etats-Unis.

14 La mobilité optimale correspond à une situation où on retrouve dans chaque décile sco-

laire un nombre équivalent de représentants de chaque décile social. Dans cette situation, ∑ ∑ il y a égalité des chances en moyenne. Formellement, mobilité optimale = 1001 10i=1 10j=1 ji = 1.61, où i indique le décile social et j le décile scolaire.

38


UN SYSTÈME SCOLAIRE ÉQUITABLE EST-IL PLUS EFFICACE ?

pour cent (de la mobilité potentielle optimale). La moyenne de l’OCDE est de 62 pour cent. La France est en bas du classement en termes de mobilité interdécile. Elle occupe la 4ème plus mauvaise position sur 27 pays avec une mobilité inter décile de 50 pourcent. Le Canada et la Finlande font office de très bons élèves en termes 2 de mobilité interdécile au sein de l’OCDE avec une mobilité interdécile proche de 15 80%. Une remarque importante s’impose à ce stade de l’analyse. On pourrait nous reprocher de comparer la mobilité sociale à l’école entre pays sans tenir compte des différences de disparité sociale entre ces pays. Il y a en effet une disparité sociale différente entre la Finlande ou l’Islande et les Etats-Unis ou le Canada. Cependant, la différence de mobilité sociale n’est que très faiblement corrélée à l’hétérogénéité sociale d’un pays. Si l’on compare les pays sur base de leur disparité sociale mesurée par la dispersion de l’indice socio-économique des élèves et leur mobilité sociale, on trouve une corrélation inférieure à -0.2. Ceci suggère que l’on peut difficilement attribuer une faible mobilité sociale à l’école à une disparité sociale plus élevée que dans les autres pays. Comme le suggèrent Dubet et al. (2010) les relations entre les sociétés et leur système scolaire sont relativement distinctes. La différence de mobilité sociale L’école n’est pas le reflet de la société. Des n’est que très faiblement corrélée sociétés relativement proches socialement à l’hétérogénéité sociale d’un pays peuvent avoir des systèmes scolaires très différents socialement. A l’inverse des sociétés relativement différentes socialement peuvent avoir des systèmes scolaires très proches socialement. C’est en fait une des contributions de notre analyse de montrer que l’intégration scolaire et l’intégration sociale sont deux choses différentes.

15 Au moment de finaliser ce livre, Tanguy Ollinger nous a fait remarquer que dans le calcul

des déciles nous ne prenons pas en compte les différents poids étudiants, ce qui implique des déciles avec un nombre d’élèves identiques mais des poids potentiellement différents. Tenir compte des poids des élèves dans le calcul des déciles a pour effet de réduire la mobilité interdécile du Canada et de la Finlande sans modifier leur classement en tête. Les résultats sont disponibles sur demande. Cette modification a aussi pour effet de renforcer la corrélation entre notre indice de mobilité interdécile, la mobilité de Spearman, et l’intensité du gradient social. Pour plus de détails sur les implications des pondérations élèves sur l’analyse nous renvoyons le lecteur au chapitre 3 du mémoire de fin d’étude de Tanguy Ollinger (2017).

39


Figure 2.2: La mobilité sociale interdécile à l’école (PISA 2012)

SVK DNK HUN FRA CZE BEL DEU NZL LUX ESP AUT OCDE IRL AUS POL GBR ITA PRT USA JPN SWE NLD KOR CHE ISL NOR FIN CAN

0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,5

0,6

0,7

0,8

0,9

Note : La mobilité interdécile normalisée mesure la mobilité moyenne des élèves entre leur décile socio-économique (ou position sociale) et leur décile dans les résultats au test PISA (position scolaire). La valeur est égale à 0 en cas d’absence de mobilité et augmente avec la mobilité ascendante pour atteindre 100% en cas de mobilité optimale. La mobilité optimale correspond à une situation d’égalité des chances au sens où on retrouve dans chaque décile scolaire un nombre équivalent de représentants de chaque décile social. Dans l’OCDE, l’indice de mobilité interdécile est de 61%, ce qui signifie une mobilité ascendante de 62% par rapport à une situation d’égalité des chances. Source : Données PISA 2012. Calculs propres.

Mobilité sociale à l’école et l’intensité du gradient social16 Faut-il cibler les politiques et efforts pédagogiques sur les élèves faibles ou sur les élèves socialement défavorisés (via la discrimination positive ou le financement différencié, voir chapitre 7) ? Pour répondre à cette question l’OCDE utilise le con­ cept de gradient social. Le gradient social mesure l’impact de l’origine social des élèves sur leurs résultats aux tests. Dans les pays où le gradient social est faible,

16 Comme indiqué dans le mémoire de Tanguy Ollinger (2017) il semble que les différences

entre l’intensité du gradient social et la mobilité sociale soient atténuées lorsque l’on tient compte des pondérations élèves dans la construction des déciles. C’est tout particulièrement le cas pour l’Italie et le Danemark. Les résultats sont disponibles sur demande.

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UN SYSTÈME SCOLAIRE ÉQUITABLE EST-IL PLUS EFFICACE ?

des mesures ciblant les élèves socialement défavorisés ne répondraient pas aux difficultés des élèves faibles. Pour ce qui concerne le gradient social Il faut distinguer sa pente et son intensité. La pente du gradient social indique l’ampleur de l’écart « moyen » de résultats scolaires entre élèves en fonction de l’écart socioéconomique entre élèves. L’intensité du gradient social indique le pourcentage de 2 la variation des résultats scolaires entre élèves imputables à l’origine socio-économique des élèves. Cette intensité du gradient social indique donc la mesure dans laquelle les résultats scolaires des élèves sont proches des prévisions moyennes basées sur la ligne du gradient sociale. Cet intensité du gradient sociale est une mesure de l’iniquité PISA. Nous représentons cette iniquité PISA dans le graphique 2.3 comme étant la part de la variance des résultats en mathématiques expliquée par l’ESCS.17 Il y a, dans ce sens, iniquité lorsqu’une grande partie des inégalités scolaires s’explique par des inégalités socio-économiques entre élèves. Cette mesure de l’équité classique est fortement corrélée avec notre mesure de mobilité interdécile. Les deux mesures sont cependant logiquement distinctes. En effet, la mobilité interdécile donne un poids différent aux individus en situation forte de décalage entre une position socio-économique faible et une position scolaire élevée. La comparaison de ces deux approches révèle quelques surprises. Ainsi, des pays comme le Danemark et la Pologne qui sont comparables en termes de l’intensité du gradient social, se révèlent très différents en termes de mobilité interdé- Il y a, dans ce sens, iniquité cile à l’école. Avec l’approche interdécile, le lorsqu’une grande partie des Danemark dégringole à l’avant dernière place inégalités scolaires s’explique par alors que la Pologne est au-dessus de la des inégalités socio-économiques moyenne de l’OCDE. L’ascenseur social est entre élèves donc plus efficace en Pologne qu’au Danemark pour les élèves les plus marginalisés socialement, ce qui ne transparaissait pas avec l’approche de l’intensité du gradient social. De la même manière, sur base de l’intensité du gradient social, le Canada est comparable à l’Italie, alors que la mobilité sociale à l’école est bien meilleure au Canada. Les systèmes scolaires au Canada ou en Pologne donnent donc de meilleures chances aux élèves plus marginalisés socialement.

17 C’est l’indice le plus souvent utilisé pour mesurer le lien entre origine sociale et résultats

scolaires. Voir par exemple en Belgique, Danhier et al. (2014) et M. Crahay (2012).

41


Figure 2.3 : Mobilité sociale et intensité du gradient social (PISA 2012)

FIN NOR ISL KOR

0.6

JPN ITA

NLD SWE

CHE GBR

USA AUS AUT IRL

0.5

ESP

POL

PRT

NZL LUX DEU BEL CZE

FRA HUN

SVK

0.4

DNK

0.3

Mobilité sociale normalisée

0.7

0.8

CAN

0.1

0.15

0.2

0.25

0.3

Iniquité PISA

Note : L’indice d’iniquité PISA mesure la proportion de la variance des résultats en mathématiques expliquée par l’indice socio-économique des élèves (l’intensité du gradient social). Source : Données PISA 2012. Calculs propres.

Une autre façon courante de mesurer l’inégalité des chances consiste à mesurer la corrélation entre l’indice socio-économique des élèves et leur résultat au test PISA (la pente de la ligne du gradient social). A nouveau cette mesure est corrélée à notre indice de mobilité interdécile, mais la corrélation n’est que partielle. En fait, l’approche consistant à regarder la corrélation entre les deux indices relève d’une perspective ex-ante de l’égalité des chances (la performance moyenne selon l’origine sociale). Notre approche interdécile, relève quant à elle d’une perspective expost de l’égalité des chances (la distribution des performances ex post en fonction de l’origine sociale). Selon notre définition de l’égalité des chances c’est bien la perspective ex-post de l’égalité des chances qui nous intéresse. Notre mobilité interdécile mesure donc au-delà du gradient social, la possibilité pour les élèves d’origine sociale très faible, de déjouer les pronostics (basés sur la ligne du gradient social) et d’échapper ainsi à l’emprise du milieu social. Cette mesure est utile pour la motivation à l’école car une forte mobilité interdécile suggère que « si on veut, on peut ». Tout n’est pas joué d’avance.

42


Mobilité sociale à l’école et performance scolaire Le triangle d’or de la qualité d’un système scolaire On utilise un graphique de bulles dans la figure 2.4 dans lequel les coordonnées des bulles représentent les valeurs de deux variables (score moyen relatif à la moyenne OCDE, et variance des scores d’un pays relative à la variance moyenne OCDE) et dans lequel la taille des bulles représente la valeur de la troisième variable (mobilité sociale à l’école relative à la moyenne OCDE). On constate dans la figure 2.4 que la taille des bulles est plus importante au-dessus de la ligne horizontale ce qui illustre une forme de synergie entre performance scolaire (résul-

43

2 UN SYSTÈME SCOLAIRE ÉQUITABLE EST-IL PLUS EFFICACE ?

Nous allons maintenant confronter la mobilité sociale des systèmes scolaires avec leurs niveaux de performance et d’inégalité. Cette extension est nécessaire compte tenu de notre approche de la mobilité ordinale dans laquelle l’éducation est perçue comme un bien « positionnel » et non comme un bien absolu qui a un effet direct et positif sur les élèves (voir Dubet et al., 2011). Il importe donc de compléter notre analyse des systèmes scolaires par une étude de leur performance moyenne (impact moyen de l’école sur les élèves) et de leur inégalité scolaire (variance de l’impact de l’école sur les élèves). La position relative des pays dans ce que nous appelons le triangle d’or qui rassemble les critères de mobilité, d’égalité et de performance. Nous considérons que la qualité d’un système scolaire doit s’apprécier au travers d’une analyse conjointe de ces trois critères. Nous souhaitons en particulier vérifier si des pays arrivent à exceller simultanément sur ces trois critères. Nous souhaitons aussi vérifier si ces trois critères sont compatibles entre eux. Pour bien comprendre que la mobilité sociale à l’école est un critère distinct de l’inégalité scolaire, considérons deux systèmes scolaires A et B avec une même inégalité des résultats scolaires entre élèves. En termes d’inégalité scolaire ces deux systèmes sont équivalents. On pourrait même supposer qu’ils produisent un niveau scolaire moyen identique, ce qui les rend aussi équivalents en termes de performance moyenne. Cependant le système scolaire A est caractérisé par une absence totale de mobilité sociale à l’école : c’est-à-dire la position scolaire est totalement déterminée par la position sociale de l’élève. A l’inverse le système scolaire B est caractérisé par une mobilité sociale parfaite, ce qui signifie que la position scolaire de l’élève est totalement indépendante de sa position sociale. Il semble essentiel de tenir compte de cette différence dans l’évaluation des deux systèmes scolaires indépendamment de leur performance et de la distribution des résultats scolaires. C’est ce que nous allons maintenant faire.


tat moyen) et mobilité sociale à l’école (indice de mobilité interdécile). Les données utilisées rassemblent quatre vagues successives de test PISA entre 2003 et 2012 dans le but de stabiliser les résultats. Pour chaque pays nous calculons la moyenne sur les quatre tests PISA du résultat moyen, de la variance des résultats et de la mobilité interdécile. Ce sont ces valeurs qui sont représentées dans la figure 2.4.

1.1

Figure 2.4 : Performance, inégalité et mobilité scolaire (PISA 2003-2012)

. KOR

. CAN

. JPN. CHE

. NL

. AUS. NZL 1

. DNK

. ISL . POL . SWE . NOR

. IRL

0.95

. HUN . ESP . USA . PRT

. AUT . LUX

. BEL . DEU

. FRA

. CZE

. SVK

. ITA

0.9

Performance moyenne

1.05

. FIN

0.9

0.95

1

1.05

1.1

Inégalité

Note : L’axe horizontal indique les écarts de résultats entre élèves dans chaque pays relativement à la moyenne de l’OCDE. Une inégalité supérieure à 1 indique une inégalité supérieure à la moyenne dans ce pays et vice versa. L’axe vertical indique les résultats moyens en math dans chaque pays relativement à la moyenne de l’OCDE. Une performance supérieure à 1 indique donc des résultats scolaires dans ce pays supérieurs à la moyenne de l’OCDE. La taille des bulles indique la mobilité interdécile. Source : Données PISA 2003 à 2012. Calculs propres.

Nous vérifions maintenant que la mobilité sociale à l’école ne se fait pas au détriment de la performance. Il n’y a donc pas de conflit au niveau d’un pays (c’est-àdire hors effets de sélection entre écoles) entre promouvoir la mobilité sociale d’un système scolaire et le fait de relever le niveau scolaire général. « En matière d’école la question de l’excellence se pose au sommet de l’échelle comme au fond

44


des abysses, la meilleure école pour les meilleurs élèves et la meilleure école pour les naufragés, tout est là… » (Pennac, 2012).

Mobilité et performance scolaire

18 Cette corrélation est réduite mais reste positive si l’on utilise les poids élèves dans le calcul

des déciles (Ollinger 2017).

45

2 UN SYSTÈME SCOLAIRE ÉQUITABLE EST-IL PLUS EFFICACE ?

Sur base du test PISA 2012, nous observons que mobilité et performance, mesurée par le niveau moyen des élèves, évoluent dans le même sens si l’on compare les différents systèmes scolaires dans l’OCDE. Sur base de cette comparaison internationale, la corrélation entre mobilité sociale à l’école et résultat moyen au test PISA 2012 est de 36 pour cent. Les pays avec une mobilité sociale à l’école supérieure à la moyenne sont aussi le plus souvent les pays qui produisent un niveau moyen d’enseignement supérieur à la moyenne. Pour nous assurer de la robustesse de cette relation empirique, nous calculons cette relation sur base de l’ensemble des tests PISA entre 2003 et 2012 (soit quatre vagues successives de tests PISA). Pour chaque pays nous avons calculer sa performance moyenne au test en math sur la période et son indice de mobilité moyenne sur cette même période. Nous avons ensuite confronté ces deux indices moyens dans le graphique 2.5 cidessous. Nous obtenons comme résultat assez surprenant que la mobilité sociale à l’école et la performance sont corrélés positivement. Les pays dont le système scolaire est plus performant sont souvent les pays dont mobilité sociale à l’école est plus élevée. Le taux de corrélation entre ces deux variables est de 40 pour cent.18 Comment expliquer cela ? Comme indiqué dans l’introduction notre interprétation des résultats doit être prudente pour deux raisons. Primo, notre corrélation n’est pas une relation de causalité. Secundo, cette corrélation est un résultat agrégé au niveau d’un pays ce qui exclut la possibilité d’une relation inverse au niveau plus désagrégé (notamment en raison d’une possible sélection des élèves entre écoles). Compte tenu de ces réserves, une explication possible du lien entre performance et mobilité scolaire est qu’une politique d’égalité des chances permet d’ouvrir « la réserve de talents » que représentent les enfants des classes populaires, ce qui améliore le niveau d’ensemble. Dans cet esprit, des politiques favorables à l’égalité des chances réduisent le sentiment d’impuissance face à l’école des élèves socialement défavorisés, ce qui à son tour motive les élèves et suscite l’émulation (c’est le « pourquoi pas moi ? » ou le « yes we can !»). Plus nombreux sont les prétendants à la victoire, plus intense sera la course et plus grande sera la performance d’ensemble. L’égalité des chances tire ainsi tout le monde vers le haut comme la marée montante tire petits et gros bateaux vers le haut. Entendons-nous bien, ceci est une vue d’ensemble qui n’exclut pas qu’au niveau des écoles il existe des élèves qui piétinent et s’ennuient face


à des enseignements abstraits, et qui ralentissent la progression de l’ensemble de la classe. De la même manière, il existe des pays qui combinent faible mobilité sociale et performance supérieure à la moyenne (comme la Belgique ou l’Allemagne). Freeman et al. (2010) ont aussi trouvé un cercle vertueux entre égalité des chances et performance sur base d’une comparaison internationale des tests standardisés, Trends in International Mathematics and Science Study (TIMMS), en mathématique entre 1999 et 2007 pour un échantillon total de plus 250.000 élèves en grade 8 (13-14 ans).

0.8

Figure 2.5 : Mobilité et performance scolaire (PISA 2003-2012)

FIN

ISL NOR SWE POL IRL

ESP 0.6

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NLD

NZL

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DNK FRA CZE DEU

0.5

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USA

JPN CHE

AUS

BEL

HUN

0.4

Moblité sociale normalisé

0.7

CAN

480

500

520

Performance moyenne

540

560 Corrélation = 0.4

Source : Données PISA 2003 à 2012. Calculs propres.

Notre interprétation du lien entre performance et mobilité scolaire repose sur l’hypothèse classique en économie / de l’individualisme méthodologique selon laquelle les faits et les processus sociaux doivent être appréhendés comme l’addition de conduites et de représentations individuelles en interaction. L’individu constitue l’élément premier de toute analyse des phénomènes sociaux. Comprendre le social, c’est, dans cette perspective, analyser la façon dont l’ensemble des actions individuelles s’agrègent pour créer un phénomène social. Une partie de la sociologie partage cette approche Raymond Boudon en France ou James

46


47

2 UN SYSTÈME SCOLAIRE ÉQUITABLE EST-IL PLUS EFFICACE ?

Coleman aux Etats-Unis sont des représentants célèbres du paradigme de l’individualisme méthodologique (qui puise sa source dans la sociologie de Max Weber). A la différence des économistes, les sociologues ne se limitent pas à la prise en considération des motivations utilitaristes. Selon Boudon (2004), « le paradigme de l’individualisme méthodologique déclare l’acteur rationnel dès lors que ses actions, croyances ou attitudes sont perçues par lui, de façon plus ou moins consciente, comme faisant sens parce que fondées pour lui sur des raisons fortes. » (Boudon, 2004, p. 296). Ce concept de rationalité cognitive de Boudon nous semble offrir une interprétation pertinente à notre relation entre performance et mobilité scolaire. Car dans un système scolaire où les enfants ont des chances égales de réussite scolaire, la confiance en l’action individuelle est plus grande et chacun est encouragé à s’investir pleinement dans sa scolarité. A l’inverse dans un système scolaire où les chances face à l’école sont fortement liées à l’origine sociale, l’école devient un lieu de l’impuissance apprise (Learned Helplessness) pour les enfants des quartiers populaires. Il en résulte une baisse générale de motivation et de la performance scolaire. Une autre partie de la sociologie rejette cet individualisme méthodologique, dans la foulée des travaux de Pierre Bourdieu. Pour l’école bourdieusienne l’individu n’est pas l’unité d’analyse première car il est en définitive le produit des structures sociales. Son absence d’autonomie réelle de choix implique qu’il est inutile d’intégrer la dimension proprement individuelle dans l’analyse des phénomènes sociaux car les intentions et les objectifs d’action des individus sont pour l’essentiel résumés dans la place qu’ils occupent dans la société. C’est dans cette perspective que Bourdieu & Passeron (1970) développent leur célèbre théorie sur la reproduction sociale en se cantonnant au système scolaire. Il est remarquable de constater que ces deux approches distinctes de l’éducation en sociologie aboutissent au même constat d’échec : l’école est incapable d’éliminer les inégalités scolaires qui sont le reflet indélébile des inégalités sociales. En particulier la démocratisation de l’école débouche sur une course aux diplômes. Désormais pour le même poste il faudra un diplôme plus élevé. Il y a donc un déplacement vers le haut de la hiérarchie des niveaux scolaires sans modifier la position sociale des élèves. Contrairement à Bourdieu & Passeron (1970), des auteurs comme Dubet et al. (2010), prétendent que l’on ne peut pas comprendre la reproduction sociale en se cantonnant à l’école. Il faut aussi prendre en considération l’interaction entre l’école et l’emploi. En particulier, ces auteurs suggèrent, au travers d’une comparaison de pays ayant le même niveau de développement, que plus l’emprise du diplôme est forte plus la reproduction sociale est forte (et donc la mobilité sociale en termes de revenus est faible). Nous reviendrons dans la section suivante sur la relation entre l’emprise du diplôme et la mobilité sociale, car cela ne nous permet pas ici de comprendre la relation entre performance et mobilité scolaire.


La courbe de Gatsby revisitée La controverse sur la courbe de Gatsby des revenus Alan Krueger (2012) a popularisé dans un discours au Center for American Progress sous le vocable « The Great Gatsby Curve », la relation inverse entre la mobilité intergénérationnelle des revenus (mesurée par l’élasticité entre le revenu des parents et le revenu des enfants) et l’inégalité économique (mesurée par le coefficient de Gini). Ce constat empirique a suscité beaucoup de controverses. D’abord dans l’opinion publique, car il suggère le déclin du rêve américain : l’inégalité économique serait un obstacle à la mobilité sociale. Dans un monde où les inégalités sont croissantes, les possibilités d’échapper à son destin seraient réduites. Les inégalités ne seraient donc plus temporaires mais persistantes entre générations. Comme concluait F.S. Fitzgerald dans son livre, The Great Gatsby (1925) « So we beat on, boats against the current, borne back ceaselessly into the past. ». La courbe de Gatsby a aussi suscité la controverse dans le monde académique, car comme le suggère depuis le début son père fondateur, le professeur Miles Corak, cette corrélation n’est pas une causalité. Elle repose en outre sur des hypothèses assez fortes en matière de mesure du revenu entre générations différentes (Corak (2013)). Plus surprenant encore, Corak et al. (2014) ont montré que cette corrélation pourrait tout simplement ne pas exister. En effet, la courbe de Gastby est biaisée par le fait qu’elle utilise l’élasticité intergénérationnelle des revenus comme indice de mobilité sociale. Il se fait que par construction, une augmentation des inégalités de revenus augmente mécaniquement l’élasticité intergénérationnelle, baissant de ce fait la mobilité sociale. Si on adopte une mobilité sociale de rang indépendante de la distribution des revenus, la relation entre mobilité sociale et inégalité s’atténue très fortement. En fait Corak et al. (2014) montre que la Suède, le Canada et les Etats-Unis ont une mobilité sociale de rang assez comparable, mais que les inégalités sont croissantes entre ces trois pays. Ce qui invalide la courbe de Gatsby des revenus entre pays. Nous revenons sur cette controverse dans la conclusion.

La courbe de Gatsby de l’école19 Nous allons comparer entre pays la mobilité sociale interdécile à l’école et les inégalités scolaires. Pour assurer une certaine robustesse à notre analyse nous menons cette analyse sur base des résultats aux tests PISA entre 2003 et 2012. Pour chaque 19 Tenir compte du poids des élèves dans le calcul des déciles ne modifie pas la relation de

Gatsby obtenue dans cette section mais atténue légèrement l’ampleur de la corrélation entre mobilité et inégalités (Résultats disponibles sur demande).

48


0.8

Figure 2.6 : La courbe de Gatsby des inégalités scolaires entre élèves (PISA 2003-2012)

FIN

ISL NOR

0.6

IRL

ESP

NLD GBR

ITA

NZL

LUX FRA

0.5

DNK

JPN SWE KOR AUS POL CHE PRT USA AUT

SVK DEU

CZE

BEL

HUN 0.4

Moblité sociale normalisé

0.7

CAN

80

85

90

Inégalité

95

100 Corrélation = 0.58

Source : Données PISA 2003 à 2012. Calculs propres.

L’interprétation de cette relation inverse entre mobilité et inégalités scolaires est délicate car nous ne disposons que d’une corrélation et non d’une relation de causalité. Nous ne pouvons donc pas prétendre que les inégalités scolaires réduisent la mobilité sociale à l’école. Ce que nous pouvons établir c’est que les systèmes scolaires avec faible inégalité scolaire sont aussi souvent caractérisés par une plus forte mobilité scolaire. Une façon possible (et pas définitive) d’interpréter cette relation est liée à la différentiation verticale entre écoles comme nous l’indiquons dans la figure 2.7. où nous comparons la mobilité sociale à l’école est l’inégalité

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2 UN SYSTÈME SCOLAIRE ÉQUITABLE EST-IL PLUS EFFICACE ?

pays nous calculons son indice moyen de mobilité interdécile sur la période et son indice moyen d’inégalité scolaire entre élèves. Comme indiqué dans la figure 2.6, nous obtenons une corrélation négative de 58 pour cent entre la mobilité interdécile à l’école et l’écart type des résultats scolaires. Cette relation doit nous interpeller car elle concerne la capacité de l’école à promouvoir la mobilité sociale en présence d’inégalité scolaire. Cette relation relativise aussi le débat politique entre égalité des chances et égalité des résultats qui semblent représenter les deux faces d’une même réalité. L’inégalité scolaire se dresse comme un obstacle à la mobilité sociale à l’école.


de niveau entre établissements scolaires. En fait nous avons calculé sur base d’une décomposition de Theil, pour chaque pays, la part de l’inégalité des résultats scolaires entre élèves attribuable à une inégalité entre école (between schools), le reste étant l’inégalité au sein des écoles (within schools). En superposant cette inégalité entre établissements scolaires avec la mobilité sociale à l’école nous obtenons une corrélation négative de 64 pour cent (figure 2.7). Cette relation suggère que les systèmes scolaires avec différenciation verticale des écoles comme en Allemagne, Belgique et France ont moins de mobilité scolaire que les systèmes scolaires avec différenciation horizontale comme le Canada, la Finlande et l’Irlande.20

0.8

Figure 2.7 : La courbe de Gatsby des inégalités entre écoles (PISA 2003-2012)

CAN ISL

NOR

0.6

SWE AUS ESP POL IRL NZL DNK

CHE

USA GBR

KOR

JPN

PRT

AUT

LUX

SVK

0.5

Moblité sociale normalisé

0.7

FIN

NLD

ITA FRA DEU BEL CZE

0.4

HUN

0.2

0.3

0.4

0.5

Inégalités entre écoles

0.6

0.7 Corrélation = 0.64

Source : Données PISA 2003 à 2012. Calculs propres.

Pouvons-nous interpréter cette relation entre inégalité et mobilité scolaire à la lumière des travaux en sociologie de Dubet et al. (2010) sur l’emprise du diplôme ? L’un des points forts de leur analyse est de dire que c’est surtout l’importance de l’emprise des diplômes sur l’emploi qui définit les inégalités scolaires et la repro20 Par ‘différenciation verticale’, nous entendons une segmentation des écoles selon le niveau

académique des élèves; et par ‘différenciation horizontale’ nous entendons une segmentation des écoles selon l’approche pédagogique ou le projet scolaire.

50


Conclusions et recommandations La mobilité sociale d’un système scolaire est étroitement liée à l’inégalité scolaire. Les pays comme la Belgique avec une forte inégalité entre écoles sont aussi caractérisés par une faible mobilité sociale à l’école. A l’inverse des pays comme la Pologne ou le Canada sont caractérisés par une faible inégalité entre écoles et une forte mobilité sociale à l’école. Dans le premier cas on peut parler d’un modèle de différenciation verticale des écoles et dans le second cas d’un modèle de différenciation horizontale des écoles. La mobilité sociale à l’école est un concept logiquement distinct de l’inégalité scolaire. Sur base des tests PISA entre 2003 et 2012 dans les pays de l’OCDE, nous avons montré une forte relation inverse entre mobilité sociale à l’école et inégalités scolaires : la Courbe de Gatsby revisitée. Mankiw (2013) a fortement critiqué l’interprétation de la courbe de Gatsby en suggérant que la relation inverse entre inégalité et mobilité sociale est un artefact d’une différence dans l’hétérogénéité des groupes. Dans un groupe hétérogène avec forte inégalité, la mobilité sociale est plus faible. Cette critique ne se vérifie pas dans notre comparaison des systèmes scolaires car si l’on compare les pays sur base de leur disparité sociale mesurée par la dispersion de l’indice socio-économique des élèves et de la dispersion de leurs résultats en mathématiques, on

21 En fait pour démontrer cela il faudrait considérer que le coût du signal est décroissant

avec la position sociale de la personne. Les auteurs ne démontrent pas non plus si le signal est « crédible » au sens où il peut être considéré comme authentique et informateur par l’employeur sur la compétence réelle de la personne (cf. Spence, 1973).

51

2 UN SYSTÈME SCOLAIRE ÉQUITABLE EST-IL PLUS EFFICACE ?

duction sociale. Leur argument se base sur la théorie du signalement en éducation (Spence, 1973). Quand les élèves et les familles savent que leur position sociale se détermine à l’école, ils font tout pour optimiser leurs chances et accentuent ainsi la concurrence entre les élèves, entre les filières, entre les établissements. Comme les diplômes valent avant tout par leur capacité de hiérarchisation des compétences, réelles ou supposées, chacun a intérêt à se distinguer des autres. Sans vraiment le démontrer, les auteurs prétendent qu’à ce jeu, les familles les plus aisées s’en sortent le mieux.21 Par conséquent, non seulement l’emprise scolaire creuse les inégalités scolaires, mais elle accentue aussi la reproduction sociale. Notez que leur notion de reproduction sociale repose sur la corrélation entre revenu des parents et revenus des enfants. Ce faisant les auteurs mélangent les inégalités sociales du marché du travail et celles du système scolaire. Notre relation entre mobilité et inégalité scolaire se cantonne exclusivement au système scolaire en laissant volontairement à l’écart les différences d’inégalité sociale sur le marché du travail entre pays.


trouve une corrélation nulle (-0.01 entre 2003 et 2012). En d’autres termes, ce qui fait le lien entre l’inégalité scolaire et la mobilité sociale à l’école c’est probablement le système scolaire. Au final l’argument de Mankiw est que la mobilité est liée à l’écart de talents. Pourtant, au niveau d’un pays, par la loi des grands nombres on doit s’attendre à une distribution de talents identiques dans chaque pays. Ce que notre rapport révèle c’est que si les pays ont tous adopté des mesures et politiques pour améliorer l’égalité des chances à l’école, certains pays y sont arrivés beaucoup mieux que d’autres. Si les pays ont tous adopté des mesures Notre analyse, en comparant différents systèmes scolaires, montre en et politiques pour améliorer l’égalité outre que le changement est possible des chances à l’école, certains pays y sont arrivés beaucoup mieux que nous sans opposer l’excellence à l’équité, et sans opposer égalité et mobilité sociale à l’école. Cela doit nous conduire à dépasser les clivages idéologiques en matière de système scolaire pour aborder la question de la qualité de notre enseignement de façon pragmatique et concrète. Il semble possible d’améliorer durablement les résultats des élèves défavorisés en agissant sur ce groupe suffisamment tôt et suffisamment fort, comme nous le démontre les expériences au Canada, en Angleterre et au Japon. Miles Corak (2016) dans sa comparaison de la mobilité sociale (sur base de l’élasticité intergénérationnelle des revenus) entre le canada et les Etats-Unis insiste sur l’importance de l’éducation dans les premières années de vie de l’enfant et le temps consacré par les parents à l’éducation de l’enfant (durée du congé maternité, pourcentage de familles divorcées, durée de travail des parents et disponibilité le soir…) en montrant que cela permet d’améliorer la mobilité sociale, et en mettant l’accent sur le fait qu’il ne faut pas uniquement considérer les ressources monétaires, mais aussi justement ces ressources non-monétaires. Le modèle des « school academies » en Angleterre est aussi intéressant avec un accent particulier mis sur l’autonomie accrue des équipes pédagogiques et directions d’établissement scolaire.22 Cela nécessite un effort pédagogique important, et des compétences adéquates des enseignants. C’est la raison pour laquelle la formation et les compétences des enseignants sont cruciales. « Il suffit d’un professeur – un seul ! – pour nous sauver de nous-même et nous faire oublier tous les autres » (Pennac, 2007). Plus de résultats et plus d’équité et de mobilité sociale dans nos écoles exigent vraisemblablement de combiner compétence et motivation des équipes pédagogiques avec une organisation efficace des écoles et du système scolaire. L’implication des parents est un facteur important de réussite scolaire, mais c’est aussi, ne

22 Voir Machin & Vernoit (2010) pour une estimation de l’impact de l’autonomie des

équipes pédagogiques sur les résultats scolaires. Voir aussi Verschelde et al., (2015) pour une telle analyse au niveau belge sur base de la discrétion (aléatoire) plus ou moins grande laissée par les pouvoirs organisateurs aux chefs d’établissements scolaires.

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UN SYSTÈME SCOLAIRE ÉQUITABLE EST-IL PLUS EFFICACE ?

nous le cachons pas, un frein potentiel à la mobilité sociale. Dans le parcours scolaire, les mieux armés sont ceux dont les parents connaissent le fonctionnement du système, pour les guider dans leurs choix d’orientation ou les soutenir dans leurs études, financièrement ou par le biais d’activités et d’aide aux devoirs. Comme l’indique une étude de l’Insee (Gouyon (2004)), 80 % des mères qui n’ont 2 pas de diplôme s’estiment dépassées pour aider leurs enfants dans leurs études au collège, contre 26 % pour les diplômées de l’enseignement supérieur. Le chômage, la précarité professionnelle et une montée de la pauvreté, qui frappe notamment les familles monoparentales placent les enfants des familles les plus démunies dans des conditions d’études difficiles. Godin et Hindriks (2016) ont montré que l’effet brut de la famille monoparentale est une baisse de 5% des résultats scolaires en moyenne dans l’OCDE. Si l’on ajuste pour le niveau socioéconomique de l’élève, la pénalité liée aux familles monoparentales (d’un même niveau socio-économique que la famille classique) est divisée par deux : soit 2,5% dans l’OCDE. L’effet des familles monoparentales diffère selon le genre de l’élève, avec un effet négatif sur les résultats scolaires plus important pour les garçons que les filles. Concernant la mobilité sociale, si l’on ajuste l’effet des familles monoparentales pour tenir compte de l’indice socioéconomique des élèves, on obtient dans la majorité des pays une moindre mobilité sociale des élèves dans les familles monoparentales dont le niveau socio-économique est comparable aux familles clas- Le surpeuplement des logements siques. Goux & Maurin (2005) ont montré dans les milieux défavorisés que le surpeuplement des logements dans les influence significativement milieux défavorisés influence significativele niveau scolaire ment le niveau scolaire. Michel Duée (2005) et Rege et al. (2011) montrent respectivement pour la France et la Norvège, que si l’on tient compte des autres facteurs qui influencent les résultats scolaires, les enfants dont les parents ont connu la précarité professionnelle ont de moins bons résultats que les autres.23 Nous devons répondre à cette réalité dans notre lutte pour l’égalité des chances.

23 Duée (2005) montre que le taux d’obtention du bac baisse de 20 points de pour cent

lorsque l’enfant a connu la précarité définie comme une situation de chômage, inactivité (hors étude ou retraite) ou emploi précaire chez le père. Rege et al. (2011) démontrent une asymétrie entre perte d’emploi chez le père ou la mère. Dans le second cas l’effet négatif sur les résultats scolaires semble moins important (et parfois non significatif).

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2 UN SYSTÈME SCOLAIRE ÉQUITABLE EST-IL PLUS EFFICACE ?

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3

La ségrégation et les inégalités sociales à l’école  1

Jean Hindriks

1

Ce chapitre est basé sur un rapport Itinera de décembre 2014 que l’auteur a écrit en collaboration avec Guillaume Lamy qui depuis ne travaille plus sur ce sujet. Cette version est une révision substantielle du rapport initial avec notamment une actualisation des certains résultats sur base de PISA 2015. L’auteur remercie Mattéo Godin pour son assistance ponctuelle mais très efficace.

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RÉSUMÉ Les discussions autour de la ségrégation sociale dans les écoles et les inégalités sociales du système scolaire font partie des débats qui provoquent d’intenses polémiques. Chacun reste bien souvent cantonné sur ses positions et présupposés idéologiques. La préoccupation pour la mixité et l’inégalité sociale dans les écoles n’est pas nouvelle. A vrai dire les récentes réformes des systèmes scolaires gravitent autour de cette problématique. Dans ce chapitre nous proposons une évaluation ouverte qui permet à la discussion de s’établir sur la base d’éléments factuels précis, où les croyances des uns et des autres sont confrontées à des arguments objectifs. Une première question consiste à mesurer le niveau de ségrégation des écoles. En fait, alors qu’on parle souvent de ségrégation scolaire, il semble qu’on n’ait jamais vraiment pris le soin de la mesurer de manière convaincante et systématique. Pour ce faire nous allons utiliser des indices de ségrégation plus complets et moins ponctuels sur base des enquêtes PISA entre 2003 et 2015. Pour savoir si le niveau de ségrégation d’un pays est élevé ou non, nous allons comparer la ségrégation entre pays pour déterminer un niveau de référence, et nous allons comparer la ségrégation scolaire d’un même pays dans le temps pour savoir si elle diminue ou augmente. Nous montrons que la Belgique a l’un des taux de ségrégation sociale à l’école les plus élevés de l’OCDE. On retrouve également de forts taux de ségrégation dans les deux communautés prises séparément. Entre, 2003 et 2015 la ségrégation scolaire a stagné dans les écoles flamandes et augemté avant de baissé dans les écoles francophones. Après les faits, nous discutons des effets de la ségrégation sociale, en établissant notamment une relation inverse entre performance scolaire et ségrégation sociale). Nous terminons avec une analyse des causes possibles de cette ségrégation au niveau belge en distinguant le système de relégation par filières et les pratiques scolaires de redoublement et de transfert d’élèves entre établissements. En 2012, nous montrons que la relégation entre filières contribue pour 45% de la ségrégation sociale en Communauté flamande et 20% en Communauté française, où le redoublement et le changement d’école jouent un rôle plus important dans la ségrégation sociale.

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Le contexte politique belge

2 3

PISA Results 2012: Excellence Through Equity: Giving Every Student the Chance to Succeed (Vol 2). OECD, 2012. Hirtt, 2014.

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3 LA SÉGRÉGATION ET LES INÉGALITÉS SOCIALES À L’ÉCOLE

L’excellence par l’inclusion est une conclusion centrale du rapport PISA 2012.2 Les pays qui réussissent le mieux aux tests PISA 2012 en mathématiques sont aussi les pays qui ont réussi à promouvoir l’inclusion sociale. Il semble en effet exister une relation étroite entre l’inclusion sociale et la performance des élèves de milieux défavorisés. Les pays qui n’arrivent pas à redresser les performances de leurs élèves défavorisés se caractérisent souvent par une forte sélection sociale et de faibles résultats moyens. Cette inclusion sociale se traduit concrètement par la mixité sociale dans les écoles – c’est-à-dire la distribution égale d’élèves de milieux sociaux différents entre les écoles-. Cette mixité sociale est présente à des degrés variables dans les pays européens. La promotion de cette mixité sociale est devenue aujourd’hui un objectif important pour de nombreux acteurs politiques, en Belgique surtout où les Décrets Inscription et l’allongement du tronc commun suscitent de nombreuses discussions en Communauté flamande comme en Fédération Wallonie-Bruxelles. Cet objectif de mixité sociale est perçu par certains comme un moyen efficace de réduire les inégalités sociales dans les résultats scolaires. L’enseignement en Belgique est socialement inégal. La réussite scolaire est fortement dépendante de l’origine sociale des élèves. Le Décret Inscriptions en Communauté française et le GOK (Gelijke Onderwijskansen) en Communauté flamande agitent l’opinion publique, mais passent sous silence le fait que les élèves de famille modeste sont avant tout victimes des réorientations en cascade. La réussite scolaire est socialement inégale. Des enfants de milieux modestes ont deux fois moins de chances de réussir que des enfants de milieux favorisés. Cette situation est comparable dans les deux Communautés, même si elle est sensiblement plus marquée en Communauté française. Ce constat n’est pas nouveau et a été étudié dans les milieux académiques belges par des auteurs comme Jacobs et al. (2009), Jacobs & Rea (2011), Jacobs et al. (2013), Baye et al. (2010), Hindriks et al. (2009), Hindriks & Verschelde (2010). Dans son étude récente basée sur PISA 2012, Nico Hirtt (2014) confirme que la Belgique et la France sont les champions des inégalités sociales en matière d’enseignement.3 Cette étude a eu un impact médiatique important en Communauté française. Une autre étude récente, et très médiatisée en Flandre, de Wim Van den Broeck (2014) propose une analyse opposée en suggérant que si l’on contrôle le degré d’hétérogénéité socio-économique dans la population pour comparer les inégalités sociales entre pays, la Flandre n’est plus aussi inégalitaire que


ce que les analyses classiques suggèrent.4 En outre, son étude révèle sur base de PISA 2012 que le pourcentage d’enfants d’origine sociale faible avec des résultats scolaires élevés (le taux de résilience) est plus élevé en Flandre qu’en Finlande.5 En fait l’étude révèle que la Flandre a le taux de résilience le plus élevé d’Europe (10%) tant pour les garçons que pour les filles (pour une moyenne de 6,4% dans l’OCDE). Cela suggère une mobilité sociale plus forte dans l’école flamande.6 C’est un résultat important qui mérite que l’on s’interroge plus en profondeur sur la question de l’inégalité sociale dans notre enseignement pour éviter de tomber sur des idées reçues et des jugements simplistes. Dans cet article, nous revenons sur cette question de la performance et des inégalités sociales dans notre enseignement en Belgique en distinguant bien les deux communautés. Il nous semble en effet crucial de mieux comprendre le phénomène et de mieux l’évaluer si l’on souhaite changer efficacement notre système scolaire. Notre analyse vient donc compléter les études déjà existantes. Comme le suggère très justement Estelle Cantillon (2013) : « Mieux comprendre et mieux évaluer, c’est aussi faciliter le changement ». L’inégalité sociale face à l’école est un sujet qui alimente aussi beaucoup les débats dans le monde politique et les médias. En ce qui concerne la Flandre, en 2007-2008, le Ministre de l’enseignement flamand Frank Vandenbroucke a publié une note politique sur le sujet «Gelijke kansen op de hele onderwijsladder : een tienkamp ». En 2010, le Ministre de l’enseignement flamand Pascal Smet publie sa note d’orientation sur le même sujet « Mensen doen schitteren », et en 2014 le Gouvernement flamand adopte son « Hervorming Secundair Onderwijs Masterplan » avec pour motivation centrale de réduire les inégalités sociales dans l’enseignement secondaire.7 En Communauté française, le débat politique sur les inégalités sociales à l’école s’est concentré davantage sur la régulation des inscriptions scolaires, même si ce n’est pas nécessairement le moyen le plus efficace de réduire les inégalités sociales à l’école. Depuis 2007, différents décrets ont vu le jour afin de réguler les inscriptions en première année du secondaire dans le but de promouvoir plus de mixité sociale. Le premier en date fut adopté par la Ministre Marie Arena en 2007, le décret dit « file d’attente ». Ce décret affectait les élèves entrés en première année du secondaire en 2008, et donc majoritairement nés en 1996. Cette année est particulièrement intéressante étant donné que ce sont les 4 5

6 7

Van den Broeck, 2014. Le taux de résilience d’un pays selon l’OCDE mesure le pourcentage des élèves du quartile socio-économique le plus défavorisé (25% indice socio-économique faible) de ce pays qui figurent dans le quartile supérieur des élèves avec les meilleurs résultats de l’OCDE.). Cette mesure de la résilience est une mesure internationale de la résilience qui favorise les pays avec niveau moyen PISA élevé puisque l’on compare les résultats au test des élèves de pays différents. Cette résilience n’est pas, à proprement parler, une mesure nationale de mobilité sociale, puisque l’on compare les élèves de niveau socio-économique faibles flamands avec les élèves des autres pays, et pas avec les élèves de niveau socio-économique élevé flamands. Voir http://www.hervormingsecundair.be/.

