La crise ! Quelle crise ? - InaGlobal #3

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un autre regard sur les médias

ENQUÊTES & ENTRETIENS

Nos années Canal, Goebbels et la radio, Pierre Sabbagh, La souveraineté numérique avec Léo Scheer, Alain De Greef, Philippe Dana, Edwy Plenel, Pierre Bellanger, Andrew Pettegree

DOSSIER

Ces sites et journaux qui innovent et réussissent

2014




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abonnez-vous en pages 16 et 173

Michael Wolf, A Series of Unfortunate Events Les photos qui scandent ce numéro de la revue sont tirés du travail de Michael Wolf intitulé A Series of Unfortunate Events (Série d’événements malheureux). Bien que Wolf soit un photographe professionnel, il s’agit ici d’un travail de recherche sur ordinateur. L’artiste allemand a en effet passé des heures à visionner les bases de données de Google pour repérer des événements sur le point d’advenir ou déjà là. Quand une image correspondait à son projet, Wolf plaçait son objectif devant son écran pour « photographier » le cliché. Le World Press Photo a récompensé en 2011 ce travail qui interroge ce qu’est aujourd’hui un « auteur », et qui nous interpelle sur notre rapport au monde et aux images qui nous environnent. Michael Wolf, né en 1954, est d’abord photojournaliste en Asie entre 1994 et 2002 pour le magazine Stern. Par la suite, il se lance dans des projets plus personnels. On se souvient de sa série sur l’architecture à Hong Kong où on ne voyait ni ciel ni sol et où les façades des gratteciel semblaient des tableaux abstraits (The Architecture of Density, 2002). On rappellera aussi sa série sur Chicago (The Transparent City, 2008). Wolf s’intéressa à la Chine comme usine du monde, en présentant dans différentes galeries américaines plus de 600 jouets en plastique face aux portraits des ouvrières qui les avaient fabriqués. Dans un travail plus récent, Tokyo Compression, il montre des visages comprimés contre les vitres du métro tokyoïte. Plus généralement Michael Wolf est fasciné (un peu comme Martin Parr, mais avec une autre esthétique) par ces détails de la vie quotidienne contemporaine. C’est ce qui l’a amené à regarder avec attention les images enregistrées au hasard par Google…

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É D I TO

Pourquoi meurent les pigistes L’année 2014 battra sans doute tous les records pour ce qui est des journalistes morts sur le terrain. Au 20 septembre, selon Reporters sans frontières, on comptait déjà 50 tués — et plusieurs de la manière la plus brutale et la plus médiatique, devant des caméras dont les images seraient bientôt diffusés sur les réseaux… Parmi ces journalistes, nombreux sont les free-lances. Selon l’ONG Commettee to Protect Journalists, sur les 70 journalistes tués en Syrie depuis le début du conflit, la moitié était des pigistes, ce qui est plus que la proportion des free-lances au sein de la profession sur les cinq continents. Pourquoi donc les pigistes sont-ils surreprésentés ? Ce n’est pas une question d’imprudence ou d’incompétence. James Foley et Steven Sotloff connaissaient bien la région qu’ils couvraient, tout comme le photographe Olivier Voisin, tué en Syrie en février 2013, ou la reporter Camille Lepage, elle aussi à la pige, tuée en Centrafrique le 11 mai 2014. La différence tient aux moyens, comme l’explique la photographe Allison Shelley dans le Los Angeles Times : « travailler dans certaines parties du monde est devenu plus dangereux ces derniers temps, en particulier pour nous, reporters free-lances. Car les indépendants, même pigistes réguliers, n’ont pas le même soutien de la part des rédactions que les reporters maison. Ils n’ont pas de gardes locaux, ni de logement sécurisé, ni de fixeurs bien payés, ni d’expertise logistique à leur disposition, et tout 3


É D I TO

cela peut faire la différence. » De plus les journalistes indépendants doivent payer eux-mêmes leur assurance (pour d’éventuels rapatriements ou traitements dans les hôpitaux locaux). Aux États-Unis, il existe des stages d’entraînement en milieu hostile qui coûtent 3 000 dollars pour cinq jours, une somme trop élévée pour de nombreux pigistes. Nicole Tung, la photoreporter qui est allée en Syrie ces dernières années avec James Foley, insiste elle aussi sur les « sacrifices » que les pigistes font pour travailler sur ces terrains difficiles : « je crois qu’un grand nombre de rédacteurs en chef ne comprennent tout simplement pas ce que nous vivons sur place là-bas, a-t-elle déclaré sur la chaîne CBS. Les free-lance sont vraiment seuls sur le terrain. Mais malgré tout, je crois vraiment que nous devons y aller. » Faut-il en effet y aller ? Le débat reste ouvert. À chacun de répondre. Constatons seulement que sans ces pigistes courageux, nos médias seraient plus pauvres. Nos informations seraient lacunaires, donc peut-être biaisées. Or, le dossier de ce numéro le montre, la réponse à la crise de la presse passe d’abord par le contenu. Ce sont les médias qui apportent des informations qui ont une chance de s’en sortir. Il faut certes des éditorialistes comme François Mauriac pour peser sur les pouvoirs, mais il faut aussi et surtout des reporters comme Albert Londres pour décrire ces pouvoirs et les dénoncer, le cas échéant. Philippe Thureau-Dangin rédacteur en chef d’Ina Global 4


