Fondées sur le roc

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Décembre 1973.

FONDEE

SUR

LE

ROC (MAT. 7. 25),


- 2 -

Principaux

ouvrages

consultés

:

A. AULARD,' La Révolution française et les Congrégations. Exposé historique et documents. E.Cornély, 1903. Marie-Edme F.de BELLEVUE, Le Père de Clorivière et sa mission,(1735-1820). Hors commerce, 1933. Victor BINDEL, Le Vatican à Paris (1809-1814). Alsatia, 1942. Cardinal CONSALVI, Mémoires, Nouv. éd. ill...publ. par B.Drochon, Introd. de J.Crétineau-Joly. Maison de la Bonne Presse, 1864. Léon DERIES, Les congrégations religieuses au temps de Napoléon. Alcan,1929. André LATREILLE, L'Eglise catholique et la Révolution française, 2 t. Hachette, 1948 et 1950. Jean LEFLON, La crise révolutionnaire(1789-1846).Bloud et Gay, 1951, t.20 de l'Histoire de 1'Eglise...publ. sous la direction de A.Fliche et V.Martin. Jean LEFLON, Etienne-Alexandre Bernier, évêque d'Orléans (1762-1806). Pion, 1938. Paul NOURRISSON, Histoire légale des congrégations religieuses en France depuis 1789. Sirey, 1928. Nouvelle histoire de l'Eglise...

. Le Seuil, t.4, 1966.

Vie de la R.M. Camille de l'Enfant-Jésus, née de Soyecourt. 1897.

Poussielgue,

Jacques TERRIEN, Histoire du R.P. de Clorivière, de la Compagnie de Jésus. Devalois, 1891. Jean THIRY, La machine infernale.

Berger-Levrault, 1952.

Abréviations et sigles :

AFCM = Archives des Filles du Coeur de Marie, à Paris. D.C. = Documents constitutifs. L.C. = Lettres circulaires. Lettres = Lettres du Père de Clorivière,(1787-1814),2 vol., 1948. (La pagination étant continue, la référence des vol. a été supprimée), (t.l, p.1-472. t.2, p.473-972) Notes intimes = Pierre de Clorivière...d'après ses notes intimes, de 1763 à 1773, publiées par le P.Monier-Vinard, s.j., 2 vol., 1935. Prière et oraison = Pierre de Clorivière, Considérations sur l'exercice de la prière et de 1'oraison...Desclée De Brouwer, 1961, coll. Christus.


SOMMAIRE

AVANT-PROPOS INTRODUCTION

PREMIERE PARTIE

178 9 - 1800.

CHAPITRE I Face à l'événement. Une épreuve de force : le serment de fidélité à la Constitution civile du clergé. Naissance officielle des deux Sociétés, 2 février 179 Fondatrice et première supérieure générale.

CHAPITRE II La persécution religieuse. La Terreur. Les premiers voeux de Mère de Cicê.

Les fondateurs dans la tourmente.

CHAPITRE III Les deux reclus de la rue Cassette. Première approbation des évêques. Les quatre premières Lettres circulaires du fondateur Mémoire au Souverain Pontife Pie VII, 1800.

DEUXIEME PARTIE

1800 - 1804.

CHAPITRE I Le complot de la machine infernale. L'Approbation verbale des Sociétés par Pie VII, 19 janvier 1801. Réactions du Père de Clorivière au sujet de cette première Approbation.


- A -

CHAPITRE

II

p.

68

"Sous le pressoir" Le Concordat et les Articles organiques. Un espoir déçu. Une période de transition,

1802-1804.

Projet de missions en Provence. CHAPITRE

III

p. 87

Les fondateurs en Provence. Réticences accrues de Mgr de Cicé. Départ des fondateurs.

TROISIEME PARTIE

1804 - 1814

CHAPITRE

I

p.

107

Le Père de Clorivière recherché par la police. Arrestation du Père de Clorivière.

Surveillance

de

Mère de Cicé. Attitude des fondateurs devant cette nouvelle épreuve.

CHAPITRE

II

p.

115

Deux graves dangers pour les Sociétés : Le Rapport Portalis - Le Décret impérial du 3 messidor Dispositif de défense du Père de Clorivière. Pie VII à Paris pour le sacre de l'empereur. Nouveau Mémoire'du Père de Clorivière au Souverain Pontife, 4 décembre 1804.

CHAPITRE

III

P-

133

p.

146

Une situation paradoxale. Remous dans les diocèses.

Le "Troisième front"

du Père de Clorivière.

CHAPITRE

IV

L'épreuve se prolonge pour les Sociétés. Lettre "à des Filles du Coeur de Marie demeurant chez les carmélites".


5 -

CHAPITRE V

156

Tr ansfert du Père de Clorivière. "Exposé de l'oeuvre que nous avons entreprise pour la gloire de Dieu et le bien de son Eglise". (Lettre à Mr Maugendre). Neuvième Lettre circulaire "sur l'édification que nous devons au prochain". La libération du Père de Clorivière. CHAPITRE VI

17

Pie VII prisonnier de Napoléon.

Savone-Fontainebleau.

Rencontre providentielle du Père de Clorivière avec le cardinal di Pietro. Le "dispositif de prudence" singulièrement confirmé. L'audience accordée au fondateur par le Souverain Pontife, 17 mars 1813.

QUATRIEME PARTIE

1814

-

1820.

CHAPITRE I

p.

185

Chute de l'empire et Restauration de la monarchie. Libération de Pie VII. La restauration de la Compagnie de Jésus dans le monde et en France. CHAPITRE II

p.

193

p.

197

Dernières années et mort de Mère de Cicé. CHAPITRE III Mère de Saisseval, seconde supérieure générale. La Constitution de 1818. Derniers mois et mort du Père de Clorivière le 9 janvier 1820.

CONCLUSION

p. 209

APPENDICES

p. 1

o

o

o


AVANT

-

PROPOS

L'objet de ce nouveau fascicule est d'aider à saisir plus pleinement, à la lumière de l'Histoire, la valeur et la portée de

la

mission "reçue d'en Haut" par le Père de Clorivière. Le premier fascicule, "DIEU PREPARE", met en lumière les préparations providentielles des fondateurs à leur mission ; le deuxième, "LE PROJET DU PERE DE CLORIVIERE", les lignes maîtresses de cette mission le troisième, celui-ci, permet une lecture en profondeur de l'histoire des Sociétés, grâce à sa confrontation avec l'histoire de France à

la

même époque. Les différents moments de l'histoire d'une mission peuvent se ramener à la prise de conscience des "événements essentiels" qui ont été l'occasion déterminante de la fondation, à l'étude de la tradition vivante et authentifiée, et enfin à une confrontation aussi large

que

possible des événements et de la tradition, permettant une interprétation correcte du sens plénier de la mission reçue (1). Une mission d'Eglise comporte toujours un message.

Isoler

ce message de ses conditions existentielles d'élaboration et de réalisation dans le temps, c'est courir le risque d'en faire une lecture abstrai te et de susciter chez le lecteur des déductions subjectives,

parfois

même partiales. L'étude historique des Sociétés est singulièrement favorisée par le fait des circonstances au milieu desquelles elles ont pris naissan ce et se sont développées. Ces événements essentiels ont été exposés, situés et

datés

à plusieurs reprises par le fondateur lui-même. Le message nous est connu

(1) cf. Ricoeur.


- 7 -

sans intermédiaire, par celui-là même qui l'a reçu. Mieux encore, des circonstances inattendues et contraignantes l'ont obligé à longuement expliciter sa mission pour la défendre et la sauver au fil de l'histoire. La tradition vivante et authentifiée se poursuit sans faille dans la Société des Filles du Coeur de Marie depuis bientôt deux cents ans. Elle s'enracine solidement dans la vie exceptionnelle des fondateurs, les nombreux écrits du Père de Clorivière, la correspondance de Mère de Cicé et celle de Mme de Saisseval, seconde Supérieure générale et contemporaine des fondateurs. On peut suivre cette tradition de près, sur documents, à travers les comptes-rendus

des Chapitres Généraux, les circu-

laires et la correspondance des Supérieures générales, etc. Le fascicule IV, "APPROBATIONS DONNEES PAR L'EGLISE A LA SOCIETE DES FILLES DU COEUR DE MARIE", donne un éclairage de valeur sur la continuité de cette tradition des origines à nos jours. La confrontation entre l'histoire de France et l'histoire de la Société a été un travail laborieux et passionnant. Laborieux, car l'histoire de France, au cours de la Révolution, sous le Consulat, l'Empire, et à l'aube de la première Restauration est d'une extrême densité. Les trente premières années de la vie de la Société correspondent à cette époque. Les historiens voudront bien excuser les simplifications, souvent importantes, auxquelles on a été amené pour ne pas étouffer les attitudes, les réactions et les témoignages écrits des fondateurs sous la diversité et la complexité des faits. Travail laborieux encore, du fait de la multiplicité des documents à analyser : documents historiques (1) et écrits divers, correspondance étendue se chiffrant par centaines de lettres du fondateur, et un assez grand nombre de Mère de Cicé et de Mère de Saisseval (2).

(1) Certains se trouvent dans le recueil édité en français en 1935, sous le titre "Documents Constitutifs", titre ne répondant pas exactement au contenu de cet ouvrage. (2) Environ 850 lettres du Père de Clorivière dont 732 autographes, 152 lettres de Mère de Cicé dont 122 autographes, possédées aux AFCM, pour s'en tenir seulement aux deux fondateurs.


Toutes ces pièces d'archives ont été classées année par année, mois par mois,

sinon jour par jour. Cela seul a permis de

les

situer pour confronter pensées et réactions des fondateurs en présence de tel événement ou de telle circonstance. Travail passionnant,

car cette confrontation s'est montrée

révélatrice d'une vie qui surgissait presque à chaque page. Des aspects, sinon des faits nouveaux sont apparus

;

cette étude en a tenu compte.

Une autre constatation s'est imposée en cours de travail. Elle n'étonnera pas les Filles du Coeur de Marie, ses,

et elles sont nombreu-

qui ont étudié de près les écrits du fondateur. La pensée du Père

de Clorivière, quand on prend conscience sur pièces de son sens de l'universel et du pluralisme de ses objectifs, ne peut être simplifiée indûment sous peine d'être trahie. Les déducations ou les synthèses trop hâtives sont vouées à l'échec ; d'où l'importance d'une étude et d'un rapprochement minutieux des textes.

La découverte d'une lettre inédite,

celle d'un

passage d'une autre lettre, connu mais jusque là lu isolément, une identifiée,

un mot inusité,

etc.,

forcent à remettre le travail sur

date le

chantier. Mais recommencer est un exercice salubre quand il s'agit d'une meilleure approche de la vérité. Dernière remarque :

il ne s'agissait pas dans ce Ille fasci-

cule d'étudier l'esprit et.la mystique propres à la Société des Filles du Coeur de Marie ; mais quand à l'occasion du choc des événements, une résonance de l'esprit et du coeur des fondateurs se manifestait avec intensité, elle a été fidèlement notée. la mission,

Il s'agissait alors de la tonalité propre de

comme une harmonique répondant spontanément et en profondeur à

un signe reçu d'en haut. Dans l'Ancien Testament, pour que l'Histoire devint "révélatrice" il fallait qu'elle soit interprétée par le prophète, en manifeste le sens. Mais ce sens était en elle,

et que celui-ci

avant de devenir "parole",

dans l'esprit et la bouche du prophète. Nos fondateurs, interprété l'Histoire. tiel,

sous la motion de l'Esprit, ont, eux aussi,

Celle-ci contenait en puissance un dessein providen-

caché et qui devait le rester "aux yeux des hommes".

Ils ont su lire

la véritable "histoire de la Société", dans la pensée de Dieu.


- 9 -

FONDÉE

SUR

LE

ROC

INTRODUCTION

" La pluie est tombée, les torrents sont venus, Les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison et elle n'a pas croulé. C'est qu'elle avait été fondée sur le roc". (Mat., 7, 25).

Nous avons vu la Providence préparer longuement Mère de Cicé et le Père de Clorivière comme instruments de ses desseins (1). Après avoir tenté une esquisse des lignes maîtresses du "Projet" reçu d'en Haut^ il reste à en suivre la réalisation comme "histoire de Dieu" écrite

à

travers l'histoire des hommes, et ceci à une époque particulièrement troublée, celle de la Révolution française. En évoquant les principaux événements qui tissent la trame de ces trente années, depuis l'inspiration de juillet 1790 jusqu'à mort du Père de Clorivière en janvier 1820, on peut distinguer périodes dans l'histoire des Sociétés (3)

la

quatre

:

- La première, de 1789 à 1800, depuis le début de la Révolution française jusqu'au gouvernement du Consulat (A). Au sein de la tempête

(1) Fascicule I (2) Fascicule II

révolutionnaire,

le "Projet"

se

"Dieu prépare". "Le Projet du Père de Clorivière"»

(3) L'histoire des deux Sociétés,celle des Prêtres du Coeur de Jésus et celle des Filles du Coeur de Marie est inséparable. On parle ici au nom de la seule Société des Filles du Coeur de Marie. (4) ainsi appelé parce que dirigé par trois consuls.


- 10 -

confirme et prend corps. Les Sociétés reconnues par plusieurs

évêques

réunissent les premiers associés et se développent progressivement. La vie des fondateurs échappe comme par miracle à l'ouragan destructeur. - La seconde, de 1800 à 1804, voit l'autorité de Bonaparte, le premier consul, s'imposer peu à peu dans une France épuisée et déchirée par la Révolution. Pour les Sociétés, c'est une période de transition marquée par l'Approbation verbale du Souverain Pontife et par les suites tragiques du complot politique dit de "la machine infernale", où, à leur insu, Mère de Cicé et le Père de Clorivière se trouvent compromis. - La troisième, de 1804 à 18]4, correspond â

la

période

de l'Empire, c'est-à-dire au pouvoir absolu de Napoléon Bonaparte. C'est le règne d'un grand conquérant, mais aussi celui d'un despote, notamment en matière religieuse. Les fondateurs seront aux prises avec de graves difficultés provenant du pouvoir civil et de l'oppression policière. Cette fois,c'est la vie même des Sociétés qui est menacée d'asphyxie sinon d'interdit.Elles échappent à ces nouveaux dangers, grâce à la lucidité et à la prudence du Père de Clorivière soutenu par le concours efficace et discret de Mère de Cicé. La nature, l'esprit et la forme des Sociétés seront confirmés par ces épreuves. - La quatrième période, de 1814 à 1820, voit la chute

de

Napoléon et la première Restauration de la Monarchie avec l'avènement de Louis XVIII. Les apaisements sociaux et religieux suivent progressivement. De 1814 à 1818, le Père de Clorivière est chargé de restaurer la Compagnie de Jésus en France. Il continue cependant à veiller

sur

Société des Filles du Coeur de Marie ; il la soutiendra jusqu'à

la

son

dernier souffle. Les deux fondateurs meurent saintement l'un et

1' autre

devant le tabernacle, Mère de Cicé le 26 avril 1818, le Père de Clorivière le 9 janvier 1820.

Il ne peut être question ici de retracer, même à grands


- il. -

traits, histoire de la France durant ces trois décennies. On a seulement indiqué les événements inséparables de l'histoire des Sociétés (1). Par ailleurs, l'examen de la législation et des réglementations concernant la vie religieuse au cours de cette même époque, permis de mieux situer la répercussion des événements politiques

a

sur

la vie des fondateurs, et surtout de mieux comprendre leurs réactions. Il a donc fallu mentionner certains décrets intéressant directement les deux Sociétés. Si le propre de l'histoire est d'être "révélatrice", si le dessein de Dieu s'y manifeste pleinement pour qui sait en faire la lecture à travers les gestes, les attitudes de ceux qui la vivent, on peut espérer que ce nouveau fascicule aidera les Filles du Coeur de Marie à se retrouver dans la pensée de Dieu et dans celle des fondateurs (2).

(1) Les ouvrages du P. Jacques Terrien, Histoire du R.P. de Clorivière, de la Compagnie de Jésus, Devalois, 1891, et de Marie-Edme de Belleviie, Le Père de Clorivière et sa mission, (1735-1820), Hors commerce,1933, retraçant la vie des fondateurs et celle des Sociétés restent des ouvrages de base, mais rédigés dans une autre optique que ce fascicule. Les deux premiers tomes des Annales fournissent bon nombre d'informations historiques ou anecdotiques précieuses. (2) cf. E. Gambari, Ma vie c'est l'Eglise. Ecclésiologie de la vie religieuse, Fleurus, 1970, p.290.


-11J

1789

-

1300

CHAPITRE I

FACE

A

L'EVENEMENT.

C'est le décret du 13 février 1790 refusant de reconnaître les voeux solennels (1) qui provoque la première et vigoureuse réaction du Père de Clorivière. On se souvient de sa protestation publique, faite du haut de la chaire de l'église Saint-Sauveur de Dinan, le 25 mars suivant (2) . Quelques mois plus tard, le 19 juillet, sous l'inspiration

de

l'Esprit il devra continuer à faire face à l'événement, bien au-delà de ce qu'il aurait pu imaginer. Il lui est montré "comme dans un clin d'oeil l'idée d'un Plan" d'une Société religieuse toute nouvelle : cette

idée

s'impose à lui ; il ne peut douter "que cela ne vînt de Dieu" (3). Avec cette prescience souvent signalée chez le Père de Clorivière, il précise (4) "Dans un temps où l'on détruisait les anciens Ordres religieux, il faudrait qu'elle (la nouvelle Société) se formât comme à 1'insu des peuples et en quelque sorte malgré eux ; ce qui ne se pourrait faire qu'autant qu'elle serait dégagée de tout ce qui l'asservirait nécessairement à l'ordre civil; ...Les Religieux de cette Société... quoique liés en Jésus-Christ aussi étroitement qu'il serait possible de 1'être...n'auraient aucune marque extérieure de leur Association". L'avenir devait ratifier ce jugement. Au début, l'Assemblée Nationale qui siégeait

à Paris, avait voulu,

non sans raison, supprimer des abus instaurés au cours des siècles, sous

(1) Voir texte en appendice. (2) cf. Fascicule I "Dieu prépare", p.47-48. (3) D.C. , p.18. (4) D.C, p.20-21.


l'Ancien Régime. Il fallait restreindre les privilèges exorbitants

ac-

cordés notamment à certains membres de la noblesse et du haut clergé (1), aux monastères, etc. Mais débordée par les revendications du tLers-êtat (2) et surtout par l'esprit antireligieux qui s'était développé dans la société au 18e siècle, l'Assemblée Nationale fut entraînée très au-delà des premières positions prises. Les réformes décidées devaient progressivement conduire aux destructions révolutionnaires. Le Père de Clorivière voyait juste quand il écrivait à Mère de Cicé :

(3)

"Je n'augure pas bien du tour que prendront les affaires politiques aux Etats Généraux, mais je crains beaucoup pour celles de la Religion, vu la disposition de la plupart des esprits. Les ecclésiastiques qui s'y trouveront auront besoin de beaucoup (de) force. La Religion est perdue si ce qui la regarde est remis sans distinction au voeu général de l'Assemblée ; et si le clergé, comme il convient, n'est pas juge unique de ces matières... Nous sommes dans un temps de guerre, nous devons nous attendre à de rudes assauts de la part de l'irréligion et de l'impiété". De fait, une mesure entraînant l'autre, l'Assemblée allait poursuivre une vaste opération de déchristianisation en France. Le décret du 12 juillet 1790 sur "la Constitution civile du clergé" fut une erreur politique et une faute religieuse aux conséquences incalculables.

Il

suffit de prendre connaissance du contenu du Titre II pour en comprendre la gravité : un article stipulait que les évêques seraient élus pour chaque département

(diocèse) par le corps électoral au complet, y compris

les non catholiques ; de même les curés seraient élus par les électeurs du district (subdivision correspondant aux cantons). Cette clause déjà inacceptable était encore aggravée, les évêques devant recevoir l'investiture de leur évêque métropolitain, substitué au Souverain Pontife, seulement"inforrné" des élections (4).

(1) Le clergé à cette époque était divisé en haut clergé et bas clergé, ce dernier souvent dans une situation précaire à coté d'un haut' clergé pourvu de terres et de revenus. (2) Partie de la nation française qui sous l'ancien régime n'appartenait ni à la noblesse ni au clergé. (3) Lettres, p.42. L'autographe ne porte aucune date. (4) cf. Jean Leflon, La crise révolutionnaire (1789-1846),.t. 20 de l'Histoire de 1'Eglisepubl. sous la direction de A.Fliche et V.Martin, p.57-58.


-Il,Par

la Constitution civile du clergé} l'Eglise de France était

séparée de Rome et placée sous la dépendance absolue du pouvoir civil. Elle perdait toute liberté et la voie se trouvait ouverte à tous les abus de pouvoir. Une lettre de Pie VI blâmant

ce

décret ne devait parvenir

Versailles que le 23 juillet,

un jour trop tard.

Louis XVI, bon chrétien, mais

faible

et

La veille,

dépassé par

le

à

roi

les événements,

avait accepté le décret sous la pression de Mgr Jérôme de Cicé, ministre, garde des sceaux (1). On peut deviner combien Mère de Cicé dut être douloureusement affectée par l'attitude de son frère,

attitude

dont

il

se repentira

bientôt. Durant tout ce mois de juillet 1790,

nous savons

le

Père

de

Clorivière en Bretagne, ou il se déplace. La veille de son retour à Paris, par une lettre écrite de Rennes le 24 septembre à

Mère de Cicé (2), il

apporte un écho des remous causés par la Constitution civile du

clergé.

Mr Cormeau, son fidèle ami, qui avait précédemment accepté la présidence du district de Saint-Brieuc pour défendre, espérait-il, les droits des faibles, a jugé nécessaire de donner sa démission. "Ses motifs ont été que sa religion et son caractère (sacerdotal) ne lui permettaient pas de coopérer â des plans destructeurs de la religion". Le début de cette même lettre évoque déjà les premiers pas de la Société de Marie deux mois après l'inspiration : "Dans ma route, j'ai rencontré une sainte fille qui m'a prié de l'admettre dans la Société de Marie ; M. Gautier lui avait parlé. Je n'avais pas le temps de lui parler, mais je l'ai encouragée ; je lui écrirai ce qu'elle doit faire". Puis cet appel à la confiance si nécessaire en raison de la gravité des événements et du projet en cours : "Confiez-vous au Seigneur, il vous soutiendra dans la grande oeuvre qu'il a voulu vous confier pour sa plus grande gloire et par un

(1) cf. J.Leflon, op. cit., p.64. Le Garde des sceaux était le ministre chargé de la garde des sceaux de l'Etat (apposés sur les décrets) et de l'administration de la justice. (2) Lettres, p.48.


un effet de sa prédilection pour vous... Plus vous êtes faible, plus vous êtes propre â faire éclater sa gloire. Prions l'un pour l'autre". De retour à Paris, le Père de Clorivière loge aux Missions Etrangères, rue du Bac. Nous savons qu'il s'occupe activement des deux Sociétés ; il présente le Plan au Nonce et parle de son projet à d'anciens confrères qui se montrent réticents (1). Le Père de Clorivière habitué à discerner les orientations de l'Esprit à travers les événements, comprend rapidement que. la Société du Coeur de Jésus doit poursuivre une fin propre, indépendante de la restauration de la Compagnie de Jésus entrevue précédemment (2) . La lettre du 27 octobre (3) reflète le trouble où se trouve jetée l'Eglise de France depuis le décret du 12 juillet. Elle nous fait connaître en même temps l'appréciation que porte le Père de Clorivière sur la situation religieuse d'alors : "Que l'Eglise est partout affligée ! la division et une grande division est jusque dans le Clergé catholique d'Angleterre (4). Que les douleurs de la Sainte Eglise absorbent toutes nos douleurs particulières ! Que les sacrifices que le Seigneur peut nous demander doivent nous paraître légers auprès des maux de la Religion. Tout va de mal en pis. Un grand nombre espèrent bientôt un changement heureux. Pour moi, je ne vois intérieurement rien qui me l'annonce... La réponse du Pape est arrivée, mais rien n'en a transpiré : ce n'est pas d'un bon augure pour l'affaire". En termes voilés, ces dernières lignes désignaient probablement la lettre de Pie VI blâmant la Constitution civile du clergé. Trois jours plus tard, le 30 octobre, la grande majorité

des

évêques députés à l'Assemblée Constituante publiaient une "Exposition des principes sur la Constitution civile du clergé." Cette déclaration rédigée par Mgr de Boisgelin (5) soulignait d'un ton modéré avec fermeté et

une

grande indépendance d'esprit, l'in-

compétence du pouvoir temporel dans le domaine spirituel.

(1) Lettres, p.50. (2) cf. Fascicule I "Dieu prépare", p.48-49. (3) Lettres, p.52-53. (4) Il s'agissait des évêques et prêtres français émigrés. (5) L'abbé Augustin Sicard, Le clergé de France pendant la Révolution, Nouv. éd...Lecoffre, 1912, t.l, p.94 et passim, fait à plusieurs reprises l'éloge de Mgr de Boisgelin qui "s'exprime avec une rare indépendance de jugement et une largeur d'idées étonnante". Le cardinal appartenait à la vieille famille rennaise Boisgelin de Cucë.


Le 6 novembre, le Père de Clorivière écrivait à Mère de Cicé (1)

:

"On craint bien que les décrets sur le célibat des prêtres et le divorce ne passent cette semaine. Les Evêques de l'Assemblée se disposent à envoyer une lettre â tous ceux du Royaume". La destruction de la religion en France se poursuivait.

UNE EPREUVE DE FORCE

:

LE SERMENT DE FIDELITE A LA CONSTITUTION

CIVILE DU CLERGE.

Loin de tenir compte des protestations des évêques députés, l'Assemblée voulant asservir un clergé trop peu docile à son gré et le contraindre â s'associer â son oeuvre, prit une mesure d'une extrême gravité : le décret du 27 novembre, par lequel tous les évêques, curés et ecclésiastiques en fonction, étaient astreints au serment de fidélité à la Nation, au Roi et à la Constitution décrétée par l'Assemblée Nationale.

Il était stipulé que ceux qui refuseraient ce serment seraient

déposés et "poursuivis comme perturbateurs de l'ordre public" s'ils s'obstinaient à exercer leur ministère. L'épreuve de force était commencée, elle atteignait tout le clergé de France. Une lettre du 7 décembre du Père de Clorivière à Mère de Cicé alors â Dinan nous permet de saisir sur le vif sa réaction (2)

:

"Voici un moment décisif. Il n'y a plus lieu à délibérer sur le parti qu'.il faut prendre. Il ne me paraît pas qu'on puisse faire le serment qu'on exige sans trahir ouvertement la cause de l'Eglise et de la Religion. Malheur à ceux qui sont attachés à la terre ; ils trouveront encore des prétextes et des interprétations pour couvrir leur lâche désertion des vrais principes. Mais tout ce qu'ils pourront faire ne fera qu'aggraver leur faute devant Dieu. Jusqu'à présent, les Evêques paraissent fermes et ne paraissent avoir qu'un sentiment, celui de rejeter le serment qu'on leur propose. Le signal de la persécution est donné ; nous verrons si Dieu permettra qu'on en vienne à l'exécution". Dans cette même lettre, on voit le Père de Clorivière toujours

(1) Lettres, p.54. (2) Lettres, p.56.


décidé à partir au Maryland ; mais il n'oublie pas "l'oeuvre de Dieu". Mes vues sont toujours les mêmes pour ce qui regarde la Mission d'Amérique. Pour ce qui est de ces vues plus étendues que j'avais conçues pour la gloire de Dieu, il en sera tout ce qu'il lui plaira. Je ne suis pas digne, ou plutôt je suis tout à fait indigne d'être l'instrument de quelque chose de si saint. Que sa sainte volonté s'accomplisse en tout. Je suis parfaitement content de tout ce qu'il voudra faire de moi...Nous ne pouvons rien de nous-mêmes mais nous pouvons tout en lui". Le post-scriptum d'une lettre '»du 27 décembre montre combien le Përe de Clorivière est soucieux des funestes conséquences du décret exigeant le serment (1)

:

"On doit s'attendre à tout ce qu'il y a de plus fâcheux pour la religion, maintenant que le décret a été sanctionné. Demandons la lumière et la force dont nous aurons besoin. La veille, en effet, le 26 décembre 1790, sous la pression de l'Assemblée et de manifestations populaires menaçantes, Louis XVI

se

résignait à "approuver" le décret du 27 novembre. Les évêques-députés devaient prêter le serment dans les huit jours. La séance du 4 janvier 1791 à l'Assemblée fut décisive. Sur 44 évêques, 42 refusèrent publiquement de prêter le serment (2)

. Pour toute la France,

sur 160 évêques, 153 le refusèrent également. Malgré cette victoire morale de l'épiscopat français resté fidèle devant la menace, les conséquences du décret demeuraient désastreuses : il n'y avait plus de cadres ecclésiastiques légitimes dans le pays. Sur 83 sièges épiscopaux prévus par la Constitution, 80 se trouvaient à pourvoir, seuls trois titulaires de l'Ancien Régime restant en fonction. Quant aux autres pasteurs, curés, vicaires, etc, aucune statistique sérieuse des "jureurs" et "non-jureurs" n'a pu être établie. La chasse aux prêtres insermentés commencera bientôt, mais dès à présent le pays est déchiré par la suspicion quand ce n'est pas par des haines fratricides. Le 14 janvier 1791 le Përe de Clorivière écrit tristement à Mère de Cicé (3)

:

(1) Lettres, p.61. (2) Seuls Talleyrand et Gobel prêtèrent le serment. (3) Lettres, p.61-62.


- 18 -

"Plusieurs des cures de Paris se sont très bien montrés par rapport au serment ; mais il y en a plus de vingt qui ont trahi lâchement la cause de la Religion, malgré l'exemple que leur avait donné le Corps Episcopal". Au début de cette même lettre, il annonce sa décision de renoncer au voyage de Rome projeté en vue de présenter au Saint-Père le plan des deux Sociétés : "Vous avez peut-être su par Mademoiselle votre soeur que j'avais quoiqu'à regret renoncé à mon voyage de Rome...ce voyage désormais ne pouvait plus se faire sans beaucoup hasarder celui de l'Amérique". Il ajoute un peu plus loin : "Mademoiselle votre soeur m'a fait part de votre dernière lettre qui contenait des faits fort intéressants. J'ai appris avec bien de la satisfaction ce qu'a fait Monsieur de Bordeaux". Ces dernières lignes font allusion à Mgr Jérôme de Cicé. Les yeux dessillés par l'aggravation de la situation religieuse, il avait donné sa démission de garde des sceaux le 20 novembre 1790. Emigré ensuite en Angleterre, il devait par sa conduite y faire frères.

l'édification

de

ses

con-

(1)

NAISSANCE OFFICIELLE DES DEUX SOCIETES,

2 FEVRIER 1791.

En ce début de l'année 1791, le contexte de la vie politique et religieuse en France est très sombre. C'est le moment choisi par la Providence pour la naissance officielle de deux Sociétés destinées â garder la vie religieuse â l'Eglise et au monde, quelles que soient les circonstances, et

le

plus souvent

"à l'insu des peuples". Grâce aux relations laissées par le Père de Clorivière dans ses écrits et dans sa correspondance avec Mère de Cicé (2),

nous avons

de

précieuses indications sur la préparation des associés à l'acte solennel du 2 février 1791.

Quelle gravité avaient

dû" revêtir leurs rencontres

presque clandestines avec le fondateur pour convenir ensemble (3)

(1) cf. Lettres, p.151. (2) Lettre du 5 février 1791, p.63-65. (3) D.C.,.p.27-28.

:


-13 "Qu'il était temps de commencer la bonne oeuvre sous les auspices de l'auguste Vierge Marie", choisir le lieu où se ferait "la consécration de soi-même â Notre Seigneur", préciser "que cette consécration serait pour la Société ce qu'est la vêture pour les autres ordres religieux ; que ce ne serait point un voeu, mais que, sans y être engagé par voeu, après cette Consécration, on s'efforcerait de pratiquer ce à quoi obligent les voeux de religion, enfin qu'on s'y préparerait par trois jours de recueillement". Et le Père précise : "Cela se fit comme on l'avait projeté, et pendant ces trois jours on eut soin de développer l'étendue et l'excellence de l'offrande qu'on se proposait de faire de soi-même. Il fut aussi dressé comme un Acte d'Association spirituelle que tous signèrent". C'était bien là les prémices de la fondation

d'une Société

religieuse, car le Père prend bien soin d'ajouter : "Cet accord toutefois doit être censé dépendre de l'approbation que nous espérons un jour obtenir du Saint-Siège". Les Filles du Coeur de Marie connaissent trop bien les récits de cette première Consécration

pour

qu'il

soit nécessaire de

les

reproduire ici. Rappelons cependant que les nouveaux associés s'assemblèrent le lendemain 3 février, et "l'Ecclésiastique qui avait été le premier instrument de cette Association fut unanimement élu pour en être le Chef ; à quoi il consentit provisoirement, jusqu'à ce que le sort de ladite Association pût être déterminé, soit par l'Approbation que lui donneraient les Evêques, et surtout le Souverain Pontife, soit par le refus de cette Approbation". (1) Mais, le projet du départ en mission au Maryland pouvait-il se concilier avec le soin des Sociétés naissantes ? Le Père de Clorivière déclare lui-même (2)

que :

"Son évêque qu'il consulta de nouveau en lui exposant avec simplicité sa situation, lui répondit de la manière la plus positive qu'il ne devait plus songer à la mission du Maryland, que Dieu

(1) D.C., p.32. (2) D.C., p.33,

cf. Fascicule I

"Dieu prépare", p.56.


- 20

faisait assez connaître sa volonté par les événements, qu'il devait donc rester en Europe, pour y travailler à l'oeuvre de Dieu". Ecrivant à Mère de Cicé

le 23 février, le fondateur

lui

fait

part de cette décision ; puis il conclut sa lettre en évoquant la prudence et la force requises en ces temps troublés

(1)

:

"Sans des raisons particulières, prises de nos devoirs et de la plus grande gloire de Dieu, je crois qu'il est convenable de nous cacher dans la foule des bons, jusqu'à ce que le temps vienne de faire quelque chose de signalé pour son service ; mais en même temps; soyons fortement et sincèrement prêts à tout faire, à tout souffrir..."

FONDATRICE ET PREMIERE SUPERIEURE GENERALE. Fin

mars 1791, le Père de Clorivière

quitte

Paris

pour

la

Bretagne où l'attirent diverses questions à régler, notamment au sujet du navire qu'il avait frété en partie et qui doit emmener en avril

un

certain nombre de prêtres au Canada. Sans doute veut-il aussi fortifier les germes des Sociétés semés en Bretagne. Mais surtout,

l'heure

est

venue de révéler à Mère de Cicé qu'il la croit "choisie de Dieu pour procurer à sa sainte Mère un grand nombre de filles... qu'elle est l'instrument dont Dieu veut se servir pour l'exécution de son dessein". Le 30 avril (2) à la veille de leur rencontre, il lui écrit une lettre admirable. Toute la vie de Mère de Cicé manifeste quel fut lors son acquiescement inconditionné Après un séjour dans l'île

à de

tous

dès

les vouloirs divins.

Jersey où il exerce un fructueux

ministère (3), on retrouve le Père de Clorivière en Bretagne, à Limoëlan, chez son frère. Mais il doit bientôt s'enfuir en toute hâte chez un puis gagner Rennes le 14 juin.

Une lettre explicative à

Mère de

datée du 15 (4) traduit bien l'atmosphère du temps :

(1) Lettres, p.66-67. (2) Lettres, p.74-76. (3) Lettres, p.77. (4) Lettres, p.82-83.

cf. Fascicule I

"Dieu prépare", p.57-59.

ami, Cicé,


- 24 "Mon départ précipité ne doit pas vous surprendre beaucoup ; je ne fais que partager le sort d'un grand nombre de bons prêtres. Ayant été prié de prêcher le jour de la Pentecôte, j'ai cru qu'il était de mon devoir de dessiller les yeux des bonnes gens de campagne qui n'étaient guère instruits du danger où ils sont et qui par là même ne pouvaient pas se défendre d'y tomber." Le Père fait sans doute allusion aux curés schismatiques installés conformément à la Constitution civile du clergé : "Ce discours a paru faire impression sur les esprits...mais tous n'en ont pas tiré le même fruit. On a envenimé l'esprit des clubistes (1) du chef lieu du district. On devait venir m'enlever de nuit ; la crainte les a retenus. Pour nous autres, nous n'en avions aucune, et nous dormîmes fort tranquillement ; mais le lendemain, différents avis nous firent connaître le danger. On ne doutait point que la nuit suivante, qui était celle du lundi au mardi, on ne vint en force assiéger le château". Le Père ajoute deux détails intéressant la Société : "Je regrette... de n'avoir pu pays, des excursions que je croyais regrette de n'avoir pas entièrement que je comptais vous remettre avant

(faire) pendant mon séjour dans le utiles pour l'oeuvre de Dieu. Je fini le Directoire pour nos filles, mon départ".

On voit que quelques mois après les premières consécrations, Père voulait déjà procurer aux Filles du Coeur de Marie un

le

ensemble de

directives pratiques pour soutenir leur vie religieuse. Mais le passage du Père à Limoëlan en ce jour de la Pentecôte, 12 juin 1791 (2) est lié à l'histoire des Sociétés à un titre

tout

particulier : comme le fondateur le rappelle lui-même en 1798, dans le Mémoire aux Evêques (3), alors qu'il hésitait encore sur le nom convenant le mieux à la Société des hommes, c'est "le jour même de la Pentecôte, en 1791" que "cette indécision nous fut ôtée", lumière toute spéciale sans doute, car il poursuit : "Depuis ce jour, nous ne Coeur de Jésus ne fût celui qui posé aux membres de la Société, exemple, les membres de l'autre Société du Coeur de Marie et se Coeur de Marie.

doutâmes plus que le nom de Société du nous convînt davantage. Ce nom fut proet tous l'adoptèrent unanimement. A cet Société prirent unanimement le nom de firent gloire de se dire les Filles du

(1) membres d'un' club politique révolutionnaire. (2) La Pentecôte tombait le 12 juin cette année-là, et non le 8 comme l'indiquent par erreur certains biographes. (3) D.C., p.130-131. C'est le Père de Clorivière qui souligne.


- 21On connaît l'importance attachée à ces vocables par le fondateur ; les Coeurs de Jésus et de Marie sont pour lui la Source des sources où les Sociétés puisent leur esprit. Quelques jours plus tard le Père dé Clorivière doit être de retour à Paris car il écrit à Mère de Cicé une lettre non datée (1) où il parle de l'arrestation de Louis XVI à Varenne, dans la Meuse, arrestation qui eut lieu le 20 juin. Il lui dit entre autre : "Dans la fermentation où nous sommes je ne vous parlerai point de partir. Il faut attendre le calme...Au milieu des vicissitudes et du bouleversement général, notre âme doit jouir d'une paix inaliénable". La venue de Mère de Cicé à Paris avait dû être décidée entre les fondateurs, conformément à la pensée du Père (2)

:

"C'est à Paris, ce me semble, que l'une et l'autre Société doit commencer. C'est de là que vient le mal, c'est de là que doit aussi venir le remède au mal". Dorénavant les lettres adressées à Mère de Cicé et traitant de son arrivée à Paris, vont se multiplier. A travers elles on perçoit les troubles de la montée révolutionnaire, mais aussi la poursuite du "Projet". La prudence exige certaines précautions (3)

:

"Vous pourriez adresser les paquets que vous enverrez ici à Madame de Nermont, à son hôtel rue Cassette, vis-à-vis la rue Honoré Chevalier, faubourg St Germain à Paris. Vous pourrez de la même manière m'adresser vos lettres sans que mon nom y paraisse. On aime dans ces temps de trouble à garder l'incognito". Le 20 août, un pas décisif est franchi (4)

:

"Vous n'aurez pas désormais grand temps de demeurer en Bretagne, Monsieur l'Archevêque a répondu à son Grand Vicaire qu'il approuvait notre projet, qu'il le jugeait très propre à procurer la gloire de Dieu. C'est tout ce que je désirais, pour vous dire de venir dans ce pays où vous êtes bien attendue". Le 12 septembre (5) le Père envoie à Mère de Cicé quelques indications au sujet de son futur logement. Il lui donne en même temps un aperçu

(1) Lettres, p.83-84. (2) Lettres, p.74. (3) Lettres, p.86. (4) Lettres, p.89. L'archevêque de Paris était alors Mgr de Juigné, émigré en Savoie au début de 1791, et son grand ficaire, Mr de Floirac. (5) Lettres, p.91-92.


-2J> du ministère qu'il exerce, non sans danger : "Il est vrai que vos inquiétudes ne seraient pas tout-à-fait mal fondées au sujet de M.R...(le Père lui-même) si la divine Providence ne veillait sur lui. Il s'expose un peu ; voilà cinq semaines qu'il prêche presque publiquement ; avant-hier, il y avait plus de cinq cents personnes à l'entendre. Mais il agit par conseil et il croit devoir agir avec confiance...Il usera de tous les ménagements qu'il jugera compatibles avec le bien, et il s' y croit obligé. Ne parlez pas hautement de ceci". Le 21 septembre, il l'avertit (1)

:

"Il est temps, ma chère fille...de penser sérieusement à tous vos arrangements pour venir Ici". Le 3 octobre, le Père répond à une lettre où Mère de Cicé a dû lui faire part des craintes qui l'envahissent à la veille de son départ de Bretagne (2)

:

"Il (le Seigneur) veut que le sentiment que vous éprouvez de votre misère et de votre faiblesse vous montre plus sensiblement encore que ce que vous avez fait, que tout ce que vous pourrez faire pour sa gloire est son ouvrage et que cela vous porte à vous adresser à lui avec plus de ferveur". Puis ce détail

destiné à la rassurer :

"Ne craignez pas non plus que je quitte Paris ; je n'en ai nulle envie, et je ne serai pas si éloigné que je ne puisse aisément vous voir tous les jours, et même plus souvent s'il le fallait". Pour mesurer la foi et la confiance apportées par les fondateurs dans la poursuite de "l'oeuvre de Dieu", il faut évoquer le climat social et politique de cette année 1791 : l'effervescence se fait de plus en plus sentir à Paris et en province. Les clubs populaires prennent

une

influence grandissante. L'Assemblée Constituante débordée a essayé, en vain, de rendre au roi quelque autorité. Le 30 septembre, sa mission est remplie et ses séances terminées.•Elle est remplacée par l'Assemblée Législative composée de nouveaux membres, sans expérience politique

et

dont la majorité est imbue des doctrines philosophiques anti-religieuses

(1) Lettres, p.92-93. (2) Lettres, p.95-96.