60


8 9

Voir http://www.inscription.cfwb.be/index.php?id=279. Sans vouloir en faire le sujet de ce rapport, il convient de remarquer que cette affirmation n’est pas étayée par les études scientifiques récentes comme l’indique clairement Lavrijsen, Nicaise & Wouters (2013). Dans Hindriks et al. (2009) nous avions déjà démontré que les inégalités sociales sont plus importantes en Communauté française alors que le tronc commun s’y prolonge deux ans plus tard qu’en Flandre. La raison invoquée étant un taux de redoublement plus élevé avec la prolongation du tronc commun en Communauté française. C’est fort justement que le professeur Dupriez dans son interview conditionne le succès du prolongement du tronc commun à une réduction en amont des écarts scolaires entre élèves au niveau de l’enseignement primaire (La Libre 16-17 août 2014).

61

3 LA SÉGRÉGATION ET LES INÉGALITÉS SOCIALES À L’ÉCOLE

enfants nés en 1996 qui ont été testés lors de l’enquête PISA 2012. Ainsi, la publication des résultats de l’enquête PISA 2012 et 2015 va nous permettre d’évaluer l’impact de celui-ci sur la ségrégation sociale. Aujourd’hui, les inscriptions en première année du secondaire en Communauté française sont réglées par le décret Simonet adopté en décembre 2011. L’objectif explicite du décret est de promouvoir une plus forte mixité sociale dans les écoles du secondaire en Communauté française.8 Aujourd’hui, une proposition forte incluse dans le nouvel accord de gouvernement PS-CDH à la Fédération Wallonie-Bruxelles est de prolonger d’un an le tronc commun, en reportant le choix de la filière au terme de la troisième secondaire et non plus de la deuxième comme c’est le cas aujourd’hui. Cette proposition de prolonger le tronc commun est une mesure phare du Pacte d’Excellence pour l’Enseignement. Le but annoncé est de réduire les inégalités sociales dans l’enseignement francophone. Selon le professeur Dupriez (directeur du Girsef) « quand le tronc commun dure plus longtemps les résultats dépendent moins de l’origine des élèves » (La Libre 16-17 août 2014).9 Dans les deux communautés, pour limiter les inégalités sociales et promouvoir la mixité sociale à l’école on a aussi mis en place des politiques de financement différencié avec un succès mitigé. En 2002, le Gouvernement flamand a tenté de remédier aux inégalités sociales élevées dans l’éducation par le décret GOK. La pratique de l’encadrement différencié est en place depuis l’année scolaire 2003-2004. Ce Gouvernement a choisi de mettre en œuvre une politique visant spécifiquement Dans les deux communautés, pour limiter les élèves issus de milieux défa- les inégalités sociales et promouvoir vorisés en les identifiant par un la mixité sociale à l’école on a aussi mis certain nombre d’« indicateurs en place des politiques de financement d’éducation égale». Les chiffres différencié avec un succès mitigé de la politique dans l’enseignement primaire montrent cependant que la grande majorité des élèves défavorisés n’a jamais bénéficié du financement, tandis que beaucoup d’élèves qui ont bénéficié d’un soutien par le biais de la politique ne sont pas qualifiés d’élèves défavorisés. Durant l’année scolaire 2003-2004, seulement 16% des élèves défavorisés dans les écoles primaires qui ont reçu le financement ont bénéficié d’un « profes-


seur de l’égalité des chances ». Lorsque l’on se penche sur le groupe d’étudiants qui reçoivent de l’aide de ces enseignants, on remarque que 62% de ces étudiants ne sont pas qualifiés d’étudiants défavorisés.10 Pour expliquer ce résultat, il faut préciser que quand l’inspection flamande évaluait la performance des écoles dans l’utilisation des moyens ‘GOK’, elle mettait l’accent sur l’amélioration globale des processus dans les écoles. Pour elle des initiatives qui consistaient, par exemple, à créer des classes additionnelles « ciblées » (c.à.d. séparées) pour les élèves défavorisés étaient considérées comme improductives. L’idée était donc, à tort ou à raison, que ces moyens GOK supplémentaires devaient bénéficier à la collectivité de l’école, et non pas être réservés aux élèves défavorisés. Le dernier accord de gouvernement flamand prévoit la suppression du financement différencié pour le volet budget de fonctionnement.11 Du côté francophone, une première analyse de l’effet du décret de 2009 sur l’encadrement différencié, révèle que le redoublement en secondaire a augmenté entre 2009 et 2012 de 17,6% à 20,3% dans les écoles bénéficiant d’un encadrement différencié (soit 275 écoles sur 672 écoles). Sur la même période la part d‘élèves en retard scolaire d’au moins un an a augmenté pour passer de 64% à 70% dans le secondaire avec encadrement différencié (contre 50% dans le secondaire sans encadrement différencié). Dans une recherche menée en collaboration avec des collègues de l’Université de Gand12 , nous avons cherché à comprendre pourquoi, dans les deux communautés linguistiques, les résultats scolaires sont aussi dépendants de l’origine sociale des élèves. En utilisant une analyse de régression en deux niveaux (écoles et élèves), nous avons montré que presque 60 % des écarts de résultats sont liés à l’origine sociale des élèves : c’est un peu « la réussite en héritage ». Notre recherche s’est appuyée sur les données de l’enquête PISA 2006 en se basant sur un échantillon de 4125 élèves dans 269 écoles flamandes et de 2211 élèves dans 176 écoles francophones. Cette recherche a évalué le rôle de la sélection tant entre écoles qu’entres filières dans les inégalités sociales de notre enseignement. Au moment où les discussions sur l’égalité des chances se concentrent presque exclusivement sur les modes d’organisation des inscriptions, la prolongation du tronc commun et le financement différencié, il nous a semblé utile de revenir sur ces résultats sur base des enquêtes plus récentes PISA 2009, 2012 et 2015 pour mieux comprendre et évaluer notre système d’enseignement en Belgique, en distinguant la situation dans les deux communautés.

10 Hindriks & Gay, 2013. 11 Vandenbroucke, 2014. 12 Hindriks et al., 2009.

62


Inégalité sociale en Belgique : le poids des parents

LA SÉGRÉGATION ET LES INÉGALITÉS SOCIALES À L’ÉCOLE

Une façon classique de mesurer le poids des parents sur les résultats scolaires des 3 élèves est de comparer le résultat moyen des élèves en fonction du groupe socio13 économique de leurs parents. L’OCDE vérifie le statut socio-économique afin de pouvoir comparer différents systèmes éducatifs à partir de la performance des élèves de statut socio-économique similaire. Le statut socio-économique de l’élève se mesure par combinaison de facteurs tels que le niveau d’instruction et la profession des parents, le type de patrimoine familial (considéré comme indicateur de la richesse) et l’existence de ressources éducatives dans le foyer. La mesure du statut socio-économique est définie de manière à permettre des comparaisons in­ternationales.14 Il est utile de préciser que cet indice socio-économique de l’OCDE n’a rien à voir avec l’indice socio-économique des élèves, utilisé en Communauté française, qui se base sur le quartier de résidence et date de 2001. Le statut socio-économique PISA associe donc à chaque élève de l’élève se mesure par combinaison un indice socio-économique que nous de facteurs tels que le niveau avons regroupé pour un pays donné en d’instruction et la profession des déciles compris entre 1 et 10. L’indice parents, le type de patrimoine familial socio-économique 1 représente les 10% des élèves les plus défavorisés et l’indice et l’existence de ressources éducatives socio-économique 10 représente les 10% dans le foyer des élèves les plus favorisés. En comparant les résultats au test PISA en fonction de cet indice, on obtient une mesure de l’influence du milieu social sur les résultats scolaires. Les résultats sont présentés ci-dessous pour chaque communauté, dans un premier temps pour l’ensemble des filières d’étude, et ensuite en distinguant les filières d’études.

13 Nous ne prétendons pas distinguer dans ce « poids » des parents la part liée au milieu

familial et la part liée au patrimoine génétique (nature or nurture). En fait cette distinction nous semble inutile dans une perspective d’ « égalité des chances » qui requiert de traiter également ces deux formes d’injustices sociales, puisque l’élève n’est pas responsable du patrimoine génétique hérité de ses parents et du milieu social dans lequel il est élevé. En outre, cette distinction est polémique puisqu’elle aboutit à suggérer que les élèves riches réussissent mieux car ils sont plus intelligents (Van den Broeck, 2014; Duyck, W. & Anseel, F., 2012). 14 Pour plus de détails sur l’indice ESCS voir PISA 2012, PISA Results 2012: Excellence Through Equity: Giving Every Student the Chance to Succeed (Vol 2) 1, p. 37.

63


Note technique sur le traitement des données (PISA 2009, 2012 et 2015) Pour permettre la comparaison, l’échantillon des élèves a été traité de manière analogue à ce qui a été réalisé précédemment sur les données de PISA 2006 ; ces résultats ont été publiés dans Hindriks & Verschelde (2010) « L’école de la chance » Regards économiques no 77, février 2010. La variable « Final Student Weight » a également été prise en compte tout au long des calculs. En ce qui concerne les résultats, seuls ont été pris en compte ceux en sciences. Une moyenne a été opérée entre les valeurs plausibles des résultats en sciences d’un élève. Ces valeurs plausibles reflètent l’incertitude inhérente au test PISA dans lequel pour des raisons de limite de temps il n’est pas possible de demander aux élèves testés de couvrir l’ensemble des questions sur l’ensemble des matières. Ces valeurs possibles représentent donc la variance d’échantillonnage relative aux questionnaires. Les élèves ont été répartis par décile selon la variable « ESCS », tout cela en prenant en compte la variable « Final Student Weight ». De plus, la moyenne des résultats en science de chaque décile a été calculée en prenant en compte cette même variable « Final Student Weight ».

550 500 450 400 350 300

Score en sciences

600

650

Figure 3.1 : Lien entre score en Sciences et le niveau socio-économique des élèves

0

2

4

6

8

10

Décile (niveau socio-économique) Communauté flamande

Communauté française

Note : les élèves sont répartis par décile socio-économique. Le décile 1 représente les 10 % des élèves avec l’indice socio-économique le plus faible. Le décile 10 représente les 10% des élèves avec l’indice socio-économique le plus élevé. Source : PISA 2015 et calculs propres.

64


15 Selon PISA 50 points d’écart représentent grosso modo une année scolaire. 16 Notons que derrière un même indice socio-économique se cache des réalités différentes

entre les deux Communautés, avec une précarité absolue plus grande en Communauté française. Le pourcentage de migrants dans l’échantillon PISA 2015 est aussi trois fois supérieur en Communauté française. 17 Voir Tableau 1 et Figure 2 dans Van den Broeck, 2014.

65

3 LA SÉGRÉGATION ET LES INÉGALITÉS SOCIALES À L’ÉCOLE

Un premier constat est que le lien entre indice socio-économique de l’élève et son résultat moyen au test PISA est aussi fort dans les deux communautés avec un écart de 150 points entre les élèves d’indice socio-économique le plus élevé et les élèves d’indice socio-économique le plus faible.15 Il y a cependant une différence majeure entre les deux communautés puisque pour chaque niveau socio-économique, l’élève flamand obtient en moyenne de meilleurs résultats que l’élève francophone. La supériorité de l’école flamande sur l’école francophone se confirme donc indépendamment de l’origine sociale de l’élève.16 Cela suggère une prudence dans l’analyse du lien social. En effet deux systèmes scolaires distincts peuvent avoir une intensité du lien social comparable, mais l’un peut produire des niveaux moyens de résultats plus élevés que l’autre pour chacun des groupes sociaux (en particulier pour les élèves les plus défavorisés). Van den Broeck (2014) suggère en outre que les résultats des élèves les plus faibles sont étroitement corrélés au résultat moyen du pays. Pour PISA 2012, il obtient pour l’ensemble des pays de l’OCDE, entre le résultat moyen d’un pays et le résultat de ses 5% d’élèves les plus faibles, un taux de corrélation de 96% en sciences, de 93% en mathématique et de 92% en lecture.17 Cela suggère qu’il ne faut pas opposer performance scolaire moyenne et performance des élèves les plus faibles : les deux font la paire. Attention on parle bien ici des élèves faibles académiquement mais pas socio économiquement. Il ne faut donc pas assimiler cette corrélation avec l’effet bénéfique d’une performance moyenne élevée pour les élèves pauvres. Un système scolaire performant pourrait donc être comparé à une marée montante qui soulève à la fois les gros et les petits bateaux. Poursuivre l’excellence d’un système scolaire profiterait donc aux élèves faibles aussi bien qu’aux élèves forts. L’égalité et l’efficacité semblent se rejoindre pour ne faire qu’un selon cette approche macro basée sur une comparaison internationale. D’un point de vue plus micro d’un pays et au niveau de l’école, cette réconciliation entre égalité et efficacité semble moins évidente. En effet au niveau de l’école la tension est palpable entre stimuler les meilleures élèves pour les tirer vers le haut ou accompagner les élèves faibles pour éviter le décrochage. Entre un enseignement élitiste et un enseignement égalitariste, la tension existe. L’importance de l’influence sociale sur les résultats scolaires suggère que notre mode d’enseignement secondaire, seule voie d’accès au supérieur, est mieux adapté aux enfants des couches sociales favorisées qui partage une identité culturelle commune. Les enfants n’appartenant pas à ce milieu social et culturel sont d’ores


et déjà en inadéquation et mal adaptés au système scolaire. Cela se confirme en particulier par les faibles résultats des élèves issus de l’immigration en Belgique. L’insertion scolaire chez nous est en échec.

Inégalité sociale en Belgique: le poids des filières Nous pouvons également décomposer les résultats en sciences des élèves à PISA 2012 par filière en fonction de l’indice socio-économique de l’élève. Sans surprise, dans chaque communauté, la filière générale surclasse la filière technique qui elle-même surclasse la filière professionnelle. Un autre constat est que dans chaque filière, les élèves socialement défavorisés réussissent mieux en Flandre qu’en Communauté française. Enfin un dernier constat est qu’une fois les élèves répartis au sein des filières, le lien entre indice socio-économique et résultat scolaire s’affaiblit considérablement.18 En particulier, dans les deux Communautés, au sein des filières techniques et professionnelles, le lien entre résultat moyen et origine sociale a disparu (les courbes sont Le lien social sur les résultats plates). Ce lien reste présent dans la filière généscolaires s’opère principalement rale. Ce constat suggère que le lien social sur les résultats scolaires s’opère principalement par par une répartition inégale une répartition inégale des élèves entre filières des élèves entre filières (comme nous allons effectivement le confirmer plus loin). Difficile ici de ne pas voir une certaine forme de relégation où les enfants de milieux modestes sont relégués dans les filières faibles avec un glissement possible des exigences et des curriculums qui ferait que ces élèves sont moins exposés aux compétences et connaissances de base que PISA cherche à évaluer.

18 Un résultat similaire a été obtenu avec les données de PISA 2006 dans Hindriks & Ver-

schelde, 2010, et avec les données de PISA 2012 dans Hindriks & Lamy, 2013.

66


Figure 3.2 : Lien score en Sciences par filière et niveau socio-économique des élèves

550 600 650 350 400

450

500

LA SÉGRÉGATION ET LES INÉGALITÉS SOCIALES À L’ÉCOLE

3

300

Score en sciences

Communauté française

0

2

4

6

8

10

Décile (niveau socio-économique) Général

Technique

Professionel

550 500 450 400 300

350

Score en sciences

600

650

Communauté flamande

0

2

4

6

8

10

Décile (niveau socio-économique) Général

Professionel

Note : les élèves sont répartis par décile socio-économique. Le décile 1 représente les 10 % des élèves avec l’indice socio-économique le plus faible. Le décile 10 représente les 10% des élèves avec l’indice socio-économique le plus élevé. Source : PISA 2015 et calculs propres.

67


Les résultats confirment ceux de PISA 2006 (Hindriks & Verschelde, 2010), et ceux de PISA 2012 (Hindriks & Lamy, 2013). On constate que les résultats sont fortement corrélés au niveau social de l’élève que ce soit en Flandre ou en Communauté française. On constate aussi que dans chaque communauté, le lien social s’atténue fortement au sein des filières suggérant une relégation des élèves de milieux modestes dans les filières techniques et professionnelles. Beaucoup plus surprenant, comme l’indique le graphique suivant, la filière technique flamande surclasse la filière générale francophone pour les élèves avec indice socio-économique faible. C’est très étonnant dans la mesure où l’enseig­ nement général francophone a déjà relégué les élèves les plus faibles dans les filières techniques et professionnelles. Ce graphique est basé sur la dernière enquête PISA 2012 pour laquelle on distingue encore l’enseignement technique en Communauté flamande. Figure 3.3 : Score en Sciences filière générale francophone et filière technique flamande

Score en sciences

600 550 500 450 400 350 300 1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

Décile (niveau socio-économique) Genéral c. française

Technique c.flamande

Note : les élèves sont répartis par décile socio-économique. Le décile 1 représente les 10 % des élèves avec l’indice socio-économique le plus faible. Le décile 10 représente les 10% des élèves avec l’indice socio-économique le plus élevé. Source : PISA 2012 et calculs propres.

68


La ségrégation sociale : les faits Mesurer la ségrégation sociale

19 Duru-Bellat, M. « La ségrégation sociale à l’école : faits et effets. » Diversité 139, 2014,

73-80.

69

3 LA SÉGRÉGATION ET LES INÉGALITÉS SOCIALES À L’ÉCOLE

Une façon simple mais spectaculaire de mesurer le niveau de ségrégation des écoles consiste comme le fait Duru-Bellat (2004) à comparer la part d’élèves socialement défavorisés dans les écoles huppés et les écoles populaires. Ainsi pour la France, 10% des collèges les plus huppés accueillent 22,2% d’élèves socialement défavorisé, tandis que 10% des collèges les plus populaires en accueillent au moins 68%.19 Ces chiffres sont parlants mais la mesure de la ségrégation est trop incomplète et ponctuelle pour nous permettre de savoir si ce niveau de ségrégation est trop élevé ou non. Les différents indicateurs de ségrégation ont intéressé de nombreux sociologues et économistes, particulièrement pour évaluer l’ampleur de la ségrégation raciale aux Etats-Unis dans les années 50. Dans cet article, nous utiliserons deux indices de ségrégation : l’indice de dissimilarité développé par Duncan et Duncan en 1955 et l’indice d’Hutchens développé par Hutchens en 2004. Ces indices permettent de mesurer la distribution inégale d’élèves de milieux sociaux différents entre les écoles. Dans les deux cas, le taux de ségrégation indique la mesure avec laquelle le public des établissements scolaires s’écarte d’une représentation égale des deux groupes sociaux-économiques distribués autour de l’indice socio-économique médian. Il convient de préciser que l’indice socio-économique de l’élève ne représente pas le statut migrant, ethnique ou religieux de l’élève. On se concentre donc bien sur la ségrégation socio-économique et non pas sur la ségrégation raciale, ethnique ou religieuse. L’indice de dissimilarité varie de 0 à 1. Un indice de 0 signifie qu’il n’y a pas de ségrégation. A l’inverse, un indice de 1 signifie qu’il y a une ségrégation totale dans la zone en question. Cet indice s’interprète comme le pourcentage d’élèves d’origine défavorisée qui devraient changer d’école pour atteindre une situation de mixité sociale parfaite. Ainsi, une valeur de 0.4 signifie que 40% des élèves d’origine défavorisée devraient changer d’école pour atteindre la mixité sociale parfaite. L’indice de Hutchens varie également de 0 à 1. Un indice de 0 signifie qu’il n’y a pas de ségrégation. A l’inverse, un indice de 1 signifie qu’il y a une ségrégation totale dans la zone en question. Un des avantages de cet indice est qu’il est décomposable ; ce qui permet de prendre en compte l’importance des filières dans la ségrégation. La ségrégation totale peut ainsi être décomposée comme la somme


entre la ségrégation entre filières et les ségrégations à l’intérieur des filières. Ainsi, cet indice permet d’évaluer le poids des filières dans la ségrégation. Nous déterminons le niveau socio-économique des élèves suivant la variable « ESCS » fournie par l’OCDE. Chaque élève reçoit en effet une valeur indiquant son niveau socio-économique. Celle-ci est calculée en prenant en compte le statut social des parents, le plus haut niveau d’éducation des parents de l’élève, les revenus de la famille de l’élève, les ressources éducatives de l’enfant ainsi que les biens culturels disponibles dans la maison familiale (par ex. le nombre de livres disponibles). A partir de cette variable, nous divisons les élèves en deux catégories autour de la médiane de l’ESCS.20 Les élèves de statut socio-économique faible sont ceux situés en-dessous de la médiane et les élèves de statut socio-économique élevé sont ceux situés au-dessus de la médiane. Chaque groupe représente donc la moitié de l’échantillon. Un système scolaire sans ségrégation (indice de ségrégation de 0) doit donc produire une représentation égale des deux groupes dans chaque école. Un système scolaire avec une ségrégation maximale (indice de ségrégation de 1) doit produire une séparation complète des deux groupes entre écoles. Pour savoir si le niveau de ségrégation d’un pays est élevé ou non il faut avoir une situation de référence. Celle-ci peut être trouvée en comparant la situation actuelle avec le passé, ou en se référant à d’autres systèmes scolaires. C’est ce que nous allons faire. En particulier nous allons comparer la ségrégation entre pays pour déterminer un niveau de référence. Nous allons aussi comparer la ségrégation sociale entre les différentes communautés en Belgique. Enfin pour savoir si la ségrégation augmente ou diminue, nous allons comparer la ségrégation scolaire des communautés en Belgique dans le temps.

Comparaison internationale La problématique de la ségrégation dans les écoles est politiquement sensible en Belgique du fait que nous possédons en Communauté française et flamande, l’un des taux de ségrégation sociale les plus élevés d’Europe à égalité avec la France et la République tchèque : seule la Hongrie fait pire que nous ! Le graphe ci-dessous reproduit les indices de ségrégation pour différents pays sur base d’une moyenne des cinq enquêtes PISA entre 2003 et 2015. Plus la valeur de l’indice est élevée, plus les écoles dans ce pays sont fortement cloisonnées socialement.

20 La médiane est la valeur qui partage la population en deux groupes de taille identique.

70


Figure 3.4 : Indices de ségrégation sociale dans l’OCDE Taux de ségrégation (2003-2015) NOR FIN

3

ISL SWE

LA SÉGRÉGATION ET LES INÉGALITÉS SOCIALES À L’ÉCOLE

CAN DNK IRL NZL GBR NLD CHE ITA KOR POL USA JPN BEL SVK PRT DEU AUS ESP LUX AUT CFL CFR FRA CZE HUN

0

0,05

0,1

0,15

0,2

0,25

0,3

0,35

0,4

0,45

0,5

Note : La ségrégation est mesurée par l’indice de dissimilarité qui représente la proportion d’élève d’indice socio-économique faible (sous la médiane) qui devraient changer d’école pour établir une représentation sociale équilibrée dans chaque école. Source : PISA 2003-2015 et calculs propres.

On remarque que les pays nordiques (Finlande, Suède, Norvège et Danemark) avec le Canada ont les taux de ségrégation moyen sur la période 2003-2015 les plus faibles. A l’opposé, la Hongrie, la République Tchèque, les Communauté française et flamande, et la France présentent de très hauts taux de ségrégation sociale sur la période 2003-2015. Cela confirme le constat déjà établi par Hindriks & Verschelde (2010) sur base de PISA 2006 d’une forte ségrégation scolaire dans les Communautés belges.21 Dans cette étude, Hindriks & Verschelde obtiennent un taux de ségrégation comparable sur base de PISA 2006, avec une

21 Hindriks & Verschelde, 2010.

71


différence entre le système scolaire flamand (taux de ségrégation de 38%) et le système scolaire francophone (taux de ségrégation de 43%). Ce niveau de ségrégation était déjà parmi les plus élevés de l’OCDE juste derrière la Hongrie (45%) et le Mexique (50%). Le cas de la Finlande est intéressant car ce pays se distingue par sa capacité à minimiser la ségrégation et simultanément à maximiser les performances scolaires de ses élèves. Il convient de noter que la Finlande a progressivement instauré entre 1972 et 1977 un enseignement commun (comprehensive schools) sans filières jusqu’à l’âge de la scolarité obligatoire à 16 ans. Difficile de juger si c’est la raison principale d’un faible taux de ségrégation. Comme le suggère Van den Broeck (2014), la Finlande a En bref la ségrégation serait aussi une population plus homogène que la Belgique avec une dispersion plus faible moindre en Finlande car la population est plus homogène mais de l’indice socio-économique. En fait, la Finlande a, parmi les pays qui sont les aussi socialement plus favorisée plus performants dans leurs tests PISA 2012, le taux le plus faible d’élèves à statut socio-économique faible.22 En bref la ségrégation serait moindre en Finlande car la population est plus homogène mais aussi socialement plus favorisée.23 Une autre différence marquante en Finlande est une liberté limitée dans le choix de l’école qui est principalement déterminée par le domicile de l’élève. Il est cependant possible pour les parents de solliciter une inscription dans une autre école si des places sont encore disponibles et pour autant que cela soit dûment justifié.24

Comparaison entre communautés en Belgique Alors que nous avons montré que la Belgique est l’un des plus mauvais élèves de l’OCDE en matière de ségrégation sociale, il convient de s’intéresser séparément à la situation dans les Communautés française et flamande ; les compétences en matière d’enseignement étant communautarisées. Néanmoins, on retrouve toujours de très hauts taux de ségrégation sociale pour les Communautés flamande et française, comme le tableau ci-dessous nous le montre.

22 A titre de comparaison, le pourcentage d’élèves avec indice socio-économique faible

(valeur ESCS inférieure à -1) est de 9,9 en Communauté flamande et 11,4 en Communauté française. 23 Notons que cet argument d’une plus faible proportion d’élèves socialement défavorisés en Finlande n’a pas d’influence sur notre indice de ségrégation sociale car nous définissons le statut socialement défavorisé d’un élève par rapport à la médiane nationale. Il y a donc par construction dans chaque pays la même proportion d’élèves (relativement) socialement défavorisés. 24 Pour plus de détails sur le système scolaire finlandais, voir Fourny, 2014.

72


Figure 3.5 : Indices de ségrégation sociale en Belgique et dans les deux Communautés Indice de Hutchens

Nombre d’élèves

Nombre d’écoles

Belgique

0,3976

0,1335

8412

287

Communauté flamande

0,4059

0,1295

4777

174

Communauté française

0,4242

0,1597

2876

103

Source : PISA 2012 et calculs propres.

La différence de la taille d’échantillon entre la Belgique entière et la somme de la Communauté française (ou fédération Wallonie-Bruxelles) et de la Communauté flamande est due au fait que la Communauté germanophone a été retirée de l’échantillon.

Evolution de la ségrégation sociale en Belgique Figure 3.6 : Evolution de la ségrégation sociale dans les deux Communautés entre 2003 et 2015 0,5 0,4 0,3 0,2 0,1 0 2003

2006

2009

Communauté française

2012

2015

Communauté flamande

Note : La ségrégation est mesurée par l’indice de dissimilarité qui représente la proportion d’élève d’indice socio-économique faible (sous la médiane) qui devraient changer d’école pour établir une représentation sociale équilibrée dans chaque école. Source : PISA 2003-2015 et calculs propres.

Le graphique 3.6 nous montrent que la ségrégation sociale a été relativement constante en Communauté flamande sur toute la période entre 2003 et 2015,

73

3 LA SÉGRÉGATION ET LES INÉGALITÉS SOCIALES À L’ÉCOLE

Indice de dissimilarité


alors qu’elle a sensiblement augmenté en Communauté française entre 2006 et 2009 avant de rebaisser entre 2009 et 2015 pour revenir au même niveau que celui de la Communauté flamande.

Les effets de la ségrégation sociale L’égalité des chances Les résultats scolaires sont issus d’une activité en classe et dans une école. En concentrant les élèves de milieux favorisés dans les meilleures écoles et classes, notre système scolaire donne un avantage supplémentaire à ceux qui sont déjà avantagés. La ségrégation sociale pose donc un problème d’équité. En effet, il en ressort une diminution de l’égalité des chances si les écoles de riches surclassent les écoles de pauvres avec en filigrane une reproduction des inégalités sociales héritées des parents. Les bons élèves participent mutuellement à produire de meilleurs résultats et les mauvais élèves se découragent mutuellement.25 Un certain nombre de travaux ont permis de mettre en évidence l’existence de ces effets de pairs, même si des problèmes d’identification se posent. L’économiste américaine Caroline Hoxby a réussi à contourner en partie le problème d’identification en utilisant les modifications exogènes introduites par la répartition aléatoire des élèves dans les différentes classes des écoles primaires texanes pour quantifier ces effets26 . Le résultat est frappant : un accroissement exogène d’un point dans la moyenne d’une classe améliorerait de 0,15 à 0,4 point le niveau individuel d’un élève donné. Promouvoir la mixité sociale, c’est donc chercher à corriger un handicap initial pour donner via le système scolaire des chances égales aux individus dans la vie. L’existence de ces « effets de pairs » modifie radicalement le jugement qu’on peut porter sur la ségrégation sociale à l’école. En présence de tels effets, la concentration géographique des groupes sociaux et les inégalités sociales de départ ne se reflètent pas simplement dans l’école : mais l’école tend à son tour à les exacerber. Dès lors, lutter contre la ségrégation sociale à l’école apparaît comme une condition essentielle (mais non suffisante) de la réduction des inégalités scolaires.

25 PISA 2012. 26 Hoxby, 2002. Voir http://educationnext.org/the-power-of-peers.

74


Les effets de pair

75

3 LA SÉGRÉGATION ET LES INÉGALITÉS SOCIALES À L’ÉCOLE

D’un point de vue empirique, les résultats les plus récents, tels que ceux de Hoxby & Weingarth (2005) montrent que l’impact de la ségrégation sur la réussite scolaire des élèves défavorisés dépend de la structure des effets de pair. Leurs résultats montrent en effet que pour profiter au mieux des effets de pairs (mixité sociale) sans pénaliser les meilleurs et les moins bons élèves, il faut impérativement éviter toute « bipolarisation » au sein d’une même classe (d’un côté, que des « bons élèves » tandis que de l’autre que des « mauvais élèves ») et au contraire privilégier une composition « continue », qui associe des élèves de tous niveaux, dans un éventail de performances pas trop large. Les effets de pair prennent donc une forme différente de la conception classique, dans laquelle les élèves défavorisés (socialement ou scolairement) bénéficieraient systématiquement du fait d’être scolarisés avec des élèves plus favorisés (socialement ou scolairement). En dessous d’un certain seuil, la diversité semble avoir des effets positifs, mais au-delà de ce seuil, la diversité devient un frein pour les plus élèves faibles. Il faut aussi distinguer ségrégation sociale entre écoles et ségrégation au sein des écoles. Les effets de pair se forment principalement au niveau de la classe, ce qui pose le problème de la constitution des classes, au-delà de la ségrégation entre écoles. Si les établissements les plus défavorisés ont tendance à former des classes plus homogènes pour « protéger » leurs élèves et leurs enseignants de la grande hétérogénéité des élèves dans l’établissement, le niveau de ségrégation sociale mesuré au niveau de la classe est le plus pertinent du point de vue de l’impact des effets de pair. D’un pur point de vue théorique, il semble que l’effet de la mixité sociale à l’école sur les résultats scolaires des uns et des autres n’est pas clair. En effet, la mixité sociale peut aussi bien être un stimulant pour ceux qui appartiennent à des classes défavorisées qu’un frein. S’ils se retrouvent dans la classe d’élèves issus de milieux plus favorisés, ils peuvent aussi être écrasés par ces élèves et s’autoexclure. Inversement, une plus grande homogénéité des classes peut permettre à l’enseignant d’adapter sa pédagogie à son public et pourrait (sous certaines conditions) permettre au final un “rattrapage”. Duflo et al. (2008) démontrent cet effet par une expérience aléatoire contrôlée pratiquée au Kenya sur une répartition aléatoire d’élèves et d’enseignants entre des classes qui séparent les élèves en groupes de niveaux, et des classes qui ne le font pas. Les résultats révèlent une performance significativement meilleure dans les classes qui séparent les élèves, tant pour les élèves faibles que pour les élèves forts. L’expérience révèle aussi que la séparation des élèves par groupe de niveaux creuse les écarts entre élèves forts et élèves faibles. La question centrale est donc de vérifier à quelles conditions les effets de la mixité sociale sont positifs et à quelles conditions ses effets sont négatifs.


L’efficacité du système éducatif La promotion de la mixité sociale à l’école peut être justifiée du point de vue de l’équité mais aussi du point de vue de l’efficacité du système éducatif, à condition de faire en sorte que cette mixité n’aboutisse pas à créer une diversité excessive dans les classes. Une importante ségrégation sociale peut poser un problème d’efficacité. On remarque en effet que les systèmes scolaires avec plus de mixité sociale sont aussi parfois les plus performants.27 Le graphe ci-dessous nous montre la relation entre le niveau de ségrégation sociale d’un pays (mesurée par l’indice de dissimilarité) et le score moyen de ses élèves au test de Une importante ségrégation sociale mathématiques sur l’ensemble des tests PISA 2003-2015. Evidemment, beaucoup peut poser un problème d’efficacité de facteurs externes peuvent contribuer à expliquer les différences de performances entre pays, en commençant par le niveau socio-économique et le degré d’hétérogénéité de sa population. Ce que le graphe suggère c’est que des pays avec une ségrégation sociale forte des écoles sont en général moins performants en matière scolaire. Enfin, une forte ségrégation peut également menacer la cohésion sociale. Enfants et adultes de niveaux sociaux différents ont rarement l’opportunité d’interagir ; ce qui peut ajouter à la problématique de l’inégalité des chances, l’injustice de se sentir dénigrés. Il ne s’agit alors pas tant de ségrégation que d’absence de mobilité sociale provoquée par un système scolaire qui spontanément aboutit à la ségrégation, partageant la collectivité entre des groupes socio-économiques étanches avec des écoles d’en haut et des écoles d’en bas. Pour ces différentes raisons, nous devons rechercher les voies et les moyens d’une représentation plus égale de tous les individus, quelles que soient leurs origines sociales, dans nos écoles, fussent-elles les plus prestigieuses.

27 McKinsey, 2007.

76


Figure 3.7 : Lien entre performance moyenne et ségrégation sociale des systèmes scolaires

CZE FRA AUT

LUX SVK

POL

AUS DEU

BEL

0.35

ESP

CHE

JPN

KOR

NLD GBR IRL

0.3

Taux de ségrégation

ITA

PRT USA

SWE

NZL DNK

CAN

ISL FIN

0.25

NOR

480

500

520

Score moyen en mathématiques

540 Corrélation = -0.26

Notes : La ségrégation est mesurée par l’indice de dissimilarité qui représente la proportion d’élève d’indice socio-économique faible (sous la médiane) qui devraient changer d’école pour établir une représentation sociale équilibrée dans chaque école. Source : PISA 2003-2015 et calculs propres.

Le paysage scolaire belge possède deux fortes caractéristiques : la présence de filières et une forte distinction entre école libre et publique. Pour étudier leur impact sur la ségrégation, nous allons décomposer l’indice de ségrégation de Hutchens.28

28 Description plus détaillée du processus de décomposition disponible sur demande.

77

LA SÉGRÉGATION ET LES INÉGALITÉS SOCIALES À L’ÉCOLE

3

0.4

0.45

HUN


Les causes de la ségrégation sociale en Belgique Le poids des filières Le système belge se caractérise, tant en Communauté flamande que française, par un système de filières précoces : l’âge de la première orientation est de 12 ans pour la Communauté flamande et de 14 ans pour la Communauté française. Les filières se divisent en trois : les filières générale, technique et professionnelle. En Communauté flamande, 45, 33 et 22% des élèves se trouvent respectivement dans les filières générale, technique et professionnelle, respectivement. Ces proportions sont de 59, 23 et 18 % pour la Communauté française. Si l’on compare la répartition des élèves selon leur niveau socio-économique entre les différentes filières pour les deux communautés, on constate une surreprésentation des élèves à niveau socioéconomique élevé dans l’enseignement général et une surreprésentation des élèves à niveau socio-économique faible dans l’enseignement techniques et professionnel. Dans la figure suivante nous avons décomposé le taux de ségrégation de Hutchens en une ségrégation au sein des filières et une ségrégation entre les filières (i.e., within and between tracks). La ségrégation entre filières représente 46,2% de la ségrégation sociale en Communauté flamande et 18,7% en Communauté française en 2012. Figure 3.8 : Décomposition de la ségrégation sociale entre les filières et au sein des filières Indice de ségrégation

Communauté flamande

Communauté française

Square root index (Hutchens)

0,171

0,206

Dissimilarity index (Duncan)

0,442

0,452

Enseignement général

0,090

0,167

Enseignement technique et arts

0,084

0,15

Enseignement professionnel

0,163

0,312

Ségrégation dans filières

0,092

0,167

Ségrégation entre filières

0,079

0,038

Ségrégation entre filières (%)

46,2%

18,7%

Nombre d’écoles

306

210

Nombre d’élèves

4662

2778

Source : PISA 2012 et calculs propres.

78


Le poids du redoublement et transfert d’école

29 Borgonovi, F. “Strong Reformers and Successful Performers in Education.” Itinera, 2013.

79

3 LA SÉGRÉGATION ET LES INÉGALITÉS SOCIALES À L’ÉCOLE

Carl Lamote (2013) montre la composante sociale très forte dans le redoublement et l’échec scolaire. L’indice socio-économique de l’élève est en Communauté flamande un marqueur significatif du risque d’échec scolaire. Son étude propose une analyse économétrique assez fine sur base de données longitudinales de l’impact du redoublement en Flandre. Ces résultats montrent que le redoublement est pénalisant pour les enfants socialement défavorisés, mais peu éventuellement être profitable pour les enfants de milieux favorisés. Dans cette perspective l’importance des pratiques du redoublement en Belgique est alarmante. En outre, dans la mesure où le redoublement est concentré sur les élèves défavorisés, cela alimente la ségrégation sociale. La Communauté flamande et la Communauté française se distinguent des autres pays de l’OCDE par un recours intensif aux pratiques scolaires de redoublement et de transfert d’élèves entre établissements pour des raisons de difficultés scolaires ou de problèmes disciplinaires. Sur base de PISA 2012, le taux de redoublement est de 46% en Communauté française, 26% en Communauté flamande, 37% en Belgique, 13% dans l’OCDE et 5% en Pologne. Le pourcentage d’élèves qui ont été transférés dans une autre école est de 55% en Communauté française, 43% en Communauté flamande, 48% en Belgique et 18% dans l’OCDE et 1,7% en Finlande.29 Ces pratiques scolaires font partie de la culture de notre système scolaire en Belgique et sont de ce fait jugées normales, alors qu’elles sont beaucoup plus Le pourcentage d’élèves qui rares dans les autres pays. Ces pratiques du ont été transférés dans une redoublement (avec changement d’école) et du autre école est de 55% en transfert des élèves sont une source de ségréga- Communauté française, 43% tion sociale dans notre système scolaire dans en Communauté flamande, la mesure où les transferts et le redoublement 48% en Belgique et 18% sont plus importants dans les couches sociales dans l’OCDE défavorisées. C’est au final une forme insidieuse de déresponsabilisation des équipes pédagogiques face aux difficultés scolaires rencontrées par certains élèves souvent de milieux défavorisés. Cette déresponsabilisation des conseils de classe notamment provoque une sélection sociale des élèves de milieux défavorisés dans les écoles difficiles et concentrent les élèves de milieux favorisés dans les écoles plus prestigieuses.