Réinventer les chaînes d’info en continu Richard Sambrook & Sean McGuire — p. 11

sommaire

Le temps des marques mondiales est venu Agnès Chauveau — p. 12 À quand des médias européens ? Éric Maurice — p. 14

O U V E RT U R E

interventions

La Suisse piégée par le storytelling François Cherix — p. 18 La PQR ou l’esprit de famille Jean Stern — p. 21 Le trimestre médiatique Kroll — p. 23

p. 10

Crise des médias ou médias de crise ? Hervé Lavergne — p. 31 Axel Springer, d’une stratégie l’autre Jean-Marie Charon — p. 44 La tablette serait-elle l’avenir de La Presse ? Jean Quatremer — p. 50 The New York Times ou quand l’empire contre-attaque Bernard Poulet — p. 54 L’avenir est dans le local Patrick Eveno — p. 64 De Correspondent ne joue pas le scoop Pieter van den Blink — p. 72 Quelques cas de l’espèce « médias » p. 78 De l’info, toujours de l’info, encore de l’info Edwy Plenel — p. 86

DOSSIER

La crise ! Quelle crise ? p. 26


P O RT F O L I O

ENTRETIEN

Deadline Will Steacy

Comment redevenir maîtres de notre destin numérique ? Pierre Bellanger

p. 94

p. 114

I N AT H È Q U E

ARCHIVES

Propagande nazie et techniques d’archivage Muriel Favre

Pierre Sabbagh, ce fou merveilleux dans son drôle de bocal

p. 152

p. 162


D O S S I E R S P ÉC I A L

Les années Canal Putain 30 ans ! p. 128

CANAL+ A 30 ANS

La fête et le décodeur Philippe Dana & Léon Mercadet p. 130

CANAL+ A 30 ANS

Dans le dos des socialistes Léo Scheer p. 138

© Crédits photos voir pages intérieures.

CANAL+ A 30 ANS

Le marketing, c’est la ruine des médias Alain De Greef p. 144


Trop de chaînes d’info ? Trop d’infos ? © Ludovic / REA.

inter ventions 10


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Votre cadeau : Anthologie Cinq colonnes à la une : le meilleur de l’émission qui a inventé le grand reportage à la télévision, en faisant de l’actualité un spectacle d’exception. 5 DVD.

La section Anderson de Pierre Schoendoerffer : un documentaire d’une beauté bouleversante sur la guerre du Vietnam, réalisé en 1967 pour la télévision. Oscar du meilleur documentaire 1968. 2 DVD.

Les nouvelles aventures de Vidocq de Marcel Bluwal : les aventures de l’ancien forçat devenu chef de la police. Un classique d’aventure et d’histoire porté brillamment par le couple Danièle Lebrun –  Claude Brasseur. 4 DVD + 1 livret 12 pages.

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AUTOPR3A

(indispensable pour la version numérique)


DOSSIER

La crise ! Quelle crise ?

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DOSSIER

Ces sites et journaux qui innovent 27


DOSSIER

On a souvent comparé l’industrie de la presse en ce début de siècle au monde des diligences lorsque le chemin de fer s’est imposé. Nombreux étaient alors les prophètes qui annonçaient et la mort du papier et la disparition des anciens groupes. Vingt ans après l’arrivée du Net, cinq ans après l’avénement des réseaux, le paysage est plus contrasté que prévu. Certains titres leaders tirent leur épingle du jeu, surtout s’ils peuvent comme The New York Times bénéficier d’un bassin de population important. Certains groupes de presse, comme Axel Springer en Allemagne ou Ringier en Suisse, suivent des stratégies déterminées, ajoutant au journalisme traditionnel des services numériques. Des sites, comme Mediapart en France ou De Correspondent aux PaysBas, démontre que des internautes sont prêts dans certaines conditions à payer pour une information de qualité. D’autres pure players, comme BuzzFeed ou Vox aux États-Unis, parviennent à fidéliser en mêlant, ce qui peut choquer, du pur divertissement et de l’actualité sérieuse. Enfin, sur le papier même, ces dix dernières années auront vu triompher des magazines et mooks innovants, de XXI à Causette, en passant par N+1, à New York, ou So Foot, à Paris… Le futur de la presse (et des médias en général, car tout converge) s’écrit aujourd’hui. Et les diligences passent.

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DOSSIER

Crise des médias ou médias de crise Hervé Lavergne

Axel Springer, d’une stratégie l’autre Jean-Marie Charon

p. 31

p. 44

La tablette serait-elle l’avenir de La Presse ? Jean Quatremer

The New York Times ou quand l’empire contre-attaque Bernard Poulet

p. 50

p. 54

L’avenir est dans le local Patrick Eveno

De Correspondent ne joue pas le scoop Pieter van den Blink

p. 64

p. 72

Quelques cas de l’espèce « médias »

De l’info, encore de l’info, toujours de l’info Edwy Plenel

p. 78

p. 86

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DOSSIER

Article illustrĂŠ par Kim Roselier.