-2V répandues au 18e siècle. La situation économique est désastreuse. Les représentants des clubs révolutionnaires les plus avancés, les Jacobins et les Girondins souhaitent une guerre extérieure pour asseoir le nouveau régime. C'est dans ces circonstances que Mère de Cicé s'arrache à sa chère Bretagne, car pour son coeur délicat et sensible c'est un véritable arrachement. Elle arrive à Paris le soir du 11 novembre. Au cours de son voyage en diligence, cinq jours durant, elle a été accompagnée par

la

fidèle Mlle Le Marchand et par Mr Cormeau qui porte sur lui des hosties consacrées ; précieux réconfort pour notre première Mère de pouvoir passer en adoration silencieuse ces derniers jours qui s'écoulent - un peu hors du temps - après le départ définitif du pays natal, avant de se jeter au coeur de la tourmente où l'appelle sa mission. Le-Père de Clorivière diffère une des nombreuses retraites qu'il prêche alors dans la capitale, afin de se libérer pour l'arrivée de Mère de Cicé (1)

; Mlle Deshayes, avec, sans doute une ou deux autres Filles

du Coeur de Marie (2) accueillent leur Mère à la descente de la diligence, Porte de Versailles, et la conduisent rue des Postes dans l'appartement que lui a cédé le Përe de Clorivière. Celui-ci est allé loger rue de la Chaise (3). Une nouvelle étape s'ouvre dans la vie des fondateurs.

(1) cf. Lettres, p.101. (2) Marie Edme F. de Belleviie, Le Père de Clorivière et sa mission, 1735-1820, p.132. (3) cf. Lettres, p.101.


CHAPITRE

II

LA PERSECUTION RELIGIEUSE. LA TERREUR.

Au moment même de l'arrivée de Mère de Cicé à Paris, des débats passionnés ont lieu à l'Assemblée. Il s'agit de prendre des mesures de répression contre les émigrés et les prêtres "insermentés", ceux qui ont refusé de prêter le serment à la Constitution civile du clergé. Le décret du 27 novembre en avait atteint des milliers, mis en état d'arrestation ; les églises où ils officiaient sont fermées. C'est le signal de l'émigration à l'étranger pour un grand nombre ; certains se réfugient à Paris dans l'espoir d'y passer inaperçus. En avril 1792, la guerre est déclarée à l'Autriche.

Les premiers

revers subis provoquent l'affolement. Une opinion se répand : le pays est trahi par les aristocrates émigrés et par les prêtres insermentés, désireux de l'intervention de l'étranger pour restaurer l'Ancien Régime.

La

suspicion est partout. Une lettre du Père de Clorivière à Mère de Cicé, datée du 16 juillet fait saisir les dangers de l'heure (1)

:

"C'eut été, ma chère fille, une véritable consolation pour moi si, dans cette fête de notre Bonne Mère (2), j'avais pu la célébrer avec vous sur la montagne du Carmel ; le Seigneur en dispose autrement, que son saint nom soit à jamais béni. Mettons notre gloire et notre bonheur à accomplir en tout sa volonté sainte, quelque rigoureuse qu'elle puisse être. Ce n'est pas une petite peine pour moi, et ce ne peut manquer d'en être une aussi pour vous, que je ne puisse sortir, d'ici â quelques jours. Je sens assez, et d'autres me font entendre, qu'il y aurait de l'imprudence à le faire. Vous avez su sans doute que tout nouvellement, on a arrêté beaucoup de prêtres, entre autres Messieurs de Saint-Sulpice qu'on a transportés aux Carmes". Un mois et demi plus tard, les prisonniers des Carmes seront parmi les victimes des massacres de septembre. Quelques lignes de cette même lettre témoignent du bel équilibre physique et moral

(1) Lettres,

du Père.

p.105.

(2) Fête de N.D. du Mont Carmel.


- 26-

"On nous.a donné hier soir une grande alerte ; je n'en ai point été effrayé et cela ne m'a point empêché de dormir très tranquillement". Il ajoute un peu plus loin : "J'ai vu hier Mademoiselle de G...elle me cède son appartement pour 3 mois. Je crois mon déménagement bien avancé. Le Père de Clorivière, comme tous les prêtres insermentés, n'ayant pas de papiers en règle, devait changer de domicile fréquemment pour dépister les recherches de la police. Les événements les plus graves vont maintenant hâter la marche de la Révolution : le 3-août, le duc de Brunschwick commandant des armées alliées alors prêtes à envahir la France, publie un manifeste qui soulève violemment l'opinion et compromet irrémédiablement l'infortuné Louis XVI. Ce manifeste stipule en effet que tout habitant qui porterait les armes contre les alliés serait immédiatement fusillé "comme rebelle au roi", et que "si celui-ci souffrait de nouveau des outrages... Paris serait livré â une exécution militaire". Le 10 août, l'Assemblée déclare le roi suspendu de ses fonctions. Il est-arrêté et incarcéré à la prison du Temple avec la famille royale. Une Commune (1) insurrectionnelle se forme, créant un nouveau pouvoir à côté de l'Assemblée contrainte de procéder à l'élection au suffrage universel d'une Convention qui devra établir une nouvelle Constitution. Simultanément l'Assemblée poursuit la destruction de la vie religieuse en France : le décret du 4 août exige l'évacuation et la vente de toutes les maisons occupées par des religieux ou religieuses, à l'exception des hôpitaux et divers établissements de charité (2). Le 14 août, une nouvelle formule de serment (3) est imposée à tous les prêtres, sans exception : "Je jure d'être fidèle à la nation et de maintenir la liberté et l'égalité, ou de mourir en les défendant".

(1) organisme révolutionnaire. (2) Voir Appendice et A. Aulard, La Révolution française et les Congrégations. Exposé historique et documents, p.192-193. (3) La première formule faisant mention du roi était devenue caduque après la chute de la monarchie.


-2|Le Përe de Clorivière donne son opinion à termes (1)

Mère de Cicë

en ces

:

"Je dirai seulement que l'égalité et la liberté qu'on fait jurer sont évidemment celles qui ont été nouvellement introduites ; comment donc jurer de les maintenir ? C'est tout renverser : principes de morale et de christianisme. Je ne conçois rien aux autorités qu'on allègue.C'est sa conscience et son Evangile qu'il faut suivre à la vie et à la mort." Le 18 août, l'Assemblée Législative croit anéantir la vie religieuse en France sous toutes ses formes en supprimant par décret (2) toutes les congrégations séculières, c'est-à-dire toutes les congrégations

à

voeux simples, et les autres associations de piété et de charité de toute nature. Aucune ne doit échapper à la destruction systématique. Mais

"Yahvé fait échouer les plans des nations, il déjoue les projets des peuples". (Ps.33, 10)

(trad.Osty)

Dieu aussi écrit l'histoire : quelques jours après, la fondatrice de la Société des Filles du Coeur de Marie prononçait ses premiers voeux.

LES PREMIERS VOEUX DE MERE DE CICE. D'après une tradition établie dans la Société (3), c'est au sein

(1) Lettres, p.44. (2) Voir Appendice et A. Aulard, op. cit., p.291-311. (3) M.de Bellevûe dont la sagacité est rarement en défaut, opte pour le 15 août 1792, cf. op.cit., p.140. Le P. J.Terrien penche pour le 15 août 1793, cf. op.cit., p.355. En cette période troublée où toute réunion présentait de grandes difficultés, des retards pouvaient intervenir. Les lettres du P. de Clorivière qui se rapportent à cet événement sont incomplètement datées, et l'édition imprimée modifie ou complète - parfois sans le signaler - les données fournies par les autographes. Ainsi la lettre du mercredi 8 août, p.105, est datée du mercredi 7 sur l'autographe, sans aucun doute possible, ce qui la rapporte à 1793, sinon il faudrait supposer une distraction de la part du P. de Clorivière. Quant à la lettre du 14 août 1792, p.106, l'autographe ne porte aucune date. Quoi qu'il en soit, en 1792 comme en 1793, la Terreur règne en France.


- 20 r

même de toutes ces destructions que Mère de Cicé prononce ses premiers voeux le 15 août 1792. Huit jours avant, le Père de Clorivière lui écrit (1) ; le ton de cette lettre est grave, comme les circonstances qui le motivent : "Je me suis bien occupé de vous devant N.S. et je crois devoir vous dire en son nom et au nom de sa très Sainte Mère de vous disposer à faire vos voeux dans la Société des Filles du Sacré-Coeur de Marie, à la fête de son Assomption glorieuse, d'aujourd'hui en huit. Je vous dispense de vos examens, à cause de vos craintes excessives. Je vous réponds à vous-même et devant Dieu de vos dispositions. Cependant lisez avec soin l'examen, et entrez le mieux qu'il vous est possible dans les dispositions qu'il exige. Prenez là-dessus de fermes résolutions, si vous ne pouvez pas mieux faire. Prenez sur vous cet examen quand vous viendrez. Les voeux ne seront, cette fois-ci, que pour un an. Il vous serait bien difficile, pour ne pas dire impossible, de faire une retraite dans les formes ;vvotre situation présente, votre mal à l'oeil, et la nécessité où vous êtes de sortir de chez vous, de parler, etc. Mais faites-en ce que vous pourrez, sans aucune inquiétude, d'ici à l'Assomption. Relisez avec soin le plan et les règles, et les instructions sur les voeux. Animez-vous à une grande confiance, et que Notre-Seigneur JésusChrist soit toujours avec vous. Ainsi soit-il". La veille de la profession de Mère de Cicé, le Père de Clorivière a dû apprendre que la paix du Seigneur était venue- fortifier l'âme si souvent craintive de la première de ses filles, aussi lui écrit-il avec joie (2)

:

"Je remercie Dieu, ma chère fille, de la bonne nouvelle. Elle m'a bien consolé. Veillons et prions car le démon n'est pas endormi. Il faut s'armer du bouclier de la foi, du casque du salut, et de la cuirasse d'une ferme confiance (3). Avec ces armes que le Seigneur nous donne et que sa très sainte Mère nous met entre les mains, nous serons invincibles. J'ai dit à Mademoiselle Deshayes...le bonheur que vous auriez demain, et j'ai pris de là occasion (de lui dire) de se préparer au même bonheur pour la Purification prochaine". Nous ne possédons aucune indication sur le lieu où Mère de Cicé a pu émettre ses premiers voeux, tout comme nous ignorons celui où fut

(1) Lettres, p.105-106. (2) Lettres, p.106. (3) cf. St Paul, Ephêsiens 6, 15-19.


-ir prononcée sa première Consécration.

Ce silence, cette obscurité

qui

enveloppent à cette heure la première Mère, ne conviennent-ils pas

à

la fondatrice d'une Société religieuse souvent destinée à rester inconnue aux yeux du monde pour mieux travailler au règne de Dieu. Il nous reste cependant le texte autographe

de

l'instruction

prononcée par le Père de Clorivière à cette occasion. Il est trop

long

pour être reproduit intégralement, nous en citerons seulement quelques extraits.

Comment douter qu'en

une

telle circonstance, le

n'ait voulu présenter à.la première Mère, et à travers elle

fondateur à

toutes

ses filles présentes et à venir, l'essentiel de sa pensée sur la vocation de Fille du Coeur de Marie ? Les membres parisiens des deux Sociétés ont dû faire l'impossible pour venir entourer Mère de Cicé. L'assistance devait compter des prêtres du Coeur de Jésus car le Père de Clorivière prie l'Esprit Saint de mettre sur ses lèvres "des paroles de vérité propres à édifier ceux (1) entendront".

Un instant après d'ailleurs,

qui les

il fait clairement allusion à

la plénitude que les voeux religieux apportent à "l'engagement sacré" du sacerdoce. Un verset de l'Evangile de saint Luc (10, 42)

fournit les deux

idées centrales de l'instruction : "Marie a choisi la meilleure part,elle ne lui sera point otée". Commentant l'application de ce verset faite en ce jour par l'Eglise à la Mère du Sauveur, le

Père de Clorivière

proclame

tout d' abord

la gloire de Marie "chef d'oeuvre" sorti des mains de Dieu. Suit un solide exposé sur la nature des engagements contractés par les voeux : "Qu'est-ce que l'homme peut faire de plus saint, de plus parfait, de plus agréable à Dieu...que de lui faire le sacrifice le plus entier, le plus irrévocable...de son corps, de tous ses sens, de son âme et de toutes ses facultés, de tout soi-même ?" Le Père décrit alors les bienfaits résultant de

cette donation

totale et montre "l'excellence de la vie religieuse" qui fait de l'homme "l'image vivante du Sauveur des hommes".

(1) sinon le Père aurait dit "celles".

Le Christ est "le modèle

des


-30-

religieux", ce modèle la Fille du Coeur de Marie doit le contempler dans "la plus belle et la plus ressemblante... de toutes ses images", dans Marie, "le modèle achevé de toutes les vertus religieuses". On retrouve ensuite une idée chère au fondateur, et en rapport avec la pluralité des fins de la Société : "Divers ordres religieux...s'attachent principalement à honorer par leur culte et leur imitation plusieurs de ces différents mystères ; pour vous, ma chère fille et celles qui viendront après vous, sous la direction de ce même Esprit, vous considérerez tous ces mystères ensemble, vous considérerez toutes les vertus de Marie dans, le plus haut degré de leur excellence, en vous dévouant spécialement à son Sacré Coeur sous le nom de Fille du Sacré Coeur de Marie...tous vos soins et tous vos efforts auront pour but de conformer en tout, autant qu'il sera possible à votre faiblesse, votre intérieur sur celui de Marie". Après avoir montré que le bienfait des voeux est inestimable en lui-même, le Père souligne qu'il l'est aussi "eu égard aux circonstances". Ces circonstances, il les évoque en un tableau saisissant.

Les

membres des Sociétés les connaissent-, il s'agissait pour eux de réalités proches, ou présentes : "Voyez autour de vous, ce sont partout des églises démolies ou dévastées, ou livrées à un culte impie ; des autels renversés, les images saintes foulées aux pieds...le corps adorable du Sauveur traité indignement, les prisons sont pleines de prêtres, le plus grand nombre est forcé d'errer dans des régions étrangères... on ne peut plus offrir le sacrifice des autels que dans des lieux cachés et au péril de sa vie ; les monastères sont déserts...On proscrit la pratique des conseils évangéliques, on interdit la profession religieuse... le nom de Jésus-Christ est en horreur. On méconnaît le Dieu créateur du ciel et de la terre... C'est dans ces circonstances que le Seigneur vous appelle à lui... Je vous parle ma chère fille, et à toutes celles qui se proposent de marcher dans la même carrière". Il revient à Mère de Cicé d'indiquer la voie : "Le Seigneur par sa pure miséricorde vous a choisie pour être la première pierre du nouvel édifice qu'il élève à sa gloire et à la gloire de sa sainte Mère ! Vous êtes la première qu'il s'y choisisse pour épouse et nous pouvons espérer qu'il se servira de vous pour attirer à sa suite un cortège de vierges, un peuple d'élite qui s'efforcera de la dédommager par la ferveur de ses hommages, par la pureté de son amour, par la pratique des conseils évangéliques, des outrages d'un monde impie et de l'injure qu'on lui fait par la suppression de tant d'ordres". S'ouvrent alors les larges perspectives offertes à la Société par le Seigneur lui-même : "Ces désirs de contribuer à sa gloire ne peuvent venir que de lui,


- y% -

et des désirs si purs, si grands, si vastes, qui s'étendent à tous les temps, à tous les lieux, à toutes les classes de la société et dont le but serait de faire refleurir partout, pour les personnes du sexe, à l'honneur de Jésus et de Marie, la sainteté des plus beaux temps du christianisme... Ces désirs ne peuvent manquer d'être très agréables à Dieu". Après avoir ainsi magnifié la profession religieuse en général et la vocation à la Société, le Père de Clorivière fait appel à la confiance. Mère de Cicé doit marcher sans inquiétude dans cette voie

que

Dieu

lui-même a choisie pour elle. "Le Sauveur du monde vous manifeste sa volonté, et par les circonstances extérieures, et par son inspiration secrète, et par une chaîne d'événements particuliers par lesquels la Divine Providence vous a conduite comme par la main jusqu'au terme où vous vous voyez maintenant(1)... C'est lui-même qui vous a choisie pour le servir de cette manière et qui vous a prescrit le chemin dans lequel vous devez marcher après Lui". Au sortir de cette cérémonie des premiers voeux de Mère de Cicé, les fondateurs et les membres des Sociétés se retrouvaient affrontés à la Terreur qui frappait dans les rues et dans les maisons soupçonnées d'abriter le culte catholique. Nul n'était assuré de rentrer en sécurité à son gîte du moment. Qu'importe... 1'oeuvre "reçue d'en haut" se poursuivait ; elle était "fondée sur le roc".

LES FONDATEURS DANS LA TOURMENTE. En cette fin d'août 1792, sous la pression des

événements, la

Terreur va croissant. Les armées alliées ont commencé à envahir la France. Verdun, dernière place forte défendant la route de Paris est assiégée le 30. A cette nouvelle, la Commune fait sonner le tocsin et certains meneurs exhortent le peuple à ne pas marcher contre l'ennemi avant d'avoir exterminé les traîtres de l'intérieur. Des bandes d'énergumënes pénètrent dans les prisons et se livrent, du 2 au 4 septembre, à ces odieux assassinats qui restent connus dans l'histoire de France, sous le nom "Massacres de Septembre".

(1) Voir Fascicule I "Dieu prépare", p.29-59.

de


- 3i-

Parmi les- victimes on compte quatre membres de la Société du Coeur de Jésus : aux Carmes, Mr Desprez, vicaire général du diocèse de Paris (1), au séminaire St Firmin, utilisé comme prison, Mr Louis Lashier préfet du séminaire St Nicolas (2). Le nom et le lieu du massacre des deux autres restent inconnus (3). Les massacres cessent à Paris le 5 septembre, mais ils s'étendent et se prolongent en province. "Une véritable battue se déchaîne sur tout le territoire" (4) visant les prêtres réfractaires. Près de trente

à

quarante mille ecclésiastiques se réfugièrent alors à l'étranger. Une lettre du Père de Clorivière nous livre ses sentiments d'alors Il est assuré d'en trouver l'écho chez Mère de Cicé (5)

:

"Unissons... nos dispositions à celles de Jésus-Christ dans son agonie au jardin. Je regarde comme bienheureux le sort de nos frères et la confiance que j'ai de leur mort ne me permet pas de prier pour eux. Si Dieu veut nous honorer d'une semblable mort, regardons-la comme la plus précieuse de ses faveurs. Notre soin doit être de nous y disposer par le plus entier abandon entre ses mains. Prions les uns pour les autres et pour l'Eglise avec toute la confiance et la ferveur possibles. Peut-être n'aurons-nous pas le bonheur et la gloire d'être du nombre des victimes immolées ; mais ce qui est certain, c'est que Dieu demande au moins le sacrifice de la volonté et nous devons le faire sans réserve et sans limite". Cependant, cédant aux instances de Mère de Cicé devant le danger plus menaçant que jamais, le Père consent à s'éloigner provisoirement

(1) En juillet 1792, Mr Desprez de Roche et Mr Cormeau étaient allés à Montmartre dire la messe et prier près de la chapelle des martyrs, demandant "la grâce ou du moins l'esprit du martyre". A deux ans d'intervalle, leur prière fut exaucée, Mr Desprez en août 1792, Mr Cormeau en juin 1794. (2) Le P. de Clorivière avait trouvé beaucoup d'amitié dans la communauté des prêtres de la paroisse St Nicolas du Chardonnet, qui dirigeait un grand et un petit séminaires. Plusieurs de ses membres entrèrent dans la Société du Coeur de Jésus. (3) Ne serait-il pas question d'eux dans une lettre sans date (Lettres, p.132) où le P. de Clorivière écrit à M. de Cicé : "Vous me faites grand plaisir en me donnant des nouvelles de nos deux amis. Je les croyais dans le ciel, bien qu'ils fussent encore sur la terre. Je ne les invoquerai pas encore et il faudra que je les efface de mon martyrologe où je les avais inscrits". (4) J. Leflon, op.cit., p.99-103 et André Latreille, l'Eglise catholique et la Révolution française, t.l, p.121. •.

(5) Lettres, p.107.


de Paris. Il se réfugie chez son cousin, Mr de Mascrani, à Villers-sousSt Leu, non loin de Chantilly. Une lettre de Villers, du 19 septembre 1792 (1) traduit, avec les cruelles incertitudes du temps, la confiance du Père en la sagesse

de

Mère de Cicé : "Je suis, Mademoiselle, bien inquiet de vos nouvelles, et l'incertitude des événements me rend votre absence bien pénible et me fait trouver le temps bien long. Je prie de grand coeur le Seigneur de veiller bien spécialement sur celle qui a pris tant de soins des autres et de nous la conserver. Sans la confiance que j'ai dans sa bonté, ma peine serait bien plus grande. Acquiesçons en tout à sa divine volonté...Ne la perdons jamais de vue, c'est en elle seule que nous pouvons trouver notre force et notre repos. Vous avez été dans ces derniers temps son interprète à mon égard, et comme l'instrument dont la Providence s'est servie pour me soustraire à bien des dangers ; daignez m'en servir encore. Convient-il que je reste ici encore longtemps ou que j'en sorte bientôt ? Sera-ce pour retourner à Paris ou à St Denis ? (2) Où vous fixez-vous, au moins pour quelque temps ?...A-t-on fait aucune visite dans l'un ou l'autre endroit ? (3) S'il est possible, donnez-moi au plus tôt de vos nouvelles ; 1'éloignement dans les circonstances a ses avantages, mais il a aussi ses tourments". En ce moment, Mère de Cicé est aux Incurables où elle soigne une malade, le Père est préoccupé de sa santé : Le 24 septembre, toujours de Villers (4)

j:

Votre lettre...m' a tiré d'une grande inquiétude...mon imagination qui travaillait dans votre absence se figurait déjà les choses les plus tristes. De grâce, le plus tôt que vous pourrez, transportez-vous ailleurs avec votre malade". ' Une autre lettre du 30 septembre presse à nouveau Mère de Cicé de quitter les Incurables et laisse entrevoir le prochain retour du Père à Paris. Il a appris la victoire des armées républicaines sur les alliés à Valmy le 20 septembre 1792 et y fait allusion dans le passage suivant (5): "Faisons des voeux pour notre République ; elle est assez forte pour se défendre de ses ennemis extérieurs et visibles ; ceux que je

(1) Lettres, p.109. (2) Sans doute chez les Annonciades. (3) Il s'agit évidemment de perquisitions de la police. (4) Lettres, p.110. (5) Lettres, p.113-114.


crains pour elle, ce sont les ennemis intérieurs et invisibles qui la désolent et mettent parmi nous le désordre et le trouble". Cette victoire a les plus grandes conséquences à l'intérieur du pays. Le lendemain même, 21 septembre, la

Convention, nouvelle

Assemblée qui succède à l'Assemblée Législative, décrète à l'unanimité l'abolition de la royauté. Le 22, elle décide, pour marquer

le chan-

gement de régime, que les actes publics seront dorénavant datés l'An I de la République, "La République française

de

une et indivisible"

est proclamée. Le 8 octobre, dernière lettre de Villers du Père de Clorivière, à la veille de rentrer à Paris ; mais il demeure si bien caché

que

nous perdons sa trace. Mère de Cicé doit, à cette époque, habiter avec Mlle Deshayes. Nous n'avons aucun écho direct des fondateurs au sujet

des

événements qui bouleversent alors la France. Tout d'abord le procès du Roi accusé de relations

avec

les

alliés. Condamné à mort, il est exécuté le 21 janvier 1793, place de la Révolution, aujourd'hui place de la Concorde. Cette exécution provoque une vaste coalition des souverains d'Europe contre la France révolutionnaire. Pour résister à l'invasion étrangère, la Convention décrète la levée de 300.000 hommes. Les émeutes de février et de mars, la menace de famine dont sont rendus responsables tous les "traîtres", légitimeront les pires exactions.

Un

comité national de salut public est organisé dans la capitale, des tribunaux révolutionnaires dans toute la France, un conseil de surveillance dans chaque commune. Représailles et exécutions se multiplient. Nous indiquerons brièvement quelques-uns des décrets anti-religieux qui enserrent alors comme d'un réseau tous ceux qui

veulent

rester fidèles à l'Eglise : 23 avril 1793 : Sont punis de mort dans les 24 heures, les prêtres en exercice qui ont refusé de prêter le serment, et résident encore sur le territoire. Les autres prêtres, ayant refusé le serment, seront déportés.


15 juillet : Doit être déporté tout ecclésiastique qui refuse de marier religieusement les divorcés et tout évêque qui condamne le mariage des prêtres. 9 octobre : Un avis interdit le culte public - ordonne la destruction de tous les emblèmes religieux et laïcise même les funérailles. le 10 novembre Célébration sacrilège de la déesse Raison à Notre-Dame de Paris. Des célébrations impies du même genre se déroulent en province. Des le mois d'octobre, le danger extérieur s'atténue, l'ennemi est à nouveau repoussé au-delà des frontières. Les mesures dites "d'épuration" continuent à sévir à l'intérieur jusqu'à la chute de Robespierre le 9 thermidor, an II (27 juillet 1794). Une accalmie momentanée ouvrira les portes des prisons. Ce sera la fin de la "Grande Terreur" mais pas encore celle de la Révolution. Des lettres sans date, ou incomplètement datées, par prudence, mais qui se réfèrent manifestement à cette période, nous permettent de saisir quelque peu la vie des fondateurs à cette époque, vie sans cesse menacée : "Ce 3 mai (1) Dieu soit béni ! J'avais envoyé savoir de vos nouvelles ; je désirais surtout savoir s'il y avait encore quelque crainte de visite ou d'apposition du scellé. On ne m'en a rien dit... Je suis ici on ne peut plus tranquille...cela toutefois ne m'empêche pas de désirer me réunir à vous... Prions pour cette réunion, et demandons au Seigneur qu'elle se fasse au plus tôt si c'est pour sa gloire et son bon plaisir". "le 15 juillet au soir (2). Je ne crois pas que vous deviez songer à sortir demain pour satisfaire votre dévotion ; n'y songez même pas. Le Seigneur agréera votre sacrifice. J'aurais bien mieux aimé vous porter ce que vous désirez (sans doute la sainte communion), mais la chose n'est pas trop en mon pouvoir. Des sorties si fréqentes...ne seraient pas sans danger". Dans une autre lettre, sans aucune date (3) "Ne sortez point le long du jour autant qu'il est possible. C'est une grande peine pour moi de ne point vous voir, mais quant à présent la chose est comme impossible... Nos D.D. sont plus longtemps détenues que je ne pensais (4). Si cela dure, il serait nécessaire de songer à quelqu'autre retraite. Il n'en est pas encore temps ; mais dites-moi

(1) Lettres, p.i20. (2) Lettres, p.116. (3) Lettres, p.117. (4) Sans doute les Dames carmélites de la rue de Grenelle, arrêtées le 29 novembre 1793 et dont la détention se prolongera près d'un an.


vos vues et ce que vous comptez faire. Je ne voudrais pas, si cela se peut, que nous fussions séparés. Recommandons tout à Dieu sa divine volonté est notre règle et notre boussole". Une lettre (1) exalte le prix de la souffrance généreusement supportée en union avec le Christ. Les dernières lignes montrent

que

malgré le danger, Mère de Cicé se réunissait parfois avec ses filles : "Je vous félicite du temps que vous avez passé avec vos amies et je les en félicite elles-mêmes ; j'aurais eu bien de la satisfaction si j'avais pu vous y. voir réunies. Dieu ne l'a pas permis ; il a ses desseins que nous devons adorer. Il n'est pas encore temps de rien définir ; le temps éclaircira tout. J'ai appris par les journaux qu'un des hommes que j'estimais le plus pour sa vertu, le P. d'Hervillé... vient d'être guillotiné ; je n'ai pas balancer à l'honorer comme martyr". Les dernières lignes d'une autre lettre (2) sans date sont émouvantes dans leur laconisme voulu. On 2 février ;

est

sans doute à la veille

du

la vie religieuse doit se poursuivre, quoi qu'il arrive :

"Les commencements de la petite Société sont bien turbulents (3): que cela ne fasse qu'augmenter notre espoir. Pensons-y singulièrement à l'approche de la Purification. C'est le jour de notre naissance. Que notre amour redouble pour notre auguste Mère. La petite retraite selon la coutume. Renouvellement. Mille choses à votre respectable compagne. Priez pour moi". Une lettre datée du 8 août prépare à la fête de l'Assomption (4). Le Père parle d'abord du Directoire qu'il n'avait pu terminer

en

1791,

lors de son voyage en Bretagne : "Je vous envoie le reste du Directoire que je vous prie de lire et de relire avec attention... Je crois, pour le présent suffisant que chacune de celles que vous établirez pour présider en chaque endroit en ait une copie...elle pourra...développer un peu chaque chose et en particulier les moyens de perfection et les 'autres devoirs...Faites attention pour vous à ce que je marque dans ce que je vous envoie, chap.III, art.12, n°2. Vous le ferez au nom de toutes vos filles. Il faut aussi une rénovation des

(1) Lettres, p.117 sq. (2) Lettres, p.120. (3) Nous dirions aujourd'hui "perturbés". (4) Lettres, p.136.


- 3^--

promesses à la fête de l'Assomption, précédée s'il se peut de quelque rëcollection. Vous en jugerez - Surtout renouvellement de ferveur... Continuez avec confiance l'oeuvre de Dieu". En post scriptum : "Ne manquez pas de faire part des observations que vous ou nos amis pourriez faire sur le règlement". Au cours de cette "Grande Terreur", le Père de Clorivière est frappé dans ses plus chères affections familiales : son frère, Alain-Michel Picot de Limoëlan et trois nièces,mariées toutes trois, filles de sa soeur Jeanne et de son beau-frère, Marc Désilles de Cambernon sont impliqués dans une conspiration royalistë en Bretagne. Arrêté en mars 1793, Mr de Limoëlan et sa nièce Mme de la Fonchais seront exécutés à Paris au mois de juin suivant (1). Sa soeur, Thérèse de Gonzague, visitandine, a été obligée de

se

réfugier en Belgique avec quelques compagnes, après la réquisition de leur monastère de la rue du Bac. Revenues secrètement à Paris, elles logent à Neuilly dans une situation voisine de la misère. A plusieurs reprises le Père de Clorivière remercie Mère de Cicé de ce qu'elle a fait pour sa soeur (2). Arrêtée avec ses compagnes, elle se préparait avec joie à la mort lorsque la réaction du 9 Thermidor, an II (27 juillet 1794) la frustra d'un martyre ardemment désiré. Les Sociétés sont, elles aussi, atteintes dans leurs membres, Mr Cormeau est arrêté le 9 août 1793. Il prononce ses voeux en prison, le 15 août. Après une longue détention durant laquelle il exerce son ministère apostolique auprès des détenus,

il

est guillotiné

à

Paris

le

9

juin 1794, place de la Bastille (3). En mars de cette même année, Mme des Bassablons (4) a été arrêtée dans sa propriété de Pontpinel (5) où elle avait caché nombre de prêtres. Envoyée à Paris pour y être jugée, elle soutient le courage de

ses

(1) M. de Bellevue, op.cit., p.150-152. (2) Lettres, p.119 et passim. (3) cf. J.Hêrissay, Mr Cormeau, saint de Bretagne, Bloud et Gay, 1937. (4) M. de Bellevue, op.cit., p.159-162, et du même auteur : au temps de la Révolution, Madame des Bassablons . (5) actuellement maison pour les F.CM. âgées.

Une Malouine


compagnons d'infortune, en attendant d'être guillotinée

place du Trône

renversé (1), le 20 juin 1794. La tradition de la Société, d'après souvenirs de Mère de Saisseval, veut

que

le

les.

Père de Clorivière ait

réussi à la rejoindre en prison et à la confesser (2). La dernière lettre de cette terrible époque, parvenue jusqu'à nous, est datée du dimanche 25 mai. Le Père y parle de son prochain aménagement rue Cassette, avec ce détail qui en dit long (3)

:

"N'ayant que bien peu de meubles, on pourrait aisément déloger en cas d'événement", puis ce conseil évoquant les dangers de l'heure : "Ne pensez jamais à mettre le pied ici ; il n'y aurait point de sûreté pour vous à le faire. La portière parle encore quelquefois de vous, et dit qu'elle vous reconnaîtrait bien ; elle ne sait cependant pas votre nom..." La correspondance entre les deux fondateurs cesse à partir de cette date, puisqu'ils habitent sous le même toit. Elle reprendra aux environs de 1799. Caché maintenant pour de longs mois, dans l'étroit réduit de la rue Cassette, le Père de Clorivière n'en sort qu'à la nuit tombante,

au

péril de sa vie. On est au plus fort de la Terreur, en cette fin de printemps 1794. Les historiens de la Révolution - ils sont nombreux - nous ont laissé maintes descriptions de la vie en France durant cette période tragique. Nous citerons ici une belle page du chanoine Leflon (4)

qui

évoque l'admirable fidélité du peuple de Dieu, face à la persécution : "La Grande Terreur...ne réussit pas à supprimer l'Eglise catholique. Elle survit dans ces prêtres de campagne qui s'obstinent au péril de leur vie à exercer clandestinement leur ministère, se cachent dans les bois, les puits, les armoires à double-fond et les tonneaux des celliers... Elle survit dans ces prêtres des villes déguisés en ouvriers, en femmes à l'occasion, aumôniers de la guillotine qui se glissent dans les

(1) Le qualificatif "renversé" avait été ajouté par les révolutionnaires. (2) Le fait n'était pas isolé. Cf. J.Hérissay, Les aumôniers guillotine (1793-1794), Bloud et Gay, 1935.

de

la

(3) Lettres, p.131. L'autographe ne porte pas de millésime, mais l'indication du"dimanche 25 mai" permet de la situer sans doute possible en 1794. (4) J. Leflon, op.cit., p.126-127.


-33prisons comme marchands fripiers et accompagnent les charrettes jusqu'au pied de l'échafaud ; elle survit chez ces chrétiens, ces chrétiennes qui risquent leur vie en abritant les réfractaires ; elle survit dans ces communautés de moniales qui, telles les carmélites de Madame de Soyecourt, s'obstinent à maintenir en plein Paris leur communauté et leurs observances". Non seulement elle survit, pourrions-nous ajouter, mais elle porte déjà les germes d'une renaissance. A leur humble place, cachée aux yeux des hommes, deux fondateurs, fidèles à la mission "reçue d'en haut", apportent une pierre nouvelle à l'édifice qui va jaillir des ruines.

o o

o


- 4ffl -

CHAPITRE

III

LES DEUX RECLUS DE LA RUE CASSETTE.

Les fondateurs résident sans doute, presque sans interruption rue Cassette-de mars ou avril 1794 à 1798 inclus. Ils s' y

trouveront encore

en 1798 mais jouissant d'une plus grande liberté. Nous savons que dans l'étroite cachette, le Père de Clorivière a dressé un petit autel (1) où sont conservées des hosties consacrées. Mère de Cicé doit pouvoir assister au Saint Sacrifice. Nous savons aussi que le Père employa ses loisirs forcés durant sa réclusion rue Cassette, à écrire divers commentaires d'Ecriture Sainte et une partie importante du Commentaire de l'Apocalypse. Le chapitre VIII qui contient le récit des origines des Sociétés, y fut commencé en pleine Terreur le 2 juillet 1794 et terminé le 10 septembre de la même année. Le Père l'intitule : "D'un nouveau genre de Société religieuse qui paraît mieux adapté aux besoins des fidèles dans le 6ème âge". Le temps et le lieu de cette rédaction sont significatifs. On peut penser, qu'au sein de la tourmente, le fondateur a voulu relater l'inspiration, son désir de soumettre les Plans des nouvelles Sociétés au Souverain Pontife, l'évolution de sa pensée quant à la Société du Coeur de Jésus et les premières années de vie des Sociétés, non seulement pour en conserver le souvenir, mais aussi, peut-être, pour sauvegarder, quoi qu'il arrive en le consignant par écrit, le projet "reçu d'en haut". Par sa précision, ce document est d'une grande importance. Quelques lignes indiquent déjà quel doit être l'esprit des Sociétés (2)

:

"On croyait qu'il valait bien mieux, dans ce commencement, que chaque membre s' occupât à se bien remplir de l'esprit de la Société, qui ne devait être que celui du Coeur même de Jésus, que de penser à s'augmenter en nombre".

(1) M. de Bellevue, op.cit., p.148. (2) D.C., p.34.


- 4t -

Nous possédons plusieurs lettres du Père de Clorivière

écrites

au cours de 1796 et 1797 à Mlle Chenu, à Mlle d'Esternoz, à Mr de Lange; ce sont des lettres de direction spirituelle de grande valeur ; la vocation aux Sociétés y est proposée dans toute sa profondeur. Nous reproduisons seulement quelques lettres de Mère de Cicé évoquant la vie de la Société par ces "temps orageux" où elle est appelée à se développer. Le 6 juin 1796 à Mlle Thérèse Chenu : "Notre Père vient aussi de nous donner une petite retraite pour préparer trois soeurs à leur Consécration pendant l'octave du Saint-Sacrement ; il nous a dit un mot tous les soirs sur cet admirable sacrement avant la bénédiction". A la même le 23 septembre suivant : "Quant à la manière de faire les coulpes, nous avons peu en usage cette sainte pratique dans nos assemblées, parce mon Père qui les tient et il n'approuve pas que cela se fasse Vous ne devez pas non plus le faire quand quelques-uns de ces les conférences, mais dans vos assemblées particulières, cela

mis très que c'est devant lui. MM. font est d'une

grande utilité". A la même, le 20 janvier 1797 : "Nous sommes toujours ici dans le même état, c'est-à-dire tranquilles, mais sans nous assembler. Dieu a ses desseins là-dedans, il faut les adorer et s'y soumettre. Prions plus que jamais dans ces temps où le Seigneur est tant offensé". Par ailleurs nous savons grâce aux Archives du diocèse de Paris que, mettant à profit une période de calme relatif, le Père de Clorivière prêche du 10 au 17 juin de cette année 1797, une retraite d'ordination à 18 prêtres au Mont-Valérien. Le 18 octobre, une lettre de Mère de Cicé à Mlle d'Esternoz révèle une reprise des conditions difficiles : "Nous sommes dans une crise pendant laquelle je crois qu'il n'est guère possible de faire aucune affaire, ni même de prendre aucun parti de voyager ou de rester. Il faut vivre au jour le jour". Et le 25 novembre suivant, à Mlle Thérèse Chenu : "Je ne suis pas étonnée que vous ne puissiez pas vous rassembler, il faut reconnaître en cela, comme dans tout le reste l'ordre de Dieu... C'est beaucoup que vous puissiez voir de temps en temps les unes et les autres...ce secours est, je pense, d'autant plus nécessaire que l'ange des ténèbres a bien du pouvoir dans ces jours".


- 41-

Une lettre du Père de Clorivière à Mlle d'Esternoz, sans date mais classée avec vraisemblance en 1798, donne une précision intéressante sur la "petite retraite" appelée traditionnellement "Triduum aux premières F.CM.". Rappelons que Mlle d'Esternoz, en qualité de supérieure devait s'occuper des sujets venant à la Société (1)

:

"Rien, ce me semble, ne peut y contribuer davantage qu'une analyse (2) de discours relatifs à la Société, que je viens de faire dans la petite retraite dont l'objet était de disposer les âmes â la consécration qui, parmi les Filles du Coeur de Marie, tient lieu de vêture et doi en produire les effets...Dans cette petite retraite de trois jours, j'ai donné deux discours par jour. Dans ceux du matin, je me suis proposé de développer la nature de la Société du Coeur de Marie ; ceux du soir ont été des conférences sur les voeux substantiels de la religion, qu'on doit garder avec soin dès le moment de la consécration dans la Société." La fin de cette année 1798 sera marquée par un nouvel écrit du fondateur, d'une grande portée pour les deux Sociétés : le Mémoire aux Evêques de France, dont nous parlerons un peu plus loin.

La France de 1794 à 1799.

Il est impossible de retracer, même à grands traits, l'histoire intérieure et extérieure de la France pendant ces cinq années. En simplifiant à l'extrême, on posera seulement quelques jalons en vue d'éclairer un tant soit peu.les consignes de prudence et de patience, relevées à cette époque dans la correspondance des fondateurs. La réaction du 9 thermidor, an II (27 juillet 1794) est marquée par l'avènement d'une certaine tolérance, engendrée par les excès mêmes de la révolution sanglante. La Convention "thermidorienne" remplace la Constitution de 1793 par la Constitution dite de l'an III (1795). Celle-ci donne le pouvoir à

(1) Lettres, p.636-637. Dans la liste autographe des Ecrits relatifs aux deux Sociétés, "L'Analyse d'une petite retraite" est mentionnée immédiatement après les "Conférences sur les voeux". (2) "Analyser" est employé ici par le Père de Clorivière, dans le sens d' "expliciter", et non de "résumer".


un nouveau régime politique : "le Directoire", le pouvoir exécutif étant confié à cinq Directeurs. Le Directoire se trouve bientôt aux prises avec de fortes pressions d'extrême droite (royalistes), et d'extrême gauche (révolutionnaires). Pour y échapper, car les hommes en place se sentent menacés, le Directoire prépare, avec l'appui de l'armée, le coup d'état du 18 fructidor, an V (3 septembre 1797). Mais l'armée est violemment républicaine, ce qui rejette le gouvernement à gauche ; il remet en vigueur les procédés révolutionnaires

et une politique anti-religieuse : lois de déportation contre

les prêtres, comme aux plus mauvais jours, et poursuite des émigrés rentrés en France, passibles de la peine de mort. On trouve dans la correspondance de Mère de Cicé des reflets de cette "seconde Terreur". Les révolutionnaires menaçant de prendre le pouvoir, le Directoire se résout à un nouveau coup d'Etat, celui du 22 floréal an VI (4 mai 1798). Il tente de reprendre l'autorité. Cependant, le désordre social, économique et financier grandit à l'intérieur. La démission de trois Directeurs le 30 prairial, an VII (18 juin 1799) s'avère inefficace. L'anarchie intérieure prépare une dictature. Pendant cette période, le génie militaire du général Bonaparte s'impose par les succès de la campagne d'Italie 1796-1797 (qui verra l'invasion des Etats Pontificaux) et la campagne d'Egypte 1798-1799. Le coup d'Etat du 18 brumaire, an VIII (9 novembre 1799) provoque la démission des Directeurs et la désignation de trois Consuls qui auront mission de préparer une nouvelle Constitution. L'un des trois

Consuls,

Bonaparte, qui est à l'origine du coup d'Etat, va bientôt prendre la première place dans le gouvernement du Consulat. Lassée, la France presque entière accepte le coup d'Etat qui marquait la fin de la Révolution.