Conclusions et recommandations La préoccupation pour la mixité sociale et l’inégalité sociale dans les écoles n’est pas nouvelle. A vrai dire les récentes réformes des systèmes scolaires gravitent autour de cette problématique. Dans ce chapitre nous proposons une évaluation ouverte qui permet à la discussion de s’établir sur la base d’éléments factuels précis, où les croyances des uns et des autres peuvent se voir opposer des arguments objectifs. Une première question consiste à mesurer le niveau de ségrégation des écoles, et l’influence de l’origine sociale des élèves sur les résultats scolaires et le choix des filières d’enseignement. Une seconde question consiste à identifier les effets de la ségrégation sociale sur les résultats scolaires. Une troisième question consiste à mesurer l’influence de la relégation entre filières, ou du redoublement et changement d’école sur la ségrégation sociale à l’école. Nous avons offert des éléments de réponses qui sont nécessairement incomplets. L’objet et la précision de cette étude sont limités par la nature des données : issues des enquêtes PISA entre 2003 et 2015. Ces enquêtes concernent les enfants âgés de 15 ans dans 27 pays de l’OCDE, elles ne concernent que les enfants scolarisés dans les établissements scolaires qui couvrent cette catégorie d’âge. On ne peut donc pas exclure que la même mesure de ségrégation prise à un moment différent de la scolarité (dans l’enseignement primaire, par exemple) produise un classement différent en matière de ségrégation sociale. Ainsi les pays ayant mis en place une orientation précoce des élèves vers les filières techniques ou professionnelles, comme l’Allemagne, voient mécaniquement le niveau de ségrégation ainsi mesuré augmenter, dès lors que cette orientation tend à concentrer dans les mêmes établissements des élèves de milieu social similaire. Les différences entre pays en matière d’inégalité sociale et de ségrégation trouvent aussi leurs origines très tôt dans le parcours scolaire de l’élève. Le Québec a pris délibérément des mesures pour aplanir les disparités entre les enfants issus de milieux socio-économiques distincts, et les interventions commencent tôt. En 1997, le Québec a mis en place dans toute la province un système de garderie universel à faible coût, avec entre autres pour principal objectif de « diminuer les disparités sociales observées chez les enfants en matière de maturité scolaire ».30 D’autres provinces ont également pris des initiatives pour améliorer les résultats des élèves défavorisés. Ainsi, le Partenariat d’interventions ciblées de l’Ontario fournit un soutien ciblé aux écoles primaires obtenant de mauvais résultats aux évaluations provinciales en lecture, en écriture et en mathématiques. Depuis la création du programme en 2006, le nombre d’écoles dont moins du tiers des

30 Giguère, C. & Desrosiers, H. Les milieux de garde de la naissance à 8 ans. Institut de la

statistique, 2010.

80


LA SÉGRÉGATION ET LES INÉGALITÉS SOCIALES À L’ÉCOLE

élèves atteignent la norme provinciale en 3e année a été ramené de 19 à 6 %.31 Dans le même esprit, l’exemple britannique est évocateur. On y a développé un programme d’éducation compensatoire baptisé Excellence in Cities qui démontre clairement qu’il est possible d’améliorer considérablement les performances éducatives et la présence scolaire des enfants de milieux défavorisés, à condition d’y 3 mettre le prix et de réellement cibler les efforts.32 Cette expérience montre donc que les ressources sont importantes à condition d’être bien ciblée et bien utilisée tout en évitant les risques possibles d’une stigmatisation qui renforce la ségrégation comme l’expérience des ZEP en France l’a démontré (Bénabou, Kramarz & Prost, 2003). Les écoles responsables de leur propre admission risquent de sélectionner certains élèves particuliers, répondant à leur propre intérêt. Cantillon (2013) explique clairement comment un système d’inscription avec double quota permet de promouvoir une meilleure mixité sociale dans les établissements scolaires en tenant compte des compositions sociales différentes des quartiers. Il faut cependant rester modeste sur la capacité des mécanismes d’inscription à améliorer significativement la mixité sociale. En Flandre, la ministre Vanderpoorten (ministre de l’enseignement en Communauté flamande 1999-2004) a introduit le décret fla- Il faut cependant rester modeste sur mand sur les inscriptions, l’espoir la capacité des mécanismes d’inscription était que cela diminuerait la ségréga- à améliorer significativement tion sociale, en combattant des prala mixité sociale tiques informelles de sélectivité dans les écoles. Comme nous l’avons constaté dans notre analyse la ségrégation sociale n’a pas vraiment diminué en Flandre mais reste toujours aussi élevée. Cette ségrégation est fortement imprégnée de la stratification sociale existante. Cette ségrégation a des sources profondes et complexes. La ségrégation scolaire ne s’explique pas seulement par les mécanismes d’affectation des élèves entre écoles. On l’a montré en Communauté française, la sélection sociale se fait à la sortie par l’échec et le redoublement. Organiser la mixité sociale à l’entrée est une condition nécessaire mais pas suffisante du maintien de la mixité sociale à la sortie au terme de l’année scolaire. Promouvoir la mixité sociale passe donc par une lutte de tous les instants contre le redoublement. Enfin, la problématique des filières doit être mise sur la table dans la lutte contre la ségrégation sociale en Belgique. Les filières expliquent en effet une grande part de celle-ci. Il convient donc aux politiques de s’atteler plus particuliè-

31 Equité et qualité dans l’éducation : Comment soutenir les élèves et les établissements défa-

vorisés. OCDE, 2012.

32 Machin, S., McNally, S. & Meghir, C. “Resources and Standards in Urban Schools.” Cen-

ter for the Economics of Education, Discussion paper 76, 2007.

81


rement aux filières dans la lutte contre la ségrégation sociale et de ne pas uniquement se concentrer sur l’affectation des élèves en première année du secondaire. Nous constatons que les réformes de l’enseignement en Flandre et en Communauté française s’orientent vers une prolongation du tronc commun. Si cela doit se concrétiser, il sera crucial que des mesures d’accompagnements efficaces soient prises pour éviter des effets contraires à ceux attendus. C’est la question fondamentale de la différentiation des enseignements et pratiques pédagogiques. En Communauté flamande, la réforme en vigueur ne consiste pas simplement à retarder le choix de filière par un tronc commun jusqu’à 14 ans (‘een comprehensieve eerste graad’). En fait la réforme vise à mettre en place un premier grade intégré et élargi (‘brede eerste graad’).33 Dans ce nouveau régime, les enseignants vont devoir différencier d’avantage leur pédagogie et améliorer de façon significative leur accompagnement individuel des élèves dans un processus graduel d’orientation de ces élèves pendant le premier grade. C’est aussi la logique adoptée dans le Pacte pour un Enseignement d’Excellence en Communauté française. Cela requiert un effort pédagogique important, et des compétences adéquates des enseignants. C’est une des raisons pour laquelle la formation et les compétences des enseignants sont cruciales. L’autonomie responsable est aussi importante. C’est l’esprit des No Excuse Charter Schools aux Etats-Unis.34 Les Charter sont des écoles financées sur des fonds publics dans des quartiers défavorisés qui concentrent des minorités en marge des voies de la réussite. Les Charter disposent d’une très grande autonomie dans l’application de leur programme et le recrutement de leurs professeurs, mais elles ont l’obligation d’établir une charte présentant des objectifs ambitieux en matière de résultats scolaires. Elles sont évaluées directement sur l’atteinte de ces objectifs et les résultats scolaires de leurs élèves. Les résultats scolaires des Charter sont bien supérieurs à ceux des écoles publiques (voir Angrist et al., 2010, et Hoxby et al., 2009). La grande flexibilité et autonomie des Charter schools aux Etats-Unis semblent aussi expliquer une bonne partie de leur succès (voir Abdukaldiroglu et al., 2011). Le directeur d’établissement scolaire doit devenir le pilote du navire et pas le gestionnaire des procédures administratives. Pour cela, il faut accroitre l’autonomie des directions d’école et des équipes pédagogiques sur la gestion des méthodes pédagogiques, des ressources humaines et des ressources

33 Cette réformes est loin d’être stabilisée. Voir https://onderwijs.vlaanderen.be/nl/verrij-

kend-en-orienterend-keuzegedeelte-in-1ste-graad.

34 “No Excuses charter schools focus heavily on reading and math achievement, enforce

high behavioral expectations through a formal discipline system, and substantially increase instruction time relative to traditional public schools. Teachers receive more feedback about their teaching. Charter schools offer intense tutoring, especially for students with remedial needs. No Excuses schools use public finances and are not subject to many of the regulations that govern traditional public schools such as staffing, curriculum, and budgeting requirements” (Angrist et al., 2013; Fryer et al., 2014).

82


LA SÉGRÉGATION ET LES INÉGALITÉS SOCIALES À L’ÉCOLE

financières. En Communauté française la priorité politique est inversée les directeurs ne consacrent que 15% de leur temps aux pratiques pédagogiques contre 40% dans les systèmes scolaires les plus performants.35 Heureusement le Pacte pour un Enseignement d’Excellence semble avoir pris la mesure du problème et recommande d’octroyer une plus grande autonomie aux écoles moyennant aussi 3 un pilotage plus étroit des résultats. Nous avons commencé ce chapitre en invoquant la nécessité de mieux objectiver la discussion autour de la ségrégation sociales. Mieux comprendre, mieux évaluer pour faciliter le changement. Les nombreuses réformes mises en place sur la dernière décennie dans l’enseignement flamand et francophone n’ont pas donné les résultats escomptés. Cela nous amène à perdre espoir face à la possibilité de relever le niveau d’ensemble de notre système scolaire tout en réduisant les inégalités sociales. Pourtant, des pays nous montrent que c’est possible. Ce n’est pas seulement la Finlande souvent prise en exemple. Nous pensons plutôt à la Pologne qui a réussi à faire progresser son niveau d’enseignement de manière significative en Mieux comprendre, mieux évaluer quelques années, tout en réduisant de moitié pour faciliter le changement le nombre d’élèves de niveau faible et en réduisant aussi de moitié les écarts entre écoles.36 La Pologne obtient en 2012 un score moyen en mathématique de 518 points, comparable au Canada avec pourtant un revenu par habitant deux fois plus faible.

35 Denoël & Gérard, 2013. 36 Jakubowski, M. “De-Tracking Schools: Helping the Weak, Keeping the Best.” Itinera,

2013.

83


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4

DĂŠcrochage scolaire Kristof De Witte & Deni Mazrekaj

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RÉSUMÉ Les jeunes entre 18-24 ans qui n’ont pas terminé leurs études secondaires et qui ne poursuivent ni études ni formations, sont désignés comme étant en décrochage scolaire. Ils risquent une exclusion tant sociale qu’économique. En 2014, sur les près de 10% de jeunes de 18 à 24 ans qui en Belgique ne possèdent pas de diplôme du secondaire supérieur et ne poursuivent aucune forme d’étude ni de formation, seulement 40% avaient un emploi et 60% étaient au chômage. Dans ce dernier groupe, seulement 66% recherchaient activement du travail, ce qui veut donc dire que 34% des jeunes en décrochage scolaire avaient même renoncé à une carrière professionnelle. Depuis la crise, le risque d’exclusion définitive de ce groupe vulnérable augmente de façon sensible. Heureusement, cette situation est désormais prise au sérieux. Les compteurs affichent néanmoins 7% en Flandre, 12,9% en Wallonie et 14,4% dans la Région de Bruxelles Capitale. C’est encore beaucoup trop, et il n’est pas facile de faire baisser ces taux car le problème est tenace. Il y a en outre une importante différence de décrochage scolaire entre les garçons et les filles (respectivement 11,8% et 7,7%) ainsi que dans divers autres sous-groupes dont les élèves qui redoublent plus de deux fois (28% de décrochage) et les élèves allochtones hors UE (38% de décrochage). Ce chapitre formule 8 recommandations prioritaires.

88


Introduction

89

4 DÉCROCHAGE SCOLAIRE

Dans la société actuelle, un diplôme de l’enseignement secondaire (général, technique, artistique ou professionnel) est une condition importante pour entrer avec succès sur le marché de l’emploi, et y rester. Les jeunes de moins de 24 ans, qui n’ont pas terminé leurs études secondaires et qui ne poursuivent ni études ni formations, sont désignés comme étant en ‘décrochage scolaire’. Le décrochage scolaire est un problème sérieux, reconnu comme tel par la quasi-totalité des pays occidentaux. Dans son allocution devant la Chambre américaine de commerce en 2010, le président Barack Obama constatait que : « Abandonner ses études et quitter l’école prématurément équivaut à faire une croix non seulement sur son propre avenir, mais aussi sur celui de sa famille et de son pays » (The White House, 2010). La gravité du problème est appréhendée dans le ‘No Child Left Behind Act’ aux États-Unis et les ‘Objectifs Europe 2020’ de l’Union européenne. Ces initiatives ont respectivement comme objectif de porter le taux de diplomation à 90% aux États-Unis et de limiter le taux moyen de décrochage scolaire à 10% au sein de l’Union européenne d’ici 2020. La Belgique est à cet égard plus ambitieuse. Dans son programme national de réforme 2011, elle se fixe comme objectif un décrochage scolaire de 9,5% pour 2020. Quant à la Flandre, elle propose dans le cadre du ‘Pact 2020’ de faire baisser le taux de décrochage scolaire jusqu’à 4,3% d’ici 2020, avec un objectif intermédiaire fixé à 5,7% pour 2016. La Fédération Wallonie Bruxelles n’a défini pour sa part aucun objectif spécifique. A première vue, tant la Belgique que la Flandre semblent en bonne voie d’atteindre leurs objectifs. Selon les chiffres les plus récents de 2016, le décrochage scolaire s’élevait respectivement à 8,8% pour la Belgique et à 6,8% pour la Flandre. Ce taux est sensiblement plus élevé pour les deux autres régions du pays, à savoir 10,3% pour la Wallonie et 14,8% pour la Région de Bruxelles-Capitale. Si les premiers résultats étaient sans doute les plus faciles à atteindre, les avancées futures seront de plus en plus coûteuses. Par ailleurs, la 20ème place européenne de la Belgique en matière de décrochage scolaire, tend à suggérer qu’il existe encore d’autres opportunités au-delà des objectifs fixés. Le taux de décrochage scolaire présente en outre des différences drastiques entre les garçons et les filles (respectivement 10,2% et 7,4%) ainsi que dans divers autres sous-groupes. Il y a donc encore clairement des aspects à améliorer et la Belgique peut certainement apprendre d’autres pays pour faire face au décrochage scolaire. L’objectif du présent document est d’exposer clairement la problématique du décrochage scolaire et de présenter un certain nombre de best-practices venant d’autres pays et scientifiquement éprouvées. Il est structuré de la façon suivante. Dans un premier temps, nous énumérons les conséquences du décrochage scolaire pour


établir sans équivoque que le décrochage scolaire est un problème effectivement pressant. Dans un deuxième temps, nous présentons les données disponibles et, dans un troisième temps, nous passons en revue les signes avant-coureurs du décrochage scolaire. Nous parcourons ensuite les mesures actuellement prises par la Flandre et la Fédération Wallonie Bruxelles et recommandons diverses nouvelles mesures qui ont déjà fait leurs preuves. Nous concluons enfin sur 8 recommandations prioritaires tant au niveau des écoles que des pouvoirs publics.

Conséquences du décrochage scolaire précoce Selon Rumberger (2011), les conséquences du décrochage scolaire peuvent être réparties en deux grandes catégories : les conséquences pour le jeune qui abandonne l’école, et les conséquences pour l’ensemble de la société. La Figure 4.1 reprend ces différents éléments de manière schématique. Figure 4.1 : Conséquences du décrochage scolaire

INDIVIDU

SOCIÉTÉ

Chômage

Perte de revenu national

Pauvreté

Perte de revenu fiscal

Bas salaire Plus de dépenses de sécurité sociale

Moins d'avantages extralégaux

Plus de criminalité et de vandalisme

Souvent travail à temps partiel Affections physiques

Moins de participation politique et civile

Affections mentales

Moins de mobilité intergénérationnelle

Espérance de vie moins longue

Mauvaise santé

Moindre degré de bonheur

Source : Composition propre sur base des données de Rumberger (2011).

D’une part, le décrochage scolaire a des conséquences fâcheuses au niveau de l’individu. Le marché du travail n’offre en effet pas beaucoup de perspectives aux jeunes qui ont quitté l’école prématurément, car ils ont moins de chance de trouver un emploi. Cela s’explique soit par un manque de compétences en raison d’un parcours scolaire moins approfondi, soit par une incapacité de prouver

90


Le décrochage scolaire en chiffres Données d’Eurostat Les données chiffrées disponibles sur le décrochage scolaire diffèrent en raison du mode de calcul et de l’échantillonnage utilisés. Les chiffres les plus souvent utilisés sont ceux fournis par l’agence statistique de la Commission européenne (Euro­

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4 DÉCROCHAGE SCOLAIRE

à l’employeur qu’ils disposent de certaines compétences (à défaut de posséder un diplôme attestant de sa qualification). Le chômage est donc plus important parmi ceux qui ont quitté l’école prématurément et ces derniers sont donc plus souvent en condition de relative pauvreté. De plus, ils travaillent généralement à de plus bas salaires, avec moins d’avantages extralégaux et plus souvent à temps partiel. Ils semblent aussi souvent être en moins bonne santé. Des études montrent que les personnes bénéficiant d’un niveau d’enseignement plus élevé présentent moins de risques de souffrir de certaines affections tant physiques (cholestérol, diabète, asthme) que mentales (stress et dépression). Dans ces conditions, les personnes qui ont quitté l’école prématurément ont une espérance de vie moins longue d’environ 9 années que celles qui ont terminé leurs études. L’enseignement croise ici divers facteurs personnels et ambiants susceptibles d’influencer de façon positive ou négative les conditions mentale et physique des personnes concernées. Enfin, des études montrent que les problèmes tant économiques que de santé se transmettent en grande partie aux générations suivantes, ce qui implique que les conséquences du décrochage scolaire continuent à se manifester sur le long terme, et alimentent un cercle vicieux (Rumberger (2011) a très bien résumé les études existantes à ce sujet). Il n’est dès lors pas surprenant de constater que les personnes qui ont quitté l’école prématurément se disent moins heureuses que celles du même âge qui sont arrivées au terme de leur scolarité. D’autre part, le décrochage scolaire entraîne des coûts importants pour l’ensemble de la société. À savoir, perte de revenu national, perte de revenu fiscal pour les pouvoirs publics, plus de dépenses de sécurité sociale, plus de criminalité et de vandalisme, moins de participation politique et civile, moins de mobilité intergénérationnelle et plus de dépenses de santé. Eurofound (2011) estime à quelque 4,2 milliards d’euros le coût économique annuel du décrochage scolaire pour la Belgique. Et ce chiffre ne tient même pas compte des conséquences moins quantifiables, telles que la moindre participation politique et l’augmentation des inégalités portée par une mobilité intergénérationnelle réduite. Il est donc évident que le décrochage scolaire constitue une menace tant pour la croissance économique et sociale que pour le bienêtre et la prospérité d’un pays.


stat). Les données relatives au décrochage scolaire sont issues d’un échantillonnage tel que défini dans le cadre de l’Enquête sur la main d’œuvre (Labour Force Study). On y mesure la proportion des personnes de 18 à 24 ans qui ne possèdent pas de diplôme du secondaire supérieur et qui ne poursuivent plus aucune forme d’étude ni de formation. La Figure 4.2 montre qu’en 2016, le décrochage scolaire oscille entre 5 et 10% dans la majorité des pays européens, ce qui correspond aux objectifs fixés par l’UE dans le cadre de son programme ‘Europe 2020’. Il n’en reste pas moins que certains pays, à savoir l’Italie, la Bulgarie et le Portugal, présentent avec 15% un taux de décrochage scolaire élevé, et qu’à Malte, en Roumanie et en Espagne un jeune sur cinq a quitté prématurément l’enseignement secondaire. En Turquie, un jeune sur trois est en décrochage scolaire. Figure 4.2 : Décrochage scolaire en Europe (2016)

DATA FOR 2016

LEGEND

Source : Eurostat, 2017.

92

CASES

2,8 > 5

4

5 > 10

16

10 > 15

8

15 > 20

4

20 > 34,3

1


DÉCROCHAGE SCOLAIRE

Si l’on examine l’évolution de la situation en Le décrochage scolaire diminue Belgique, la Figure 4.3 montre que le décro- de manière générale sur les chage scolaire diminue de manière générale sur 16 dernières années les 16 dernières années. De façon plus précise, le taux de décrochage scolaire précoce était encore de 13,8% en 2000 pour bais4 ser à 8,8% en 2016, soit une diminution de quatre points de pourcentage. Ce qui représente 121 809 jeunes de 18 à 24 ans en 2000 et 83 526 en 2014, soit une diminution de 38 283 jeunes en décrochage scolaire. Malgré cette diminution du nombre de jeunes quittant l’école prématurément, et malgré le fait que l’objectif de 9,5% soit atteint, le décrochage scolaire reste un problème pressant pour plusieurs raisons. Figure 4.3 : Décrochage scolaire en Belgique

% Décrochage scolaire

18,0 % 16,0 14,0 12,0 10,0 8,0 6,0 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016

Garçons

Total

Filles

Source : Composition propre sur la base des données Eurostat (2017).

Primo, la Figure 4.3 montre que les garçons abandonnent plus souvent l’enseig­ nement secondaire que les filles. Ce phénomène vaut pour chaque année et se confirme en outre à l’international. Si l’on considère uniquement les garçons, l’objectif européen n’est pas atteint. Le taux de décrochage scolaire en 2016 s’élève en effet à 10,2% pour les garçons et 7,4% pour les filles. Deuxio, la Figure 4.4 confirme ce que révèlent les études précédentes, à savoir que les jeunes en décrochage scolaire constituent un groupe difficile sur le marché du travail. Parmi les 8,8% des jeunes de 18 à 24 ans qui ne possèdent pas de diplôme du secondaire supérieur et ne poursuivent aucune forme d’étude ni de formation, seul 40% avaient un emploi en 2016 et 60% étaient au chômage. De ces 60%, 62% recherchaient activement du travail. Il ressort en outre de la Figure

93


4 que les jeunes en décrochage scolaire constituent également un groupe vulnérable en période de récession économique. Avant que ne se déclenche la crise économique de 2009, il y avait à peu près autant de jeunes en décrochage scolaire ayant un travail que de jeunes en décrochage scolaire sans travail. Mais depuis la récession de 2009, ce schéma tend à changer.

% Décrochage scolaire selon Eurostat

Figure 4.4 : Jeunes en décrochage scolaire avec et sans travail en Belgique

14,0 % 12,0 10,0 8,0 6,0 4,0 2,0 0,0 2005

2006

2007

2008

2009

2010

Total % Décrochage scolaire

2011

2012

2013

2014

Sans emploi

Sans emploi et en recherche d’emploi

2015

2016

En emploi

Sans emploi et sans recherche emploi

Source : Composition propre sur la base des données Eurostat (2017).

Tertio, il existe d’importantes différences entre les régions et entre les provinces. La colonne de gauche de la Figure 4.5 illustre la baisse de décrochage scolaire entre 2000 et 2014. Cette baisse est la plus forte dans la Province de Liège, qui passe de 19,9% en 2000 à 11,9% en 2016. La province du Limbourg (7,8 points de pourcentage) et la Région de Bruxelles-Capitale (5,9 points de pourcentage) affichent également une forte baisse. Le Brabant wallon est la seule province à accuser une légère progression du décrochage scolaire entre 2000 et 2014 : de 7,8% à 8,8%. La situation en province du Hainaut peut quant à elle aussi être qualifiée de précaire dans la mesure où le taux élevé de 15,3% de décrochage scolaire en 2000 n’a baissé que de 2,6 points de pourcentage ces 16 dernières années. La colonne de droite de la Figure 5 représente le taux de décrochage scolaire en 2016. On y constate qu’avec 14,8% la province de Liège en est la lanterne rouge, précédée par la Région de Bruxelles-Capitale (12,7%), la province du Hainaut (11,6%) et la province de Namur (12,9%). Le taux de décrochage scolaire à

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Figure 4.5 : Décrochage scolaire en Belgique, par région et par province (2016)

Δ DS 2000 - 2014 (en pp)

DS en 2016 (en %) Province Namur Province Liège Province Hainaut Province Flandre Occidentale Province Brabant Flamand Province Flandre Occidentale Province Limbourg Province Anvers Région Wallonne Région Flamande Région Bruxelles Capitale Belgique

-10,0

-8,0

-6,0

-4,0

-2,0

0,0

0,0

5,0

10,0

15,0

20,0

Source : Composition propre sur la base des données Eurostat (2017).

Données administratives régionales Face aux limitations des données d’Eurostat, chaque région a développé ses propres indicateurs, basés sur les données administratives en leur possession. Ces données ont l’avantage d’être précises et d’englober tous les élèves. En principe, elles peuvent aussi être suivies de manière continue et être présentées sur un très faible niveau d’agrégation (par commune ou par école, par exemple). Un tel niveau d’agrégation n’est pas possible avec des données obtenues sur la base d’un échantillonnage. En Flandre, le ‘Steunpunt Studie- en Schoolloopbanen’ a développé un indicateur englobant l’ensemble des élèves de l’enseignement secondaire flamand. Il tient en outre compte de la différence entre formation formelle d’une part, et formation informelle d’autre part. Malheureusement, cet indicateur flamand n’est

95

4 DÉCROCHAGE SCOLAIRE

Bruxelles (14,8%) est en moyenne plus du double de celui en Flandre (6,8%). Si nous faisons une nouvelle fois la distinction entre les garçons et les filles, nous constatons qu’à Bruxelles environ un garçon sur six a quitté prématurément l’enseignement secondaire. Cette proportion est d’environ un sur neuf en Wallonie et de seulement un sur douze en Flandre. Quant aux filles, elles sont environ une sur sept à Bruxelles et une sur onze en Wallonie, et une sur vingt en Flandre à quitter prématurément l’enseignement. Il est donc évident que le taux moins élevé de la Flandre abaisse la moyenne nationale, masquant ainsi l’ampleur réelle de la problématique du décrochage scolaire en Belgique francophone.


disponible que jusqu’à l’année scolaire 2014-2015 et ne convient pas pour comparer les taux de décrochage scolaire sur le plan international. Il apparaît sur la base de cet indicateur que le décrochage scolaire peut être fort différent d’une commune flamande à l’autre (Figure 4.6). À Anvers par exemple, un élève sur cinq a quitté l’enseignement secondaire sans qualification, dont environ un sur quatre chez les garçons et un sur sept chez les filles (Onderwijs Vlaanderen, 2017). Ces proportions élevées sont observables également à Gand où 1 jeune sur 7 a quitté l’école prématurément. En revanche, le taux de décrochage scolaire est sensiblement moins élevé à Louvain et à Bruges, mais encore significativement supérieur à l’objectif européen de dix pour cent (qui se base il est vrai sur une autre définition du décrochage scolaire). Ces données sont plus détaillées dans « Vlaams Ministerie van Onderwijs en Vorming » (2017) sur la base de certaines spécificités propres aux élèves. Le Tableau 4.1 montre que les élèves flamands venant de quartiers où il y a relativement beaucoup de jeunes avec un retard scolaire de plus de 2 ans, risquent 3 fois plus le décrochage scolaire. Si la majorité des membres de la famille parlent une autre langue que le néerlandais, le risque de décrochage scolaire grimpe de 7,3% à 22,1%. Si la mère ne possède pas de diplôme du primaire, le risque de décrochage scolaire pour ses enfants est de 27,4%. Avec un diplôme du primaire, ce risque descend à 20,4%, à 14,7% avec un diplôme du secondaire inférieur, et à 7,5% avec un diplôme du secondaire supéLes élèves flamands venant de rieur. Pour l’année scolaire 2014-2015, les élèves dont la mère a terminé avec succès des quartiers où il y a relativement beaucoup de jeunes avec un retard études supérieures présentent un risque de scolaire de plus de 2 ans, risquent décrochage scolaire de 3,6%. Le décrochage scolaire semble aussi présenter d’impor3 fois plus le décrochage scolaire tantes différences en fonction du retard scolaire. Les élèves sans retard scolaire courent peu de risques de quitter l’enseignement secondaire sans diplôme, alors que chez ceux qui accusent un retard scolaire de plus de 2 ans, 1 sur 2 risque le décrochage scolaire. Les non Belges qui ne sont pas originaires de l’UE présentent un risque de décrochage scolaire près de 4 fois plus important que les Belges.

96


Tableau 4.1 : Décrochage scolaire en Flandre sur la base de certaines spécificités propres aux élèves pour l’année scolaire 2014‑2015

Retard scolaire important

17,10%

4 Retard scolaire limité

6,40%

Langue parlée par la famille

Autre que le néerlandais Néerlandais

22,10% 7,30%

Niveau d’études de la mère

Primaire uniquement Plus que primaire

18,34% 6,40%

Retard scolaire

Aucun 1 an 2 ans > 2 ans

0,80% 10,30% 28,50% 44,40%

Nationalité

Belge Non‑Belge UE Non‑Belge non‑UE

9,70% 23,90% 38,40%

Source : Ministère Flamand de l’Enseignement et de la Formation (2017).

La Fédération Wallonie Bruxelles utilise elle aussi son propre indicateur, basé sur l’ensemble des jeunes de 15 à 22 ans qui ont fait leurs troisième, quatrième, et cinquième secondaires en Wallonie et à Bruxelles, et qui n’étaient plus inscrits l’année suivante dans l’enseignement obligatoire. Étant donné que cet indicateur repose sur des données administratives, il peut être calculé chaque année, avec un niveau d’agrégation très bas et pour l’ensemble des élèves. D’autre part, cet indicateur sous-estime le décrochage scolaire car il ne suit les élèves que sur une période limitée (jusqu’à 22 ans au lieu de 24 ans pour Eurostat), il ne mesure que le taux de décrochage sur l’année en cours, et les données ne sont pas disponibles pour les élèves de première et deuxième secondaires (bien que des études révèlent que ce groupe d’élèves soit lui aussi vulnérable). La Figure 4.6 nous montre pour l’année scolaire 2011-2012que le décrochage scolaire est surtout très problématique dans les centres urbains. Sur base de données plus récentes de l’année 20132014, les villes de Bruxelles, Charleroi, Mons et Liège affichent les taux les plus élevés, avec respectivement 6,9%, 6%, 5,9% et 5,3% (Fédération Wallonie Bruxelles 2015). Rappelons que ces taux sont largement inférieurs à ceux d’Eurostat pour les raisons invoquées plus haut. C’est en fait une mesure du décrochage en cours d’année scolaire pour la population entre 15-22 ans. Les jeunes entre 22 et 24 ans sans diplôme du secondaire ne sont pas pris en compte. Les jeunes qui avait décroché l’année précédente ne sont plus pris en compte. Les jeunes qui ne terminent pas leur sixième secondaire ne sont pas pris en compte.

97

DÉCROCHAGE SCOLAIRE

% de jeunes de 15 ans avec un retard scolaire d’au moins 2 ans dans le quartier où habite l’élève


Figure 4.6 : Décrochage scolaire en Wallonie et à Bruxelles par commune (2012)

VSV 0,0 - 4,0 4,1 - 5,0 5,1 - 5,5 5,6 - 6,0 6,1 - 6,5 6,6 - 8,5 8,6 - 11,7

Source : Composition propre sur la base des données de la Fédération Wallonie-Bruxelles (2014).

Détection du décrochage scolaire Pour développer une politique efficace en matière de décrochage scolaire, il est nécessaire d’en (re)connaître les causes. La littérature décrit les facteurs déterminants dans la décision de quitter l’école prématurément. Il n’est cependant pas toujours très évident de distinguer les facteurs fondamentaux de leurs effets ‘réplique’ ou ‘domino’. De plus, le décrochage scolaire est un ‘monstre à plusieurs têtes’ et est souvent la conséquence d’un long processus de démotivation pour l’enseignement. Des études montrent aussi que les jeunes qui ont quitté l’école prématurément forment un groupe très hétérogène et que les causes du décrochage scolaire sont très différentes, tant en ce qui concerne la période qui précède l’décrochage scolaire proprement dit que dans la mesure où ces causes sont à rechercher chez l’individu lui-même ou en dehors de celui-ci. Certains facteurs n’ont d’influence qu’une fois dans le secondaire, tandis que d’autres agissent déjà en primaire, voire avant que l’enfant n’aille à l’école. En dépit de ces observations, les caractéristiques correspondant à un risque plus élevé de décrochage scolaire sont reprises de façon schématique dans la Figure 4.7, et selon les acteurs qui

98


peuvent être considérés comme responsables pour certains déterminants : l’individu, la famille, le quartier et les écoles. Ce schéma démontre clairement que la question du décrochage scolaire exige une approche intégrale des différents acteurs (voir plus loin).

QUARTIER

• Moyens • Chômage ECOLES

FAMILLE

• Qualité du corps enseignant • Mobilité

• Structure • Mobilité • Moyens FACTEURS INDIVIDUELS

CONTEXTE

• Sexe • Ethnicité

ATTITUDES

• Attentes et objectifs académiques

COMPORTEMENT

PERFORMANCES SCOLAIRES

• Implication • Problèmes de comportement • Influences de pairs (peer effect) • Travail pendant le secondaire

• Échecs dans certaines matières • Redoublement

Source : Composition propre sur la base des données de Rumberger (2011).

Primo, plusieurs spécificités contextuelles de l’individu peuvent influencer le décrochage scolaire. Comme établi précédemment, les garçons courent un risque plus élevé de quitter prématurément le secondaire que les filles. Van Keirsbilck (2008) précise qu’il y a encore des choses à améliorer en ce qui concerne un enseignement ‘sexuellement neutre’ et des méthodes didactiques adaptées. De la même façon, les jeunes allochtones sont également caractérisés par un plus grand risque de décrochage scolaire que les jeunes autochtones. Griffin & Heidorn (1996) avancent deux explications à cela. D’une part, ces différences peuvent être causées par des différences inhérentes entre ces groupes sur le plan des contingences linguistiques ou culturelles. En Flandre par exemple, l’enseignement doit se faire en néerlandais. Cela veut donc dire que des jeunes qui à la maison parlent une autre langue que le néerlandais risquent d’accuser un retard scolaire (Heyerick, 2008). L’étude de Verhaeghe et Van Damme (2007) confirme ce constat. Ils considèrent en effet que les jeunes qui parlent le turc à la maison accusent en moyenne un retard plus

99

DÉCROCHAGE SCOLAIRE

4

Figure 4.7 : Déterminants du décrochage scolaire


important en mathématiques, du fait de leur connaissance lacunaire du néerlandais. D’autre part, des facteurs institutionnels comme les contingences financières de la famille ou les spécificités du quartier dans lequel grandit le jeune peuvent aussi jouer un rôle important. Plus spécifiquement, certaines études affirment que plus le statut socioéconomique des élèves est élevé, moins les différences sont marquées entre ces groupes. Deuxio, il y a les attitudes des élèves, c’est-à-dire les attentes et objectifs sur le plan scolaire. Alexander et al. (2001) démontrent que les élèves qui ont l’ambition d’aller à l’université risquent moins de quitter prématurément l’école que ceux qui comptent s’arrêter après le secondaire. Cet effet joue surtout un rôle pendant le secondaire, mais pas à l’école primaire. Tertio, le comportement de certains élèves permet parfois de prédire le décrochage scolaire dès leur jeune âge. Ainsi, les élèves qui ne montrent pas beaucoup d’engagement pour l’enseignement, ce que l’on peut constater à leur absentéisme et leur faible participation à des activités parascolaires, risquent plus de quitter prématurément le secondaire. Comme c’est le cas pour les performances scolaires, cet effet est présent dès les premières années de scolarité. Des études montrent également que les risques de décrochage scolaire peuvent être accrus par certains problèmes de comportement tels que criminalité, drogues (y compris la marihuana), alcool, relations sexuelles à un jeune âge et grossesses d’adolescentes. Les élèves concernés peuvent en outre avoir une mauvaise influence sur d’autres élèves. Diverses études concluent que ces influences de pairs jouent un rôle notable dans la décision d’abandonner l’enseignement secondaire, et qu’elles apparaissent ici aussi déjà très tôt dans la scolarité. Enfin, combiner travail et études pendant le secondaire peut avoir un effet dissuasif par rapport au décrochage scolaire, bien qu’un travail relativement intensif (plus de vingt heures par semaine) puisse avoir juste l’effet inverse et favoriser le décrochage scolaire. Pour terminer, les performances scolaires en secondaire peuvent être indicatrices d’un futur décrochage scolaire. Il est estimé que chaque matière qui pose problème à l’élève réduit de dix points de pourcentage les chances de terminer ses études. Les échecs en mathématique ont en l’occurrence la valeur prédictive la plus significative à ce niveau. Dans le même registre, le redoublement a lui aussi une grande valeur prédictive. Un redoublement, tant en secondaire qu’en primaire, augmente en effet sensiblement le risque de décrochage scolaire. Étant donné qu’en FWB 46% et en Flandre 26% des élèves de 15 ans ont redoublé au moins une fois, c’est donc en FWB que le problème est particulièrement important (Hindriks & Lamy, 2014). Quand le redoublement et l’échec sont la conséquence d’un manque de remédiation, d’un mauvais choix d’études et de mauvaises influences de pairs, il est possible de mettre en place une politique ciblée, combinant détection rapide (par exemple via une interprétation adéquate des systèmes de suivi) et suivi des élèves à problèmes. D’autre part, le redoublement et l’échec peuvent aussi découler des facteurs individuels évoqués précédemment, qui

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agissent déjà plus tôt dans la scolarité. Une solution à ce problème pourrait être de veiller à un mix équilibré d’élèves dans les classes (Hindriks & Lamy, 2014). Les facteurs individuels peuvent encore être influencés par trois spécificités institutionnelles, que l’on peut répartir entre famille, école et quartier. Prenons d’abord les caractéristiques familiales, comme par exemple la structure de la famille. Elles jouent un rôle important. Les jeunes issus de familles biparentales risquent moins de quitter prématurément le secondaire que les jeunes issus de parents divorcés, pour qui les risques de quitter prématurément l’école sont plus de deux fois plus élevés. Le fait de déménager augmente lui aussi considérablement le risque de décrochage scolaire, et ce dès l’enseignement primaire. Enfin, de nombreux articles établissent un lien entre les caractéristiques socioéconomiques (SES) et le décrochage scolaire. Le niveau d’études des parents et leurs moyens financiers semblent avoir ici un effet prédictif très important. Les jeunes dont les parents ont un niveau d’études élevé et disposent de revenus importants risquent en l’occurrence beaucoup moins de quitter prématurément l’enseignement secondaire. L’école proprement dite joue elle aussi un rôle important. Environ 20 à 25 pour cent des différences de performances scolaires sont imputables aux caractéristiques propres à l’école. En ce qui concerne le décrochage scolaire, des études montrent qu’un corps enseignant de qualité réduit les risques de décrochage scolaire. Mieux vaut d’ailleurs mettre les meilleurs enseignants au début du secondaire. Le changement d’école est également un risque important de décrochage scolaire. En effet, plus un élève change souvent d’école, plus il risque de quitter prématurément l’école. Les écoles qui suivent rapidement et de façon adéquate les élèves brosseurs peuvent réduire sensiblement leurs risques de décrochage scolaire. Enfin, les caractéristiques du quartier peuvent aussi influencer le risque de décrochage scolaire. En règle générale, un quartier souffrant d’une grande pauvreté, d’une criminalité importante et de la consommation de drogues fait augmenter les risques de décrochage scolaire. À l’inverse, un taux de chômage élevé incite moins à abandonner ses études, dans la mesure où les conditions sur le marché du travail ne sont pas favorables. Cela se traduit donc par une diminution de décrochage scolaire. Nous nous sommes concentrés jusqu’à présent sur les indicateurs à long terme. Le décrochage scolaire précoce est en grande partie considéré comme un processus cumulatif plutôt que comme une décision soudaine. Mais ce n’est pas tout. Des études démontrent en effet que non moins de 40% des jeunes ne souffraient d’aucun problème scolaire ou comportemental dans les années qui ont précédé leur décision de quitter l’enseignement secondaire. Dupéré et al. (2014) constatent d’autre part qu’il existe également des facteurs immédiats qui peuvent contribuer à une interruption brutale de la scolarité. Il peut s’agir entre autres d’un conflit avec des condisciples et des enseignants, d’un accident de voiture,


d’une grossesse, d’une maladie de longue durée, du divorce des parents ou d’un épisode migratoire récent. Il y a en outre une interaction entre ces facteurs immédiats et les facteurs à long terme.