DOSSIER

Crise des médias ou médias de crise ? Hervé Lavergne Depuis le début des années 2000, rien ne va plus. Baisse de la diffusion, baisse des revenus publicitaires… Les éditeurs des principaux titres de la presse d’information ne sont pas à la fête. Pour la plupart, ils s’engagent rapidement dans une marche forcée vers le numérique, avec des succès pour le moins mitigés… Depuis quinze ans, le bilan est sombre, en effet : des titres ont cessé de paraître, d’autres sont en déficit chronique, aucun n’a encore trouvé une « équation économique » pérenne. Sinon quelques titres à orbite mondiale, comme le Financial Times ou The New York Times. Faut-il croire que les grands médias traditionnels doivent laisser la place à une nouvelle génération de pure players ? Peut-être pas. 31


DOSSIER

Axel Springer, d’une stratégie l’autre Jean-Marie Charon

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DOSSIER

Quel est le groupe de médias européen qui peut se targuer de réaliser la moitié de son chiffre d’affaires dans le numérique ? Réponse : Axel Springer, en Allemagne. Connu pour son titre phare, le Bild aux unes tapageuses, ce groupe a su mener une stratégie offensive, en vendant des titres, en rachetant des pure players, en investissant dans les services. Mais ce tournant remarquable ne s’est pas fait sans mal, ni sans hésitations, explique le sociologue et spécialiste des médias Jean-Marie Charon. Axel Springer, avec un chiffre d’affaires de 2,8 milliards d’euros en 2013 1 et des effectifs de 13 600 personnes 2, est sans doute le premier groupe de presse dans un pays, l’Allemagne, dont la presse quotidienne a longtemps été l’une des plus florissantes d’Europe. La décennie 2000 aura pourtant été très brutale pour la presse d’outre-Rhin, avec ses journaux aux rédactions nombreuses  3, à la pagination souvent riche, qu’ils soient des suprarégionaux haut de gamme, des titres locaux ou des populaires au ton agressif. Springer était d’ailleurs présent sur chacun de ces segments. Plutôt que de subir le lent déclin annoncé, ce groupe s’est engagé dans une stratégie faite de recentrages sur quelques titres phares et d’un développement ambitieux dans le numérique. Au deuxième trimestre 2014, le groupe peut fièrement annoncer qu’il réalise quasiment 50 % de son chiffre d’affaires – et les deux tiers de son résultat – dans le numérique. Mathias Döpfner, son patron, qui a commencé sa carrière comme journaliste, notamment à la prestigieuse Frankfurter Allgemeine Zeitung, a même annoncé début septembre que le groupe Axel Springer pourrait bientôt doubler ses bénéfices et atteindre 1 milliard d’euros de résultat… Comment ce géant de la presse quotidienne, qui fut également présent dans les magazines, est-il parvenu à se transformer à ce point ? On le verra, cela n’a pas été sans mal. Car, ces trente dernières années, Springer a testé successivement plusieurs stratégies, parfois avec des échecs spectaculaires. On peut donc à son propos parler d’un apprentissage.

Recentrages

Revenons un instant sur les débuts du groupe. Axel Springer (1912-1985), dont le père était luimême éditeur, crée son premier titre, Hörzu, en 1946. Il s’agit alors d’un magazine de programmes radio. Comme l’ensemble des éditeurs de l’Allemagne de l’après-guerre, il a pu s’engager dans la presse renaissante en donnant la preuve aux autorités anglo-américaines qu’il n’avait eu aucun lien avec le régime nazi. Très rapidement, la petite maison d’édition prend la dimension d’un groupe avec les créations, en 1948, du Hamburger Anbendblatt, quotidien local, et en 1952 du Bild Zeitung, quotidien populaire que l’on ne présente plus. Ce dernier, qui voit le jour l’année de l’apparition de la télévision dans le pays, se veut largement illustré, misant sur la photo spectaculaire, voire scandaleuse, et sur des textes très courts 4. En 1953, il reprend Die Welt, un suprarégional de sensibilité conservatrice, créé en 1946 par les occupants britanniques. Il s’agit-là des premiers pas d’un groupe qui élargira sa présence dans la presse locale en même temps qu’il continuera à se développer en presse magazine (hebdomadaires de télévision, féminins, sports, automobile, jeunesse, finances, etc.). Rapidement Bild Zeitung, fort de ses éditions locales (25 actuellement) gagne une place de leader, tandis que Die Welt se voit reconnu pour son sérieux. À leurs plus belles heures, en 1991, le premier aura une diffusion totale de 4  7 00  0 00 exemplaires, le second de 218 000 exemplaires. 45


DOSSIER

Guy Crevier, patron de La Presse, par qui la révolution est arrivée. © Clément Sabourin / AFP.

La tablette serait-elle l’avenir de La Presse ? Jean Quatremer 50


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John Lennon, musicien.

Si tout le monde voulait la paix au lieu de vouloir un autre poste de tĂŠlĂŠvision, il y aurait la paix.