PREMIERE APPROBATION DES EVEQUES. LES QUATRE PREMIERES LETTRES CIRCULAIRES DU FONDATEUR.

Au cours des années 1798 et 1799, les reclus de la rue Cassette retrouvent progressivement un peu plus de liberté d'action. Ils ont appris l'invasion des Etats Pontificaux par les armées républicaines, la prise de Rome en février 1798 et le scandale de l'arrestation de Pie VI emmené prisonnier à Valence.


-"HNous connaissons l'attachement et la vénération du Përe de Clorivière pour le vicaire de Jésus-Christ sur la terre ;. sa douleur doit être profonde . Toujours pénétré du désir de la première heure (1)

: recevoir

l'approbation de l'Eglise, qui seule pouvait constituer les Sociétés en Sociétés religieuses, le fondateur ne pouvant atteindre le Souverain Pontife, se tourne vers "les premiers Pasteurs", les évêques émigrés en Angleterre et en Allemagne. Il rédige à leur intention le "Mémoire

aux

Evêques de France". Ce mémoire doit être terminé vers la fin de novembre 1798, car dans une lettre à Mr Pochard, datée du 5 décembre de cette même année, le Père écrit (2)

:

"Je viens de faire un Mémoire ou Supplique raisonnée, pour être présentée à NN.SS. nos Prélats au nom des deux Sociétés. ...L'ouvrage est assez étendu : il y a deux parties...Je voudrais bien pouvoir vous communiquer cet écrit, vous y verriez de plus en plus l'esprit des deux Sociétés, et combien il est parfait. J'ai quelque espérance de le faire parvenir à sa destination". Dans l'exposé de mai 1808 (3) le Père relate lui-même cette démarche, ses difficultés et ses résultats : "La plupart des Evêques étaient alors chez l'étranger. En 1798, je fis un Mémoire pour leur être présenté. Ce Mémoire était détaillé. J'y montrais les services que l'Eglise pouvait retirer de ces deux familles, et je suppliais nos Prélats de vouloir bien s'intéresser pour elles auprès du Siège Apostolique. L'Allemagne était alors en feu. Celui des Nôtres qui était chargé du Mémoire ne put pénétrer qu'en Angleterre, et ce ne fut pas sans courir bien des risques. Il y avait alors 17 Evêques français qui s' y étaient réfugiés. Cinq d'entre eux formaient à Londres un Comité qui, en leur nom et au nom de leurs Collègues, jugeait les causes qui leur étaient rapportées ; le Mémoire fut présenté à ce Comité. Il y fut examiné, discuté de point en point. Il fallut répondre à toutes les difficultés qu'on y fit ; mais enfin, il fut unanimement approuvé. Tous admirent la bonne oeuvre pour leurs Diocèses respectifs. On voulait même en donner un acte par écrit, mais Monseigneur de Boisgelin, alors Archevêque d'Aix, qui présidait au Comité, les en dissuada par la raison qu'ils étaient hors de leur Diocèse. C'est de lui-même que je tiens ce fait lorsqu'il était Archevêque de Tours et Cardinal".

(1) cf. Fascicule IV, Approbations données par l'Eglise à la Société des F.CM. (2) Lettres, p.850. (3) D.C , p.472-473.


Ce Mémoire, premier exposé détaillé sur les Sociétés constitue un document d'une grande importance dans l'histoire des fondations. Il est écrit huit années après l'inspiration de 1790, années lourdes d'événements. Le plan d'une nouvelle Société religieuse "montré comme dans un clin d'oeil", a été confronté aux dures réalités de la Révolution. Loin d'en être ébranlées, ses lignes maîtresses ont été confirmées par les événements. Il s'agit maintenant de le présenter et de le commenter pour convaincre les évêques que ces Sociétés ont "tout ce qu'il faut pour devenir des Sociétés religieuses" (1). La distinction de l'essentiel et de l'accidentel est clairement explicitée, et le fondateur met un soin particulier à préciser l'esprit et la pratique des voeux substantiels de religion, dans cette nouvelle forme de vie consacrée. On connaît sa conclusion à cet égard, elle ne manque pas de hardiesse, mais répond à sa plus intime conviction (2)

:

"Nous croyons avoir prouvé que ces voeux ont tout ce qui est essentiel aux voeux de Religion ; que quant à l'esprit qui doit en animer la pratique, ils n'ont rien de moins sublime que dans ces Ordres qui ont édifié le plus l'Eglise par leur obéissance et leur pauvreté ; que quant à la pratique extérieure, elle peut être portée à ce que ces voeux ont de plus héroïque ; qu'ainsi ces Sociétés telles qu'elles ont été représentées, ont tout ce qu'il faut pour devenir des Sociétés vraiment religieuses, si l'Eglise daigne imprimer sur elles, le sceau de son approbation." Deux mois à peine après la rédaction du "Mémoire aux Evêques", le Père écrit la première Lettre circulaire. A court intervalle, elle

sera

suivie de trois autres destinées a nourrir spirituellement les Associés des deux Sociétés. Ce sont comme les fruits de l'intuition première : l'esprit, la structure interne, la mystique propre à la mission confiée s'y trouvent en germe. La première, du 14 février 1799, sur la conformité au Coeur du Christ et à celui de sa Mère, indique la source dont tout découle. La deuxième, du 1er mai, sur le "Cor unum et anima una" des premiers chrétiens, présente à des associés dispersés le modèle-type de "l'intime union qui doit régner" entre eux.

(1) D.C., p.133. (2) D.C., p.154.


- h£ -

La troisième, du 19 juillet, sur la pauvreté communautaire, demande le témoignage d'une charité qui embrasse concrètement le service de

la

Société, celui de ses frères, de l'Eglise et de tous les hommes. La quatrième, sur "Les grandeurs et les perfections de la Bienheureuse Vierge" a dû être écrite peu de temps après la troisième ; sa perte est vivement ressentie par la Société des Filles du Coeur de Marie. Le Père de Clorivière semble aussi avoir mis à profit la liberté relative de l'année 1799 pour visiter quelques groupes de la Société. Une lettre du 14 mai (1) à Mère de Cicé, sans millésime, mais probablement de cette époque, fait allusion à ces déplacements : "Partout où j'ai été vous étiez bien désirée et on a bien prié pour vous". L'année 17 99 ne devait pas se terminer sans une nouvelle épreuve pour la Société. Nous avons signalé les oscillations de la politique du Directoire, avant le coup d'état du 18 brumaire (9 novembre 1799). Dans la crainte de soulèvements royalistes, une loi dite "des otages"

est

promulguée le 12 juillet 1799 : les parents des émigrés et des royalistes seront tenus pour responsables des désordres qui se produiraient en France dans leurs communes respectives. Quelques semaines plus tard, le 23 août, Mère de Cicé, inculpée d'entretenir une correspondance politique avec les membres de sa famille émigrés (2)

est arrêtée et incarcérée à Ste Pélagie. Il lui est facile

de se disculper ;. elle est relâchée après quinze jours durant lesquels elle avait exercé sa rayonnante charité auprès de ses compagnes d'infortune. Les pièces du procès, conservées aux Archives Nationales, nous donnent quelques détails intéressants sur le signalement de Mère de Cicé et sur son habitation rue Cassette (3). Il faut noter qu'à partir de cette date, Mère de Cicé restera sous la surveillance de la police.

(1) Lettres, p.141. (2) Ses deux frères évêques, sa soeur Elisabeth et son frère Augustin. (3) cf. M. de Belleviie, op. cit., p.173-175.


ï -

MEMOIRE AU SOUVERAIN PONTIFE PIE VII.

1800.

On a signalé, en 1798, l'invasion et l'occupation des Etats Pontificaux et l'internement du Souverain Pontife Pie VI à Valence. Il devait y mourir, après quarante jours de réclusion dans le château de la Citadelle, le 29 août 1799. Au cours de son exode de Rome à Valence, le Saint-Père avait profité de son séjour à Florence pour prendre des mesures exceptionnelles en vue de l'élection de son successeur. Au moment où beaucoup pensaient que la chrétienté ne se relèverait pas de ces désastres temporels, Pie VI conservait une confiance invincible dans les "promesses de pérennité faites à l'Eglise par son fondateur".

(1)

Le conclave réuni à Venise difficultés, élisait

le 8 décembre 1799, malgré de

grandes

le 14 mars 1800 un religieux bénédictin, le cardinal

Barnabé Chiaramonti, alors évêque d'Imola, qui prit le nom de Pie VII, "en souvenir de gratitude" pour son prédécesseur. Le nouveau Pape faisait, son entrée à Rome le 3 juillet suivant. Nous savons que le Père de Clorivière désirait toujours ardemment soumettre les Sociétés à l'approbation du Souverain Pontife ; de lui dépendait finalement "leur existence religieuse". Le Père de Clorivière dut très vite se mettre au travail pour

composer le "Mémoire au Souverain Pontife Pie VII", dès qu'il eut connaissance de son entrée à Rome, car la lettre destinée à présenter ce Mémoire au Saint-Père est datée du 2 septembre (2). Le fond de ce nouveau document (3) est sensiblement le même que celui du "Mémoire aux évêques de France" ; la forme en est très différente . Ce n'est plus seulement un commentaire mais un exposé très élaboré sur la nature, l'esprit et la forme des Sociétés, et les obligations qu'on y contracte. Il est assez remarquable de noter qu'en fait, la majeure partie du Mémoire présenté au Saint-Père reprend presque mot pour mot d'importants fragments du Plan abrégé de la Société du Coeur de Jésus imprimé en 1792.

(1) A. Latreille, op.cit., t.l, p.279. (2) D.C., p.243-246. (3) D.C., p.255-290.


- 48-

Parmi ces-fragments, seize

paragraphes seront intégrés, comme

autant de règles dans le Manuel de la Société des Filles du Coeur de Marie de 1818 (1). Le mémoire fait aussi mention de l'utilité des Sociétés "même dans des temps plus paisibles" et rappelle son origine charismatique (2) "Ce que je puis dire avec quelque assurance, c'est que Dieu nous a inspiré la première idée de cette oeuvre lorsque nous étions bien éloigné d'avoir une semblable pensée, que c'est Lui qui nous a donné la force de l'entreprendre". L'approbation 'sollicitée se posera donc sur l'ensemble des éléments constitutifs de ces deux nouvelles familles religieuses, tels qu'ils ont été conçus dès l'origine. Une préparation active, enveloppée du secret le plus absolu devait préluder à la mission des deux envoyés du fondateur à Rome : MM. Astier et Beulé, prêtres du Coeur de Jésus. Ceux-ci apporteront, outre

le

Mémoire et les ouvrages concernant les Sociétés (3), plusieurs lettres de recommandation, notamment celle de Mgr Cortois de Pressigny et celle de Mr Bernier, vicaire général de la Rochelle, et secrètement chargé de tractations entre le Consulat et le Saint-Siège. La démarche des deux envoyés, facilitée par Bernier qui leur a aussi obtenu leurs passeports, aura une double fin : solliciter l'approbation des Sociétés et informer Rome sur la situation intérieure de la France.

Pendant que les associés et les fondateurs sont dans l'attente d'une décision qui engage l'avenir des Sociétés, une nouvelle tempête

(1) Le "Manuel à l'usage des Filles du Coeur de Marie" édité en 1818 comprend deux volumes. Le premier renferme la "Constitution abrégée des Filles du Coeur de Marie faite d'après le Plan approuvé par le souverain pontife, en 1801" (en 25 n°), la "Règle de conduite..." puis les paragraphes tirés du Plan de la S.C.J. de 1792 mentionnés ci-dessus, sous le titre "De l'observance des voeux et de l'Exercice des principales vertus". Le second volume renferme les "Réflexions sur le Sommaire". (2) D.C, p.275 et 281. (3) D.C, p.473-475.

cf. Plan de 1792, D.C, p.99 et 103.


bien inattendue

va s'abattre sur celles-ci.

Le 3 nivôse an IX (24 décembre 1800), éclate l'attentat de "la Machine infernale" dirigé contre le Premier Consul, Napoléon Bonaparte. Totalement étrangers à cette affaire, Mère de Cicé et de Clorivière y seront gravement compromis.

o o

o

le

Père


- 50-

II 1800

-

CHAPITRE

180/4.

I

LE COMPLOT DE LA MACHINE INFERNALE.

Les graves conséquences de ce complot devaient peser de longues années sur Mëre de Cicé et sur le Përe de Clorivière. Rappelons brièvement les faits. Le 3 nivôse, an VIII (24 décembre 1800), comme le Premier Consul se rendait en voiture à l'Opéra, par la rue St Nicaise (1), une "machine infernale" éclate sur son passage faisant 7 morts, 20 blessés graves et 5 blessés légers (2). La déflagration se produit vers 8 heures du soir quelques secondes après le passage de Bonaparte qui a la vie sauve. A Paris, l'émotion est considérable. Les soupçons se portent d'abord sur les Jacobins, de tendance révolutionnaire, qui reprochaient au Premier Consul le décret du 20 octobre 1800 (connu mais non encore promulgué), par lequel 50.000 émigrés étaient rayés,d'un seul coup, de la liste de proscription. Mais

à

leur tour, les royalistes par cette mesure libératrice voyaient

grandir et s'imposer l'autorité du Premier Consul. En fait, ce

sont

quelques extrémistes qui décident alors de supprimer Bonaparte afin de hâter une restauration monarchique. Joseph de Limoëlan, neveu du Père de Clorivière est au nombre des conjurés. Fouché, préfet de police et ses limiers découvrent bientôt la bonne piste ; Saint-Régent, principal responsable et Carbon, un de ses comparses, sont arrêtés. Limoëlan parvient à se cacher et à s'enfuir.

(1) La rue St Nicaise allait de la rue de Rivoli à la rue St Honoré, l'explosion eut lieu au coin de la rue St Nicaise et de la place du Carrousel. (2) Jean Thiry, La machine infernale, p.191, citant le rapport de Chaptal, ministre de l'Intérieur, du 11 nivôse an VIII (1er janvier 1801).


- 51 Or, Carbon a été recommandé â Mère de Cieé qui, ignorant tout, pense avoir affaire à un de ces émigrés qui rentrent en grand nombre à la faveur du décret du 20 octobre, sans attendre que leurs papiers soient en règle. Mme de Gouyon et ses deux filles sont en visite chez Mère de Cicé au moment où lui parvient le pressant message dont elle fait part à ses amies. Celles-ci logent rue Notre-Dame des Champs dans une pension de famille (1) tenue par Mme Duquesne et quelques-unes de ses soeurs, religieuses de Notre-Dame de charité du Refuge, connues sous le nom de Dames de St Michel. C'est là que Carbon sera hébergé. Une fois arrêté, pour tenter de sauver sa tête, il livrera les noms et les adresses de ses bienfaitrices.

Arrestation et procès de Mère de Cicë. Arrêtée le 19 janvier 1801, Mère de Cicé est conduite à SaintePélagie où l'on enfermait les femmes dites de "mauvaise vie". On a souvent décrit l'admirable charité déployée par notre première Mère auprès de ces infortunées. Elle y manifeste cette qualité d'amour fraternel qui, d'instinct, cherche à restaurer la dignité de celui qui est l'enfant de Dieu. Mme s de Gouyon et Mme Duquesne sont également incarcérées. Toutes les Filles du Coeur de Marie ont lu le récit du procès de Mère de Cicé (2) et savent avec quel héroïsme celle-ci préféra encourir la peine de mort plutôt que de livrer le nom d'un innocent : le Père de Clorivière qui, trompé lui-même par son neveu Joseph de Limoëlan sur la véritable identité de Carbon, lui a recommandé ce malheureux. Sans doute est-ce aussi son neveu qui, le soir même de l'attentat du 3 nivôse a fait chercher le Père pour confesser d'urgence un grand malade dont il ne savait pas le nom (3) et qui n'était autre que Saint-Régent, blessé

par

1'explosion. Le Père de Clorivière était tenu au secret de la confession ; d'autre part, il ne pouvait dévoiler à la justice que c'était lui

(1) Sur l'emplacement du collège Stanislas. (2) Annales, t.l, p.343-360.

M. de Bellevue, op.cit., p.185-197.

(3) cf. M. de Bellevue, op. cit., p.196.

qui


- 51avait recommandé Carbon à Mère de Cicé.

En le

faisant, il l'aurait

compromise encore davantage sans la sauver pour autant. De graves suspicions pesaient sur le Père comme frère d'Alain-Michel de Limoëlan, père de Joseph) guillotiné en 1793 après avoir participé à un

(le

complot

royaliste, et comme fondateur d'une de ces sociétés religieuses secrètes qui étaient la hantise du Premier Consul, de Portalis, ministre des Cultes et, bien entendu, de Fouché, préfet de Police. Quoi qu'il lui en coûte, le fondateur doit garder le silence et se cacher une fois de plus dans les environs de Paris. Malgré sa foi et sa soumission à la volonté de Dieu, quelle dût être son angoisse en attendant le verdict du procès de Mère de Cicé.

"La croix tient lieu de tout". Nous possédons deux lettres (1), sans date et sans nom de destinataire mais évidemment de cette époque. Par prudence, pour déjouer les soupçons de la police, le Père écrit comme une amie à son amie. Ces lettres nous révèlent, à leur insu, à quel degré de charité surnaturelle se trouvent établis, comme de plain pied, les deux co-fondateurs. "Je prends toujours, ma bonne amie, une part bien vive à votre état de souffrance. Que le divin Epoux de nos âmes soit Lui-même votre consolation. Il vous a fait entrer depuis longtemps dans les Saintes voies de la Croix. Ce livre vous montrera de plus en plus combien ces voies sont belles et salutaires. Elles vous conduiront à la plus parfaite sainteté, à l'union la plus intime avec Notre Seigneur... Recevez la croix de sa main, comme il l'a reçue des mains de son Père et dites avec lui : ne boirai-je pas le calice qui m'est présenté par mon Père. Supportez patiemment toutes vos privations, même celles de la S.C. (sainte communion). La croix tient lieu de tout ; l'âme qui la possède est avec J.C. et J.C. est avec elle ; Marie la regarde avec complaisance, comme la fille chérie du S.C". Le Père de Clorivière connaît sa fille spirituelle et sait qu'il peut avec elle aller jusqu'au bout des exigences évangéliques.

Il con-

tinue : "Ayez en particulier Le bien qu'ils meilleurs amis

une tendre et pure charité pour tous vos ennemis ; priez pour ceux qui auraient été cause de ce que vous souffrez. vous procurent en cela est plus grand que tout ce que vos auraient pu faire pour vous."

(1) Lettres, p.142-143.


-5$:Or les risques étaient grands pour la prisonnière, la peine capitale n'étant pas exclue (1). Toutefois cette charité héroïque à laquelle le Père invite Mère de Cicé n'est pas inhumaine, loin de là, comme en témoignent ces lignes d'une seconde lettre (2) : " Je compatis à ce que souffre la nature et que la délicatesse du corps rend plus pénible ; mais j'y vois et je suis persuadée que notre amie y voit pareillement un trait de plus de ressemblance avec notre divin Maître", puis cette assurance d'une active sollicitude î "Depuis notre séparation je n'ai pas été un moment sans être occupée de vous devant Dieu. C'est là que tendent toutes mes prières. Il en est de même d'un grand nombre de bonnes âmes. Hier communion générale pour vous à la Visitation (3). J'attribue à ces prières l'intérêt chaud qu'on montre pour vous. Cela me fait espérer votre prompt retour ; je m'en flatte, mais je n'ose me livrer à la douceur de cette espérance. J'ajoute comme nous devons toujours le faire : "Fiat voluntas tua". Grâce en grande partie aux dépositions écrites ou orales de très nombreux témoins choisis parmi ces humbles, ces petits, si chers au coeur de Mère de Cicé, celle-ci fut acquittée à l'unanimité (4). On cite souvent l'adroit et vigoureux plaidoyer prononcé, dans le style du temps, par maître Bellart, avocat de la prévenue ; quant à déposition de Mère de Cicé, dans sa simplicité et sa noblesse,

la

elle fut

particulièrement émouvante.

Sous la surveillance de la police.

Mise en liberté le 7 avril (5), Mère de Cicé restait cependant sous l'étroite surveillance de la police. Le Père n'était pas moins suspect.

(1) Dans le Mémoire au Souverain Pontife Pie VII du 4 décembre 1804, un passage montre bien que le P. de Clorivière a mesuré le danger encouru par Mère de Cicé : "cette très digne servante du Christ, très chère à toutes les personnes de piété, qui était à la tête de la Société du Très Saint Coeur de Marie, traduite en justice et jetée en prison sous l'inculpation de crime contre l'Etat courut un danger immédiat pour sa vie. Tous les méchants et les pires ennemis de notre sainte Religion cherchaient uniquement à la perdre et à la faire mourir". D.C, p. 413. (2) Lettres, p.144. (3) en abrégé dans le texte, pour dépister les soupçons. (4) cf. M. de Bellevue, op.cit., p.190-194. (5) 24 heures après l'acquittement le 6 avril, conformément à la loi.


- 5*-

Le 17 ventôse, an IX (8 mars 180]) le maire de Josselin, en Bretagne, l'avait dénoncé à Fouché à la suite d'une

lettre interceptée qui

le

désignait comme ayant procuré asile à l'un des conjurés. Une autre dénonciation précisait :

(1)

"L'abbé de Picot Clos-Rivière est celui que Mlle de Cicé n'a pas voulu nommer. C'est le fanatique le plus dangereux de France et l'ennemi le plus acharné du Premier Consul. Il mène entièrement l'abbé de Neuville, qui est l'aumônier des Dames de la rue Notre-Dame des Champs... Carbon avait été reçu par les Dames avant le 3 nivôse..." Sentant peser sur eux la menace, les deux fondateurs jugèrent préférable de s'éloigner quelque temps pour essayer de se faire

oublier.

Mère de Cicé s'établit à Rouen où le Père de Clorivière la rejoignit et où il demeura quelques mois seulement, la défection de Mr Astier dont nous aurons à reparler, le contraignant à rentrer à Paris. Mère de Cicé devait rester à Rouen jusqu'en avril 1802, le danger n'étant pas écarté. On s'en rend compte par ce passage d'une lettre que lui écrit le Père le 13 décembre 1801

:

(2)

"C'est toujours avec bien du plaisir que je reçois de vos nouvelles et si j'ai eu quelques craintes, ce n'est qu'à cause de l'adresse que vous aviez mise ; elle était à propos parce qu'on commençait à craindre dans la rue de Sèvres, mais je redoutais quelque ouverture.Nous avions alors quelque alarme ; le nombre des espions était augmenté dans notre rue et on avait apporté pour vous de fausses lettres qui faisaient bien voir qu'on vous recherchait encore. Vous sentez bien qu'on ne les a pas reçues." De Rouen, le 1er mai 1801, après en avoir sans doute conféré avec la fondatrice, le Père écrit aux membres des deux Sociétés pour leur faire part de la grande grâce de l'Approbation verbale. Il l'avait apprise pendant l'incarcération de la fondatrice ; c'était en effet le jour même de l'audience accordée par le Souverain Pontife aux deux envoyés, le 19 janvier 1801, jour de l'Approbation verbale, que Mère de Cicé avait été arrêtée.

(1) Archives nationales, N°5588, Cote F 7 6275. Parmi les documents concernant le P. de Clorivière, signalé à maintes reprisés comme fanatique et dangereux, se trouve ce billet sans autre indication. La lettre du maire de Josselin est citée au début de la Ille partie de ce fascicule. (2) Lettres, p.149.


- 5$-

APPROBATION VERBALE DES SOCIETES PAR PIE VII,

19 JANVIER 1801.

Cette approbation ainsi que la bienveillance toujours témoignée par Pie VII au Père de Clorivière sont d'une telle importance pour l'histoire des deux Sociétés qu'il est nécessaire d'en parler ici à la lumière d'un contexte historique qui en explique à la fois la portée et les limites. C'est grâce à cette approbation à laquelle le fondateur a toujours attaché le plus grand prix qu'il va pouvoir, au milieu de difficultés,pires à certains, égards que celles de la Révolution sanglante, enraciner les Sociétés, contre vents et marées.

Situation de Pie VII,

en 1801 - contexte historique et politique.

Rappelons rapidement quelques faits saillants. Pie VI,prédécesseur dePie VII est mort prisonnier à Valence le 29 août 1799 après avoir vu les Etats pontificaux et une partie de l'Italie envahis par les armées révolutionnaires. En raison des péripéties

des

guerres du Directoire avec les Alliés, ces Etats ne sont pas libérés

et

l'Italie continue à être un champ de bataille. Elu pape le 14 mars 1800, Pie VII n'a pu faire son entrée à Rome que le 3 juillet suivant. Or, c'est seulement six mois plus tard, le 19 janvier 1801, qu'il recevra en audience les deux envoyés .du Père de Clorivière après avoir fait étudier sa demande par les conseillers de la Cour romaine, les cardinaux Gerdil

et

Antonelli. Pendant ce court laps de temps, il a déjà été saisi des premiers sondages de Bonaparte, en vue d'un éventuel concordat

tout entre

Rome et le gouvernement français (1). Il n'est pas sans savoir que premier Consul sera un partenaire impérieux et difficile. En même

le temps,

il est en butte aux pressions des cours européennes, effrayées des excès et des conséquences possibles de la Révolution française. Louis XVIII,frère de l'infortuné Louis XVI se montre particulièrement actif pour tenter de faire barrage à l'ascendant grandissant et prestigieux de Bonaparte. Par

(1) Les entretiens de Verceil.


-siailleurs Pie VII reçoit des renseignements nombreux et contradictoires sur l'état de l'Eglise en France, sur le clergé décimé, l'épiscopat dispersé et divisé, sur les projets de désignation de titulaires des ëvêchés nouvellement créés. Questions graves pour la pacification des esprits et pour l'avenir de la religion : le moindre faux pas, la moindre imprudence de Rome serait désastreuse (1). Quand on réfléchit aux multiples difficultés du temps, l'approbation

du

19 janvier,

malgré son caractère

non officiel,

apparaît

"surprenante" et marquée du sceau de l'extrême bienveillance de

Pie VII,

dont elle engage l'autorité personnelle. C'est bien ainsi que la comprendra le Père'de Clorivière, écrivant six années plus tard à Mr Beulé, le 19 juillet 1807

(2)

:

"C'est comme vous le savez au Saint-Père, dans sa qualité de Chef de l'Eglise et d'organe de l'Esprit Saint, que nous nous sommes adressés...et c'est comme tel qu'il nous a répondu ; nous devons donc faire le plus grand cas de son approbation. Elle a été surprenante vu les circonstances où elle nous a été donnée, et le Souverain Pontife, dans sa sagesse, ne pouvait nous accorder rien de plus que ce qu'il nous a accordé".

Personnalité religieuse de Pie VII. Il nous faut dire un mot du caractère de confiance exceptionnelle que l'on découvre dans les relations entre le Souverain Pontife et le Père de Clorivière. En effet, si les tempéraments sont très différents, on devine entre eux de réelles affinités, celles d'âmes profondément religieuses Avant d'être élevé à l'épiscopat par Pie VI, le futur Pie VII,

(1) Une recommandation de Mr Bernier (D.C, p.299-301) pèsera sans doute dans la balance au moment de l'approbation et le Père de Clorivière l'espérait bien quand il écrivait à Mr Frapaize, dans une lettre arrivée à Chartres le 11 novembre 1800 : "Outre la lettre de mon évêque (Mgr Cortois de Pressigny)... ils (les deux émissaires) en ont une de Bernier qui est des plus favorables pour nous et comme il est l'oracle du gouvernement et qu'on le croit chargé de traiter de tout ce qui traite de la Religion avec la Cour de Rome, son autorité peut être d'un grand poids, du moins elle est capable de rassurer le Saint-Père sur les craintes qu'il pourrait avoir d'indisposer le gouvernement actuel". (2) Lettres, p.920-921.


- 5»-

religieux bénédiction, avait enseigné la théologie et l'histoire dans un monastère de son Ordre à Rome. Le cardinal Consalvi dont les jugements sont souvent sévères, sinon excessifs, caractérise ainsi dans ses Mémoires (1) le cardinal Chiaramonti (le futur Pie VII), au moment du conclave de Venise : "Une grande douceur de caractère, une très aimable gaieté dans le commerce habituel, une pureté de moeurs qui n'avait jamais été souillée en aucune manière, une sévérité de conduite sacerdotale jointe à une indulgence parfaite pour les autres, une sagesse constante dans le gouvernement des deux Eglises confiées à ses soins (,2) , une profondeur peu commune, spécialement dans les études sacrées..." Faisant écho aux appréciations de Consalvi, les historiens s'accordent à souligner la piété profonde de Pie VII, son sens aigu, presque douloureux des responsabilités, son énergie indomptable, malgré la délicatesse de son tempérament physique. Et l'un d'entre eux ajoute un trait qui l'apparente au Père de Clorivière : "Comme les grands mystiques, il saura sur cette terre voir plus loin et plus clair que les réalités de la diplomatie".

(3)

Peut-être la première Approbation pontificale des deux Sociétés a-t-elle bénéficié, pour une part, de ce charisme de Pie VII.

Relation du voyage à Rome de MM. Astier et Beulé.

Bref de Pie VII

à Mgr Cortois de Pressigny. On possède deux relations du voyage à Rome des deux prêtres du Sacré-Coeur de Jésus (4). Nous donnerons seulement ici, pour mémoire,

(1) Cf. Mémoires du cardinal Consalvi, p.57. (2) Evêchés de Tivoli puis d'Imola. (3) cf. J.Leflon, op.cit., p.165. (4) L'étude très poussée de A. Rayez, En marge des négociations concordataires. Le Père de Clorivière et le Saint-Siège (décembre 1800janvier 1801), Extrait de la Revue d'Histoire Ecclésiastique, Vol.XLVI (1951),N° 3-4; XLVII (1952), N° 1-2. Louvain 1952, donne une vue d'ensemble circonstanciée sur la portée diplomatique de la mission à Rome des deux envoyés du Père de Clorivière.


- 5g -

un

passage de la première relation (1) qui résume l'essentiel :

- "Les deux envoyés remirent au Secrétaire d'Etat le Mémoire dont ils étaient chargés, et furent accueillis du Souverain Pontife avec de grandes marques de bonté. Ils communiquèrent l'objet de leur mission à M. Pierre d'Auribeau...Vicaire général de Digne, qui le goûta fort et en parla au Saint-Père en différentes audiences dans lesquelles Sa Sainteté lui déclara ce qu'Elle pensait de la forme de vie dont ils venaient solliciter l'approbation. Ils eurent eux-mêmes le 19 janvier 180], une audience de Sa Sainteté en présence de M.d'Auribeau, dans laquelle Sa Sainteté leur déclara, comme en résumé, tout ce qu'Elle avait déclaré successivement à M. d'Auribeau. 1° Que Sa Sainteté saisissait toujours avec empressement toutes les occasions de favoriser de pieuses entreprises. 2° Qu'Elle approuvait la forme de vie tracée dans le Mémoire, mais que ce n'était pas le moment d'en donner une approbation publique, qu'Elle la donnerait volontiers dans des temps plus calmes. 3° Qu'on ne ferait que des voeux simples pour un an et sous l'autorité de l'Ordinaire. 4° Que Sa Sainteté autorisait à suivre ce genre de vie tous ceux et celles qui le désireraient". Le Bref envoyé par Pie VII à Mgr Cortois de Pressigny (2) à la demande des deux émissaires du Père de Clorivière fait ressortir la sagesse de la diplomatie romaine, face à la politique consulaire de

la

France ; mais les encouragements positifs donnés aux deux Sociétés sont clairs. La première partie énonce des considérations générales en rapport direct avec les dissensions et les courants d'opinion qui divisent les Français, et

elle évoque les facteurs d'apaisement et de concorde

que la religion peut apporter dans une nation (3)

:

"La Religion catholique fait un devoir rigoureux...à tous les Ministres de l'Evangile de prêcher aux peuples la subordination, sous quelque gouvernement qu'il plaise à la Divine Providence de les placer... ...Elle étouffe les inimitiés et les haines, arrête les défiances, proscrit les cabales... écarte tout esprit d'inquiétude, de dissensions, d'indépendance, de soulèvement, de révolte et d'anarchie..." Après ces lignes qui font entrevoir les bienfaits d'une réconciliation

possible entre Rome et le gouvernement actuel de la France, le

(1) D.C. , p.314 sq. (2) D.C., p.307-309. (3) D.C, p.307 sq.


- çj Saint-Père emploie les expressions les plus fortes pour faire comprendre son approbation et recommander les deux Sociétés à l'épiscopat français à travers Mgr Cortois de Pressigny : "Nous vous conjurons, vous et vos respectables Collègues dans l'Episcopat, de conduire l'oeuvre de Dieu que nous voyons avec joie confiée à vos soins". Puis suivent les conseils de prudence qui conviennent aux temps : "Il est du devoir de notre sacré ministère de vous engager instamment à éviter toutes les occasions qui pourraient faire naître le moindre soupçon fâcheux à ceux qui gouvernent, et donner, même sans la plus légère apparence de fondement, le plus petit motif d'ombrage aux dépositaires de 1'autorité. En vous conformant, comme nous en sommes très persuadés, à ces principes de vigilance et de précaution, et à ces conseils de discrétion que nous ne pouvons trop vous recommander, nous espérons de la miséricorde de Dieu, qu'il daignera faire fructifier de plus en plus une entreprise qui peut présenter à l'Eglise des modèles dignes de ses plus beaux siècles, et nous aurons sans doute la consolation d'apprendre que, sanctifiés par la prière, la pénitence et la pratique des conseils évangéliques, ces imitateurs des premiers chrétiens ne feront plus à l'envi qu'un coeur et qu'une âme". Enfin, le Saint-Père promet indulgences et secours spirituels "pour encourager, soutenir et récompenser la foi des âmes privilégiées des deux sexes que la grâce favorise d'une aussi sainte vocation".

REACTIONS DU PERE DE CLORIVIERE AU SUJET DE CETTE PREMIERE APPROBATION. Cette Approbation du Souverain Pontife, si elle n'est pas encore solennelle, donne cependant au Projet le droit à l'existence. Depuis dix ans, ce dernier a eu "quelque commencement", le voici devenu une réalité approuvée par l'Eglise. Ce genre de vie religieuse est encouragé à se développer moyennant certaines conditions. On comprend l'importance des réflexions et des réactions du fondateur à ce sujet, d'autant plus qu'il va devoir affronter une nouvelle tempête : l'Approbation lui fournira de solides points d'appui. Pour dégager les dominantes de ses réflexions telles qu'il les livre lui-même à travers les textes, il faut rapprocher sa "Lettre

à


- 60 -

Mgr Cortois de Pressigny "(24-25 mars

1801), de la "Lettre circulaire

aux membres de l'une et l'autre Société"

(Rouen 1er mai

1801). L'inter-

valle de cinq semaines entre ces deux documents s'explique :

le Père de

Clorivière a voulu consulter Mgr Cortois de Pressigny sur certaines conditions de l'Approbation avant de les transmettre aux membres des deux Sociétés,

"afin que cela serve à régler notre conduite".(1) Dans l'un et l'autre document, quatre points principaux sont

soulignés et commentés

:

1) Approbation verbale, accompagnée d'une promesse d'approbation publique dans des temps plus calmes; 2) Voeux annuels seulement

;

3) Dépendance de l'Ordinaire ; 4) Prudence pour éviter toute apparence de corporation.

L'Approbation verbale.

Le Saint-Père l'a donnée en connaissance de cause, elle est donc à la fois suffisante et nécessaire pour aller de l'avant. A ce sujet, conviction du fondateur est absolue,

il ne s'en départira pas

:

la

la subs-

tance religieuse des Sociétés est approuvée. Voici comment il l'exprime à Mgr Cortois de Pressigny (2)- : "Sa Sainteté a déclaré, qu'Elle approuvait la forme de vie tracée dans le Mémoire,' mais que ce n'était pas le moment d'en donner une approbation publique, qu'Elle la donnerait volontiers dans des temps plus calmes . La forme de vie tracée dans le Mémoire est toute religieuse, et tout le Mémoire tend à montrer qu'elle est religieuse ; c'est donc comme telle qu'elle est approuvée. Ce en quoi elle diffère de celle des autres ordres religieux, quant a la pratique des voeux, la manière de vivre et le régime, est donc en général approuvé. En un mot l'approbation du Souverain Pontife tombe sur les deux Sociétés telles qu'elles sont exprimées dans le Mémoire à la réserve des modifications qu'il jugerait à propos d'y faire." Et pour éviter toute équivoque,

le Père détaille aux membres

des deux Sociétés tous les éléments de vie religieuse qui constituent

(1) D.C., p.348. (2) D.C, p.327.


- 61 -

leur forme de vie, et qui ont été approuvés par Pie VII (1). "Le Souverain Pontife, après ayoir fait entendre qu'il regardait le projet des deux Sociétés comme une entreprise pieuse et dès lors utile à l'Eglise, a déclaré expressément qu'il approuvait la forme de vie tracée dans le Mémoire qui lui a été présenté. Cette forme de vie est précisément celle que prescrivent les Plans de l'une et l'autre Société. Elle renferme notre réunion en Société religieuse, sans habitation commune, sans vêtement uniforme et autres observances du cloître ; les noms que nous portons de Société du Coeur de Jésus et de Société du Coeur de Marie ; la fin que nous nous proposons ; les moyens qui nous sont prescrits pour y atteindre ; nos Règles ; la manière dont nous pratiquons les Voeux, et les autres choses en quoi nous différons des autres Corps religieux. L'approbation donnée à notre forme de vie embrasse toutes ces choses, et dès lors donne à nos Sociétés une existence religieuse, non pas aussi parfaitement que le ferait une Approbation publique, mais telle que les circonstances permettaient au Souverain Pontife de la donner". En bref, l'Approbation de Pie VII a donné une existence religieuse aux Sociétés, telles qu'elles sont. 1) P£25£sse_d^une_angrobation_gu^ calmes. La confiance du Père de Clorivière n'a jamais été ébranlée quant à cette promesse du Souverain Pontife. Ses lettres en. témoignent, trop nombreuses pour être citées. Il connaît suffisamment les difficultés de l'heure pour comprendre pourquoi l'approbation publique doit être différée. Mais, comme toujours, son espérance est enracinée dans le Seigneur : elle ne sera pas confondue. Ce passage de la lettre à Mgr Cortois Pressigny est significatif (2)

de

:

"Sa Sainteté donnera volontiers cette Approbation publique dans des temps plus calmes. Cette promesse est bien précieuse et bien consolante pour nous. Elle nous rassure contre ce que l'avenir pourrait présager de fâcheux. C'est un oracle que nous devons recueillir de la bouche du Souverain Pontife, comme dicté par l'Esprit de Vérité dont il est le plus sûr organe ; il ne peut manquer d'avoir son parfait accomplissement". C'est aux successeurs de Pie VII qu'il appartenait de donner en "des temps plus calmes", des approbations officielles, temporaires, puis

(1) D.C., p.35]. (2) D.C, p.328.


- 6J.-

'définitive aux Constitutions de la Société des Filles du Coeur

de

Marie (1).

Cette décision du Saint-Père dictée par la prudence, cause une peine profonde, sinon un choc douloureux au Père de Clorivière. A travers les années qui suivent, on en trouve de multiples témoignages. Sa mission est de fonder une Société religieuse pour suppléer aux Ordres que la Révolution a détruits, et à ceux qui le seront encore dans les temps

à

venir. Or, pour lui, il n'y a pas de Société religieuse authentique

en

l'absence de voeux perpétuels. Il explique longuement sa pensée à ce sujet-dans sa lettre à Mgr Cortois de Pressigny. Nous reproduisons ici un des passages les plus typiques (2)

:

"Les Voeux se feront pour un an. Si cela devait s'entendre dans ce sens, que dans les Sociétés les voeux n'obligeraient que pour un an, qu'au bout de l'année toute obligation cesserait et qu'on n'y pourrait point prétendre à faire des Voeux perpétuels, j'avoue que ce seul article me ferait de la peine. Mais cette peine ne m'empêcherait pas de soumettre mon jugement et ma volonté au jugement et à la volonté du Vicaire de Jésus-Christ comme tenant sa place sur la terre. Cette peine proviendrait de ce que cette seule condition rendrait presque nulle toute l'approbation donnée par Sa Sainteté à notre forme de vie, qui repose entièrement sur la perpétuité des voeux qu'on se propose un jour de faire dans les Sociétés, de manière qu'on ne regarderait pas comme y étant dûment appelés de Dieu, ceux ou celles qui n'auraient pas la volonté d'y faire à Dieu une consécration entière d'euxmêmes par les Voeux perpétuels de Religion, comme il est expressément dit dans le Plan de la Société du Coeur de Marie (page 5)..." La nécessité de Voeux perpétuels apparaît au fondateur comme une question de vie ou de mort pour ses Sociétés religieuses. Les événements peuvent imposer des voeux annuels -(et il saura ultérieurement utiliser cette exigence)- mais sa conviction restera inébranlable. Après avoir livré le fond de sa pensée à Mgr Cortois de Pressigny, comment vat-il présenter la décision romaine des voeux annuels aux associés

des

(1) Voir fascicule IV, "Approbations données par l'Eglise à la Société des Filles du Coeur de Marie". (2) D.C, p.331-333.


