Synthèse conférence CO3 Conseil 2011

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PROJETS INDUSTRIELS, PROJETS INACCEPTABLES ? Concertation & développement durable dans les grands projets d’industrie et d’infrastructure

Synthèse de la conférence du Mercredi 06 Avril 2011 organisée par l’ESSEC & CO3 Conseil dans le cadre des conférences de la Semaine du Développement Durable 2011


SOMMAIRE Conférence introductive Les enjeux de leadership en concertation

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Table ronde 1 Articulation entre management de projet, développement durable et concertation.

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Comment construire la légitimité d’un grand projet ?

Table ronde 2 De la consultation a la co-décision.

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Comment impliquer les parties prenantes dans la conduite du projet ?

Conférence plénière Concertation d'entreprise et concertation de projet

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Comment inscrire la necessite de l'échange dans la durée ?

Table ronde 3 L’avenir de la concertation est-il sur internet ?

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Comment intégrer de nouveaux modèles et de nouveaux outils ?

Table ronde 4 Les outils de management de concertation

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Comment articuler concertation et gestion sans contradiction ?

Conférence de clôture Les français et l’industrie

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Comment rendre possible un projet d’industrie ou d’infrastructure en France ?

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Conférence introductive :

Les enjeux de leadership en concertation Intervenants :

Alain Lempereur, professeur de négociation et de médiation à l’ESSEC Loïc Blondiaux, professeur à l’université Paris Panthéon Sorbonne et co-animateur de l’Institut de la concertation

Par quelques exemples, A. Lempereur met en exergue les différentes perceptions de la réalité qui peuvent coexister autour d’une même question, même quand celle-ci semble évidente. Chacun peut se tromper dans ses réponses à des questions simples et a fortiori, complexes. Le problème est que, même si je peux me tromper, je reste souvent persuadé d’avoir raison. Les théories relatives aux perceptions partisanes montrent que, quelles que soient la relativité d’un point de vue, sa subjectivité et même sa fausseté, nous croyons dur comme fer à la vérité et à la sûreté de nos positions.

Or le leadership le plus utile en situation de concertation doit plutôt se penser comme facilitation d’un processus de découverte des points de vue et de recherche en commun de solutions. Ici la responsabilité de la réussite d’une concertation est partagée, elle incombe autant au facilitateur d’un groupe de concertation qu’à ses membres ; le leader y est un leader de leaders et non de suiveurs. La solution, s’il en est une, émerge d’une recherche conjointe, où il n’y a pas de réponse simple et évidente ; elle émane d’une co-construction, d’un co-développement.

Ces aspects sont à intégrer dans « Le leadership, ce n’est pas de partir de certitudes ou de les processus de concertation, réponses toutes faites pour résoudre les problèmes qui se où chacun arrive avec sa part de vérité qu’il a tendance à posent; c’est de recueillir les réponses dans leur diversité et prendre pour totale et à vouloir après les avoir écoutées, de les questionner à chaque fois imposer aux autres. Dans les qu’elles sont conçues comme des absolus liés à des convicréunions de concertation, se tions industrielles, environnementales ou sociales.» retrouve le risque « d’excès de confiance » qui conforte chaque partie prenante dans une perception de la réalité qui Dans ce contexte, A. Lempereur souligne la nécessité peut être erronée ou inadéquate. La concertation pour les responsables de s’éloigner d’une conception doit prendre garde à ce phénomène et être conduite verticale du leadership, difficilement compatible avec en connaissance de cause. Pour réussir, elle doit se les principes d’une concertation efficace et légitime. Il pratiquer comme mécanisme permettant l’émergence s’agit plutôt de privilégier une conception latérale, qui et la coexistence de perceptions variées d’une même privilégie les modes de négociation et de médiation question. C’est un préalable à la recherche éventuelle et favorise une approche participative de toutes les d’une solution sur le fond. parties prenantes, qui consolide à long terme leur autorité formelle. Pour permettre à plusieurs visions de s’exprimer et d’être écoutées par les autres protagonistes, il faut Dans ce cadre, on reconnaît l’importance du rôle du un renouvellement du leadership, qui doit se penser tiers comme facilitateur neutre et impartial pour non dans la détention de la vérité, mais dans le assurer le bon déroulement du processus, faire questionnement. On associe trop souvent le leadership émerger un on consensus et assurer le respect des à l’identification d’une solution sur le fond ou à son engagements pris. explication, voire pire encore à son imposition.

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Loic Blondiaux inscrit son propos dans l’approche des sciences politiques.

Il existe une distinction complémentaire entre les notions de négociation et de participation avec les définitions et les mécanismes admis et connus de la concertation.

Il rejoint Alain Lempereur sur la nécessité de repenser les mécanismes de leadership en y introduisant la On a encore trop souvent tendance à confondre notion de représentation. On a eu l’habitude de parconcertation et communication, dans le sens ou une ler de représentation (politique) comme un phénomène de simple substitution, d’incarnation d’un groupe par « Pour s’assurer d’une négociation efficace, il faut identifier à un individu. Les problématiques actuelles de la concertal’avance, les parties prenantes. Or dans la plupart des disposition pour les projets industriels tifs de concertation les acteurs sont en modification constante conduisent aujourd’hui à envirendant très complexe la stabilisation du jeu des acteurs. » sager la représentation politique comme un processus plus complexe, plus transversal. information explicative suffirait à vaincre les opposi tions et susciter l’acceptation. Pour lui il existe encore une forme d’indétermination de la notion même de concertation. Ce schéma est aujourd’hui refusé par toutes les catégories de public. La concertation est une notion évoquée en droit fran-

« Pour qu’il y ait une bonne négociation, il faut un accord sur les règles du jeu, or dans les mécanismes classiques de concertation il y a rarement un moment préalable spécifique à cet accord mais plutôt une définition unilatérale. »

La place du tiers garant est cruciale et nécessite son indépendance des maitres d’ouvrage à l’image du rôle de la Commission Nationale du Débat Public en France.

çais sans que ni la législation ni la jurisprudence de définissent clairement quels sont les principes qui se cachent derrière.

Il définit deux rôles majeurs du tiers garant, tout en soulignant la difficulté d’assurer ces rôles simultanément :

Loic Blondiaux fait ensuite référence aux travaux de Sherry Arnstein et à son échelle de la participation :

• Le premier est de rapprocher les parties et de proposer des alternatives permettant la résolution des conflits ou l’avancée vers un compromis.

• la « Non participation » dans laquelle on retrouve la Manipulation et la Thérapie (donner des exutoires) • la coopération symbolique (tokenism en anglais) qui comprend l’Information, la Consultation avec écoute sélective • la « Placation » qui se rapproche le plus de ce que l’on considère en France comme la concertation. C’està-dire une communication réelle les citoyens mais où la décision finale reste cependant au leader. • le Partenariat qui introduit une négociation et une écoute attentive aux parties prenantes • le Pouvoir délégué puis le Contrôle Citoyen où l’on bascule dans la complète délégation du pouvoir et la co-construction des décisions par l’ensemble des acteurs.