Mesures actuelles de lutte contre le décrochage scolaire en Belgique Il ressort des lignes qui précèdent que le décrochage scolaire est bien plus qu’un simple problème scolaire. La recommandation européenne du 28 juin 2011 (Conseil de l’Union européenne, 2011) en faveur d’une stratégie générale de lutte contre le décrochage scolaire conseille dès lors une bonne collaboration et coordination entre toutes les parties prenantes. Ainsi, tant les élèves que les parents et les quartiers et entreprises au plan local, doivent collaborer pour la mise en place d’une politique efficace. Il est également suggéré d’agir de façon cohérente au niveau des formations tant générales que professionnelles. La Belgique et ses régions ont élaboré leurs propres mesures de politique dans la ligne de cette recommandation.

Flandre Figure 4.8 : Plan d’action flamand en matière de décrochage scolaire précoce IDENTIFICATION, MONITORING ET COORDINATION POLITIQUE

• Macro-rapport Flandre • Data-pack pour les écoles • Formation des écoles à l'utilisation des données

PRÉVENTION

INTERVENTION

COMPENSATION

• Site Web • Politique au niveau de l'école • Inspection • Trajectoires d'apprentissage flexibles • Note de vision sur le suivi des élèves • Système 'Leren en Werken' • Contrer le 'Groen pluk'

• Plan d'action brossage des cours et autres formes de comportement inacceptable • Collecter et diffuser des exemples pratiques sur le coaching

• Continuer à développer et à faire connaître les trajectoires d'apprentissage qualificatives

Source : Composition propre sur la base des données du Ministère flamand de l’enseignement et de la formation (2012).

En 2009, le gouvernement flamand a décidé dans le cadre de son ‘Pact 2020’ de réduire de moitié d’ici 2020 le taux de décrochage scolaire de 2008, soit passer de

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8,6% en 2008 à 4,3% en 2020, avec un objectif intermédiaire de 5,7% en 2016 (sur la base de la définition d’Eurostat). La Flandre est donc, à cet égard, beaucoup plus ambitieuse que la moyenne de l’UE. Pour donner forme concrète à cette décision, le gouvernement flamand a approuvé en date du 27 septembre 2013 l’Actieplan Vroegtijdig Schoolverlaten. Ce plan d’action comprend quelques mesures à effet rapide ainsi que des actions à long terme qui, à l’instar de la politique européenne, peuvent être réparties en quatre groupes, à savoir (1) identification, monitoring et coordination politique, (2) prévention, (3) intervention et (4) compensation. Les quatre groupes sont représentés à la Figure 4.8. En ce qui concerne l’aspect identification, monitoring et coordination politique, la Flandre travaille à une banque de données actualisée permettant l’identification des jeunes en décrochage scolaire. L’objectif est plus précisément l’élaboration d’un macro-rapport en matière de décrochage scolaire, avec des indicateurs de décrochage scolaire régionaux tels que définis par le ‘Steunpunt Studie- en Schoolloopbanen’. Un datapack sera ensuite composé avec les données de décrochage scolaire jusqu’au niveau de l’école, et un soutien sera apporté aux écoles pour qu’elles interprètent correctement les données de ce datapack. L’expérience des Pays-Bas montre qu’un système d’enregistrement cohérent est indispensable pour une bonne politique de lutte contre le décrochage scolaire (De Witte & Cabus, 2013). L’enregistrement ne peut pas contenir de ‘points blancs’ (par exemple des élèves enregistrés comme étant en décrochage scolaire parce qu’ils suivent des études à l’étranger), doit être disponible publiquement via ce qu’on pourrait appeler un ‘explorateur décrochage scolaire’ (www.vsvverkenner.nl), et être mis à jour chaque année afin de pouvoir être utilisé comme outil de monitoring. On obtient ainsi un instrument politique efficace tant pour les pouvoirs publics que pour les écoles, les communes ou les chercheurs qui évaluent l’efficacité des mesures. Diverses mesures de prévention ont également été introduites pour éviter que des élèves ne quittent prématurément l’enseignement secondaire. Primo, un site Web a été créé pour diffuser l’information dans les écoles. Ce site contient entre autres des données chiffrées et de bons exemples pratiques. Les écoles peuvent ainsi tracer elles-mêmes leur politique de lutte contre le décrochage scolaire précoce, et développer des actions ciblées à cet effet. Les expériences faites à l’étranger suggèrent qu’une politique adaptée à la population et aux besoins locaux est la plus efficace (De Witte & Cabus, 2013). Deuxio, une équipe d’inspection est mise sur pied pour vérifier l’efficacité de la politique choisie. Les écoles doivent donc rendre compte (accountability) des mesures qu’elles appliquent avec cette plus grande autonomie. Étant donné que justification et autonomie doivent toujours aller de pair, il s’agit ici d’une bonne mesure.


Tertio, il y a les ‘trajectoires d’apprentissage flexibles’, qui permettent aux conseils de classe, dans la première année de chaque degré, de laisser passer un élève à l’année suivante même s’il a des échecs. Théoriquement introduite dès 2002, cette mesure n’est pas régulièrement appliquée dans la pratique. Cela reste néanmoins une bonne solution pour faire baisser le redoublement qui, selon l’OCDE (2012), représente 13% du coût total des enseignements primaire et secondaire. Dans la foulée, la ‘note de vision du suivi des élèves’ vise à prévoir un meilleur accompagnement des élèves pour éviter qu’ils ne fassent de mauvais choix d’études, susceptibles de mener à un décrochage scolaire. Il est également prévu d’évaluer le système ‘Leren en Werken’, dans le cadre duquel les élèves passent une partie du temps à l’école et l’autre chez un employeur (cette évaluation est entre-temps quasiment terminée). Beaucoup de jeunes en décrochage scolaire se retrouvent dans la filière ‘Leren en Werken’. Il faut donc analyser plus en détail les causes du décrochage scolaire pour ces élèves spécifiques, ainsi que l’efficacité des systèmes ‘Leren en Werken’ existants, comme par exemple la modularisation au sein de l’enseignement secondaire professionnel à temps partiel (Deeltijds Beroepssecundair Onderwijs (DBSO)). Enfin, il faut contrer le recrutement actif par certains employeurs de jeunes sans diplôme supérieur qui sont encore aux études (‘Groenpluk’). Les employeurs doivent en outre être sensibilisés aux conséquences de leurs actions pour les jeunes, et la généralisation des stages peut être un instrument important pour y mettre un terme. Cabus & De Witte (2011) montrent que ce ‘Groenpluk’ peut induire de graves effets indésirables à la mise en œuvre d’une nouvelle politique. Cette mesure est donc selon toute attente clairement efficace. Le plan d’action prévoit également plusieurs mesures d’intervention. L’objectif est d’intervenir dès qu’un élève est perçu comme étant susceptible d’abandonner prématurément l’école. L’accent est ainsi mis sur le brossage des cours. Un plan distinct, baptisé ‘Actieplan spijbelen en andere vormen van grensoverschrijdend gedrag’, a été développé pour contrer ce phénomène. Il s’agit dans l’absolu d’identifier efficacement le comportement de brossage des cours sur l’exemple de ce qui se fait aux Pays-Bas. Des études ont en effet permis de démontrer qu’une meilleure détection des brosseurs permet un meilleur suivi des élèves et une intervention plus rapide en cas de problème, ce qui se traduit au final par une réduction du décrochage scolaire précoce. Il est en outre également prévu de travailler avec des modèles à suivre, sur l’exemple du système de ‘mentoring and coaching’ américain. Quant aux mesures compensatoires, elles visent entre autres à poursuivre le développement de l’enseignement pour adultes. L’objectif est de permettre aux jeunes ayant déjà quitté l’école d’obtenir via des trajectoires professionnelles qualificatives, un certificat qui les aidera à trouver plus rapidement du travail. Il faut aussi prévoir à ce niveau un suivi de l’élève après qu’il ait trouvé du travail, par exemple via un système de job coaching.

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Fédération Wallonie-Bruxelles Figure 4.9 : Décret visant à favoriser le bien‑être des jeunes à l’école et à prévenir la violence à l’école, l’absence et le décrochage scolaires IDENTIFICATION ET MONITORING

PRÉVENTION

INTERVENTION

COMPENSATION

• Publication annuelle des indicateurs scolaires • Observatoire de la violence et du décrochage en milieu scolaire

• Politique au niveau de l'école • Suivi des élèves • Trajectoires d'apprentissage flexibles • Communauté Décolâge • Dispositif Interne d’Accrochage Scolaire (DIAS) • Enseignement en Alternance

• S'attaquer au problème du brossage des cours

• Services d’Accrochage Scolaire (SAS)

Source : Composition propre sur la base des données de la Fédération Wallonie-Bruxelles (2013).

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Diverses autres mesures ont déjà été introduites précédemment, parallèlement à ce plan d’action. Sur le plan de la prévention, les allocations d’études sont liées à la participation aux cours. L’élève qui pendant deux années scolaires successives compte 30 demi-jours ou plus d’absence injustifiée, n’a pas droit à une allocation d’études (Smet, 2013). Sur le plan de l’intervention, il y a les ‘Centra voor Leerlingenbegeleiding’ (CLB) (Vlaams Ministerie van Onderwijs en Vorming, 2015a). L’objectif premier de ces centres d’accompagnement scolaire est de promouvoir le bien-être des élèves. Ils le font en se concentrant sur quatre domaines : l’appren­ tissage et l’étude, le développement émotionnel, la carrière scolaire et les soins de santé préventifs. Les initiateurs de l’accompagnement sont en règle générale les élèves eux-mêmes, leurs parents ou les écoles. Mais en cas de brossage des cours, l’élève peut être obligé de se rendre dans un CLB. Cet accompagnement est entièrement subsidié et est donc gratuit pour les élèves. Enfin, pour le volet compensation, le projet ‘Starting Jobs’ a été initié en 1999 (Vlaams Ministerie van Onderwijs en Vorming, 2015b). Il se compose plus précisément de deux projets, à savoir le projet ‘Jo-Jo starting job’ et le projet ‘VeVe starting job’, et s’adresse aux jeunes jusqu’à 25 ans compris qui ne possèdent pas de diplôme secondaire, aux jeunes qui font partie d’une minorité ethnique et aux jeunes défavorisés. Le projet JoJo (Startbanenproject Scholen voor Jongeren – Jongeren voor Scholen) met les jeunes au travail dans des écoles ou des communautés scolaires, tandis que le projet VeVe (Startbanenproject Verkeersveiligheid) les fait plutôt travailler pour des villes, des communes, des administrations provinciales ou des organisations de la circulation.


La Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) a elle aussi développé une politique de lutte contre le décrochage scolaire, représentée de façon schématique dans la Figure 4.9. En ce qui concerne les aspects identification et monitoring, le décret du 21 novembre 2013 organise la création d’un ‘Observatoire de la violence et du décrochage en milieu scolaire’. L’objectif de cette organisation est de collecter, analyser et diffuser des données relatives à la violence à l’école, à l’absentéisme à l’école et au décrochage scolaire. L’attention va plus particulièrement aux indicateurs scolaires qui sont publiés chaque année. En matière de décrochage scolaire, cela concerne des élèves de 15 à 22 ans inscrits en troisième, quatrième ou cinquième secondaires et qui l’année suivante ne suivent plus l’enseignement obligatoire. Ici aussi, le fait de rendre ces données publiquement disponibles est très encourageant. Cela met une pression positive qui permet aux écoles et aux communes d’apprendre de leurs expériences réciproques et de rechercher des best practices. Avec ce genre de benchmarking, il faut aussi surveiller les effets négatifs indésirables qui pourraient découler, par exemple, de la sélection par les écoles des élèves à faible risque de décrochage. L’inspection a certainement un rôle à jouer dans ce contexte. Quant aux mesures de prévention, elles se situent essentiellement au niveau de l’école. Le suivi des élèves bénéficie d’une grande attention. Un mauvais choix d’étude risque en effet de décourager l’élève d’aller jusqu’au terme de son parcours scolaire. L’expérience néerlandaise montre qu’un bon suivi des études est particulièrement efficace (De Witte & Cabus, 2013). Si les élèves savent mieux en quoi consiste précisément le métier auquel ils se destinent et quelles en sont les alternatives, ils abordent leur formation de façon plus motivée. Il est donc préférable que les formations soient structurées par rapport à la pratique du métier qu’elles concernent (cf. idée du ‘future self’). La FWB parle également de trajectoires d’apprentissage flexibles dans le cadre desquelles les conseils de classe ont la possibilité faire passer un élève à l’année suivante, en dépit de mauvais résultats scolaires. Il convient de souligner la mise en place d’une ‘Communauté Décolâge’ qui vise à prévenir le retard accumulé par certains jeunes dès les premières années de maternelle et du primaire (entre 2,5 et 8 ans), en leur organisant des trajectoires individualisées. L’objectif principal de ce projet est de faire baisser le redoublement dans la première et deuxième primaires, étant donné que ces années sont cruciales dans la lutte contre le décrochage scolaire. Au vu des études sur les interventions précoces et leurs effets cumulatifs, entre autres par le prix Nobel James Heckman, cette mesure semble judicieuse. Il y a aussi l’organisation du ‘Dispositif Interne d’Accrochage Scolaire’ (DIAS) à l’intention des jeunes en décrochage scolaire. Dans un premier temps, le conseil de classe identifie les jeunes qui présentent un risque élevé de décrochage scolaire. Un plan d’action individualisé d’un mois est ensuite élaboré en concertation avec l’élève et ses parents. Au terme de ce plan d’un mois, il est décidé soit de réintégrer l’élève dans sa classe, soit d’élaborer un nouveau plan d’un mois. Tout au long de

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Mesures alternatives qui ont fait leurs preuves Malgré les politiques d’ores et déjà mises en place pour lutter contre le décrochage scolaire précoce, le problème reste tellement pressant que d’autres mesures s’imposent. Dans ce contexte, les différentes régions ont beaucoup à apprendre les unes des autres. D’une part, l’indicateur du décrochage scolaire actuellement utilisé en Flandre fournit une image plus précise de la réalité que l’indicateur de la FWB, et la Wallonie et Bruxelles consacrent trop peu d’attention au problème du ‘Groenpluk’ dans le cadre duquel des élèves sont retirés de l’enseignement secondaire par des employeurs. Mais d’autre part, la Flandre peut tirer des enseigne-

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cette période, les parents sont informés en permanence des progrès de leur enfant. L’expérience néerlandaise nous apprend qu’un programme intensif impliquant les parents est clairement rentable, et ce en dépit de son coût élevé (Cabus & De Witte, 2014). Enfin, la FWB organise également un ‘Enseignement en Alternance’ sur un modèle comparable à celui du système flamand ‘Leren en Werken’. Pour ce qui concerne les mesures d’intervention, la Wallonie et Bruxelles concentrent surtout leur attention sur le brossage des cours. Leur objectif est de monitorer et sanctionner les élèves pour éviter qu’ils ne répètent ce genre de comportement. Ainsi, une école peut désinscrire un élève s’il est absent plus de vingt demi-jours sans justification valable. Le décret précise en outre que les parents doivent être contactés et qu’il faut développer avec eux un programme digne de ce nom pour l’élève concerné. Si la littérature confirme que le fait d’accorder de l’attention au problème du brossage des cours est une très bonne chose, il faut cependant veiller suffisamment à ce que les jeunes concernés puissent réintégrer l’enseignement. L’aspect intervention doit donc aller de pair avec l’aspect curatif. La Wallonie et Bruxelles consacrent en outre une grande attention au mentoring et au coaching, comme il ressort des parcours individualisés de la Communauté Décolâge et du DIAS. Enfin, trois ‘Services d’Accrochage Scolaire’ (SAS) ont été créés à Bruxelles, et neuf en Wallonie. Ces mesures compensatoires visent à ramener sur les bancs de l’école les jeunes qui ont quitté prématurément le secondaire. Ces services fournissent une aide sociale, éducative et pédagogique via un programme personnalisé qui est évalué chaque année et adapté en fonction de l’évolution des besoins. Il ressort d’études précédentes que les projets curatifs ont souvent un effet immédiat et peuvent dès lors être considérés comme un ‘quick win’ (De Witte & Cabus, 2013).


ments concrets des projets initiés en Wallonie et à Bruxelles, plus particulièrement en ce qui concerne la Communauté Décolâge, le DIAS et les SAS. La Belgique peut également s’inspirer de ce qui se fait à l’étranger, pour développer des mesures efficaces et éprouvées (par exemple via le site ‘What Works Clearinghouse’ qui rassemble et évalue les études disponibles en fonction de leur caractère probant et de leur efficacité). Dans la ligne de ce qu’on appelle un enseignement ‘evidence-based’ (basé sur des faits), nous ne suggérons ici que des mesures qui ont déjà fait l’objet d’une évaluation scientifique. Figure 4.10 : Mesures alternatives ayant fait leurs preuves

COMPENSATION INTERVENTION

PRÉVENTION

IDENTIFICATION ET COORDINATION • Collecter les

données qualitatives comme cela se fait en France, en Écosse et à Malte

• Redoublement (ex. Accelerated Middle Schools) • Statut socioéconomique (SES) peu élevé (ex. Talent Search & Pathways to Education) • Grosseses chez les adolescentes (ex. Financial Incentives for Teen Prents to Stay in School)

• Mentoring et coaching des élèves et de la famille (ex. ALAS) • Politique adéquate et intégrée de lutte contre le brossage des cours

• Renforcer l'enseignement de la deuxième chance (ex. Project Learning for Young Adults

Source : Composition propre sur la base d’études propres et des données du site ‘What Works Clearinghouse’ (2015).

Identification et coordination La Figure 4.10 illustre diverses mesures susceptibles de rendre plus efficaces les politiques wallonne, bruxelloise et flamande actuelles. En ce qui concerne l’aspect identification, il est important de déceler les raisons spécifiques qui incitent le jeune à quitter prématurément l’enseignement secondaire. Chaque décrochage scolaire est personnel, et il est essentiel que les mesures soient adaptées correctement aux besoins spécifiques des jeunes qui quittent prématurément l’école. Ces données qualitatives peuvent par exemple être collectées en effectuant des

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Mesures de prévention En ce qui concerne les mesures de prévention, une plus grande attention peut être accordée à la baisse du redoublement. Aux États-Unis, les ‘Accelerated Middle Schools’ constituent une mesure efficace et éprouvée à cet égard. Il s’agit d’écoles où les élèves qui accusent un retard d’une ou deux années sur leurs condisciples du même âge, se voient offrir la possibilité de rattraper ce retard. Elles peuvent soit faire partie d’une école existante, soit être une école séparée. L’objectif pour ces écoles est de se concentrer exclusivement sur la matière de base et de s’efforcer de ramener les élèves aussi rapidement que possible au même niveau que leurs condisciples du même âge, par le biais d’une approche pratique. En deux ans, ces écoles ont permis de réduire le taux de décrochage scolaire de sept points de pourcentage. La similitude entre le projet de ces écoles et le projet Décolâge en Wallonie et à Bruxelles semble évidente, à la différence que le succès des ‘Accelerated Middle Schools’ est étudié de façon empirique et que les écoles américaines ne se concentrent pas uniquement sur le maternel et le primaire. Une politique ciblée à l’intention des élèves défavorisés et des élèves allochtones peut également porter des fruits. C’est pour ces groupes d’élèves que le programme ‘Talent Search’ a été développé. Il comprend entre autres un suivi des études, un mentoring et un coaching tant pour les élèves que pour leurs parents, une aide sur le plan académique, des visites à différentes universités et un soutien financier, et est parvenu à faire baisser le décrochage scolaire de non moins de 17 points de pourcentage. Dans le même ordre d’idées, le programme ‘Financial Incentives for Teen Parents to Stay in School’ offre un soutien financier à de jeunes parents pour essayer de les garder sur les bancs de l’école. En Californie par exemple, un élève pouvait recevoir plus de 500 USD s’il terminait ses études secondaires. Ce programme a permis de faire baisser ledécrochage scolaire précoce de 16 points de pourcentage en moyenne. Le programme ‘Pathways to Education’ cible quant à lui les jeunes défavorisés. Il a été introduit en 2001 à Toronto (Canada) et a permis de faire baisser le décrochage scolaire de 8 points de pour cent. Il se compose de quatre volets. Pour commencer, des bénévoles fournissent un soutien scolaire après l’école dans les matières principales. Deuxièmement, des

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enquêtes auprès des jeunes qui ont abandonné école et formation, sans qualification. La motivation à quitter prématurément l’école peut en effet être très différente selon la forme d’enseignement, le sexe, ou le groupe socioéconomique. En outre, des interventions auprès d’autres acteurs, comme le corps enseignant ou les directions d’école, peuvent conduire à une perception différente de la problématique du décrochage scolaire par région. Les questionnaires des enquêtes peuvent être élaborés en s’inspirant d’exemples d’autres pays comme la France, le Royaume-Uni (Écosse) et Malte, qui ont déjà implémenté ce volet important de la politique de lutte contre le décrochage scolaire.


bénévoles sont également mis en œuvre pour assister les jeunes dans leurs compétences sociales et les aider à dessiner leur future carrière. Ces mesures se déroulent en groupe. Troisièmement, il y a aussi un suivi personnalisé pour aider les élèves à réussir tant à l’école, qu’à la maison et dans la collectivité. Enfin, un soutien financier est alloué sous forme d’allocations d’études pouvant aller jusqu’à 4 000 USD, pour couvrir les frais de déplacement et de fournitures scolaires. Une troisième politique ciblée a été mise en place pour faire baisser la ségrégation entre écoles. En matière de ségrégation scolaire, la Belgique fait partie des pays les moins performants au sein de l’OCDE (voir chapitre 3). Le phénomène est bien ancré (Hindriks & Lamy, 2014). En Flandre, la cause est à rechercher dans ce qu’on appelle l’effet ‘cascade’ de l’enseignement secondaire (watervalsysteem). En FWB, la ségrégation est principalement induite par le redoublement et la réorientation des élèves entre les établissements scolaires. Ong & De Witte (2013) montrent que le risque de décrochage scolaire augmente considérablement dès que l’on atteint un point critique donné dans la composition d’une population scolaire. Les élèves qui ont déjà effectué leurs primaires dans une école fortement stigmatisée, risquent trois fois plus le décrochage scolaire que ceux qui ont suivi les cours dans une école un peu moins (mais toujours) marquée par la ségrégation. Rumberger & Palardy (2005) montrent pour leur part que la composition socioéconomique de l’école a quasiment le même impact que le statut socioéconomique de l’élève luimême. Pour réduire la ségrégation entre les écoles, Hindriks et Lamy (2014) recommandent de consacrer plus d’attention à l’amélioration des pratiques pédagogiques et de plus impliquer les élèves, les écoles et les parents dans les projets pédagogiques. Le système de sélection précoce entre les différentes formes d’enseignement est lui aussi mis en question, dans la mesure où le choix des études est fortement lié au statut socioéconomique des élèves. Il ressort néanmoins d’études antérieures qu’une sélection précoce a un effet positif sur les performances d’apprentissage, pas uniquement pour les élèves les plus performants mais pour l’ensemble des élèves. Duyck & Anseel (2012) recommandent dès lors de se concentrer sur une meilleure orientation des études plutôt que sur l’allongement du tronc commun. L’association bruxelloise Odyssée fournit une inspiration concrète en matière de prévention. Cette ASBL a pour mission de venir en aide aux jeunes de 12 à 18 ans exposés au risque de décrocher de l’enseignement secondaire ou qui l’ont déjà quitté prématurément. Elle suit 1126 adolescents dont la majorité réside à Bruxelles et dans les environs. L’objectif est de faire en sorte que ces jeunes reprennent leur vie en mains quel que soit leur statut social, leur handicap ou leur situation familiale. Odyssée a conclu des partenariats à cet effet avec 25 écoles, qui peuvent ainsi prévenir l’association quand des jeunes décrochent ou abandonnent l’école. Odyssée prend alors l’initiative d’aller à la rencontre de ces jeunes. En 2015, 94% des jeunes ainsi contactés ont accepté la proposition de l’association. Odyssée utilise des méthodes peu conventionnelles, dont l’une s’ap-

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Intervention En ce qui concerne l’aspect intervention, le plan d’action flamand se réfère à l’exemple américain de mentoring et de coaching. La façon précise dont cette mesure doit prendre forme n’est cependant pas spécifiée. Dans ce contexte, la façon dont le programme ‘ALAS’ désigne comme ‘mentor’ un enseignant expérimenté ou un assistant social pour accompagner l’élève à risque, peut être intéressante. Le mentor suit quotidiennement la présence de l’élève et contacte immédiatement les parents s’il brosse les cours. Le mentor partage également avec l’élève et ses parents le feedback des enseignants sur les points obtenus ou le comportement en classe. Ensuite, dans le cadre d’un curriculum spécialement développé à cet effet et baptisé ALAS Resilience Builder, les élèves sont formés aux compétences de résolution de problèmes et aux techniques de selfcontrol. Une analyse approfondie du programme ALAS peut améliorer la mise en œuvre des projets

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pelle la ‘Motivation globale’. Les jeunes qui vivent des réalités difficiles pensent souvent que leur avenir est joué d’avance et qu’ils ne peuvent pas y faire grandchose. Une des façons d’y mettre un terme est de les faire participer à des projets totalement dissociés de leur environnement habituel (par exemple l’accrobranche pour apprendre à surmonter leurs peurs et repousser leurs limites). Les participants au projet peuvent ainsi se rendre compte qu’ils sont capables de bien plus qu’ils ne le pensaient initialement, et qu’ils ont beaucoup plus de potentiel en eux. Les résultats sont très prometteurs, car 79% des jeunes qui ont accepté l’intervention d’Odyssée ont finalement repris le chemin de l’école. Ce chiffre passe même à 91% si l’on ne tient compte que des jeunes qui ont été absents moins de 20 demi-jours (Odyssée, 2015). Pour terminer, nous voulons attirer l’attention sur le coaching des jeunes. Aux Pays-Bas, une expérience contrôlée montre que le coaching individuel, tant avant qu’après le décrochage scolaire, contribue à faire baisser le décrochage scolaire, et ce surtout pour les élèves les plus exposés aux risques de décrochage scolaire (Van der Steeg et al., 2012). Ce suivi individuel porte entre autres sur l’amélioration des performances scolaires, les interactions sociales et les problèmes familiaux, ainsi que la résolution des traumatismes passés. Une année de coaching fait baisser le décrochage scolaire de plus de 40 pour cent. Les avantages pour la collectivité dépassent dès lors de loin les coûts du programme. Étant donné les effets positifs substantiels, nous proposons que l’accent soit mis sur des mesures de prévention. Des interventions précoces peuvent en effet permettre d’éviter le développement cumulatif de problèmes liés au décrochage scolaire précoce. Il est important dans ce contexte que les mesures de prévention ne soient pas uniquement mises en œuvre dans les écoles mais qu’elles impliquent tous les acteurs (parents, animateurs de quartier, communes). De plus, ces mesures sont également rentables.


actuels qui proposent une intervention similaire en Wallonie et à Bruxelles. Enfin, les parents sont également impliqués et formés au développement de compétences liées aux relations parent-enfant et à la participation dans la scolarité de l’enfant. Ce programme a permis une réduction moyenne du décrochage scolaire de 5 points de pourcentage. En matière de brossage des cours, l’exemple des Pays-Bas est également digne d’intérêt. Il s’agit plus spécifiquement du projet ‘Bewust Aanwezig op School’ (BAS), qui se veut une mesure rentable pour faire baisser le décrochage scolaire. Dans le cadre du projet, un mentor ou un assistant social est désigné pour mener un entretien approfondi avec l’élève qui a brossé les cours. Le cas échéant, une visite peut être faite au domicile de l’élève pour informer ce dernier ainsi que ses parents des avantages de l’enseignement. De plus, le programme sensibilise également le corps enseignant à la problématique du décrochage scolaire.

Compensation En ce qui concerne les mesures compensatoires, le projet slovène PLYA (Project Learning for Young Adults) est une initiative louable qui a par ailleurs décroché en 2007 le prix ‘European Regional Champions’ dans la catégorie ‘meilleure politique sociale au sein de l’UE’. Grâce à programme d’enseignement de la deuxième chance, 40% de jeunes en décrochage scolaire avaient repris les cours et 24% avaient pu trouver du travail (15% à temps partiel et 9% à temps plein). En outre, 94% des participants au programme se disaient satisfaits de leur participation, et 70% avaient atteint les objectifs fixés au départ. Ce programme s’adresse de manière spécifique aux jeunes de 15 à 25 ans qui n’ont pas terminé leurs études secondaires, qui n’ont par la suite pas trouvé de travail et qui ont beaucoup de difficulté à trouver du travail en raison de leur manque de formation. Il s’agit donc de jeunes avec un contexte social, culturel et/ou socioéconomique problématique, dont l’accompagnement requiert des méthodes pédagogiques spécifiques. Les jeunes participent activement sept heures par jour ouvrable à ce programme d’une durée minimum de trois mois et maximum d’un an. L’inscription se fait sur une base volontaire, mais les jeunes doivent cependant être recommandés par des amis, la famille, l’école ou les services sociaux. Ils peuvent quitter librement le programme, qui est gratuit pour les participants et totalement subsidié par le ministère de l’Enseignement et du Sport, le ministère du Travail, de la Famille et des Affaires sociales, ainsi que les collectivités locales. Le programme est organisé autour de différents projets qui impliquent activement les participants dans toutes les phases, c’est-à-dire tant au niveau de la sélection du projet qu’au niveau de son exécution et de son évaluation finale. Le programme est soutenu par des mentors qui, sur le modèle américain, doivent doter leurs élèves des compétences requises en matière de recherche d’emploi et de résolution de problèmes pour leur permettre de soit poursuivre leurs études secon-

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Conclusion Le décrochage scolaire précoce est un problème pressant et complexe qui mérite toute l’attention du politique. Les jeunes qui quittent prématurément l’école risquent l’exclusion tant sociale qu’économique. En dépit du chemin déjà parcouru, beaucoup trop d’élèves quittent encore toujours prématurément le secondaire sans la moindre qualification. Étant donné le coût individuel et collectif important de ce phénomène, nous devons à ces jeunes et à la société de continuer à réduire drastiquement le nombre de décrochage scolaire. Il est évident qu’investir dans une politique de lutte contre le décrochage scolaire vaut la peine. Les Pays-Bas ont calculé que chaque euro investi dans une politique de lutte contre le décrochage scolaire se rembourse à terme au moins huit fois. Le Canada avance pour sa part un retour de six pour un. Il est vraisemblable que de tels ratios peuvent également s’appliquer à la Belgique et à ses régions. Nous plaidons dès lors en faveur de moyens plus importants pour des interventions concrètes, éprouvées et adaptées à l’individu. L’efficacité (et la rentabilité) des innovations pédagogiques devrai(en)t être évaluée(s) de façon systématique, mais cela ne se fait encore que trop peu aujourd’hui. C’est seulement ainsi que nous pourrons voir ce qui marche et ce qui doit être adapté pour atteindre les objectifs, et offrir un bel avenir à nos jeunes. Nous avons proposé dans le présent article diverses alternatives et mesures qui ont fait leurs preuves pour continuer à faire baisser le décrochage scolaire. Une politique de lutte contre le décrochage scolaire doit plus miser sur les spécificités individuelles. Les caractéristiques du système institutionnel jouent elles aussi un rôle important dans la décision des jeunes de quitter prématurément l’école. Il est dès lors indispensable que la politique en matière de décrochage scolaire précoce aille de pair avec des mesures visant à améliorer le climat socioéconomique. Chaque avancée en matière de croissance économique, de santé publique ou de lutte contre la pauvreté, est une avancée dans le sens d’une réduction du décrochage scolaire précoce. Seule une politique globale permettra des progrès durables.

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4 DÉCROCHAGE SCOLAIRE

daires, soit trouver du travail sur le marché de l’emploi. Il a quatre styles de projets d’apprentissage. Il y a les projets choisis sur la base des centres d’intérêt de tout le groupe, les projets axés sur la production et qui permettent aux étudiants d’acquérir plus de connaissances en processus industriel et business management, les projets personnalisés en fonction des différents problèmes rencontrés par les élèves, et enfin de courts projets de maximum trois jours qui sont proposés par le groupe et qui sont destinés à renforcer la cohésion du groupe.


8 recommandations prioritaires Pour les écoles : ∙∙ Veiller à disposer de professeurs motivants qui dispensent un enseignement de qualité, et ont conscience de leur rôle important dans la prévention du décrochage scolaire. ∙∙ Veiller à un suivi rapide et adéquat des élèves qui brossent les cours. Se concerter avec d’autres acteurs du quartier, les autorités locales et les parents à propos de mesures adaptées et d’une approche en chaîne. Veiller dans ce contexte à développer des mesures adaptées individuellement pour chaque élève à risque. ∙∙ Réduire le redoublement via une remédiation ciblée et un bon suivi du choix des études. Pour les pouvoirs publics : ∙∙ Développer des indicateurs transparents et de qualité, et les tenir à jour. Le fait de publier annuellement les chiffres du décrochage scolaire permettra d’attirer plus d’attention sur la problématique. Les écoles, communes et régions peuvent en outre se comparer entre elles et apprendre les unes des autres. ∙∙ Développer des projets concrets et puiser l’inspiration à cet effet dans des exemples qui ont fait leurs preuves à l’étranger. ∙∙ Développer un questionnaire à l’intention des jeunes qui quittent l’école et la formation, sans qualification. ∙∙ Développer une culture qui évalue l’efficacité (et la rentabilité) des interventions. ∙∙ Libérer suffisamment de moyens pour la prévention du décrochage scolaire. Chaque euro investi se récupère plusieurs fois.

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La transition vers emploi Dieter Verhaest & Kristof De Witte

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RÉSUMÉ Dans ce chapitre, Dieter Verhaest et Kristof De Witte approfondissent la problématique de l’adéquation entre les emplois et les qualifications au début de la carrière. Ils donnent un aperçu des données scientifiques existantes et en distillent une série d’applications politiques. Plus précisément, ils cartographient le problème de l’adéquation (lacunaire) entre qualifications et emplois. Deuxièmement, ils étudient plus en profondeur les effets de cette inadéquation (mismatch) et en analysent les conséquences pour le jeune, l’employeur et la société. Ensuite, ils discutent des mécanismes qui peuvent expliquer cette inadéquation. Dans ce cadre, ils établissent une distinction entre les facteurs liés à la qualité et la nature de l’enseignement, ceux liés au fonctionnement du marché du travail, et les déséquilibres qualitatifs entre l’offre et la demande sur le marché du travail. Ils clôturent le chapitre par une série d’implications politiques

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Introduction

LA TRANSITION VERS EMPLOI

On peut difficilement sous-estimer l’importance d’une transition réussie de la formation vers l’emploi. C’est aussi cela l’école de la réussite. Un début de carrière 5 difficile a un impact négatif sur le bien-être des jeunes et laisse souvent des traces (« cicatrices ») qui peuvent aussi porter préjudice à la suite de la carrière (Cockx & Picchio, 2013; Ghirelli, 2015). Pour évaluer les chances d’une transition réussie sur le marché du travail, il existe grosso modo deux approches complémentaires. Dans une première approche, on examine dans quelle mesure les jeunes issus de différentes filières de formation et d’enseignement trouvent rapidement un premier emploi (stable) et dans quelle mesure ils se retrouvent dans des emplois « de qualité ». Dans ce contexte, la qualité des emplois est évaluée généralement, mais non exclusivement, sur la base du salaire et de la sécurité d’emploi. Selon cette approche, des On peut difficilement sous-estimer études concluent que les jeunes moins l’importance d’une transition réussie qualifiés obtiennent systématiquement de de la formation vers l’emploi moins bons scores (voir, par exemple, Verhofstadt, Verhaest & Omey, 2008; Herremans, Vansteenkiste & Soubron, 2016; VDAB, 2016). Il apparaît non seulement qu’ils trouvent moins vite un premier emploi, mais en outre que leur salaire est plus bas et qu’ils se retrouvent plus souvent dans des emplois offrant peu de sécurité de l’emploi. Une deuxième approche examine plutôt la mesure dans laquelle les emplois correspondent en début de carrière à la formation suivie et aux aptitudes acquises. Cela concerne la soi-disant surqualification ou sous-qualification (lorsque le niveau de qualification requis pour le poste diverge du niveau d’enseignement atteint), l’inadéquation du domaine d’études (si l’orientation suivie ou le domaine d’études diverge de l’orientation la plus adéquate pour l’emploi), ou l’inadéquation sur le plan des aptitudes et compétences spécifiques. Certaines études suggèrent, en fonction de la méthode appliquée, que 27 % à 56 % des jeunes Flamands commencent leur carrière dans un poste qui ne correspond pas totalement à la formation suivie (Sellami, Verhaest & Van Trier, 2016). Ces deux approches sont liées. Ainsi, une mauvaise adéquation va souvent de pair avec des salaires plus bas et des emplois de plus courte durée. Une focalisation spécifique sur l’adéquation entre l’emploi et la formation s’avère néanmoins intéressante pour deux raisons. En premier lieu, cette mauvaise adéquation est l’indication d’une sous-utilisation des aptitudes et compétences que l’on ne discerne pas si l’on se focalise exclusivement sur les chances d’emploi et les salaires. De plus, l’étude suggère que cette mauvaise utilisation des aptitudes et compétences a un coût psychologique important sur le bien-être des jeunes, et que ce

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coût psychologique dépasse souvent largement les effets indirects induits par les salaires inadéquats (Verhaest & Omey, 2009). L’attention prêtée à la (mauvaise) adéquation entre les emplois et les qualifications des jeunes ne se limite pas à la littérature scientifique. Plusieurs organismes internationaux ont placé ce thème à leur agenda politique au cours des dernières années. Ainsi, le Cedefop, le centre européen pour le développement de la formation professionnelle de l’Union européenne, a formulé une mise en garde contre un problème croissant d’inadéquation des aptitudes à l’ère des changements technologiques rapides et de la concurrence internationale accrue (Cedefop, 2010). Le même son de cloche émane entre autres de l’Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE 2013) et de l’Organisation internationale du Travail (OIT, 2014). Dans ce chapitre, nous approfondissons la problématique de l’adéquation entre les emplois et les qualifications en début de carrière. Nous donnons un aperçu des faits et chiffres et des résultats de la recherche existante. Nous en distillons aussi plusieurs implications politiques. À cet égard, nous prêtons particulièrement attention aux constatations et visions sur la base du contexte belge et flamand. Ce chapitre est organisé comme suit. En premier lieu, nous dressons la carte du problème de la (mauvaise) adéquation entre les qualifications et les emplois. Nous réfléchissons entre autres aux problèmes qu’entraîne la mesure de l’inadéquation. En deuxième lieu, nous explorons les effets de l’inadéquation. Nous examinons les conséquences pour le jeune, mais nous analysons aussi les conséquences pour l’employeur et la société. Ensuite, nous abordons les mécanismes qui peuvent expliquer une mauvaise adéquation. Nous faisons la distinction entre les facteurs liés à la qualité et la nature de l’enseignement, les facteurs liés au fonctionnement du marché du travail, et les déséquilibres quantitatifs entre l’offre et la demande sur le marché du travail. Nous terminons le chapitre par la formulation de plusieurs recommandations politiques.

Inadéquation entre qualifications et emplois en chiffres La littérature fait la distinction entre les inadéquations verticales et horizontales de l’enseignement. L’inadéquation verticale de l’enseignement est l’indication d’une situation où le niveau d’enseignement du travailleur diverge du niveau nécessaire pour l’exercice du poste. Dans ce contexte, on parle de surqualification (si le niveau atteint dépasse le niveau requis) et de sous-qualification (si le niveau requis dépasse le niveau atteint). L’inadéquation horizontale indique plutôt une situation où l’orientation suivie et/ou le domaine d’études du travailleur diverge de ce qui est le plus approprié pour le poste. Par ailleurs, la plupart des chercheurs

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Comment pouvons-nous mesurer l’inadéquation ? Bien que la recherche scientifique sur l’inadéquation entre la formation et la profession remonte aux années ’60, il n’y a toujours pas de critère uniforme pour mesurer les qualifications requises pour un poste. Grosso modo, trois catégories de méthodes sont courantes pour la mesure de la surqualification et de la sousqualification dans la littérature scientifique (Groot & Maassen van den Brink, 2000; McGuinness, 2006; Verhaest & Omey, 2006a) : (A) la méthode des experts en professions, (B) la méthode d’auto-évaluation et (C) la méthode statistique. La méthode des experts en professions est basée sur l’évaluation des experts en professions qui déterminent pour chaque profession, dans une classification de professions, quel est le niveau de formation le plus approprié. En comparant ce niveau de formation requis avec le niveau de formation effectif du travailleur, on peut évaluer s’il est en surqualification, sous-qualification ou en qualification adéquate. La méthode d’auto-évaluation est plutôt basée sur l’évaluation par le travailleur proprement dit. Dans une enquête, on peut par exemple demander aux répondants quel est selon eux le niveau de formation le plus approprié pour l’exercice du poste, ou quelle est la formation minimale pour être engagé à ce poste. Pour finir, la méthode statistique mesure les qualifications requises sur la base du niveau de formation moyen ou médian de tous les travailleurs qui sont employés dans la même profession. Les trois approches sont semblables pour l’inadéquation horizontale et verticale. La manière dont l’inadéquation de l’enseignement est mesurée a son importance pour l’estimation du phénomène étant donné qu’une approche différente peut mener à des résultats différents. Ce qui est illustré dans la Figure 1. Cette figure reproduit la mesure de surqualification et d’inadéquation du domaine d’études pour les Flamands hautement qualifiés dans leur premier emploi, telle que rapportée dans l’étude de Sellami, Verhaest & Van Trier (2016).1 Les chiffres sont basés sur les données SONAR, qui avaient inventorié la transition de l’enseignement au marché du travail en Flandre pour les jeunes Flamands nés en 1976,

1

En raison de la focalisation sur les personnes hautement qualifiées, la sous-qualification comme catégorie d’inadéquation n’est pas prise en considération.