- 6| -

deux Sociétés ?

Ici encore, sa foi et son espérance, tout en l'aidant

à s'incliner pour le présent lui font pressentir les promesses de l'avenir. Avec

une extrême délicatesse, il écrit aux Associés (1)

:

"Connaissant combien est grand le désir que vous avez de votre perfection, je conçois que plusieurs d'entre vous pourront voir avec peine qu'il ne leur soit plus permis, au moins quant à présent, que de faire des Voeux annuels. Je ne puis pas blâmer tout à fait cette peine, le principe en est bon, mais il faut la régler et la tenir dans de justes bornes au-delà desquelles elle n'aurait plus rien que de vicieux. Que désirons-nDus, en effet, sinon de faire la volonté du Seigneur ? Cette volonté nous est clairement marquée par celle du Souverain Pontife.C'est le Seigneur qui, par sa voix, nous prescrit de ne faire des Voeux que pour un an. Si, pour nous y conformer, nous avons à renoncer à nos désirs, en apparence les plus saints, ce sacrifice ne peut que rehausser le mérite de notre conformité. Nous aurions une bien fausse idée de la perfection si nous prétendions être plus parfaits ou l'être d'une autre manière que Dieu ne le veut". Apres cet acte de foi et de soumission à la volonté divine, le Père de Clorivière par une de ces vues prophétiques dont il est coutumier, plonge son regard dans les destinées des Sociétés : "D'ailleurs, les pensées de Dieu sont bien au-dessus des nôtres; Lui seul connaît ce qui doit arriver, et nous apprenons de la Sainte Ecriture, et même de ce qui se passe sous nos yeux que, pour arriver aux fins que Sa Sagesse se propose, Dieu se sert souvent de moyens qui nous sembleraient être tout à fait contraires. Que savons-nous si des Voeux annuels ne contribueront pas davantage à sa gloire et au salut des âmes, en facilitant les progrès et la propagation de ces Sociétés ? " Nous verrons en effet comment, à une période particulièrement périlleuse pour l'existence des Sociétés, des voeux "seulement annuels" pourront être leur sauvegarde. Mais les vues de foi des serviteurs

de

Dieu vont plus loin dans l'avenir, le Père de Clorivière continue : "Que si leur nature (celle des deux Sociétés), comme nous nous l'étions persuadé, demande qu'on y fasse un jour des Voeux perpétuels,si c'est un moyen qui doive contribuer davantage à sa gloire (gloire de Dieu) et à notre sanctification, reposons-nous avec une entière confiance sur les soins de sa Providence, et soyons fidèles à faire ce qui est en notre pouvoir pour correspondre à ses vues. Lorsqu'il en sera temps, NotreSeigneur saura bien inspirer à son Vicaire la volonté de condescendre en ce point à ce que nous pourrons désirer".

(1) D.C, p.349-350.


Le moment venu, la Société des Filles du Coeur de Marie ayant suffisamment donné le témoignage d'une vie religieuse authentique

au

milieu du monde, Pie IX lui accordera en 1868 la grâce des voeux de cinq ans et celle des voeux perpétuels (1) conforme à sa nature de Société religieuse.

3) Dependance_de_1^0rdinaire. Le Père de Clorivière écrit à Mgr Cortois de Pressigny (2)

que

"ces Voeux se fassent sous l'autorité de l'Ordinaire, cela s'accorde parfaitement avec l'article du Mémoire.(au Souverain Pontife) où nous traitons du régime des deux Sociétés". Après avoir rappelé que dans ce même Mémoire, il est stipulé que "le Corps entier de l'une et l'autre Société dépendra uniquement du Souverain Pontife, et nulle autre autorité ne pourra en changer ou abolir les lois, la forme du gouvernement et les statuts généraux", il cite le passage qui situe la dépendance des associés, notamment celle des clercs vis-à-vis de l'autorité de l'évêque du diocèse. Il lui suffira donc, dans la Lettre circulaire aux membres des deux Sociétés, de leur rappeler que (3)

:

"Nos deux Sociétés se sont fait toujours un devoir de cette dépendance (vis-à-vis de l'Ordinaire) et le Saint-Père ne fait que nous confirmer dans la résolution où nous étions à cet égard". Cette clause de l'approbation qui ne pose alors aucune difficulté à l'esprit du fondateur est à souligner. Les événements imprévus qui vont suivre montreront quels obstacles très particuliers il aura à surmonter vis-à-vis des évêques. Ceux-ci, enserrés bien malgré eux

par le régi-

me centralisateur de Napoléon, perdront une partie de leur liberté morale, tandis que le Père de Clorivière, prisonnier, perdra sa liberté physique.

(1) Voir Fascicule IV, "Approbations données par l'Eglise à la Société des Filles du Coeur de Marie. (2) D.C, p.284. "Mais en chaque diocèse, les membres particuliers obéiront comme les autres fidèles, à leurs propres pasteurs et surtout à l'évêque... Les Supérieurs de la Société du Coeur de Jésus ne pourront rien enjoindre à leurs inférieurs en ce qui regarde l'ordre public qu'après avoir consulté l'évêque et avoir eu son consentement". (3) D.C , p.351 .


-65-

4)

Qu'on évite_toute_aggarence_de_cor

Cette consigne donnée par Pie VII dans les "Dispositions plus secrètes" (1) rejoint une préoccupation constante du Père de Clorivière, puisque l'objet même de l'inspiration était de sauvegarder la vie religieuse "à l'insu des peuples". Il l'exprime ainsi à Pressigny (2)

Mgr

Cortois

de

:

"C'est ce que nous avons toujours eu singulièrement en vue, et ce à quoi tendait le secret que nous avions cru devoir demander. Ce que Sa Sainteté demande pour couvrir le régime intérieur (3) des Sociétés est un moyen d'autant meilleur qu'il écarte toute espèce de soupçons. Il me semble seulement que nous devons être plus attentifs à ne point dévoiler indiscrètement les noms des Sociétés des Coeurs de Jésus et de Marie, noms qui nous sont bien chers, mais que nous ne devons employer qu'entre nous". Cette consigne est appuyée par une seconde observation qui

la

complète :

de

2eH_Ée_EÊEË2BBË5• (4) Le Père précise ce dont il s'agit par ce "régime intérieur".

C'est "celui qui est tracé dans le Mémoire présenté au SaintPère, et généralement tout ce qui regarde notre forme de vie". Il l'expose ensuite de la même manière aux membres des

deux

Sociétés pour préciser sur quoi tombe l'Approbation (5), elle "embrasse toutes ces choses" qui constituent la substance religieuse des Sociétés. Il y a donc deux régimes â ne pas confondre dans ces nouvelles Sociétés : un régime intérieur et général et un régime extérieur (6). Et dans le paragraphe qui clôture sa lettre à Mgr Cortois de Pressigny, le fondateur projette soudain une vive lumière qui aura une

(1) D.C, p.334. (2) D.C, p.334. (3) C'est nous qui soulignons. (4) D.C., p.334. (5) D.C., p.351 . (6) D.C., p 333-

singulière


application dans l'avenir :

(1)

"L'essentiel à ce qu'il me semble, et le noeud de la difficulté est de tellement disposer le régime extérieur et ostensible, qu'il le couvre suffisamment (le régime intérieur) sans cependant l'étouffer". Autrement dit, il faut que la structure extérieure et ostensible des Sociétés soit telle qu'elle couvre, protège en quelque sorte le régime intérieur, la substance religieuse, sans l'amoindrir. En bref, il s'agit de maintenir l'équilibre entre la substance et la forme, l'être et le paraître. D'où des tensions parfois aiguës surtout en période de crise - nous le constaterons bientôt - mais tensions normales et même fécondes, à assumer avec liberté et lucidité l'esprit pour mener une vie religieuse authentique, en toutes circonstances, au milieu du monde, et malgré lui.

o o

(1) D.C, p.338.

o


CHAPITRE

"SOUS LE PRESSOIR".

II

Défection de Mr Astier.

Quelques semaines après l'envoi de la Lettre circulaire aux membres des deux Sociétés, le Père de Clorivière avait dû quitter Rouen et se rapprocher de Paris en raison de graves difficultés. Nous en trouvons un premier écho dans une lettre (1) du 16 août 1801, de Brie-Comte-Robert, avec pour seule en-tête : "Pour Etienne". Il s'agit de Mr Pochard,

de

Besançon. Il lui confie : "Nous sommes encore sous le pressoir en toutes manières. Depuis l'assurance que nous avons eue que le S.-Père approuvait notre manière de vie et permettait à tout le monde de l'embrasser, il est incroyable combien l'Enfer a pris de moyens pour nous détruire. J'espère que Dieu nous fera triompher de sa malice ; mais redoublons notre vigilance et nos prières". Le 27 août, nous découvrons dans une lettre écrite à un Prêtre du Coeur de Jésus de Chartres (2) la clef des graves difficultés auxquelles le Père doit faire face malgré les dangers qu'il court en se rapprochant de la capitale : "L'esprit de malice a profité de mon absence de Paris...et a cherché à jeter le trouble dans la famille. Je n'oserais presque vous dire d'où vient le mal...de celui-même sur qui je comptais comme sur moi-même, et à qui nous avons tous les plus grandes obligations. On n'a voulu faire aucune des démarches que je croyais nécessaires de faire auprès des Supérieurs ecclésiastiques, pour me conformer aux ordres...du Souverain Pontife.Cela m'a obligé de revenir à Paris". Celui qui trahissait ainsi la confiance du Père de Clorivière n'était autre que Mr Astier, un des deux émissaires envoyés à Rome. Aveuglé par l'illusion, il a tenté de se faire nommer vicaire général de

la

Société du Coeur de Jésus. Il s'en est ouvert à Mr d'Auribeau, le prêtre français qui avait si efficacement soutenu les intérêts des Sociétés

(1) Lettres, p.866. (2) Mémorial Frapaize.

au


- 68 -

moment de l'approbation. Ce dernier a estimé de son devoir d'informer le Père de Clorivière (1). Il lui écrit entre autre : "La demande d'être vicaire général de la Société m'afflige profondément de la part d'un sujet qui m'avait toujours paru si mort à lui-même et à ces petites idées de domination". Il a répondu à Mr Astier : "Quant à vos démêlés avec Mr de Clorivière, j'ai consulté qui de droit. Réponse, que vous n'avez été chargé que de porter des paroles de paix, prudence et sagesse. Après cela votre mission est remplie, et la conscience à l'abri". Voyant qu'il ne pouvait réaliser ses ambitions, Mr Astier quitta la Société du Coeur de Jésus et, comme il arrive en pareil cas, dut ébranler quelques vocations parmi les plus fragiles. Une lettre du 26 août

du

Père de Clorivière à Mlle d'Esternoz (2) fait le point de la situation : "On a eu raison de vous dire qu'il y a eu du merveilleux dans le voyage, tant l'accueil a été favorable. Le Saint-Père et ceux qu'il a consultés ont trouvé la chose très bonne à tous égards. Il a approuvé notre manière de vie tracée dans notre Mémoire...Nos voeux, quant à présent sont réduits à des voeux annuels et simples, sous l'autorité de l'Ordinaire. J'ai écrit là-dessus une lettre circulaire ; celui que j'en avais chargé n'a pas jugé à propos de la communiquer ; je vous en donnerai connaissance dès que cela sera possible. Ce que M. Moulez appelle diabolique, c'est sans doute l'acharnement de l'Enfer à nous persécuter. Depuis l'époque de l'approbation à Rome, pas un moment de relâche, soit au dedans, soit au dehors, et maintenant aussi fort que jamais. Cependant je me suis rapproché, mais non pas sans risque. La chose était nécessaire et je mets en Dieu ma confiance..." Et comme toujours chez le Père, la foi rejaillit en espérance : "Ne nous abattons pas. La croix est le sceau des oeuvres de Dieu et le présage assuré des plus heureux succès. Ne désirons que la gloire de Dieu et l'accomplissement de sa sainte volonté". Puis un peu plus loin, ce conseil qui dépeint si bien l'attitude personnelle du fondateur : "Soyez, en attendant, avec la grâce de Dieu, ferme comme une colonne et soutenez les autres. Vous ne le ferez jamais mieux que quand vous

(1) Lettre saisie dans les papiers du P. de Clorivière au moment de son arrestation en mai 1805. L'original est aux Archives Nationales F.7. 6275. (2) Lettres, p.650-651.


sentirez davantage votre faiblesse et que vous vous appuierez uniquement sur Dieu". On aura reconnu sans doute Mr Astier en "celui qui n'a pas jugé à propos" de communiquer la circulaire du Père de Clorivière. Il reste que cela doit être fait. A ses risques et périls, le fondateur qui se sait suspect doit se rapprocher de Paris,

(d'où sa correspondance de Brie-Comte-

Robert) et agir lui-même avec la plus grande prudence (1). Parmi les démarches que le fondateur estimait nécessaire auprès des Supérieurs ecclésiastiques, pour se conformer aux ordres du Souverain Pontife, celle auprès de l'archevêché de Paris s'imposait. Mr Astier y a été rendre compte de sa mission à Rome, mais comment l'a-t-il fait ? La lettre du Père de Clorivière à l'Ordinaire du Diocèse de Paris (2) datée 1801, a évidemment pour but de faire la lumière quant à l'Approbation du Souverain Pontife et de remettre toutes choses au point, si besoin est. Il emploie un style officiel inaccoutumé et pose les affirmations les plus claires quant à l'autorité qui lui revient : "C'est à moi, Monsieur, à vous faire connaître ce que nous avons fait en conséquence des volontés du Saint-Père". Puis après avoir précisé que les deux Sociétés se sont toujours regardées sous la dépendance et l'autorité de l'Ordinaire, il poursuit : "Je crois devoir vous le protester moi-même, au nom de ceux et celles qui sont de l'une et de l'autre Société, dans ce diocèse, comme étant choisi et reconnu supérieur général de la Société du Coeur de Jésus, et comme devant, en qualité de Père, veiller aux intérêts de la Société du Coeur de Marie". (3) Le fondateur lui aussi sera toujours "ferme comme une colonne" quand "l'oeuvre de Dieu" sera en cause.

(1) Cette lettre circulaire du 1er mai 1801 fut envoyée à Rome vers avril 1802. cf. Lettres, p.867. Le P. de Clorivière conclut : "Le Saint Père verra que nous avons exactement rempli toutes ses intentions" . (2) Copie des Archives S.J. Lyon.

D.C, p.593.

(3) Le Père de Clorivière a toujours soin de sauvegarder la place de Mère de Cicé comme Supérieure Générale de la Société des Filles du Coeur de Marie.


- 70-

Les derniers mois de l'année 180] sont marqués-par trois évënements d'inégale valeur, mais en étroite relation les uns avec les autres, et qui auront d'importantes répercussions sur l'Eglise de France et même au-delà : le Concordat, la venue du cardinal Caprara, légat du Pape à Paris, la nomination de Portalis à la Direction des Cultes. Ces événements intéressent directement les deux Sociétés. Nous devons donc nous y arrêter, ne serait-ce que très brièvement, sinon nous ne percevrions pas la pertinence des réactions du Père de Clorivière, la portée des allusions qui émaillent sa correspondance, la prudence et la force de ses attitudes.

LE CONCORDAT ET LES ARTICLES ORGANIQUES.

UN ESPOIR DEÇU.

Le 15 juillet 1801, le Concordat qui établissait les relations officielles du gouvernement avec Rome, quant à l'exercice de la religion en France, était enfin signé. Après les destructions de la Révolution, il revêtait une importance capitale. Au cours de tractations extrêmement difficiles, Pie VII et son . Secrétaire d'Etat le cardinal Consalvi envoyé en France pour la circonstance, firent preuve de fermeté pour défendre les droits inviolables de l'Eglise, et de souplesse pour faire, quand c'était possible, les concessions réclamées par le Premier Consul. Ce dernier était un partenaire redoutable, employant avec calcul tous les moyens estimés utiles pour venir à ses fins

en

: colères violentes, mises en scène impressionnantes,

trait de plume rageur barrant les articles qui lui déplaisaient, etc.

(1)

On parle de neuf rédactions successives (2). Le cardinal Consalvi,d'une intelligence pénétrante, ferme et habile, ne se laissait pas déconcerter et gardait un calme imperturbable.

(1) cf. J. Leflon, op.cit., p.188, sq.

et Mémoires du cardinal Consalvi, passim. (2) On ne peut passer sous silence le rôle de conciliateur joué entre les parties, avec une virtuosité diplomatique remarquable, par Bernier, alors curé de saint Laud à Angers. Nous l'avons déjà rencontré, protecteur obligeant des émissaires du Père de Clorivière à Rome, nous le retrouverons dans quelques années évêque d'Orléans, mais dans des dispositions beaucoup moins favorables.


- 7? -

On doit souligner le désintéressement de Pie VII qui ne permit pas, écrit le cardinal Consalvi dans ses Mémoires, "qu'on ouvrit la bouche sur les démêlés temporels" et qui "cherchait uniquement les avantages de la Religion". En bref, le Concordat en 17 articles, clairs, concis, était, malgré

ses lacunes une oeuvre positive. Un jugement de l'histoire à son

sujet est suggestif ; il trouve des répliques dans des situations contemporaines : "Le prestige de l'Eglise et de la papauté d'abord s'est accru d'une manière prodigieuse par le fait que la Révolution elle-même qui voulait à l'origine s'émanciper complètement de Rome et régler la situation de l'Eglise suivant son bon plaisir, devait comprendre qu'elle ne pourrait aboutir sans le pape, même pour le rétablissement de la paix religieuse indispensable". (1) Mais, d'après la Constitution de l'an VIII, le Concordat comme tout autre traité devait être soumis au vote des Assemblées. Des courants hostiles à la religion s'y faisaient toujours sentir. Ce traité officiel avec Rome risquait d'être utilisé pour faire échec à l'autorité du Premier Consul. Celui-ci, par politique vis-à-vis de ses adversaires et pour garder l'Eglise de France sous son contrôle, eut recours au subterfuge des Articles organiques. Sous prétexte d'appliquer l'article I du Concordat qui déclarait que le culte sera libre et public mais "en se conformant aux règlements de police que le gouvernement jugera nécessaire pour la tranquillité publique", il incorpora, de sa propre autorité, au contrat passé avec Pie VII, 77 articles nouveaux, mettant le pouvoir spirituel de l'Eglise sous l'étroite dépendance de l'Etat. C'était une violation du droit, une véritable imposture. Pie VII protesta avec énergie dans un consistoire tenu à Rome. Il n'en sera pas tenu compte. Concordat et Articles organiques furent votés ensemble par le Corps législatif, le 18 germinal, an X (8 avril 1802) sous le titre de "Loi relative à l'organisation des cultes" (2).

(1) J. Schmidlin (cité par J.Leflon, op.cit., p.193.) (2) P. Nourrisson, Histoire légale des congrégations religieuses en France depuis 1789, t.l, p.84. Sirey, 1928.


'"S Pour se faire une idée de l'emprise qui pèse dès lors

sur

"le Corps des évêques" et qui aura tant de conséquences sur l'établissement des Sociétés, il suffit d'évoquer les exigences de quelques-uns des Articles organiques (1)

:

Le titre 1er soumet à l'approbation du gouvernement "tous les actes, brefs, bulles, rescrits, décrets émanant du Saint-Siège,

les

décrets des conciles, même généraux. Il exige l'autorisation du gouvernement pour la tenue des conciles provinciaux et des synodes. Il stipule enfin "que tout individu se disant nonce, légat, vicaire ou commissaire apostolique, ou se prévalant de toute autre dénomination, ne pourra sans la même autorisation, exercer sur le sol français ni ailleurs, aucune fonction relative aux affaires de l'Eglise gallicane". Ces mesures avaient été formellement repoussées par Consalvi et Spina au cours des négociations. Sous le titre II, entre autres clauses : "Interdiction aux évêques de sortir de leur diocèse, d'établir des chapitres et des séminaires sans autorisation du gouvernement, approbation des règlements des séminaires par le Premier Consul..." Et sous le titre III : "Interdiction d'établir des fêtes en dehors du dimanche", réglementation de la prédication, etc. On comprend combien les catholiques de France et très particulièrement les autorités religieuses, étaient dans l'attente de la publication de ce Concordat. Des promesses avaient même été faites au Père de Clorivière : quand on connaîtra les conditions précises de l'accord entre Rome et le gouvernement, il sera plus facile d'intervenir en faveur des Sociétés. Deux lettres de cette époque, écrites le même jour, 5 avril 1802, par le fondateur, sont pleines d'espoir. Il confie à Mme de Goësbriand :

(2)

"...L'oeuvre de Dieu se fait au milieu des tribulations, et nous ne sommes pas sans espérance du coté de Rome et de nos Prélats. Le Légat nous a promis de prendre nos affaires en considération après la

(1) cf. J.Leflon, op. cit., p.195. (2) Lettres, p.737.


publication du concordat. Quelques-uns de nos Prélats sont dans les mêmes sentiments. J'ai aussi appris tout récemment de Rome q\ie le Souverain Pontife était toujours dans les meilleures intentions à notre égard. C'est là l'affaire de Dieu, nous devons la lui abandonner et attendre (avec) confiance le moment de sa Providence", et à Mr Pochard :

(1)

"Ma position est toujours critique, mais pour ce qui est de l'oeuvre de Dieu, nous avons des espérances, et elle s'avance, quoique lentement. Le Légat et quelques Prélats promettent qu'ils s'en occuperont "ex Officio" après le Concordat. J'ai fait un Mémorandum pour le Cardinal, que Melle d'Est. pourra vous communiquer, et un petit Mémoire pour les Evêques que j'ai adressé à mon ancien Evêque de Saint-Malo. On me mande aussi de Rome que le S.Père est toujours dans les meilleures intentions à notre égard. Nos deux petits livrets reliés ont été mis sous ses yeux. J'envoie aussi à Rome la Lettre Circulaire du 1er mai de l'année dernière, que j'aurais bien désiré vous faire passer plus tôt et que vous porte Melle d'Esternoz. Le St Père verra que nous avons exactement rempli toutes ses intentions". Nous avons vu que le Concordat et les Articles organiques avaient été votés le 8 avril 1802. Le Père de Clorivière

a

sans

doute

procurer le texte un peu avant car il écrit le 7 à Mère de Cicé :

pu se (2)

"Je viens de lire le Concordat, ma chère fille, et mon coeur en est navré de douleur. Cependant le dogme catholique est à couvert ; la religion sera publiquement exercée ; bien des personnes pourront être secourues ; mais l'Eglise et ses ministres seront sous l'oppression, exposés de la part des méchants à toutes sortes de vexations ; le chef de l'Eglise, en qui je révère l'autorité de Jésus-Christ, a cru pouvoir tolérer toutes ces choses pour le salut du peuple et le bien même de l'Eglise et de la religion. Je me soumets et je ne veux rien examiner ; Dieu sait tirer le bien du mal. Ce premier pas peut nous acheminer à quelque chose de mieux. Tout coopère au bien de ceux qui aiment Dieu". On sent une souffrance profonde pour l'Eglise, mais alliée à une docilité sans faille au successeur de Pierre. Un peu plus loin, le Père pense aux répercussions possibles sur les Sociétés. Une fois encore, les fondateurs sont dans l'expectative.

(3)

"Par le Concordat, il paraît qu'il n'y aura lieu à aucun établissement religieux ; nos Sociétés n'en ont pas besoin ; c'est le cas où elles seront nécessaires. Il semble que les Evêques doivent s'empresser à les favoriser; d'un autre côté, je sens bien qu'elles doivent trouver

(1) Lettres, p.867. (2) Lettres, p.153. (3) Lettres, p.154.


-7%-

beaucoup d'opposition. Il est impossible de prévoir ce que le nouvel arrangement de choses doit produire ; mais' tenons-noiis fortement attachés à Dieu, et pour lui à la Chaire de Pierre".

Le cardinal Caprara légat du Pape à Paris.

Dès 1801, Bonaparte avait compris que pour la mise en vigueur du Concordat, pour soutenir l'obéissance des fidèles, des prêtres,

et

même celle des évêques, il lui fallait, sous la main, en France, un légat investi des pleins pouvoirs par le Souverain Pontife. Ce qu'il appelait "le pape à domicile".

(1)

Il exige donc que Pie VII, qui par ailleurs y voyait des avantages, envoie son représentant à Paris. Mais, il le choisit lui-même et désigne le cardinal Caprara. Celui-ci, en raison de son état de santé, de ses opinions libérales pour l'époque, et surtout de son caractère extrêmement conciliant sera un intermédiaire accommodant. Rome qui connaît ses hommes, l'épaulera de bons conseillers. Ces brèves notations nous aident à connaître un peu celui à qui le Père de Clorivière adressera une lettre importante en date du 15 janvier 1802 (2), quelques mois seulement après son arrivée à Paris en octobre 1801. Le contexte politique et religieux nous fera comprendre la prudence du fondateur dans la rédaction de ce Mémoire adressé : "A Son Eminence le cardinal Caprara, Légat a latere auprès du gouvernement français".

Portalis à la Direction des cultes.

Le 7 octobre 1801, Bonaparte institue la Direction des cultes (qui deviendra bientôt un ministère) et met Portalis à sa tête. Le fondateur devra se mesurer avec ses décrets et circulaires.

(1) Nouvelle Histoire de l'Eglise, t.4, p.279. (2) D.C, p.363-376.


- 7fBonaparte a conçu l'institution et choisi l'homme qui lui était tout dévoué pour faire face au cardinal Caprara, sur le plan intérieur, dans l'application du Concordat. Mais il entend bien suivre lui-même la chose de près. L'article II de l'arrêté du 7 octobre ne laisse

aucun

doute à ce sujet. Il précise que "le conseiller d'Etat chargé des affaires religieuses travaillera directement avec les Consuls. Ils sont encore trois à cette époque; mais personne ne s'y trompe, il s'agit

de

Bonaparte. Portalis sera sous ses ordres. De l'avis général, Portalis est chrétien de sentiment et

se

montre favorable au catholicisme pour lequel, sous le Directoire, il a osé réclamer la liberté dans un courageux discours. Mais parlementaire d'ancien régime, il est pétri de gallicanisme (1), ce qui signifie qu'il envisage les droits de l'Etat avant ceux de l'Eglise. Sans en percevoir les funestes conséquences, il favoriserait facilement une Eglise nationale et sera un instrument docile entre les mains du Premier Consul.

Le phare dans la tempête. Le Concordat et les Articles organiques, Portalis â la Direction des cultes, Fouché à la police, les évêques sous la stricte dépendance du gouvernement, Bonaparte omnipotent : autant d'éléments qui vont se conjuguer pour créer bientôt les situations humainement inextricables auxquelles le fondateur va se trouver affronté. Mais au milieu des vents contraires, des courants perfides,des épais brouillards qui barrent l'horizon, le successeur de Pierre restera le phare lumineux qui assure la marche du pilote.

(1) ensemble de privilèges importants accordés par le Saint-Siège aux rois de France et aux évêques, leur permettant de régler les affaires de l'Eglise sans recourir à Rome.


- 7g-

UNE PERIODE DE TRANSITION, _____—__i

1802-1804..

s

Avant d'arriver à la période 1804-1810, peut-être la plus diffile

pour les Sociétés, on peut situer les deux années et demi qui la pré-

cèdent comme une période de transition entre les années terribles de

la

Révolution et l'incarcération du Père de Clorivière. On y trouve des signes avant-coureurs des difficultés nouvelles qui vont surgir.

Lettre du Père de Clorivière au cardinal Caprara,

15

janvier 1802.

Le fondateur, on s'en rend compte à travers sa correspondance, se tient très au courant de la vie politique et religieuse en France. La mission du cardinal Caprara entre Rome et le gouvernement français est pour lui et pour "l'oeuvre de Dieu" de la plus grande importance. Il est nécessaire de faire connaître sans tarder au légat les deux Sociétés sous leur véritable jour ainsi que l'approbation du Souverain Pontife. Le Père de Clorivière délègue donc Mr Perrin auprès du cardinal Caprara, comme nous l'apprend une de ses lettres datée du 4 janvier 1802 (1) "Notre confrère M. Per. (Perrin) a été de notre part présenter nos hommages au Légat ; il lui a parlé de nos deux Sociétés ; le Légat l'a accueilli et écouté très favorablement ; après s'être assuré qu'il n'était pas de la Société de la foi de Jésus, il lui a dit qu'il connaissait déjà notre Société, que M. de Spina lui en avait parlé avec intérêt; qu'il s'en occuperait ex officio après la publication du Concordat ; qu'il désirait qu'on lui remît un extrait de tout ce qui regarde nos Sociétés. Je vais m'en occuper au plus tôt". Dix jours plus tard, la lettre au cardinal Caprara était terminée et le Père de Clorivière pouvait la conclure en ces termes (2)

:

"Voilà Monseigneur, ce que nous avons cru devoir mettre sous les yeux de votre Eminence, comme elle nous a paru le désirer". Au dire même de l'auteur, cette lettre trace "un tableau fidèle", ou plutôt "une simple esquisse des Sociétés". Comme en pareil cas les lignes majeures ressortent :

(1) Mémorial Frapaize. (2) D.C., p.375.


- 7«f -

- L'utilité des Sociétés religieuses, toujours reconnue dans l'Eglise, - Les Sociétés du Coeur de Jésus et des Filles du Coeur de Marie, leur fin générale, raison d'être de leur forme si nouvelle. Ici se situe une des plus belles synthèses sortie de la plume du fondateur (1)

:

. "Il faut...que leur forme de vie soit telle qu'elle puisse faciliter à toutes sortes de personnes, la pratique des conseils évangéliques, qu'elle réveille dans tous les fidèles et dans toutes les classes de la société civile, l'esprit véritable du Christianisme, que, comme une digue puissante, elle s'oppose plus directement aux progrès de l'impiété, au torrent du mauvais exemple, qu'elle puisse préserver du naufrage un plus grand nombre d'âmes et sauver plusieurs de celles que la séduction aurait entraînées, qu'elle soit propre à sanctifier toutes les conditions ; -à propager, à perpétuer le règne de la perfection évangélique, à servir au peuple fidèle comme de bouclier contre les traits de la Justice divine, en un mot, à faire refleurir, pour tous les chrétiens, même dans le siècle, les beaux jours de l'Eglise naissante." Suivent des précisions sur la nature des deux Sociétés :

leur

régime, leurs progrès, leur état actuel, enfin l'Approbation donnée par Pie VII. Nous reproduisons ce dernier passage qui précise, une fois encore, quelle assurance pour l'avenir des Sociétés le fondateur trouve dans l'approbation du Saint-Siège (2)

:

"Votre Eminence n'ignore pas la dêputation que les deux Sociétés ont faite au Siège Apostolique dans les derniers mois de 1800, et de quelle manière Sa Sainteté a daigné accueillir le Mémoire que nous lui avons présenté. Sans rien statuer sur les demandes que nous lui faisions, et sans nous donner une approbation publique ce qui, dans les circonstances, eut été impossible, le Saint-Père a approuvé de vive voix dans une Audience qu'il a accordée à nos Députés, le 19 janvier 1801, la forme de vie de nos Sociétés tracée dans notre Mémoire, en promettant de lui donner une Approbation publique dans des temps plus calmes, et en

(1) D.C., p.364. (2) D.C, p.374.


- 78 -

permettant à tout le monde d'embrasser cette forme de vie et de s'y engager par les Voeux simples et annuels, sous 1'autorité-de l'Ordinaire. C'est ce qu'ont déposé nos deux Députés sous la foi du serment, entre les mains de Monseigneur l'Evêque de Saint-Malo, lorsqu'à leur retour de Rome, ils lui ont remis le Bref dont Sa Sainteté les avait chargés. Nous avons donc, de la vérité de ce fait, toute l'assurance que nous pouvons en avoir ; le Saint-Père n'ayant pu, selon sa prudence, lui donner une plus grande publicité ni en faire mention dans son Bref. Nous n'avons pas, sans doute, obtenu le plein effet de nos demandes, mais nous savons apprécier la grâce qui nous a été faite. C'est tout ce que les circonstances permettaient au Saint-Père de nous accorder alors; elle nous assure que notre entreprise est agréable à Dieu, et cette assu rance nous paraît un gage certain que le Saint-Siège daignera nous accorder, dans le temps convenable, tout ce que nous désirons obtenir pour la gloire de Dieu et le bien de l'Eglise". Il convient aussi de relever dans cette lettre les apaisements que le fondateur s'efforce de procurer au légat, en un temps où le gouvernement n'est nullement favorable aux sociétés religieuses en général, et aux sociétés "clandestines" en particulier (1)

:

"Il faut que les nouvelles Sociétés méritent la protection des divers gouvernements, sans leur causer aucun ombrage ; qu'on ne puisse les soupçonner d'ambitionner rien de temporel et d'humain, ni grandeurs, ni richesses, ni dignités". Et plus loin, après avoir énuméré les avantages que ces Sociétés peuvent apporter à l'Eglise (2)

:

"Il ne peut être aussi que très avantageux pour un Etat policé d'avoir une multitude de citoyens vertueux, amis de la justice, de la paix, du bon ordre et de la décence qui, répandus dans toutes les classes de la vie civile, seront, par devoir de la religion, dévoués à ses intérêts et sans cesse occupés à faire le bonheur de leurs concitoyens". On peut constater dans ces citations une des caractéristiques du Père de Clorivière, sa parfaite droiture alliée à la prudence nécessaire ce qu'il dit des Sociétés dans l'ordre civil, il le pense.

(1) D.C., p.364. (2) D.C, p.370.


Lettre du Përe de Clorivière à Mgr l'ancien évêque de Saint-Malo( Réponses à quelques objections.

. "Aperçu" pour les évêques,

Attachement au Corps des évêques.

C'est probablement en mars 180 2 (1) que se situe une nouvelle lettre du Père de Clorivière à "Monseigneur l'ancien évêque de Saint-Malo". C'était en effet l'époque où le cardinal Caprara fit "la nouvelle conscription des diocèses de France". Pour se conformer aux directives de Pie VII, les Sociétés devaient se présenter de nouveau à tous les membres de l'épiscopat français. Ce sera par l'Aperçu des deux Sociétés qui fut imprimé et adressé aux évêques. C'est le même texte que la lettre au Cardinal Caprara, sauf la mention de l'approbation omise à dessein (3). Dans la lettre à Mgr l'ancien évêque de Saint-Malo, le Père de Clorivière profitant de l'expérience acquise quant aux objections entendues ces dernières années, notamment sur la manière de garder

les

voeux dans la Société, fait à leur sujet de remarquables mises au point.

(1) cf. Lettre à M. de Cicé du 20 mars 1802, Lettres, p. 152. (2) C'est par erreur semble-t-il que les D.C, p.325, ont ajouté la mention "En réponse à quelques objections" à la lettre du Père de Clorivière à Mgr Cortois de Pressigny, évêque de Saint-Malo, de mars 1801. Cette mention convient beaucoup mieux à la lettre à Mgr l'ancien évêque de Saint-Malo, D.C, p. 383, sq. (3) cf. D.C, p. 379. Ce "second Mémoire aux Evêques" ainsi nommé par les D.C, mais que le Père de Clorivière, sauf une fois (cf.Lettres, p.867) appelle toujours 1' "Aperçu", c'est d'ailleurs le titre du texte imprimé : "Apperçu (sic) des deux Sociétés du Sacré Coeur-deJésus et du Sacré Coeur-de-Marie",ne contient pas la mention de l'approbation verbale de Pie VII. Le Père de Clorivière dans une lettre à Mme de Clermont du 25 octobre 1807 (Lettres, p.778) donne les raisons de cette omission voulue : "dans la lettre que j'ai adressée directement au cardinal légat, j'y parlais ouvertement de l'approbation donnée à Rome, parce qu'il n'y avait pas d'inconvénient à le faire ; au lieu que dans la même lettre imprimée sous le nom d'Aperçu, je me suis abstenu par prudence de le faire".(cf. aussi Lettres, p.775-776 à la même.) cf. Lettres, p.867 à Mr Pochard : "J'ai fait un Mémorandum pour le cardinal (légat) que Mlle d'Esternoz pourra vous communiquer, et un petit Mémoire pour les évêques que j'ai adressé à mon ancien évêque de Saint-Malo".


Nous noterons seulement ici ce qui a trait à la totale soumission des deux Sociétés à la hiérarchie, soumission qui répond si pleinement aux intentions du fondateur. Cela nous aidera à saisir la situation paradoxale où il se trouvera bientôt affronté. Ce très beau passage de sa lettre (1) mérite d'être cité en entier, il situe les Sociétés au coeur de l'Eglise : "Le Corps de la Société du Coeur de Jésus, je dis à proportion la même chose du Corps de la Société du Coeur de Marie, ne subsistant et ne voulant subsister que pour procurer par toute la terre les intérêts de Dieu, de Jésus-Christ et de son Eglise, il a cru ne pouvoir mieux parvenir à cette fin qu'en se tenant attaché le plus fortement possible au Corps des Evêques, unis eux-mêmes au Souverain Pontife, le Chef de l'Eglise universelle, et en se dévouant entièrement à eux. C'est pour cela...qu'il ne réclame aucun privilège; qu'il ne vit point retiré dans le cloître ; qu'il veut être confondu dans les mêmes devoirs, occuper les mêmes places, subir le même fardeau, dépendre également des premiers Pasteurs et de ceux qui seront revêtus de leur autorité ; de sorte que si ce Corps et celui de la Société des Filles de Marie deviennent, comme elles le désirent, des Sociétés religieuses, on pourra les appeler à juste titre les Sociétés religieuses des Evêques". La pensée était belle et l'expression frappante, les événements en apparence contradictoire qui vont suivre n'en seront que.plus déconcertants .

Echange de "nouvelles" avec Mëre de Cicë toujours â Rouen.

Pendant que le Père de Clorivière, de Paris ou des environs, est tout occupé des intérêts des Sociétés auprès des représentants de l'Eglise, leur vie religieuse continue. Dans la capitale, les Filles du Coeur de Marie sont toujours privées de leur Supérieure, la prudence retenant encore Mère de Cicé à Rouen. Le Père lui écrit souvent et la met au courant de diverses nouvelles. La lettre de février 1802 (2) en contient trois : "Tout s'est bien passé à la Purification...mais on vous désirait beaucoup et je vous désirais plus que personne".

(1) D.C., p.396-397. (2) Lettres, p.150.


- 8* -

Les termes discrets évoquent sans doute des émissions et rénovations de voeux, peut-être aussi des consécrations. Puis ces lignes qui doivent aller au coeur de Mère de Cicé : "Jérôme (1) est ici bien attendu. Ceux qui viennent d'Angleterre chantent ses louanges ; Barruel écrivait dernièrement que sa conduite en Angleterre avait été très édifiante. Parmi les Evêques, on assure qu'il n'y en a point qui soit mieux vu du gouvernement". (2) Enfin ce renseignement : "Je viens de revoir mon petit ouvrage sur la prière et l'oraison. On l'imprime. Le libraire m'en donne cinq cents exemplaires, avec ^ une lettre pour nos Sociétés et quelque chose pour elles de particulier que j'ai inséré dans la préface. Quand il paraîtra, vous aurez le premier exemplaire". Ces derniers mots montrent la délicatesse du Père de Clorivière vis-à-vis de Mère de Cicé. Une lettre du 20 mars nous renseigne sur la vie des Filles du Coeur de Marie à Paris et sur les travaux du Père (4)

:

(1) Mgr Jérôme Champion de Cicé. (2) L'abbé Barruel était directeur du Journal ecclésiastique en 1790. Il est l'auteur d'une Histoire du clergé pendant la Révolution française. (3) cf. Pierre de Clorivière, Considérations sur l'exercice de la prière et de l'oraison. Introduction et notes par André Rayez, s.j., 196], collection Christus, p.57, 61 et 62. Les pages de titre des deux tirages de l'édition de 1802 sont différentes elles aussi. Après l'énoncé du titre : "Considérations..." on trouve ces mentions : - "Adressées aux Membres des Sociétés du Coeur de Jésus & de Marie, & destinées à leur usage". Le tirage destiné aux Sociétés ne porte pas de nom d'auteur. - "Ouvrage utile à tout chrétien, plus utile à ceux & celles, qui, par état, sont obligés de tendre à la perfection. Par P.J.P.... auteur de la vie de M.de Montfort". (4) Lettres, p.152. (Adélaïde Car. Il s'agit de Mme de Carcado qui copiait souvent les écrits du Père de Clorivière).


- 82.-

"Hier, jour de mon saint patron, nous avons rassemblé quelques amies et nous avons lu ensemble une nouvelle circulaire sur le soin qu on doit avoir de persévérer dans sa vocation. Je crois que vous en serez contente. J'en ai écrit une autre pour Nosseigneurs les Prélats que j'ai adressée à notre digne Protecteur M. de St.M. (Saint-Malo). Joignez à cela un précis que j'ai fait de tout ce qui regarde les deux Sociétés pour le Cardinal Légat ; et vous jugerez que je n'ai pas perdu mon temps...Ce n'est pas un petit travail pour la bonne Adélaïde Car..."

5ème Lettre circulaire sur le soin, qu'il faut avoir de persévérer dans sa vocation.

(1)

23 février 1802.

Cette nouvelle Lettre circulaire qui a été lue et sans doute commentée avec quelques Filles du Coeur de Marie réunies autour du fondateur a probablement été composée après la défection de Mr Astier

et

de quelques autres membres. Elle doit nous être d'autant plus précieuse que le fondateur l'adresse "aux membres des Sociétés du Coeur de Jésus et de Marie" et "à tous ceux et celles que Dieu, dans la suite des temps, appellerait à marcher sur vos traces, soit dans la Société du Coeur adorable de Jésus, soit dans celle du Très Sacré Coeur de Marie".