• Le second est d’approfondir les controverses, de lever des zones d’ombre ou de s’assurer que les points de vues qui ne sont pas présents, puissent également être représentés et visibles. Se pose enssuite la question de la nécessaire professionnalisation de ce rôle de tiers garant, facilitateur de la concertation. Il faut que cette professionnalisation soit mûrement réfléchie car elle peut comporter le risque de générer des inégalités dans le dispositif, en donnant un poids trop grand à cette tierce partie avec les risques de manipulation que pourrait engendrer cette influence excessive

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Loic Blondiaux conclut en évoquant la nécessaire professionnalisation de ce rôle de tiers garant, facilitateur de la concertation. Un participant interroge les intervenants sur le rôle et l’indépendance des tiers garants dans un système où les mandataires sont les maitres d’ouvrages, donneurs d’ordre de la concertation. Loic Blondiaux confirme que cette donnée d’indépendance, notamment financière, des tiers garants est essentielle.` Un autre participant souligne l’importance de prendre en compte l’historique de l’ensemble des échanges sur une question avant d’aborder une concertation ou même un simple dialogue et d’anticiper ces mécanismes, bien en amont. Un participant conclut sur la professionnalisation de ces médiateurs, pour souligner qu’en plus d’un cadre professionnalisant, la fonction nécessite surtout un cadre éthique et déontologique fort au regard des enjeux de la mission et du « métier » de ce tiers garant. Ainsi que cette professionnalisation doit aussi concerner l’ensemble des acteurs décisionnels dans ces mécanismes de concertation.

Ouvrages sur les différents principes du leadership : “Faciliter la concertation. D’un bon processus à un bon consensus” de Lawrence Susskind, Yann Duzert et Alain Lempereur “Méthode de médiation. Au coeur de la conciliation” d’Alain Lempereur, Jacques Salzer et Aurélien Colson “Leadership responsable” d’Alain Lempereur “Leadership without easy answers” de Ronald A. Heifetz “King Arthur’s Round Table: How Collaborative Conversations Create Smart Organizations” de David Perkins “Encyclopédie des diversités” de Jean-Marie Peretti

« Pour qu’une négociation aboutisse, il faut que l’ensemble des acteurs aient cet aboutissement comme objectif. Or, dans beaucoup de concertations, il existe une part d’acteurs dont l’objectif est plus l’empêchement de la concertation que son aboutissement »

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Table ronde 1

Articulation entre management de projet, développement durable et concertation. Comment construire la légitimité d’un grand projet ? Intervenants :

Alexandre Braïlowsky, direction de l’ingénierie sociétale - Suez Environnement

Christian Caye, délégué au développement durable, M. Caye Jean-Marc Dziedzicki, chef de l’unité concertation et débat public à Réseau Ferré de France, maître de conférences à l’université de Luxembourg

Table ronde animée par Thiébaut Viel, consultant fondateur de CO3 Thiébaut Viel : La conférence d’introduction a positionné le besoin de concertation, au départ comme une contrainte réglementaire mal définie, qui a provoqué une évolution sociétale induisant un changement dans les modes de leadership. Comment, dans le cadre de la concertation appliquée aux grands projets, cela s’articule-t-il ?

De plus, désormais, les concertations dépassent largement le cadre règlementaire (ex : Gare sur ligne de moins de 30km, la concertation s’étend à toutes les communes concernées).

Pour un représentant de TOTAL cela parait normal. Dans les pays anglo-saxons, le rôle que les référentiels de la Banque mondiale et AFC « A RFF, c’est le Débat Public obligatoire qui a mobilisé l’entre- donnent à la concertation est plus orienté vers « l’engagement » qui prise jusqu’à la création d’un service dédié. Le levier au départ, va au-delà de la simple écoute : il c’est la loi, le règlement. » faut prendre en compte les avis des « stakeholders », contrairement à la législation française qui ne l’impose pas. Faut-il lier les notions de management de Projet, avec la concertation, et avec le Développement Durable ? Et Pour Alexandre Braïlowsky, le vrai point de départ est qu’est-ce alors qu’un projet « légitime » ? sociétal, c’est une pression extérieure. Pourquoi on le fait au final? Parce que l’être humain ne veut plus être La concertation a donc une origine législative : Mais l‘objet du travail des autres. Donc il faut être capable respecter ce cadre règlementaire, est-ce que cela sufde construire cette logique d’intérêt partagé, renforfit à légitimer un grand projet ? cer la compétence et la capacité dans l’écoute, le dialogue et la concertation. Pour Jean Marc Dziedzicki, c’est bien entendu nécessaire mais cela ne suffit pas. Il faut juste se souvenir Chaque institution a la responsabilité d’arriver à ce que sans cette imposition du départ, n’existerait pas processus de concertation dans les meilleures condicette démarche. Donc heureusement que ce cadre tions possibles, elle doit fixer le cadre, et donc elle crée législatif est là pour impulser certaines volontés. des lois. Notre Cœur de métier (à GDFSUEZ) , en tant que délégataire de la gestion de services publics, est Mais aujourd’hui, c’est un levier dont on peut (la plubasé sur une dimension organisationnelle qui implique part du temps) se passer : la culture de la concertaune répartition des rôles et responsabilités entre la tion se développe ; cela se manifeste notamment par puissance organisatrice, l’entreprise, et les citoyens. l’embauche d’experts de la concertation, d’un profil non ingénieur.

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. Il faut pouvoir mettre en place des méthodes qui permettent de mettre en oeuvre cette répartition afin que les décisions prises soient le plus rationnel possible et surtout partagées par l’ensemble des acteurs Le cadre législatif est donc également nécessaire car il est incitatif et permet de créer des outils d’évaluation. D’un pays à l’autre les choses ne sont pas si évidentes. Deux pays semblent les plus avancés : l’Australie et le Brésil, chacun avec ses caractéristiques culturelles. Christian Caye : La loi fixe les règles de base, mais aujourd’hui cela ne suffit pas. Selon les acteurs, leur rôle dans le projet, les activités sont très différentes. Par exemple chez VINCI, ce sont 250000 chantiers qui sont réalisés chaque année. Qu’il s’agisse de créer un objet décidé par d’autres personnes (la plupart des cas) ou de le financer, ou de l’exploiter. Dans ce contexte, VINCI est un acteur parmi d’autres, qui doit travailler avec tous les autres. Car très tôt maintenant, les équipes projets intègrent les problématiques de concertation, même si cela ne relève pas forcément de la concertation : l’habitude est prise de s’assurer de la bonne compréhension des territoires, de bien connaître les jeux d’acteurs, etc. C’est une évolution par rapport au métier de l’ingénieur « classique » pour qui les raisons techniques prédominent et pour qui « le ferroviaire, c’est bien et cela ne souffre pas de contestation ». Cela construit une vision plus globale du projet et a profondément modifié les manières de travailler : avant l’équipe concertation faisait partie des équipes projets. Maintenant, elle intervient en appui, en conseil, car le projet se dote de ses propres ressources de concertation. Cela a été à RFF une démarche « bottom-up », qui a provoqué de profondes modifications en interne. Demeurent deux difficultés cependant : • Il faut maintenant gérer le décalage avec l’environnement (élus, préfets..) qui n’a pas connu ce phénomène d’apprentissage. • La concertation cela prend du temps, ne serait-ce parce qu’elle heurte les pratiques courantes Enfin, un autre phénomène que j’ai observé est que l’expertise (de RFF) est remise en question par les autres acteurs. La concertation doit donc contribuer à favoriser l’expertise collective.