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5 LA TRANSITION VERS EMPLOI

font aussi une distinction entre l’inadéquation de l’enseignement et l’inadéquation en matière d’aptitudes et compétences (voir par ex. Allen & van der Velden, 2001; Green & McIntosh, 2007). Bien que les deux concepts soient liés, ils ne coïncident pas nécessairement pour autant. Ainsi, il est possible qu’une personne soit surqualifiée pour le poste mais qu’en raison d’une moindre qualité de sa formation, elle présente pourtant une adéquation parfaite sur le plan de ses aptitudes et compétences. Nous reviendrons là-dessus ci-après dans ce chapitre.


en 1978 et en 1980. Sur la base de ces chiffres, la mesure globale d’inadéquation de l’enseignement parmi les personnes hautement qualifiées dans leur premier emploi varie de 27,4 % sur la base de la méthode d’évaluation directe du travailleur à 56,3 % sur la base de la méthode des experts en professions. Les résultats pour les formes spécifiques d’inadéquation diffèrent aussi substantiellement entre les diverses méthodes. Cela montre d’emblée qu’il n’existe pas un taux d’inadéquation unique et que les chiffres à ce sujet doivent être interprétés avec la plus grande prudence. Figure 5.1 : Inadéquation de l’enseignement dans le premier emploi des Flamands hautement qualifiés

Méthode statistique

18,9%

12,2%

Méthode des experts en professions

41,0%

Auto-évaluation indirecte (niveau demandé lors du recrutement)

6,1%

Auto-évaluation directe

5,1%

24,5%

11,6% 0

Seulement surqualification

17,8%

4,4% 10

10,2%

21,4%

11,4% 20

Seulement inadéquation du domaine d’études

30

40

50

60 %

Inadéquation totale

Source : Sellami et al., 2016. Tableau 6; données originales : SONAR.

Chaque méthode ne convient pas pour autant pour mesurer l’inadéquation de l’enseignement. Ainsi, il y a un certain consensus pour considérer la méthode d’auto-évaluation indirecte et la méthode statistique comme moins adaptées pour la mesure de l’inadéquation de l’enseignement. Même en faisant abstraction de ces deux méthodes, il subsiste quand même une variation substantielle dans la mesure. En effet, la différence entre la méthode des experts en professions et la méthode d’auto-évaluation directe est assez grande pour ce qui concerne les cas de simple surqualification (Sellami, Verhaest & Van Trier, 2016). Ce taux varie dans la Figure 5.1 de 12 % sur la base des auto-évaluations directes à 41 % sur la base de la méthode des experts en professions. Les taux avec une inadéquation simple du domaine d’études (4 % à 5 %) ou une inadéquation totale (10 % à

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11 %) semblent par contre assez comparables pour ces deux méthodes dans la Figure 5.1.

Les jeunes diplômés flamands dans une perspective internationale

LA TRANSITION VERS EMPLOI

5 Les chiffres précédents indiquent que dans les comparaisons internationales, il est important de mesurer l’inadéquation de manière uniforme. Dans la Figure 5.2, nous reproduisons pour plusieurs pays et régions d’Europe ainsi que pour le Japon les pourcentages d’inadéquation de l’enseignement parmi les personnes hautement qualifiées, cinq ans après la fin de leurs études. Les chiffres sont basés sur les données REFLEX et HEGESCO, qui sont le résultat de consultations représentatives et uniformes parmi des jeunes qui ont obtenu leur diplôme en l’an 2000. Pour la Belgique, seule la Flandre avait participé au projet. Les chiffres rapportés sont basés sur l’auto-évaluation directe en ce qui concerne l’inadéquation du domaine et sur l’auto-évaluation indirecte du niveau le plus approprié pour l’exercice du métier en ce qui concerne la surqualification. Avec une un taux d’inadéquation de l’enseignement de 22 %, la Flandre se trouve dans le groupe intermédiaire. La Flandre affiche un score un peu plus bas que la moyenne sur Avec une un taux d’inadéquation le plan de cette inadéquation globale de l’enseignement de 22 %, la Flandre en raison d’une incidence plus basse se trouve dans le groupe intermédiaire de la pure inadéquation du domaine d’études (5 % par rapport à 8 % en moyenne). Les pourcentages pour la pure surqualification (8 %) et pour l’ensemble de l’inadéquation de l’enseignement (7 %) correspondent pratiquement aux moyennes nationales. Le Royaume-Uni et le Japon sont les pays qui affichent des scores notablement plus mauvais (c.-à-d. plus élevés). De l’autre côté du spectre, nous trouvons des pays scandinaves comme la Finlande et la Norvège, mais aussi le Portugal.2

2

Ces chiffres ont trait à la période précédant la grande récession. Tel qu’expliqué ci-après, la conjoncture économique semble être un prédicteur important de la mesure d’inadéquation parmi les diplômés.

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Figure 5.2 : Inadéquation de l’enseignement cinq ans après la fin des études parmi les personnes hautement qualifiées 70 % 60 50 40 30 20 10

Inadéquation totale

Seulement surqualification

Japon

États-Unis

Hongrie

Espagne

Pologne

Italie

Moyenne des pays

Autriche

Pays-Bas

République tchèque

Estonie

Belgique (Flandre)

Allemagne

Slovénie

Suisse

France

Finlande

Norvège

Portugal

0

Seulement inadéquation du domaine d’études

Source : Verhaest et al. (2017), Tableau 1; données originales : REFLEX et HEGESCO.

Chiffres pour l’ensemble de la population active Des chiffres plus récents concernant l’inadéquation parmi les jeunes diplômés dans notre pays font défaut. Par contre, nous disposons de données plus récentes concernant l’ensemble de la population active. Ces données proviennent de deux projets internationaux qui se focalisent sur la mesure des aptitudes et des inadéquations parmi les adultes. Le premier projet concerne « l’European Skills and Jobs Survey » (ESJS). Cette consultation a été réalisée en 2014 à la demande de Cedefop dans tous les pays de l’Union européenne parmi un panel de travailleurs entre 24 et 65 ans (voir Cedefop, 2015). Dans la Figure 5.3, nous reproduisons le taux de surqualification et de sous-qualification sur base de ces données pour la Belgique et les pays voisins. À cet effet, il a été fait usage de la méthode d’autoévaluation indirecte pour sonder le niveau le plus adéquat pour l’exercice du métier. En ce qui concerne l’ensemble de la population, la Belgique affiche un score notablement bas sur le plan de la surqualification. En ce qui concerne la sous-qualification, le pourcentage est proche de celui de l’Allemagne et des Pays-

126


Bas.3 Divisées entre la Flandre, la Wallonie et Bruxelles, les différences sont petites et statistiquement non significatives sur la base de ces données.4 Figure 5.3 : Inadéquation de l’enseignement parmi les travailleurs adultes (Cedefop ESIS)

LA TRANSITION VERS EMPLOI

5

Belgique Pays-Bas Luxembourg France Allemagne Royaume-Uni 0

10

20

Surqualification

30

40

50 %

Sous-qualification

Source : Cedefop’s European Skills and Job Survey (ESJS).5 Les chiffres pour d’autres pays se trouvent dans Cedefop (2015), Figure 8.

Ces conclusions concernant la faible surqualification en ce qui concerne l’ensemble de la population active viennent corroborer les chiffres sur la base d’un autre projet, le « Programme for the International Assessment of Adult Competen-

3

4 5

Pour plusieurs raisons, ces données ne sont pas purement et simplement comparables avec les chiffres rapportés ci-avant sur la base de SONAR ou REFLEX. Ainsi, pour le calcul des chiffres sur la base des données Cedefop, on a distingué seulement trois niveaux d’enseignement (personnes hautement qualifiées, moyennement qualifiées et peu qualifiées), alors que les chiffres SONAR sont basés sur cinq niveaux distincts. Le degré d’inadéquation mesuré augmente par définition avec le nombre de niveaux de formation. Les pourcentages s’élèvent respectivement à 8,9 % (Flandre), 7,7 % (Wallonie) et 6,8 % (Bruxelles) pour la surqualification et à 10,9 % (Flandre), 12,2 % (Wallonie) et 12,5 % (Bruxelles) pour la sous-qualification. European Centre for the Development of Vocational Training (Cedefop). Cedefop European skills and jobs survey (ESJS), vague 1, printemps 2014 [fichier informatique], 1re édition, Thessaloniki : Grèce. Téléchargé de : http://www.cedefop. europa.eu/en/eventsand-projects/projects/analysing-skill-mismatch. Les microdonnées ESIS sont la propriété de Cedefop et sont reproduites avec l’autorisation de Cedefop. De plus amples informations sont disponibles dans Cedefop (2015).

127


cies » (PIAAC). Ce projet a été coordonné par l’OCDE et a interrogé en 2011 et 2012 des adultes de 16 à 65 ans. Sur la base de ces données, un taux de surqualification de 15,8 % est trouvée pour la population active flamande6 , ce qui est substantiellement plus bas que la moyenne nationale de 21,4 % (OCDE, 2013). Sur les autres 23 pays participants, seuls les Pays-Bas et l’Italie ont obtenu un score encore meilleur que la Flandre. En ce qui concerne la sous-qualification, la Flandre affiche de nouveau un score moyen (13,6 % par rapport à une moyenne nationale de 12,9 %). Par contre, l’indicateur pour la surqualification et la sousqualification est basé sur le niveau requis pour le recrutement (auto-évaluation indirecte) et non sur le niveau qui est normalement nécessaire pour l’exercice du job (méthode statistique).

Inadéquations en matière de compétences Tant l’enquête ESI que le PIAAC fournissent aussi des informations sur les inadéquations en matière de compétences. Dans l’enquête ESI, tout comme pour la mesure des inadéquations dans l’enseignement, il est fait usage des auto-évaluations par les répondants. La figure 5.4 reproduit le pourcentage de travailleurs qui rapportent un surplus ou un manque de Environ 33 % des travailleurs belges compétences dans leur métier. Environ 33 % des travailleurs belges rapportent déclarent un surplus de compétences un surplus de compétences. Néanmoins, la Belgique affiche ainsi un meilleur score que la moyenne (Cedefop, 2015). Le pourcentage de travailleurs avec un manque global de compétences est plutôt limité et est proche de la moyenne européenne. Entre les trois régions aussi, les différences sur la base de ces données sont petites et statistiquement non significatives.7 Pour finir, l’analyse sur la base du PIAAC mène aussi à des conclusions semblables en ce qui concerne la position de notre pays sur le plan des inadéquations des aptitudes (OCDE, 2013).

6 7

Les données pour la Wallonie et Bruxelles ne sont pas disponibles sur la base du PIAAC. Les pourcentages de sous-utilisation des compétences s’élèvent respectivement à 36,3 % (Flandre), 31,9 % (Wallonie) et 35,9 % (Bruxelles). Les pourcentages de surutilisation des compétences s’élèvent respectivement à 5,4 % (Flandre), 5,5 % (Wallonie) et 7,0 % (Bruxelles).

128


Figure 5.4 : Inadéquation en matière de compétences parmi les travailleurs adultes (Cedefop ESIS)

Luxembourg

5 LA TRANSITION VERS EMPLOI

Belgique France Pays-Bas Allemagne Royaume-Uni 0

10

20

30

Excédent de compétences

40

50

60 %

Manque de compétences

Source : Cedefop’s European Skills and Job Survey (ESJS). Les chiffres pour d’autres pays se trouvent dans Cedefop (2015), Figure 13.

Conséquences d’une mauvaise adéquation Une mauvaise adéquation entre le travail et la formation ou les compétences a en premier lieu des conséquences pour le jeune proprement dit. Il ressort des études scientifiques que ces conséquences ne sont pas seulement de nature financière, mais qu’elles s’étendent aussi à la qualité du travail, au bien-être subjectif et à la carrière future (voir, entre autres, McGuinness, 2006). De plus, il y a aussi des conséquences pour l’entreprise et le reste de la société (voir par exemple Kampelman & Rycx, 2012; Ramos, Surinach & Artís, 2012).

Conséquences financières pour le jeune Une grande partie de la recherche sur les conséquences de l’inadéquation se concentre sur l’impact de la surqualification et de la sous-qualification sur le salaire. À cet égard, on utilise généralement deux comparaisons différentes (voir, entre autres, Hartog, 2000; Verhaest & Omey, 2006a). D’une part, les travailleurs surqualifiés ou sous-qualifiés peuvent être comparés avec des travailleurs adéquatement qualifiés, avec un niveau de formation semblable (Comparaison (A)).

129


D’autre part, nous pouvons comparer les travailleurs présentant une inadéquation avec des travailleurs adéquatement qualifiés dans un job semblable (Comparaison (B)). La figure 5.5 reproduit schématiquement ces deux comparaisons en ce qui concerne la surqualification. La première comparaison applique une logique d’utilisation et évalue l’effet sur le salaire de l’acceptation d’un emploi adapté au niveau de qualification. La deuxième comparaison applique une logique d’investissement et évalue l’effet sur le salaire de l’obtention d’un niveau de qualification plus élevé que nécessaire pour le métier qu’on exerce. La plupart des études trouvent que les personnes surqualifiées gagnent plus que leurs collègues qualifiés adéquatement (et donc formellement moins qualifiés), mais qu’elles gagnent moins que leurs anciens camarades de classe adéquatement qualifiés dans un autre métier (Hartog, 2000; Rubb, 2003; McGuinness, 2006). Le fait d’avoir une formation supérieure à ce qui est strictement nécessaire pour l’exercice du métier rapporte donc bel et bien un rendement positif (valorisation explicite ou implicite du diplôme), mais ce rendement est inférieur à ce qu’on pourrait réaliser en trouvant un job qui correspond à la formation supérieure. En ce qui concerne la sous-qualification, on retrouve le modèle inverse : les personnes sous-qualifiées gagnent moins que leurs collègues adéquatement qualifiés, mais plus que leurs anciens camarades de classe qui sont employés à leur niveau de qualification. Les travailleurs qui parviennent à trouver un emploi audessus de leur niveau de qualification semblent donc y gagner sur le plan financier. Une étude basée sur les données relatives aux jeunes flamands en rupture scolaire arrive aussi à des conclusions semblables (Verhaest & Omey, 2006a). Figure 5.5 : Méthodes de comparaison dans l’évaluation de l’effet de la surqualification

A

Niveau de formation 2 Niveau de fonction 1

Niveau de formation 2 Niveau de fonction 2

B

Niveau de formation 1 Niveau de fonction 1

Source : Composition propre.

La mesure dans laquelle ces relations sont causales reste toutefois un point de discussion dans la littérature (Leuven & Oosterbeek, 2013). Il est possible que les personnes surqualifiées gagnent moins que leurs anciens camarades de classe adé-

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Conséquences pour la qualité du job et le bien-être Une inadéquation sur le plan de la formation et des aptitudes a non seulement des implications financières, mais influence aussi la qualité du job. La sous-utilisation s’avère néfaste pour la participation à l’apprentissage formel et informel. Ainsi,

131

5 LA TRANSITION VERS EMPLOI

quatement qualifiés parce que les différences en matière de compétences ne sont pas directement observées par les chercheurs. Des techniques statistiques ont été développées afin d’y remédier. Certaines études qui en font usage concluent que l’effet négatif sur le salaire de l’acceptation d’un job sous le niveau pour lequel on a étudié est effectivement négligeable (voir par exemple Bauer, 2002). De nombreuses études continuent toutefois de trouver un effet négatif substantiel, même après cette correction (voir, par exemple, Dolton & Silles, 2008; Korpi & Tåhlin, 2009). De plus, le problème de mesure précité concernant la surqualification entraîne peut-être justement une sous-estimation de l’effet négatif. Cela a également été constaté par Verhaest & Omey (2012) sur la base des données SONAR. Cette étude trouve, après le contrôle des erreurs de mesure et de l’hétérogénéité non observable, que le salaire de jeunes hautement qualifiés baisse de 5 % par année de formation qui n’est pas utilisée. Un nombre croissant d’études examinent aussi l’impact des inadéquations en matière de compétences sur le salaire (Allen & van der Velden, 2001; Green & McIntosh, 2007). Ces études appliquent généralement une perspective de comparaison (A) en comparant des travailleurs qui subissent une sous-utilisation de leurs aptitudes avec des travailleurs de qualification identique mais adéquatement utilisées. Dans le droit fil des résultats concernant la surqualification, ces études trouvent qu’une sous-utilisation des aptitudes mène à un salaire plus bas (Allen & van der Velden, 2001; Green & McIntosh, 2007). Ce résultat a aussi été confirmé par Vansteenkiste, Verbruggen, Forrier & Sels (2015) sur la base des données PIAAC flamandes. La littérature qui s’est penchée sur les conséquences de l’inadéquation du domaine d’études pour le salaire est plutôt limitée jusqu’à ce jour. Ces études font aussi principalement la comparaison avec des personnes adéquatement qualifiées qui ont suivi la même formation (cf. Comparaison (A) – Figure 5). Plusieurs de ces études trouvent que l’emploi dans un job pour lequel on présente une inadéquation sur le plan du domaine d’études, a surtout un effet négatif sur le salaire s’il est combiné avec une surqualification (Robst, 2008; Verhaest, Van Trier & Sellami, 2011; Vansteenkiste, Verbruggen, Forrier & Sels, 2015). Une étude récente de Sellami, Verhaest, Nonneman & Van Trier (2015a) sur la base des données SONAR vient pourtant contredire cela. Après le contrôle des erreurs de mesure et de l’hétérogénéité non observable, il n’est pas possible d’exclure que l’inadéquation du domaine d’études pour les personnes hautement qualifiées n’ait pas d’effets négatifs sur le salaire. Des études plus poussées s’avèrent toutefois nécessaires pour tirer une conclusion définitive à cet égard.


Verhaest & Omey (2013) ont trouvé que les jeunes flamands en rupture scolaire qui sont surqualifiés pour leur premier job participent moins aux formations d’entreprise et développent moins de nouvelles aptitudes pendant leur travail que des jeunes adéquatement qualifiés avec la même formation. De plus, l’étude néerlandaise de de Grip, Bosma, Willems et van Boxtel (2009) suggère que la sous-utilisation des aptitudes peut entraîner une détérioration cognitive. En ce qui concerne la sous-qualification et la surutilisation des aptitudes, les résultats sont moins univoques. Van der Velden & Verhaest (2017) suggèrent, sur la base des données ESIS européennes, que les effets de cette surutilisation sur le développement des aptitudes dépendent fortement du niveau de surutilisation. Ils trouvent qu’un manque limité de compétences stimule l’apprentissage pendant le travail, alors qu’un manque plus grand est plutôt néfaste. Il semble donc qu’un déficit de compétence limité met les travailleurs au défi dans leur travail, alors qu’un déficit de compétence plus important les découragerait plutôt. D’autres indicateurs de la qualité du travail sont aussi importants. Premji & Smith (2013) ont trouvé que les travailleurs surqualifiés sont plus souvent confrontés à des blessures liées au travail que leurs collègues adéquatement qualifiés avec le même niveau de formation (Comparaison (A)). Le résultat inverse a été trouvé pour les travailleurs sous-qualifiés. Verhaest & Verhofstadt (2016) ont examiné, sur la base de données flamandes, quel était l’effet de la surqualification et de la sous-qualification sur l’autonomie et la charge de travail que ressentent les jeunes travailleurs dans leur job. Ils ont trouvé que les travailleurs surqualifiés ressentent moins d’autonomie mais aussi une charge de travail moindre dans leur job que les travailleurs qualifiés adéquatement avec un même niveau d’études. En comparaison avec leurs collègues adéquatement qualifiés qui exercent le même travail, ils ressentent toutefois plus d’autonomie et une charge de travail semblable. Vu ce qui précède, il n’est pas surprenant que l’acceptation d’un travail où la formation et les aptitudes sont sous-utilisées influence négativement la satisfaction au travail (Comparaison (A)). Ainsi, Verhaest & Omey (2009) ont trouvé sur la base des données SONAR que l’effet négatif d’une seule année de surqualification sur la satisfaction au travail est équivalent à une baisse de salaire d’environ 27 %. De plus, leurs résultats suggèrent que les jeunes surqualifiés, malgré leur salaire plus élevé, sont aussi moins satisfaits de leur job que leurs jeunes collègues adéquatement qualifiés mais moins qualifiés (Comparaison (B)). Pour compenser cette différence de satisfaction, il faudrait un bonus salarial additionnel d’environ 11 %. Cela suggère que la surqualification en début de carrière est tout sauf un choix volontaire. Les personnes surqualifiées obtiennent généralement aussi des scores plus bas à d’autres indicateurs de bien-être. Il y a par exemple l’évidence que la surqualification et la sous-utilisation entraînent une satisfaction de la vie et un bonheur plus bas (Piper, 2015) et un risque accru de développer une dépression et d’autres problèmes psychologiques (Bracke, Pattyn & von dem Knesebeck, 2013).

132


Mobilité et conséquences pour la carrière future

133

5 LA TRANSITION VERS EMPLOI

La satisfaction au travail plus basse parmi les travailleurs avec une sous-utilisation de leurs qualifications et compétences peut en outre se traduire dans une plus grande mobilité professionnelle. Verhaest et Omey (2006a) constatent que les jeunes Flamands qui sont surqualifiés quittent leur premier job plus vite que les jeunes adéquatement qualifiés avec le même niveau de formation et que les jeunes adéquatement qualifiés qui exercent la même fonction. Des études étrangères trouvent généralement aussi que les travailleurs qui sont surqualifiés pour leur job ou qui possèdent plus de compétences que nécessaire rapportent vouloir quitter leur job et/ou qu’ils quittent effectivement plus souvent leur job (Sicherman, 1991; Hersch, 1995; McGuinness & Wooden, 2009). L’effet de la sous-qualification semble de nouveau moins univoque. Verhaest & Omey (2006a) ont trouvé que les personnes sous-qualifiées quittent aussi plus vite leur job. De nombreuses autres études ne trouvent cependant pas d’effet en ce qui concerne la sous-qualification. Cette mobilité accrue ne doit toutefois pas nécessairement être purement et simplement la conséquence d’une satisfaction plus basse. Selon Sicherman & Galor (1990), une surqualification serait notamment une manière de remédier à un manque initial d’expérience. En d’autres termes, en acquérant de l’expérience de cette manière, la surqualification peut être un tremplin vers un job adéquat. La plupart des études pour les États-Unis trouvent en effet que les personnes surqualifiées ont de plus grandes chances de promotion interne ou externe que les personnes qualifiées adéquatement (voir, par exemple, Sicherman, 1991). Certains études néerlandaises et suisses aboutissent aussi à cette constatation (Groot & Maassen van den Brink, 2003; Groeneveld & Hartog, 2004; Frei & Sousa-Poza, 2012). Les études pour d’autres pays, comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Canada ou l’Australie, sont toutefois plus pessimistes à cet égard et concluent généralement que la surqualification ou la sous-utilisation des aptitudes est un état relativement persistant pour les travailleurs individuels (Dolton & Vignoles, 2000; Frenette, 2002; Büchel & Mertens, 2004; Mavromaras & McGuinness, 2012; Boll, Leppin & Schömann, 2016). De plus, certaines études trouvent que la sous-utilisation des qualifications et compétences entraîne un risque accru de chômage futur (Sloane, Battu & Seaman, 1999; Mavromaras, Sloane & Wei, 2015). Des études pour les jeunes Flamands, basées sur les données SONAR, suggèrent aussi que la surqualification est relativement persistante et qu’elle peut avoir des conséquences néfastes pour la carrière future. Verhaest, Schatteman & Van Trier (2015) ont étudié les sept premières années de la carrière de jeunes Flamands avec un diplôme de l’enseignement secondaire. Concrètement, sept typologies de carrière ont été déduites sur la base de données mensuelles concernant les trois statuts suivants : (1) chômage ou inactivité, (2) surqualification et (3) formation adéquate. La surqualification a été mesurée sur la base de la méthode des


experts en professions. La figure 5.6 reproduit la répartition des jeunes entre les différents types de débuts de carrière. Presque la moitié de ces jeunes étaient pendant les sept premières années pratiquement toujours sans emploi ou employés dans un job pour lequel ils étaient surqualifiés. Seuls 7 % de tous ces jeunes présentaient une carrière ascensionnelle, où une longue période de surqualification était suivie d’une bonne adéquation. Une autre étude sur la base des données SONAR, réalisée par Baert, Cockx & Verhaest (2013), a vérifié l’hypothèse de Sicherman & Galor (1990) d’une manière plus directe. Ils ont plus spécifiquement examiné dans quelle mesure les jeunes chômeurs flamands peuvent ralentir ou accélérer la transition vers un emploi adéquat par l’acceptation d’un emploi pour lequel ils sont surqualifiés. Ils en ont conclu que l’acceptation d’un tel emploi est plutôt un piège. Pour plus de la moitié des jeunes en rupture scolaire qui acceptent un emploi sous leur niveau de compétence, il a fallu presque dix ans avant qu’ils retrouvent un emploi à leur niveau. Des simulations ont en outre suggéré que, s’ils n’avaient pas accepté le poste sous leur niveau, la moitié de ce groupe aurait déjà trouvé un travail adéquat dans les trois mois. Les effets négatifs de l’acceptation d’un métier sous son niveau de compétence se sont avérés relativement importants, surtout durant les premiers mois après l’entrée sur le marché du travail. Figure 5.6 : Types de carrière des jeunes Flamands avec un diplôme de l’enseignement secondaire (les sept premières années après la fin des études)

7%

Presque toujours adéquatement qualifié D’abord sans emploi, ensuite adéquatement qualifié

5%

6%

Carrière sur la pente descendante

30%

Presque toujours surqualifié D’abord sans emploi, ensuite surqualifié Carrière en ascension Presque toujours sans emploi

39% 11% 3%

Remarque : La surqualification a été mesurée sur la base de la méthode des experts en professions. Source : Verhaest, Schatteman & Van Trier, 2015. Résultats sélectionnés dans le tableau 2, p. 347. Données originales : SONAR, traitements propres.

134


135

5 LA TRANSITION VERS EMPLOI

Ces analyses sont basées sur des données qui observent les jeunes pendant une période de maximum 7 à 10 ans après leur entrée sur le marché du travail. Par conséquent, on ne sait pas clairement si la surqualification reste ensuite aussi une donnée persistante. Une réponse indicative à ce sujet est proposée en comparant de jeunes travailleurs avec des travailleurs plus vieux. Karakaya, Plasmans & Rycx (2007) ont par exemple étudié la relation entre le risque de surqualification et le nombre d’années d’expérience ou d’ancienneté parmi les travailleurs dans le secteur privé en Belgique. Dans le droit fil de la théorie de Sicherman & Galor (1990), ils ont trouvé un rapport négatif. L’effet estimé était toutefois petit. Ils ont trouvé plus spécifiquement qu’une année d’expérience supplémentaire ou d’ancienneté ne réduisait le risque de surqualification, mesurée sur la base de la méthode des experts en professions, que de 0,6 point. Malgré l’effet positif du nombre d’années d’expérience, ces résultats suggèrent donc aussi que la surqualification est néanmoins un problème à long terme pour la plupart des travailleurs. Une explication possible pour la persistance de la surqualification concerne l’effet négatif cité ci-avant sur la participation dans les formations d’entreprise et le développement de compétences additionnelles. De plus, la surqualification génère aussi des effets de signaux négatifs conforme à la théorie du signal en économie. Nous entendons par là que les employeurs infèrent que les candidats en situation de surqualification sont moins compétents. Les deux mécanismes peuvent entraîner des chances de recrutement plus basses. Une expérience qui a été réalisée par Baert & Verhaest (2014) suggère que c’est effectivement le cas. Dans le cadre de cette expérience, des CV fictifs de trois types de jeunes Flamands ont été envoyés à des postes vacants existants. Les trois types étaient respectivement des jeunes qui venaient de terminer leurs études, des jeunes qui avaient été diplômés un an auparavant et qui n’avaient pas encore trouvé d’emploi, et des jeunes qui avaient été diplômés un an auparavant mais qui avaient entre-temps effectué un travail sous leur niveau de qualification. Tous étaient supposés avoir obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur dans le domaine « sciences commerciales et gestion d’entreprise ». Dans la Figure 5.7, nous reproduisons pour les trois groupes le nombre de réactions positives (c.-à-d. une invitation à un entretien ou une demande d’informations supplémentaires). En comparaison avec le jeune en rupture scolaire qui vient de terminer ses études, tant le chômeur que le candidat surqualifié ont reçu significativement moins de réactions positives lorsqu’ils postulaient pour des emplois avec un contrat à durée indéterminée. Ces résultats sont dans le droit fil d’autres expériences réalisées récemment à l’étranger (voir, par exemple, Pedulla, 2016).


Figure 5.7 : Chances de recrutement de trois types de jeunes sur base d’une expérience réalisée sur le marché flamand de l’emploi. Pourcentage de réactions positives à la candidature 30,0 %

27,2%

25,0

26,0%

25,2% 22,2%

21,0%

23,0%

20,0 15,0 10,0 5,0

Tous les postes vacants

Surqualifié

Chômeur

Jeune diplômé

Surqualifié

Chômeur

Jeune diplômé

0,0

Contrat permanent

Remarque : Les barres rouges indiquent une différence statistiquement significative par rapport au jeune en rupture scolaire. Source : Baert & Verhaest (2014). Résultats sélectionnés dans le Tableau 2, p. 347.

Conséquences pour l’employeur et la société Les effets de l’inadéquation pour les entreprises est plutôt indirecte. Une plus grande mobilité professionnelle parmi les jeunes travailleurs présentant une inadéquation peut entraîner des frais substantiels. De plus, leur satisfaction au travail et leur bien-être subjectif plus bas peuvent avoir un effet négatif sur leur productivité. Il ressort néanmoins de la recherche sur la base d’enquêtes que les employeurs évaluent la productivité individuelle des personnes surqualifiées comme étant plus élevée que celle de leurs collègues adéquatement qualifiés dans des emplois semblables (Fine & Nevo, 2008; Maynard, Taylor & Hakel, 2009). Cela suggère donc que l’effet indirect sur la productivité d’une personne moins satisfaite est plus que compensée par l’effet direct sur la productivité en raison de son niveau de formation plus élevé. Ces résultats au niveau du travailleur individuel ne peuvent toutefois pas être traduits purement et simplement au niveau de l’entreprise ou de l’organisation. Il pourrait éventuellement être question d’effets « de débordement » de travailleurs présentant une inadéquation à d’autres travailleurs. Seul un nombre limité d’études ont examiné l’effet de l’emploi de travailleurs présentant une inadéqua-

136


Mécanismes expliquant une mauvaise adéquation Dans la littérature, on trouve trois groupes de facteurs pouvant expliquer une mauvaise adéquation en début de carrière : (A) les caractéristiques des formations des jeunes et du système éducatif, (B) le fonctionnement du marché du travail et le comportement de recherche de jeunes demandeurs d’emploi, et (C) les déséquilibres quantitatifs sur le marché du travail.

La formation et le système éducatif Un premier facteur important dans l’explication d’une mauvaise adéquation entre la formation et l’emploi parmi les jeunes concerne la qualité du capital humain. Pour la Flandre, il y a par exemple une évidence claire que les jeunes qui finissent leurs études avec du retard et/ou qui terminent avec de moins bons résultats scolaires présentent un risque plus élevé de surqualification ou d’inadéquation du

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5 LA TRANSITION VERS EMPLOI

tion sur la productivité de l’entreprise. Sur la base de données belges, Kampelmann & Rycx (2012) ont trouvé que l’emploi d’une part plus élevée de travailleurs surqualifiés en comparaison avec des travailleurs adéquats mais moins qualifiés (cf. Comparaison (B) dans la Figure 5) augmente la productivité de l’entreprise. Dans une étude de suivi récente, ils ont en outre trouvé que cette productivité plus élevée compense largement les coûts salariaux plus élevés pour les travailleurs surqualifiés, de sorte que leur emploi entraîne aussi une augmentation du bénéfice d’exploitation (Kampelmann, Mahy, Rycx & Vermeylen, 2016). À l’inverse, ils ont trouvé que l’emploi d’une part plus élevée de travailleurs sous-qualifiés fait baisser tant la productivité de l’entreprise que le bénéfice d’exploitation. On ne sait toujours pas clairement si ces résultats concernant la relation entre l’adéquation enseignement et profession peuvent aussi être traduits au niveau de la société. Jusqu’à ce jour, il n’y a eu que peu de recherche macro-économique sur l’impact de l’inadéquation de l’enseignement et des aptitudes. Une exception rare concerne l’étude de Ramos, Surinach & Artís (2012), qui a vérifié dans quelle mesure la croissance économique régionale est liée à la surqualification et la sousqualification sur le marché du travail. Dans le droit fil des résultats précédents concernant les salaires et la productivité, ils ont trouvé qu’une augmentation du nombre moyen d’années de surqualification parmi les travailleurs, évaluée dans une logique d’investissement (cf. Comparaison (B) dans la Figure 5), entraîne une augmentation de la croissance économique régionale. L’effet inverse a été trouvé pour la sous-qualification. Mais il va de soi que des études plus poussées s’avèrent nécessaires pour tirer une conclusion définitive à cet égard.


domaine d’études (Verhaest & Omey, 2010; Verhaest, Van Trier & Sellami, 2011; Verhaest, Schatteman & Van Trier, 2015). La recherche sur la base de données internationales montre des résultats semblables pour les personnes hautement qualifiées qui ont suivi un programme de formation moins stimulant et sélectif (Verhaest, Sellami & van der Velden, 2017).8 Une explication du constat que les jeunes avec faible qualification et issus de formations moins sélectives sont plus souvent surqualifiés est que ces jeunes ne disposent pas des compétences nécessaires pour exercer un métier qui correspond à leur formation. En d’autres termes, ils sont surqualifiés, sans qu’il ne soit question d’une sous-utilisation de leurs compétences. De plus, ils ont probablement moins de chances en postulant pour un emploi qui cadre avec leur formation, de sorte qu’ils doivent plus souvent se tourner vers des emplois en dehors de leur domaine d’études et/ou en dessous de leur niveau. L’effet de la qualité du capital humain n’intervient pas qu’au niveau micro, mais aussi aux niveaux méso et macro. L’incidence de l’inadéquation de l’enseig­ nement semble notamment plus élevée pour les domaines d’études moins stimulants et sélectifs dans l’enseignement supérieur et pour les pays avec un système d’enseignement moins stimulant et sélectif (Verhaest & van der Velden, 2013; Verhaest, Sellami & van der Velden, 2017). Un système d’enseignement moins stimulant et sélectif entraîne probablement une appréciation plus basse de l’enseignement formel comme critère de sélection parmi les employeurs, et une mesure plus élevée dans laquelle ils se raccrochent à une formation supplémentaire. Outre la qualité, la nature du capital humain semble également importante. Nous entendons par là la mesure dans laquelle l’orientation de la formation et le système d’étude sont axés sur une profession ou plutôt de nature générale. En comparaison avec des formations générales, les formations axées sur une profession semblent généralement aller de pair avec un risque plus bas d’inadéquation en début de carrière. Cela vaut tant sur le plan de la surqualification (Verhaest & van der Velden, 2013; Verhaest, Schatteman & Van Trier, 2015) et sur le plan de l’inadéquation du domaine d’études (Verhaest, Sellami & van der Velden, 2017) que sur le plan de la surutilisation et sous-utilisation des compétences (Verhaest, Lavrijsen, Van Trier, Nicaise & Omey, 2016). Les jeunes issus des formations axées sur une profession semblent affluer moins souvent vers un job adapté s’ils commencent leur carrière dans un métier pour lequel ils sont surqualifiés (Verhaest & van der Velden, 2013). Par ailleurs, leur avantage en ce qui concerne le fait d’éviter la sous-utilisation des compé-

8

La recherche relative aux adultes flamands démontre aussi que la qualité du capital humain est importante. Ainsi, Vansteenkiste, Verbruggen, Forrier & Sels (2015) ont démontré que les adultes qui, vu leur niveau scolaire, obtiennent des scores plus bas en matière d’alphabétisation, de numérisme et/ou de réflexion axée sur la résolution des problèmes, présentent un risque plus élevé de surqualification.

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tences semble diminuer au fur et à mesure de la carrière et semble même se transformer en désavantage après un certain temps (Verhaest, Lavrijsen, Van Trier, Nicaise & Omey, 2016). Ces constatations concernant l’inadéquation sont dans le droit fil d’autres résultats dans la littérature en ce qui concerne les chances d’emploi et le salaire (Hanushek, Schwerdt, Woessmann & Zhang, 2017; Lavrijsen & Nicaise, 2014). Ainsi donc une formation axée sur une profession semble constituer un avantage en début de carrière et être plutôt un désavantage pour les travailleurs plus âgés. Une explication pour le début de la carrière est que les jeunes avec une formation axée sur une profession sont plus rapidement opérationnels, de sorte qu’ils peuvent plus facilement réaliser l’adéquation entre métier et formation ou compétences. Par contre, les jeunes avec une formation générale ne sont pas directement opérationnels, et doivent souvent commencer un métier pour lequel ils sont surqualifiés, subissant de la sorte une sous-utilisation de leurs compétences générales. Les compétences spécifiques des travailleurs avec une formation axée sur une profession les rendent toutefois aussi vulnérables à l’ère des changements technologiques et organisationnels. De ce fait, ils éprouvent après un certain temps une obsolescence de leurs compétences et ils aboutissent dans des emplois à des niveaux de fonction inférieurs. Par contre, un enseignement général et plus académique facilite l’adaptation aux circonstances changeantes et l’auto-apprentissage. Ainsi, la recherche sur la base des données SONAR flamandes suggère que les jeunes surqualifiés avec une formation axée sur une profession apprennent moins pendant leur premier job que les jeunes surqualifiés avec une formation générale (Verhaest & Omey, 2013). Il y a toutefois peu de clarté quant au point de basculement dans la carrière où une formation générale devient plus intéressante. Ainsi, l’étude de Verhaest, Lavrijsen, Van Trier, Nicaise & Omey (2016) a trouvé que le point de basculement estimé dépendait de l’indicateur d’inadéquation et de l’ensemble des données utilisés. Par ailleurs, pour éviter l’inadéquation professionnelle, ils ont trouvé que l’avantage des formations axées sur une profession est surtout lié à la spécificité de la formation et moins à la mesure dans laquelle il est fait usage de la formation par le travail. Par contre, les programmes qui combinent une focalisation large avec la formation par le travail semblent plutôt résulter en des déficits de compétences qui ne disparaissent pas pendant la carrière. La conclusion que la formation par le travail est moins efficace pour éviter l’inadéquation professionnelle est également confirmée par la recherche de Baert & Verhaest (2015). Sur la base de données relatives aux jeunes diplômés flamands de l’enseignement supérieur, ils n’ont pas réussi à démontrer que le stage favorise l’obtention d’un métier adapté aux qualifications.