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The New York Times ou quand l’empire contre-attaque Bernard Poulet Ces vingt dernières années, le plus grand quotidien de la Côte Est est devenu, grâce au numérique, un titre mondial de référence. Mais, ce faisant, il est passé tout près de la faillite au cours des années 2000. Aujourd’hui, avec plus de 800 000 abonnés en ligne, il semble tiré d’affaire. Est-ce à dire que The New York Times a trouvé un modèle économique pérenne, lui permettant de garder ses 1 100 journalistes ? Il est trop tôt pour l’affirmer. L’analyse de Bernard Poulet, auteur notamment du livre La fin des journaux et l’avenir de l’information (Gallimard, coll. Le Débat, 2009).

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DOSSIER

Le verre est-il à moitié vide ou à moitié plein ? The New York Times, créé en 1851 dans la bataille pour l’abolition de l’esclavage, est-il sur la voie du succès, ou vient-il de s’engager dans une voie sans issue ? Quand « la vieille dame grise » tousse, c’est toute la profession qui est malade. Mais si elle reprend des couleurs, les patrons de presse recommencent à espérer. Au mois de mai, le limogeage de la directrice de sa rédaction, Jill Abramson, et la divulgation d’un rapport interne alarmiste ont envoyé des signaux négatifs, mais, par ailleurs, les résultats de sa transition vers le numérique sont encourageants. Ils sont du moins parmi les meilleurs que l’on connaisse pour ce type de publication. L’éviction brutale de la patronne du journal estelle due à l’autoritarisme qu’on lui reprochait ? Au sexisme indécrottable qui suscite souvent ce genre de critique à l’encontre des femmes de caractère ? Ou à un désaccord stratégique avec le patron, Arthur O. Sulzberger Jr., sur la nécessité d’un tournant radical ? Pour beaucoup, la mise à l’écart d’une journaliste trop « traditionnelle » a été le révélateur des problèmes d’un journal qui ne peut pas se permettre de rester au milieu du gué.

Un bilan exceptionnel

De toute façon, en 2014, le quotidien le plus prestigieux du monde a vécu son année de tous les dangers, et de tous les espoirs. Les espoirs, d’abord : ils se nourrissent de bons résultats. Non seulement le NYT a raflé quatre prix Pulitzer en 2013 (un record depuis 2009), mais surtout, pour la première fois, au début de cette année, le nombre de ses abonnés en ligne a dépassé celui des abonnés au journal papier (731 000 abonnés « print » contre 799 000 abonnés web fin 2013). En juillet 2014, on compte même 831 000 abonnés numériques, dont 12 % d’abonnés étrangers (35 % des visiteurs uniques sont d’ailleurs hors ÉtatsUnis). De plus, 90 % des lecteurs papier ont aussi choisi l’option digitale, ce qui constitue un moyen d’identifier avec précision les choix et les habitudes de ces lecteurs. Grâce à News Analytics, un système mis au point en avril 2013, les responsables du marketing peuvent savoir avec précision comment les lecteurs lisent et naviguent, combien de temps ils passent sur un article, etc. La moyenne d’âge des lecteurs, si elle ne traduit pas un jeunisme exceptionnel, reste assez bonne : 52 ans pour le print et 47 ans pour le 55


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L’avenir est dans le local Patrick Eveno Les quotidiens régionaux ? Les hebdos départementaux ? De Paris, on les croirait facilement moribonds ou du moins sur le déclin. Ce n’est qu’en partie vrai. Si la diffusion des quotidiens locaux baisse, leur poids dans l’ensemble de la presse augmente régulièrement… Malgré la perte du marché des petites annonces et son retard sur le numérique, la presse régionale ne manque pas d’atouts, explique Patrick Eveno, professeur à l’université Paris 1 PanthéonSorbonne. Y compris auprès des jeunes générations.

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À Amsterdam, la rédaction du journal. © Bas Losekoot.

De Correspondent ne joue pas le scoop Pieter van den Blink 72


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Eric Schmidt, président de Google.

L’Internet est la première chose que l’humanité a construite qu’elle ne comprend pas, c’est aussi la plus grande expérience d’anarchie.

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Quelques cas de l’espèce « médias »

Qu’y a-t-il de commun entre un site comme BuzzFeed, aux États-Unis, et le petit groupe de presse So Foot, en France ? Entre la revue XXI et le magazine Causette ? Rien ou presque. Sinon que ces entreprises médiatiques ont innové, dans la forme et dans le fond, trouvant des lecteurs et, pour la plupart, un équilibre économique. Autant d’expériences qui annoncent d’autres bouleversements… Qui a innové en 2014 ? C’est précisément le thème retenu pour le débat que la revue Ina Global animera aux Assises internationales du journalisme qui se tiendront à Metz du 16 au 18 octobre.

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De l’info, toujours de l’info, encore de l’info Entretien avec Edwy Plenel

« Nous sommes, modestement, un laboratoire d’essai. » © Olivier Roller / Divergence.


The Philadelphia Inquirer La salle de rédaction en 1938. © Courtesy Philadelphia Inquirer.