Et si la concertation est de la responsabilité des « patrons » pour les chantiers de courte durée (et cela relève alors de la négociation contractuelle), sur les grands chantiers, c’est un jeu multi acteurs, et la loi ne suffit pas (elle est même inexistante dans certains pays) : il faut donc savoir s’organiser pour répondre à ce besoin, et même en faire un avantage compétitif. Ainsi, il n’existe pas chez VINCI une structure de concertation dédiée, c’est chaque projet qui la met en place. Thiébaut Viel : Nous sommes donc autour de cette table tous convaincus qu’une telle démarche est obligatoire, et même utile. Mais pour ceux qui vivent les projets, s’agit-il d’une évolution des pratiques, ou véritablement d’une révolution ? Pour Alexandre Braïlowsky,il est difficile de répondre car c’est spécifique à chaque métier. Dans le notre de Délégation de gestion de service public, la place de l’usager est fondamentale. Le contexte extérieur a changé. Les contrats sont dorénavant gérés avec la société civile, et non plus uniquement entre une autorité de gestion et une entreprise. Il faut donc gérer différemment, et l’impact sur le management de projet sera plus ou moins important selon que vous considérez cette évolution comme une contrainte ou une opportunité. Jean Marc Dziedzicki, à RFF, constate une vraie évolution dans les pratiques des équipes et de l’entreprise, mais de manière très progressive. Cela a été assez lent. Il faut être très patient. Question du public : Vous avez dit que les entreprises rentrent par la contrainte, comment elles en sortent par l’opportunité ? Alexandre Braïlowsky : Notre politique sur le sujet a été fortement influençé par le passage d’un modèle français, qui se confronte à l’international. Au départ cela se passe très bien, car les résultats sont techniquement très bons grâce à ce savoir-faire. Mais un jour, malgré de bons indicateurs techniques et économiques , des événements politiques font qu’apparaissent des rejets. Il y avait alors deux réactions possibles : soit, on occultait le problème, soit on réalisait un exercice d’analyse de nos erreurs.

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C’est ce que nous avons fait, avec ce constat : la première erreur, c’est que nous vivons beaucoup trop sur nous même, sans construire d’ancrage territorial, d’alliance, d’insertion locale, et nous travaillons pour y remédier.

Notre approche est passée par l’analyse du cycle de vie de l’ouvrage, de ses impacts et des parties prenantes concernées : les acteurs sont différents sur chaque étape de ce cycle de vie. Du fait de cette multiplicité, il devient impossible en théorie de faire l’économie de discuter avec eux, tous, et sur chaque étape. Cependant c’est un exercice que personne ne sait faire encore car les acteurs varient sans cesse, rien n’est figé. Mais celui qui montre la meilleure capacité à le faire, saisit une vraie opportunité : c’est un axe de différenciation et de compétitivité par rapport aux concurrents.

« Au départ cela se passe très bien, car les résultats sont techniquement très bons grâce à ce savoir-faire. Mais un jour, malgré de bons indicateurs techniques, des événements politiques font qu’apparaissent des rejets.»

Donc aujourd’hui, tout ce qui est mis en œuvre pour favoriser cet ancrage est devenu une valeur ajoutée dans l’offre de l’entreprise, comme par exemple pour l’Australie (dont les procédures en la matière sont assez exemplaires) : au lieu de mener une procédure d’Appel d’offres publique classique ou tout le monde fonctionne « à l’aveugle », les délégations sont concédées suivant un processus de concertation, qui met plus d’un un an, mais permet cet ancrage : à partir d’un besoin qui n’est pas uniquement technique, et qui exige de valoriser dans le prix au m3 toutes les activités liées soit à l’environnement, la concertation, l’implication sociale, etc. Et dans l’offre, est jugée la capacité d’organiser tout cela, avec les méthodes, les outils, les formations. Le concédant rencontre les équipes qui vont être mobilisées pour évaluer leur capacité à mettre en place le volet sociétal de l’offre. Autre exemple : à Haïti, l’Appel d’offres a été remporté (et doit être réalisé en toute transparence et sans bénéfice autre qu’un investissement en terme d’image) car notre réponse était conforme aux attentes du client grâce à des discussions très en amont. Si l’on considère que la concertation c’est répondre aux attentes des clients, d’une contrainte elle se transforme en opportunité. Christian Caye : Sur la question évolution/révolution, quelque chose de très puissant s’est passé. A l’origine, VINCI est un regroupement de sociétés d’ingénieurs et d’entrepreneurs. Il y a donc historiquement deux activités : construction et exploitation. Mettre de la confiance entre les acteurs internes (dans des entreprises qui étaient concurrentes entre elles sur les mêmes marchés au départ) n’a pas été simple.

Ainsi, comme sur chaque projet, sur la durée de vie du projet, les parties prenantes évoluent, il faut sans cesse développer des méthodes et des outils. Cela devient même une demande de certains clients de disposer de ces outils. De plus, le cas de VINCI est particulier : nos chantiers sont très visibles et peuvent vite faire l’objet de l’attention des médias. VINCI est toujours mis sur le devant de la scène, même s’il n’est pas l’instigateur des projets. Il nous faut donc être en mesure de répondre à ces enjeux, et c’est pourquoi nous avons investi sur ces démarches. Question du public : Le cas des aménageurs est à part, ils réalisent continuellement des projets, c’est leur cœur de métier. Mais pour d’autres industriels qui construisent des usines une fois tous les 15-20 ans sans avoir développé cette compétence, comment adopter cette approche différente, car la prise de conscience du risque de rejet n’est pas présent dans ces entreprises ? Alexandre Braïlowsky : Il faut d’abord avoir conscience d’une chose : La responsabilité ne se délègue pas, et c’est de la responsabilité du pouvoir public, c’est à lui d’organiser ce processus de concertation, pour par exemple accompagner l’implantation d’une usine chimique. Or on observe une tendance dangereuse ; on critique le privé et on l‘incite à se substituer encore plus au pouvoir public alors qu’il faudrait en renforcer les prérogatives, pas pour se défausser sur lui, mais pouvoir travailler dans un cadre serein. Ce qu’on observe au contraire, c’est la perte de légitimité du pouvoir public sur ces sujets. Et comme le privé a besoin d’avancer plus vite que ne le peut le pouvoir public, il se substitue à lui, et c’est dangereux.

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Un représentant de TOTAL : Un mot clé pour une telle démarche est « anticipation ». Il faut faire cette anticipation pour faciliter le débat public, et donc convaincre les ingénieurs et décideurs de l’entreprise de la faire. Aujourd’hui, nous avons l’argent au moment de construire, mais il faut engager des actions, qui ont aussi un coût, limité mais significatif, avant ce temps de la construction. L’entreprise peut venir voir les parties prenantes, les identifier en amont et les catégoriser (opposants, partisans, acteurs actifs, passifs…). De plus cela montre qu’on les écoute… Thiébaut Viel : Vous mettez le doigt sur un des fondements du problème, il faut débourser de l’argent avant de construire, de plus en plus en amont même. Mais pour convaincre, sommes-nous capables de mesurer ce que nous faisons gagner après ? Christian Caye: si je reviens sur la question initiale des démarches de concertation pour une usine, il y a effectivement quelques outils pour cela, et en premier lieu il ne faut pas accepter de prendre la responsabilité des autres.

Jean Marc Dziedzicki : Nous constatons une émergence de profils issus des formations qui se mettent en place dans le domaine sociétal. Ces profils ont une fibre plutôt environnementale, et trouvent à travers les questions de dialogue et concertation matière à rentrer dans ces sujets. Cela apporte une « émulsion » intellectuelle intéressante. Mais la plupart des gens qui travaillent sur ces sujets restent des « ingénieurs recyclés », qui ont une connaissance de l’entreprise, et font que cela reste bien « ancré » et « cadré ». Alexandre Braïlowsky : Il ne faut pas se leurrer, c’est le monde extérieur qui conditionne les choses. Il faut être plus alarmiste que cela. Les choses évoluent très vite et nous sommes en retard. Aujourd’hui, l’éducation en France en général y compris la formation de nos élites est très loin de ces problématiques et n’intègre pas ces concepts de savoir être, « behaviour » en anglais, je dirais même que notre système éducatif trop compétitif est, dans une certaine mesure, antinomique avec toutes ces démarches de concertation. Question du public : Est-ce que la fonction DD dans l’entreprise ne regroupe pas justement toutes ces compétences ?

Combien çà coute si on ne le fait pas ? Il existe quelques études, et toutes montrent que cela coûte beaucoup moins « La cartographie des parties prenantes permet de suivre les cher de le faire avant que engagements et la répartition des rôles et des responsabilités contraint et forcé.

dans la durée, à partir du moment où nous sommes arrivés à nous mettre d’accord sur un cadre.»