Comportement de recherche d’emploi, mobilité et institutions du marché du travail Non seulement les caractéristiques et la structure institutionnelle de l’enseignement sont importantes, mais le fonctionnement et la structure institutionnelle du marché du travail le sont aussi. La recherche suggère par exemple que l’intensité de la recherche et la qualité du processus de recherche exercent une influence sur la chance que les jeunes trouvent en début de carrière un travail qui correspond à leurs études et qualifications. Ainsi, Verhaest, Van Trier & Sellami (2011) ont trouvé que les jeunes Flamands hautement qualifiés qui commencent à chercher avant de quitter l’enseignement sont plus souvent occupés dans un travail en adéquation avec leur formation. Par ailleurs, le risque d’inadéquation semble être corrélé au canal via lequel les jeunes trouvent leurs emplois. Van Trier & Verhaest (2016) constatent que les jeunes qui trouvent leur premier emploi via l’école ou par contact direct avec l’employeur ont plus souvent une meilleure adéquation entre travail et formation. Par contre, le fait de trouver un emploi via des agences d’intérim ou des relations personnelles semble être corrélé à un risque accru de mauvaise adéquation. Une autre constatation intéressante de cette étude est que les jeunes qui reçoivent à l’école ou à l’université des informations sur la recherche d’emploi occupent plus souvent un emploi en meilleure adéquation avec leur domaine d’études. Ils semblent toutefois plus souvent surqualifiés pour leur premier travail. Le comportement de recherche proprement dit semble jouer un rôle, mais également la mesure dans laquelle les jeunes se montrent flexibles dans l’acceptation d’un emploi. Les jeunes avec une plus grande propension à accepter des emplois semblent présenter un plus grand risque d’inadéquation horizontale (Van Trier & Verhaest, 2016). Des recherches qui ne se focalisent pas spécifiquement sur les jeunes aboutissent à des conclusions semblables. Ainsi, Vansteenkiste, Verbruggen & Sels (2013) ont trouvé que les chercheurs d’emploi flamands qui se montrent flexibles dans leur comportement de recherche présentent plus de risques de se retrouver dans des emplois qui sous-utilisent leurs compétences. D’autres études suggèrent que cet effet est durable. Ainsi, l’étude précitée de Verhaest, Schatteman & Van Trier (2015) a trouvé que les jeunes avec une plus grande propension à accepter des emplois se retrouvent aussi plus souvent dans une carrière de « starter » où ils sont presque constamment surqualifiés. Pour finir, Baert, Cockx & Verhaest (2013) ont trouvé que l’acceptation (rapide) d’un emploi sous le niveau retarde la transition vers un emploi à niveau. Il semble donc qu’en acceptant trop vite un emploi, on risque de passer à côté d’un poste de travail plus adéquat. Cela peut s’expliquer par un manque de temps disponible pour continuer la recherche d’emploi plus adapté une fois qu’on occupe un travail à temps plein. De plus, il se produit une accoutumance, et le développement d’une expérience spécifique et de relations sociales au sein de l’en-

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treprise peut réduire la disposition à changer de travail. Pour finir, le signal négatif pour les employeurs lié à la surqualification est aussi une explication possible de la difficulté de se réorienter vers un emploi plus adéquat. La mesure dans laquelle les jeunes sont enclins à accepter des emplois qui ne correspondent pas à leur formation n’est pas seulement une question de préférences et d’attitudes, mais est éventuellement aussi liée à des restrictions financières. Pour faire suite à cela, des études en Belgique et à l’étranger trouvent que le risque d’inadéquation en début de carrière est plus élevé parmi les jeunes avec une origine sociale faible (Giret & Hatot, 2001; Verhaest & Omey, 2010). Dolton & Silles (2003) ont trouvé un lien plus direct pour le Royaume-Uni. Ils ont trouvé que les universitaires qui terminent leurs études avec une dette de plus de 1 000 livres présentent plus de risques d’être surqualifiés pour leur premier travail. Par ailleurs, il y a l’effet du montant des allocations de chômage. Ainsi, Verhaest, Sellami & van der Velden (2017) ont trouvé que le risque d’inadéquation par rapport domaine d’études (cinq ans après la fin des études) est plus bas dans les pays avec des allocations de chômage élevées. Des allocations de chômage plus élevées permettent donc probablement d’être plus sélectif dans l’acceptation d’un emploi. Une autre explication possible de la raison pour laquelle certains jeunes sont plus vite enclins à accepter des emplois qui ne correspondent pas à leur formation, est qu’ils sont confrontés à des limitations géographiques. Une faible mobilité géographique réduit notamment le nombre d’offres de d’emploi entre lesquelles on peut choisir. Une recherche pour l’Allemagne démontre que la possession d’une voiture entraîne un risque moins élevé de surqualification (Büchel & Van Ham, 2003). Par ailleurs, Hensen, de Vries & Cörvers (2009) ont trouvé que les universitaires néerlandais présentent moins de risques de surqualification un an et demi après la fin des études s’ils sont occupés dans un emploi qui se situe à plus de 70 km du domicile. Pour les jeunes Flamands en rupture scolaire, la recherche n’a toutefois pas trouvé de lien clair entre la possession d’un permis de conduire et la chance d’une bonne adéquation (Verhaest & Omey, 2010; Verhaest, Schatteman & Van Trier, 2015). Outre le montant des allocations de chômage et la mobilité géographique, il est possible que d’autres caractéristiques du marché du travail jouent aussi un rôle. Verhaest, Sellami & van der Velden (2017) ont trouvé une corrélation négative entre le risque d’inadéquation horizontale cinq ans après la fin des études dans l’enseignement supérieur et le degré de protection contre le licenciement dans un pays. Une explication potentielle est qu’une forte protection des travailleurs entraîne une plus grande réticence à engager des jeunes sans formation adéquate. Étant donné que dans ce cas, les employeurs ne disposent pas d’un signal clair concernant l’adéquation professionnelle du candidat, son engagement représente donc un risque croissant avec les frais de licenciement. Verhaest, Sellami & van der Velden observent que le risque de surqualification 5 ans après la fin des études dans l’enseignement supérieur est plus élevé dans les pays avec un taux de


couverture élevé des négociations collectives. Deux explications sont possibles à cet égard. D’une part, un taux de couverture plus élevé des négociations salariales collectives mène à des salaires plus rigides, de sorte que les déséquilibres sur le marché du travail ne sont pas éliminés et que le risque de mauvaise adéquation s’accroît. D’autre part, un pouvoir de négociation plus fort des syndicats assure aussi plus de compression des salaires, de sorte que la perte de revenus suite à la surqualification est plus limitée et que les jeunes sont donc plus vite enclins à accepter de tels emplois.

Déséquilibres quantitatifs sur le marché du travail Outre la structure institutionnelle, le contexte de l’offre et de la demande sur le marché du travail joue aussi un rôle. En premier lieu, il y a le rôle des déséquilibres entre l’offre globale et la demande globale de travailleurs sur le marché du travail. Verhaest, Sellami & van der Velden (2017) observent que les personnes hautement qualifiées qui font leurs débuts dans une période de conjoncture difficile présentent plus de risques de surqualification ou d’inadéquation, tant dans le premier emploi que dans l’emploi cinq ans après la fin des études. Une offre globale excédentaire de demandeurs d’emploi réduit les chances de trouver un travail et donc incite à accepter un job sous son niveau de formation. De plus, cela entraîne peut-être aussi un durcissement des exigences des employeurs sur le plan des niveaux des diplômes. Verhaest & van der Velden (2013) ont trouvé que la situation d’inadéquation cinq ans après la fin des études est uniquement influencée par la conjoncture à la sortie des études et non par la conjoncture du moment. Cela confirme les « effets de cicatrice », selon lesquels la position sur le marché du travail en début de carrière est déterminante pour la suite de la carrière. Ce qui cadre avec la constatation que l’inadéquation peut avoir un effet durable pour les travailleurs. Cela cadre aussi avec des études qui trouvent que faire ses débuts dans une conjoncture difficile peut générer des effets de cicatrice sous la forme de salaires plus bas et/ou de risques accrus de chômage (Cockx & Ghirelli, 2016). Outre les effets au niveau de l’économie dans son ensemble, l’état du marché du travail régional ou local joue aussi un rôle. Ainsi, tant une recherche néerlandaise que flamande trouvent que le risque de surqualification pendant les premières années sur le marché du travail est positivement corrélé au taux de chômage régional (Hensen, de Vries & Cörvers, 2009; Verhaest, Van Trier & Sellami, 2011; Verhaest, Schatteman & Van Trier, 2015). Il semble donc que la mobilité géographique des jeunes est insuffisante pour compenser les effets négatifs des chocs régionaux sur le marché du travail. Non seulement les déséquilibres entre offres et demandes de travail peuvent jouer un rôle, mais aussi les déséquilibres concernant les niveaux de qualification demandés et offerts sur le marché du travail. Verhaest, Sellami & van der Velden

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(2017) observent que les personnes hautement qualifiées dans les pays avec un déséquilibre relativement plus grand entre l’offre et la demande de personnes hautement qualifiées présentent un risque plus élevé de pure surqualification ou d’inadéquation totale dans le premier emploi et dans l’emploi cinq ans après la fin des études. L’explication est semblable à celle ayant trait au rôle de la conjoncture difficile. Une offre excédentaire de personnes hautement qualifiées fait que les jeunes sont plus enclins à accepter des emplois sous leur niveau et que les employeurs deviennent plus exigeants dans leur recrutement. Sur la base des mêmes données, Verhaest & van der Velden (2013) n’ont toutefois pas trouvé de lien clair entre ce déséquilibre et la part de personnes hautement qualifiées dans la population. Une explication possible à cet effet est que le nombre de personnes hautement qualifiées ne mène que temporairement à une offre excédentaire parce que la demande s’adapte. Des modèles économiques prédisent qu’une augmentation de la population hautement qualifiée entraîne après un certain temps aussi une demande plus élevée de personnes hautement qualifiées, par exemple parce qu’il devient plus attrayant d’investir dans des activités pour lesquelles le travail hautement qualifié s’avère indispensable (Snower, 1995). Par ailleurs, cela peut aussi stimuler l’innovation, qui entraîne le développement de technologies qui sont complémentaires au travail hautement qualifié (Acemoglu, 1998). Les chiffres sur la base des données SONAR contredisent l’opinion courante que la surqualification est surtout un problème pour les personnes les plus qualifiées. Ces données révèlent en effet que le risque de surqualification dans le premier emploi est le plus élevé parmi les personnes moyennement qualifiées (voir la Figure 5.8). Des analyses sur la base des données PIAAC suggèrent aussi que la surqualification en Flandre est un problème plus important parmi les personnes moyennement qualifiées que parmi les personnes hautement qualifiées (Vansteenkiste, Verbruggen, Forrier & Sels, 2015). Une explication possible concerne la polarisation croissante du marché du travail, où, suite aux changements technologiques, ce sont surtout les emplois dans le segment moyen du marché du travail qui disparaissent. Goos, Manning & Salomons (2009) estiment que la part de l’emploi des personnes moyennement qualifiées en Belgique a baissé de presque 10 points pendant la période 1993-2006 sous l’effet de la polarisation du marché du travail. Un dernier déséquilibre sur le marché du travail pouvant causer une inadéquation concerne un déséquilibre en ce qui concerne les domaines d’études demandés et offerts. Le risque de surqualification et d’inadéquation du domaine parmi les jeunes hautement qualifiés diffère notamment substantiellement par domaine d’études ou orientation. Tant des études spécifiques pour la Flandre que des études plus générales pour l’Europe sur la base des données REFLEX trouvent des risques relativement élevés d’inadéquation parmi les jeunes diplômés des sciences humaines, et des risques relativement faibles d’inadéquation parmi les


jeunes diplômés de domaines comme l’enseignement et les soins de santé (Verhaest, Van Trier & Sellami, 2011; Verhaest, Sellami & van der Velden, 2017). Ces constatations sont cohérentes avec les surplus ou pénuries souvent rapportés de jeunes diplômés dans ces orientations. Figure 5.8 : Surqualification parmi les jeunes Flamands en rupture scolaire pendant le premier emploi (SONAR)

70 %

62%

60

55%

50

43%

40

20

29%

27%

30 17%

40%

35%

33% 23%

28%

19%

17%

10 0%

0 Autoévaluation directe

< Secondaire inférieur

0%

Autoévaluation indirecte (niveau demandé pour l’exercice)

Secondaire inférieur

Méthode des experts en professions

Secondaire supérieur

Bachelier

Master

Source : Verhaest & Omey, 2006b; résultats sélectionnés du Tableau 4, page 795; propres calculs sur la base des données SONAR.

D’autres domaines pour lesquels des pénuries sont souvent rapportées, sont les domaines STEM.9 Sur la base des données SONAR, nous trouvons plutôt de faibles risques d’inadéquation pour le domaine « Sciences appliquées et technique ». La situation pour les jeunes diplômés dans le domaine des « Sciences naturelles et mathématiques » est plus mitigée (Verhaest, Van Trier & Sellami, 2011). Les données REFLEX suggèrent aussi que les jeunes diplômés dans le domaine des « Sciences, mathématiques et informatique » obtiennent un niveau d’adéquation moyen (Verhaest, Sellami & van der Velden, 2017). Par ailleurs, cette analyse suggère que les jeunes diplômés en « Sciences appliquées et technique » combinent un risque faible d’inadéquation horizontale avec un risque moyen de surqualification « pure ». De plus, le risque de surqualification semble être déterminé en partie par la sélectivité et l’orientation professionnelle de ce secteur ; après contrôle, ce domaine d’étude présente un risque relativement élevé de surqualification « pure ». Globalement, les résultats concernant le risque d’inadé-

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STEM est un acronyme pour Science, Technology, Engineering et Mathematics.

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Conclusion et implications politiques Ce chapitre indique clairement qu’une mauvaise adéquation entre les qualifications et les emplois est une problématique complexe. En premier lieu, il est difficile de fournir une estimation exacte de l’ampleur de la problématique du fait qu’il existe différentes manières de mesurer l’adéquation. Chaque méthode mène à des résultats différents. Deuxièmement, il ne s’agit pas d’un phénomène négatif de façon univoque. Dans la logique de la sous-utilisation, la surqualification a par exemple de fortes implications négatives pour le jeune. Dans la logique d’inves­ tissement, la surqualification ne semble toutefois pas être totalement inutile et semble contribuer à des salaires, une productivité et une croissance économique plus élevés. Troisièmement, la mauvaise adéquation ne s’explique pas seulement par des facteurs liés à l’enseignement, mais aussi par des facteurs liés au travail et par des facteurs économiques. Pour finir, il s’agit aussi d’une problématique complexe sur le plan de la recherche. En raison des différences entre travailleurs sur le

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quation dans les domaines STEM sont donc plus mitigés que ce à quoi nous pourrions nous attendre. L’adéquation entre l’enseignement et la profession n’est que l’un des indicateurs relatifs au succès sur le marché du travail d’une orientation donnée. Ces constatations sont conformes aux conclusions de certains économistes américains, comme Peter Capelli (2015), qui affirment que la pénurie de jeunes diplômés STEM ne doit pas être surestimée. À première vue, les grandes différences dans les risques d’inadéquation entre différents domaines semblent cohérentes avec l’idée que l’inadéquation est causée en partie par la soi-disant éducation « consumériste » (par opposition à l’éducation productiviste) : les jeunes choisissent des orientations qu’ils trouvent plaisantes ou intéressantes plutôt que des orientations qui réduisent le risque d’inadéquation. Sellami, Verhaest, Nonneman & Van Trier (2015b) nuancent toutefois cette conclusion. Ils vérifient dans quelle mesure le risque de surqualification parmi les personnes hautement qualifiées est lié au motif de poursuivre les études. Ils observent que les étudiants qui poursuivent les études pour un motif « consumériste » ne présentent pas nécessairement plus de risques de surqualification que les étudiants qui poursuivent les études en vue de perspectives futures sur le marché du travail. Ce premier groupe « consumériste » opte certes plus souvent pour des formations dans les sciences humaines, mais également pour des formations dans le domaine de l’enseignement. De plus, ils obtiennent de meilleurs résultats d’étude et, peut-être en raison d’une plus grande motivation, ils ont aussi de plus grandes chances de trouver une bonne adéquation vu leur choix d’études. Pour les étudiants qui poursuivent les études pour un motif consumériste, on a toutefois trouvé qu’ils présentent un risque relativement plus élevé de surqualification.


plan de caractéristiques qui ne font pas l’objet d’une observation par le chercheur, on ne sait par exemple pas toujours clairement si les relations trouvées peuvent aussi être interprétées de façon causale. Sur la base de cet aperçu, il est néanmoins possible de formuler cinq implications politiques claires. Nous les examinons plus en détail maintenant. On ne peut pas purement et simplement réduire la surqualification à un problème de participation « trop élevée » dans l’enseignement supérieur. Au cours des dernières décennies, la participation dans l’enseignement supérieur dans notre pays a systématiquement augmenté. L’observation que de nombreux jeunes sont surqualifiés pour leur job semble à première vue remettre en question l’opportunité de cette évolution. Il est toutefois clair que le ralentissement de la participation dans l’enseignement supérieur est en contradiction avec d’autres objectifs politiques, comme par exemple la stimulation des chances sur le marché du travail pour les groupes à risques comme les jeunes d’origine sociale modeste ou les jeunes d’origine étrangère. De plus, ce chapitre a aussi formulé plusieurs observations claires concernant l’idée que la participation élevée dans l’enseig­ nement supérieur ne fait qu’entraîner davantage de surqualification. Avant tout, en raison de la polarisation sur le marché du travail, il semble plutôt exister un déséquilibre dans le segment moyen. Par ailleurs, en ce qui concerne la Flandre, il y a en tous les cas peu d’indications d’un investissement trop élevé au niveau de bachelier. Troisièmement, des investissements plus élevés dans l’enseignement supérieur n’entraîneraient qu’à court terme davantage de surqualification. À long terme par contre, cela stimulerait probablement la création de postes à haute performance et de cette manière aussi la croissance économique. Pour finir, une offre excédentaire éventuelle de personnes hautement qualifiées peut aussi bien être abordée via une stimulation de la demande de travail hautement qualifié, par exemple en soutenant particulièrement les investissements dans l’innovation. L’inadéquation ne peut pas être purement et simplement réduite à un simple problème de « mauvais » choix d’orientation des études. Une critique fréquente est que les jeunes ne choisissent pas suffisamment les orientations qui sont porteuses d’emploi. Outre des différences en matière de salaires et d’accès à l’emploi, il semble aussi y avoir des différences systématiques en matière d’inadéquation entre les orientations de l’enseignement supérieur. En conséquence des pénuries souvent mentionnés dans le domaine des soins de santé, le risque d’inadéquation dans ce domaine est systématiquement plus bas. L’inverse vaut pour le domaine des sciences humaines, pour lequel la recherche indique systématiquement un risque accru d’inadéquation. Les formations STEM semblent cependant fournir une image plus contrastée. Certaines orientations

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La surveillance de la qualité et de l’aspect stimulant des formations est cruciale. Une bonne adéquation entre les qualifications et les emplois semble être lié en grande partie à la qualité et à l’aspect stimulant des formations. Des études suggèrent, vu la qualité relativement élevée de l’enseignement supérieur flamand, qu’il y a relativement peu de marge pour réduire le risque d’inadéquation parmi les Flamands hautement qualifiés via cette politique (Verhaest, Sellami & van der Velden, 2014). D’autre part, il est important de continuer de surveiller cette qualité et de rendre les études supérieures plus stimulantes. Cela se joue en outre non seulement au niveau des formations proprement dites, mais aussi au niveau de la qualité des diplômés. Si les responsables politiques jugent souhaitable un élargissement de la participation dans l’enseignement supérieur, les programmes d’études doivent rester stimulants et il faut éviter le nivellement par le bas lié à une inflation des diplômés. La qualité des diplômés doit en tous les cas rester garantis en vue de limiter les risques d’inadéquation sur le marché du travail. À cet égard, la flexibilisation de l’enseignement supérieur, et la prolongation de la durée des études qui en découle, impliquent plusieurs dangers potentiels. Non seulement les études terminées avec retard entraînent des coûts supplémentaires pour l’étudiant et la société, mais en outre, cela engendre éventuellement un risque accru de ne pas trouver de débouché adéquat sur le marché du travail. Le fait de rendre les formations davantage axées sur le marché du travail peut contribuer à réduire l’inadéquation en début de carrière, mais implique aussi des dangers évidents. Le fait de rendre les formations davantage axées sur le marché du travail peut s’avérer une manière efficace de réduire l’inadéquation en début de carrière. Le danger d’un risque accru de persistance de l’inadéquation et d’inadéquation dans la carrière future est toutefois réel. Les nouveaux développements technologiques et la flexibilisation du marché du travail accroissent plutôt le besoin de formations qui préparent à un « apprentissage tout au long de la vie » plutôt qu’à un métier spécifique. Les programmes qui combinent une formation générale avec la

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STEM, comme dans le domaine des sciences naturelles et des mathématiques, semblent plutôt présenter un risque moyen d’inadéquation. De plus, il y a des indications qu’une partie du succès de certaines formations STEM s’explique aussi par leur côté stimulant et motivant. Pour finir, la recherche suggère qu’il est important de ne pas seulement laisser les étudiants choisir sur base des débouchés, mais aussi et surtout sur base de leurs talents et de leur motivation intrinsèque. Dans ce sens, l’introduction prévue d’une épreuve d’orientation non contraignante à la fin de l’enseignement secondaire en Flandre est une bonne décision.


formation par le travail semblent aussi être plutôt contre-productifs pour une bonne adéquation entre les qualifications et les emplois. C’est l’indication que la généralisation de la formation en alternance dans l’enseignement secondaire, que le gouvernement flamand actuel souhaite introduire, n’est pas sans risque. En tous les cas, il est recommandé de prêter attention tant pendant la formation que pendant le travail au développement de compétences génériques qui seront utiles durant toute la carrière. En même temps, il est souhaitable d’introduire l’expérience professionnelle dans une formation offrant une vision et une orientation claires. Pour finir, la recherche sur l’inadéquation professionnelle suggère aussi l’im­ portance des expériences professionnelles qui sont suffisamment riches en défis. Sur le plan de la politique d’activation, il y a un compromis à faire entre le chômage et l’inadéquation. Outre les implications pour la politique en matière d’enseignement, il y a aussi des implications claires pour la politique en matière de marché du travail. La politique d’activation actuelle se focalise principalement sur le fait de limiter le chômage. Le chômage de longue durée peut en effet entraîner de forts « effets de cicatrice  » négatifs pour la carrière future. Néanmoins, vu la persistance de l’inadéquation, il n’est pas indiqué d’inciter les jeunes pendant les premiers mois après leur entrée sur le marché du travail à accepter des emplois qui ne correspondent pas aux qualifications et qui génèrent peu d’effets d’apprentissage. Ce conseil s’oppose clairement au discours politique actuel. Ainsi, le gouvernement fédéral précédent avait décidé de prolonger la période d’attente pour le droit aux allocations de chômage. De plus, la période durant laquelle les jeunes demandeurs d’emploi peuvent refuser un job qui ne correspond pas à leur formation a aussi été ramenée à trois mois. La recherche en Flandre démontre toutefois que cet assouplissement après trois mois vient trop tôt, même si un tel assouplissement après une durée de chômage prolongée est défendable. Il va de soi que cela ne signifie pas que la politique d’activation n’a pas de rôle à jouer dans la réduction de l’inadéquation. Par contre, les programmes d’accompagnement dans la recherche d’un emploi (tant à l’école que sur le marché du travail) doivent aussi et surtout être axés sur le fait de trouver des emplois qui utilisent au maximum les qualifications et les compétences. Vu que la position cinq ans après la fin des études est uniquement influencée par la conjoncture au moment de la fin des études et non par la conjoncture du moment, il convient de prêter une attention particulière et durable au groupe d’élèves qui terminent leurs études pendant une récession économique. Voilà une tâche toute tracée pour le VDAB et Syntra, mais aussi pour le FOREM en Wallonie et ACTIRIS à Bruxelles.

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LA TRANSITION VERS EMPLOI

5

Werkzoekende schoolverlaters in Vlaanderen, 29ste studie – editie 2016. VDAB, 2016.

153



6

L’éducation financière à l’école  1

Geert Van Campenhout, Kristof De Witte & Kenneth De Beckker

1

Nous remercions Marc Devos, Jean Hindriks et Els Lagrou (wikifin.be) pour leurs commentaires et suggestions.

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RÉSUMÉ Vu l’importance de la compétence financière des jeunes, Geert Van Campenhout, Kenneth De Beckker et Kristof De Witte abordent plus particulièrement l’éducation financière à l’école. Ils formulent plusieurs points d’attention importants, basés sur des observations récentes et des constats, dans le but de développer une approche efficace de l’éducation financière à l’école. La première partie dresse la toile de fond sur base de laquelle on peut réfléchir au développement de stratégies visant à accroître les compétences financières. Le degré de compétence financière sera évalué de façon chiffrée, puis comparé entre la communauté flamande et la communauté francophone. La seconde partie propose une cartographie de la situation actuelle en Belgique et les réflexions par rapport à l’implémentation de l’éducation financière à l’école. Cette analyse débouche sur des recommandations politiques pour une approche plus intégrée.

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Introduction

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6 L’ÉDUCATION FINANCIÈRE À L’ÉCOLE

La décision politique récente de prendre en considération les compétences financières de base dans les objectifs de l’enseignement secondaire en Flandre est une avancée positive. En effet, les carences en matière d’éducation financière est un phénomène très répandu. Une étude récente réalisée par Wikifin sur l’éducation financière dans 12 pays de l’OCDE, révèle que la Belgique obtient un score moyen de 14 sur 21 légèrement au-dessus de la moyenne de 13 sur 31. Cette relativement bonne moyenne, n’exclut pas qu’une partie importante de la population, plus particulièrement la population issue des couches sociales plus vulnérables, ne soit pas ou pas suffisamment armée pour pouvoir faire face à des décisions financières importantes. En réaction à ceci, beaucoup de pays dont la Belgique, ont envisagé des stratégies et des initiatives afin de développer la capacité de gestion financière de sa population. 52 % des pays au sein de l’Europe (25 pays sur 48), récemment questionnés par le biais d’une enquête OCDE (OCDE, 2016a), signalent une phase de planification (4), développement actif (4), implémentation (12) ou révision (5) de la stratégie nationale concernant l’éducation financière de la population (5). L’intérêt croissant pour l’éducation financière s’explique également par des observations empiriques qui révèlent un lien entre aptitude en gestion financière et comportement financier (voir suite). L’éducation financière se rapporte au processus par lequel le citoyen augmente son niveau de compréhension des produits et concepts financiers et développe ses compétences et sa confiance en soi à travers de l’information, de l’accompagnement et/ou un conseil objectif afin de mieux comprendre les risques et les opportunités financières, de pouvoir poser des choix mieux informés, d’être plus au courant des possibilités d’assistance et de prendre des mesures adaptées en vue de protéger et d’améliorer son bien-être financier (OCDE, 2005b). L’éducation financière va donc bien au-delà des initiatives visant le renforcement des connaissances financières. Ellevise aussi à développer les compétences, et à faireévoluerles attitudes et la confiance en la matière, afin de faire évoluer les comportements. Une compétence financière élevée n’est pas un objectif en soi, mais un moyen de préserver et d’améliorer son bien-être financier à travers des choix financiers adéquat. Dans ce contexte, il est important de noter qu’un degré plus élevé de compétences financières entraîne des effets positifs pour l’individu mais aussi pour la société dans son ensemble. C’est pour cela que la compétence financière rejoint les huit compétences clés prônées par l’Europe. Les compétences clés sont les compétences indispensables à chaque individu pour son développement personnel, sa participation citoyenne active, son intégration sociale et son travail. La compétence financière concerne


plus particulièrement les « compétences sociales et citoyennes » et le « développement d’initiatives et l’entreprenariat ». Cette dernière compétence est vaste. « L’entreprenariat » aide non seulement chacun dans son foyer et au sein de la société, mais contribue également à la prise de conscience du travailleur de son environnement professionnel lui permettant de saisir les opportunités. Elle forme la base des compétences et des connaissances plus spécifiques nécessaires pour contribuer à l’activité sociale économique. » (Commission européenne, 2007 : p. 15). La réforme de l’enseignement secondaire en Flandre porte une attention particulière à ces compétences clés européennes permettant à tout un chacun d’acquérir un niveau de base en éducation financière. Vu l’importance de la compétence financière des jeunes, ce chapitre aborde plus particulièrement l’éducation financière à l’école. Nous formulons quelques points d’attention importants, basés sur des observations récentes et des constats, dans lebut dedévelopperuneapprocheefficacedel’éducation financière à l’école. La première partie dresse la toile de fond sur base de laquelle on peut réfléchir le développement de stratégies visant à accroître les compétences financières. Le degré de compétence financière sera évalué de façon chiffrée et comparé entre la communauté néerlandophone et la communauté francophone. La prochaine partie propose une cartographie de la situation actuelle en Belgique et les réflexions par rapport à l’implémentation de l’éducation financière à l’école. Cette analyse débouche sur des recommandations politiques pour une approche plus intégrée.

Les composantes de la compétence financière La définition de la compétence financière formulée par l’OCDE se compose de trois composantes : (1) la connaissance financière ; (2) l’attitude financière ; et (3) le comportement financier. La connaissance financière est essentielle afin de de permettre à l’individu de comparer des produits financiers et de prendre des décisions financières informées. Une connaissance de base des concepts financiers et la capacité d’appliquer ses connaissances permettent au consommateur de gérer ses finances de façon appropriée. La connaissance financière est donc une condition nécessaire, mais non suffisante, pour pouvoir assurer sonbien-être financier (Réf p.e.García, 2013; Hathaway & Khatiwada, 2008; Klapper, Lusardi & Panos, 2013). Car une bonne connaissance financière n’implique pas nécessairement une bonne gestion. Son attitude financière pourrait le conduire à privilégier le court terme sur le long terme (une attitude « carpe diem »).De surcroît, sa personnalité peut le conduire à un comportement négligeant, comme des retards dans le paiment des factures ou des dépenses impulsives. Il est donc primordial que l’édu­

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159

6 L’ÉDUCATION FINANCIÈRE À L’ÉCOLE

cation financière s’attarde aux aspects liés à la connaissance financière et aborde les deux autres composantes de la compétence financière : d’une part l’attitude financière et d’autre part le comportement financier. (Réf e.a. Van Damme, 2015). La définition de la compétence financière est une chose mais son application dans la pratique est bien plus importante. Holzmann, Mulaj & Perotti (2013) nous proposent deux approches distinctes en la matière : l’approche cognitive / normative et l’approche positive / axée sur le résultat. L’approche cognitive / normative mise sur le rôle de la connaissance financière. Elle part du principe qu’une connaissance financière adéquate couplée à la capacité de l’appliquer conduit à un comportement optimal et une amélioration du résultat. En conséquence, cette approche projette une influence positive de l’éducation financière sur le comportement financier de par son impact sur les connaissances, les compétences et les attitudes. Une approche normative définit ce que l’on est supposé savoir, croire ou faire. Cette approche est différente de l’approche positive / axée sur le résultat qui se focalise davantage sur le comportement et les résultats. La définition du comportement à influence positive ou négative dépend d’une observation empirique des résultats. À cette fin, les chercheurs organiseront des débats au sein de groupes de pairs afin de définir le « bon comportement » et les caractéristiques qui y mènent comme les attitudes, les compétences et les connaissances. La recherche, entre autres celle de Atkinson et al. (2006), illustre que l’approche cognitive /normative ne rend pas toujours une image correcte de ce que le citoyen considère comme comportement financièrement souhaitable. L’approche positive, reconnaît de surcroît, que le comportement est influencé par une multitude de facteurs, comme les facteurs personnels de la connaissance, la compétence et la conscience, mais également la confiance, l’attitude et la motivation. Le tout se trouve influencé par les normes sociales et les facteurs environnants, comme par exemple la législation de la protection du consommateur et la précarité. Ces constatations ont mené Yoong et al. (2013) à développer un modèle autour de la compétence financière. Celui-ci mesure en premier lieu le comportement déterminant la compétence financière. La gestion responsable des finances quotidiennes, comme la planification des dépenses, le fait de s’y tenir, de vivre selon ses moyens et son budget et de ne pas dépenser l’argent à des futilités est souvent perçu comme signe de compétence financière. Au-delà de ça, il est important d’épargner, pour se couvrir contre les aléas de la vie, pour se constituer une pension, pour investir dans des projets ou les études de ses enfants. Et pour terminer, il est utile de se couvrir contre les risques et de choisir les produits et services financiers adéquats. La Figure 6.1 propose le modèle de la compétence financière de façon schématique. Le quadrant supérieur indique les facteurs individuels déterminant le comportement financier en interaction avec les facteurs sociaux (normes et information) et contextuels (ressources financières).


Figure 6.1: un modèle conceptuel de compétence financière CONNAISSANCES ET COMPÉTENCES FINANCIÈRES

PRÉFÉRENCES ET ATTITUDES PERSONNELLES

APTITUDE GÉNÉRALE À PRENDRE DES DÉCISIONS

CONSCIENCE DE SOI

Connaissance et compréhension des termes et des concepts financiers courants et de leur application

Préférences individuelles, particulièrement en ce qui concerne la prise de risque et l’orientation vers le futur.

Mémoire et attention

Auto-efficacité perçue

Compétences générales en matière de langage et de chiffres

Contrôle de soi et autorégulation

Connaissance et compréhension des produits et services financiers courants et de leur application

Confiance

Aptitude pour la résolution de problèmes et le séquencement

Motivation

CONTRAINTES ENVIRONNEMENTALES ET SOCIALES

Compréhension de ses propres connaissances/compétences, préférences et aptitudes pour la prise de décisions.

RESSOURCES FINANCIÈRES

(par ex. les normes, le marketing et l’information)

COMPORTEMENTS FINANCIERS

Gérer les finances au quotidien Équilibrer les besoins présents et futurs en prenant des décisions quant aux économies, aux dépenses et aux emprunts Entreprendre des démarches pour se protéger des risques Sélectionner et utiliser les produits et les services de façon appropriée afin d’effectuer les actions ci-dessus

Source: Yoong et al. (2013)

Le modèle offre une bonne vue d’ensemble sur la panoplie d’éléments pouvant influencer de façon positive le bien-être financier. Traduit en éducation financière, ceci implique que l’approche optimale de l’éducation financière prend en compte tous ces aspects qui se renforcent mutuellement. Un manquement au niveau d’un ou deplusieurs aspects réduit les effets d’entrainement. Le modèle atire l’attention sur la prise en compte des biais comportementaux (‘behavioural biases’) influençant le comportement réel (Altman,2012;Spencer& Nieboer,2015). Au final, le modèle dévoile également la complexité du comportement financier. Cette importante variété comportementale entre personnes explique d’emblée la difficulté d’élaborer une forme unique d’éducation financière efficace.

160


Compétence financière en Belgique

2

3

4 5

L’enquête mesure quatre concepts liés à la prise de décisions financières : les connaissances de base en mathématiques, le calcul des intérêts, la compréhension des mécanismes d’inflation et la diversification des risques. L’étude mesure donc la capacité de gestion financière au sens strict et ne vérifie pas l’attitude financière ni le comportement réel financier (cf. infra). Le score pour les attitudes financières est déterminé sur base de critères qui apprécient l’attitude envers l’argent et la planification de l’avenir. Le score pour le comportement financier est défini à partir d’un nombre de questions qui vérifient le comportement, comme par exemple la réflexion sur un achat avant de passer à l’acte, le paiement des factures dans les délais, la rédaction d’un budget ménager, l’emprunt et l’épargne. Un score élevé en attitude financière signifie que le répondant a obtenu un score de plus de 3 sur 5. Un score élevé en comportement financier signifie que le répondant a obtenu un score de plus de 6 sur 9. Le score élevé pour la connaissance financière signifie que le répondant a correctement répondu à 5 sur 7 questions sur la connaissance financière. Aujourd’hui il n’existe pas de recherche élaborée vérifiant explicitement la littératie financière des étudiants au sein de l’enseignement francophone. Sur base des informations consolidées pour la Belgique et les informations spécifiques aux étudiants issus de l’enseignement en Flandre nous ne disposons d’aucun indice permettant de penser que la situation serait moins grave en Belgique francophone compte tenu des facteurs socio-économiques qui influent sur la littératie financière.

161

6 L’ÉDUCATION FINANCIÈRE À L’ÉCOLE

Comme mentionné dans la section précédente, la compétence financière se compose de trois éléments : la connaissance, l’attitude et le comportement. Lorsque la connaissance financière des belges est mesurée sur base d’une enquête avec 7 questions, ils atteignent un score un peu plus faible que la moyenne OCDE. Là où en moyenne 62 % des participants des pays OCDE répondent correctement à cinq des sept questions, les belges ne sont que 60 % à atteindre ce résultat. Par contre, les belges font mieux que la moyenne au niveau de l’attitude financière et le comportement financier avec respectivement 56 % et 70% d’entre eux qui obtiennent un résultat élevé par rapport à 53 % pour la moyenne OCDE.2 Lorsqu’on observe le score total de la compétence financière, les belges ne sont devancés que par des pays de l’OCDE comme la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande et le Canada (OCDE, 2016b).3 Les résultats pour la Belgique sur base de notre propre enquête exécutée par Wikifin.be (2015) révèlent que les jeunes (18 à 29 ans) font moins bien que d’autres catégories d’âge pour certaines dimensions de la compétence financière. Pour les jeunes, 54% obtiennent un score élevé pour la connaissance financière.4 Au niveau de l’attitude financière et du comportement financier, par contre, avec respectivement 59et 71%, les jeunes Belges, font mieux que la moyenne, toutes catégories d’âge confondues. Enfin, 25.75% des jeunes obtiennent un score élevé tant au niveau de la connaissance, de l’attitude et du comportement financier, contre 28.82% pour la moyenne générale. Ily a donc besoinde développer la compétence financière chez les jeunes. La recherche de Cornelis & Storms (2014) démontre sur base d’un échantillon de 2447 élèves issus de 63 écoles flamandes5 que les jeunes du troisième degré du


secondaire disposent d’une connaissance financière relativement faible. Le score moyen à un questionnaire à choix multiple avec 13 questions est de 5,93. Cela signifie que 46% des élèves ont répondu correctement à 7 des 13 questions. Un exercice simple qui consiste à répartir une somme d’argent ne pose pas problème, mais seulement 9% des élèves savent que la branche 21 est un placement à faible risque. Même si la moitié (55%) des élèves connaissent la notion d’inflation, seulement 42% des élèves sont capables de l’appliquer sur un exemple pratique. Les garçons et les élèves de l’enseignement général et technique (ASO/KSO) réalisent un score plus élevé que les filles et les élèves de l’enseignement qualifiant (BSO / BUSO). Une enquête de Wikifin.be (2016) révèle que presque tous les parents parlent de questions d’argent avec leurs enfants, mais que seulement 29% déclarent faire cela fréquemment. Edwards, Allen & Hayhoe (2007) démontrent pourtant un lien entre le fait de parler des questions d’argent au sein de la famille et l’attitude des enfants envers l’argent. Dans le même sens, Pinto, Parente & Mansfield (2005) concluent que les familles qui évitent les questions d’argent présentent un risque accru d’abus d’utilisation de carte de crédit. En parallèle, l’éducation financière à l’école et l’expérience de la gestion d’un revenu d’un travail d’étudiant contribuent à la connaissance financière des jeunes. Une recherche PISA internationale (OCDE, 2017)démontre que les jeunesflamandsfont relativement bien au niveau de la connaissance financière, en comparaison avec d’autres pays. Au niveau international, ils ne sont précédés que par Shangai et partagent la seconde place avec quelques provinces du Canada. Au sein du groupe de pays participants issus de l’OCDE, les jeunes flamands sont à la pointe et devancent des pays comme les Pays-Bas, les Etats-Unis, l’Australie, L’Italie, l’Espagne, La Slovaquie et la Pologne. Malgré cette moyenne impressionnante des jeunes flamands, l’écart entre les plus forts et les plus faibles est aussi plus élevé que l’écart moyen dans tous les pays participants. Les inégalités de résultats entre jeunes sont souvent la conséquence de facteurs socio-économiques. En ce qui concerne la Flandre on constate un impact important du contexte migratoire. De tous les pays participants l’effet est le plus important en Flandre suivi par la France même lorsqu’on prend en compte le contexte socio-économique différent des élèves. Ceci s’explique partiellement. Des élèves qui parlent une autre langue que le néerlandais à la maison obtiennent un score plus faible et auront probablement plus difficile à comprendre des documents financiers plus tard (Van Camp,Warlop & DeMeyer,2014). En Flandre, 60% des migrants ne parlent pas la langue d’enseignement à la maison contre 48% pour l’ensemble des pays de l’OCDE. Ces constatations pour la Flandre soutiennent d’une part le plaidoyer en faveur d’une éducation financière à l’école, et soulignent d’autre part l’importance d’atteindre les jeunes issus des groupes sociologiquement plus faibles par le biais de l’éducation financière.

162


L’importance de la compétence financière

6

Des analyses statistiques démontrent qu’un accroissement d’un point en littératie financière résulte en un accroissement patrimonial de €12000.

163

6 L’ÉDUCATION FINANCIÈRE À L’ÉCOLE

Le faible degré de compétence financière de nos jeunes est inquiétant vu l’évolution de notre société et compte tenu des multiples études empiriques démontrant les conséquences négatives qui y sont associées (réf Lusardi & Mitchell, 2014 pour un aperçu). Un rapport OCDE récent indique la nécessité de l’éducation financière, surtout dans le contexte de certaines tendances sociétales importantes, comme le vieillissement de la population et la réforme des pensions, la complexité croissante de l’environnement financier, le taux d’endettement élevé des familles et le faible taux de compétence financière en général (OCDE, 2016a). L’environnement décisionnel financier s’est complexifié. Il est, dès lors, indispensable que le consommateur dispose d’une compétence suffisante afin de prendre des décisions financières bien informées. C’est d’autant plus important lorsqu’on veut éviter l’exclusion financière. Un manque de connaissance financière est une des raisons principales pour ne pas utiliser un produit financier pourtan utile (Imaeva, Lobanova & Tomilova, 2014). De plus la recherche empirique démontre clairement la relation entre la compétence financière et les différents aspects d’un comportement financier souhaitable. La compétence financière est par exemple positivement associée avec la constitution d’un patrimoine (Behrman et al., 2010; Van Rooij, Lusardi & Alessie, 2012). Une recherche aux Pays-Bas constate une écart de patrimoine net (médian) de € 139200 (i.e. € 185900-€ 46700) entre les personnes qui correspondent aux 25 % les plus compétents financièrement et les 25 % les moins compétents (Van Rooij et al.,2012)6 . La constitution d’un patrimoine est importante vue le fait qu’une grande partie de la population est insuffisamment préparée à sa pension (Bernheim, 1998; Prast & van Soest, 2016). Par ailleurs, le niveau de revenu après la pension ne serait clair que pour une petite minorité de la population (Atkinson et al., 2015; Van Campenhout, 2016). La compétence financière est également importante dans ce contexte. La recherche démontre que les personnes financièrement compétentes sont mieux préparées à leur pension (Lusardi & Mitchell, 2009, 201; Van Rooij et al., 2012). Pour résumer, les résultats suggèrent que la compétence financière influence le comportement financier à long terme. La compétence financière est également importante à d’autres niveaux. Les personnes financièrement compétentes présentent par exemple une meilleure capacité à gérer des dettes (Campbell, 2006; Huston, 2012; Lusardi & Scheresberg, 2013; Lusardi & Tufano, 2009; Stango & Zinman, 2009). Non seulement, ils présentent un taux d’endettement plus réduit en moyenne (Lusardi & Tufano, 2009), mais le coût de leur endet-


tement est également souvent moins important (Huston, 2012). La compétence financière va également contribuer à une meilleure diversification et répartition des risques liés aux placements (Abreu & Mendes, 2010). Tableau 6.1 : exemple d’effet positif de la compétence financière sur le comportement financier Comportements

Effets

Études

Gestion des finances quotidiennes

Les personnes avec une plus grande compétence financière suivent mieux leur budget personnel, payent leurs factures dans le temps, manquent moins rapidement d’argent pour leurs dépenses quotidiennes et ont une meilleure gestion des dettes. Ils vont non seulement contracter moins des dettes, mais elles leur coûteront également moins en moyenne.