P O RT F O L I O

Deadline Will Steacy

Depuis 2007, aux États-Unis, 268 journaux ont fermé ou mis fin à leur édition papier. Deadline, le projet de Will Steacy présenté cette année dans le cadre des Rencontres d’Arles, raconte en images cette crise sans précédent. Ce photographe américain, né en 1980, a documenté pendant cinq ans l’inexorable déclin du Philadelphia Inquirer, le plus grand quotidien de Philadelphie, au fil des rachats, des déménagements et des plans de licenciements. Une histoire à la fois exemplaire et personnelle pour Steacy, puisque son père et son grand-père travaillent pour le journal. 95


Comment redevenir maîtres Pierre Bellanger

de notre destin numérique Pierre Bellanger. © Julien Falsimagne / Skyrock.


ENTRETIEN

Pierre Bellanger a publié au début de l’année un livre, La Souveraineté numérique, qui n’a pas été assez remarqué. Le patron de Skyrock s’inquiète pour le devenir de nos sociétés européennes qui ont renoncé devant la toute-puissance des groupes américains. Il propose de réagir par la loi, en considérant les données personnelles comme un « bien commun », et par une stratégie industrielle, en construisant un nouveau système d’exploitation, plus libre et plus ouvert. C’est à ce prix, explique-t-il, que notre démocratie retrouvera sa souveraineté. Vous êtes présent depuis longtemps dans le paysage numérique français (notamment depuis le lancement des skyblogs) et vous avez récemment publié un livre, La Souveraineté numérique (éditions Stock, 2014) où vous décrivez une situation assez alarmante : tous les grands monopoles américains se développent, tandis que le numérique français, lui, « laisse passer les trains ».

que l’expression « souveraineté numérique » n’est pas, pour une fois, une traduction de l’anglais : « digital sovereignty » mais une expression originale. Nous avons plus de latitude pour avoir un regard d’intérêt général sur les processus en cours. Paradoxalement, l’absence de grands acteurs du réseau ici devient presque un avantage : leur pression et leur influence s’en trouvent diminuées. Il faut bien comprendre qu’Internet ne vient pas s’ajouter au monde que nous connaissons, il vient le remplacer. Tout l’édifice réglementaire, que ce soit pour les données personnelles, la propriété intellectuelle, la concurrence, la liberté d’expression ou d’entreprise, est remis en cause. Pourquoi pas ? Mais sous notre souveraineté.

Non seulement nous laissons passer les trains mais ils nous passent dessus ! C’est toute la question de la souveraineté numérique, c’est-à-dire de la maîtrise de notre destin sur les réseaux informatiques. Une part croissante de nos vies, de nos processus créatifs, de l’élaboration de l’opinion et de nos modèles économiques passent par le réseau. Le réseau capte, concentre et transfère la valeur. Le réseau est le moteur de notre avenir et pourtant nous n’avons ni la prise de conscience politique, ni l’ambition industrielle. Enfin, la souveraineté numérique se rapporte à la liberté. La liberté repose sur le droit et ce droit s’exprime sur un territoire, c’est la définition de la souveraineté. La souveraineté numérique est donc un enjeu de liberté, ici en France, mais aussi pour l’Europe et toutes les nations du monde. Il ne faut pas d’ailleurs imaginer que cette problématique ne touche pas nos amis américains : les associations de lutte pour les droits civiques se battent aussi pour que le réseau satisfasse aux exigences de la démocratie. C’est là que l’Europe a un rôle à jouer. Ici, en Europe, peuvent émerger des concepts, des initiatives et des lois qui serviront ensuite de modèles et de références. Il faut d’ailleurs noter

Il faut bien comprendre qu’Internet ne vient pas s’ajouter au monde que nous connaissons, il vient le remplacer.

La révolution numérique en cours a aussi un lourd impact sur l’emploi. La mondialisation a dévasté les classes populaires, les réseaux numériques vont faire subir le même sort aux classes moyennes. 115




DOSSIER

Les annĂŠes Canal


DOSSIER

Putain 30 ans !


La fête et le décodeur Les années Canal

Philippe Dana & Léon Mercadet

Le 4 novembre prochain, Canal fêtera ses 30 ans. Trente années de travail, de talent, de soirées endiablées aussi. Indéniablement, cette chaîne cryptée a soufflé un autre air, plus libre que les émissions de la vieille ORTF. Elle a bouleversé la façon de faire de la télé. Peut-être aussi a-t-elle changé un peu les Français, et la façon de faire de l’info et de la politique en France. Philippe Dana et le regretté Léon Mercadet, deux anciens de la bande de Canal, ont entrepris de raconter cette saga. De leur livre très enlevé, Les invités de la fête (éd. Don Quichotte), nous reprenons en bonnes feuilles le récit des premiers jours de folie, à commencer par la soirée d’inauguration. 130


CANAL+ A 30 ANS

Soudain, Dalida apparaît sur les écrans. Fière comme une reine, la reine qu’elle est indubitablement. On la voit fendre la foule des invités massée dans le hall du 78, rue Olivier-de-Serres. C’est bien le dernier coin de Paris où l’on s’attendrait à croiser Dalida. Une tour de bureaux, érigée dans un coin paumé du XV e arrondissement, près du Parc des expositions de la Porte de Versailles, derrière un pont noir du chemin de fer de ceinture, une petite rue, des façades sinistres noyées dans le crépuscule de novembre. Ce qui y a attiré Dalida, c’est une fête. La fête inaugurale d’une nouvelle chaîne de télévision, et cela, dans la France post-gaulliste, est un événement considérable. Nous sommes le 4 novembre 1984, la chaîne s’appelle Canal Plus et c’est ici, dans cette tour, qu’elle a planté studios et bureaux. En partageant l’espace avec le ministère de la Jeunesse et des Sports. La veille, dans leurs éditions du week-end, les principaux quotidiens ont consacré leur une à l’événement. « Canal Plus entre en chaîne », annonce Le Matin de Paris de Claude Perdriel, journal aujourd’hui disparu. « Canal Plus : la télé passe la quatrième » annonce Libération, qui lui consacre une dizaine de pages.