Question du public : si on veut anticiper, informer, communiquer, réfléchir à la façon dont cela va être fait, est-ce le boulot des ingénieurs, qui ont des responsabilités et une culture essentiellement techniques ? Au niveau des pouvoirs publics également, nous avons parlé des préfets, ont-ils cette culture ? Alexandre Braïlowsky : il faut adapter les projets aux besoins des gens (par exemple, un aéroport ce n’est pas fait que pour les avions), ce ne sont pas que des objets techniques. Il faut également être capable d’adapter les discours sur la forme, car une mauvaise forme peut nuire, même s’il n’y a pas de désaccord sur le fond.

Alexandre Braïlowsky : le DD est une politique publique et donc la somme de la contribution de tous les acteurs, dont nous faisons partis, sans être les seuls. Je ne porte pas l’étiquette DD, je ne veux pas la porter, et c’est pour cela. Christian Caye : je m’occupe du DD et de la R&D. Quand on s’occupe de R&D, la question est : « qu’estce qui va se passer dans notre business dans les 5 à 10 ans à venir et qu’est-ce qu’on met en place pour y répondre ? ». Si on s’occupe de DD, l’objectif est bien d’anticiper ce qui va se passer à un horizon moyen long terme. Avec une demande qui évolue et se repositionne sur les préoccupations des gens, sociales, et environnementales. Cela associe donc les deux aspects.

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Mme Karine VIEL (Comité 21) : Je reprends la question sur l’ancrage dans le temps, et des nouvelles compétences à acquérir ; il existe donc maintenant des services supports dans les entreprises, ce qui signifie faire venir des nouvelles compétences, des nouveaux profils. Comment cela se fait ? Est-ce un choc culturel de faire venir des gens issus d’ONG ? Un représentant de TOTAL : Chez TOTAL, nous avons créé un métier sociétal avec des anthropologues, des agronomes issus d’ONG, etc… Ce métier sociétal est lié au métier HSSE. Nous mixons des gens « anciens de la maison » avec une expérience essentiellement technique et un profil plutôt d’ingénieur, avec des plus « jeunes » qui ont une expérience sociétale, et une formation en sciences humaines. Ce mix fonctionne très bien, et crée une sensibilisation réciproque et un apprentissage. Les RH créent pour ces formations « atypiques » un parcours spécifique.

« Les choses évoluent très vite et nous sommes en retard. Aujourd’hui, la formation de nos élites françaises est très loin de ces problématiques, je dirais même antinomique avec toutes ces démarches de concertation. »

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Table ronde 2 De la consultation a la co-décision.

Comment impliquer les parties prenantes dans la conduite du projet ? Intervenants :

Maryse Arditi, pilote du réseau risques et impacts industriels et de la mis-

sion exploratoire énergie, directoire du pôle industrie produits et services (bénévole), France Nature Environnement

Loic Blondiaux, professeur à l’université Paris Panthéon Sorbonne et coanimateur de l’Institut de la concertation

Thierry Hommel, enseignant-chercheur, chargé de mission, ANSES Table ronde animée par Lionel Bobot, Professeur à NEGOCIA

Thierry Hommel énumère les questions soulevées par le sujet de la table ronde : le public est-il compétent ? Quand doit-on l’impliquer dans le projet ? Comment l’impliquer dans le projet ? Que veut-on faire des résultats de la concertation ? (…) Le titre de la table aurait dû être : de l’information à la participation. Car la consultation ressemble souvent à une simple information. Et la co-décision est encore rare, voire inexistante. Pour Maryse Arditi, l’information est une nécessité. Le cas du gaz de schiste prouve que la polémique se nourrit de l’absence d’information ou de l’information tardive. Il est ensuite très difficile de « rattraper le coup ». La consultation est théoriquement réalisée dans les débats publics supervisés par la CNDP. Chaque personne peut remettre à la commission un document résumant sa position et celui-ci est édité sous forme de «cahier d’acteur Le débat public permet en principe de poser la question de l’opportunité mais le court-circuitage de la procédure par l’Etat est fréquent.

On en trouve une illustration dans les projets nucléaires ou plus récemment le moratoire sur les projets photovoltaïques. Les associations ont été consultées. Ces dernières ont fourni un important travail d’argumentation et de synthèse de leurs positions. Au final, le document de synthèse ne comportait aucune trace de ces contributions externes à l’Etat. Pour Loic Blondiaux, France Nature Environnement a joué le jeu de la concertation. FNE s’est situé entre la prise de parole contestatrice et la loyauté mais elle n’a pas été récompensée. Trois options s’offrent au public : indifférence (Exit), prise de parole mais contestation des règles du jeu (Voice) et loyauté (Loyalty). De nombreuses concertations se déroulent sans public en France. On ne peut pas parler de co-décision en France. Faut-il parler de co-décision ou de co-responsabilité ? La co-décision est peut être un piège car elle empêche les associations de jouer leur rôle critique. C’est l’exemple donné par la Big Société voulue par David Cameron en Grande Bretagne. L’Etat s’est désinvesti. La critique est désamorcée car les émetteurs de la critique sont désormais acteurs. 11


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Bertrand PANCHER intervient pour souligner l’importance de la question de la représentativité des associations. Quels sont les critères de la représentativité ? Il estime que les critères de la représentativité sont subjectifs. Une petite association proche du terrain peut exprimer un point de vue plus représentatif qu’une association nationale déconnectée. Patrick LEGRAND précise que les débats publics débouchent désormais sur une forme de « Contrat Social de fin de débat public ». Son caractère normatif n’est pas total mais l’entreprise est malgré tout liée par ses engagements pris publiquement.

« Les 3 impératifs de la concertation : dire ce qu’on a entendu ; dire ce que l’on va faire, expliquer ce que l’on ne va pas faire »

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Conférence plénière Concertation d'entreprise et concertation de projet Comment inscrire la necessite de l'échange dans la durée ?

Paul Carriot,

président de la Commission concertation et médiation environnementale à l’AFITE -

Bertrand Pancher, président de Décider Ensemble, député de la Meuse Hélène Valade, directrice du développement durable de Suez-Lyonnaise des Eaux, présidente du collège des directeurs du développement durable

Karine Viel, directrice du Pôle Entreprise du Comité 21 Table ronde co-animée par

Alain Lempereur,

professeur à l’ESSEC et par

Ywan Penvern, consultant fondateur de CO3. Bertrand Pancher introduit la conférence sur les principes de gouvernance et de concertation et en particulier sur la comparaison entre les pratiques françaises et celles des autres pays occidentaux en mettant en lumière les écarts qu’il existe.

Elle décrit les systèmes d’écoute mis en place en externe (site internet interactif, forums d’expert animés par des tiers indépendants de l’entreprise) et en internet de l’entreprise. Elle insiste sur la nécessité d’inscrire dans un temps bien défini ces étapes pour s’assurer de la disponibilité des acteurs.

La démarche de Décider Ensemble, qu’il préside, est de promouvoir des principes de concertation innovants Elle décrit ensuite comment son organisation a choisi pour faire évoluer les pratiques en la matière. Il soud’inscrire dans le temps la poursuite de cette démarche ligne l’évolution du comportement et des attentes des par la création d’un conseil d’orientation stratégique parties prenantes citoyennes, de plus en plus concernées, de plus « Cela nous a permis de parvenir à un diagnostic partagé de en plus informées et formées.

l’ensemble des futurs enjeux de l’entreprise pour définir les

Héléne Valade présente la dépriorités de notre stratégie » marche originale menée par la lyonnaise des eaux en matière comme outil de gouvernance pérenne incluant les parde concertation. Elle rejoint les propos de B. Pancher ties prenantes qui sera consulté à intervalles réguliers. sur l’évolution des comportements. « Nous sommes passés d’une logique de concertation orientée sur l’acceptabilité des projets vers des principes basés sur la représentation de l’intelligence collective avec un rôle actif des parties prenantes dans la démarche. » Elle précise ensuite la logique de Lyonnaise des Eaux pour repenser sa stratégie d’entreprise en se basant sur une concertation large de l’ensemble de ses parties prenantes.

