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Les droits de propriété intellectuelle dans les comptes annuels
Les droits de propriété intellectuelle dans les comptes annuels
L’innovation et la propriété intellectuelle peuvent représenter une très grande valeur et constituent des facteurs essentiels de réussite d’une entreprise. Néanmoins, de nombreuses entreprises portent peu d’attention aux droits de propriété intellectuelle, souvent en raison d’un manque de compréhension et de connaissances sur ce sujet. Le présent article vise à expliquer cette matière de façon succincte et concrète.
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1. Qu’entend-on par « droits de propriété intellectuelle » ?
Comme indiqué sur le site Internet du Service Public Fédéral Économie, la notion de « propriété intellectuelle » englobe toutes les « œuvres issues de l’esprit » (SPF Économie, 2021). Il y est précisé que la propriété intellectuelle regroupe la propriété littéraire et artistique (soit le droit d’auteur, les droits voisins et le droit sur les bases de données), ainsi que la propriété industrielle. La propriété industrielle concerne la protection et la valorisation des inventions, des innovations et des créations.
Les droits de propriété intellectuelle confèrent à leur titulaire un droit exclusif d’exploitation temporaire pour un territoire donné (SPF Économie, 2021). Ces droits incluent, entre autres, les brevets, les certificats complémentaires de protection, les droits d’obtention végétale, les médicaments, l’exclusivité des données et l’exclusivité commerciale, et les programmes informatiques protégés par le droit d’auteur. Ainsi, le titulaire d’un brevet sur une invention sera la seule personne à pouvoir exploiter cette invention (par exemple en commercialisant le produit qui est protégé par le brevet).
Il existe donc plusieurs types de droits de propriété intellectuelle que le titulaire, comme l’indique l’Office Benelux de la Propriété Intellectuelle (BOIP), peut utiliser de façon distincte ou cumuler (BOIP, 2021). Sur son site Internet, le BOIP se réfère à un exemple concret concernant un porte-cartes auquel peuvent s’appliquer les options suivantes :
• un droit de modèle pour le design du porte-cartes ;
• un droit de brevet pour la technologie permettant d’insérer et de retirer les cartes du porte-cartes ; et/ou
• un droit de marque pour le nom et/ ou le logo sous lequel le produit est commercialisé.
Par conséquent, les droits de propriété intellectuelle sont importants pour les entreprises, parce qu’ils leur permettent de générer des avantages conséquents en rapport avec leur propre œuvre originale et, de plus, ils les autorisent à monétiser de façon adéquate cette œuvre (EUIPO et EPO, 2021). Il est important de savoir que les droits de propriété intellectuelle peuvent également être monétisés indirectement, par exemple en les partageant avec d’autres entreprises dans le cadre d’un contrat de licence et/ou d’une coentreprise (EUIPO et EPO, 2021).
Sur la base des éléments qui précèdent, il est évident que pour sa réussite, une entreprise doit avoir des connaissances de base en matière de (droits de) propriété intellectuelle. Une étude récente menée par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) et l’Office européen des brevets (EPO) auprès de plus de 127 000 entreprises européennes montre ainsi une nette corrélation positive entre la détention de droits de propriété intellectuelle et les performances d’une entreprise (EUIPO et EPO, 2021). Par exemple, les PME détenant des droits de propriété intellectuelle affichent des recettes moyennes par travailleur supérieures de 68 % à celles des PME ne détenant pas de tels droits. Il s’avère en outre que les PME titulaires de droits de propriété intellectuelle sont l’exception plutôt que la règle. En effet, moins de 9 % des PME européennes considérées détiennent des droits de propriété intellectuelle. Le manque de connaissances en matière de droits de propriété intellectuelle et l’idée que les procédures d’enregistrement sont complexes et onéreuses figurent parmi les raisons citées (BOIP, 2021). À cet égard, le site Internet du BOIP apporte sans aucun doute des informations utiles en complément du site Internet du SPF Économie (2021), car il fournit un aperçu clair des différents types de droits de propriété intellectuelle (et un outil pour calculer le coût d’un enregistrement éventuel). De plus, les sites Internet du BOIP et du SPF Économie (2021) reprennent un lien vers le site ideeSCAN (www. ideescan.be), où un questionnaire en ligne permet de savoir quels droits peuvent s’appliquer à une nouvelle entreprise, un nouveau produit ou une nouvelle idée.