«

Le quotidien écrit : « Dimanche à marquer d’une pierre blanche. Canal Plus naît enfin, ouvrant une brèche dans le monopole d’État. Plus qu’une nouvelle chaîne, c’est une autre télévision qui apparaît dans le paysage audiovisuel inchangé depuis dix ans. Son équipe semble redécouvrir l’art et la manière de faire de la télé dans l’enthousiasme. Reste à le faire partager à ses abonnés, sur lesquels repose l’avenir de la quatrième chaîne. » Notez qu’alors la chaîne est nommée «  C anal Plus ». Ce n’est qu’en mars 1985 qu’Étienne Robial, le directeur artistique, fera valoir que le signe arithmétique + est plus fort graphiquement et visuellement, et imposera la marque « Canal+ ». Jour J. Dalida est venue ainsi que des élus et des ministres de la République, Georges Fillioud et son nœud papillon, Jack Lang et son brushing haut de gamme, plusieurs artistes, une joyeuse palette, de Catherine Deneuve à Dominique Rocheteau. Celui que les supporters de l’AS Saint-Étienne ont surnommé « l’Ange Vert » est, parallèlement à son métier de footballeur, passionné de rock et musicien. Il a été choisi, comme Serge Gainsbourg et Michel Jonasz, pour composer un des génériques qui accompagne les programmes de la chaîne.

José Garcia et Antoine de Caunes dans leur inoubliable duo Sandrine Tropforte et Richard Jouir (alias Cindy Crawford et Richard Gere). © Xavier Lahache / Canal+.


Dans le dos des socialistes Les années Canal

Léo Scheer

Comment et par qui fut conçu cet objet bizarre qu’est devenue la chaîne cryptée du cinéma et du foot ? On connaît le rôle éminent d’André Rousselet, alors à la tête du conglomérat Havas. Mais on sait moins que le projet fut d’abord imaginé par Léo Scheer, à l’époque jeune sociologue proche de conseillers économiques de François Mitterrand. Ce Géo-Trouve-Tout, comme l’a surnommé Rousselet, a entrepris d’écrire une archéologie de Canal sur le thème : comment le pouvoir socialiste a fini par laisser exister une chaîne privée qui ne lui ressemblait en rien… Son livre s’intitule Quand les tontons flingueurs rencontrent les bronzés, la folle invention de Canal (éd. Michel Lafon). Extraits. 138


Le 4 novembre 2014 seront célébrés les 30 ans de la chaîne. C’est donc à mon avis le bon moment pour enfin se demander comment Canal+ a été inventé. D’où est venue une idée aussi abracadabrante ? Comment la décision de lancer, au début de l’ère Mitterrand alors en plein « programme commun » – triomphe du marxisme le plus « rétro » –, une chaîne de télévision qui exigeait de ses clients qu’ils payent un abonnement de 150 francs par mois – une chaîne « pour les riches », a-t-on dit –, a-t-elle été prise ? Comment un projet à l’esprit aussi honteusement « libéral » a-t-il pu fleurir au sein d’une France ivre de socialisme, avec des ministres communistes au gouvernement, au moment où l’on se lançait dans un programme massif de nationalisations dont même le Front populaire n’aurait pas rêvé ? Quand j’y repense, Canal+ était un véritable ovni. C’était une idée folle, un concept impraticable à une époque où la France venait de rater le virage informatique, de se lancer dans la gestion informatique de milliers d’abonnés sur un réseau hertzien national. Il n’y avait, dans ce pays, pas même le début d’un réseau de câbles, une prise

«

qu’on aurait pu débrancher si le client oubliait de payer son abonnement. Même aux États-Unis, une chaîne qui venait tout juste de naître comme HBO (Home Box Office) n’avait été envisagée qu’en raison du développement de la télévision câblée. Mais une chaîne hertzienne, nationale, à péage ? C’était complètement impensable. Ces questions sur l’apparition de cette chaîne bizarroïde échappant, pour la première fois de son histoire, au contrôle de l’État, n’ont jamais été vraiment abordées par les journalistes. Pourquoi ? Il y a, à cette absence de curiosité, une explication fort simple : il n’y avait, au moment où on aurait pu se les poser, plus personne pour y répondre. Quand la chaîne démarre, en novembre 1984, il aurait fallu que l’esprit dérangé chez qui cette idée folle est apparue soit en mesure de parler. Il aurait fallu que cette personne soit là pour répondre aux journalistes. Mais voilà, ce jour-là, celui de la première diffusion, je n’étais plus chez Havas, le groupe auquel Canal appartenait. Je n’étais pas mort – malgré l’envie de certains, on n’avait pas réussi à m’enterrer comme on le faisait des architectes égyptiens dans leur pyramide – non, je n’étais plus là, tout simplement parce que

Les Deschiens François Morel et Yolande Moreau en pleine concentration en 1994. © Xavier Lambours / Signatures.