Paul Carriot, médiateur de concertation en entreprise au sein de l’AFFITE, souligne les liens forts qui existent entre pratiques de concertation et pratiques de médiation. Motivés par la pédagogique de l’échec ou par un souci d’exemplarité ; les entreprises sont souvent confrontées à des freins internes qu’il est essentiel de traiter avant de s’ouvrir vers des principes de discussion tournés vers l’externe.

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Karine Viel présente les activités du Comité 21, association loi 1901, et notamment son rôle de facilitateur ou tiers garant dans les concertations menées par ses entreprises adhérentes. Ce rôle se traduit par la proposition de panels de parties prenantes, de définir les règles partagées pour la conduite de la concertation dans la durée.

Alain Lempereur distingue trois temps dans l’histoire de la concertation. Il y a eu celui des pratiques anciennes qui concevaient la concertation comme un appendice de la décision prise. La concertation se réduisait à des opérations de communication, de vente ou de marketing d’un projet déjà ficelé ; c’est « le temps des erreurs ».

Outre le fait d’avoir une analyse critique des pratiques des entreprises, notre but est de décloisonner les services pour « On travaille à la prise de décision, mais la concertation assurer une conduite commune s’arrête avant la prise de décision et il peut y avoir dans ce type autour d’objectifs partagés

de concertation une dissonance entre le débat et la décision,

Hélène Valade évoque les tiers dissonance qui ne passe pas auprès des citoyens et qui donne garants et la possibilité de laislieu à la dénonciation de concertation alibi. On a mis en avant ser le soin à ces tiers le choix des préoccupations, des débuts de solutions et la décision du panel des parties prenantes à mettre autour de la table des prise est en décalage par rapport à ces échanges en amont. » négociations. Elle insiste sur le rôle essentiel des temps de la concertation comme un enjeu Vient ensuite « le temps des essais », introduimajeur des années qui viennent, notamment pour les associations qui s’interrogent beaucoup sur les sant les techniques de cartographie des relations, moyens et le temps accordés à ces différentes étapes permettant de s’orienter vers une « concertation/ de la concertation. consultation » avec un renforcement des compé« Organiser les choses dans des formats extrêmement bien établis et surtout bornés dans le temps, quitte à élargir la consultation une fois qu’une étape est terminée, me semble de nature à apporter un début de réponse »

tences au sein des organisations. Mais la lame de fond n’avait pas encore eu lieu. Seuls des îlots de transformation apparaissaient.

Nous sommes arrivés au troisième temps, « le temps de l’entreprise » où la performance de la concertation passe par un système de « concertaBertrand Pancher souligne que le dialogue avec les tion/contractualisation ». La concertation ne doit parties prenantes n’est pas en lui-même, le simple garant de la réussite d’une concertation. pas être seulement une compétence des tiers ou de quelques individus isolés, mais une compétence « On a essayé que les acteurs des consultations gouverne- des organisations, percolant mentales soient désignés avec des critères de représentativité de la base au sommet. Les entreprises doivent devenir mais des efforts restent encore à faire. » négociatrices ; pas seulement quelques uns de leurs cadres isolés. Parfois un simple état des lieux partagé, par une expertise pluridisciplinaire mais non contestée peut suffire. Quand le constat n’est pas partagé, la concertation avec les acteurs peut ne pas suffire, il faut alors aller rencontrer l’opinion publique. Il rappelle que les schémas de consultation dépendent essentiellement du paysage des parties prenantes en face du projet. Pour lui la notion de représentativité des acteurs doit également tenir compte de la dimension médiatique et de façon dont on associe les médias à ces schémas.

Dans ce contexte, la concertation débute le plus en amont possible de la prise de décision et, audelà de la contractualisation de la solution, se poursuit bien en aval de la décision.

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Hélène Valade reprend la parole pour évoquer les synergies qu’il peut exister avec la mise en place des démarches DD/RSE au sein des organisations, notamment à travers la définition d’indicateurs de suivi comme outils de dialogue avec les parties prenantes. Bertrand Pancher insiste sur la nécessité de contractualiser sur les méthodes pour éviter les contestations de type « Concertation alibi ».

Patrick Legrand termine le débat en soulignant une nouvelle fois l’importance du manque de temps des différents acteurs et la nécessité d’en tenir compte dans les schémas de concertation et le rôle de « maître des temps » de la concertation de la CNDP.

« Il faut que la qualité de la décision prise apparaisse comme telle aux yeux des parties prenantes, jusqu’à sa réalisation dans la réalité, au terme d’un suivi précis et pertinent. »

Il prend l’exemple du conseil économique et social européen qui travaille avec le parlement et la commission dans le cadre d’une contractualisation avec consultation de l’ensemble des acteurs puis d’un retour du décideur vers ces acteurs.

Il évoque également comme écueil des schémas de concertation : • la difficulté des maîtres d’ouvrage à expliquer leur processus de décision • la difficulté à resocialiser à grande échelle des débats tenus en petit comité.

« On a essayé de mettre en place des démarches similaires dans le cadre de la Commission Nationale du Débat Public où les maîtres d’ouvrages viennent répondre aux parties prenantes. On aurait aimé le faire dans le cadre des « Dans une concertation, même celui qui se tait est important, enquêtes publiques ; c’est encore car il est témoin et éventuellement rapporteur » difficile mais ça évolue» Karine Viel évoque la possible usure du phénomène de la concertation avec le temps, et l’importance de s’assurer de l’équilibre des intérêts de chaque partie prenante, avec la nécessité de faire une évaluation des démarches. « Avec l’évaluation, chacun se met dans une logique de progrès, y trouve son compte, et donc continue à collaborer à ce type de démarches » Jean-Marc Dziedzicki précise que ce principe de « rendre compte » est également la trajectoire qu’a prise l’évolution réglementaire au cours des années. La loi de 1995 instaurait l’obligation de débat public avec la création de la commission nationale du débat public, mais à la fin du débat public, il ne se passe rien.

En 2002, une nouvelle loi oblige le maître d’ouvrage industriel à rendre publique sa décision, 3 mois après la tenue du débat public. Enfin la dernière loi de juillet 2010, oblige le maître d’ouvrage à rendre une décision mais cette fois au regard des éléments soulevés lors des débats publics.

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Table ronde 3 L’avenir de la concertation est-il sur internet ?

Comment intégrer de nouveaux modèles et de nouveaux outils ? Intervenants :

Jean-Étienne Belicard, fondateur de WATCH, réseau de vigilance environne-

mentale en ligne

Benoit Thieulin, associé fondateur de l’agence La Netscouade (internet consultatif - participatif)

Table ronde animée par Marie Georges, consultant fondateur de CO3

Marie Georges : Internet pose la question de la représentativité dans les démarches de concertation. Comment peut-on donner plus d’impact à la parole des citoyens grâce à l’outil Internet ? Comment Internet permet une nouvelle forme de prise de parole et de démocratie participative ? Comment internet peut changer le paysage de la concertation ? Benoit Thieulin : Je dirige La Netscouade qui est une agence internet spécialisée dans le web social et communautaire qui est « née dans le débat » puisque j’ai participé à la campagne présidentielle, et surtout aux primaires autour de Ségolène Royal, qui ont été un terrain d’expérimentation de la manière dont on pouvait organiser des débats participatifs partiellement outillés par internet. « Partiellement » est important parce que les mécanismes de concertation se passent rarement de supports physiques, en revanche internet peut être le moyen de faire venir de nouveaux types de publics.