Campbell (2006); Huston (2012); Lusardi & Scheresberg (2013); Lusardi & Tufano (2009); Stango & Zinman (2009)

Équilibrer les besoins actuels et futurs financiers concernant l’épargne, la dépense ou l’emprunt.

La compétence financière influence de façon positive la possibilité d’épargne pension. De cette façon le consommateur est plus apte à maintenir sa consommation à niveau, ce qui influencera positivement son bien-être.

Lusardi & Mitchell (2009); Lusardi & Mitchell (2011); Van Rooij et al. (2012)

Prendre des initiatives afin de se couvrir contre le risque

La compétence financière a un effet positif sur les différents actifs aux sein d’un portefeuille de placements, ce qui résulte en une meilleure gestion du risque. En outre, les personnes à compétences financières plus élevées vont davantage se protéger des risques à l’aide de produits d’assurance appropriés. Les familles à compétence financière plus faible que la médiane qui prennent des initiatives de placement indépendantes, ont souvent un taux de rendement plus faible qu’attendu.

Abreu & Mendes (2010); Von Gaudecker (2015)

Usage de produits et services financiers adaptés pour réaliser les décisions financières indiquées ci-dessus.

Les personnes à compétences financières plus élevées vont davantage avoir tendance à investir dans des actions à longue durée résultant en un rendement plus élevé que l’épargne. De cette façon, ils verront leurs avoirs croître plus rapidement, ce qui importe en prévision de leur pension.

Behrman et al. (2010); Van Rooij et al. (2012)

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L’éducation financière à l’école

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L’importance de l’éducation financière à l’école Du point de vue politique, on peut chercher à améliorer le comportement financier du consommateur à travers l’éducation financière pour se focaliser sur l’information essentielle à la prise de décision financière adaptée (Franco, 2009; OCDE, 2012a). Une information simple standardisée facilite la comparaison de produits. Cette dernière approche témoigne du rôle que peuvent jouer les acteurs financiers (du côté de l’offre) à côté du rôle des consommateurs et des pouvoirs publics (Franco, 2009). La solution idéale combine différentes pistes qui se renforcent mutuellement. En ce qui concerne l’éducation financière, la recherche démontre que les initiatives résolument axées sur des cibles spécifiques sont plus efficaces (Lusardi & Mitchell, 2014; Lusardi, Mitchell & Curto, 2010). Au sein de l’éducation financière, l’attention se porte, à juste titre, plus particulièrement sur les jeunes. Le degré d’incompétence financière est bien plus important au niveau des jeunes (Lusardi & Mitchell, 2009; Lusardi et al., 2010; Mandell, 2008). Adossé à l’autre extrême : les personnes âgées, ils forment le groupe le plus fragile à cet égard. Ce degré élevé d’incompétence auprès des jeunes est alarmant pour diverses raisons. Tout d’abord, l’incompétence financière est persistante : les jeunes moins compétents financièrement auront tendance à le rester au cours de leur vie future. Vu les inconvénients qui y sont associés (voir ci-dessus), ceci augmente les risques d’aboutir à un cercle vicieux d’incompétence intergénérationnelle où les inégalités de revenus et de patrimoine persistent entre générations (Lusardi et al., 2010). Ensuite, n’ignorons pas que les jeunes sont déjà confrontés à des décisions finan-

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Cette section se base surtout sur Van Campenhout (2015).

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6 L’ÉDUCATION FINANCIÈRE À L’ÉCOLE

Une constation importante est que la compétence financière n’a pas que des avantages pour l’individu, mais profite aussi à la société entière. La concurrence et l’innovation des marchés est stimulée par la présence de consommateurs financièrement compétents, et bien informés qui prennent des décisions bien réfléchies. Un comportement financier plus rationnel et prévisible de personnes financièrement compétentes pourrait de surcroît conduire au développement d’un secteur financier plus efficace et une régulation financière moins onéreuse (OCDE, 2012a). Les personnes financièrement compétentes sont plus aptes à absorber les chocs de revenus, et une compétence financière accrue contribue également à une plus grande stabilité financière (Klapper et al., 2013; OCDE, 2012a).


cières importantes, et que les mauvaises décisions peuvent s’avérer très coûteuses (Lusardi et al., 2010). Une des préoccupations internationales est le degré d’endettement croissant des étudiants. Deux tiers des étudiants universitaires Américains terminent leur parcours éducatif avec une dette importante. Le niveau d’endettement moyen est de $26600 et beaucoup seront confrontés à des problèmes de remboursement (Baum et O’Malley, 2003; Denhart, 2013; Lyons, 2008). En Belgique, où le coût des études est bien moins important qu’aux Etats-Unis, la problématique de la dette des étudiants est bien moins explicite. Malgré le fait qu’il ne soit pas possible de souscrire un crédit avant 18 ans, il s’avère que 10% des jeunes du troisième degré de l’enseignement secondaire (donc des doubleurs de plus de 18 ans) sont déjà endettés (Cornelis & Storms, 2014). L’endettement des jeunes reste dès lors un point d’attention important. D’autant plus qu’il est très probable que les jeunes seront confrontées à une panoplie de risques financiers importants avec une complexité croissante de produits financiers (OCDE, 2012a). C’est dans cette optique que Cornelis & Storms (2014) plaident pour une éducation financière qui développe l’agilité et la souplesse financière du consommateur (‘adaptable financial consumers’), de sorte à le rendre capable de s’adapter rapidement au contexte financier changeant et innovant. Ces exemples illustrent l’importance de l’éducation financière dès le premier âge. Cette approche saisie d’emblée l’opportunité qu’offre l’ouverture à l’apprentissage et l’adaptation comportementale des jeunes à cet âge. En totale cohérence avec l’argument précité, l’OCDE, dans son rapport ‘The Principles and Good Practices for Financial Education and Awareness’, conseille de débuter l’éducation financière le plus tôt posDébuter l’éducation financière sible à l’école. De plus en plus de pays suivent ce conseil. Le Royaume-Uni intégra cet recomman­ le plus tôt possible à l’école dation dans son programme éducatif en 2014. La décision de la ministre de l’enseignement flamand (Mme Crevits) de reconnaître la compétence financière comme une des compétences de base à maîtriser par chaque élève de l’enseignement secondaire cadre également avec cette approche. L’éducation financière intégrée dans le parcours scolaire est dès lors considérée comme le principal atout dans l’amélioration de la compétence financière (des jeunes) (OCDE, 2012a, 2014a).Tout d’abord, cette approche englobante de tous les jeunes, évite d’emblée des risques d’auto-sélection (induits par la liberté de choix). D’autre part, elle adresse le souci de l’inégalité parentale devant l’éducation financière de leurs enfants, une évidence vue le lien entre compétence financière et statut socio-économique. La proposition d’une éducation financière accessible pour tous les jeunes, dont ceux qui y auraient moins facilement accès par la voie parentale, est une évidence d’un point de vue social. L’éducation financière à l’école permet de gommer les différences au niveau de l’éducation financière générées au sein de la famille, et assure une accessibilité à tous (Bernheim, Garrett & Maki, 2001; OCDE, 2014a).

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L’implémentation de l’éducation financière à l’école

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6 L’ÉDUCATION FINANCIÈRE À L’ÉCOLE

Malgré l’existence d’une large opinion favorable à l’instauration de l’éducation financière à l’école, il n’existe pas de consensus au niveau de sa réalisation. D’une part il existe une vaste panoplie de possibilités pour réaliser l’offre de l’éducation financière (cours isolé ou transversal, cours imposé ou cours libre), d’autre part la discussion porte sur l’évaluation de l’éducation financière dispensée (réf e. a. Bureau, 2014; Lyons et al., 2006; OCDE, 2010; Yoong et al., 2013). Au final, il y a divers aspects, comme le rôle des parents, le soutien des enseignants et la nécessité de différentiation qui ont insuffisamment été analysés mais qui ne sont pas pour autant négligeables si l’on veut aboutir à une intégration efficace et optimale de l’éducation financière. Notez que l’éducation financière à l’école demande une approche spécifique : les programmes axés sur le développement des compétences financières des adultes ne sont pas nécessairement adaptés à l’éducation financière à l’école (McCormick, 2009a). Les programmes destinés aux adultes concernent souvent la problématique financière sous l’angle de l’aide immédiate, par exemple en cas d’endettement (Collins & O’Rourke, 2010; McCormick, 2009a). Pour les jeunes, les programmes d’éducation financière devraient être plus proactifs (Collins & O’Rourke, 2010), tout en proposant un cadre référentiel normatif et préparant les jeunes à la prise de décisions financières à l’avenir (McCormick, 2009a; Shim et al., 2009). L’éducation financière peut être rendue obligatoire à travers le programme d’éducation nationale, ou pourrait se décliner sur une base de participation plus volontaire. Les pays et les régions qui ont développé ou qui planifient un programme imposé sont e.a. la Flandre, la Wallonie, le Royaume Uni, l’Espagne, l’Irlande, le Danemark, la République Tchèque et l’Estonie. L’Italie, les Pays-Bas, le Portugal et la Russie sont considérés comme des exemples d’approche volontaire (OCDE, 2016a). Le choix de l’approche est donc partagé. Ensuite, les choix se portent vers la façon d’implémenter l’éducation financière : comme cours à part entière, comme module au sein d’un ou plusieurs cours, ou totalement intégré dans d’autres cours comme les mathématiques, l’économie, ou l’éducation sociale (OCDE, 2012b). Même si l’idée de dispenser le cours de façon isolée offre l’avantage d’une mise en contact claire et immédiate avec les aspects financiers, ceci n’en reste pas moins un défi au niveau de l’insertion au sein des programmes déjà surchargés et au niveau de l’attribution de moyens et de temps (OCDE, 2014b). C’est pourquoi, dans la plupart des pays, il est opté pour une approche transversale en intégrant l’éducation financière dans différents cours existants (OCDE, 2012a). Par contre, cette approche demande de poser des objectifs d’apprentissage clairs dans les différents cours concernés. Les retours observés auprès de Asarta et al. (2014), Bruhn et al. (2013) et Romagnoli et al. (2013) semblent témoigner de l’efficacité de l’approche transversale.


L’analyse de la façon optimale de dispenser l’éducation financière à l’école doit néanmoins être affinée sans aucun doute (OCDE, 2012a; Totenhagen et al., 2014). Une vision brouillée et des méthodes d’évaluation inefficaces sur les programmes scolaires ont longtemps freiné le développement en la matière. Dans ces études pilotes, par exemple, Wikifin.be n’enquêtait qu’auprès des élèves et leurs professeurs de façon qualitative. Ces derniers temps, des avancées claires ont été observées dans ce domaine, le nombre d’études d’impact précises a augmenté sensiblement, tout en constatant que la validation empirique reste limitée en Europe (OCDE, 2016a).

L’éducation financière à l’école en Belgique (situation en avril 2017) Enseignement néerlandophone L’école opère dans une société en évolution permanente. Cet environnement changeant ne permet pas de cloisonner les objectifs d’apprentissage dans un cours isolé. Il faut donc bien plus que des objectifs d’apprentissage spécifiques aux cours. C’est cette idée qui a ouvert la voie vers les objectifs d’apprentissage transversaux dans l’enseignement flamand (de vakoverschrijdende eindtermen VOET ou Socles de compétences). Les objectifs d’apprentissage sont les finalités minimales que les instances gouvernantes ont identifiées comme indispensables et accessibles pour la plupart des élèves. Les objectifs d’apprentissage transversaux garantissent l’introduction du jeune aux aspects transversaux essentiels, non réductibles à un cours ;au contraire des objectifs d’apprentissage spécifiques à chaque cours (VVKSO, 2017). L’école se voit ici imposer une obligation de moyen (devoir d’effort adéquat pour la réalisation des objectifs d’apprentissage), au lieu d’une obligation de résultat. C’est en 1997 que L’enseignement flamand se voyait imposer des objectifs d’apprentissage transversaux pour la première fois. La première génération d’objectifs d’apprentissage transversaux est liée à un degré spécifique. Les « VOET » contiennent les thématiques suivantes : l’éducation à la santé, à l’environnement, la citoyenneté, les aptitudes sociales, la formation créative et musicale, la formation technique- technologique (limitée au second et troisième degré de l’enseignement général, ASO) et l’informatique (uniquement au premier degré). Dix ans plus tard, les objectifs d’apprentissage transversaux ont été évalués et révisés. Le point de départ de la révision des objectifs d’apprentissage était le suivant : « de quelles compétences minimales un citoyen doit-il disposer pour pourvoir fonctionner de façon critique et créative dans la société flamande pour pouvoir développer un parcours de vie personnelle épanouissant ? » Cette question de départ renvoie autant vers le développement personnel du jeune que vers son intégration fonctionnelle dans une société démocratique multiculturelle (voir la discussion De Witte & Schelfhout (2015) plus loin).

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L’enseignement francophone L‘éducation à la « consommation responsable » fut reprise dans un sujet transversal « l’éducation transversale à la citoyenneté », prévu dans les décrets “mission” et “citoyenneté” de l’enseignement. L’article 6 du décret Mission de l’enseignement stipule : “La communauté française, pour l’enseignement qu’elle organise et tout pouvoir organisateur, pour l’enseignement subventionné, poursuivent simultanément et sans hiérarchie les objectifs suivants : préparer tous les élèves à être citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures.”. Cette approche est développée dans le décret ‘citoyenneté’ qui pose que “L’éducation citoyenneté porte notamment sur les matières telles que la consommation responsable, les règles de base régissant le financement des autorités publiques, les mécanismes de solidarité interpersonnelle, intergénérationnelle et interprofessionnelle, notamment en matière fiscale et sociale ainsi que leur évolution.L’éducationà la consommation responsable peut ainsi trouver sa place dans le cadre des apprentissages citoyens.” Aujourd’hui, le “comité de pilotage” érigé en 2014 dans le chef du ministère de l’enseignement de la Fédération Wallonie- Bruxelles se penche sur la concrétisation de l’aspect “consommation responsable”, qui fait intégralement partie du décret “citoyenneté”. Le 4 mai 2016 le gouvernement de la Fédération WallonieBruxelles a adopté une résolution soulignant l’importance de l’éducation financière à l’école, tant au niveau de l’enseignement primaire que secondaire. En vue de la concrétisation de cette mesure, le ministre de l’enseignement de la Fédération Wallonie- Bruxelles a mis en place un groupe de travail auquel ont été conviés le cabinet du ministre de l’enseignement et l’administration de l’enseignement de

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Dans la 2ème génération des « VOET » l’on prête une plus grande attention à la dimension socio-économique. Les étudiants doivent notamment prêter attention à la gestion et la composition de leur budget ; notamment, avoir de l’attention pour le rapport qualité/prix et les droits du consommateur lors de l’achat de produits de consommation ou l’acquisition de services. Grace au plan « VOET » l’attention pour l’éducation financière figure déjà au programme depuis 2010, même si elle se décline sous forme d’une obligation d’effort et qu’elle soit relativement largement définie. La réforme de l’enseignement flamand imposera l’éducation financière au sein du premier degré, car elle complète les compétences clés. Cette réforme deviendrait effective le 1er septembre 2018. Le département « Onderwijs en Vorming » a développé un cadre à cet égard, mais celui-ci doit encore être traduit en objectifs finaux. 2017 ne permet pas encore de faire toute la lumière sur la réalisation précise de ceux-ci.


la Fédération Wallonie-Bruxelles, les coupoles, les services d’inspection, le départe­ ment et Wikifin.be. Le rôle de Wikifin.be Vu l’approche tant de l’enseignement francophone que néerlandophone par wikifin.be, les thématiques de l’éducation financière et l’éducation à la consommation responsable sont abordées dans un sens large. Les thèmes comme l’emprunt et les moyens de paiement sont repris dans le programme Wikifin@School (Enseignement dont la participation est libre). Wikifin.be a introduit quelques projets pilotes pour impulser l’éducation financière dans l’enseignement. Les enseignants s’y sont attelés, munis d’infor­ma­ tion générale contextuelle sur des thèmes divers soutenus par du matériel didactique. Le travail autour des sujets ayant trait à l’argent fut introduit dans des cours transversaux comme les langues, les mathématiques, la géographie, … tout comme sous forme de cours à projets, au cours d’une année scolaire. Le résultat de cette année est disponible sur Wikifin.be. Parallèlement, Wikifin.be a participé à des projets autour de l’éducation financière, et organisé des journées thématiques adressées ou non aux 6 années de l’enseignement secondaire. Pour terminer, il existe une école pilote où l’on dispense le cours d’éducation financière.

Recommandation politique : Vers une approche intégrée de l’éducation financière à l’école Dans cette section, nous discutons de propositions pouvant mener vers une approche intégrée de l’éducation financière à l’école. Afin de veiller à ce que l’éducation financière soit suffisamment intégrée il est important d’éviter qu’elle soit développée en tant qu’activité isolée, indépendante de la socialisation financière environnante. Viser une éducation financière flexible pour les jeunes en prêtant attention aux attitudes et aux compétences Le développement d’une éducation financière flexible et adaptée aux jeunes, fait partie de la vision ‘proactive’ d’une éducation financière à l’école, sur base de laquelle on prépare les élèves à prendre des décisions financières raisonnées à l’avenir. Cette vision est renforcée par l’évolution rapide de l’environnement et sa complexité. Une éducation financière qui concernerait uniquement l’état actuel des con­ naissances et l’apprentissage de connaissances statiques serait trop restreinte.

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En référence à la théorie de l’apprentissage social p.ex. (Bandura, 1977), la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991), la théorie de la gestion du budget ménager (Deacon & Firebaugh, 1981; Jorgensen & Savla, 2010), la théorie de la socialisation financière au sein de la famille (Gudmunson & Danes, 2011) ou la théorie plus générale sur la socialisation anticipative (Hess & Torney, 1967).

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6 L’ÉDUCATION FINANCIÈRE À L’ÉCOLE

Exemple : informer les jeunes sur les pratiques actuelles de fraude en ligne ne les préparera pas pour l’avenir, vu l’évolution rapide des moyens techniques liés à ce type de fraude. Le développement de programme mettant l’accent sur les sources d’informations et les stratégies de recherche (en ligne) fiables, l’apprentissage de règles de base et le travail sur le comportement des jeunes sont des approches plus constructives. Les jeunes capables de distinguer le vrai du faux sont bien mieux outillés pour faire face à l’imprévu. Pour les jeunes étudiants, l’apprentissage de règles de base, comme par exemple le fait de prendre contact avec son agence lors d’une demande suspecte de sa banque, est bien plus utile dans l’idée de l’installation d’un réflexe positif, que l’apprentissage d’une liste exhaustive de pratiques spécifiques. Cette vision demande une attention accrue pour le comportement et les compétences, bien plus qu’aujourd’hui (Center for Financial Security, 2012; Fernandes, Lynch & Netemeyer, 2014; Webley & Nyhus, 2006). Car, toute compétence est composée de trois aspects : la connaissance, l’attitude et le comportement. La compétence financière concerne de ce fait tant le comportement financier et les connaissances que l’aspect cognitif lié au sujet. Même si l’on est conscient que la connaissance de la matière en soi ne suffit pas pour initier un changement de comportemental financier, il est important d’y consacrer l’attention nécessaire (NEFE, 2006). L’importance des attitudes est conforme avec les travaux théoriques qui insistent sur l’importance des valeurs, comportements, normes subjectives, et l’apprentissage implicite.8 Sohn et al. (2012) concluent qu’une éducation financière théorique qui ne mise pas concrètement sur le comportement ou l’opportunité de se créer des expériences financières réelles est insuffisante. Dans leur recherche, ils démontrent par exemple que l’attitude des étudiants envers l’argent influence fortement leur niveau de compétence financière. En conséquence, Cornelis & Storms (2014) argumentent que l’éducation financière à l’école et l’éducation financière au sein de la famille peuvent être considérées comme indicateurs pertinents de la compétence financière à terme. Deux autres arguments incitent à promouvoir l’éducation financière à l’école. Le premier se base sur la phase de développement identitaire qui est propice à l’ouverture d’esprit et à l’adoption de nouveaux comportements. Le second argument correspond à la théorie de la socialisation qui stipule que les compétences et savoirs acquis aujourd’hui seront utiles demain pour la prise de décisions économiques (Deacon & Firebaugh, 1981; Hess & Torney, 1967). D’autre part, il faut prendre note du décalage important entre la phase d’apprentissage et la phase


d’application. Dans cet esprit, il est important d’adapter les approches éducatives au monde qui entoure le jeune, et éviter l’abstraction excessive. Suivant cette théorie, l’approche éducative se doit de prendre en compte les caractéristiques types de la personnalité (réf Shim et al., 2009). L’efficacité personnelle fait référence à la confiance en sa capacité par son action personnelle à engranger les résultats escomptés. C’est une capacité notamment à faire correspondre ses intentions avec ses actions. Cette efficacité personnelle est cruciale en matière d’éducation financière. Un individu peut être convaincu que l’épargne pension est utile, s’il lui manque l’efficacité personnelle pour gérer ses pulsions et envies cette conviction de l’utilité d’une épargne pension ne se concrétisera pas dans son comportement financier. Ses actions vont différer de ses intentions. L’on peut également s’attendre à ce que les personnes dotées d’une plus grande efficacité personnelle (et donc cohérence personnelle) affichent un comportement financier plus adéquat lorsqu’elles seront confrontées aux aléas financiers. L’efficacité personnelle conduit de ce fait à une agilité financière accrue des personnes. C’est un élément non-négligeable du point de vue social. La pauvreté a un impact négatif important sur l’efficacité personnelle des jeunes et leurs parents, incitant moins ces derniers à prendre le rôle d’exemple (réf entres autres Brody & Flor, 1997; Eamon, 2001; Evans & Rosenbaum, 2008). Compte tenu la relation entre la faible compétence financière et les groupes sociaux défavorisés, il est important de miser sur l’augmentation de l’efficacité personnelle afin de limiter au maximum cet effet. Intervention précoce et tout au long du parcours scolaire Comme déjà mentionné il est conseillé de commencer l’éducation financière à un âge précoce (NASBE, 2006 ; OCDE, 2005a). Une telle approche permet de familiariser les jeunes pas à pas aux concepts et aux comportements financiers. Dans ce contexte, une intégration de l’éducation financière au sein du parcours scolaire complet est conseillée (OCDE, 2014a). Cette recommandation est en phase avec l’observation qu’une action ponctuelle peut s’avérer intéressante pour susciter l’intérêt autour de la compétence financière, mais ne produit qu’un effet très limité au niveau du changement du comportement financier. Les normes K-12 nationales en matière de compétence financière aux Etats-Unis sont un bon exemple de cette approche graduelle (voir http://www.jumpstart.org). Un enfant de 9-10 est par exemple supposé pouvoir donner des exemples par rapport aux risques et aux stratégies de base pour éviter les risques auxquels ils sont, eux et leurs congénères susceptibles d’être exposés (rouler à vélo par exemple). Les 13-14 ans sont supposés pouvoir faire le lien entre risques et assurances et les 17-18 ans sont supposés savoir choisir l’assurance la plus appropriée pour couvrir un risque particulier. Une approche graduelle permet donc non seulement d’accroître le degré de com-

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plexité, mais permet également aux jeunes de se familiariser aux attitudes et aux cadres théoriques importants dans un contexte approprié. Intégrer l’éducation financière au sein des cours existants

L’implication des parents au niveau de l’éducation financière à l’école Un des plus grands manquements au niveau de l’éducation financière à l’école est le manque d’implication des parents (OCDE, 2005a). Ceci peut s’expliquer dans l’approche trop souvent segmentée de l’éducation financière considérant les activités domestiques et scolaires d’un point de vu isolé. Pourtant, la recherche démontre que de tous les intervenants au niveau de l’éducation financière, ce sont, en bas âge, les parents qui ont la plus grande influence.9 (Grusec & Davidov, 2008) (réf exemple, Jorgensen & Savla, 2010; Shim et al., 2009; Sohn et al., 2012).10 Il y a plusieurs raisons pour lesquelles les parents jouent un rôle aussi important. En premier lieu, l’importance de l’influencedes parents dans la phase de développement des comportements sociaux souhaitables (réf entres autres Jorgensen & Savla, 2010; Miller et al., 1986; Parsons, Adler & Kaczala, 1982). Pritchard & Myers (1992) démontrent la reproduction de l’exemple parental en matière de valeurs financières, alors que Webley & Nyhus (2006) concluent que le comportement d’épargne des enfants atteste de similitudes avec celui des parents. Dans les familles pauvres l’épargne est souvent impossible ce qui a un effet sur l’attitude et le comportement d’épargne des enfants. En deuxième lieu, l’importance des parents se traduit également clairement lorsqu’on observe le processus d’apprentissage au niveau de l’éducation financière des enfants tant

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La socialisation des consommateurs est définie comme processus à travers lequel les jeunes acquièrent des compétences, des connaissances et développent des attitudes utiles à leur fonctionnement en tant que consommateur sur le marché (Ward, 1974, p. 2). La socialisation financière est souvent considérée comme un concept plus large vu qu’elle a également attrait à la viabilité financière et le bien-être de l’individu (Danes, 1994, p. 128). 10 L’influence est également importante pour les enfants plus âgés. Une recherche sur la capacité de gestion financière auprès d’étudiants de l’université d’Arizona démontre que l’influence des parents égale 1.5 celle de l’éducation financière et 2 fois celle des amis.

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Comme indiqué précédemment, l’approche intégrée dans les cours existants semble se profiler comm une méthode plus efficace. L’offre d’éducation financière ne peut dès lors pas être ponctuelle, mais se doit d‘être transversale. C’est pourquoi, ce n’est pas la tâche du professeur en économie, mais la tâche partagée de tous les professeurs au sein de l’école. Il est conseillé de définir des objectifs d’apprentissage clairs en matière d’éducation financière, afin que celle-ci soit bien cadrée et puisse être évaluée correctement.


implicite qu’explicite. Clarke et al. (2005) suggèrent que l’apprentissage explicite à la maison a une grande influence sur le comportement futur des enfants. Différentes études visant l’apprentissage implicite démontrent également que le comportement des parents forge, en tant que modèle, le comportement financier de leurs enfants et qu’ils contribuent à leur socialisation financière de cette façon (Gudmunson & Danes, 2011; Hibbert, Beutler & Martin, 2004; OCDE, 2014c). Les parents sont également la source d’information principale pour l’information financière et le niveau auquel les sujets financiers sont discutés à la maison va influencer positivement le comportement financier et l’attitude envers l’argent (Danes & Haberman, 2007; Edwards et al., 2007; Pinto et al., 2005). Les discussions en matière d’argent à la maison sont évidemment de nature très différente entre familles pauvres et familles riches. Les questions d’argent sont même parfois un sujet tabou dans les familles pauvres. L’implication des parents en matière d’éducation financière à l’école est de ce fait très importante mais aussi très variables. Les études démontrent la difficulté d’augmenter l’implication des parents (Bruhn et al., 2013; Chodkiewicz et al., 2005). Il y a plusieurs raisons pour lesquelles les parents jouent un rôle aussi important. En premier lieu, l’importancedel’influencedes parents dans la phasededéveloppement des comportements sociaux souhaitables (réf entres autres Jorgensen & Savla, 2010; Miller et al., 1986; Parsons, Adler & Kaczala, 1982). Pritchard & Myers (1992) démontrent la reproduction de l’exemple parental en matière de valeurs financières, alors que Webley & Nyhus (2006) concluent que le comportement d’épargne des enfants atteste de similitudes avec celui des parents. Dans les familles pauvres l’épargne est souvent impossible ce qui a un effet sur l’attitude et le comportement d’épargne des enfants. En deuxième lieu, l’importance des parents se traduit également clairement lorsqu’on observe le processus d’apprentissage au niveau de l’éducation financière des enfants tant implicite qu’explicite. Clarke et al. (2005) suggèrent que l’apprentissage explicite à la maison a une grande influence sur le comportement futur des enfants. Différentes études visant l’apprentissage implicite démontrent également que le comportement des parents forge, en tant que modèle, le comportement financier de leurs enfants et qu’ils contribuent à leur socialisation financière de cette façon (Gudmunson & Danes, 2011; Hibbert, Beutler & Martin, 2004; OCDE, 2014c). Les parents sont également la source d’information principale pour l’information financière et le niveau auquel les sujets financiers sont discutés à la maison va influencer positivement le comportement financier et l’attitude envers l’argent (Danes & Haberman, 2007; Edwards et al., 2007; Pinto et al., 2005). Les discussions en matière d’argent à la maison sont évidemment de nature très différente entre familles pauvres et familles riches. Les questions d’argent sont même parfois un sujet tabou dans les familles pauvres. L’implication des parents en matière d’éducation financière à l’école est de ce fait très importante mais aussi très variables. Les études démontrent la difficulté d’augmenter l’implication des parents (Bruhn et al., 2013; Chodkiewicz et al., 2005).

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L’intégration d’expériences pratiques L’intégration d’expériences pratiques au sein du parcours d’éducation financière résulte de la vision que l’enfant apprend plus facilement de façon durable lorsqu’il est confronté à des expériences du quotidien (Amagir, 2016; Totenhagen et al., 2014). L’on peut, par exemple leur faire analyser différentes carrières potentielles, au sein desquelles ils doivent poser des objectifs personnels et financiers (Asarta, Hill & Meszaros, 2014). Une autre approche est de les familiariser via l’expérience pratique de différents produits financiers (Romagnoli & Trifilidis, 2013). D’autre part, il semble que l’apprentissage par l’expérience est également efficace auprès des étudiants. Ceci ouvre la voie à des formes d’apprentissage alternatif, interactif comme des leçons illustrées par vidéo, des applications de simulation, comme par exemple des jeux de bourse (Hinojosa et al., 2009; Mandell & Klein, 2009; Romagnoli & Trifilidis, 2013). Certains professeurs et chercheurs sont partisans de l’usage d’argent réel (Kiviat, 2010; McCormick, 2009b). Cette approche trouve écho dans les plans d’épargne scolaires proposant aux enfants (et aux parents) de réellement épargner.12 Faire le pont avec la formation à l’entreprenariat semble également souhaitable de par la similitude des attitudes, comportements, et connaissances financières.

11 Grinstein-Weiss et al., 2011; Johnson & Sherraden, 2007; CFPB, 2013. 12 Exemples: Illinois Bank-at school, Save for America, Credit Where Credit is Due, of

Money Savvy Kids: Basic Personal Finance Curriculum.

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Un des programmes les plus développés en matière de compétence financière à l’école dans lequel la participation parentale est promue est le programme ENEF au Brésil (Bruhn et al., 2013). Les programmes interactifs comportent des tâches interactives «  take-home» commela confection d’un budgetdu ménage avecl’aidedes parents,ainsi quedes workshops autourdelacompétencefinancière pour les parents. Le programme a eu des résultats positifs au niveau de la participation des parents au projet. La compétence financière des jeunes augmenta et les jeunes discutaient de sujets d’ordre financieravec leurs parents. L’on constata en outreuneamélioration dela compétencefinancièredes parents. Les parents respectaient mieux leur budget ménager, et de ce fait pouvaient se permettre d’épargner plus souvent. Engénéral,l’onconstatequelesprogrammesvisantl’implicationdes parents, s’inscriventleplussouvent dans les pratiques suivantes : (i) le devoir ou les activités à domicile en compagnie des parents; (ii) la stimulation de la communication financière à la maison; et (iii) les programmes bancaires et d’épargne scolaire.11 Nous renvoyons vers Van Campenhout (2015) en ce qui concerne des suggestions en la matière.


Soutenir l’enseignant au niveau de l’éducation financière Aux côtés des parents, nous trouvons, comme deuxième acteur, le corps enseignant au niveau de la socialisation financière des enfants. Il est généralement accepté que l’enseignant ait une influence importante sur le comportement des enfants (Hanushek, 2011; Rockoff, 2004). Mis à part les caractéristiques personnelles de l’enseignant, sa motivation et ses aptitudes à enseigner l’éducation financière jouent un rôle capital. Si la plupart des enseignants souscrivent à l’importance de l’éducation financière à l’école, peu d’entre eux se sentent pourvus des compétences pour l’enseigner. Une étude aux Etats-Unis constate que seul 20% des enseignants se sentent apte à enseigner l’éducation financière (Way & Holden, 2009). En Belgique, la recherche démontre que la plupart des futurs enseignants (84%) ne dispose pas des connaissances financières nécessaires pour pouvoir enseigner l’éducation financière (De Moor et al., 2014). En analogie avec les observations de Way & Holden (2009) et Godsted & McCormick (2007) l’on peut conclure qu’une attention plus importante devrait être accordée à l’accompagnement des enseignants en la matière (Way & Holden, 2009). Suite à une initiative de formation complémentaire pour les enseignants aux Etats Unis, surtout axée sur le développement de leurs propres compétences financières, 93% jugeaient l’impact sur leurs compétences financières et leurs approches de l’éducation financière en classe positif (Hensley, 2013). Ce dernier aspect prend également en compte l’accroissement de la confiance en soi, indispensable à l’éducation financière. Du côté FWB, Financité a développé des fiches pédagogiques https:// www.financite.be/fr/nos-outils. Développer des approches créatives en ayant de l’attention pour la différentiation L’éducation financière à l’école demande le développement de programmes qui peuvent être mis en œuvre à large échelle. Il serait toutefois faux de supposer qu’un programme unique uniforme mènerait vers une éducation financière efficace (Chang & Lyons, 2007; Lusardi & Mitchell, 2014; Lusardi et al., 2010). De là l’importance de rechercher des formes d’enseignement créatives stimulant l’engagement des jeunes (OCDE, 2016a). La différenciation semble être une clé pour aboutir à des programmes capables de faire les liens entre les situations diverses au niveau socio-économique, interpersonnelles et domestiques. Castelein et al. (2016) définissent la différenciation “intra” comme “l’exploita­ tion proactive, positive et planifiée des différences en classe afin d’aboutir à une motivation, un bien-être, un apprentissage et une efficacité accrue.” Les différences peuvent s’atténuer, tout comme elles peuvent persister, voire s’agrandir. De façon proactive ceci implique que l’enseignant puisse anticiper sur ce qui pourrait se proposer ou se produire en classe et qu’il ne se résume pas à réagir. D’un point

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Evaluer les programmes existants d’éducation financière Dans le passé, l’évaluation des programmes d’éducation financière était souvent un sujet sensible. En premier lieu, l’évaluation ne fut pas incluse dans le développement initial du programme. Ceci mena souvent vers une évaluation ad hoc, basée sur des critères flous, non définis. Une méta-évaluation de plus de 200 pro-

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de vue positif, ceci implique de considérer l’hétérogénéité d’une classe comme une richesse et non comme un problème à « gommer ». La planification au sein de la classe renvoie vers la planification de l’approche afin que l’on n’en reste pas à des actions qui sont le « fruit du hasard » (Struyven, Coubergs & Gheyssens, 2015). La différenciation intra vise à augmenter la motivation, le bien-être, la valeur ajoutée et l’efficacité de l’apprentissage des étudiants sans devoir abaisser le niveau. Moyennant un soutien différencié pour tous – donc pas uniquement pour les plus faibles ou les étudiants à problèmes – les différences peuvent s’atténuer, rester intactes mais également s’exacerber. Le but final reste toutefois que tous atteignent le seuil minimal de compétence du programme. L’attitude professionnelle et la vision éducative de l’enseignant seront déterminantes pour le succès de la différenciation intra (Tomlinson, 2014). Les techniques et méthodes de travail sont des aides utiles, mais lorsqu’on parle de différenciation interclasse, il en va de l’attitude professionnelle des enseignants. Il s’agit là, de l’enseignant et sa capacité d’observer ses élèves et d’adapter son approche au mieux aux besoins et aux préférences des sujets en classe. Cette attitude professionnelle est indispensable pour une différenciation intra efficace. Ceci implique, qu’afin de pouvoir différencier en classe, l’enseignant doit impérativement tenir compte, à tout moment, des différents facteurs présents, et de ceux qui pourraient se produire. Ces facteurs varient de classe en classe, et d’étudiant à étudiant. C’est pourquoi il n’existe pas de recette magique pour la différenciation intra-classe, pas d’astuces-type didactiques avec un succès garanti (Castelein et al., 2016). L’éducation financière se prête facilement à la différenciation intra. Elle permet d’impliquer, tant au niveau des exemples que de la ligne éducatrice, la mise à l’œuvre habile des compétences métacognitives des étudiants, leurs prérequis, leurs intérêts, leurs contextes et leurs méthodes d’apprentissage. Mais l’environ­ nement d’apprentissage peut également s’avérer un atout. Il permet de varier le matériel didactique au niveau du rythme, des méthodes de travail, des finalités didactiques (par exemple les méthodes d’élargissement, et les objectifs de base), le matériel didactique ou le produit final. Lorsque les enseignants seront conscients de ces possibilités, il est probable que nous verrons se développer des approches plus créatives, probablement plus efficaces de l’éducation financière.


grammes permit, de conclure13 par exemple que seul 10% des programmes analysés disposaient d’informations en matière d’évaluation. L’on peut donc dire que nous disposons que d’une évaluation appropriée pour une fraction des programmes. Ceci non seulement rend impossible l’évaluation des programmes de façon consistante, mais empêche également de construire des ‘best practices’ scientifiquement validées dans le temps. Il est, dès lors, capital de penser à l’évaluation lors de l’élaboration de programmes d’éducation financière. Suite à plusieurs expériences, l’on dispose néanmoins d’une littérature importante proposant des orientations en matière d’évaluation de programmes pour l’éducation financière (réf e. a. Bureau, 2014; Lyons et al., 2006; OCDE, 2010; Yoong et al., 2013). Mais il demeure que le nombre d’évaluations de qualité en Europe est réduit (OCDE, 2016a). L’important en matière d’évaluation des programmes est que ceux-ci donnent lieu à une véritable amélioration au niveau du comportement financier. Les arguments cités ci-dessus prônant une approche intégrée nous mènent dès lors à plaider pour une évaluation qui tient compte de tous les éléments précités afin d’en venir à une éducation financière à l’école, bien cadrée au sein d’un réseau plus vaste d’éducation financière.

Conclusion Dans une perspective internationale, les jeunes Belges sont relativement bons en matière d’éducation financière. Mais ce niveau moyen élevé cache des inégalités en matière d’éducation financière plus fortes en Belgique que dans d’autres pays. Les différences socio-économiques entre familles n’y sont pas étrangères. Ceci souligne l’importance de l’organisation de l’éducation financière à l’école. Celle-ci doit créer l’espace nécessaire pour soutenir les jeunes issus de milieu sociaux défavorisés, qui ont tendance à Des inégalités en matière d’éducation financière être moins confronté à la socialisation financière à la plus fortes en Belgique que dans d’autres pays maison. L’éducation financière à l’école permet d’atteindre tous le jeunes, en développant leurs compétences financières dans un contexte changeant marqué par le vieillissement de la population et la complexité croissante de l’environnement financier. Malgré la conviction générale de l’importance de la compétence financière pour les jeunes, il manque un consensus sur la façon d’aboutir à une implémentation optimale. Nous avons formulé des recommandations pour une implémenta-

13 Totenhagen et al., 2014.

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tion effective et structurelle de l’éducation financière à l’école. Ces recommandations se résument comme suit. Lors de l’implémentation des programmes, l’on doit, à côté de l’acquisition des connaissances de base financières, miser sur l’apprentissage de comportements et attitudes. Car une compétence (financière) se compose de connaissance cognitive, de comportements, et d’attitudes. Une autre recommandation concerne l’intégration de l’éducation financière dans le programme d’éducation : il est conseillé de débuter l’apprentissage à un âge précoce et de façon graduelle par le biais d’une approche transversale « cross-curriculum ». (Au sein de laquelle, les objectifs de l’éducation financière intégrée sont clairement définis dans chaque cours). Une approche graduelle permet non seulement de faire progresser la complexité, mais permet également aux jeunes de s’approprier le comportement et le cadre théorique en question pas à pas. Nous avons aussi souligné l’importance d’inclure les parents dans le parcours d’apprentissage à l’école, et ce, pour diverses raisons. Les parents sont non seulement la première source d’information mais ils représentent également le modèle de référence en matière de comportement financier. Une autre recommandation concerne l’efficacité de l’intégration d’expériences pratiques au sein du programme d’éducation financière à l’école afin d’augmenter la compétence financière des jeunes. Il est, dès lors, conseillé de suivre cette voie lors de développement de matériel didactique. Un autre point consiste en l’impor­ tance du support à l’enseignant qui manque de confiance en lui, et ne dispose pas de connaissance financière suffisante pour pouvoir aborder l’éducation financière de manière adéquate. Nous avons ensuite souligné l’importance d’une attention pour la différenciation au sein des programmes d’éducation financière afin de pouvoir intégrer les différences au niveau socio-éco­nomique, interpersonnelles et familiales. Et pour conclure nous avons insisté sur l’importance d’évaluer les programmes d’éducation financière de façon rigoureuse afin de pouvoir évaluer son impact au niveau des comportements et du bien-être financier des jeunes. C’est la seule façon d’apprécier objectivement l’efficacité des programmes et de proposer une liste de «best practices» pour l’avenir.