2. Les droits de propriété intellectuelle dans les comptes annuels
Les droits de propriété intellectuelle sont inscrits au bilan sous la rubrique II. Immobilisations incorporelles. Par immobilisations incorporelles, il faut en effet entendre les biens d’entreprise de nature incorporelle qui sont destinés à être utilisés de manière durable pour l’activité économique, et dont il résultera probablement des avantages économiques futurs pour l’entreprise. Les droits de propriété intellectuelle qui répondent à ces conditions (à savoir l’utilisation durable et les avantages économiques futurs attendus) doivent par conséquent être repris dans les immobilisations incorporelles. L’avis CNC 2012/13 (CNC, 2012) donne un aperçu clair du traitement comptable des immobilisations incorporelles (et donc s’applique également au traitement comptable des droits de propriété intellectuelle). Les grandes lignes sont présentées ci-dessous (sur la base de l’arrêté royal portant exécution du Code des sociétés et des associations (CSA) et de l’avis CNC 2012/13). Pour plus de détails, nous renvoyons à l’AR/au CSA et à l’avis CNC en question.
2.1. Évaluation sur la base de la valeur d’acquisition
Lorsque les droits de propriété intellectuelle de tiers sont acquis, cette acquisition est traitée dans la comptabilité comme une acquisition ordinaire d’immobilisations incorporelles à titre onéreux. Concrètement, cela implique que, si les droits de propriété :
(1) sont achetés à des tiers, l’évaluation est effectuée sur la base du prix d’acquisition (soit le prix d’achat augmenté des frais accessoires éventuels) (article 3:14 AR/ CSA) ;
(2) sont obtenus à la suite d’un échange, l’évaluation est effectuée sur la base de la valeur de marché (à la date de l’échange) de l’élément d’actif (des éléments d’actif) transféré(s) en échange de cet actif. [Si cette valeur de marché est difficile à déterminer, il s’agit alors de la valeur de marché (à la date de l’échange) de l’élément d’actif obtenu par voie d’échange] (article 3:14 AR/CSA) ;
(3) sont obtenus par voie d’apport, l’évaluation est effectuée sur la base de la valeur conventionnelle de l’apport (article 3:17 AR/CSA).
Lorsque les droits de propriété intellectuelle sont développés en interne, ils sont évalués sur la base du prix de revient (article 3:15 AR/CSA). Le prix de revient inclut les coûts directs de production, ainsi que la part proportionnelle des coûts indirects de production, pour autant que ces coûts concernent la période de production normale. Toutefois, les coûts indirects de production ne doivent pas être repris (ou ne peuvent être repris que partiellement) dans le prix de revient, mais doivent être indiqués dans l’annexe. Attention, l’évaluation basée sur le prix de revient n’est possible que si celle-ci ne dépasse pas une estimation prudemment établie de la valeur d’utilisation de l’actif ou de son rendement futur pour l’entreprise (article 3:38 AR/CSA).
En vertu de l’article 3:16 de l’AR/ du CSA, la valeur d’acquisition peut inclure les charges d’intérêt afférentes aux capitaux empruntés pour financer les immobilisations incorporelles (c.-à-d. Les charges d’intérêt concernant la période qui précède la mise en état d’exploitation effective de l’actif concerné). Ce choix doit être indiqué, dans l’annexe, dans les règles d’évaluation. La propriété donne certains droits sur les choses matérielles. La propriété intellectuelle consiste elle aussi en un ensemble de droits exclusifs. Toutefois, ces droits ne portent pas sur des choses tangibles, mais sur les productions de l’esprit.
2.2. Amortissements et réductions de valeur
Les immobilisations incorporelles (et, par conséquent, les droits de propriété intellectuelle) dont l’utilisation est limitée dans le temps font l’objet d’amortissements annuels (basés sur la durée de vie économique probable) (article 3:39 AR/CSA). En ce qui concerne le calcul des amortissements, bien que des délais d’amortissement obligatoires ne soient pas imposés, la durée de vie économique ne peut jamais dépasser la durée de vie juridique (ce qui est le cas, par exemple, d’un brevet qui est juridiquement limité dans le temps) (avis CNC 2012/13).
Des amortissements complémentaires (non récurrents) sont requis si, à la date du bilan, il s’avère que la valeur comptable de l’immobilisation incorporelle dépasse la valeur d’utilisation (article 3:39 AR/CSA).
S’il s’agit d’une immobilisation incorporelle dont la durée de vie est indéterminée (ce qui implique que la durée de vie juridique et la durée de vie économique sont indéterminées dans le temps), les amortissements réguliers ne s’appliquent pas. Ce cas exceptionnel nécessite de procéder à une réduction de valeur en cas de moins-value ou de dépréciation durable (article 3:39 AR/CSA). Cette réduction de valeur doit être reprise ultérieurement dans la mesure où, à la date du bilan, elle est supérieure à la réduction requise selon une évaluation actuelle de la moins-value pour laquelle elle a été constituée. La Commission des normes comptables estime que la qualification d’actif à durée de vie indéterminée donnée à une immobilisation incorporelle ne peut être définitive. Dès qu’il apparaît que la durée de vie indéterminée ne s’applique plus, l’entreprise doit encore amortir l’actif sur la partie estimée restante de la durée de vie (avis CNC 2012/13).