(2)

Rappelons seulement que les fins spéciales des Sociétés et leur appartenance d'une manière très particulière à ces deux Coeurs sont exprimées avec force : de là découle pour le fondateur la grandeur de vocation.

la

(3)

"Elle est si grande et si noble que notre esprit, quand il serait prévenu de grandes lumières ne pourrait jamais en concevoir ici-bas toute la grandeur, toute la sublimité ; elles ne vous seront parfaitement connues que dans l'éternité". Les défections signalées ont dû être d'autant plus douloureuses pour le Père de Clorivière que sa conviction intime demeure : les membres des deux Sociétés sont "les organes" du divin Coeur, les "interprètes"de son amour. (4)

(1) L.C., p.117-145.

(2) C'est la seule Lettre circulaire dont nous possédions des exemplaires imprimés très anciennement. (3) L.C., p.119. (4) cf. Fascicule II "Le Projet du Père de Clorivière", passim.


- 8j> -

PROJET DE MISSIONS EN PROVENCE.

La lettre de février 1802 citée plus haut annonçait à Mère de Cicé le retour de son frère Jérôme en France. Ce retour sera pour elle l'occasion de s'éloigner davantage de Paris : une lettre du 15 avril, envoyée par le Père de Clorivière nous l'apprend (1)

:

'.'Je vous envoie ci-jointe, ma chère fille, une lettre de votre Parrain, (Mgr Jérôme de Cicé). On me l'a apportée sous enveloppe. En la décachetant, j'ai cru entrer dans vos intentions et je ne m'en repens (pas) ; car sûrement avant de vous déterminer vous auriez voulu m'en donner connaissance et avoir mon avis. Je suis en état maintenant de vous le donner. Il me paraît à propos que dans ce moment vous acceptiez la proposition qui vous est faite. Je sais bien que vous ne voudriez pas le faire d'une manière fixe. Cela ne conviendrait nullement aux vues que le Seigneur a sur vous et je ne vous le conseillerais pas. Mais il entre, ce me semble, dans ses vues que vous vous prêtiez pour quelque temps à ce qu'on désire de vous. Ce serait un moyen doux et sûr de vous soustraire â toutes sortes de recherches et de faire que des ennemis jaloux vous perdent de vue et cessent de songer à vous. D'un autre côté, ce sera comme une mission dont vous seriez chargée pour propager la bonne oeuvre... Vous aurez peut-être à détruire des préventions, et à faire connaître l'oeuvre de Dieu à de bonnes âmes qui ne demandent que cela pour l'embrasser. C'est l'affaire des entretiens et des conversations familières et Dieu vous donne grâce pour cela. Vous pourrez emporter avec vous tous les papiers que vous croirez vous être utiles et dans la suite, lorsque vous aurez frayé le chemin, on pourra vous envoyer des troupes auxiliaires" . Puis, comme toujours, quand Mère de Cicé doit prendre une décision qui l'engage personnellement, le Père l'invite à faire son élection : "Considérez la chose devant Dieu ; car je veux que vous agissiez librement et je ne prétends en aucune manière violenter votre volonté. Mais ne prenez pas conseil de la pusillanimité, sa voix n'est pas celle de Dieu. Commencez par vous mettre dans une sainte indifférence et dans une généreuse détermination de faire ce que vous connaîtrez être le plus conforme à la volonté de Dieu". L'invitation de Mgr de Cicé fut acceptée.

(1) Lettres, p.154-155.


Lettre d'adieu du Përe de Clorivière partant pour les missions. Deux mois plus tard, une lettre du Père de Clorivière datée de Paris, le 20 juin 1802, est envoyée aux membres des deux Sociétés.

Il

leur fait part de l'objet de son voyage en Provence et nous fait saisir ses visées dans toute leur ampleur.

(1)

"Vous savez...que le Saint Père en approuvant en général la forme de vie de ces Sociétés, nous a remis entre les mains de nos Evêques; c'est par leur moyen que nous pouvons espérer d'obtenir un jour de Sa Sainteté toutes les grâces que nous lui avons demandées ; il est donc nécessaire que nous ne négligions rien pour mériter leur estime et leur bienveillance... La Providence nous ouvre en ce moment une voie bien favorable pour cela ; un Prélat qui nous honore de son affection, se propose en entrant dans son diocèse, d'y donner des missions dans les principales villes de sa juridiction Episcopale, et il a jeté les yeux sur un de nos Confrères, M. Perrin, et de son agrément, ce cher Confrère m'a choisi pour l'accompagner dans ses travaux. J'aurais cru aller contre la volonté du Seigneur, et contre ce que je dois à nos Sociétés, si je n'avais point acquiescé à ce choix... elle (l'entreprise) sera pour nous un excellent, moyen d'établir et de propager ces Sociétés dans un pays déjà spécialement dévoué au Coeur adorable de Jésus, et...même, elle pourra contribuer â nous faire obtenir du Saint Siège cette approbation plus solennelle qui nous a été promise". Après cette explication, le Père de Clorivière presse les membres d'entrer toujours plus avant dans l'esprit qui doit animer les deux Sociétés afin qu'il puisse à son retour les "retrouver tous dans la joie du Saint-Esprit, augmentés en nombre et plus encore en toutes sortes de vertus évangéliques et religieuses". Le post-scriptum de cette lettre ajoute : "La respectable Supérieure générale de la Société du Sacré-Coeur de Marie, que le Seigneur m'a donnée pour digne coopératrice dans l'établissement de cette Société, me charge de dire à" ses Soeurs et Filles en Jésus-Christ qu'elle partage avec nous les sentiments qui sont exprimés dans cette lettre". Lui-même avait signé, contrairement à son habitude : "Pierre Joseph, faisant présentement les fonctions de Supérieur général de la Société du Coeur de Jésus". Avant de s'éloigner avec Mère de Cicé, le Père a éprouvé le

(1) L.C., p.363-364.


-8Ç-

besoin de mieux situer l'autorité et les responsabilités des Supérieurs de chacune des Sociétés. Mère de Cicé partit sans doute avec son frère Jérôme qui gagnait son archevêché d'Aix. Le Père de Clorivière accompagnant Mr Perrin partit peu après.


CHAPITRE

III

LES FONDATEURS EN PROVENCE.

Le Corps épiscopal français en 1802. Pour mieux comprendre le déroulement des faits au cours des années à venir, et dans l'immédiat les réticences croissantes de Mgr Jérôme de Cicé devant l'établissement éventuel des Sociétés dans son diocèse, il est utile de jeter un coup d'oeil d'ensemble

sur

l'épiscopat français à cette époque. En

1802, le Corps épiscopal au complet se compose de 16 évêques

de l'ancien régime (avant la Révolution)

;

12 évêques constitutionnels

ayant prêté le serment de la constitution civile du clergé et s'étant rétractés

(1) ; 32 évêques nouvellement nommés pour occuper les sièges

vacants. Ceux-ci, dit-on, avaient été choisis judicieusement par

le

gouvernement consulaire avant de recevoir l'investiture de Rome. C'étaient le plus souvent d'anciens vicaires généraux ou des membres des chapitres. D'emblée on se rend compte de la variété des hommes et des opinions. Mais, ce qu'ils ont tous en commun, c'est d'être regardés par le Premier Consul comme les auxiliaires spirituels de sa domination temporelle. Si ce dernier a compris la nécessité du rétablissement du culte catholique en France, rétablissement célébré en grande pompe à NotreDame le jour de Pâques,

18 avril (2), "il entend se servir de l'organi-

sation nouvelle pour absorber l'Eglise par l'Etat et faire du clergé un corps de fonctionnaires"

(3). Tout doit relever de 1'évêque, mais 1'évê-

que doit relever du ministre (Portalis), et à travers lui, du chef de l'Etat.

(1) La rétractation des évêques constitutionnels exigée par Rome donna lieu à une série d'incidents, suivis même cf. J.Leflon, op. cit., p,206-207.

de quelques démentis,

(2) Jour choisi pour la proclamation du Concordat. (3) cf. P.Nourrisson, op. cit., t.l, p.82.


-4Les ordres religieux, ayec leur statut spécial et leur dépendance de Rome constituent, aux yeux de Bonaparte, une fâcheuse exception à la centralisation qu'il envisage. L'article 11 des Articles organiques, diversement interprété par les légistes, stipule que les évêques, avec l'autorisation du gouvernement, peuvent établir dans leur diocèse des chapitres et des séminaires, mais que "tous autres établissements ecclésiastiques sont supprimés". Par ailleurs, Bonaparte ainsi que Portalis, reconnaissant l'efficacité de certains ordres hospitaliers et enseignants, rendront à ceux-ci une existence légale. Mgr Jérôme de Cicé, comme tous les évêques de France, connaît le réseau de prescriptions qui l'enserre. Il sait aussi la prudence qui s'impose particulièrement à l'ancien ministre de Louis XVI, à" l'émigré de la première heure, et surtout au frère d'Adélaïde de Cicé emprisonnée

une

première fois comme parente d'émigrés, et une seconde fois sous la grave inculpation d'avoir trempé avec le Père de Clorivière dans le complot de la machine infernale. Son sens politique est suffisamment aiguisé pour qu'il puisse apprécier les divers éléments de la conjoncture présente. Cela explique les atermoiements et réticences auxquels le Père de Clorivière et son compagnon vont se heurter.

Longue attente à Lyon.

Les deux missionnaires en Provence.

Une première lettre du Père de Clorivière datée de Lyon 13 juillet 1802 et adressée à Mère de Cicé à Aix,nous fournit des renseignements intéressants sur le début du voyage des fondateurs :(1) "Votre lettre m'a fait un très grand plaisir. Car je vous l'avoue, mon compagnon (Mr Perrin) et moi nous n'étions pas sans crainte à votre sujet en pensant à la légèreté de votre esquif sur un fleuve aussi rapide que le Rhône, surtout depuis qu'on nous a raconté divers accidents arrivés dans de semblables bateaux. Nous avons béni de bon coeur le Seigneur en apprenant que vous êtes arrivée à bon port, saine et sauve, avec celui qui vous sert de guide et de compagnon".

(1) Lettres, p.156.


Mère de Cicé a-t-elle fait le voyage en compagnié de son frère ? c'est très probable puisque le Père de Clorivière lui parle de l'entrée et de l'installation à Aix de l'archevêque, le ]4 juillet 1802.

(1)

Quelques lignes plus bas le Père écrit : "Tout cela est arrivé depuis que nous sommes au Séminaire ; car dès le lundi 5 du mois, le lendemain de votre départ, nous avons quitté notre premier hospice qui nous convenait peu pour venir habiter dans une maison de Dieu". Le séminaire, cette "maison de Dieu" où logèrent le Père et Mr Perrin, est devenue actuellement une maison de la Société des Filles du Coeur de Marie, 27 montée Saint Barthélémy.

(2)

Nous ne rappellerons pas les multiples incidents du voyage des deux missionnaires, leur pèlerinage à La Louvesc, etc, ces détails sont bien connus (3). Mais nous nous arrêterons sur les réticences manifestées par Mgr de Cicé au moment où ils auraient dû commencer leur travail, sur leur longue attente à Lyon et les réactions du Père de Clorivière. Le 2 août 1802 il écrit à Mère de Cicé à Aix :

(4)

"Je joins ici la lettre de mon Confrère à Monseigneur l'Archevêque ; il me l'a lue et j'en ai été content. C'est une réponse à la vôtre et il me semble que ses vues s'accordent bien avec les vôtres... Je crois que ce n'est qu'une vaine crainte qui retient Monsieur votre frère. C'est pourquoi, après vous être bien recommandée à Notre Seigneur et à sa Sainte Mère, faites ce que la prudence vous suggérera". Le 14 août 1802 :

(5)

"Je viens maintenant à ce qui regarde notre voyage d'Aix. M. Perrin avait cru faire une chose agréable à Monseigneur l'Archevêque et utile à son diocèse en lui consacrant ses travaux, et en lui donnant la préférence sur plusieurs Prélats qui montraient le désir de l'avoir pour collaborateur ; Monseigneur d'Aix avait marqué le même désir. Les choses sont maintenant bien changées, puisque ce qu'il a paru souhaiter vivement comme très avantageux à son diocèse, il ne l'accorderait que comme une faveur, aux pressantes sollicitations d'une soeur qu'il ne voudrait pas contrister".

(1) Lettres, p.159. (2) C'est là que se tint le Chapitre général de 1969. (3) cf. Annales ; M.de Bellevue, op. cit. p.203-206; J.Terrien, op.cit., p.415-417. (4) Lettres, p.163. (5) Lettres, p.165-166.


Suivent quelques lignes où le Père de Clorivière fait comprendre que Mr Perrin ne pourra pas rester longtemps à Lyon dans l'expectative, et un peu plus loin

:

"L'unique chose qui pourrait empêcher le Prélat de m'accueillir sans délai dans son diocèse, ce serait la crainte de donner des soupçons" Le 16 août 1802 (1) le Père dit son espérance de voir s'implanter solidement dans le vaste diocèse de Mgr de Cicé les deux Sociétés "qui se propageraient ensuite aisément dans les autres diocèses de France dont les Pasteurs pour la plupart leur sont favorables ; et de la France dans toute l'Eglise, au moyen d'une nouvelle et plus ample approbation du Saint Père, qu'il aurait la bonté de solliciter pour nos Sociétés". Mais après avoir pris connaissance du courrier il est obligé d'ajouter : "De nouveaux délais, après ce que nous vous avions marqué, ont dû nous être sensibles ; mais ce qui a dû affecter davantage Mr Perrin, c'est qu'on ne témoignait plus le même désir, le même empressement pour l'avoir, et qu'on ne lui parlait que de retraites pour des religieuses; ce qui n'est point assurément le principal objet qui l'a déterminé à faire un voyage si long et si pénible. Il craint que ce refroidissement n'indique quelque changement dans les dispositions du prélat". Des raisons politiques ont sans doute dicté ce changement d'apos tolat demandé a Mr Perrin. Les missions populaires et leurs prédicateurs, à cette époque, étaient très en vue ; des retraites données à des religieuses seraient plus discrètes. Mais le Père de Clorivière ressent vivement ces restrictions. Il écrit le 22 août 1802 :

(2)

"Le sentiment de commisération qui le fait agir (Mgr de Cicé) semble dire que c'est une grâce qu'il nous accorde et qu'il compte pour bien peu.de chose ce que nous pouvons faire pour son diocèse. Ses intentions sont sans doute bien droites : mais si Dieu ne touche son coeur de nouveau, comme je l'espère, en faveur de la bonne oeuvre pour laquelle le Seigneur semble nous avoir également choisis, vous et moi, que pouvons espérer en voyant en (lui) si peu de désir et d'empressement pour ce qui peut aider à la propager ? Je crains de vous faire de la peine en vous parlant si fort à coeur ouvert ; mais je ne me considère nullement en cela, je ne regarde que la gloire de Dieu et le bien de la chose qui, comme je l'ai dit, vous intéresse ainsi que moi".

(1) Lettres, p.169-170. (2) Lettres, p.174-175.


- 90-

Ces lettres font connaître les réactions du Père de Clorivière et de Mr Perrin face aux réserves de Mgr de Cicé : elles dépeignent bien la situation et permettent

aussi

de lire en filigrane le rôle délicat

de Mère de Cicé prise entre la fidélité à sa mission de fondatrice, les désirs pressants du fondateur, et les réticences de son frère. Nous savons par ailleurs qu'elle est déjà entrée en contact avec des âmes généreuses, prêtes à entendre l'appel du Seigneur dans la Société des Filles du Coeur de Marie, et que de son coté, elle le sait, le Père, presque partout sur son passage a fait des rencontres analogues. Ne possédant pas

de

lettres de

Mère de Cicé

au

Père

de

Clorivière, il nous faut deviner son rôle à travers les indications trouvées dans les lettres du fondateur. Son influence discrète n'en est pas moins efficace puisque le Père peut lui écrire le 27 octobre annonçant son arrivée à Marseille :

en

lui

(1)

"Mes très humbles respects â tous ceux et celles qui vous demanderaient de mes nouvelles, à celles surtout qui aspirent à s'unir à nous dans les Sacrés Coeurs de Jésus et de Marie". On peut suivre l'itinéraire des deux missionnaires et connaître leur apostolat à Marseille, Toulon, Arles, grâce à la correspondance du Père de Clorivière avec Mère de Cicé (2) et quelques membres des

deux

Sociétés. A Marseille, avec Mr Perrin, le Père se partage les exhortations d'une retraite donnée aux religieuses de la Providence (3). Ils y sont encore au début de novembre. Le refus formel de Mgr de Cicé de leur laisser prêcher une mission, pourtant très désirée du peuple et du clergé est "une pilule amère" pour Mr Perrin. Quant au Père de Clorivière, son complet abandon à la volonté divine lui suggère aussitôt "que cela aurait pu avoir de grands inconvénients". Par ailleurs, nous apprenons que la "petite conférence" que Mère de Cicé a tenue avec quelques personnes,

(1) Lettres, p.176. (2) cf. Lettres, p.176-188. (3) cf. Lettres, p.176.


- <A sans doute d'éventuelles vocations, plaît beaucoup au fondateur. Lui aussi en a tenu une à Marseille (1), "avec quelques bonnes filles qui me paraissent propres à la chose. Une d'elles a déjà comme 1'agrément de son confesseur". Un peu plus tard, le 26 novembre, le Père confie à Mère de Cicé qu'il a prêché une retraite de prêtres, commencée par obéissance à Monseigneur l'Archevêque, car elle lui répugnait beaucoup. Mais "Dieu a béni mon obéissance et ma soumission". En décembre, on retrouve les deux confrères à Toulon.où

ils

donnent une retraite à des religieuses et une aux prêtres. Puis Mr Perrin en donne une aux fidèles, accourus nombreux. En février 1803 ils sont à Arles, après un voyage mouvementé narré en détail à Mère de Cicé dans la lettre du 6. En post-scriptum le Père écrit :

(2)

"Les deux retraites vont leur train". On se rend compte qu'un peu partout le travail en profondeur des retraites a remplacé les grandes missions pour lesquelles Mr Perrin avait d'abord été invité par Mgr de Cicé. Le Seigneur a ses desseins.

RETICENCES ACCRUES DE MGR DE CICE.

Après février 1803 on note une interruption de sept mois dans la correspondance du Père de Clorivière avec Mère de Cicé. Il réside à Aix dans l'espoir d'y établir "la bonne oeuvre" ; c'est elle qu'il avait particulièrement en vue en accompagnant Mr Perrin. Ce dernier, son apostolat terminé, a quitté la Provence. Nous avons heureusement quelques lettres fort intéressantes écrites à cette époque par le fondateur à des membres de l'une et l'autre Société. Quelques passages sont éclairants. Le 25 février 1803 à Mlle d'Esternoz (3)

:

"J'ai trouvé ici Adélaïde... Elle a bien travaillé ici pour les Sociétés, mais les craintes du Frère nous empêchent, quant à présent;

(1) Lettres, p.177. (2) Lettres, p.186-188. (3) Lettres, p.658.


d'en recueillir les fruits. Le Seigneur a ses moments. Peut-être viendront-ils bientôt". Ce même 25 février, à Mr Pochard (1)

:

"Partout où nous avons été, bon nombre d'esprits sont bien disposés pour l'une et l'autre Société, mais il y a eu peu de Consécrations parce que le Prélat a suspendu, jusqu'à un plus ample examen, les permissions qu'il nous avait données. Le temps de l'examen nous paraît un peu long". Le 30 mars, dans une nouvelle lettre à Mlle d'Esternoz (2)

:

"Ici nous étions dans le plus beau chemin, quand tout-à-coup on a voulu examiner de nouveau la bonne oeuvre. J'ai reçu depuis peu une lettre amicale de Monseigneur l'Archevêque qui me donne des espérances". Enfin, une longue lettre du 15 mai 1803 à Mr Pochard où tout s'éclaire.(3) Le Père de Clorivière traite en premier lieu des intérêts généraux des Sociétés, en l'occurence de la 6ème Lettre circulaire sur"l'exce lence et les devoirs de la vocation" (4) écrite à Aix, puis un peu plus loin : "Je vais maintenant vous faire part de notre situation dans ce pays-ci. Vous êtes déjà instruit de ce que nous y avons fait. Munis des pouvoirs les plus étendus, nous avons, un confrère et moi, parcouru les principales villes de Provence, en donnant successivement des retraites aux religieuses et aux prêtres. Nous avons à remercier Dieu des bénédictions qu'il a versées sur nos travaux ; partout nous avons trouvé des personnes bien disposées pour nos Sociétés. J'avais eu la permission de M. l'Archevêque pour y admettre des sujets, mais cette permission n'était pas tout à fait bien prononcée, et je n'avais admis que deux sujets à la Consécration, un prêtre et une Fille de Marie. En janvier dernier, étant retourné deToulon à Marseille, où était alors M. l'Archevêque, où nous avions déjà donné trois retraites de dix jours chacune, je comptais y former un établissement, et je me disposais à préparer prochainement un certain nombre de bonnes âmes à leur Consécration. Mais avant de les mettre pour cela en retraite, je crus devoir m'assurer des intentions de M. l'Archevêque, et à cette occasion et sous prétexte de quelques bruits, il a suspendu les permissions qu'il m'avait données de travailler à propager les Sociétés, jusqu'à ce qu'il ait examiné la chose plus à fond,

(1) Lettres, p.870. (2) Lettres, p.661-662. (3) Lettres, p.871-873 (4) L.C., p. 153-181.


en me promettant que s'il trouvait des bases solides, il l'appuierait de tout son pouvoir. Il ne doute pas qu'on ne se soit proposé pour but la gloirede Dieu, il paraît avoir quelque estime et quelque affection pour moi, mais il m'a fait voir qu'il craint que, s'il avoue tacitement la bonne oeuvre et qu'elle parvienne aux oreilles du Gouvernement, cela ne lui attire quelque avis sévère, qu'il croit devoir éviter". Autrement dit, à la veille d'une fondation, Mgr de Cicé suspend toute permission pour examiner plus à fond la bonne oeuvre ; simple prétexte pour tergiverser encore car il redoute le blâme du gouvernement. Un nouvel entretien dont le Père de Clorivière donne un compterendu détaillé à Mr Pochard dans cette même lettre fait pleine lumière.(1) "Enfin j'ai eu une très longue conférence avec lui sur cet objet il y a huit a dix jours. Il m'a proposé bien des objections, en donnant cependant quelque éloge à la chose elle-même et à quelques-uns de mes écrits qu'il avait parcourus, entre autres â mon Mémoire aux Evêques. Je crois avoir répondu pleinement à ses objections. Il m'a ensuite fait voir la lettre du Ministre, adressée depuis assez peu de temps aux Evêques, comme une pièce décisive contre nous. Il y est fait mention, il est vrai, d'une Société du Coeur de Jésus. Mais je lui ai représenté que ce n'était point la nôtre, mais plutôt quelque Société d'illuminés qui a paru sous ce nom, et je lui ai dit les raisons qui me le faisaient croire. Je l'ai prié de me mettre par écrit ses objections, en lui proposant d'y répondre. Mais comme je crains sa peine et qu'il est très chargé d'affaires, deux jours après, je lui ai fait parvenir, et ses objections, autant que j'ai pu me les rappeler, et mes réponses à ses objections. Il y a réfléchi, et, parlant de bonne amitié à sa soeur, et d'une manière avantageuse tant pour la Société que pour moi, il lui dit qu'il était disposé à écrire au ministre Portalis en notre faveur, et de la manière que nous le jugerions à propos ; qu'il écrirait de même à MM. Bernier, Spina et Boisgelin". Les deux sujets traités au cours de ce long entretien qui dut se situer à Aix le 5 ou le 6 mai nous en révèlent l'importance :

la

Circulaire Portalis, les objections de Mgr de Cicé à la forme de vie religieuse des Sociétés. Tout d'abord la lettre du Ministre envoyée à tous les évêques. Il s'agit d'une circulaire, datée du 25 janvier 1803 (2) et qui serait "la pièce décisive contre nous". -

(1) C'est nous qui nous soulignons. (2) Avant cette date, Portalis avait déjà écrit un "rapport" en septembre 1802, pour signaler une "Société du Sacré Coeur" ou "Société des Pères de la Foi ou Paccanaristes" qui voulait, dans la clandestinité ressusciter la Compagnie de Jésus.


Le Père de Clorivière ne paraît pas attacher d'importance à la mention d'une "Société du Coeur de Jésus" qu'il identifie, semble-tîl, à celle des Paccanaristes (1). Sur ce point précis il a dû convaincre sans difficulté Mgr de Cicé. Mais

le fond de la circulaire

inquiétant pour l'archevêque, Portalis précise en effet :

est

(2)

"Les lois françaises ont dissous toute corporation régulière ou séculière et audun établissement ne peut exister sans l'aveu du gouvernement. Je suis pourtant informé que dans plusieurs villes, il se forme des associations composées, au moins en partie, des anciens ordres u monastiques. De pareilles institutions sont illicites par cela seul qu'elles ne sont point autorisées et leur but religieux ne saurait couvrir l'irrégularité de leur existence". Cette même circulaire invitait les évêques à faire connaître au Ministre des cultes "les différents rassemblements d'ecclésiastiques ou de personnes de tout sexe réunies entre elles par quelque objet religieux". Bien évidemment les nouvelles Sociétés n'étaient pas en règle ; les évêques étant tenus de signaler ce genre d'associations religieuses au Ministère des cultes, les réactions de Mgr de Cicé s'expliquent facilement ; elles seront éclairantes pour les années à venir.

(1) La ressemblance entre des vocables parfois employés l'un pour l'autre, prête à confusion : Société des prêtres du Coeur de Jésus, fondée par le Père de Clorivière, Société des Pères du Sacré-Coeur, fondée dans les premières années de la Révolution par l'abbé de Tournély, émigré à l'étranger. La ressemblance du but poursuivi : restauration de la Compagnie de Jésus ou fusion avec elle si elle ressuscite un jour, crée à son tour une confusion entre la Société des Pères du Sacré-Coeur et les Paccanaristes ou Pères de la Foi, fondés en 1797 par Paccanari qui, à 1'encontre du saint abbé de Tournély, était un illuminé, peu recommandable, dénoncé au Saint-Office dès 1801 et condamné dans la suite. Après la mort prématurée de l'abbé de Tournély, le Père Varin devient en 1797 supérieur général" des Pères du Sacré-Coeur. Dans le courant de 1799, sur le désir de Pie VI, Pères du Sacré-Coeur et Pères de la Foi fusionnent et Paccanari devient supérieur général. Le Père Varin est nommé supérieur pour la France. En 1804, avec l'approbation du nonce, Mgr Caprara, il se sépare de Paccanari devenu de plus en plus suspect, et gouverne seul les Pères de la Foi restés en France. Pères du Sacré-Coeur et Pères de la Foi contribuèrent â fournir les premiers éléments de la restauration de la Compagnie de Jésus en France en 1814. (2) cf. P.Nourrisson, op.cit., t.l, p.81-90 et 104. Cf. Archives nationales, F.19, 6247 (liasse : du droit de dissolution).


- 9SJ -

En second lieu, les objections de Mgr d'Aix au sujet de la vie religieuse des Sociétés. Prudent et précis, le Père de Clorivière lui a demandé de les mettre par écrit, mais craignant le manque de temps de son interlocuteur, il répond d'avance et de mémoire à ces dernières dans une note dont nous avons la bonne fortune de connaître la teneur grâce à une copie de Mère de Cicé.

(1)

Les six premières objections portent sur le régime interne des Sociétés : La pratique des Conseils évangéliques impossible dans le monde ; la Pauvreté ; la Chasteté ; l'Obéissance ; l'autorité des Supérieurs ; la connaissance des sujets ; les oeuvres. Le Père y répond brièvement et aisément. La 8e objection concerne "La lettre ministérielle". Voici les réponses données : " - Il me paraît que cette lettre ne nous regarde pas, au moins directement. Voici les raisons qui me le font croire : 1° Tous les griefs dont on s'y plaint sont étrangers à nos Sociétés. 2° Il n'est fait aucune mention de la Société du Coeur de Marie, que nous avons coutume de joindre à celle du Coeur de Jésus. 3° Notre Société n'est pas du genre de celles qui peuvent faire ombrage au gouvernement, elles n'ont et ne peuvent avoir en propre aucuns biens, chaque membre demeure à la place qu'il occupait à l'extérieur et doit contribuer de son mieux à la chose publique. 4° Il serait difficile que le Ministère n'eût pas eu connaissance de nos Sociétés, l'Aperçu ayant été distribué à la plupart des nouveaux Evêques. 5° Il y a eu des sociétés d'illuminés, sous le nom du Coeur de Jésus ; il se peut faire que ce soit ces Sociétés qu'on ait eu en vue. 6° Cette lettre n'est pas une loi ; mais je sens qu'elle exige de notre part une plus grande circonspection".

Réactions de Mgr de Cicé.

Les arguments du fondateur étaient-ils de nature à convaincre le frère de Mère de Cicé ? On peut en douter. Toujours est-il qu'il propose à sa soeur "d'écrire au Ministre Portalis en notre faveur..." de même "à MM. Bernier, Spina et Boisgelin".

(1) D.C., p.401-404 et 597

(il s'agit du même document).


Le Père de Clorivière ajoute, toujours dans la.même lettre à Mr Pochard :

"Je ne voudrais décider si c'est tout de bon qu'on parle, ou si c'est pour nous amuser et gagner du temps. Mais je sais qu'il serait bien important que M. d'Aix se déclarât fortement pour nous. Il a beaucoup de crédit auprès du Ministre, et même auprès du S.Père. C'est pourquoi je crois devoir suspendre la détermination que j'avais prise de quitter ce pays et de passer promptement chez vous". Un mois après, le 17 juin 1803, une lettre à Mlle d'Esternoz nous apprend que le fondateur est toujours en attente :

(1)

"Notre Prélat a écrit au Ministre d'une manière favorable ; j'ai lieu de le conjecturer, car il nous a demandé sous quel point de vue notre affaire devait être présentée. Ainsi j'attendrai encore, et si je puis obtenir ce que je désire, je crois que la moisson serait bonne dans ces Cantons". De fait, Mgr de Cicé, sans doute par bienveillance pour sa soeur, dut écrire à Portalis, peut-être aussi aux autres personnalités religieuses, sauvant ainsi probablement les Sociétés du décret de proscription de 1804. Par ailleurs, il avait grand intérêt à ce que les Sociétés restent dans l'ombre. Depuis le complot de la machine infernale, les noms de sa soeur et celui du Père de Clorivière se trouvaient certainement joints dans les dossiers de la Police et ceux du Ministère des cultes (2). Sa carrière épiscopale pouvait indirectement se ressentir d'une bienveillance publiquement affichée à leur égard. Malgré cette protection officielle, les autorisations si désirées pour l'établissement des Sociétés en Provence se faisaient toujours attendre. Sous la patience du Père on sent poindre son inquiétude dans le passage de cette lettre à Mme de Carcado, datée d'Aix 30 juillet 1803 :

(3)

"J'avoue cependant avoir depuis quelque temps écrit peu, parce qu'il y a longtemps que pour la bonne oeuvre on nous tient en suspens ; on ne refuse pas, mais on remet, on donne des espérances ; et comme je

(1) Lettres, p.664. (2) Le dossier du Père de Clorivière aux Archives nationales ne laisse aucun doute sur ce point. (3) Lettres, p.671.


sens qu'il serait important que la bonne oeuvre s'établît dans ce pays, et que je vois un assez grand nombre de personnes qui semblent disposées pour l'embrasser, je craindrais.de tout rompre par un trop prompt départ. Mais cet état de stagnation fait que je n'ai rien à mander sur ce qui nous regarde. J'espère qu'il finira bientôt, et qu'alors je pourrai vous marquer sûrement si le bien de la Société exige que je prolonge encore ici mon séjour, ou si je retournerai vers la famille et quitterai un pays où je n'ai fait que semer, sans avoir presque rien recueilli, du moins pour ce qui regarde l'oeuvre qui nous a été spécialement confiée".

DEPART DES FONDATEURS.

Quand et comment, après cette longue et usante attente, le Père sût-il qu'il n'y avait rien à espérer pour implanter les Sociétés dans le diocèse de Mgr Jérôme de Cicé, nous ne le savons pas. Mais le .

22 puis le 23 septembre il écrit de Lyon à Mère de Cicé, lui donnant des nouvelles sur le voyage qui doit le conduire à Besançon le 27 au soir . Dès le lendemain de son arrivée dans la capitale de la FrancheComté, il lui fait part de toute la satisfaction qu'il éprouve après ses premiers contacts religieux avec les membres des Sociétés.(1) Un passage de cette dernière lettre nous intrigue : "Soyez constante et courageuse, mais ce courage soient dirigés par la prudence. Ne (mieux) attendre avec douceur et patience que battant. Vous avez de bonnes raisons, mais il raisse les goûter".

que cette constance et précipitez rien ; il vaut de rien rompre en se faut au moins qu'on pa-

Durant cette quinzaine, Mère de Cicé restée seule à Aix avec son frère après le départ du Père de Clorivière, avait eu sans doute â résister aux instances de Mgr de Cicé pour la retenir auprès de lui : là au moins, elle aurait été en sécurité. A-t-il même tenté de desserrer, sinon rompre ses liens avec une société naissante en butte à tant de suspicion ?

Simples conjectures, mais il est sûr qu'en son âme de

fondatrice elle dut souffrir secrètement dès atermoiements, puis du veto opposé par son frère, alors que "la moisson s'annonçait si bonne dans ces Cantons".

(1) Lettres, p.]91.


- 98 -

Retour de Mère de Cicé à Paris.

Une lettre de Besançon, datée du 3 octobre 1803 (1) et adressée à : Monsieur Rusand, libraire, pour Mademoiselle de Cicé, à son passage, Grande rue Mercière, à Lyon, nous apprend que celle-ci en route vers Paris a du quitter Aix, quelques jours plus tôt. Les nouvelles données par le fondateur sont consolantes : "J'ai vu toutes nos chères filles et presque tous nos chers confrères, et je puis vous assurer que j'ai été très satisfait de tout ce que j'ai vu, et vous le seriez pareillement. ...Il y aura assemblée jeudi, où tous se rendront ; elle sera aussi commune aux Filles de Marie". On imagine facilement le réconfort de cette assemblée commune, et pour le Père et pour les membres des Sociétés. Une autre lettre, envoyée d'Orléans, le 28 octobre 1803 (2) est adressée à Mère de Cicé à Paris : " J'ai reçu, ma chère fille en Notre-Seigneur, vos deux lettres renfermées dans une, avec quelques mots consolants de M. Bourgeois, et une lettre de Mme de Carcado qui m'a causé une véritable satisfaction, en m'apprenant celle que toutes ont ressentie à votre arrivée". A son retour dans la capitale, Mère de Cicé a dû une fois encore changer de domicile. Une lettre du Père, datée de Poitiers, 29 novembre 1803 le fait entendre :

(3)

"Votre position â votre arrivée rappelle un peu celle de la Sainte Vierge et de son saint Epoux à Bethléem. Cela a dû être de quelque consolation pour vous... Vous êtes enfin logée, et votre logement me plairait s'il ne vous isolait pas trop de vos soeurs". D'après l'adresse de cette lettre : Mlle Allouard, chez les Dames R. de la Congrégation, rue Neuve St Etienne n° 28, faubourg SaintMarceau, à Paris,

(4)

nous voyons que Mère de Cicé est relativement

éloignée du centre. Mme de Carcado son assistante habite heureusement près d'elle.

(5)

(1) Lettres, p.191-192. (2) Lettres, p.192. (3) Lettres, p.194. (4) Rue qui se terminait près du Jardin des Plantes. (5) cf. M. de Bellev'ùe, op. cit., p.210-211.


Un autre passage de la lettre du Père évoque la surveillance policière toujours latente : "Il faut, je le sens,de la circonspection, mais elle doit être dictée par la prudence, non par une vaine frayeur. L'endroit où vous êtes, à 1'éloignement près, favorise la communication. Qu' une grande confiance vous élève au-dessus de ce qu'il y aurait d'excessif dans vos craintes."

Les craintes de Mère de Cicé ne concernaient pas sa personne : elle redoutait seulement de compromettre les membres de la Société

en

restant â sa tête, comme plusieurs de ses lettres en font part.

Tournée du fondateur dans plusieurs diocèses.

Après sa longue absence en Provence, le fondateur se fait un devoir de visiter les Réunions déjà établies. De Besançon, il se rend vers la mi-octobre à Orléans en passant par Auxerre.

(1)

D'Orléans aussi, les nouvelles sont bonnes :

(2)

"A la fin de la petite retraite, j'ai reçu les voeux de trois de nos soeurs et ceux de M. Chappelier. La fête cependant n'a pas été complète, parce que quelques-unes des soeurs n'ont pu avoir ce bonheur et que nos Associés du Coeur de Jésus étaient absents. Leur bonheur n'est que différé." Le post-scriptum est à noter : "Monseigneur l'Evêque, à qui j'ai écrit, ne m'a rien fait dire et je pars sans l'avoir vu". L'évêque en question est Mgr Bernier, le protecteur de lors du voyage à Rome

en vue

Portalis ont dû fortement

(1) cf. Lettres, p.192. (2) Lettres, p.193.

de

l'approbation.

l'impressionner,

1801

Les circulaires

il préfère donc ignorer le


- 10D-

Père de Clorivière.

(1)

L'heure approche où les Sociétés seront inter-

dites dans son diocèse. Après Orléans, le Père se rend à Tours. Son apostolat décrit dans une lettre du 22 novembre 1803 à Mère de Cicé y est fort actif.

(2)

"Je viens de finir hier au soir, jour de la Présentation de la Sainte Vierge, ma retraite qui a été publique et avec une grande affluence de peuple. J'y ai eu beaucoup de consolations et de fatigues... J'ai reçu hier les voeux de M. Guépin et une nouvelle consécration d'un excellent ecclésiastique, chanoine, et respecté de tout le monde. Avec cela, et mes deux exercices publics, dont l'un a été le renouvellement des promesses du baptême et l'autre sur la persévérance, j'ai encore donné un discours aux religieuses pour le renouvellement de leurs voeux ; ce qui m'a beaucoup fatigué. Aujourd'hui je suis bien remis et je vais encore prêcher ce soir aux religieuses rassemblées. Demain, s'il y a place dans la diligence, je partirai pour Poitiers". Le 21 décembre 1803, la lettre écrite de Poitiers à Mère de Cicé(3) nous fait part du projet formé par le Père d'aller en Bretagne, peut-être à Rennes et jusqu'à Saint-Malo ; Nantes serait sûrement parmi les étapes. Mais ce sont surtout les lignes suivantes qui méritent de retenir l'attention :

(4)

"J'ai attendu près de quinze jours à Poitiers Monseigneur l'Evêque. Il m'a très gracieusement accordé ce que je désirais pour la gloire de Dieu, ainsi que Monseigneur l'Archevêque de Tours l'a fait (cardinal de Boisgelin)".

(1) cf. Lettres, p.665. Bernier cherche manifestement à éviter le Père de Clorivière qui écrit le 1er novembre 1803 à Mlle d'Esternoz : "Je me promettais de voir ici Mgr l'Evêque (Bernier) mais il a été absent quelques jours. Dès que j'ai appris son retour, je lui (ai) écrit une lettre de remerciements et pour lui demander audience ;'et sans attendre sa réponse, le lendemain, je me suis présenté chez lui. Il était sur le point de sortir et les.chevaux étaient déjà attelés à son carrosse. Il m'a fait dire qu'il me ferait savoir quand je pourrais le venir voir ; il ne m'a point mandé et je me suis tenu tranquille." (2) Lettres, p.675. Cette lettre est classée par erreur parmi les lettres à Mme de Carcado. Le Père a clairement indiqué en marge la véritable destinataire. Toutes deux habitent alors rue Mézières. (3) Lettres, p.196. M. de Cicé habite à ce moment rue Neuve Saint-Etienne. Le mois de mai 1804 la verra de nouveau installée rue Mézières. (4) Lettres, p.196.


- ic4 -

Ce passage est à rapprocher de ces lignes d'une lettre à Mlle d'Esternoz le 13 février 1804 (1)

:

"J'ai été parfaitement accueilli du Cardinal Archevêque de Tours et de Monseigneur l'Evêque de Poitiers : tous deux m'ont accordé bien volontiers ce que je leur ai demandé ; et j'ai donné dans l'une et l'autre ville des retraites publiques". Dans ces deux diocèses où les évêques ont reçu, comme tous leurs collègues, les circulaires du Ministre des cultes, de larges autorisations ont cependant été accordées au Père de Clorivière pour "la bonne oeuvre". Quel réconfort après les refus d'un Cicé et les dérobades d'un Bernier. Le 8 janvier 1804, depuis Poitiers, nouvelle lettre à Mère de Cicé (2)

: le Père qui était "un peu épuisé" s'est reposé quatre jours

chez Mlle Gauffreau, cette héroïque Fille du Coeur de Marie qui, pendant la Terreur, a eu l'honneur d'être exposée au pilori pour avoir caché des prêtres. Il a aussi appris par Mme de Carcado la mort de sa soeur visitandine : "C'est une sainte de plus dans le ciel". De Poitiers, le Père retournera à Tours "et si Dieu le permet" se rendra ensuite à Angers, Nantes, etc. Le projet du voyage en Bretagne tourne court ; des lettres venues de Paris ont hâté son retour dans la capitale.(3)

Projet de révision des écrits relatifs aux Sociétés.

Après sa longue absence de Paris, le fondateur espère pouvoir se consacrer à un travail important qui lui tient à coeur. Fin décembre 1803, il y fait déjà allusion dans la lettre à Mère de Cicé où il prévoit son voyage en Bretagne :

(1) Lettres, p.666.

cf. Lettres, p.756 à Mme de Clermont.

(2) Lettres, p.197. (3) cf. Lettres, p.666 (4) Lettres, p.196.