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Financement de l’enseignement obligatoire Mike Smet & Kristof De Witte

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RÉSUMÉ Ce chapitre traite d’une série de principes de financement de l’enseignement obligatoire (c’est-à-dire l’enseignement maternel, primaire et secondaire) dans l’enseignement néerlandophone et francophone. Au sein de cet enseignement obligatoire, Mike Smet et Kristof De Witte se concentrent sur le plus grand groupe d’élèves et d’écoles, à savoir ceux de l’enseignement ordinaire à temps plein. Bien qu’une série de réforme de l’État et de modifications de la Constitution aient confié aux communautés la majeure partie des compétences liées à l’enseignement, plusieurs principes fondamentaux sont toujours fixés au niveau belge. Ainsi, l’article 24 de la Constitution belge garantit la liberté de l’enseignement, le droit à l’enseignement, la liberté de choix des parents et un accès gratuit à l’enseignement obligatoire. Ces principes fondamentaux ont toujours des implications importantes pour le financement des écoles et l’organisation et le fonctionnement du « marché de l’enseignement » dans les différentes entités fédérées. D’un point de vue économique, le Pacte scolaire crée de facto un quasi-marché de l’enseignement. Smet et De Witte en décrivent les caractéristiques et expliquent pourquoi un financement public de l’enseignement est crucial. Les dépenses et leurs montants sont comparés entre les deux communautés et replacés dans une perspective internationale. On s’intéresse également aux incitants que crée le mécanisme de financement, notamment en faveur du maintien de petites écoles. Le chapitre se conclut par des recommandations politiques concrètes.

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Introduction

L’enseignement comme quasi-marché Ces principes de base qui sont fixés au niveau belge ont toujours d’importantes implications pour le financement des écoles et pour l’organisation et le fonctionnement du « marché de l’enseignement » dans les différentes sous-régions en Belgique. D’un point de vue économique, le Pacte scolaire a créé de facto un quasimarché pour l’enseignement. Des caractéristiques de celui-ci sont que tant les demandeurs que les fournisseurs d’enseignement jouissent d’une grande liberté et que le mécanisme des prix est en grande partie remplacé par le système du tiers payant (Dumay & Dupriez, 2014; Nicaise, 2006). Le système du tiers payant

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FINANCEMENT DE L’ENSEIGNEMENT OBLIGATOIRE

Ce chapitre examine plusieurs principes de financement de l’enseignement obligatoire (c.-à-d. l’enseignement maternel, l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire) dans l’enseignement néerlandophone et francophone. Au sein de cet enseignement obligatoire, nous nous focalisons dans ce chapitre sur le plus grand groupe d’élèves et d’écoles, notamment celui de l’enseignement ordinaire à temps plein. Nous faisons donc abstraction de l’enseignement spécial et de l’enseignement à temps partiel. Bien que l’enseignement en Belgique relève actuellement en grande partie de la compétence des Communautés (plus spécifiquement de la Communauté flamande, de la Communauté française et de la Communauté germanophone) suite à plusieurs réformes de l’État et amendements constitutionnels, plusieurs principes fondamentaux sont toujours fixés au niveau belge. Ainsi, l’Article 24 de la Constitution belge garantit la liberté de l’enseignement, le droit à l’éducation, le libre choix des parents et un accès gratuit à l’enseignement obligatoire. De plus, il oblige les Communautés à organiser un enseignement neutre et il impose que les écoles organisées par les administrations publiques offrent le choix, jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire, de l’enseignement dans l’une des religions reconnues et dans la morale non confessionnelle (Constitution belge, Art. 24). Par ailleurs, les grands principes de l’organisation et du financement actuels de l’enseignement en Belgique ont été fixés dans le Pacte scolaire de 1958. Le Pacte scolaire a mis fin à la longue Guerre scolaire entre l’enseignement officiel et l’enseignement libre (essentiellement catholique). Le Pacte scolaire rendait en principe l’enseignement obligatoire gratuit dans tous les réseaux : en échange du respect de la réglementation de l’enseignement, l’enseignement libre pouvait prétendre à des subventions qui étaient en grande partie analogues au financement de l’enseignement officiel (Nicaise, 2006).


implique que les consommateurs (concrètement les élèves et leurs parents) ne paient pas ou ne paient que partiellement l’enseignement dont ils bénéficient. Les fournisseurs (les pouvoirs organisateurs des écoles) sont en grande partie directement rémunérés par une tierce partie (les autorités) pour l’enseignement qu’ils dispensent. Les consommateurs de l’enseignement (élèves) ont donc le libre choix entre les écoles et les fournisseurs d’enseignement (les pouvoirs organisateurs) peuvent librement organiser des écoles et sont autonomes dans le choix de leur projet pédagogique. Les écoles reçoivent leurs moyens (qui sont en grande partie proportionnels au nombre d’élèves) des autorités. La distinction fondamentale avec un mécanisme de marché libre classique est que le prix ne change pas sous l’influence de modifications dans la demande ou l’offre et que le prix n’est pas non plus payé par le consommateur (Dumay & Dupriez, 2014). La théorie économique autour des quasi-marchés prévoit que les écoles dans un tel système vont principalement rivaliser sur la base de la qualité (perçue). Les écoles qui misent fortement sur la qualité de leur enseignement seront alors en mesure d’attirer davantage d’élèves (également les plus forts) (et donc davantage de moyens). Les écoles peu attractives seront sanctionnées (financièrement) ce qui devrait les inciter à renforcer leur enseignement afin de conserver leurs élèves. C’est ce qu’observent Schiltz & De Witte (2017), qui constatent que dans les régions urbanisées où il y a relativement beaucoup de concurrence entre les écoles primaires, un rapport défavorable de l’Inspection de l’enseignement entraîne une forte baisse du nombre d’inscriptions dans l’école primaire. Cette constate indique que les parents « votent avec leurs pieds » (feet-voting) dans le sens où les écoles dans lesquelles l’Inspection de l’enseignement constate des manquements, sont délaissées. Étant donné qu’il n’y a pas d’examens finaux centralisés dans l’enseignement néerlandophone, les rapports d’inspection sont l’une des rares manières pour les parents de pouvoir obtenir une idée de la qualité d’une école, en outre de la fréquentation régulière de l’école. La liberté de choix des parents devrait encourager les écoles (par analogie au fonctionnement d’un libre marché) à rester compétitives et à investir dans la qualité afin de conserver son nombre d’élèves et donc son financement. Les écoles affichant de faibles performances seraient ainsi exclues du quasi-marché. Mais le mécanisme peut aussi générer des effets pervers. Le principal danger est que des écoles pratiquent (implicitement) la sélection pour attirer (uniquement) les « bons » élèves pour accroître la réputation de qualité de l’école à plus faible coût qu’en acceptant également des élèves faibles ou en difficultés. Ce phénomène de sélection peut entraîner une ségrégation (Dumay & Dupriez, 2014). De plus, les parents choisissent une école dans une région géographique limitée (Schiltz & De Witte, 2017), de sorte que dans les régions comptant un nombre limité d’écoles, le choix sera relativement petit. Ce sont plus souvent les parents avec un statut socio-économique élevé qui chercheront activement la meilleure école ; de sorte que ce sont surtout les enfants de parents socialement défavorisés et moins infor-

188


Pourquoi financer l’enseignement ? La question de départ est de savoir pourquoi l’Etat devrait financer l’enseignement. Tant des avantages publics que privés sont liés à l’enseignement. Les avantages publics sont par exemple une productivité accrue des personnes qualifiées sur le marché du travail, une plus grande cohésion sociale, une contribution plus importante à l’emploi et à la croissance économique, ou des dépenses plus faibles pour les allocations sociales et soins de santé. Les avantages privés sont des salaires plus élevés, un risque réduit de chômage ou une meilleure santé (Groenez, Heylen & Nicaise, 2010; Psacharopoulos, 1981). La recherche de Psacharopoulos & Patrinos (2004) montre que (en Europe) le rendement social de l’enseignement baisse avec le niveau d’enseignement : l’enseignement primaire connaît le plus haut rendement social et l’enseignement supérieur a le rendement social le plus bas. De plus, pour l’enseignement supérieur, le rendement privé est considérablement plus élevé que le rendement social. Ces constatations expliquent aussi pourquoi (dans la plupart des pays européens) les contributions privées pour l’enseignement primaire et secondaire sont plutôt limitées, alors que les contributions privées sont généralement plus élevées pour l’enseignement supérieur (notamment via les frais d’inscription). La théorie du capital humain argumente que les autorités doivent financer l’enseignement parce qu’il y a des externalités (spillovers). Par externalité, nous entendons d’une part les avantages qui profitent à d’autres (externalités positives) ou les inconvénients qui sont subis par d’autres (externalités négatives). Les externalités de l’enseignement sont par exemple les contributions fiscales plus élevées ou l’innovation technique accrue. La théorie économique prédit que si les autorités n’interviennent pas en présence d’externalités, le marché privé (familles et entreprises) ne produira pas la quantité socialement souhaitable (les entités privées ne se préoccupent notamment que de leurs propres avantages et coûts et ne tiennent pas assez compte de l’impact sur les autres de leurs choix) : il sera donc question de défaillances du marché. En cas d’effets externes négatifs, le marché va spontanément produire trop par rapport au niveau socialement souhaitable (par ex. pollution ou congestion du trafic) : les autorités peuvent essayer de corriger cela en prélevant des taxes afin que le prix augmente et que la quantité produite baisse (pour se rapprocher de la quantité socialement souhaitable). En cas d’ex-

189

7

FINANCEMENT DE L’ENSEIGNEMENT OBLIGATOIRE

més qui resteront dans les moins bonnes écoles. Du fait de ce mécanisme, les écoles pourraient se retrouver dans une spirale négative difficile à rompre : entraînant à son tour une ségrégation progressive et l’émergence d’écoles « ghettos (Ong & De Witte, 2014). Nous discutons plus en détail de l’ampleur de cette ségrégation sociale et de ses mécanismes dans un autre chapitre du livre.


ternalités positives, le marché privé va spontanément produire ou investir trop peu en comparaison avec ce qui est socialement souhaitable (par ex. vaccinations ou enseignement) : les autorités interviennent alors en donnant des subsides de sorte que le consommateur paie un prix plus bas et que nous évoluions davantage dans la direction d’un équilibre socialement souhaitable. L’existence d’extern­ alités positives offre donc un argument fort en faveur du financement de l’enseig­ nement par les autorités. Un deuxième argument concerne une certaine forme d’irrationalité individuelle : la myopie sociale. En moyenne, les individus investiraient trop peu dans leur propre enseignement parce qu’ils sont trop imprévoyants pour reconnaître les avantages (futurs) de l’enseignement. Les parents investiraient trop peu dans l’enseignement de leurs enfants pour les mêmes raisons. Une nouvelle fois, le subventionnement de l’enseignement pourrait être une solution pour réduire les conséquences négatives de cette irrationalité individuelle. Un troisième argument en faveur du subventionnent découle du rationnement du crédit. Alors qu’on demande un taux d’intérêt plus élevé pour les prêts réguliers à risque, les choses sont moins simples pour l’enseignement. En premier lieu, cela provient du fait qu’il peut se produire une sélection « à l’envers », où seules les personnes présentant un risque élevé de non-remboursement, empruntent pour leurs études. Étant donné que la banque ne possède pas ou que trop peu d’informations sur la qualité de la personne qui contracte un emprunt pour financer ses études, elle demandera une prime de risque et imposera donc des taux d’intérêt plus élevés. Ce qui complique c’est que cette hausse du coût du crédit va dissuader les personnes à faible risque d’emprunter de sorte que la banque se retrouve au final avec exclusivement des prêts à risque élevé. Une autre raison pour laquelle le marché des crédits fonctionne moins bien pour financer les études découle de la difficulté de produire un gage, notamment pour les enfants de milieu socialement défavorisé. En effet, on trouve moins facilement un gage pour garantir le remboursement du prêt en comparaison avec une hypothèque ou un prêt automobile, par exemple. Dans ce quasi-marché de l’enseignement avec le système du tiers payant, il est important que l’Etat prévoit un financement adéquat : un financement trop élevé ou trop faible n’est pas souhaitable. Le sur-financement est un gaspillage évident de ressources qui donnera lieu, par ex., à des investissements ou dépenses à faible rendement. Le sous-financement génère aussi des effets indésirables : la qualité souhaitée ne pourra plus être assurée ou les écoles tenteront d’éviter les élèves faibles qui coûtent plus « chers » (en comparaison avec les « moyens » en heures de cours et frais de fonctionnement générés par ces élèves). En principe, le financement par élève coïncide avec le coût réel supporté par une école « efficace » pour cet élève. Ce principe doit servir de fil conducteur pour un financement « optimal ». Dans la pratique, il n’est toutefois pas possible d’avancer des montants réels : il y a trop peu de chiffres concrets et détaillés disponibles. Par ailleurs, une

190


L’enseignement belge dans le contexte international Avant d’approfondir plusieurs aspects concrets du financement de l’enseignement obligatoire, nous situons l’enseignement néerlandophone, francophone et germanophone dans le contexte international. Étant donné qu’en Belgique, l’enseignement relève de la compétence des Communautés, et étant donné que certaines comparaisons internationales ne prennent en considération que des pays et non des entités distinctes dans les pays, il n’est pas toujours possible de comparer pour tous les indicateurs les Communautés distinctes en Belgique avec d’autres pays ou régions. Si, dans la comparaison internationale, on ne rapporte pas de chiffres pour les Communautés distinctes, la Belgique sera utilisée comme base de comparaison. En ce qui concerne l’organisation de l’enseignement, on fait la distinction entre l’enseignement financé (qui est organisé par les Communautés elles-mêmes) et l’enseignement subventionné (qui est organisé par les administrations locales ou par une initiative privée). En Flandre, l’enseignement financé est connu comme le « GO! Onderwijs van de Vlaamse Gemeenschap » (l’enseignement GO! de la Communauté flamande) (GO) et dans l’enseignement subventionné, on fait la distinction entre « l’Officieel Gesubsidieerd Onderwijs » (l’enseignement officiellement subventionné) (OGO) qui est organisé par les administrations communales ou les provinces, et le « Vrij Gesubsidieerd Onderwijs » (l’enseignement libre subventionné) (VGO) qui est principalement organisé par des asbl catholiques. La Communauté française connaît aussi trois grandes organisations centrales : l’enseignement organisé par la Communauté française, l’enseignement officiel subventionné par la Communauté française et organisé par les administrations communales ou les provinces, et l’enseignement subventionné libre organisé par des entités privées (Eurydice, 2017).

191

7

FINANCEMENT DE L’ENSEIGNEMENT OBLIGATOIRE

recherche approfondie s’impose pour répondre à plusieurs questions pertinentes : Quel est le coût réel (par élève) dans une école efficace ? Pour ce faire, il serait utile de procéder au benchmarking d’écoles pour éviter de financer ou de subventionner des inefficacités éventuelles. Quel est le coût réel par élève des différentes orientations ? Quel est le coût (additionnel) réel d’un élève avec un statut socioéconomique (SSE) faible ? Si les élèves avec un statut SSE faible coûtent davantage aux écoles pour leur formation, il y a aussi un argument économique pour compenser les écoles à cet effet, faute de quoi ces dernières vont essayer d’éviter ces élèves et développer des mécanismes de sélection pour attirer des élèves « plus rentables ». Dans quelle mesure notre enseignement est-il caractérisé par des économies d’échelle (ou avantage de taille) et des avantages ou désavantages de diversification ?


Écoles publiques versus écoles privées Il ressort d’une comparaison européenne (EACEA Eurydice, 2012) que la Flandre connaît le plus haut pourcentage d’élèves dont la scolarité se fait dans le réseau libre. Ce pourcentage élevé est la conséquence du système de financement qui a été institué par le Pacte scolaire, selon lequel l’enseignement libre pouvait disposer de moyens comparables aux moyens destinés à l’enseignement officiel. À cet égard, il convient de remarquer qu’en Flandre, on trouve à peine des écoles purement privées, qui ne satisfont pas aux conditions d’agrément et qui n’entrent donc pas en ligne de compte pour le subventionnement (EACEA Eurydice, 2012). La figure 7.1 reproduit pour l’enseignement secondaire une comparaison de l’enseignement néerlandophone d’une part et de l’enseignement francophone et germanophone d’autre part avec plusieurs pays européens. Il ressort de cette figure que l’enseignement francophone connaît aussi une grande part d’élèves dont la scolarisation a lieu dans l’enseignement libre : dans cette comparaison internationale, l’enseignement francophone occupe la deuxième place, après l’enseignement flamand. Figure 7.1 : Comparaison internationale de la répartition des élèves entre les écoles privées (enseignement libre) et publiques (enseignement officiel) EU BE fr + BE de BE nl BG CZ DK DE EE IE EL ES FR IT CY LV LT LU HU MT NL AT PL PT RO SI SK FI SE UK

:

IS LI NO CH HR TR

0

10 Publiques

20

30

40

50

Privées dépendant du gouvernement

Source : EACEA Eurydice (2012).

192

60

70

Privées indépendantes

80

90

100 %

Totalement privées


Dépenses publiques versus dépenses privées pour l’enseignement

Figure 7.2 : Comparaison internationale de la répartition entre dépenses publiques et privées pour l’enseignement (à l’exclusion de l’enseignement supérieur) Enseignement primaire, secondaire, et postsecondaire non supérieur 100 % 95 90 85 80

Norvège Suède Finlande Estonie Lettonie Danemark Luxembourg Lituanie Fédération russe Belgique Islande Italie Autriche Irlande Moyenne EU22 Japon Hongrie États-Unis Pologne Canada Moyenne OCDE Slovénie France République tchèque Israël République slovaque Portugal Espagne Pays-Bas Turquie Allemagne Argentine Costa Rica Corée Royaume-Uni Nouvelle-Zélande Mexique Australie Chili Colombie

75

Sources totalement privées

Dépenses d’autres entités privées

Dépenses ménagères

Dépenses publiques pour les établissements scolaires

Source : OCDE (2016).

Dans tous les pays de l’OCDE, la part des contributions publiques à l’enseignement primaire et secondaire est supérieure à 75 % : 96 % en Belgique, 93 % dans l’UE22, 92 % aux États-Unis et 91 % en moyenne dans l’OCDE. Le Tableau 7.1 reproduit aussi pour comparaison les dépenses publiques pour l’enseignement supérieur (OCDE, 2016). Nous remarquons clairement ici que la part publique des dépenses pour l’enseignement supérieur est plus basse que pour l’enseigne-

193

7

FINANCEMENT DE L’ENSEIGNEMENT OBLIGATOIRE

Malgré le fait que la grande majorité des écoles appartiennent au réseau libre (VGO), dans la pratique, en fonction du réseau, il y a encore relativement peu de différences dans les moyens qu’une école reçoit de la part du niveau central. Il ressort aussi d’une comparaison internationale réalisée par le réseau Eurydice que les contributions privées à l’enseignement en Belgique, pour tous les niveaux de l’enseignement conjointement (c.-à-d. de l’enseignement maternel à l’enseignement supérieur compris), sont relativement faibles en comparaison avec la plupart des pays européens : 5,7 % en Belgique par rapport à une moyenne dans l’UE de 13,8 % (EACEA Eurydice, 2012). Dans une étude récente de l’OCDE (voir la Figure 7.2), les dépenses publiques pour l’enseignement (à l’exclusion de l’enseig­ nement supérieur) sont séparées de plusieurs catégories de dépenses privées. Il ressort aussi de cette comparaison que, pour la Belgique, les dépenses publiques à ces niveaux d’enseignement représentent 96 % des dépenses totales.


ment primaire et secondaire. Cette constatation cadre avec la recherche qui démontre que le rendement social est plus élevé pour l’enseignement primaire et secondaire ; et que pour l’enseignement supérieur, le rendement privé dépasse le rendement social. Ces différences de rendement justifient que l’Etat investisse relati­ vement plus dans l’enseignement primaire et secondaire que dans l’enseignement supérieur comme indiqué dans la section précédente. Tableau 7.1 : Part des contributions publiques à l’enseignement primaire et secondaire versus l’enseignement supérieur Enseignement primaire et secondaire

Enseignement supérieur

Belgique

96 %

89 %

UE22

93 %

78 %

États-Unis

92 %

36 %

OCDE

91 %

70 %

Source : OCDE (2016).

En Flandre aussi, ce sont les autorités flamandes qui fournissent la plus grande contribution au financement de l’enseignement. D’autres groupes qui fournissent des contributions (principalement en ce qui concerne les moyens de fonctionnement) sont les pouvoirs organisateurs et les parents ou les associations de parents (Groenez, Juchtmans, Smet & Stevens, 2015).

Niveau des dépenses pour l’enseignement Hormis la répartition entre les dépenses publiques et privées pour l’enseignement, il est également intéressant de comparer le niveau des dépenses pour l’enseignement. À cet égard, plusieurs critères de comparaison sont possibles : les dépenses pour l’enseignement sont souvent exprimées en pourcentage du Produit intérieur brut (PIB) d’un pays ou les montants sont comparés par élève. Dans une comparaison internationale, il convient toutefois de tenir compte du fait que ces chiffres peuvent éventuellement fournir une image déformée : Un pays ou une région avec une population jeune (toutes choses étant égales par ailleurs) consacrera un pourcentage plus élevé de son PIB à l’enseignement. La dépense moyenne par élève s’avère aussi difficilement comparable à l’échelle internationale en raison du niveau de vie différent entre pays. Dans une comparaison internationale des dépenses pour l’enseignement, l’OCDE aboutit pour la Belgique à un chiffre de 4,3 % du PIB pour les dépenses pour l’enseignement (à l’exclusion de l’enseignement supérieur). Il ressort de la

194


Figure 7.3 que la Belgique obtient ainsi un score relativement élevé en comparaison avec d’autres pays de l’OCDE (OCDE, 2016). Figure 7.3 : Comparaison internationale des dépenses pour l’enseignement en pourcentage du PIB (à l’exclusion de l’enseignement supérieur) % du PIB

7

Enseignement primaire, secondaire, et postsecondaire non supérieur

5.0 Moyenne de l’OCDE (dépenses totales)

4.0 3.0 2.0 1.0

Costa Rica Royaume-Uni Portugal Nouvelle-Zélande Norvège Danemark Islande Argentine Belgique Colombie Israël Irlande Australie Mexique Finlande Pays-Bas France Suède Slovénie Corée Canada États-Unis Pologne Turquie Autriche Chili Estonie Lettonie Allemagne Espagne Italie Luxembourg Japon République slovaque Lituanie République tchèque Hongrie Fédération russe

0.0

Dépenses publiques consacrées aux établissements scolaires

Dépenses privées consacrées aux établissements scolaires

Source : OCDE (2016).

Selon les chiffres du Ministère flamand de l’Enseignement et de la Formation, le budget total de l’enseignement oscille autour de 4,35 % du Produit régional brut (PRB) de la Flandre. L’enseignement primaire et l’enseignement secondaire représentent ensemble environ 3,15 % du Produit régional brut flamand (Ministère flamand de l’Enseignement et de la Formation, 2016a). Une division détaillée est reproduite dans le Tableau 7.2. La différence entre le budget de l’enseignement pour l’enseignement primaire et secondaire selon la Communauté flamande (3,15 % du Produit régional brut flamand) et les dépenses belges pour l’enseignement selon l’OCDE (4,3 % du Produit intérieur brut belge), peut s’expliquer par la structure de l’État belge. Bien que l’enseignement relève de la compétence des Communautés, plusieurs dépenses liées à l’enseignement sont pourtant supportées par d’autres niveaux : par ex. les pensions sont payées par les autorités fédérales et les communes et provinces investissent dans l’enseignement. Pour ses chiffres, l’OCDE utilise « l’UNESCO OECD Eurostat (UOE) joint data collection methodology » (Eurostat, 2017). Cette méthodologie reprend entre autres les dépenses de retraite pour les enseignants pensionnés dans les dépenses pour l’enseignement (Commission européenne/ EACEA/Eurydice, 2015).

195

FINANCEMENT DE L’ENSEIGNEMENT OBLIGATOIRE

6.0


Tableau 7.2 : Dépenses flamandes pour l’enseignement en pourcentage du Produit régional brut Budget en proportion du Produit régional brut de la Flandre (estimation 2016)

Enseignement fondamental ordinaire

1,31 %

Enseignement fondamental spécialisé

0,20 %

Enseignement fondamental (total)

1,51 %

Enseignement secondaire ordinaire

1,47 %

Enseignement secondaire spécialisé

0,17 %

Enseignement secondaire (total)

1,64 %

Enseignement artistique à temps partiel

0,09 %

Enseignement supérieur

0,69 %

Enseignement préuniversitaire

0,16 %

Dépenses non liées au niveau d’enseignement

0,25 %

Budget total de l’enseignement

4,34 %

Source : calculs propres sur la base du Ministère flamand de l’Enseignement et de la Formation (2016a).

Pour l’enseignement francophone, la Fédération Wallonie-Bruxelles rapporte un coût total de 7 345 milliards d’euros en 2014 (Fédération Wallonie-Bruxelles, 2015). Ce chiffre concerne toutefois l’enseignement dans son ensemble, et non seulement l’enseignement obligatoire. Le tableau 7.3 fournit un aperçu des dépenses par élève dans l’enseignement néerlandophone et francophone : si nous mettons les dépenses pour l’enseignement de la Communauté flamande en rapport avec le nombre d’élèves, il en résulte (pour 2016) un coût annuel estimé par élève de 4 739 euros par an pour l’enseignement fondamental ordinaire et de 8 558 euros par élève dans l’enseig­nement secondaire ordinaire (Ministère flamand de l’Enseignement et de la Formation, 2016b). Les chiffres des dépenses des autorités dans l’enseignement francophone indiquent que le coût annuel par élève (durant l’année scolaire 2013-2014) s’élève à 3 259 euros pour un enfant d’âge préscolaire, à 4 288 euros pour un élève en primaire et à 7 305 euros pour un élève en secondaire (Fédération WallonieBruxelles, 2015). Tant dans l’enseignement primaire que secondaire, les dépenses par élève s’avèrent plus élevées dans l’enseignement néerlandophone que dans l’enseig­nement francophone. On ne sait toutefois pas clairement si les chiffres recouvrent exactement les mêmes dépenses.

196


Tableau 7.3 : Comparaison du coût annuel par élève entre l’enseignement néerlandophone et l’enseignement francophone

Maternelle

Enseignement francophone (2013-2014)

3 259

4 739

Primaire Secondaire

4 288

8 558

7 305

Source : Fédération Wallonie-Bruxelles (2015) et Ministère flamand de l’Enseignement et de la Formation (2016b).

Types de dépenses pour l’enseignement Dans le financement par les autorités flamandes, on fait la distinction entre les dépense de personnel, les dépenses de fonctionnement et les dépenses d’investis­ sements. Dans l’enseignement primaire, 81.4 % des moyens sont affectés aux salaires, 13.9 % pour les dépenses de fonctionnement et 4.9 % pour les investissements. Dans l’enseignement secondaire, une partie relativement plus importante est affectée au personnel (84.7 %) ; les dépenses de fonctionnement et d’investis­ sements sont respectivement de 12.1 % et 3.2 % (Ministère flamand de l’Enseig­ nement et de la Formation, 2016b). Tableau 7.4 : Répartition des dépenses flamandes pour l’enseignement en personnel, fonctionnement et investissements Enseignement primaire

Enseignement secondaire

Personnel

81,4 %

84,7 %

Fonctionnement

13,9 %

12,1 %

Investissements

4,7 %

3,2 %

Source : Ministère flamand de l’Enseignement et de la Formation (2016b).

Le rapport Commission européenne/EACEA/Eurydice (2015) reproduit les budgets prévus pour l’enseignement (donc pas les dépenses réelles) pour le personnel, le fonctionnement et les investissements en 2015 : dans cette étude comparative, des chiffres distincts sont disponibles pour l’enseignement néerlandophone et francophone. Il convient toutefois de remarquer que les chiffres ne sont pas entièrement comparables  : l’enseignement néerlandophone rapporte les investisse-

197

7

FINANCEMENT DE L’ENSEIGNEMENT OBLIGATOIRE

Enseignement néerlandophone (2016)


ments dans l’infrastructure uniquement pour tous les niveaux d’enseignement (de la maternelle à l’enseignement universitaire), et ne rapporte pas de chiffres distincts pour l’enseignement maternel et primaire pour les autres indicateurs. Si nous comparons les budgets prévus pour le fonctionnement et le personnel, nous remarquons néanmoins qu’on consacre davantage au fonctionnement en Flandre que dans l’enseignement francophone. Dans l’enseignement néerlandophone, entre 12 % et 14 % de l’ensemble des moyens de fonctionnement et de personnel sont affectés au fonctionnement ; dans l’enseignement francophone, ce pourcentage est considérablement plus bas, et se situe entre 8 % et 8,5 %. Le Tableau 7.5 wreproduit une répartition détaillée des budgets prévues pour l’enseignement. Si nous mettons les budgets estimés de la Commission européenne/EACEA/Eurydice, (2015) pour les différents niveaux d’enseignement en rapport avec le nombre d’élèves dans l’enseignement néerlandophone (Ministère flamand de l’Enseig­ne­ ment et de la Formation, 2015) et dans l’enseignement francophone (Fédération Wallonie-Bruxelles, 2015), nous remarquons que les budgets par élève pour les dépenses en personnel dans l’enseignement néerlandophone et francophone, tant pour l’enseignement primaire que secondaire, sont relativement proches (si nous agrégeons pour l’enseignement francophone les chiffres pour la maternelle et la primaire, nous obtenons un montant de 4 266 euros par élève). La grande similitude entre les deux Communautés s’explique par le fait que les barèmes (historiques) pour les salaires du personnel enseignant, le mécanisme d’indexation et les coefficients pour calculer le nombre d’enseignants auquel une école a droit sur la base du nombre d’élèves, sont encore en grande partie greffés sur la situation historique commune de l’Etat belge unitaire. En ce qui concerne les moyens de fonctionnement par élève, il y a bel et bien une différence claire entre l’enseignement néerlandophone et francophone : les budgets de fonctionnement par élève sont 80 % plus élevés dans l’enseignement néerlandophone que dans l’enseignement francophone (698 euros par élève flamand contre 380 euros par élève francophone). Dans l’enseignement secondaire, la différence s’élève à plus de 50 % (1 080 euros par élève flamand contre 706 euros par élève franco­phone). Il ressort d’une évaluation récente (Groenez et al., 2015) du mécanisme d’allo­ cation des budgets de fonctionnement aux écoles flamandes que plusieurs écoles se trouvent dans une situation financière précaire : pour certaines écoles flaman­ des, le financement de base n’est pas suffisant pour couvrir les dépenses courantes. Vu le fait que les écoles francophones disposent de budget de fonctionnement relativement plus faible, nous pouvons supposer que les situations de précarité de certaines écoles flamandes sont beaucoup plus répandues dans les écoles franco­ phones.

198


Tableau 7.5 : Budgets prévus pour l’enseignement en 2015

Fonctionnement (F)

Capital

Enseig­ nement NL

20142015

Isced 0+1 (maternelle et primaire)

Total 709 033

494 674 000

Isced 2+3+ 4+5 (enseig­ nement secondaire inférieur, enseignement secondaire supérieur, post secondaire et enseignement professionnel supérieur 5) Enseig­ nement FR Isced 0 (maternelle)

Isced 1 (primaire)

Isced 2+3+4 (enseig­ nement secondaire inférieur, enseignement secondaire supérieur, post-secondaire)

Montant par élève

Total 444 910

480 537 600

Subventions aux parents

F/(F+P)

698

Personnel (P)

7

3 036 674 000 14,01 %

4 283

3 531 146 000 11,98 %

FINANCEMENT DE L’ENSEIGNEMENT OBLIGATOIRE

Nombre d’élèves

Uniquement pour Isced 0à8 ensemble Montant par élève

20132014

Total 189 588 Montant par élève

Total 331 319 Montant par élève

Total 359 079

Montant par élève

1 080

7 937

32 595 808

57 662 330

631 142 572

8,37 %

172

304

3 329

53 824 086 140 533 605

1 591 181 475

8,12 %

424

4 803

49 952 228 253 682 567

2 786 459 352

8,34 %

21 831 053

7 760

61

162

139

706

Source : calculs propres sur la base de la Commission européenne/EACEA/Eurydice (2015), la Fédération Wallonie-Bruxelles (2015) et le Ministère flamand de l’Enseignement et de la Formation (2015).

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Économies d’échelle Le système de financement flamand comporte quelques incitations aux petites écoles. Chaque école reçoit une fonction de directeur. Dans les plus petites écoles secondaires, il s’agit d’une demi-charge d’enseignement, réduite de 4 heures, et dans les plus petites écoles primaires, il s’agit d’une charge d’enseignement de 14 heures. À partir de 120 élèves dans le secondaire et de 180 élèves dans l’enseig­ nement primaire, une école obtient un mandat de directeur complet sans autres avantages pour les écoles plus grandes. Par ailleurs, tant l’encadrement de base dans l’enseignement primaire que le pack heures-enseignant dans l’enseignement secondaire fonctionnent avec des coefficients dégressifs, de sorte que les écoles avec beaucoup d’élèves génèrent relativement peu de postes par élève en comparaison avec les écoles avec peu d’élèves. Une scission artificielle des écoles peut donc augmenter le nombre de postes et d’heures-enseignant. Il ressort des calculs de Steven Groenez (HIVA KU Leuven) sur la base d’adresses et de flux d’élèves que sur les 1 263 implantations et 948 numéros d’école officiellement enregistrés dans l’enseignement secondaire, il ne subsiste que 580 sites si l’on procède à la correction des écoles artificiellement scindées.

Conclusion et recommandations politiques En Flandre, le mode d’allocation des dépenses de fonctionnement aux écoles de l’enseignement primaire et secondaire a été réformé par le Décret sur le financement de 2008. À partir de l’année scolaire 2008-2009, le financement historiquement inégal entre l’enseignement libre et officiel des dépenses de fonctionnement a été supprimé et une partie des moyens de fonctionnement a aussi été attribuée sur la base des caractéristiques des élèves. La première mesure reflète le principe d’équité horizontale ; la seconde mesure reflète le principe d’équité verticale. L’équité horizontale implique de traiter également des individus identiques, tandis que l’équité verticale implique de traiter différemment des individus différents. Une évaluation de ce décret par Groenez et al. (2015) conclut que le financement de base des écoles permet dans une mesure inégale de couvrir les dépenses ordinaires. Cette inégalité de moyens entre écoles mine l’objectif du financement compensatoire visant à améliorer l’équité verticale. L’évaluation a permis d’établir un profil des écoles qui courent un risque de précarité : les écoles avec d’une population d’élèves présentant un faible profil socio-économique (en raison d’un financement différencié insuffisant) ; les écoles indépendantes ; les petites écoles ou les écoles avec un nombre d’élèves en baisse ; les écoles avec des bâtiments en mauvais état ; les écoles dans les communes rurales (en raison des frais de transport plus élevés) ; les écoles avec de nombreuses orientations dans l’enseignement

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FINANCEMENT DE L’ENSEIGNEMENT OBLIGATOIRE

secondaire artistique, l’enseignement secondaire technique, l’enseignement secondaire professionnel (il s’agit d’orientations relativement onéreuses, fréquentées par des élèves socialement défavorisés et avec un nombre croissant de factures impayées) et les petites écoles primaires avec peu d’encadrement administratif. Une recherche complémentaire sur le coût réel par élève s’avère nécessaire afin que les écoles puissent être financées de façon adéquate et « optimale ». Les recommandations de Groenez et al. (2015) sont formulées pour l’enseig­ nement néerlandophone, mais certaines sont pertinentes pour l’enseignement francophone. En premier lieu, soutenir la capacité politique des administrations scolaires, e.a. en ce qui concerne la transparence et la concertation autour du mécanisme de répartition appliqué au sein des administrations scolaires. « Si cette capacité politique des écoles est insuffisante, il y a plus de risques que les écoles utilisent bel et bien les moyens supplémentaires pour le but visé, mais qu’elles ne le fassent pas efficacement à cause d’un manque de vision stratégique » (p. 248). Deuxièmement, Groenez et al. (2015) signalent qu’une économie d’échelle administrative peut s’avérer fructueuse, même s’ils restent prudents quant à une échelle administrative trop grande. « Les écoles au sein de grandes administrations scolaires sont moins vulnérables financièrement, parce que les déficits ou les déboires peuvent être compensés par un groupe plus grand d’écoles. De plus, de nombreuses tâches sont reprises par une équipe professionnelle, ce qui permet aux directeurs de s’occuper davantage de la politique pédagogique de leur école. D’autre part, les analyses montrent aussi quelques revers possibles des économies d’échelle. Dans ces grandes administrations scolaires, il règne notamment plus souvent une culture d’organisation rationnelle et technique où les directeurs peuvent se désintéresser de la question financière. C’est surtout le cas dans de grandes administra- L’inégalité entre réseaux tions scolaires peu transparentes et qui mettent devrait être supprimée fortement l’accent sur les procédures formelles et les organes de concertation formels. (…) L’encadrement professionnel supplémentaire qu’exige une administration scolaire plus vaste pour piloter le tout avec une vue d’ensemble, entraîne aussi des coûts (coûts de personnel et d’infrastructure) » (p. 244). Troisièmement, Groenez et al. (2015) plaident pour une collaboration interréseau entre les écoles d’une même commune, en argumentant que cette collaboration permet de mutualiser les coûts d’infrastructure et l’expertise financière. Quatrièmement, Groenez et al. (2015) indiquent que des investissements supplémentaires dans la construction d’écoles sont nécessaires. Les chercheurs constatent que les administrations scolaires économisent sur les dépenses de fonctionnement pour financer des projets de construction ou de rénovation. Ils indiquent aussi que l’inégalité entre les réseaux devrait être supprimée (p. 251) : « Si des écoles de l’enseignement libre veulent réaliser des constructions ou rénovations, elles doivent disposer d’un budget de réserve à cette fin. Les écoles du


réseau officiel de la Communauté GO! n’ont pas cette contrainte. Si l’approbation du dossier de rénovation se fait attendre chez Agion (agence de gestion des infrastructures de l’enseignement flamand), les écoles se voient contraintes d’exécuter des travaux de réparation sur leur budget de réserve reportant ainsi les grands travaux à une date ultérieure. Une égalisation des budgets de réserve entre réseaux ou la suppression de la contrainte d’un budget de réserve seraient souhaitables. En guise de dernière recommandation générique, Groenez et al. (2015) plaident pour des compensations pour les écoles rurales. Étant donné que la distance à la piscine ou aux établissements culturels est plus grande pour les écoles en zones non urbaines, les frais de transport sont plus lourds pour ces écoles. On peut concevoir une compensation dans les frais de transport des écoles rurales vers la piscine, les équipements sportifs ou les établissements culturels. »

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FINANCEMENT DE L’ENSEIGNEMENT OBLIGATOIRE

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Jean Hindriks est professeur ordinaire à l’UCL où il enseigne l’économie. Il est membre du Centre for Operations Research and Econometrics et membre fondateur de l’institut Itinera et membre associé du GIRSEF (Groupe Interdiciplinaire de Recherche sur l’Enseignement et la Formation). Il a enseigné aux universités d’Essex, d’Exeter et au Queen Mary College de Londres. Ses domaines de recherche sont l’économie publique et l’économie de l’enseignement. Kristof De Witte est professeur associé à la Faculté ‘économie et sciences de l’entreprise de la KU Leuven, professeur extraordinaire à l’Université de Maastricht, et Visiting Fellow de l’institut Itinera. À la KUL, il est directeur du centre de recherche ‘Leuven Economics of Education Research’ et directeur de programme de la ‘Formation spécifique des Enseignants d’économie’. L’intérêt scientifique de Kristof De Witte se porte, entre autres, sur l’économie de l’éducation, la mesure de la performance et l’économie politique. Deni Mazrekaj est chercheur doctoral pour le ‘Fonds pour la recherche scientifique au sein du groupe de recherche ‘Leuven Economics of Education Research’ de la Faculté ‘économie et sciences de l’entreprise’ de la KU Leuven. Il analyse le phénomène de la sous-performance et de l’abandon scolaire précoce dans l’enseig­ nement secondaire. Il se focalise plus particulièrement sur l’efficacité des interventions destinées à diminuer l’abandon scolaire précoce. Dieter Verhaest est professeur à la Faculté ‘économie et sciences de l’entreprise’ de la KU Leuven. Il est membre de l’unité de recherche Économie et est rattaché au centre de recherche facultaire ‘Leuven Economics of Education Research’. Il est également promoteur au centre ‘Steunpunt Onderwijs Onderzoek’ (SONO) où il étudie le lien entre enseignement et marché du travail. Geert Van Campenhout est professeur associé à temps partiel à la Faculté ‘économie et sciences de l’entreprise’ de la KU Leuven. Il travaille au sein de l’unité de recherche ‘Finance, Accounting en Taks’, et est rattaché au centre de recherche facultaire ‘Leuven Economics of Education Research’. Il est co-promoteur de la Chaire d’éducation financière Wikifin.be. Kenneth De Beckker est étudiant doctorant à la Faculté ‘économie et sciences de l’entreprise’ de la KU Leuven. Sa thèse a pour sujet une comparaison internationale sur le plan de l’éducation financière. En tant que chercheur, il est rattaché à

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BIOGRAPHIES

Biographies


la Chaire d’éducation financière Wikifin.be. Auparavant, il a travaillé à l’Université Saint-Louis et à l’Université d’Anvers. Mattéo Godin est Economiste, consultant principal chez Stratec, Bruxelles. Il a été consultant international pour la Banque Interaméricaine de développement. Il a reçu le prix ADEL 2013 pour son mémoire de maîtrise en sciences économiques à l’UCL. Mike Smet est professeur à la Faculté ‘économie et sciences de l’entreprise’ de la KU Leuven. Il travaille pour l’unité de recherche ‘Work en Organisation Studies’, et est rattaché au centre de recherche facultaire ‘Leuven Economics of Education Research’. Il est promoteur au centre ‘Steunpunt Onderwijs Onderzoek’ (SONO) où il étudie le financement de la scolarité obligatoire.

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