2.3. Réévaluations
Comme les droits de propriété intellectuelle font partie des immobilisations incorporelles, ils n’entrent pas en ligne de compte pour une éventuelle réévaluation.
3. L’importance des droits de propriété intellectuelle portés au bilan
Pour comprendre l’importance des droits de propriété intellectuelle portés au bilan des entreprises belges, le tableau 1 présente un aperçu de la part moyenne des immobilisations incorporelles (bilan – code 21) dans l’actif total (bilan – code 20/58) (elle correspond à la colonne II/AT). Étant donné que les immobilisations incorporelles incluent beaucoup d’autres éléments que les simples droits de propriété intellectuelle (elles comprennent aussi, par exemple, le goodwill), le tableau 1 donne également un aperçu de la part moyenne des concessions, brevets, licences, savoir-faire, marques et droits similaires (annexe – code 211) dans l’actif total (bilan – code 20/58) (cela correspond à la colonne Co/AT). Comme la valeur nette comptable des concessions, brevets, licences, savoir-faire, marques et droits
TABLEAU 1 – Moyennes sectorielles des immobilisations incorporelles et des concessions, brevets, licences, savoir-faire, marques et droits similaires des entreprises belges (schéma complet des comptes annuels)
Comme le montre le tableau 1, il existe très clairement des différences sectorielles (comparez, par exemple, les moyennes du secteur J (les valeurs les plus élevées) à celles du secteur T (les valeurs les plus basses)). Il est essentiel de souligner que les valeurs indiquées dans le tableau 1 correspondent à des moyennes, puisque la majorité des entreprises ne déclare pas d’immobilisations incorporelles inscrites au bilan (ce qui est conforme aux constatations de l’étude de l’EUIPO et de l’EPO (2021) mentionnées précédemment), et, par conséquent, les valeurs médianes de presque tous les secteurs s’établissent à 0 %. C’est pourquoi il a été décidé de ne pas reprendre ces valeurs médianes dans le tableau 1 (puisqu’elles n’apporteraient pour ainsi dire aucune autre information utile). Nous pouvons en outre conclure que les immobilisations incorporelles (et donc aussi les concessions, brevets, licences, savoir-faire, marques et droits similaires) représentent, en termes de moyenne, une part très faible de l’actif total.
4. Fiscalité – Déduction pour revenus d’innovation
Il est également important de mentionner la déduction pour revenus d’innovation au titre de laquelle 85 % des revenus nets provenant de divers droits de propriété intellectuelle sont exonérés de l’impôt des sociétés. Les droits de propriété intellectuelle suivants entrent en ligne de compte pour la déduction pour revenus d’innovation (à partir du moment où la demande pour le droit de propriété intellectuelle concerné est faite) (SPF Finances, 2021) :
• brevets ;
• certificats complémentaires de protection ;
• droits d’obtention végétale ;
• logiciels protégés par le droit d’auteur (qui doivent résulter d’un projet d’étude ou de développement) ;
• médicaments orphelins ; et
• l’exclusivité des données et/ou l’exclusivité commerciale pour les produits phytosanitaires, les médicaments à usage humain ou à usage vétérinaire.

iStockphoto.com/gorodenkoff.
Il est donc important, y compris du point de vue fiscal, de veiller à bien protéger la propriété intellectuelle. Pour plus de détails, nous renvoyons au site Internet du Service Public Fédéral Finances (SPF Finances, 2021).
5. Références
• BOIP (2021). https://www. boip.int/fr/entrepreneurs/ propriete-intellectuelle • CNC (2012). Avis CNC 2012/13 - Le traitement comptable des immobilisations incorporelles, disponible sur https://www.cnc-cbn.be/fr/avis/ le-traitement-comptable-des-immobilisations-incorporelles
• EUIPO et EPO (2021). Intellectual property rights and firm performance in the European Union, disponible sur https://euipo. europa.eu/tunnel-web/secure/ webdav/guest/document_library/ observatory/documents/reports/ IPContributionStudy/IPR_firm_performance_in_EU/2021_IP_Rights_ and_firm_performance_in_the_ EU_en.pdf
• SPF Économie (2021). https:// economie.fgov.be/fr/themes/ propriete-intellectuelle/ innovation-et-propriete/ quest-ce-que-la-propriete
• SPF Économie (2021). https:// economie.fgov.be/fr/themes/ propriete-intellectuelle
• SPF Finances (2021). https:// eservices.minfin.fgov.be/myminfin-web/pages/fisconet/document/0761cf60-4d51-46bd-89012559f70a52e6#_Toc45178354
• Arrêté royal portant exécution du
Code des sociétés et des associations (AR/CSA) • Louwers, E.-J. (2012). Belang en risico’s intellectueel eigendom te veel onderschat, Het Financiële Dagblad, 1er septembre 2012.

Tom Van Caneghem
Professeur associé Faculté d’économie et d’administration des affaires