(4)


- loi,"Je sens aussi vivement le retard que cela ne peut manquer d'apporter au travail qui m'attend à Paris et que je regarde comme pressé ; il est vrai que, chemin faisant, je puis acquérir des lumières qui me seront utiles pour ce travail". Deux lettres du 13 février 1804, l'une à Mlle d'Esternoz, l'autre à Mme de Goësbriand nous indiquent de quel travail il s'agit. Nous relevons dans la première :

(1)

"Depuis un peu plus de quinze jours que je suis à Paris, j'ai été bien occupé comme vous pouvez le penser ; dès que je serai débarrassé, je m'appliquerai tout entier à retoucher mes écrits. Je recommande à vos prières et à celles de tous nos amis ce travail qui intéresse essentiellement l'une et l'autre famille", et dans la seconde (2) en termes presque identiques : "Depuis que je suis ici, il y a un peu plus de quinze jours, j'ai donné une petite retraite aux nôtres et j'ai été occupé de mille (affaires) inévitables après une longue absence. Dès que j'en serai débarrassé, je m'appliquerai tout entier à la révision de nos papiers pour les livrer à l'impression. Je demande des prières particulières pour que Dieu m'assiste dans ce travail qui intéresse essentiellement les deux familles". Nous trouvons une dernière indication sur ce que pouvait être "ce travail qui intéresse essentiellement les deux familles" dans une lettre non datée à Mr Bacoffe. puis mai 1804) .

(3)

(Le Père de Clorivière est en prison de.

"J'espère que ma captivité et la saisie de tous mes papiers, et surtout de tous ceux qui regardent la Société, qu'on a saisis à l'improviste lorsque je me proposais d'en faire un recueil, ayant déjà à cet effet mis en latin les réflexions sur le Sommaire, j'espère,dis-je, que Dieu fera tourner tout cela à sa gloire, à notre salut, et à la prospérité de son oeuvre". Pour connaître avec quelque certitude quels étaient ces écrits destinés à l'une et l'autre Société et dont le fondateur se proposait alors de faire un recueil, il nous faut recourir à des sources qui se recoupent et se révèlent d'autant plus précieuses qu'elles sont rédigées de sa main.

(1) Lettres, p.666. (2) Lettres, p.739. (3) Lettres, p.897.


-

îcfy -

Tout d'abord un manuscrit (1) intitulé

par le

Përe lui-même

"Liste des Ecrits relatifs aux deux Sociétés". Cette liste très complète a l'avantage de nous désigner l'ensemble des documents qui, pour le fondateur, exprimaient le mieux l'esprit, la forme et le but des Sociétés. Nous y aurons recours dans la suite de cet exposé. Puis deux passages de ses lettres, l'une écrite à Mlle de Virel le 13 juillet 1806 (2), l'autre à Mlle de Fermont le 21 mai 1807.

(3)

Mlle de Virel a dû faire de nombreuses objections au fondateur qui lui répond : "Je ne concevais pas comment, avec.cela (toutes vos préventions) vous aviez pu faire votre consécration et comment on vous avait permis de la faire ; je me disais à moi-même qu'il fallait qu'on ne vous eut pas instruite des points les plus essentiels, et même que vous n'ayez pas lu, ou du moins que vous n'ayez compris que bien imparfaitement les écrits les plus nécessaires de la Société du Coeur de Marie qui sont le Plan, la Règle de conduite, vos Règles qui, à quelques changements près, sont les mêmes que le Sommaire des Constitutions de St Ignace, et l'explication de ce Sommaire". Quant â Mlle de Fermont, le texte que nous reproduisons mérite d'autant plus d'attention qu'il fait partie d'une longue lettre "en forme de testament" telle que le Père de Clorivière la caractérise en la citant dans la "liste des écrits relatifs aux deux Sociétés". "Votre amour pour votre vocation foit vous porter à observer bien exactement toutes les règles renfermées, soit dans le Plan et la Règle de conduite, soit dans le Sommaire avec les explications que nous en avons faites, soit dans nos Lettres circulaires, quelque parfaites qu'elles soient (4). Mais en cela, attachez-vous plus à l'esprit qu'à la lettre". Les premiers de ces écrits considérés comme les plus nécessaires datent des premières années des Sociétés. Quant aux Lettres circulaires, six ont été écrites avant la fin de 1803, les autres s'échelonnent entre 1805 et 1808. En ce début de 1804, il semble que les fondateurs aient bien mérité de goûter un peu de calme et de sécurité.

(1) Voir Appendice. (2) Lettres, p.688. (3) Lettres, p.694. (4)' (si élevé que soit l'idéal proposé).


- 1

Au sein même de la tourmente, ils ont semé le germe fécond des deux petites Sociétés ; ils ont échappé comme par miracle aux bouleversements de la Révolution ; les conséquences du drame de la Machine infernale paraissent s'estomper. Ils se sont heurtés en Provence aux refus de Mgr de Cicé, mais d'autres diocèses les ont "parfaitement" accueillis ; si quelques membres se sont séparés, d'autres sont venus plus nombreux. Ensemble, à Paris, le Père de Clorivière et Mère de Cicé vont pouvoir se consacrer plus complètement à leurs deux familles religieuses, le fondateur compte bien s'appliquer "tout entier" à la révision de ses écrits. Mais les voies du Seigneur ne sont pas les nôtres. Une nouvelle tempête va s'abattre sur cette maison "fondée sur le roc". Le 21 décembre 1803, le Père de Clorivière écrivait de Poitiers à Mère de Cicé :

(1)

"Il est bien probable qu'étant une fois à Paris, je n'en sortirai pas de longtemps..." Le 5 mai 1804 au matin, la police pénètre chez lui, fait main basse

sur tous ses papiers et l'emmène à la Préfecture de Police.

(1) Lettres, p.196.


- iorIII

1804

-

CHAPITRE

1814

I

LE PERE DE CLORIVIERE RECHERCHE PAR LA POLICE.

Pour comprendre l'atmosphère dans laquelle baignait alors

la

vie des fondateurs, rien ne peut remplacer la lecture de quelques pièces de police se rapportant aux recherches puis à l'arrestation du Clorivière.

(1)

Père

de

Mère de Cicé n'y est pas oubliée.

Nous citerons seulement les documents les plus significatifs. Ils nous montrent que le réseau policier tissé par Fouché recouvre toute la France,

il faudrait

beaucoup de chance

pour

passer

à travers ses

mailles.(2) Le 17 ventôse, an 9 (8 mars 1801), pendant le procès de

Mère

de Cicé, le maire de Josselin, dans le Morbihan, envoie à Fouché la lettre suivante :

"Citoyen Ministre, Le renseignement suivant m'est donné par un patriote de cette ville ; comme il peut être utile au succès de vos recherches sur les auteurs de l'attentat du 3 Nivôse, je m'empresse de vous le transmettre. Le nom de celui qui a conduit Pierrot St Régent chez la demoisel le Cicé et qu'elle s'obstine à ne pas révéler, est Picot de Clos-Rivière,

(1) Les documents concernant le Père de Clorivière sont classés aux Archives Nationales sous le n° 5588 cote F 7 6275. (2) Le zèle des indicateurs était d'ailleurs stimulé par la perspective de récompenses : 2000 louis furent promis à ceux-ci par Fouché au lendemain de l'attentat du 3 nivôse, cf. J. Thiry, La Machine infernale, p.172, Berger-Levraûlt,1952.


- loé -

prêtre fanatique (1) et complice de l'assassinat du Premier Consul. C'est l'oncle de Limoëlan. Ce prêtre est à Paris ou dans les environs, c'est lui qui est le directeur des dames de Gouyon. Il était autrefois supérieur du collège de Dinan (Côtes du Nord). Ce renseignement, Citoyen Ministre, est puisé d'une lettre venant de Paris, écrite et adressée à quelqu'un d'ici..." D'après d'autres pièces du dossier, nous voyons que le préfet de police a reçu l'ordre de faire arrêter le Père de Clorivière.

Mais

les mesures de prudence prises par ce dernier se révèlent efficaces, comme en témoigne la lettre du 19 germinal, an 9 (9 avril 1801), écrite par le préfet de police à Fouché, deux jours après la libération de Mère de Cicé: "Citoyen Ministre, J'ai reçu votre nouvelle lettre en date d'hier relative à Picot Clos-Rivière, connu seulement sous le nom de Clos-Rivière, dont vous avez ordonné l'arrestation. J'ai employé jusqu'à ce moment des moyens secrets pour découvrir sa retraite, mais ils n'ont pas obtenu de succès, faute d'avoir son signalement. Je continuerai mes recherches, Citoyen Ministre, et je mettrai d'autant plus de soin pour les rendre fructueuses que la capture de cet individu paraît importante, surtout si Limoëlan était réfugié chez lui et si je parvenais à découvrir ce prêtre fanatique, je vous en informerais sur le champ. _ , Salut et respect signature illisible. (en marge) On a su depuis que c'est ce Clos-Rivière, oncle de Limoëlan qui a chargé M. de Cicé de cacher le Petit François. (Carbon)." Comment le Père de Clorivière arrêté seulement le 5 mai 1804 a-t-il pu échapper trois ans de suite aux recherches, puisque nous

le

voyons, dès le début de 1801, soupçonné d'avoir trempé dans le complot du 3 nivôse ? c'est le secret de la Providence. Mais le Premier Consul persiste à vouloir cette arrestation comme en témoignent les deux pièces

(1) Dans la plupart des pièces de police à cette époque, la terme "fanatique" se rencontre souvent. Rappelons seulement qu'un rapport fait à la Convention au printemps 1795, accuse toutes les "ex-religieùses" d'être atteintes ' de la maladie incurable que nous appelons dans le nouvel ordre de chose fanatisme".(cité par J.Boussoulade, Moniales et Hospitalières dans la Tourmente révolutionnaire p.185, Letouzey et Ane, 1962.)


- 10^.-

suivantes du 8 germinal an 12 (29 mars (26 avril

1804) et du 6 floréal an 12

1804). Cette dernière précède de peu l'arrestation du Père.

Au Général Moncey,

_ , T "Paris, le 8 Gai an 12. Le Grand Juge 1er Inspecteur général de la Gendarmerie.

Général, A l'époque de l'arrestation des coupables de l'attentat du 3 Nivôse la police fut instruite que le Petit François qui a été condamné à mort avait été conduit chez la demoiselle de Cicé par l'abbé Picot Closrivière, oncle de Limoëlan et confesseur de cette demoiselle, que c'était lui qui l'avait engagée à lui procurer un endroit où il pût se cacher. Dans ce temps les recherches faites contre Picot Closrivière n'obtinrent aucun succès ; la demoiselle de Cicé persista d'ailleurs pendant l'instruction à refuser d'indiquer la personne qui lui avait présenté le Petit François. Depuis j'ai su que ce prêtre â cette époque s'était caché à Versailles et qu'il avait suivi Mlle de Cicé à Aix où elle s'était rendue auprès de son frère archevêque ; on m'a même assuré qu'il s'ennuyait dans cette ville et qu'il regrettait sa cache à Versailles. Le Premier Consul auquel j'ay communiqué ces renseignements m'a donné l'ordre de faire arrêter Picot Closrivière. Je vous invite donc, général, à charger un officier sûr et intelligent de vérifier si cet abbé est encore à Aix ; il devra, dans ce cas, prendre les mesures nécessaires pour s'assurer de sa personne et de ses papiers et le faire conduire auprès de moi. Vous jugez, au surplus, général, que, dans le cas où il logerait dans l'hôtel de Mr l'Archevêque, cette arrestation devra être faite avec les égards qui sont dûs à ce prélat et qui ne peuvent compromettre le succès de l'opération. Je vous prie de me faire connaître le résultat des recherches."

"6 Floréal,

an 12 Au Conseiller d'Etat, préfet de police à lui seul.

L'abbé Picot Clos-Rivière vous a été signalé, mon cher collègue depuis le 3 Nivôse an 9. C'est l'oncle de Limoëlan et confesseur de la Dlle Cicé ; c'est par lui que cette dame fut engagée à donner asile à Carbon, dit le Petit François. Il résulte des recherches qui ont été continuées sur cet homme d'un fanatisme dangereux, qu'après avoir été longtemps caché à Versailles, il s'est rendu à Aix, où Mlle de Cicé a passé dernièrement quelques mois auprès de son frère. Les ordres qui furent donnés à Aix pour la recherche et l'arrestation de Clos-Rivière, arrivèrent lorsque Mlle de Cicé venait de quitter cette ville pour revenir à Paris. Un abbé Rivière, que je crois être le même que Clos-Rivière, et qui est connu à Aix pour y avoir fréquenté Mlle de Cicé, a quitté aussi dans le même temps cette ville. On a sçu à Aix qu'on écrivait à cet abbé, il y a quelque temps chez Mme Guillemain, veuve, marchande ouvrière en dentelles, rue Mézières N° 909, â Paris. Depuis peu de jours, un fonctionnaire public d'Aix que j'avais chargé de s'informer plus particulièrement à ce sujet, me mande qu'on


- lés'est présenté chez celui qui correspond avec Rivière à Paris. Cette personne s'est refusée d'abord à donner son adresse, mais en déclarant que si on voulait lui apporter la lettre elle se chargerait de la faire passer sûrement. On lui apporta, en effet, une lettre et la personne remplit l'adresse qui était en blanc ainsi qu'il suit : "Au citoyen Rivière, prêtre, maison des Frères, rue N.D. (probablement Notre Dame) à Paris". Sans pouvoir déterminer d'après ces indications que Rivière habite dans l'une de ces deux maisons, il me paraît évident qu'en les faisant surveiller avec attention, ainsi que la maison de Mlle de Cicé, où Clos-Rivière va très certainement et souvent, on pourra s'assurer de la personne de cet individu. Les motifs les plus•pressants doivent faire effectuer son arrestation. J'ai 1'honneur... en Clos-Rivière est un grand homme sec et noireau âgé de 60 ans. marge.

ARRESTATION DU PERE DE CLORIVIERE.

SURVEILLANCE DE MERE DE CICE".

L'adresse du Père :"Maison des Frères, rue Notre-Dame

( des

Champs) à Paris" étant connue, son arrestation ne pouvait tarder. C'était chose faite huit jours plus tard, le 15 floréal (5 mai), au petit matin. Après avoir comparu devant Dubois, le préfet de police, le Père est conduit à la prison de la Force. Environ trois mois plus tard,

il

sera transféré à celle du Temple, où il restera près de quatre ans. Ordre avait été donné d'arrêter Mère de Cicé le même jour

à

son appartement de la rue de Mézières. Elle était alors alitée et très malade ; n'avait-elle pas écrit à Amable Chenu le 27 avril, neuf jours auparavant : "mon état me met aux portes du tombeau, et pour peu qu'il continue quelques jours, je ne puis pas aller loin". Providentiellement, à l'heure de la descente de police,

son

médecin Mr de Jussieu se trouvait à son chevet avec un de ses confrères Mr Marmier, appelé sans doute en consultation (1). Tous deux déclarèrent la malade intransportable ; ce fut le salut de la Société. Tous les papiers de Mère de Cicé furent saisis et un policier resta quarante-huit heures en faction dans l'appartement. Par la suite, la surveillance de

(1) cf. M. de Bellevue, op.cit., p.217.


-

Ity -

la police se fit moins étroite sans cesser pour autant, comme le fait entendre une pièce datée du 27 floréal, douze jours plus tard : "Le Conseiller d'Etat, spécialement chargé de l'instruction et de la suite de toutes les affaires relatives à la tranquillité et à la sûreté intérieures de la République, Au Conseiller d'Etat de Police. J'ai reçu, mon cher Collègue, votre lettre du 16 Floréal, qui m'informe de l'arrestation de l'abbé Clos Rivière oncle de Limoëlan et de la saisie des papiers de la demoiselle de Cicé dont vous avez découvert la retraite. Je vous prie, mon cher Collègue, de me faire promptement connaître le résultat de l'examen de ses papiers ; et si son état ne permet pas son transport dans une maison de détention, elle devra continuer de rester chez elle, mais dans ce cas, il conviendra de la faire surveiller avec soin. ... „ J ai 1 honneur de vous saluer .

Examen des papiers du Père de Clorivière par la police. Nous n'avons pas le résultat de l'examen des papiers saisis chez Mère de Cicé mais nous avons celui de ceux trouvés chez le Père de Clorivière. L'interprétation donnée par les policiers ne manque pas de pittoresque, et nous fait?, à leur insu, un bel éloge de l'exercice de l'obéissance dans les Sociétés. Nous découvrons aussi par la même occasion que le Père portait habituellement dans son portefeuille, la formule des voeux dans la Société du Coeur de Jésus : "Police secrète Note sur les papiers de Mr Closrivière Ce qui reste des pièces saisies chez Mr l'abbé Picot Closrivière se compose : 1° d'une infinité de petites lettres (la plupart d'une date très ancienne, quelques unes sont de 1782), contenant les scrupules et les peccadilles de plusieurs religieuses dont il était alors le directeur, et de plusieurs Soeurs des Sociétés dont il est supérieur. 2° de nombreux cahiers de longs sermons. 3° de lettres de prêtrises, permis de confesser, etc.. 4° de lettres d'une date récente. Ces dernières sont des années 1803 et 1804, tout en elles exprime en faveur de Clos Rivière la déférence la plus absolue et la résignation la plus entière ; les sentiments qu'on lui témoigne, vont jusqu'à la vénération. On ne connaît d'autre bonheur que celui de le posséder ou d'être dirigé par lui, d'autres consolations que celles qu'il répand, de choses bien faites que celles qu'il approuve; la satisfaction qu'on éprouve à recevoir de ses nouvelles flatte tellement l'amour propre qu'on se croirait coupable de vaine gloire si on ne la rapportait à Dieu ; on met à ses pieds tout ce que l'on possède, et on fait tous les sacrifices pour lui faciliter les moyens d'opérer l'oeuvre de Dieu. Il est consulté pour


- 11©la moindre démarche ; on lui demande des éclaircissements sur le moindre doute ; l'obéissance à ses avis ne trouve aucun obstacle ; cette dernière vertu est, avec une confiance illimitée, une des conditions les plus expresses du Règlement qui constitue ses Sociétés ; il la regarde même comme si essentielle qu'il n'hésite pas à déclarer à un novice, en qui d'ailleurs il reconnaît beaucoup de mérite, puisqu'il le croit fait pour remplir un jour les premières dignités de l'Eglise, que sa conduite est si peu conforme à l'obéissance qu'il en résulte que son esprit n'est pas propre à la Société et qu'il est appelé à un autre état, peut-être plus parfait, mais dans lequel une si grande obéissance n'est pas nécessaire. L'extension des Sociétés est le but principal de tous les membres ; on voit avec peine qu'elles n'aient pu s'établir et se propager dans le diocèse d'Aix. Cependant les semences de vie qu'y a jetées Closrivière, ne laissent pas que de travailler et de prendre racine. Dans celui de Rouen, l'affaire est stagnante et S.E. n'a encore rien dit de positif. . Une seule lettre de Mr Frapaise, prêtre à Chartres du 17 mars 1804 contient ce passage qui demanderait à être expliqué ; c'est cette phrase isolée : "J'espère que vous aurez enfin reçu le Paquet trop annoncé et surtout trop attendu le 14 de ce mois." Il s'est trouvé dans le portefeuille de Mr Closrivière la formule de voeux suivante, écrite de sa main : "Je, N. promets au Seigneur, Dieu tout puissant, en présence de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, et de toute la cour céleste, de garder les Voeux de Pauvreté, Chasteté et Obéissance dans la Société du Sacré-Coeur de Jésus, selon l'esprit et les règles de la même Société. Ce que j'espère accomplir avec le secours de la grâce divine. Ainsi soit-il. (+) Cette clause signifie que les voeux quant à présent sont annuels et se font sous l'autorité de l'Ordinaire ainsi que le S.PERE nous l'a prescrit".

ATTITUDE DES FONDATEURS DEVANT CETTE NOUVELLE EPREUVE. Comment ne pas souligner les réactions du Père de Clorivière et de Mère de Cicé, face à l'événement au moment où un nouvel orage s'abat sur eux et sur l'oeuvre de Dieu ?

Leur correspondance nous mon-

tre que leur attitude habituelle de parfait abandon à la Providence ne se dément pas un instant. Nous nous bornerons à citer seulement quelques lignes

signifi-

catives parmi les lettres de 1804. En juillet, à Mère de Cicé (1) dont la santé, semble-t-il a dû

(1) Lettres, p.200.


- 11) -

s'améliorer depuis sa maladie d'avril-mai : "Portez-vous bien, ma chère fille, je le souhaite, mais subordonnément au bon plaisir de Dieu qui sait bien mieux que nous ce qu'il nous faut. Ce sont bien là vos sentiments; qu'ils deviennent chaque jour plus forts, et qu'ils s'étendent à tout ce qui regarde ceux qui vous intéressent, comme à ce qui vous regarde vous-même...Un fiât universel et fortement prononcé en union de Jésus et de Marie. Je dis ceci à tous". Fin août, ces quelques lignes (1), expression du degré d'abandon où le Père se trouve établi : "Nous voici au dernier jour d'août, ma chère fille, voilà près de quatre mois entiers que je suis détenu et ce temps ne m'a pas paru long et quoiqu'il n'ait pas été exempt d'incidents qui pourraient paraître pénibles et amers, considérés à la lumière de la faible raison, je puis dire en remerciant le Seigneur que ce temps a été pour moi un temps de consolation et propre à fortifier notre espérance dans ses grandes miséricordes A Mme de Carcado, en juillet (2)

:

"Ne soyez point trop en peine de moi...s'il plaisait au Seigneur de m'envoyer de plus grandes souffrances...il me donnerait, dans sa miséricorde, plus de grâces pour m'aider à les supporter, non seulement avec patience, mais avec joie. Il vous faut aussi de la patience... Cette croix nous est commune, recevons-la de la main de notre Père ; c'est lui qui nous l'envoie pour des desseins qui lui sont connus et qui tous tendent à sa plus grande gloire, et au plus grand bien de ceux qu'il aime", puis ces lignes qui empêchent d'imaginer chez le Père une sorte d'insensibilité qui lui faciliterait l'abandon : "Vous savez ce qui m'intéresse le plus au monde. Ce qu'on m'en dit est consolant, et je prie le Seigneur de jeter un oeil de bienveillance sur son petit troupeau". Les lettres de direction du Père de Clorivière à Mère de Cicé durant toute sa captivité, montrent dans quel climat hautement surnaturel il soutenait celle dont il connaissait, et les épreuves, et la générosité. Par ailleurs, quelques passages de lettres de Mère de Cicé

à

Amable Chenu, les premiers mois de l'incarcération du Père de Clorivière, témoignent de la sérénité de ce dernier :

(1) Lettres, p.210. (2) Lettres, p.675. L'autographe n'est pas daté, mais la fête récente de N.D. du Mont Carmel y est évoquée.


- ni" "Je suis toujours séparée de mon Père qui est à peu près dans la même situation. Sa vertu et sa résignation éclatent". Le 26 décembre à la même : "Priez Notre-Seigneur et notre Bonne Mère, si la chose est suivant le bon plaisir de Dieu, de nous rendre notre bon Père; voilà huit mois qu'il est captif, il supporte cet état non seulement avec patience et résignation, mais même avec une sainte joie". Le 6 février 1805 Mère de Cicé écrit, toujours à Amable Chenu : "Cet heureux moment de la délivrance du Père...est encore différé... Je ne vois pas d'espérance humaine...(le P§re) est d'une paix et d'une résignation merveilleuse". Le 10 juillet, confirmation de cette paix inaltérable : "Notre bon et respectable Père est toujours dans la même situation ; il se porte bien, grâce à Dieu ; et il est si conforme à la sainte volonté que sa paix et même la joie sainte qu'il éprouve dans le Seigneur n'en est nullement altérée". Ces derniers mots retracent bien la ligne maîtresse de la spiritualité du Père de Clorivière.. Au soir de sa vie, nous la retrouverons parfaitement exprimée dans un texte de son "Commentaire du Discours après la Cène" :

(1)

"(Dieu) nous donne en tout temps, en tout lieu, en toutes circonstances, toutes les grâces dont nous avons besoin pour... remplir tous (ses) desseins sur nous : grâces de lumière, grâces de force, grâces de perfection. Les grâces de lumière apppartiennent à la foi, celles de force à l'espérance, celles de perfection à la charité". Les cinq années d'emprisonnement du fondateur témoignent de la profondeur de sa vie théologale et des grâces de lumière et de force qu'il reçoit pour remplir les desseins de Dieu, au milieu de difficultés humainement inextricables.

(1) Composé à la demande des Visitandines, d'après les conférences qu'il leur avait données depuis 1809, ce Commentaire, débordant largement le cadre de son premier auditoire, ne fut terminé qu'en 1818—1819. cf. J.Terrien, op.cit., p.682-683 et M. de Belleviie, op. cit., p.279.


-11? -

CHAPITRE

II

DEUX GRAVES DANGERS POUR LA SOCIETE : Le Rapport Portails

-

Le Décret impérial du 3 messidor.

Ces deux documents paraissent coup sur coup, un mois à peine après l'incarcération du Père de Clorivière. Le 19 prairial, an 12 (8 juin 1804), le rapport du ministre des Cultes, Portalis, dénonce la Société du Coeur de Jésus, société clandestine vouée à disparaître. Ce rapport est suivi le 3 messidor (22 juin), d'un Décret impérial qui impose aux sociétés religieuses des conditions légales d'existence impossibles à remplir pour les deux Sociétés . Il est nécessaire de connaître ces deux documents officiels, tout au moins dans les points essentiels qui regardent les Sociétés, pour comprendre les différents aspects et l'acuité du combat soutenu de 1804 à 1810, et même au-delà par les fondateurs. Rappelons d'abord que le 18 mai 1804, le Sénat déclare le Premier Consul Bonaparte, empereur des Français à titre héréditaire. La politique religieuse de l'Empereur restera celle du Premier Consul, plus accentuée encore, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, considérant la religion catholique et ses ministres comme des instruments du pouvoir souverain. Fouché, ministre de la police depuis le Directoire, poursuivait les congrégations religieuses de sa haine, et se faisait envoyer des informations minutieuses sur ces dernières. Exaspéré devant la révélation de l'existence de plusieurs Sociétés religieuses clandestines, Napoléon demanda à Portalis d'établir un rapport permettant de les condamner légalement. Celui-ci s'intitulera : "Rapport et projet d'arrêt du Conseil d'Etat sur les ecclésiastiques qui s'établissent en France sous le titre de Pères de la Foi et sur les Associations connues sous le nom de Sacré Coeur et autres semblables" (19 prairial, an 12).

(1)

(1) Paul Nourrisson, op. cit., t.l, p.108-116, texte in extenso du Rapport Portalis.


- ] lèt -

Ce rapport débute par un bref historique des ordres religieux, , en évoquant curieusement le canon du concile de Latran, de 1215, cité par le Père de Clorivière dans le Mémoire aux Evêques de France (1798)

(1)•

Il insiste ensuite sur la décadence de la vie religieuse sous l'Ancien Régime, remarquant - non sans profondeur - que "l'expérience de tous les temps a démontré qu'un établissement peut plus aisément se maintenir contre la violence que contre la corruption". Il n'est donc pas surprenant que la persécution révolutionnaire soit à l'origine d'une "foule de petites sectes dans lesquelles des âmes inquiètes et exaltées cherchèrent un asile, et qui tiraient toute leur force du malheur même des circonstances . Telle est l'origine des diverses associations qui existent actuellement en France, sous les noms de Société du Coeur de Jésus, de Société des victimes de l'amour de Dieu, et de Société des Pères de la Foi". Le grief majeur retenu contre ces associations est leur formation "sans l'aveu de la puissance publique". L'ensemble du rapport se charge de démontrer sans équivoque que la puissance publique n'approuvera jamais des sociétés religieuses "qui ne peuvent se concilier avec l'ordre présent des choses".

^

Ajoutons qu'en substance, seules certaines congrégations enseignantes et hospitalières trouvent grâce devant le gouvernement, en raison de leur utilité publique. Le passage du rapport dénonçant le Père de Clorivière et

la

Société du Coeur de Jésus mérite d'être cité : "La première de ces sociétés date des premières années de la Révolution, elle est née dans l'ancien diocèse de Saint-Malo. Son fondateur, le prêtre Corivière (sic), se proposait de prémunir les fidèles contre les progrès de l'irréligion, il n'exigeait point la vie commune des associés, mais il entendait qu'ils se liassent par des voeux. Les membres de l'institution, épars dans le monde, devaient être soumis à des supérieur s., spécialement chargés de les diriger dans la voie du salut. Il y avait des choses secrètes que l'on ne communiquait qu'aux sociétaires dont on avait éprouvé la discrétion et la prudence. Le prêtre Corivière demanda l'approbation de 1'évêque diocésain, il l'obtint.

(1) cf. Fascicule IV, "Les Approbations données par l'Eglise à la Société des Filles du Coeur de Marie", p.8.


- ni Cette approbation parut suffisante au fondateur et à ses agents, tant que la Société du Coeur de Jésus ne s'étendit pas au delà de l'ancien diocèse de Saint-Malo, mais à mesure qu'elle se propagea dans divers diocèses, on recourut au Pape. Le Pape promit d'approuver l'établissement dont il s'agit, sous la condition qu'il n'y aurait point de secret et qu'on ne ferait pas de voeux perpétuels. Ceux dont cet établissement se compose se vouent à des pratiques sévères et à des vertus peut-être exagérées. C'est ce qui résulte des renseignements qui me sont parvenus et qui ne peuvent être qu'imparfaits parce que les membres de la Société du Coeur de Jésus n'ont donné aucune publicité aux règles écrites ou non écrites qui gouvernent cette société". Suit une longue argumentation démontrant les droits de l'Etat quant à l'établissement ou â la suppression des Sociétés religieuses. Portalis conclut : "Pour prononcer la dissolution des Sociétés religieuses sur lesquelles votre Majesté m'a demandé son rapport, il suffit d'observer que ces Sociétés se sont établies à l'insu de l'Etat, et sans représenter à la puissance publique l'institut (le statut) selon lequel elles croient pouvoir se diriger". Vient ensuite le détail des "reproches particuliers" faits aux trois Sociétés incriminées. Après avoir évoqué la Société des victimes de l'amour de Dieu, le rapport poursuit : "L'origine de la Société du Coeur de Jésus n'est pas plus rassurante. On ne professe aucune erreur comme dans cette société. Les membres qui la composent peuvent se prévaloir de quelque approbation au moins tacite des supérieurs ecclésiastiques. Mais on ignore les règles d'après lesquelles ils se proposent de vivre. Ils admettent des secrets. Ils ont annoncé le désir de se lier par des voeux perpétuels. Or tout cela est inconciliable avec nos lois". Le dernier paragraphe du long rapport du ministre des Cultes contient une menace non déguisée contre la Société du Coeur de Jésus et ses semblables : "Dans ces circonstances il importe, en conservant les établissements de bienfaisance et de charité qui ont déjà produit parmi nous des effets si salutaires, de dissoudre toutes les agrégations et sociétés religieuses qui se sont établies clandestinement et à l'insu des lois et de rappeler la maxime sur la nécessité de l'intervention de la puissance publique dans l'établissement de toutes les corporations religieuses et civiles". Le projet d'arrêt établi par Portalis et joint à son rapport fut converti en décret et promulgué comme tel le 3 messidor an 12 (22 juin 1804) sous le titre : "Décret qui ordonne la dissolution de plusieurs


- ] lé -

agrégations ou associations religieuses". On pouvait s'attendre à y voir figurer en bonne place la Société du Coeur de Jésus ; il n'en fut rien.

Mgr de Cicé avait-il

tenu ses promesses d' "écrire au Ministre Portalis en notre faveur" ? C'est vraisemblable et le Përe de Clorivière l'avait vivement souhaité : "Il serait bien important que M. d'Aix se déclarât fortement pour nous. Il a beaucoup de crédit auprès du Ministre", écrivait le Père à Mr Pochard le 15 mai 1803 (1), et dans le Mémoire à Pie VII du 4 décembre 1804 (2), le Père de Clorivière y fait clairement allusion : "Lorsque...je me trouvais l'an dernier dans le diocèse d'Aix, le vénérable archevêque, sur ma demande ou du moins avec mon assentiment, adressa au ministre chargé de la discipline extérieure des Cultes, une lettre traitant de ce qui concerne nos Sociétés". Quoi qu'il en soit la Providence veillait et les Sociétés avaient échappé à un péril mortel. Mais d'autres dangers subsistaient ; il suffit pour s'en convaincre de lire les quatre premiers articles du décret du 3 messidor exposant les conditions légales exigées des associations religieuses. Ces articles n'échapperont pas au regard vigilant du Përe de Clorivière ni à celui des évêques : "Art. 1er. A compter du jour de la publication du présent décret, l'agrégation ou association connue sous le nom de Pères de la Foi, d'adorateurs de Jésus ou Paccanaristes, actuellement établie à Belley, à Amiens et dans quelques autres villes de l'empire sera dissoute. Seront pareillement dissoutes toutes autres agrégations ou associations formées sous prétexte de religion et non autorisées. 2. Les ecclésiastiques composant les dites agrégations ou associations se retireront sous le plus bref délai dans leurs diocèses pour y vivre conformément aux lois et sous la juridiction de l'ordinaire. 3. Les lois qui s'opposent à l'admission de tout ordre religieux dans lequel on se lie par des voeux perpétuels, continueront d'être exécutées selon leur forme et leur teneur. 4. Aucune agrégation ou association d'hommes ou de femmes ne pourra se former à l'avenir sous prétexte de religion, à moins qu'elle n'ait été formellement autorisée par un décret impérial sur le vu des statuts et règlements selon lesquels on se proposerait de vivre dans cette agrégation ou association".

(1) Lettres, p.873. (2) D.C., p.415.


L'article 5 donnait droit d'existence à quelques congrégations hospitalières. L'article 6, le dernier du décret, était lourd de menaces : "Nos procureurs généraux près nos cours et nos procureurs impériaux, sont tenus de poursuivre ou faire poursuivre, même par voie extraordinaire, suivant l'exigence des cas, les personnes de tout sexe qui contreviendraient directement ou indirectement au présent décret qui sera inséré au Bulletin des lois."

DISPOSITIF DE DEFENSE DU PERE DE CLORIVIERE. Ce décret humainement si inquiétant pour les Sociétés, ne prend pas le Père de Clorivière au dépourvu. Dès le premier récit de l'inspiration (1) n'a-t-il pas écrit avec une sorte de prescience : "Dans un temps où l'on détruisait les anciens Ordres religieux, il faudrait qu'elle (cette Société) se format comme à l'insu des peuples et en quelque sorte malgré eux ; ce qui ne se pourrait faire qu'autant qu'elle serait dégagée de tout ce qui l'asservirait nécessairement à l'ordre civil". Etant donné la politique religieuse de Napoléon, c'était bien de "l'asservissement"

à l'ordre civil qu'il convenait maintenant de se

dégager. De plus, dès 1791, dans les réflexions sur le Sommaire rédigées avec les premiers associés, le fondateur avait précisé au sujet de

la

Règle XLV : Affaires séculières, "Quoique religieuses dans le for intérieur et aux yeux de Dieu et de l'Eglise, par l'entière consécration de nos personnes et de nos biens au Seigneur, cependant, comme, pour des raisons qui regardent la plus grande gloire de Dieu et le plus grand bien de l'Eglise, nous ne sommes point religieuses dans le for extérieur et aux yeux de la loi civile, et que nous participons même aux droits qui sont communs à tous, nous ne pouvons pas tout à fait nous conformer, pour l'extérieur, à la conduite des religieuses séparées du monde". A partir de cette position prise dès la première heure, les réactions du Përe de Clorivière au Décret impérial sont rapides. Sans entrer dans de longues considérations, il écrit à Mère de Cicé en juillet

(1) D.C., p.20.


->hg» 1804, ces directives nettes et claires :

(1)

"On a bien fait de m'envoyer le décret. Nous n'y sommes pas nommés. Nous ne sommes pas même désignés formellement, à le prendre à la lettre : 1° parce que nous ne sommes pas entièrement formés en corps d'Association, et que nous tendons seulement à cela, sous le bon plaisir des autorités civiles et ecclésiastiques. 2° Parce que les voeux chez nous ne sont pas perpétuels. 3° Parce que nous dépendons de l'Ordinaire. 4° Parce que rien ne paraît â l'extérieur". Ces quatre arguments sont â retenir : ils constituent le dispositif de défense adopté par le Père de Clorivière. Sous de légères variantes de forme, il ne changera pas ; on le retrouve plus de vingtcinq fois dans la correspondance du Père au cours des vont suivre.

dix années qui

(2)

Il continue dans la même lettre, et cela éclaire la position prise : "Ainsi nous pouvons demeurer tranquilles et garder le silence. Mais, comme c'est aux législateurs et non pas à nous à interpréter, il faut attendre avec résignation ce qu'ils ordonneront de nous, avec intention de nous y soumettre humblement et simplement. Mais il n'est pas nécessaire, il serait même imprudent en nous, de provoquer ces ordres ultérieurs par un zèle trop actif ou des démarches précipitées. Rien en conséquence ne se fera, et n'est censé fait parmi nous, que provisoirement, c'est-à-dire sous condition de l'approbation des autorités, quand on leur aura donné pleine connaissance de tout. Si Dieu veut la chose et qu'elle doive servir à sa gloire, la mort n'est qu'apparente ; quand le mort aurait été trois jours dans le tombeau, le Seigneur, à la prière de sa Mère, saura bien le ressusciter...

(1) Lettres, p.201. Les alinéas ont été introduits pour plus de clarté. Il est intéressant de rapprocher ces directives d'une lettre inédite écrite par le Père de Clorivière le 18 juin 1798 à Mlle Racine Celle-ci devait "se donner" ouvertement "pour religieuse". Le Përe lui dit qu'elle n'en a"pas le droit" et lui explique pourquoi. On constate donc que dès cette époque son argumentation "religieux devant Dieu" mais non "devant les hommes" est bien établie. En raison de l'intérêt de la lettre à Mlle Racine, à la fois précise et nuancée, on en donne un large extrait en appendice. (2) Cf. Lettres, p.201, 220, 226, 243, 273, 278, 281, 336, 342,'363, 402, 770/771, 774, 827/828, 829/831, 835, 872/873, 874/875, 891, 893, 902/903, 904/908, 909, 920/924, 935/936, 967/968.


-

De cette manière, ce que vous proposez pour la jeune veuve et mère peut se faire. (Il s'agissait de nommer Mme de Buyer supérieure à Dole, donc la vie religieuse proprement dite peut continuer dans la Société)... Mais que ce qui nous regarde ne transpire point au dehors. Peu nous importe qu'on nous croie morts et ensevelis. Alors on nous oubliera, et Dieu n'en sera pas moins glorifié. Souvenons-nous de ces paroles de l'Apôtre et agissons en conséquence : "Vous êtes morts et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu"...Je souhaite bien qu'on puisse continuer la bonne oeuvre des enfants", (l'oeuvre des enfants délaissés). On aura remarqué l'indication : "Rien en conséquence ne se fera et n'est censé fait parmi nous que provisoirement". D'une part, c'est une constatation objective, mais c'est aussi une utilisation prudentielle de ce"provisoire". On retrouve ici, en fonction des événements d'alors, la distinction précisée dans la lettre de mars 180] à Mgr Cortois de Pressigny (1) entre "le régime intérieur" inviolablement fidèle à une authentique vie religieuse, c'est-à-dire à la mission "reçue d'en haut" et "le régime extérieur" dont il faut le couvrir pour le dérober aux yeux des hommes, autant que faire se peut. . Une autre lettre du Père de Clorivière à Mère de Cicé (2) montre qu'il a mesuré les dangers présentés par le Rapport Portalis et le Décret impérial : "Ce qu'on m'a marqué me fait croire que le Seigneur et sa très sainte Mère nous ont préservés du grand coup dont nous étions prochainement menacés, puisqu'il n'est pas fait mention de nous dans le décret, quoique nous eussions été nommés dans l'acte qui le provoquait. Il y a là quelque apparence que les expositions que nous avons faites n'ont pas été sans faire impression sur les esprits de qui tout dépend. Dieu l'a voulu ainsi dans sa miséricorde. Que cela ranime notre espérance et nous porte à prier encore davantage et d'une manière plus intime pour ces personnes dont Dieu a voulu que dépendît notre sort. Révérons en eux son autorité. J'ai surtout en vue notre nouvel empereur. Il a grand besoin de l'assistance divine toute particulière pour devenir un homme selon le Coeur de Dieu...Vous avez bien pensé. Attendons les moments de Dieu qui règle et gouverne toutes choses, et jusqu'à ce qu'il ait détourné l'orage de dessus nos têtes, et qu'il ait commandé aux vents et aux flots de rentrer dans le calme, restons nous-mêmes dans le silence et dans la paix. Point d'assemblée, rien de public et fait en commun, même à la grande fête prochaine. Mais les consciences sont libres et chacun pourra faire en son coeur et en la pré-

(1) Voir plus haut, p.66. (2) Lettres, p.207.


-12©-

sence de Dieu seulement, ce qu'il croira lui être le plus agréable et le plus utile à son âme".

Mgr Jérôme de Cicé et les Sociétés. Dans ces conjonctures : emprisonnement du fondateur, Rapport Portalis, Décret impérial, quelle attitude Mgr de Cicé va-t-il adopter ? A travers quelques lignes, relevées dans une lettre à Mère de Cicé (1) on sent bien que le Père de Clorivière se pose la question : "Prions bien pour Mr votre frère, il doit être instruit de ma détention, il est étonnant qu'il ne vous en dise pas un mot". Pourtant ce silence s'explique facilement après les longues réticences, puis le refus de l'archevêque d'Aix de voir s'établir les Sociétés dans son diocèse (2). L'arrestation du Père de Clorivière est fort inquiétante pour sa soeur et il doit se féliciter d'avoir adopté une attitude aussi réservée l'année précédente. Que dire alors qui ne soit pénible pour Adélaïde ? Cependant, un peu plus tard, Mgr de Cicé rompt le pesant silence. Il écrit à sa soeur et celle-ci communique au Père de Clorivière cette lettre qui appelle une réponse fort nuancée. Les conseils donnés par le fondateur sont d'une prudence remarquable. Sous une forme atténuée, on retrouve les arguments habituels :

(3)

"Je vous remercie, ma chère fille, de la lettre dont vous m'avez fait part. Je vois avec plaisir qu'il (Mgr de Cicé) vous témoigne toujours la même amitié et j'apprends avec peine que sa santé n'est pas bonne. Il vous parle du décret impérial contre les Paccanaristes,etc et désire que vous lui marquiez si ce n'est pas aussi contre votre Société religieuse. Vous pourrez lui dire que vous désiriez sans doute former une Société religieuse, que vous croyiez faire la volonté de Dieu en tendant à cela ; mais que vous saviez bien qu'il ne pouvait pas exister de Société religieuse sans l'approbation formelle du Saint-Siège et du Gouvernement ; et que nous n'avions encore ni l'une ni l'autre en qualité de Société religieuse ; que nous n'étions encore que projet; que plan, qu'essai, que c'est ainsi que nous comptons nous présenter au Gouvernement dès la première occasion favorable. Que nous avons quelque

(1) Lettres, p.204. (2) Voir plus haut, p.97. (3) Lettres, p.220.