Le marketing

Entretien avec Alain De Greef

c’est la ruine des médias Les années Canal

L’un est mutique, l’autre très bavard. © Pascal André / Canal+.


CANAL+ A 30 ANS

Si une personne peut incarner l’esprit de la chaîne cryptée, plus encore que Pierre Lescure, c’est peutêtre son ami Alain De Greef, mythique patron des programmes de 1984 à 2001. Inventeur des Nuls, des Deschiens, père de Groland et des Guignols, « Deug » a tout donné à cette maison. Retiré sur son Aventin (entre Apt dans le Luberon et Paris), de santé fragile, il vient de subir à 67 ans une énième opération chirurgicale… Au bar du Novotel du front de Seine à Paris où nous l’avons souvent rencontré, nous retrouvons un De Greef affaibli, par moments à peine audible, mais qui s’anime à l’évocation de l’âge d’or de Canal. Tu étais salarié à Antenne 2 à l’époque… Pourquoi t’engager dans ce pari fou ?

Au début, Canal est une chaîne très intello. Est-ce pour ça que cela n’a pas marché ?

C’est vrai qu’il y avait pas mal de handicaps mais aussi beaucoup d’avantages. C’était la première chaîne privée en France. En contrepartie des efforts considérables qu’on lui demandait de faire vis-à-vis du cinéma, elle disposait d’avantages com me la diffusion des films un an avant les autres…

Non, c’est surtout l’échec du marketing. Pierre Lescure pense que c’est à cause de l’allocution de Mitterrand, en janvier 1985, où il a annoncé qu’il y aurait 85 chaînes gratuites [Mitterrand confondait le nombre de faisceaux disponibles et le nombre de chaînes potentielles]. Moi je pense que c’est simplement les gens du marketing qui avaient mal fait leur boulot. S’ils étaient allés voir HBO ou Showtime aux États-Unis, ils auraient compris qu’entre janvier et avril, on ne vend pas ce qu’on appelle des produits bruns (télévision, radio, ordinateur et décodeur) mais plutôt des produits blancs (électroménager).

Tu n’avais pourtant qu’un budget ridicule pour réaliser quatre à cinq heures de programmes hebdomadaires… Il y avait effectivement très peu de fric disponible pour autre chose que le cinéma et le foot. Il a fallu faire avec de très pauvres moyens. Je l’ai fait par fidélité à Pierre Lescure qui était là depuis décembre 1983.

C’est toi qui a inventé le ton Canal. Comment estce né ? Au début j’ai eu plus de déceptions que de satisfactions. Les onze premières semaines, c’était pathétique. Même le Top 50, ce grand classement des chansons sur la base de ce qui se vend, me navrait. Pour moi, il n’y avait que l’émission quotidienne d’Antoine de Caunes sur le rock. Magnifique, drôle, intéressante…

Raconte-nous ce 4 novembre 1984, à 8 heures du matin. C’est l’ouverture de l’antenne… Il y a d’abord eu une émission de Michel Denisot avec Gérard Depardieu et, en fil rouge toute la journée, des gens qui passaient pour nous saluer. C’est un bordel pas possible. Enormément de gens coincés les uns contre les autres. C’est désespérant, irregardable…

Et pourtant, dès le début, vous avez recruté des grands noms : PPDA… 145


Propagande nazie et techniques d’archivage Muriel Favre

Un passionné de radio, Joseph Goebbels (1897-1945). © AKG.


I N AT H ÈQ U E

On connaît le talent de l’orateur Adolf Hitler et son influence sur ses auditeurs. Mais on sait moins l’importance que le Führer et son ministre de la Propagande Goebbels accordaient, non seulement à la diffusion, mais aussi à l’archivage de ces documents sonores. Leur souci était de parler aux générations des siècles futurs, explique l’historienne Muriel Favre. Hitler tint son premier discours radiodiffusé le 1 er février 1933. En lisant depuis la chancellerie un « appel du gouvernement du Reich au peuple allemand », il entendait ouvrir la campagne pour les élections générales du 5 mars, élections qu’il avait provoquées et dont il espérait qu’elles donneraient une large victoire à son parti. Selon Joseph Goebbels, ministre de la Propagande, ce premier discours radiodiffusé se révéla « très convaincant, et admirable sur le plan de l’argumentation  ». À l’inverse, le magazine des programmes Volksfunk, social-démocrate, trouva le discours sans consistance, le ton martial et la voix antipathique ; Hitler avait parlé tellement vite que même les auditeurs autrichiens avaient eu du mal à le comprendre… De toute évidence, il ne s’agissait pas uniquement d’une attaque partisane, puisqu’une nouvelle version du discours fut enregistrée et diffusée à trois reprises le lendemain. Hitler était un orateur talentueux, personne ne le conteste. Mais c’était surtout un tribun, qui tirait sa force autant de son adresse à manier la langue que de l’emploi de procédés extra-linguistiques, postures, gestuelles, expressions du visage…, et du fait qu’il était particulièrement attentif aux réactions du public. Le 1 er février 1933, seul devant un micro, le chef du NSDAP s’était laissé déstabiliser. Il en tira une conséquence radicale : à partir de la mioctobre 1933 ne furent plus diffusés sur les ondes que des discours publics. S’inspirant du projet le plus extravagant des hommes de la Révolution française, les nationauxsocialistes avaient instauré un calendrier de fêtes légales de l’État et du Parti comprenant la commémoration de la prise du pouvoir, le 30 janvier, le jour du Travail national, le 1 er mai, le congrès de Nuremberg, au début du mois de septembre, la fête de la moisson, en octobre, ainsi que la commémoration du putsch de la brasserie, le 9 novembre. Hitler prenait la parole chaque année, soit dans le cadre d’un rassemblement de masse,