Jean-Étienne Belicard: Je ne suis pas né dans le débat puisque je viens du monde du jeu. J’ai en effet fondé un jeu social pour les adolescents qui s’appelle Urban Rivals, et à partir de cette action là, je suis venu à l’action environnementale. Le service Watch qu’on développe en ce moment n’est pas un outil de concertation mais il y a un lien avec le débat d’aujourd’hui dans la mesure où c’est un facilitateur logiciel indépendant. Ce n’est pas un service à but lucratif, aucun service n’est vendu, c’est seulement une plateforme logicielle qui a pour objectif de remplir certaines fonctions d’évaluation des sites environnementaux locaux. On s’adresse aux associations, aux militants, aux citoyens, aux collectivités et aux entreprises qui s’intéressent à des dossiers géolocalisés c’est-à-dire qui ont une présence géographique sur une carte. Les dossiers peuvent concerner la pollution des sols et de l’eau, les risques industriels, la protection de la nature, etc.

J’ai créé une agence par la suite, qui a multiplié les expériences en termes d’organisation de consultation publique et qui dérive aujourd’hui vers la réflexion et la conception de plateformes durables d’organisation de réseaux sociaux ou d’intranets sociaux et collaboratifs, à l’intérieur des entreprises ou de manière plus publique pour outiller une communauté d’usagers de services, de SAV, etc.

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Deux caractéristiques principales du site Watch : • Utiliser les réseaux sociaux pour démultiplier le recrutement et la participation en utilisant le caractère ludique des réseaux sociaux pour faciliter les témoignages. Cf. le service « Cause » sur Facebook. • S’appuyer sur une communauté indépendante d’experts et de lecteurs qu’on appelle à donner des informations objectives sur les sites : conformité règlementaire, conformité par rapport à des critères qui peuvent être règlementaires dans un pays mais pas dans un autre (le site est international), conformité par rapport à des critères normatifs, des bonnes pratiques, des témoignages sur la gouvernance dans un projet de concertation par exemple (manière dont les données sont accessibles ou pas, transparence, etc.), sur les impacts des nuisances. Tout cela s’appuie sur l’opinion des participants, qui est pondérée en fonction d’un système qui tient compte de leur expérience, de leur évaluation par les autres participants, sur le modèle de ce que font des sites comme www.wikipedia.org ou www.slashdot.org qui ont prouvé qu’on pouvait constituer un système de gouvernance décentralisée. Avec cette communauté, Watch vise à évaluer selon différents critères les différents dossiers de vigilance environnementale mis en ligne par catégories c’està-dire à dresser une liste ordonnée, hiérarchisée, des priorités d’action. C’est la grande originalité du projet, et un aspect qui manquait dans la gestion de la participation sur internet. La communauté fournit elle-même un palmarès des 50 projets industriels, des 50 les plus importants à l’échelle d’un territoire, d’une ville, d’un pays. Cela va permettre à un dossier d’acquérir de la visibilité donc la possibilité pour les gens d’inviter d’autres personnes autour du dossier, etc. C’est une technologie de hiérarchisation. Question du public : Qui sont les experts qui donnent leurs avis ? Des parties prenantes locales ? Jean-Étienne Belicard : Ce sont des citoyens qui sont appelés à participer sur des dossiers qui les concernent mais aussi sur des dossiers qui ne les concernent pas forcement.

On demande aux participants de donner leur avis les uns sur les autres. En fonction du nombre d’avis donnés, de l’historique de la personne dans le système, celle-ci gagne un degré d’expertise et un poids plus important dans la communauté. C’est le grand principe de la modération participative. Question du public : Qu’est ce qui rend l’ensemble qualitatif ? Comment peut-on juger l’avis de quelqu’un d’autre ? Jean-Étienne Belicard : Des filtres basiques de modération sont mis en place : est-ce que l’information est intéressante, biaisée, pertinente ? Le jugement se fait sur le caractère suspect ou non de la contribution, et la pertinence par rapport au débat. Marie Georges : Il y a aussi une forme d’auto-modération de la communauté. On sait que quand on donne son avis, la communauté est capable de réagir. Ce n’est pas forcément celui qui crie le plus fort qui est celui qu’on va entendre sur ce type de plateforme. Benoit Thieulin: Deux remarques pour réagir à ce qui vient d’être dit : Premièrement, Il faut vraiment utiliser une diversité de type de contributions possibles sur internet. Il y a des professionnels du débat public, qui ont des heures à y consacrer, qui vont donc utiliser tous les outils à leur disposition (forums, appels à idées, etc.) et vont lire toute la littérature en ligne. Pour eux il faut mettre en ligne le maximum d’informations. Mais en même temps, ce mode de participation très complet ne correspond pas à ce que la majorité des gens est capable de faire. C’est pourquoi il ne faut pas se priver d’un mode de participation plus léger car on se priverait d’un type d’avis important. Ensuite, Il faut profondément organiser les plateformes de consultation sur internet d’un point de vue à la fois social et méritocratique : • social car aujourd’hui toutes les plateformes de débat public sont des réseaux sociaux. Le réseau social (où l’on doit s’inscrire au préalable, créer son profil, entrer des informations personnelles, etc.) est là pour empêcher une prise de parole chaotique et pour permettre de décliner en ligne ce qui existe dans le débat physique (organisation des échanges, ordre du jour de la réunion, mise en avant des intervenants, etc.)

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• méritocratique pour deux raisons. D’abord afin de pouvoir valoriser le travail et l’implication des gens. C’est un peu un système à la Ebay, de notation avec des étoiles, de construction de réputation. Quelqu’un qui propose un contenu populaire va voir ses propositions valorisées. A contrario, quelqu’un qui pollue le site va finir par se faire exclure par la communauté elle-même.

2. De manière informelle, non structurée, spontanée et naturelle, internet devient le centre de l’espace du débat public. C’est le cas depuis une dizaine d’années. On ne l’a pas vu tout de suite mais on en a vu l’émergence aux EU à l’occasion de la guerre en Irak - le débat empêché sur les médias traditionnels s’est déporté et organisé sur internet – et aussi en France en 2005 avec le traité constitutionnel européen, premier grand débat public qui, dans un contexte similaire de consensus des medias pour le « oui », va proposer une

Ensuite afin de rendre le travail de modération plus aisé, un facteur clé du débat public sur internet est d’afficher les objectifs du débat, afin que les gens comprennent « Aux côtés des outils de participation sophistiqués, il faut les objectifs et en voient les propenser des contenus synthétiques, pédagogiques, simples cess de traitement. Ce qui mar(infographies, vidéos, etc.) Il faut aussi proposer des types chait sur Désirs d’avenir était de participation très rapides comme par exemple hiérarchiser qu’on faisait des synthèses et les propositions des autres : je n’ai pas forcément d’avis en qu’on montrait la manière dont les messages étaient traités. Le propre mais je peux avoir un avis sur celui des autres. » process était transparent. Quand on eu trop de messages à traiter, on est passé à un système de régulation semi-communautaire : les gens thématisaient une partie des propositions qui étaient faites et votaient, de manière à ce que nous n’ayons plus à nous consacrer qu’à celles qui étaient mises en avant par la communauté. Cette possibilité de reverser à la charge de la communauté une partie du traitement des contenus et des propositions qui émergent des débats est particulièrement intéressante car un débat sur internet peut susciter énormément de contributions. Benoit Thieulin:: Au-delà de ces questions, ce qui me paraît important quand on parle de concertation sur internet ce sont les points suivants : 1. Le mouvement de participation et d’implication des citoyens dans les débats publics émerge bien avant internet. Internet n’a pas inventé ce genre de procédé mais il est arrivé pour massifier et accélérer cette demande qui était exprimée dans la société. Les procédures sont d’ailleurs bien plus sophistiquées dans le monde physique que dans le monde numérique, même si le numérique est en train de rattraper son retard.