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encouragement de la part du Saint-Siège, et que le décret impérial ne nous ôte pas toute espérance du côté du Gouvernement, lorsque la chose aura été soumise à son examen ; et que, dans ce cas, vous vous flattez bien que son intervention ne nous sera pas inutile...Je laisse entièrement à votre prudence à juger s'il sera convenable de parler ainsi à Monsieur votre frère". En raison de l'opposition invariable de l'empereur à la quasi totalité

des

congrégations religieuses

et à la libération du Père de

Clorivière, l'occasion favorable de soumettre les Sociétés à l'agrément du gouvernement ne se présentera pas.

(1)

(1) Quant à Mgr de Cicé, il semble, d'après quelques notations trouvées dans la correspondance ultérieure du Père de Cloricière à Mère de Cicé, que l'archevêque d'Aix ait fraternellement cherché à rendre service à sa soeur dans la mesure compatible avec une situation personnelle qu'il ne voulait pas compromettre. Le 10 décembre (1) après l'arrivée de Mgr de Cicé à Paris le mois précédent (2), le Père de Clorivière écrit à Mère de Cicé : "Je vois avec reconnaissance, ma chère fille, combien vous êtes occupée de nos affaires... il me paraît aussi que Mgr l'archevêque votre frère veut bien aussi s'en mêler". A la même au début de 1805 : (3) "Je vois avec plaisir que M. votre frère va au devant de vos désirs en bien des petites choses, mais il serait à craindre qu'il ne parlât peu favorablement de nos Sociétés au Souverain Pontife". Quelle différence avec l'attitude de Mgr Pisani de la Gaude, évêque de Namur, dont le Père de Clorivière se loue hautement dans presque toute sa correspondance avec Mère de Cicé à cette même époque. Mais avant son retour à Aix en mars 1805, Mgr de Cicé rendra encore quelque service, comme en témoignent ces lignes écrites par le Père à Mère de Cicé à cette date : (4) "Ce que vous me dites de Mgr l'archevêque d'Aix me fait grand plaisir... Vous saurez par lui ce que le ministre Fouché pense sur mon compte et si je suis compris dans la mesure générale. Que la volonté de Dieu se fasse". (1) (2) (3) (4)

Lettres, Lettres, Lettres, Lettres,

p.233. p.228. p.241-242. p.281.


"Rien ne peut mettre obstacle à l'accomplissement des desseins de Dieu". Dans l'abondante correspondance du Père de Clorivière en cette année 1804, retenons la lettre suivante â Mr Pochard (1). Elle nous fait part des sentiments du fondateur après son arrestation et nous renseigne sur les interrogatoires qu'il a subis et les dispositions à prendre pour la conservation des Sociétés : 8 octobre 1804. "Je reconnais sensiblement que Dieu continue l'oeuvre qu'il a daigné commencer, et, s'il nous met dans une sorte d'impuissance d'y travailler, c'est qu'il veut faire voir qu'il n'a pas besoin de nous et que rien ne peut mettre obstacle à l'accomplissement de ses desseins. Vous savez quelle est ma position actuelle...Le 5 mai, jour de St Pie, j'ai été arrêté chez moi. On a saisi mes papiers, et notamment tout ce que j'ai écrit sur la Société. Dieu l'a ainsi permis quoique ce ne fût pas là l'objet de mon arrestation (2). On n'a rien trouvé relativement à cet objet, parce que, en effet, on n'avait contre moi que des soupçons sans fondement réel. J'ai été interrogé, j'ai répondu la pure vérité, sans compromettre qui que ce soit. Je ne crois pas non plus qu'il y ait dans mes papiers rien qui compromette personne. On a seulement beaucoup parlé, mais vaguement, contre la Société, contre mes écrits. Mais grâces à Dieu, on n'a rien fait. Le Seigneur nous a suscité des défenseurs auxquels nous ne nous attendions pas ; il paraît aussi qu'on a eu égard à un Mémoire que j'ai présenté au Ministre des Cultes relativement à la Société (3). Du moins est-il certain qu'il n'en est fait aucune mention spéciale dans le Décret impérial qui a paru et qui.était dirigé contre MM. de la Foi de Jésus...On pourra vous communiquer les remarques que j'ai faites là-dessus..." Quelques lignes résument alors rapidement lesdites remarques qui expriment le dispositif habituel : "Quelle que soit à l'extérieur notre existence, nous ne sommes encore en effet, qu'un projet, qu'un plan, qu'un essai de Société, qui travaille de tous côtés à se former pour la gloire de Dieu et le bien de l'Eglise. Cela nous met à l'abri de tout ce qui a été fait contre d'autres Sociétés, déjà formées et dans lesquelles on faisait des Voeux perpétuels. Vivons d'espérance, et faisons tout ce qui est en nous pour procurer la gloire de Dieu et avancer dans la perfection. Peut-être cet orage pourra-t-il servir au bien de l'oeuvre que nous avons entreprise. C'est une impression assez générale parmi nous et nos amis, et je vois

(1) Lettres, p.874-875. (2) Voir plus haut les pièces de police citées. (3) Le Père fait-il allusion à la mise au point qu'il adressa le 27 juin 1804 au Conseiller d'Etat Real au sujet de la Société du Coeur de Jésus ? cf. D.C., p.603-604.


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,2>-

avec consolation que cela produit dans la Société un renouvellement de ferveur et que Dieu répand sur nous bien des bénédictions . Je ne puis trop Le remercier de la joie et de l'espérance qu'il répand dans mon âme depuis que je suis en détention. Ces cinq mois m'ont paru courts et n'ont fait qu'accroître ma paix et ma confiance" .

Le Père de Clorivière donne réellement l'impression de juger que les Sociétés se trouvent alors en sécurité relative, d'où ce conseil "Continuez, mon cher Confrère, mais avec réserve et circonspection les conférences". Un mois plus tard, le 3 novembre (1804) une lettre du Père

à

Mère de Cicé (1) développe l'ensemble des dispositions à appliquer temporairement aux Sociétés. Ce sont toujours les mêmes, quelques lignes indiquent la sagesse de la ligne de conduite à tenir : "Patientons et mettons notre confiance dans le Seigneur ; Il achèvera, il perfectionnera l'oeuvre qu'il a commencée, à moins que nous ne la détruisions nous-mêmes par pusillanimité, en abandonnant tout et en ne faisant rien ; ou par une présomption téméraire qui nous porterait â trop faire et à agir imprudemment et à contre-temps".

PIE VII A PARIS POUR LE SACRE DE L'EMPEREUR. NOUVEAU MEMOIRE DU PERE DE CLORIVIERE AU SOUVERAIN PONTIFE, 4 DECEMBRE

1804. Pendant que les Sociétés continuaient à mener discrètement leur

vie religieuse- dans le silence, des événements importants se passaient en France. Avant même d'être proclamé officiellement Empereur des Français, le Premier Consul avait exprimé au cardinal Caprara son intention d'être sacré à Notre-Dame par le Souverain Pontife. Cette demande était d' "une audace inouïe" : le Pape avait-il le droit "d'aller en France conférer à un monarque qui lui donnait tant de sujets de plaintes,

une

onction qui le distinguerait au-dessus de tout autre en Occident ?" (2) Mais ce dernier tenait entre ses mains le sort du catholicisme en France,

(1) Lettres, p.226. (2) cf. Latreille, op.cit., t.2, p.86-87.


- 12^-

en Italie et en Allemagne occidentale. Pie VII plaçant avant tout les intérêts de la religion répondit par l'affirmative. Des tractations délicates et difficiles se poursuivirent durant cinq mois, notamment pour mettre au point le cérémonial du sacre. Le 1er décembre, veille du jour fixé pour la cérémonie, l'impératrice Joséphine avoua au Pape que son union avec Bonaparte n'avait pas été contractée devant l'Eglise. Pie VII se montra inflexible malgré l'opposition de l'empereur, et dans la nuit du 1er au 2 le cardinal Fesch, oncle de Napoléon et grand aumônier présida le mariage religieux de Bonaparte et de Joséphine. Le voyage du Saint-Père en France, à l'aller comme au retour, et son séjour à Paris tournèrent à

un véritable triomphe de la Religion et

de la Papauté. Le cardinal Antonelli, très opposé au sacre, reconnaissait cependant que "la dévotion de ce peuple est inexprimable", appréciation qui coïncidait avec ces lignes du Père de Clorivière écrivant à Mère de Cicé le 9 avril (1805)

:

(1)

"Le séjour du Saint-Père ici a été comme une mission pour cette ville et pour tout le royaume. Dieu veuille que nous en profitions longtemps" . On sait l'importance que le Père de Clorivière attachait à l'approbation des Sociétés par le Souverain Pontife. Elle était nécessaire pour leur donner "l'existence". Dès qu'il apprend la venue de Pie VII à

m

Paris, il manifeste à Mère de Cicé le désir de voir s'établir des communications avec lui : "La lettre de M. Beulé m'a fait plaisir ; je souhaitais depuis longtemps avoir de ses nouvelles. Il sera bien bon, pour nos affaires communes, qu'il voie le Saint-Père, et plus encore qu'il puisse s'expliquer sur la Société avec quelqu'un qui ait sa confiance". Dans une autre lettre (3) il précise ainsi sa pensée : "Après y avoir réfléchi et pensé devant Dieu, j'ai cru que, malgré 1'éloignement que j'en avais, je devais travailler à un mémoire latin qu'on ferait parvenir secrètement entre les mains de Sa Sainteté qui n'en ferait part qu'à ses plus intimes conseillers. Dans ce mémoire, je lui rendrais , le plus succinctement qu'il me serait possible, compte de ce

(1) Lettres, p.285. (2) Lettres, p.227. (3) Lettres, p.232.


- 125 -

qui s'est passé depuis la députation, de l'état présent des Sociétés, .et de la manière dont j'ai cru devoir agir. Je supplierais Sa Sainteté de me faire savoir ses intentions ; si la prudence lui suggère de garder le silence, je croirais devoir continuer d'agir comme je l'ai fait. (Vous sentez que ceci doit être très secret), mais sans en rien dire, avisez aux moyens, priez beaucoup et faites prier pour moi". Mère de Cicé a dû très vite

"aviser aux moyens" à prendre

pour

faire remettre discrètement le Mémoire à Pie VII, car, trois jours plus tard, le 10 décembre, le Père lui écrit :

(1)

"Je ne suis pas éloigné de votre pensée de nous adresser à M. de Vence pour le mémoire... (2) Mon mémoire est jeté sur le papier ; je rappelle la députation â Rome, son approbation et permission ; les souffrances dont nous avons été assaillis aussitôt après ; l'état présent de la Société et la ferveur qui y règne. Ce que vous me dites à la fin de votre lettre m'y a fait ajouter quelque chose...Il m'a fallu dire quelque chose de positif et nom mer les diocèses où nous sommes admis...La chose est délicate : il est possible que les Evêques interrogés ne se rappellent pas bien le fait, mais remettons tout à la garde de Dieu ; nous ne considérons que sa gloire...Je finis par une protestation au Saint-Père qu'il trouvera toujours en moi la plus parfaite soumission, quelque chose qu'il ordonne de moi ou de nos Sociétés". Une lettre du 12 décembre (1804)

(3) accompagne l'envoi du Mémoi

re terminé à Mère de Cicé et charge celle-ci des démarches à faire : "Je vous envoie, ma chère fille, mon mémoire au Saint-Père. Il me semble y avoir donné une idée juste et claire de nos Sociétés et de leur état actuel ; et je prie Sa Sainteté de statuer sur elles, ainsi que sur moi, tout ce que dans sa sagesse il jugera le plus convenable. Il m'a fallu dire un mot de vous, sans cependant vous nommer ; j'en ai parlé comme tout le monde. J'ai aussi parlé de moi à peu près comme vous me l'avez insinué ; j'ai rendu aussi justice à la piété, à la ferveur, aux bons sen timents de nos Sociétés... J'ai mis à la tête une note pour lui dire les raisons pour lesquelles le mémoire lui est présenté d'une manière secrète Monseigneur l'Evêque de Namur...nous rendra un important service s'il veut bien le présenter à Sa Sainteté. Il peut en prendre auparavant lecture, il n'y trouvera rien qui puisse compromettre personne. ...La démarche était nécessaire, elle est commandée par les circonstances. Que la volonté de Dieu se fasse. Il voit la sincérité de nos

(1) Lettres, p.233. (2) Il s'agit de Mgr Pisani de la Gaude, ancien évêque de Vence (dans le Var) devenu évêque de Namur en Belgique. Ce n'est pas la première fois que cet évêque français et provençal d'origine est mis à contribution à l'instigation de Mère de Cicé. Le Père de Clorivière n'aura toujours qu'à s'en féliciter. (3) Lettres, p.234-235.


- 12&-

coeurs ; j'espère qu'il ne permettra pas que son oeuvre soit détruite, et qu'il inclinera en sa faveur l'esprit et le coeur de celui qui nous tient sa place sur la terre". Ce Mémoire (1) "commandé par les circonstances" situe la pensée du Père à un moment crucial pour les Sociétés. On en saisit d'autant mieux

la portée en fonction du contexte historique.

Le fondateur rappelle tout d'abord au Saint-Père le solide ensemble religieux sur lequel il lui a été demandé de statuer à Rome en 180], "le régime intérieur" : "J'ai mis sous les yeux de Votre Sainteté les règles, les écrits, les lettres, et en un mot tout ce qui peut servir à connaître mieux et plus profondément, la nature, la discipline et le caractère de l'une et l'autre Société. Elles ne sont pas encore pleinement formées mais cependant elles ont déjà une certaine forme (de ce qu'elles seront)". Après avoir parlé de l'Approbation verbale et de ses conditions, il évoque la "très violente tempête" qui a suivi, l'arrestation et le procès de Mère de Cicé, la sienne, puis il fait allusion à son commentaire des Epîtres de saint Pierre qu'il se propose d'offrir au Pape. Il explique comment : "Tout dernièrement enfin, lorsque eût été saisi chez moi tout ce qui nous concerne, nous et nos Sociétés, et qu'à cette occasion la Société du Sacré-Coeur de Jésus fut dénoncée par le Ministre des Cultes lui-même, aucune mention ne fut faite de celle-ci dans le décret impérial consécutif à cette dénonciation". Les lignes qui suivent immédiatement exposent comme la Société "ne semble pas davantage comprise dans les dispositifs généraux de ce décret, pour peu qu'on le lise attentivement", ceci pour des motifs qui montrent au Saint-Père avec quelle prudence et quelle discrétion le fondateur agit, tout en poursuivant la réalisation d'un "Projet" dont la substance n'est pas atteinte par les événements, "étant donné que cette Société n'est pas encore pleinement formée ; qu'elle n'est pas encore approuvée comme Société religieuse par le Saint-Siège ; qu'elle ne s'est jamais donnée comme telle ; qu'elle n'existe nulle part complète et achevée dans tous ses éléments ; qu'elle n'a pas de Constitutions propres réunies en un ensemble, mais qu'elle présente seulement quelques spécimens et schémas, lesquels à la vérité donnent à entendre le plan conçu et déjà en partie mis à exécution sans qu'il soit encore complètement achevé. Sans doute, mon intention est de

(1) D.C., p.411-419.


solliciter l'approbation civile; mais il nous faut attendre des temps plus favorables qui, nous l'espérons, avec la faveur de la grâce divine, ne sauraient être éloignés". Le Mémoire se termine par 1'énumération des dix diocèses où la Société est implantée, énumération accompagnée d'appréciations objectives sur l'attitude de chaque évêque vis-à-vis des Sociétés. Puis cette précision : "Le nombre des associés (membres masculins) ne dépasse pas 50, presque tous sont prêtres... Les associées (membres féminins) vierges

et

veuves dépassent 300, recrutées dans tous les rangs de la société". Après avoir souligné, avec les réserves qui s'imposent, qu'il a "adhéré fermement et d'un coeur sincère" au Concordat, le Père proteste de sa parfaite soumission à Sa Sainteté "quoi que ce soit qu'elle ordonne". Le Souverain Pontife est donc, une fois encore, mis au courant de l'existence et de la vie difficile des Sociétés. Comment va-t-il réagir ? le peut-il seulement ? On sent le Père de Clorivière très au courant des difficultés d'une conjoncture politique et religieuse particulièrement délicate. Les lettres à Mère de Cicé, postérieures à la remise du Mémoire au Saint-Père, livrent sur le vif les perplexités et les espoirs du fondateur. Prisonnier, obligé d'avoir recours à des intermédiaires, il attend ces décisions qui ont pour enjeu "ce qui l'intéresse le plus au monde".

(1) Quelques jours à peine après l'envoi du Mémoire, il écrit à Mère

de Cicé le lundi 17 décembre (1804)

:

(2)

"Depuis que mon mémoire est lancé, il me vient à l'esprit que le Souverain Pontife, eut-il les meilleures intentions, n'oserait les témoigner, dans la crainte de paraître agir contre le Concordat. Ainsi, s'il ne dit mot, c'est peut-être ce qu'il peut y avoir de plus avantageux pour nous ; au reste c'est l'affaire de Dieu et non la nôtre. Ne l'envisageons que de ce côté, et nous n'aurons aucune inquiétude humaine... Continuons à faire de notre côté ce qui peut être pour le bien de son oeuvre. Le succès dépend de Lui seul". Le 21

:

(3)

"Ma reconnaissance pour M. de Namur est au comble. Je sens tout le prix des soins qu'il se donne pour nous".

(1) Lettres, p.

6/6.

(2) Lettres, p. 236. (3) Lettres, p. 237.


|8 -

- i

Et un peu plus tard :

(1)

"Votre dernière lettre de lundi dernier, ma chère fille, m'a appris une bien bonne nouvelle. Je ne sais comment exprimer toute ma reconnaissance pour le digne et respectable Evêque de Namur. Il nous a rendu le service le plus important... Prions aussi beaucoup et continuellement pour le Souverain Pontife ; et n'oublions pas la personne de notre Empereur, puisqu'il a plu à Dieu de nous le donner pour maître et que notre sort est entre ses mains. J'ai peine à me persuader que le Pape décide rien en notre faveur, au moins d'une manière publique, dans les circonstances où il se trouve ; mais ce sera beaucoup s'il parle à l'Empereur, et s'il le prévient en notre faveur ; nous pourrons alors espérer beaucoup. Quand le Pape ni l'Empereur ne jugeraient pas à propos de s'expliquer, il me semble que les suites de la démarche que nous avons faite ne peuvent manquer de nous faire connaître leurs intentions ; au moins on pourra les conjecturer par la manière dont on en usera envers moi. Au reste, remettons le tout avec confiance, et une pleine et parfaite résignation entre les mains de la divine Providence". Le jour de saint Etienne

(le 26 décembre)

:

(2)

"Je doute fort que le Souverain Pontife aille à l'église des Carmélites, on l'en dissuaderait parce que, quoique tolérées, elles ne sont pas encore avouées par le Gouvernement. Vous ne tarderez pas, je pense, à être présentée près le Souverain Pontife. Je souhaiterais bien qu'il vous connût pour celle dont je lui ai parlé dans mon mémoire, et qu'il vous donnât sa bénédiction comme à la Supérieure Générale des Filles du S.C. de Marie. Au moins dans votre coeur , recevez-la dans cette qualité pour vous et pour toutes vos filles". La lettre du "mercredi 2 de l'an 1805" laisse percer l'anxiété du prisonnier :

(3)

"Je désire bien aussi savoir comment le Saint-Père a trouvé notre mémoire, l'effet qu'il a pu faire sur son esprit, ce qu'il a dit, ce qu'il a fait en conséquence. Nous ne pouvons le savoir que par M. de Namur, lorsqu'il se portera mieux". Par ailleurs le Père voit toujours reculer la date de sa libération . Le 12 janvier (1805)

:

(A)

"Je vois encore, ma chère Fille, qu'il faut attendre avec patience le moment que le Seigneur a marqué pour ma délivrance. Ce que

(1) Lettres, p.238. (2) Lettres, p.237. (3) Lettres., p.241 .


- lîdj-

Mr l'Archevêque de Bordeaux vous a dit, ce que le Ministre lui-même a dit à Monsieur de Namur, ce que d'ailleurs notre concierge a dit à l'un de mes amis, tout cela ne marque pas que' la chose soit encore faite". Dans la suite de cette même lettre, il livre ses réflexions sur les réactions éventuelles de Pie VII, pour conclure qu'en définitive, seul le silence officiel du Saint-Père peut être favorable aux Sociétés dans les circonstances présentes. Enfin le 16 janvier 1805, le fondateur est dans l'action de grâce; le Saint-Père a donné, silencieusement, un témoignage d'approbation bienveillante :

(1)

"J'ai été bien content d'une lettre que m'a écrite notre confrère et du compte qu'il me rend de sa visite au Saint-Père. La marque spéciale d'affection qu'il lui a donnée en lui serrant la main, n'a pas été l'effet des éloges de l'Evêque de Versailles : il ne l'a donnée qu'aussitôt après que M. Beulé lui eût rappelé l'époque de 4 ans. Il ne pouvait pas lui en dire davantage. Et sûrement, d'après ce que vous savez, le Saint-Père a bien compris ce qu'il voulait dire. Ainsi, cette marque d'affection est comme l'expression de son coeur qui fait voir que cette époque ne lui déplaît pas ; c'est comme un sceau qu'il a mis de nouveau à ce qu'il a fait alors...Nous devons en remercier Dieu et prier pour le Saint-Père. Je crois que le Seigneur a mis dans son coeur des inclinations qui nous le rendent favorables". La lettre du mardi 29 janvier confirme cette impression. Un entretien du Saint-Père avec 1'évêque de Namur a montré sans équivoque ses dispositions favorables envers les Sociétés. Mais la captivité du prisonnier n'est pas près de se terminer:

(2)

"Votre seconde lettre d'hier m'a appris une bien bonne nouvelle ; je vous en remercie de tout mon coeur, et je prie le Seigneur de bénir mille fois le digne Evêque de Namur qui vous l'a procurée... Cette nouvelle est d'autant meilleure que j'assurais le SaintPère dans mon Mémoire, avec la plus grande sincérité, qu'un mot de sa part nous déciderait, et que je le regarderais comme venant de Dieu même. Ce que vous me dites des préventions de l'Empereur est une chose bien marquée. Cela me fait voir de plus en plus que nous ne devons nous adresser qu'à Celui qui tient en sa main le coeur des rois". Ces dernières lignes trouvent leur explication dans une lettre du 16 janvier 1806 écrite par le Père à la princesse de Hohenlohe :

(1) Lettres, p.244. (2) Lettres, p.254-255. (3) Lettres, p.797.

(3)


-

130-

"Quant à la démarche que vous vous proposeriez de faire pour obtenir ma liberté, ne la faites pas, je ne veux pas la devoir à aucun moyen extraordinaire. D'ailleurs, il pourrait se faire que cette démarche fût inutile : je vous dirai mais comme une chose secrète dont il ne faut pas parler, que le St Père, pendant son séjour ici, a demandé ma liberté à l'Empereur et ne l'a point obtenue, tant les préjugés contre moi sont violents. Il faut donc adorer les desseins du Seigneur ; je n'en ai pas moins de confiance, et la détention n'a rien de gênant pour moi". Le fondateur a maintenant des assurances suffisantes sur l'approbation tacite renouvelée par le Souverain Pontife Mère de Cicé le 4 février 1805 :

pour écrire à

(1)

"Il sera bon de faire part aux Provinces de notre joie, sans cependant rien dire de ce qui doit être tu". Encouragées par l'accueil favorable du Souverain Pontife et relativement protégées de l'ostracisme du gouvernement grâce aux mesures de prudence prises par le fondateur, les Sociétés pouvaient légitimement espérer vivre et se développer dans l'ombre. Mais un danger en étroit rapport avec les circulaires et décrets officiels, et combien plus insidieux, se levait déjà à l'horizon.

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(1) Lettres, p.258.

o


- 13^ "

CHAPITRE

III

UNE SITUATION PARADOXALE. On a déjà signalé la sujétion sous laquelle sont tenus les évêques de France à cette époque ; comment le ministre des Cultes "contrôle étroitement tous les actes de leur administration, les harcèle de circulaires impérieuses, les oblige à d'incessants recensements" (1). Le Père de Clorivière se rend fort bien compte de la situation : toute

marque

d'intérêt ou de bienveillance donnée ouvertement aux Sociétés par un évêque peut attirer à ce dernier les pires difficultés. Situation paradoxale car : - d'une part, Pie VII en approuvant ces Sociétés en 180], les a placées sous la juridiction épiscopale, notamment pour l'émission des voeux annuels - d'autre part, du fait du contexte politique, les évêques doivent ignorer ces mêmes Sociétés. Le cas déjà embarrassant en soi, l'est encore plus pour un fondateur prisonnier et gravement suspect, situation que ne peut ignorer

la

hiérarchie. Le Père doit ressentir ce problème avec d'autant plus d'acuité que le Souverain Pontife vient de confirmer l'approbation verbale donnée à Rome quatre ans plus tôt. On l'imagine sans peine demandant alors instamment à l'Esprit de sagesse et de conseil la lumière sur ce qu'il convient de faire. Il est exaucé, car trois jours après sa dernière lettre à Mère de Cicé, il lui écrit le jeudi 7 février (1805) ces lignes un peu énigmatiques :

(3)

"...Je m'intéresse bien au départ du Saint-Père. J'ai cependant encore une chose à lui demander pour nos deux familles. Priez pour cet objet Notre-Seigneur et sa Sainte Mère afin que, si c'est son bon plaisir, ils me fassent la grâce de le bien faire et avec succès dans les Sacrés Coeurs de Jésus et de Marie".

(1) Nouvelle Histoire de l'Eglise, t.4, p.289, Le Seuil,

1966.

(2) cf. Fascicule IV, "Approbations données par l'Eglise à la Société des Filles du Coeur de Marie", Appendice II, p.4. (3) Lettres, p.259.


-

<L-

i3

Le dispositif prudentiel du Père de Clorivière soumis à Pie VII. La lettre du 11 février précise de quel objet il s'agit :

(1)

"J'ai fait ma lettre au Saint-Père, mais j'ai encore à la transcrire et à la mettre pour vous en français. Le but de cette lettre est d'obtenir du Saint-Père qu'il nous soit permis d'agir en sûreté de conscience sans recourir toujours à de nouvelles permissions de l'Ordinaire dans les circonstances critiques et difficiles. A la lettre je joindrai un feuillet dans lequel le Saint-Père serait prié de marquer telle note qui lui plairait pour la tranquillité de nos consciences, mais que nous ne pourrions jamais produire au dehors. Je crois qu'avant de présenter la lettre au Souverain Pontife, il serait bon d'avoir l'avis de Monsieur l'ancien Evêque de St Malo et de Monsieur de Namur. On s'en rapporterait à ces avis", et il ajoute trois lignes qui en disent long : "Cependant la prudence, ce me semble, demande que vous ne vous produisiez pas trop hors de chez vous. Il paraît, par ce que j'entends dire, qu'on est maintenant fort sur le qui-vive". Si la lumière reçue par le fondateur est claire, l'application en est difficile. Certes, c'est un article du premier Mémoire (1800):(2) "Le Corps entier de l'une et l'autre Société dépendra uniquement du Souverain Pontife" ; celui-ci pouvait exercer sur elles son autorité suprême, mais en l'occurence, la situation était fort délicate ! La lettre adressée à Pie VII par le Père de Clorivière

et da-

tée du 12 février 1805 (3) est trop longue pour être reproduite ici inextenso, nous en donnerons seulement les principaux passages. Après avoir protesté "au nom de tous ceux qui coopèrent à cette bonne oeuvre, que nous n'avons rien tant à coeur que d'être en tout

à

la disposition de nos Evêques", le fondateur exprime le bien fondé de sa requête : "Maintenant cependant dans l'état de trouble où sont encore parmi nous, comme Votre Sainteté le sait mieux que personne, les choses ecclésiastiques, les Evêques eux-mêmes étant gênés dans l'exercice de leurs fonctions pastorales, je craindrais que ces Sociétés ne pussent subsister, à moins qu'il ne plût à Votre Sainteté de relâcher un peu,

(1) Lettres, p.260. (2) D.C., p.284. (3) Voir Appendice

et D.C., p.431-433.


quant à quelques effets extérieurs et seulement pour un temps, savoir, jusqu'à ce que l'Episcopat soit tout à fait libre, ce qu'il pourrait y avoir de trop embarrassant dans notre dépendance à son égard, comme par exemple, que lorsqu'une fois nous aurons été admis dans un Diocèse, du consentement de l'Ordinaire, nous ne soyons pas assujettis à chaque mutation de Supérieur, de solliciter une nouvelle admission, ce qui aurait lieu pareillement à l'égard des voeux qui se renouvellent ou se font de nouveau parmi nous deux fois l'année". Quelques lignes plus loin reparaît l'argument de fond : "Ce que nous demandons ne pourrait même qu'être agréable à nos Pasteurs. Ils n'auraient point alors à craindre qu'en acquiesçant à nos demandes, ils s'attirassent 1'animadversion de quelques personnes en place". Les lettres suivantes montrent qu'à la veille de faire parvenir cette lettre à Pie VII, le Père mesure les difficultés de l'entreprise. Le 15 février (1805)

:

(1)

"Je suis bien aise de votre entrevue avec Monsieur de Namur ; cela prépare la chose ; mais vous avez bien fait de n'en point parler avant de l'avoir. S'il n'était pas d'avis de prendre la lettre, la chose serait décidée et nous verrions en cela la volonté de Dieu qui nous laisse à notre propre conscience". Trois jours plus tard :

(2)

"Votre démarche auprès de Monsieur de Namur m'a fait grand plaisir et je suis bien reconnaissant de la manière obligeante dont il y a répondu ; c'est, comme vous le lui avez bien dit, un service bien signalé que lui seul pouvait nous rendre. Vous vous montrez aussi par là, ma chère fille, la digne Mère de l'une et de l'autre Société, et je bénis Dieu de tout mon coeur et sa très sainte Mère de m'avoir donné en vous une si bonne coopératrice pour l'honneur de leurs Coeurs Sacrés". De fait, la mission confiée était difficile en elle-même,

et

n'oublions pas que Mère de Cicé était toujours sous la surveillance de la police qui devait épier ses moindres démarches. Le 8 mars 1805 :

(3)

(4)

" Je suis fort content de ce que vous me marquez de notre lettre. C'est une grande obligation que nous avons au digne Prélat qui a droit à toute notre reconnaissance. Mais c'est aussi une chose qui demande que

(1) Lettres, p.261. (2) Lettres, p.262. (3) cf. plus haut, le conseil que lui donnait le Père de Clorivière dans sa lettre du 11 février. (4) Lettres, p.271.


- 13i|-

nous redoublions notre ferveur et nos prières...Il me semble que la chose est de telle importance que nous devons tout offrir, et nos actions et nos pénitences et nos communions à cette intention". La lettre du 16 mars (1805)

(1). est longue. Le début explique

une fois de plus la prudence à garder dans les démarches auprès de hiérarchie.

la

(2)

Suit un passage qui fait le point sur le but des démarches entreprises auprès de l'entourage du Saint-Père : "Nous devons savoir bien bon gré à Monseigneur de Namur de ses démarches auprès du Cardinal Frietri (3) et du Prélat Mincio. Je ne regarde pas ce que j'ai demandé proprement comme une approbation puisque je ne pourrais en faire usage que par rapport à ceux de l'une ou l'autre famille. De plus, comme le temps qui reste est court et que le Conseil, occupé de soins plus importants, suivant toute apparence ne prendrait point connaissance de notre affaire, je pense qu'il n'est pas à propos de la poursuivre. C'est assez de ce que nous avons fait. Abandonnons le reste au Seigneur, et assurés des intentions du Pontife pour le

(1) Lettres, p.273-275. (2) "Vous avez été bien inspirée de rester à la visite de M. Jauffret; tout ce que vous m'en dites et tout ce qu'il vous a dit me paraît fort bien. Si, comme je l'ai lu dans un des journaux, il reste ici comme grand vicaire de Paris, alors surtout il faudrait le pressentir de nos affaires et le mettre au fait de notre situation et de l'autorisation que nous avons, soit de Rome, soit en Paris et quelques autres diocèses, pour agir, non pas encore comme Société formée et avouée du Gouvernement, mais comme nous formant, (etc)... Si cela lui est bien présenté, comme je ne puis douter qu'il veuille sincèrement le bien, nous pouvons croire qu'il nous sera favorable au moins en secret, de peur de se compromettre...C'est vous autres, je crois, qu'il faudra mettre en avant ; on sera plus porté à vous favoriser et vous serez en partie couvertes par la bonne oeuvre des Enfants. (Il s'agit de l'oeuvre des Enfants délaissés, fondée par Mesdames de Carcado et de Saisseval en 1803). Pour nous autres, on pourrait nous représenter comme réduits à peu de chose, comme nous le sommes en effet, surtout dans Paris." (3) L'édition des lettres, p.274, porte : Cardinal Pietri. L'autographe ne permet pas de trancher, les deux dernières lettres du nom étant illisibles. On s'attendrait plutôt à trouver le nom du cardinal diPietro, qui faisait partie du groupe des six cardinaux désignés par Pie VII pour l'accompagner à Paris. cf. Consalvi, op. cit., p.632. Le nom de "Pietri" n'y figure pas.


- I3J -

maintien de l'oeuvre, faisons pour la soutenir ce qui nous paraîtra selon Dieu, le plus convenable, en nous en tenant, le mieux qu'il nous sera possible, à ce qui nous a été prescrit". Quelques jours après le samedi 23 mars 1805 :

(1)

"Je pense comme vous de la poursuite de l'affaire près du Prélat. Je ne voudrais pas y mettre une grande chaleur parce que je compte assez peu là-dessus, surtout d'après ce que le Grand-Aumônier du Saint-Père a déclaré. Mais il me semble qu'il faut au moins toucher le terrain, sans aller plus avant s'il y paraît du danger. Dieu sait mieux que nous ce qui convient à notre affaire qui est plus la sienne que la nôtre... quand le temps en sera venu, il saura bien la faire prospérer même au delà de nos espérances". Une autre lettre de mars 1805 (2) nous apprend le succès limité mais réel de l'intervention de l'évêque de Namur. En renvoyant à Mère de Cicé la lettre de ce dernier, le Père de Clorivière répète inlassablement les mêmes conseils : "Je vous renvoie, ma chère fille, la lettre de Monseigneur de Namur qui est une nouvelle preuve de ses bontés pour nous. S'il n'a pas fait davantage, et ce n'est pas faute de bonne volonté, il a mis la chose en train ; c'est à nous à la poursuivre en suivant la marche qu'il nous a tracée, afin de n'avoir rien à nous reprocher. N'attendons rien que de Dieu, mais n'omettons rien aussi de notre côté pour mériter qu'il vienne à notre secours. Vous irez donc avec Mme de Carcado voir le Prélat Mincio", Le Père développe ensuite les quatre points suivants : 1) l'importance de l'oeuvre entreprise, 2) le renouvellement de l'Approbation verbale du 19 janvier 180], donné formellement par Pie VII au cours de son voyage à Paris, 3) le caractère provisoire de la situation actuelle, 4) le fait que la demande sur la conduite à tenir vis-à-vis des évêques, ne concerne que le for intérieur et nullement le for civil. Suit un conseil : "Parlez le moins possible de moi. Si on vous objecte ma détention, dites qu'on m'a arrêté sur des soupçons sans fondement et tout à fait étran gers à la Société...Il suffit que vous ruminiez ces choses devant Dieu ; j'espère qu'il vous inspirera ce que vous aurez à dire". Le jour de Pâques (14 avril)

(1) Lettres, p.276. (2) Lettres, p.278.

1805, le Père de Clorivière envoie


- 136-

une très longue lettre au Père Lange,(1) dans laquelle il lui expose en détail les différentes démarches faites auprès de Pie VII pendant son séjour à Paris. La conclusion contient les directives que le fondateur donne à cette époque à l'un des responsables des Sociétés en province : "Dans cet état de choses, nous devons agir avec circonspection; mais nous ne pourrions pas cesser d'agir sans coopérer à notre propre destruction et aller par là contre les vues du Seigneur qui nous sont suffisamment connues et montrer en lui trop peu de confiance. Nous pouvons regarder notre position comme une épreuve à laquelle il met notre constance et notre fidélité. J'aime à me persuader et j'espère que, plus cette épreuve sera longue et difficile, plus le Seigneur fera éclater sa protection sur nous ; "tempore opportuno"... Nous pouvons donc continuer l'oeuvre, mais sobrement et avec beaucoup de modestie. Dans la plupart des diocèses ou nous sommes par l'aveu des Evêques, les Ordinaires qui en sont instruits nous laissent agir de cette manière, et je crois que c'est plus selon leur intention que nous nous comportions ainsi que si nous leur demandions, dans les divers cas, une permission explicite par laquelle ils pourraient craindre de se compromettre, vu la multitude des mal-pensant et des mal-voulant". C'est dans une lettre à Mr Beulé du 19 juillet 1807 que

nous

trouvons le témoignage le plus explicite de la confiance faite par Pie VII au Père de Clorivière.(2) Après avoir longuement exposé à son correspondant la situation fort épineuse créée aux évêques par les décisions du gouvernement, il justifie la conduite adoptée vis-à-vis d'eux, avec l'approbation

du

Saint-Père : "Au reste, ne voulant pas me rassurer entièrement sur la droiture de mes intentions, j'ai cru devoir m'adresser au Saint-Père luimême, avec la résolution de m'en tenir à ce qu'il déciderait, et même de me désister de la bonne oeuvre qu'il avait approuvée, s'il le jugeait plus convenable. Je lui ai exposé avec simplicité ce qui nous regardait, la position où nous étions vis-à-vis de nos Evêques, celle où ils étaient eux-mêmes, et je lui ai demandé si nous étions dans la nécessité d'user d'Epikie, ou d'interprétation bénigne, en remettant à les instruire de tout ce qui nous regardait au temps où ils seraient plus libres d'user de leurs droits. Il ne nous a rien répondu par écrit, vous savez qu'il s'en était fait une loi, et qu'il n'eût pu faire autrement sans trahir le secret qu'il voulait garder. Mais un de nos anciens Evêques, qui occupe encore un siège et que' le Souverain Pontife honorait de son intime confiance, a été l'intermédiaire que la divine Providence m'a ménagé auprès de Sa Sainteté. Ce.digne prélat nous a fait connaître que

(1) Lettres, p.827-828. (2) Lettres, p.923-924.


- 13J -

le Saint-Père ratifiait ce qu'il avait fait en notre faveur à Rome, qu'il était satisfait de notre conduite et que nous pouvions continuer. Vous même avez pu vous convaincre, par l'accueil singulièrement gracieux qu'il vous a fait, qu'il était très bien disposé en notre faveur". Le Père de Clorivière n'avait évidemment pas attendu ce mois de juillet 1807 pour être informé du résultat des démarches entreprises auprès de Pie VII. Notons, parmi bien d'autres, cette indication donnée dans une lettre à Mère de Cicé du 11 mars 1806 :

(1)

"Je vous renvoie, ma chère fille, une réponse Il sera bon que vous lui parliez des démarches que nous près du St-Père et du bon succès qu'elles ont eu par le que de Vence, aujourd'hui de Namur, supposé que vous ne encore".

à M. de la Mennais. avons faites aumoyen de M.l'évêl'ayez pas fait

A partir de 1805, nous voyons le Père de Clorivière user alternativement ou simultanément de son double dispositif de défense contre les mesures gouvernementales et de prudence vis-à-vis des evêques qu'il ne faut pas compromettre. Ses écrits et sa correspondance en donnent des témoignages multipliés, qu'il s'agisse d'implanter les Sociétés dans les diocèses ou de rassurer des confrères ébranlés, ce qui sera sa plus lourde épreuve. Avant de le suivre sur ce terrain, signalons la septième Lettre circulaire, datée du 29 mai 1805 (2) et écrite dans la prison du Temple. Elle traite de "L'enchaînement des vertus nécessaires au chrétien". Sa lettre d'envoi à Mère de Cicé, datée du 1er juin, reflète la prudence alors requise :

(3)

"Je vous envoie une lettre circulaire un peu différente des précédentes, en ce qu'elle a pour objet la pratique des vertus nécessaires à tous les chrétiens, et que je ne dis presque rien qui soit particulier à ceux ou celles qui sont appelés à l'une ou l'autre de nos Sociétés. Les circonstances m'ont dicté cette précaution". Notons encore, toujours en 1805, la nouvelle marque de bienveillance du Saint-Père recueillie par un membre de la Société du Coeur de Jésus.

(1) Lettres, p.381. (2) L.C., p.207-249. (3) L.C., p.251

et

Lettres, p.307.