soit devant un auditoire choisi. La politique cérémonielle du nazisme reposait de surcroît sur l’organisation d’événements ponctuels, cérémonies officielles d’un côté, journées nationales d’action de l’autre. On retiendra notamment les funérailles d’État du maréchal Hindenburg, le 7 août 1934, ainsi que la « Journée nationale et populaire pour l’honneur, la liberté et la paix », le 28 mars 1936, et la «  Proclamation de la Grande Allemagne », le 9 avril 1938 – la première journée clôturait la campagne pour les « élections » du 29 mars 1936, la seconde la campagne pour le «  référendum  » relatif à l’annexion de l’Autriche et l’« élection » du Reichstag de la Grande Allemagne, le 10 avril 1938. Comme les précédents, ces événements étaient axés autour d’un discours du Führer. Il arrivait enfin que des séances du Reichstag ou des meetings au Palais des sports de Berlin fussent organisés dans le seul but d’être retransmis, afin que Hitler pût s’adresser à son peuple. C’est le cas de la séance du Reichstag du 1 er septembre 1939, que Hitler retint pour justifier l’invasion de la Pologne. Alors que la majorité des émissions parlées, reportages, interviews, commentaires, étaient préenregistrés et diffusés en différé – à des fins de contrôle, pour empêcher tout propos équivoque, voire contestataire –, les discours de Hitler

S’inspirant de la Révolution française, les nationaux-socialistes avaient instauré un calendrier de fêtes légales de l’État et du Parti 153


Pierre Sabbagh vers 1970. Š Roger-Viollet.


Ce fou merveilleux et son drôle de bocal Archives Eh oui ! Il faut désormais présenter Pierre Sabbagh (1918-1994). Car les moins de 50 ans ne savent probablement pas qu’il fut l’un des pionniers de la télévision française. Tour à tour – et avec un égal bonheur – journaliste, présentateur, producteur, animateur (on pouvait alors passer d’un métier à l’autre), jusqu’à devenir directeur de chaîne. La première de 1968 à 1971, la seconde jusqu’en 1974. Le voici le 6 avril 1971 devant le micro de Jacques Chancel, sur France Inter, pour une discussion à bâtons rompus où il est question d’inquiétude, de souci du public et… du premier journal télévisé, en 1949. 163


un autre regard sur les médias Directrice de la publication Agnès Saal Comité d’orientation Jérôme Bouvier Hervé Brusini Jean-Marie Charon Yves Citton Christophe Deloire Christian Delporte Patrick Eveno Jean-Michel Frodon Alain Gerlache Véronique Marino Florent Latrive Hervé Lavergne Arnaud Mercier Louise Merzeau Gilles Pache Dominique Pasquier Marc Pellerin Denis Pingaud Jean-Christophe Rampal Serge Schick Nathalie Sonnac Matteo Treleani Jean-Pierre Tuquoi Ana Vinuela

Comité éditorial Bruno Burtre Martine Couchoud Isabelle Didier Didier Giraud Agnès Magnien Denis Maréchal François Quinton Philippe Raynaud Jean-Michel Rodes Rédacteur en chef Philippe Thureau-Dangin (phtd2012@gmail.com) Correctrice Françoise Picon Transcription Aude Vassallo Design / direction artistique Building Paris (Benoît Santiard & Guillaume Grall) avec Antoine Bertaudière Iconographie Géraldine Lafont Frédérique Deschamps avec la collaboration du service photo et du service reprographie de l’Ina.

Première de couverture José Garcia et Antoine de Caunes dans leur inoubliable duo Sandrine Tropforte et Richard Jouir (alias Cindy Crawford et Richard Gere). © Xavier Lahache / Canal+.

Illustrateurs Arthur Bonifay Kim Roselier Coordination Didier Giraud Relations Presse Agnès Baraton Marketing & abonnements Guillaume Hervins Brice Davin (bdavin@ina.fr) Service abonnement et relation abonnés Revue Ina Global – Abo Press revueinaglobal@abopress.fr 03 88 66 11 20 Diffusion librairies Exils-Sodis Impression Geers Offset (Belgique)

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Prochain numéro janvier 2015


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