information alternative et un lieu d’organisation du débat public. Le point de bascule dans l’opinion se situe au lendemain des élections européennes où une majorité des Français disent qu’ils ont trouvé l’information qui a guidé leur choix sur internet. Les medias traditionnels continuent de tenir l’agenda médiatique car on ne touche jamais aussi facilement 5 millions de personnes d’un coup qu’avec le journal de 20 heures. Mais en revanche si la télévision structure le débat, ce n’est pas là qu’il a lieu, parce que les sujets ne sont pas traités en profondeur. La TV suscite des débats qui vont avoir lieu ailleurs et se déportent sur internet. 3. Dans les procédures de concertation, l’entrelacement physique -numérique est clé. Le web marche bien mais ne marche pas seul. Facebook ce sont des relations sociales assistées par ordinateur. Un débat public, quand il est outillé sur internet, c’est souvent davantage une manière de pouvoir prolonger les débats entre plusieurs réunions physique que de remplacer le débat physique. Internet permet de rééquilibrer les modes de représentation. Les personnes qui prennent la parole sur internet et dans le débat physique ne sont pas les mêmes. Il ne faut pas opposer les procédures physiques et numériques car elles se complètent.

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L’historique des contributions des gens est totalement Question du public : Dans le débat public sur le Grand public, ce qui apporte des outils pour renforcer l’objecParis il y a eu des centaines de contributions sur intertivité du débat et limiter l’effet pervers des gens qui net, et ce ne sont pas les mêmes gens qui s’expriment voudraient tricher. là que dans les débats physiques et les cahiers d’acteurs (qui sont des personnes qui ont pignon sur rue, une fonction de représentation sociale…). Quand il y a un trop grand nombre de question, qu’est ce que cela devient « Avec internet, on élargit aussi le spectre de la consultation sur internet ? Est-ce qu’on arrive au-delà de l’emprise géographique du lieu où l’on vit tous les à maitriser le nombre ? Comment ne pas perdre la richesse jours. Les gens vont s’intéresser aux lieux où ils partent en de ce qui s’est dit ? Comment vacances, où vit leur famille, etc.» d’un autre côté ne pas décevoir les gens qui ont donné leur avis ou posé des questions, et dont on ne tient pas compte ? Benoit Thieulin : Pour qu’un débat public se passe bien il faut mettre en débat quelque chose dont on souhaite vraiment débattre. Il faut aussi clairement afficher les types d’objectifs dans les débats (on veut changer une loi, réécrire un décret, etc.) et dans bien des cas ce n’est pas fait. Si c’est fait, il faut montrer les process. Ils peuvent être contestés mais si ils sont montrés on se prévaut des critiques de manque de transparence. Sur le traitement des idées, le monde numérique vient changer la donne. En 1993 quand Balladur a lancé un débat sur la jeunesse en partenariat media avec Skyrock, 500 000 réponses ont été reçues, et il a été impossible de les traiter. On en a pris 1000 au hasard et on a demandé à la SOFRES de les traiter. Dans le monde numérique, cela n’aurait posé aucun problème pour traiter les réponses. Par ailleurs, comme nous le disions tout à l’heure, une partie du filtrage est fait par la communauté ellemême. Jean-Étienne Belicard : Contrairement à ce qu’on peut penser, sur internet les gens font très attention à ce qu’ils disent. Par ailleurs, on va vers des technologies qui vont permettre à la communauté de hiérarchiser ses propositions. La moyenne des avis ne sera plus la moyenne simple mais la moyenne pondérée du degré d’expertise, de l’historique de celui qui émet l’avis, etc. Il y aura toujours des gens qui essaieront de contourner la règle (cf. jeux vidéos) mais internet permet de gérer cela et on peut être optimiste sur l’utilisation d’internet dans les débats publics. Les gens qui sont crédibles sur internet sont ceux dont l’historique des contributions est tracé.

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Table ronde 4 Les outils de management de concertation

Comment articuler concertation et gestion sans contradiction ? Intervenants :

Franck Baudin, directeur du développement de GEODEVE Nathalie Boyer, Délégué générale de l’association Orée Pierre-François Hugon, directeur d’unité Réseau Gaz, ERDF-GRDF Thiébaut Viel, consultant fondateur de CO3 Table ronde animée par Ywan Penvern, Consultant fondateur de CO3 Nathalie Boyer démarre le tour de table par la présentation des activités de l’association Orée. Créée en 1992, Orée est une association environnementale multi-acteurs qui regroupe des industriels, des associations, des collectivités, des académiques. Elle prône pour une intégration de l’environnement dans toutes les problématiques de territoire. Les principaux domaines d’intervention de l’association sont : - Biodiversité et économie - Eco-conception des produits et services - Expertise environnementale - Ecologie industrielle et territoriale dans lequel est aussi abordé les problématiques de transport de marchandises / logistique durables et de gestion durable des parcs d’activités - Les risques environnementaux pour les PME PMI et les collectivités - Affichage et reporting environnemental - Santé et environnement « Nous ne souhaitons pas publier les publications de « sachants » mais bien de mettre la concertation avec acteurs à la base des démarches » 2 autres priorités transversales : « sensibilisation à l’environnement » et « concertation » sont abordées dans l’ensemble de nos actions Orée a notamment produit le Vade-Mecum de la concertation dès 2003.

Un des buts de l’association est de développer des guides et outils en concertation avec l’ensemble de ses acteurs. « Nous ne souhaitons pas publier les publications de « sachants » mais bien mettre la concertation avec les acteurs à la base des démarches ». Tous nos outils sont disponibles en ligne sur le site internet d’Orée http://www.oree.org/ Orée a récemment mis en ligne une plateforme interactive pour fournir aux dirigeants PME/PMI et bientôt aux collectivités des ressources pour mieux gérer les problématiques liées aux risques environnementaux http://risques-environnementaux.oree.org/. Dans le cadre de sa priorité expertise environnementale, Orée, en collaboration avec des adhérents des secteurs privés, publics et associatifs, et de la consultation de divers organismes spécialistes de l’expertise, a défini une méthodologie pour mener un débat d’expertise libre et contradictoire. Le but n’est pas d’arriver à un consensus mais bien de faire s’exprimer l’ensemble des points de vue pertinents sur le sujet avec les convergences et les divergences. En 2010 /2011, Orée a souhaité tester cette méthodologie par un « forum » en trois étapes sur la question « Faut-il tout recycler ? ».

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Une quinzaine d’experts représentant les parties prenantes de la gestion des déchets (entreprises, écoorganismes, associations, universitaires) et une dizaine d’observateurs étaient présents. Ce débat a permis de revenir sur le bilan économique, environnemental et sociétal du recyclage, et sur ce que serait une gestion responsable du recyclage.

GRTgaz n’a pas choisi de faire appel des experts de la concertation lors des débats publics mais bien de former les équipes projet à gérer ce type de démarche, et cela, avec les contraintes de temps et d’investissement humain inhérentes à ce choix. Cela a permis de mieux penser nos outils de management, pour répondre à ces nouvelles exigences. Les plans d’actions et les outils de suivi, centré auparavant sur l’objet technique à réaliser, ont nécessité une adap-

Thiébaut Viel présente les activités de conseil du groupement CO3. CO3 [Conseil, Concertation, Communication] est une solution conseil conçue en 2008 par trois so« Chacun gère ses méthodes de management de projet en ciétés pour accompagner le management des grands profonction de sa maturité sur les principes de concertation et de jets industriels et d’infrastrucla culture « partie prenantes » de l’entreprise. » tures. CO3 vise à construire la légitimité des grands projets tation pour inclure cette donnée de manière efficace. en articulant concertation, développement durable, et gestion de projet. Ainsi les engagements de transparence et de concertation sont traités en actions à mener de la même Pierre-François Hugon intervient dans le cadre des manière qu’une action technique, en enrichissant nos fonctions qu’il a occupé en tant que directeur de prooutils de pilotage de projet. jet chez GRTgaz et notamment son suivi du débat public et son expérience de la concertation au sein du Franck Baudin : l’intégration du dialogue et de la projet Arc de Dierrey et du projet Cyrénée concertation s’inscrivent dans le cadre d’une démarche de progrès. Il s’agit d’une «révolution culturelle» qui a Franck BAUDIN intervient sur la mise en place de démarré il y a une dizaine d’années. démarches de dialogue local dans le cadre de la gestion de projets industriels complexes (environnement, Nous sommes passés dans certains cas d’un mode énergie, aménagement). «zéro information» à des modes successifs d’information, de transparence beaucoup plus importante et Ywan Penvern : Comment tous ces nouveaux principes jusqu’à des principes plus élaborés, issus du dialogue de concertation, évoqués aujourd’hui, ont changé local et dits de concertation. votre façon d’envisager le management de projet ? Il a ainsi été nécessaire de créer des outils pour accompagner cette évolution dans nos entreprises. Pierre-François Hugon : la concertation est dans les gènes de notre entreprise. La négociation est continue Mon rôle est d’aider les équipes locales à intégrer des avec les propriétaires des terrains traversés par nos caprocessus de dialogue dans les pratiques et le suivi des nalisations. Nos ingénieurs en charge des tracés savent projets. qu’ils manipulent un « objet social ». L’acceptation de Cela se fait sous plusieurs formes : nos projets est donc au cœur de nos métiers de ges• en amont : analyse stratégique des parties pretion de projet. nantes, diagnostic territorial • formation des managers et des collaborateurs au Notre volonté est de respecter les engagements pris dialogue dans le cadre de la concertation. Il faut que les enga• mobilisation des acteurs internes qui chacun à leur gements non techniques soient traités comme les niveau est un relai avec les parties prenantes sur le engagements techniques. Cela plaide pour un outil de terrain gestion global. • accompagnement opérationnel (inscription de phases de dialogue jusqu’à la mise en place de démarches de concertation plus globales) • partage d’expérience et amélioration des pratiques

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Thiébaut Viel : je rejoins M.Baudin sur l’importance de la formation des acteurs car les systèmes de management sont actuellement fondés sur le ratio coût/délai peu compatible avec l’exigence de dialogue. Il s’agit de faire sortir les purs techniciens de leur logique déterministe et rationnelle pour ouvrir leur champ d’analyse pour gérer l’informel et le non-rationnel. Il nous faut promouvoir une démarche de veille et de management de risque élargie. Jean-Marc Dziedzicki (RFF) fait remarquer qu’il faut une Direction engagée pour déployer une véritable démarche de concertation. On voit aujourd’hui que les principes de management et de concertation commencent à s’imposer dans les problématiques des grands projets. De plus les contraintes réglementaires grandissantes sur les études d’impact ou d’installations classées de ces projets, poussent également dans ce sens. La difficulté qui reste est de pouvoir appliquer ces principes à tous types de concertation, y compris pour des entreprises de plus petites tailles (PME, PMI). Thiébaut Viel évoque également la difficulté pour les projets plus ponctuels ou des cycles d’investissement plus long, de maintenir cette compétence concertation et dialogue entre deux projets très séparés dans le temps. La concertation d’entreprise doit être le relais de ces principes de concertation sur les projets y compris en phase d’exploitation. Pierre-François Hugon précise qu’il a effectivement bénéficié d’un soutien de sa Direction qui y voyait, non pas un impératif moral ou d’image, mais une opportunité pour définir de nouveaux modes de fonctionnement pour une entreprise nouvelle (suite à son émancipation progressive du Groupe GDF-SUEZ). D’ailleurs sur le projet Cyrénée (raccordement de la Corse au gaz naturel), GRTgaz a mis en place un «débat public volontaire» en travaillant avec la CNDP alors que les caractéristiques techniques du projet (inférieures au seuil de saisine de la CNDP) ne nous imposait pas cette forme de concertation similaire à un débat public de la CNDP.

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Conférence de clôture Les français et l’industrie

Comment rendre possible un projet d’industrie ou d’infrastructure en France ? Intervenant :

Patrick Legrand, vice-président de la Commission Nationale du Débat Public La méthode du débat public :

Des entreprises en charge de la cohérence territoriale

Les méthodes d’arbitrage et d’animation d’un débat public ne peuvent pas être standardisées car « c’est un art. Il ne faut pas des techniciens mais des sensibles. Quand je recrute les membres d’une Commission Particulière du Débat Public, je me demande : cette personne aime-t-elle les gens ? »

Le débat public fait émerger les nouvelles attributions de l’entreprise. Le public attend des entreprises qu’elles coopèrent pour optimiser le développement du territoire (ex. les externalités d’une entreprise peuvent devenir la matière première d’une autre – Ecologie industrielle).

Les bénéfices du débat public :

La notion de co-responsabilité des industriels émerge : « on en a marre de voir les tuyaux, les rails, les cables électriques, etc… Un jour, on dira non à l’un de vous [les industriels] et il paiera pour les autres ».

Elargissement des projets. Via le débat public, le projet « rentre technique et sort socio-technique ». Les entreprises intègrent alors les dimensions culturelles, géopolitiques, géostratégiques du projet. L’exemple du projet ERIDAN de GRTgaz : Le débat public a permis aux parties prenantes de comprendre les enjeux stratégiques du Débat Public. Pour l’entreprise, c’est l’opportunité de faire connaître le contexte de son projet et d’identifier les préoccupations du public. Initialement, la sécurité était considérée comme un sujet clef par l’entreprise et la CPDP. Mais la CPDP a constaté que la sécurité n’était pas un sujet de préoccupation pour les parties prenantes de GRTgaz. Elles ont globalement confiance dans le transport de gaz car, en France, il n’y a pas d’historique d’explosion ; il a toujours été géré par une entreprise publique ; et les équipes de « marcheurs » chargés de surveiller les canalisations enterrées témoignent du haut niveau de vigilance de l’entreprise (« on les voit marcher »). Le sentiment de confiance n’est pas basé sur des arguments purement techniques. C’est la raison pour laquelle les industriels ont intérêt à initier des démarches de débat public.

Plus c’est complexe, plus c’est démocratique Il faut utiliser la concertation non pas simplement pour échanger sur des projets mais pour définir des stratégies Plus le projet soulève de questions environnementales, économiques, sociétales ... plus le projet appelle la concertation, l’intégration des parties prenantes. Tous les publics peuvent légitimement s’exprimer. Exemple : une grand-mère qui se plaint parce que les subventions pour la crèche sont suspendues dans l’attente de l’arrivée des familles des salariés de la future infrastructure industrielle. Comment préparer l’entreprise à la concertation ? • Donner du temps pour la gestion de la concertation • Former les personnels à la concertation • Eviter de recourir aux services d’une agence de communication ; préférer une agence de relations publiques. • Réaliser un important travail sémantique pour traduire les termes techniques. • Obtenir le soutien de la démarche de concertation par la Direction Générale • Recruter de nouveaux profils (exemple : chez GRTgaz, recrutement d’une diplômée en géopolitique)

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Renseignements CO3 Conseil : CO3 / Horisis Conseil Contact : Denis DREVILLON denis.drevillon@co3conseil.com 28 rue du sentier 75002 PARIS Tel : +33(0)1 44 88 80 50 Fax : +33(0)1 42 33 09 93 Plus d’infos sur www.co3conseil.com


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