- l^8 Le 20 juin, le Père écrit à Mr Pochard :

(1)

"Ce que vous me dites de l'entrevue de notre cher confrère Br. avec le Saint-Père est intéressant. Cela est bien conforme à ce que nous avons vu ici. Mais j'aurais été bien aise de savoir la chose plus en détail". Le 10 juillet (1805) c'est Mère de Cicé qui communique cette bonne nouvelle â Mlle Amable Chenu : "Je crois que nous vous avons marqué, ma chère Amie, que la nouvelle approbation que nous avions eu le bonheur d'avoir du Souverain Pontife pendant son séjour à Paris, était pour nous un nouvel aiguillon pour nous faire avancer dans cette voie. Il nous a recommandé la prudence par rapport aux réunions, mais il ne faut pas, comme je crois vous l'avoir marqué, cesser de se réunir d'une manière religieuse, mais il faut éviter tout ce qui peut faire remarquer nos réunions, (etc)... ...Nous avons su, depuis la dernière lettre que je vous ai écrite, qu'un des nôtres qui a trouvé moyen de voir et d'entretenir quelques moments en italien le Souverain Pontife pendant son voyage, en a reçu une réponse favorable et analogue à celle qu'il a daigné nous faire ici. Il est parfaitement informé de tout ce qui concerne notre bon Père, il y prend un grand intérêt et, si sa liberté eût dépendu de lui, la part qu'il prend à tout ce qui lui arrive nous l'aurait rendu, comme nous nous en étions flattées ; Mais Dieu a ses desseins ; attendons ses moments". Enfin, le 11 juillet 1805 le Père de Clorivière écrit à son tour à Mlle Chenu :

(2)

"Ce qu'elle vous dit (Mère de Cicé) des marques que Sa Sainteté nous a données, et de sa bonne volonté pour nos familles, est pareillement vrai et a été pour moi d'une grande consolation". On constate, une fois encore, combien le Souverain Pontife

est

vraiment pour les fondateurs "le phare" qui donne la lumière et soutient l'espérance dans la tempête, car celle-ci ne s'apaise pas.

REMOUS DANS LES DIOCESES.

LE "TROISIEME FRONT" DU PERE DE CLORIVIERE

Le 16 juillet (1805)

on trouve dans une lettre à Mère de Cicé :

"J'ai su par une lettre que M.B. m'a apportée, que M. l'Evêque d'Orléans avait donné des ordres qui nous étaient bien contraires dans

(1) Lettres, p.877. (2) Lettres, p.611. (3) Lettres, p.322.

(3)


- 1

son diocèse ; mais on ne s'est pas expliqué clairement ; Dieu lui fasse miséricorde. Le bon prélat a cru sans doute que nous étions compris dans le décret impérial. Prions pour lui". Mgr Bernier, alors en demi-disgrâce avait donné l'ordre de dissoudre les Sociétés naissantes. Cette épreuve nous vaudra une suite de lettres de grand intérêt

du fondateur à un confrère très ébranlé, Mr Faucheux.

Il ne sera pas le seul : c'est le troisième front où le combat devra être soutenu. De Chartres aussi, les nouvelles ne sont pas bonnes. Mère de Cicé a dû proposer au Père de se rendre sur les lieux. Il lui écrit le 23 août (1805):(1) "Je ne désapprouve nullement que vous alliez à Chartres ; mais des raisons de prudence demandent que la nouvelle du voyage ne s'ébruite pas ; il faudra en recommander le secret à vos amies. Qu'on s'imagine que vous allez pour quelques jours prendre l'air de la campagne à Versailles ou St-Germain ou St-Denys. Vous vous chargeriez d'une lettre de moi pour M. Frappeize". (Le 23 septembre) il insiste encore :

(2)

"Quand je vous dis d'aller à Chartres, je présume en même temps que vous prendrez les plus grandes précautions. Il faudrait, s'il était possible, que vous y fussiez et que vous en revinssiez sans que personne s'en aperçut". Le vendredi 27 août (1805)

(3), le Père a reçu par Mère de Cicé

"deux lettres bien affligeantes". D'une part, Mr Frappeize qui est très malade n'a pas cru devoir renouveler ses voeux ; d'autre part, des ecclésiastiques de St-Malo se montrent très contraires à la "bonne oeuvre". "Il est évident qu'ils se prévaudront du décret impérial qu'on peut interpréter pour ou contre, selon qu'on est bien ou mal affecté..." Il faudrait "s'adresser à M. l'évêque de Rennes, mais comment ?" Mère de Cicé a dû faire dire au Père de Clorivière qu'elle pourrait faire personnellement cette démarche. Ce doit être à ce sujet qu'il lui fait cette recommandation le 29 août :

(1) Lettres, p.332, (2) Lettres, p.343. (3) Lettres, p.334. (4) Lettres, p.333.

(4)


-

14©-

"Vous ne ferez pas mal de faire usage de l'idée que j'ai donnée de notre Société ; insistez surtout sur l'idée d'Association de prêtres séculiers. C'est ce que nous sommes. Et vous, vous êtes des dames ou demoiselles séculières. Cela n'empêche pas que nous soyons aussi religieux et religieuses. La chose l'explique, mais il est inutile à présent de le dire". La lettre du 3 septembre à Mère de Cicé prouve à quel point la prudence s'impose vis-à-vis de certains membres de l'épiscopat :

(1)

"Vos deux dernières lettres contiennent des détails bien intéressants et nous avons à bien remercier le Seigneur de la bénédiction qu'il a donnée à vos démarches. C'était une chose hasardeuse et difficile puisque M. de Pressigny lui-même n'avait pas osé lui en parler, malgré toutes ses bonnes intentions. C'est à vous que Dieu a voulu que nous eussions cette obligation et il vous en a donné le courage. Nous ne sommes pas pour cela sans crainte, mais voilà le premier pas fait", et un peu plus bas : "Il serait aussi bien convenable... maintenant que Monseigneur est instruit, que M. l'Engerran lui écrivît, et qu'il l'assurât de ses sentiments et de sa soumission, et prît occasion de là de lui parler de notre Société dans le sens que vous l'avez fait : comme d'une "Association d'ecclésiastiques" (et autres personnes séculières) "qui, sous l'autorité et avec la dépendance la plus entière de leurs Evêques respectifs, font profession de tendre à la perfection évangélique". Cela donne suffisamment à entendre les voeux, sans les exprimer clairement ; ce qui ne serait pas à propos dans la circonstance. Il peut parler de la même manière de votre Société, comme d'une "Association de dames et de demoiselles séculières, etc.." Il ne sera pas mal d'ajouter que l'une et l'autre association embrassent toutes les bonnes oeuvres propres de l'état d'un chacun. M. l'Engerran ne manquerait pas de dire que ces associations ont été approuvées, pour les diocèses, par M.M. de Pressigny et de Maillé (évêque de Rennes jusqu'à sa mort en 1804). (En disant cela de ma part et en vous servant de mes propres (paroles), ce que vous direz pourra avoir plus d'autorité)". Dans la lettre du 13 septembre (1805)

(2), glanons au passage

ce témoignage rendu à notre première Mère : "Je vois bien, ma chère fille, par ce que vous me marquez des lettres que vous écrivez que vous ne vous épargnez pas et que vous prenez tous les soins d'une supërieure...Il faut bien que vous suppléiez, en partie, à ce que je ne puis pas faire". (Le 23 septembre)

(3), nouvelle et longue lettre à Mère de Cicé

encouragée à aller à Chartres.

(1) Lettres, p.336. (2) Lettres, p.339. (3) Lettres, p.341-342, déjà citée plus haut.


-

14^ -

On sent le Père presque excédé d'être obligé de répéter constamment la même chose au sujet du Décret impérial : "Dites à M. Lamy qu'il faut n'avoir point lu le décret impérial du 3 messidor an )2 (22 juin 1804) (je l'ai sous les yeux) pour croire que nous y soyons compris : il n'y est fait nulle mention de nous". Et il précise, toujours selon le même dispositif, en quoi et pourquoi les Sociétés peuvent échapper à son application. La lettre du 3 octobre 1805 (1) nous apprend que Mère de Cicé est revenue de Chartres où son voyage n'a pas été sans fruit. La manière dont le Père de Clorivière parle ensuite de Mr Frappeize qui doit être mourant peut paraître sévère ; elle dénote le profond sens religieux qu'il attache toujours et aux voeux et à l'obéissance pour les membres de ses Sociétés : "Ma letttre et ce que vous lui avez dit ont pu lui faire sentir que sa conduite envers l'obéissance n'avait pas été bien parfaite ; et, quoique sa bonne intention l'excusât auprès de Dieu et lui en obtînt (le pardon), j'aime à me persuader qu'il s'en sera bien humilié devant Dieu et que cela ne lui aura pas été inutile". Et plus loin : "Les deux autres, MM. Beulé et Pellerin, sont moins excusables. Ils tiennent encore à la chose par leur consécration et leur protestation de vivre sous l'obéissance, et comme s'ils étaient engagés ; Dieu veuille que cette protestation soit bien sincère devant Dieu, Mais, (soit dit entre nous) il est évident qu'ils sont reculés en arrière et que, n'ayant fait aucun voeu, même en particulier et relativement à la Société, ils ne sont capables d'aucune supériorité (2) . Les raisons qu'ils allèguent sont celles de personnes qui veulent se faire illusion : 'ils ont besoin qu'on prie pour eux", puis le Père ajoute : "Il faut beaucoup de constance et de foi pour n'être pas ébranlé de l'état auquel nous sommes réduits". Vers la fin de la lettre, ces lignes fort éclairantes sur

les

difficultés résultant des suspicions qui pèsent sur la hiérarchie : "Vous vous êtes très bien conduite vis-à-vis du vicaire général, et ce que vous lui avez dit était très à propos. Je n'augure pas mal de

(1) Lettres, p.345-346. (2) Ils ne peuvent remplir les fonctions de supérieurs dans les Sociétés.


- 14^-

ce qu'il vous a dit, qu'il ne savait rien, c'est-à-dire, comme vous l'avez bien compris, qu'il ne voulait rien savoir. C'est tolérer la chose sans vouloir se compromettre ; ce moyen est politique, mais il faut vous contenter de cela et ne pas exiger davantage...Espérons en Dieu... Quand il lui plaira de jeter les yeux sur ces petites familles, les choses changeront de face et nous agirons en liberté". Espérance inconfusible d'autant plus méritoire que le Père de Clorivière juge lucidement la situation

;

il écrit le 8

octobre 1805 :

"L'état de nos petites familles est bien lamentable, mais mettons en Dieu notre confiance ; il est tout puissant et tout miséricordieux. Nous n'avons rien fait que pour accomplir son bon plaisir ; ne cessons de le conjurer, par le Coeur de son divin Fils et par celui de Marie, de répandre avec effusion sur nous tous son divin Esprit qui nous remplisse de lumière, de force et de vie, et renouvelle ainsi la face de la terre". En attendant cette heure, toujours égal à lui-même, il poursuit sereinement : "Mon commentaire sur les deux épîtres de St Pierre est achevé ; il est assez volumineux...Ce serait une grande satisfaction pour moi si, en sortant de ce Temple, je pouvais l'offrir au St Père. Je mettrai ensuite au net, si Dieu le permet, ma seconde partie de l'Apocalypse, achevée depuis une dizaine d'années, dans le fort de la révolution". Le vendredi 25 octobre 1805 (2), nouvelle particulièrement réconfortante pour le grand religieux qui écrit à Mère de Cicé : "Il y avait une autre (lettre) de plus grande importance : celle du Vicaire Général de la Soc. (3) qui a remplacé le P. Gruber, qui était Général. Il approuve notre bonne oeuvre et m'exhorte à la continuer comme l'oeuvre ce Dieu, et ajoute que je ne cesse pas pour cela d'être Jésuite; et qu'il m'incorpore dans la province de Russie, sans que je doive pour cela quitter la France où il sait bien qu'il y a pénurie de prêtres... Cette nouvelle ne peut manquer de vous être agréable". Les lettres qui s'échelonnent régulièrement jusqu'en décembre montrent avec quels détails et quelles précisions le Père suit la vie religieuse et des personnes et des réunions : malgré tout, la vie continue .

(1) Lettres, p.347. (2) Lettres, p.350. (3) La Compagnie de Jésus.


-

14^ —

Celle du dimanche 15 décembre 3 805 (1) apporte de douloureuses nouvelles à Mère de Cicé. Le Père a été chargé de lui apprendre la mort "à peu de jours l'un de l'autre", de son frère (Jean-Baptiste) ancien évêque de Troyes, puis d'Auxerre, et de sa soeur (Elisabeth), tous deux émigrés â Halberstadt en Prusse.

o o

(1) Lettres, p.359.

o


CHAPITRE

IV

L'EPREUVE SE PROLONGE POUR LES SOCIETES. Le jour de Pâques 1805, le Père de Clorivière terminait ainsi sa longue lettre (1) à Mr de Lange : "Plus cette épreuve sera longue et difficile, plus le Seigneur fera éclater sa protection sur nous". L'épreuve devait se prolonger aussi longtemps que se prolongerait la politique religieuse napoléonienne, utilisant le pouvoir spirituel

au

service de ses intérêts temporels. Pendant quatre ans, de 1805 à 1809, entre Pie VII et Napoléon, se développe une lutte dramatique qui aboutira à l'emprisonnement du Souverain Pontife à Savone en 1809 (2). Le Père de Clorivière devra, bien malgré lui, continuer à pratiquer la même stratégie défensive pour protéger l'existence des

Sociétés. Les graves dissentiments qui régnent entre Pie VII et Napoléon et

vont croissant au cours de ces années, ne peuvent manquer d'avoir una répercussion sur la vie des Sociétés. En mai 1806, au coeur de la lutte soutenue pour leur défense, se situe comme une étape de réflexion, la 8ème Lettre circulaire sur "L'esprit intérieur". Elle est adressée "à des personnes véritablement chrétiennes qui désirent avancer chaque jour dans les sentiers de la perfection".

(3)

Un même texte peut se prêter à plusieurs lectures, suivant l'angle sous lequel il est abordé :

(1) Lettres, p.827-828. (2) En 1805, au cours de sa lutte contre l'Autriche et la Russie, Napoléon occupe le port d'Ancône qui fait partie des Etats Pontificaux. Après sa victoire sur les forces coalisées contre lui, il installe son frère Joseph sur le trône de Naples afin d'assurer sa domination en Italie. Pie VII refuse énergiquement de compromettre son pouvoir spirituel,en s'associant comme le voudrait l'empereur, à des mesures politiques contre ses ennemis. En janvier 1808, les troupes françaises envahissent la totalité des Etats Pontificaux et occupent Rome. Un an plus tard, Pie VII sera emmené prisonnier à Savone. (3) L.C., p.259-294.


Fondamentalement, celui-ci est un précis de vie intérieure.Mais si on le lit dans l'optique du temps, il se révèle aussi en rapport avec la vie des Sociétés à cette époque. Leurs membres, quant à l'extérieur, appartiennent à "la classe commune des fidèles" (1) ou à celle des clercs; ils doivent disparaître dans la masse. Comme il est opportun alors, d'être "cet homme que les yeux des hommes ne peuvent apercevoir...parce qu'il réside habituellement dans le fond de son coeur" (2). Celui-là n'a pas besoin de la solitude du cloître, de la séparation d'avec le monde, car

"Au milieu des créatures, il se

voit de toutes parts entouré des bienfaits de Dieu, tout lui parle de Dieu, tout lui retrace son image, tout lui montre son amour, tout l'excite de plus en plus à l'aimer".(3) Les réflexions du Père sur le "cours des choses humaines, soit publiques, soit particulières" (4) prennent aussi un singulier relief quand on se souvient des événements auxquels il a été affronté depuis sa jeunesse religieuse, tout au cours de sa vie, et très particulièrement depuis la Révolution. Les faits remontent à la mémoire quand, dans une perspective élargie aux dimensions du monde, il écrit :

(5)

"Dans ces grands événements qui changent la face de la terre, dans le gain ou la perte des batailles, dans la formation ou la chute des empires, comme dans les succès et les revers particuliers, dans l'abaissement des uns et l'élévation des autres, la plupart des hommes ne voient que dés changements extérieurs qui les étonnent et ils les attribuent à des causes humaines... au nombre des troupes, à l'habileté des généraux...aux ruses secrètes de la politique, aux trames de la malice, à la trahison. Ce sont en effet des moyens extérieurs que la Providence a coutume d'employer ou qu'elle permet. Mais l'homme intérieur élève plus haut ses vues, il remonte à la source, à la cause première de toutes choses; et, comme s'il eût été appelé au Conseil du Très Haut, il voit l'Eternel devant qui tous les âges s'écoulent avec la rapidité d'un torrent, qui tient dans sa main la cause de tout ce qui se passe dans l'univers, qui élève tour à tour les peuples et les abaisse, qui donne et brise à son gré les sceptres, qui couvre l'humble de gloire et fait rentrer l'homme superbe dans la poussière dont il l'avait tiré, et qui dirige toutes choses selon les vues de sa divine Sagesse, pour sa gloire et pour celle de son Fils, pour l'exaltation de son Eglise et pour le salut des hommes".

(1) Lettres, p.832 et passim. (2) L.C., p.261. (3) L.C, p.272. (4) L.C., p.276. (5) L.C, p.276-277.


- i4é-

Un dernier passage de cette Lettre circulaire caractérise à son insu le Père de Clorivière quand il parle de cette "connaissance expérimentale" ... que l'homme intérieur a de Jésus-Christ et en fait découler "cette sorte d'immutabilité de l'homme intérieur dans le bien que l'Apôtre exprime en disant qu' "il est enraciné et fondé dans la Charité..." C'est cette"maison" de l'Evangile qui est "bâtie sur le roc", sur Jésus-Christ même. Jaillissent alors de sa plume ces versets de saint Matthieu qui se sont comme imposés en exergue à cet ouvrage : "la pluie est tombée en torrents, les vents ont soufflé avec impétuosité, les fleuves ont débordé, tous à la fois sont venus fondre sur cette maison, et cette maison n'est point tombée parce qu'elle était fondée sur le roc".(l) En effet, à ce moment crucial de l'histoire de France, les soucis ne manquent pas au fondateur. La lettre du 6 juin 1806 adressée à Mère de Cicé (2) nous apprend "la défection de MM. Frappeize, Beulé et Pellerin" et celle de Mr Miette. Cette dernière doit être d'autant plus sensible au Père qu'il avait pensé à lui pour remplacer Mr Frappeize comme supérieur à Chartres (3). De plus, quelques Filles du Coeur de Marie dont Mlle Puesch ont suivi cet exemple : "il n'est point du tout étonnant que des filles pieuses aient suivi, même sans s'en apercevoir, les insinuations de leurs directeurs". Le Père fait alors une mise au point sur le rôle des confesseurs face à une vocation religieuse reconnue. Elle se termine ainsi : "...si le confesseur passe ses droits, s'il veut jeter des doutes sur la vocation, s'il détourne des observances religieuses et surtout de l'obéissance aux supérieures, il ne tient plus la place de Dieu et ne doit plus être écouté comme tel. Ce serait un des cas où il faut le quitter". Le 1er juin 1806, une "excellente lettre" de Mr Pochard (4) donne au Père de Clorivière l'occasion d'encourager la vie religieuse des membres des Sociétés :

(1) L.C, p.284-285. La traduction est celle du Père de Clorivière. (2) Lettres, p.401. (3) cf. Lettres, p.345-346, (4) Lettres, p.878-879.


"Tout ce que vous me dites de nos ch. Conf. et de nos ch. Filles de Dole est aussi bien fait pour nous consoler (de la mort de Mlle d'Esternoz) C'est une preuve que Dieu se plaît â répandre son Esprit sur ceux et celles qui se dévouent à son divin Coeur et à celui de sa Sainte Mère, et nous fait espérer que, lorsque le temps des épreuves sera passé, Il daignera donner quelque accroissement à son oeuvre et la faire servir à sa gloire et au bien de son Eglise, que nous voyons réduite partout à une grande oppression. Attirons sur nous ses grâces par une grande ferveur et une humilité profonde. La ferveur doit nous porter à remplir avec exactitude les moindres devoirs qui nous sont tracés dans nos saintes Règles, et à nous attacher chaque jour de plus en plus à notre divin Maître en marchant à sa suite dans les sentiers des Conseils évangéliques, de Pauvreté, de Chasteté, d'Obéissance". Un peu plus loin, le Père a l'occasion d'éclairer son correspondant sur la place de l'obéissance au coeur de sa vie :

(1)

"En tout cela, ne vous conformez-vous pas à tout ce qui est prescrit par les Voeux, par les Règles, par les intentions bien connues des Supérieurs ? Vous exercez donc en tout l'Obéissance. Vous ne faites pas un acte, un pas, où vous ne puissiez avoir le mérite de l'Obéissance religieuse en conséquence de vos saints engagements. Et ce mérite est très grand ; c'est le plus sublime de tous, puisqu'agir par le motif de l'Obéissance religieuse, c'est agir dans la vue de se conformer à la volonté de Dieu, à son bon plaisir. Ce qu'on fait d'une manière excellente, parce que cette volonté de Dieu ne nous vient pas immédiatement de Dieu, ou seulement par la loi, mais par l'organe et le ministère des hommes, ce qui suppose dans ceux qui s'y soumettent constamment et par esprit de religion, une foi sublime et une grande humilité". Les lettres du dernier trimestre de 1806 et celles de 1807 continuent à affirmer, selon les circonstances, la co-existence du régime intérieur et du régime extérieur des Sociétés. Madame de Clermont-Tonnerre, Fille du Coeur de Marie qui appartenait à l'une des premières familles de l'aristocratie française correspond régulièrement avec les deux fondateurs. Elle travaille à "la propagation des deux petites familles" (2) dans son diocèse d'Amiens, d'où l'intérêt des conseils que lui adresse le fondateur le 27 octobre 1806 (3)

:

"Si la chose prenait une certaine forme (un groupe de Filles du Coeur de Marie), il serait bien convenable de se faire autoriser par un de MM. les Grands Vicaires (4) ; ce qu'il vaudrait mieux faire de vive voix,

(1) Lettres, p.880. (2) Lettres, p.770. (3) Lettres, p.769. (4 ) Le Père de Clorivière use ici de l'autorisation donnée par Pie VII de ne pas s'adresser directement aux évêques, afin d'éviter de les compromettre vis-â-vis du gouvernement. (Voir chapitre précédent).


afin d'éviter toute espèce de rumeur, car, quoique nous ne fassions rien qui ne tende au bien et qui ne soit même selon les intentions du Gouvernement civil, des circonstances nous ont jusqu'ici empêché de solliciter sa sanction. Nous attendons un moment favorable". Le 5 décembre, à la même, le Père est plus explicite :

(1)

"Une autre difficulté se présente ; elle est prise de l'état de la petite famille qui n'a pas encore été agréée du Gouvernement et qui même ne peut pas l'être jusqu'à ce qu'ayant acquis une certaine consistance en différents endroits, elle ne rende des services notables, de manière à mériter l'approbation du Gouvernement. Mais pour y parvenir, il faut préalablement que nos Seigneurs les Evêques veuillent bien l'admettre, non par une approbation formelle et par écrit, ce qu'on ne peut pas même leur demander parce qu'ils ne pourraient pas prudemment l'accorder, mais par une approbation tacite, en lui permettant de travailler dans leurs diocèses à la gloire de Dieu et au salut du prochain, comme on le fait en différents diocèses. C'est là la deuxième difficulté qu'il faut vaincre. Il faut pour cela leur montrer, comme vous le dites fort bien, l'utilité de la bonne oeuvre et les moyens qu'elle prend, et ceux qu'elle compte prendre pour cela. C'est ce qui est exposé dans notre mémoire aux Evêques qui a été vu à Rome et ailleurs. Il est vrai que, comme la chose est bonne en elle-même et qu'elle a déjà l'approbation du Saint-Père, on peut toujours mettre la main à l'oeuvre ; on ne pourra l'achever sans l'autorisation, au moins tacite, des supérieurs ecclésiastiques ; mais si c'est l'oeuvre de Dieu, on a tout sujet de l'espérer. Tout cela nous montre de plus avec quelle circonspection et quelle prudence on doit procéder dans cette affaire". Le 29 août 1807 ligne de conduite identique, toujours à Madame de Clermont :

(2)

"Vous vous êtes conduite avec sagesse et prudence vis-à-vis de Mr l'Evêque de Meaux et vous avez en cela fait une nouvelle preuve de votre zèle pour nos Sociétés. On doit compter pour quelque chose la satisfaction qu'il a marquée de certains points ; mais le Prélat a eu raison de dire que la poire n'était pas mûre pour qu'il accordât une approbation ; il ne le pourrait pas prudemment jusqu'à ce que nous ayons la sanction du Gouvernement. C'est pourquoi ce n'est pas une approbation qu'il faut demander ; il suffit qu'on nous juge de nature à pouvoir être utiles à l'Eglise ; et il paraît que c'est le jugement qu'en a porté le Prélat". La lettre du 26 octobre du Père de Clorivière, à la même, contient une précision importante :

(1) Lettres, p.770-771. (2) Lettres, p.775. (3) Lettres, p.778.

(3)


- ^"Je vois, par la dernière lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire que votre zèle pour la bonne oeuvre est toujours le même ; mais il. est bon que je vous prévienne d'une chose : dans la lettre que j'ai adressée directement au Cardinal Légat (Caprara), j'y parlais ouvertement de l'approbation donnée à Rome, parce qu'il n'y avait point d'inconvénient à le faire ; au lieu que, dans la même lettre imprimée sous le nom d' "Aperçu", je me suis abstenu par prudence de le faire". "L'Aperçu" en effet avait été envoyé aux Evêques de France. Leur signaler ouvertement l'approbation accordée en 1801 leur aurait précisé par le fait même, l'existence à 1'insu du gouvernement et malgré ses ordon nances, de sociétés religieuses approuvées par le Souverain Pontife. C'éta compromettre irrémédiablement la "bonne oeuvre" et lui fermer les portes des diocèses. La complexité de cette situation justifie la prudence dont fait preuve le fondateur quant au "régime extérieur" des Sociétés. En ce qui concerne son "régime intérieur", à la même époque, le Père de Clorivière ne varie pas ; il maintient toutes les exigences d'une authentique vie religieuse, notamment au sujet de l'obéissance. Il écrit le 30 octobre 1807 à Mère de Cicé (1) qui partage avec lui les soins du gouvernement et le suplée au besoin, même auprès des Prêtres du Coeur de Jésus : "Je suis profondément affligé de la conduite de M. Vielle à mon égard, malgré mes pressantes sollicitations qui sont équivalentes à des ordres, malgré ses promesses, ses regrets, ses engagements sacrés. Il doit être instruit que l'obéissance religieuse a deux devoirs : l'un est qu'on accomplisse pour le motif de l'obéissance tout ce à quoi on est obligé par ses règles et par son état ; l'autre est qu'on corresponde avec ses Supérieurs autant que la chose est possible. Sans l'accomplissement de ce dernier devoir, l'autre ne peut pas être bien rempli ; on est comme un membre disloqué ; on ne reçoit pas l'influence du chef (2), le corps même est paralysé. Il ne peut ignorer ces choses ; je les lui ai rappelées, mais je vous prie de toucher cet article quand vous écrirez, soit à Amable, soit à M. Amy. J'ai patienté bien longtemps ; je craindrais manquer essentiellement au devoir de ma place si je le faisais plus longtemps". Sa patience inlassable pour défendre les Sociétés obtient parfois des résultats consolants. Tel confrère troublé par tant de difficultés et sur le point de renoncer à sa vocation, est ramené grâce aux précisions apportées par le Père. C'est le cas de Mr Faucheux du diocèse d'Orléans.

(1) Lettres, p.542. (2) "chef" est pris ici dans le sens de "tête" (3) Mgr Bernier, évêque d'Orléans, avait interdit les deux Sociétés dans son diocèse.

(3)


- 150-

Le Père lui écrit le 8 juillet 1807 :

(1)

"Vous avez renouvelé votre consécration...et la joie que vous en ressentez intérieurement, et qui ne peut venir que du Seigneur, est comme le sceau sacré de l'approbation qu'il donne à l'action que vous venez de faire. Ne la rétractez jamais, resserrez constamment les liens qui vous attachent à Lui", et pour se soutenir dans cette voie, pas de guide plus sûr que la fidélité aux règles : "Notre règle est celle de l'Evangile; et c'est ce qu'il y a de plus sublime dans les conseils de l'Evangile adaptés à notre forme de vie, vous pouvez aisément vous en convaincre en lisant notre spécimen, le Sommaire des règles, et l'explication que j'en ai donnée. Recevez donc ces choses comme de la main de J.C. Confrontez continuellement avec cette règle, toute votre conduite, soit intérieure, soit extérieure, et vous jouirez sans interruption d'une véritable paix, sa miséricorde sera votre partage, comme il l'est de tous ceux qui appartiennent au véritable Israël. C'est pourquoi relisez assez souvent ces règles, pour qu'elles restent gravées dans votre esprit et qu'elles se présentent comme d'elles-mêmes à votre souvenir toutes les fois que vous aurez à les mettre en pratique, ce qui revient presque à chaque instant. Il en est dont l'utilité s'étend à tout, comme celles qui regardent la pureté d'intention et le renoncement à soi-même". Mr Beulé, un autre prêtre du Coeur de Jésus donne des inquiétudes au Père de Clorivière. C'est un des deux émissaires de Rome. Très généreux, il doit être de caractère impulsif et changeant. C'est un plaidoyer en règle que le fondateur lui adresse. Cette longue lettre nous vaut de connaître

objectivement sa pensée. En suivant les différentes mises au point,

on devine les objections qui ont été faites. Nous retiendrons seulement la conclusion : "C'en est assez, je crois...,pour justifier à vos yeux nos démarches, nécessairement cachées au public, et pour dissiper les impressions défavorables qu'elles auraient pu laisser dans votre esprit sur la conduite générale de la Société. Faites aussi attention, je vous prie, à ce que j'ai déjà dit, que depuis une certaine ordonnance souveraine et par respect pour elle, nous ne pouvons pas encore nous donner comme faisant Corps de Société,sans cependant que cela préjudicie à ce que nous pouvons être devant Dieu. Si donc je me sers du nom de Société, ce n'est que provisoirement et seulement entre nous, pour me faire mieux entendre". (2) On aura remarqué "depuis une certaine ordonnance souveraine...

(1) Lettre inédite. (2) Lettres, p.924.


- 154 -

nous ne pouvons pas encore nous donner comme faisant Corps de Société". CTest toujours le "provisoire" qui doit couvrir "ce que nous pouvons être devant Dieu".

(1)

Pendant que du fond de sa prison le Père de Clorivière "tient" et "fait tenir", la politique religieuse poursuivie par Napoléon ne se relâche pas un instant. Si d'anciens ordres monastiques qui se sont reconstitués aussitôt après la Révolution sont tolérés, c'est au prix de conditions onéreuses. C'est ainsi que les carmélites de Tours se sont vues obligées d'ouvrir des classes dans leur monastère. Cette dernière disposition est à l'origine de l'établissement chez elles de quelques Filles du Coeur de Marie qui, en assurant le fonctionnement de ces classes, permettaient aux moniales de mener dans la légalité leur vie religieuse.(2) Cette aide fraternelle apportée par la Société nous a valu la

LETTRE "à DES FILLES DU COEUR DE MARIE DEMEURANT CHEZ LES CARMELITES .( 3 ) Elle est de grande valeur car, à propos d'une situation concrète, elle confirme de la main même du fondateur, à cette époque cruciale : 1. La profondeur de vie religieuse à laquelle doit s'enraciner la vocation des Filles du Coeur de Marie; 2. Le pluralisme des fins de la Société; 3. L'estime de la vie de communauté; 4. Le zèle apostolique qui doit animer les Filles du Coeur de Marie.(4) 1. Profondeur de vie religieuse. Après avoir dépeint la beauté de la vie de pénitence et d'immolation pratiquée par les carmélites, le Père n'hésite pas à écrire :

(1) Cette lettre est estimée assez importante par le Père de Clorivière pour qu'il écrive le 21 juillet à Mère de Cicé (Lettres, p.511) : "Vous avez su que j'ai envoyé ma lettre pour M. Beulé à Madame de Carcado afin qu'elle tire une copie que j'ai dessein de faire tenir à M. Presleur, dans le cas où M. Beulé ne la lui communiquerait pas. J'ai aussi écrit à M. Presleur". (2) cf. J. Leflon, Etienne-Alexandre Bernier, évêque d'Orléans (1762-1806), t.2, p.321 sq., Pion, 1938. (3) L.C., p.335-357. (4)

Nous citons seulement quelques textes typiques.


- 15%.-

"Dieu demande de vous quelque chose de plus, la qualité de Fille du Coeur de Marie vous en fait un devoir, et votre position vous rend ce devoir indispensable...Vous ne pourrez peut-être pas employer le même temps à l'exercice de 1'oraison...mais faites tellement toutes vos actions qu'elles soient une oraison continuelle... Pour ce qui est des pratiques intérieures, il n'y a point de perfection, de sainteté intérieure dans quelque Ordre religieux que ce soit, qui soit au-dessus de la vocation d'une Fille du Coeur de Marie, et qu'elle ne doive se proposer d'acquérir, selon la mesure de ses grâces et de ses lumières. L'humilité du Coeur de Marie, sa douceur, sa patience, sa charité pour les hommes, son amour pour Dieu, voilà ce qu'elle doit se proposer de retracer en elle-même, autant qu'elle le peut, avec le secours de la grâce divine". 2. Pluralisme des fins de la Société. "C'est maintenant le cas de vous rappeler que cette Société naissante, pour répondre aux vues de son établissement, doit posséder éminemment l'esprit de toutes les autres Sociétés religieuses...mais cette notion générale, il faut, dans la circonstance où vous êtes, en faire l'application au Carmel". 3. Estime de la vie de communauté. "Ne croyez pas, mes chères Filles, qu'il y ait rien de contraire à votre vocation de Filles du Coeur de Marie, dans une vie de communauté telle que celle à laquelle vous vous engagez, d'après nos conseils et ceux de vos Supérieurs. Si le corps de la Société n'est pas astreint à cette sorte de vie, ce n'est pas que nous soyons moins remplis d'estime et de vénération pour elle ; mais des raisons prises de la gloire de Dieu, du plus grand service de l'Eglise, des circonstances impérieuses du temps, de la nécessité même, que nous avons cru marquées du sceau de la volonté de Dieu, nous ont paru devoir l'emporter sur notre inclination et nos sentiments". 4. Le zèle apostolique. C'est ici que l'on trouve cette formule si belle : "Le zèle de la maison de Dieu est une faim dévorante. Cette maison de Dieu, ce sont les âmes ; ce sont, par rapport à vous, les âmes de ces enfants dont le soin vous est confié ; le désir de leur salut doit être pour vous une faim dévorante". Le début de l'année 1808 est marquée d'une lourde épreuve : Mme de Carcado, l'assistante si dévouée de Mère de Cicé, son intermédiaire auprès du Père de Clorivière qu'elle visite deux fois par semaine dans sa prison, meurt d'une congestion pulmonaire sans doute attrapée en allant au Temple par un froid rigoureux (1). Le Père écrit à Mère de Cicé

(1) cf. M. de Bellevue, op. cit., p.256 et 315-322.


le 29 janvier 1808 (1). Sa lettre reflète la grande peine ressentie par tous, elle évoque aussi les vertus exemplaires de cette Fille du Coeur de Marie. Comme toujours l'abandon du Père à la Providence est admirable : "La mort de madame de Carcado nous prive d'un grand soutien et d'une fervente coopératrice. Cette perte et celle que fait la Société pourrait paraître irréparable ; mais consolons-nous, il n'y a point devant Dieu de perte irréparable. Dieu tire le bien du mal, il se plaît à faire voir qu'il n'a besoin de personne pour soutenir ses oeuvres. Il lui a plu de nous ôter un secours qu'il nous avait donné dans sa miséricorde ; il saura bien nous en donner un autre dans sa sagesse". Madame de Saisseval et Mademoiselle d'Acosta, nommée assistante de Mère de Cicé à la place de Madame de Carcado remplacent dorénavant cette dernière dans les communications régulières entre les deux co-fondateurs.

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(1) Lettres, p.561-562.

o


CHAPITRE

V

TRANSFERT DU PERE DE CLORIVIERE. Une série de suspenses précède le transfert du Père de Clorivière de la prison du Temple à la Maison de santé, près la Barrière du Trône, 'témoignant ainsi de l'atmosphère où vivent les fondateurs. Une lettre du samedi 26 mars 1808 avertit Mère de Cicé du transfert probable :

(1)

"On parle de la démolition prochaine du Temple ; elle doit être faite dans le cours d'avril ; ce sont les ordres de l'empereur ; on a déjà pris les dimensions pour cela ; les prisonniers seront transférés au château de Vincennes. Que la volonté de Dieu soit faite..." Le 1er avril 1808 (2) la proximité du transfert se confirme : "On travaille déjà à la démolition du Temple. Je ne sais si je serai transféré ou non à Vincennes ; ne nous en inquiétons pas. La Providence voit tout et règle tout avec douceur, et tout se fait pour le bien de ceux qui L'aiment". Celle du 5 avril (3) parlant de la même éventualité, dépeint les sentiments du prisonnier face à des conditions peu favorables : "Notre translation n'est pas éloignée ; on assure qu'elle doit être faite avant le vingt de ce mois. Elle aura sans doute bien des inconvénients pour nous. Nos communications ne pourront plus être les mêmes, mais Dieu le veut et ne doit-on pas s'estimer heureux d'avoir quelque chose à Lui offrir. Efforçons-nous d'entrer dans ses adorables desseins et de n'avoir point d'autre volonté que la sienne. Il sait comme il lui plaît faire servir tout à sa gloire et au plus grand bien de ceux qui désirent lui plaire. Voici une petite prière que je fais tous les jours depuis quelque temps et que vous feriez bien de faire à cette intention...t Que je reçoive avec une égale reconnaissance les biens et les maux de vos mains, ô Divin Jésus, comme Vous-même avez reçu des mains de votre Père le calice amer de votre Passion. Vous qui, comme Dieu, vivez et régnez avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. En voici une autre que je fais aussi tous les jours depuis le temps de ma détention...: Je Vous rends, Seigneur, de très humbles actions de grâces pour

(1) Lettres, p.580. (2) Lettres, p.582-583. (3) Lettres, p.583-584.


cette croix précieuse que vous m'avez envoyée dans votre grande miséricorde et je vous demande une grâce abondante pour la porter avec joie : Par Jésus-Christ Notre Seigneur. Ainsi soit-il". Le 8 avril le Père parle encore à Mère de Cicé (1) du transfert possible à Vincennes et de ses inconvénients, toujours dans la même ligne d'abandon à la Providence. Un paragraphe retient notre attention sur Mr Maugendre (2) le destinataire de l'écrit connu sous le nom d'Exposé de mai 1808 : "J'ai eu le plaisir de voir hier mademoiselle d'Acosta ; ce qu'elle m'a dit de Monsieur Maugendre à Rennes me paraît fort bon. Il sera je crois à propos que je lui écrive une lettre un peu détaillée, quand mademoiselle d'Acosta retournera à Rennes, pour lui donner une juste idée de nos Sociétés, supposé que je sois alors en état de le faire".

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Le mardi 12 avril voit naître un sérieux espoir d'éviter Vincennes " Je vous ai fait dire par Laurence qu'il n'était plus question de Vincennes pour moi ; on m'en a donné depuis de nouvelles assurances ainsi qu'à madame de Saisseval et à mademoiselle d'Acosta". Diverses démarches sont en cours, mais le Père est habitué

aux

incertitudes : "Je n'attends rien que de Dieu ; les hommes sans s'en douter ne font qu'exécuter sa volonté. On m'avait donné d'une autre part...des espérances d'une entière liberté, mais je sais maintenant qu'elles se sont évanouies..." et au bas de cette lettre : "Dieu me fait la grâce d'être prêt à tout, et de vouloir tout ce qu'il voudra".

(1) Lettres, p.584-585. (2) Les archives de l'église Notre-Dame de Rennes conservent divers témoignages de la présence en cette ville de 1801 à 1815 de Mr Maugendre, curé chanoine de St Pierre (ex église St Jean devenue en 1803 cathédrale provisoire sous le patronage de St Pierre; redevenue église paroissiale en 1844, elle prît alors le nom de Notre-Dame en St Mélaine. L'ancienne abbaye St Mélaine était voisine de l'église St Jean). Voir en appendice, la photocopie d'une lettre de Mr Maugendre conservée aux archives de la ville de Rennes. (3) Lettres,

p.586.


- ]àé Le 3 mai on semble approcher du but :

(1)

"On transporte aujourd'hui du Temple en différentes prisons de Paris une quinzaine de personnes. Je vais promptement plier bagage, je n'ai que le temps de vous dire bonjour et de vous souhaiter une bonne santé". Premier vendredi de mai, 6,

1808 (2), nouveau suspense :

"Il faut qu'il y ait eu quelque changement dans les dispositions du ministre. Personne n'a encore été transféré, comme on l'avait annoncé lundi dernier ; on ne sait qu'en penser ; grâce à Dieu, je n'en suis pas moins tranquille". Si le Père de Clorivière, à travers tout événement, petit

ou

grand, paraît établi dans une sorte "d'immutabilité dans l'abandon", nous ne devons pas oublier l'héroïsme silencieux et douloureux de Mère de Cicé. A chaque déception nouvelle, et elles furent nombreuses au cours de ces quatre années, elle aussi dans la fidélité de son amour s'abandonnait â la Providence. Le 8 mai, on semble toucher le but :

(3)

"Son Excellence le ministre de la Police m'a fait dire par M. Fauconnier (4) qu'il avait consenti que je fusse transféré à la maison de santé que j'avais demandée; qu'il m'y ferait conduire au plus tôt ; que je n'avais qu'à me tenir tout prêt, mais il n'a pas dit le jour'. Le mardi 17 mai, nouveau délai :

(5)

"Il est assez surprenant qu'on me laisse encore ici après des assurances expresses et réitérées du ministre...Je vois en cela la volonté du Grand Maître". Une fois de plus, on constate le bel équilibre naturel et surnaturel du Père, car il ajoute : "En attendant, je tâche de ne pas perdre mon temps. Je m'occupe en ce moment d'une épître que je compte envoyer à monsieur Maugendre par mademoiselle d'Acosta".

(1) Lettres, p.591. (2) Lettres, p.592. (3) Lettres, p.593. (4) Le concierge de la prison du Temple, très favorable au Père de Clorivière. (5) Lettres, p.593.


Ce fut le 21 mai (1) que le Père de Clorivière fut enfin transféré à la maison de santé dirigé par le docteur Dubuisson, près la Barrière du Trône. Les pensionnaires de la dite maison étaient des malades mentaux. Leur contact était pénible. La douceur et la paix du Père de Clorivière leur furent bienfaisantes. Il y avait une chapelle sur place ; après une privation de quatre années, la grâce immense de célébrer l'Eucharistie (2) est rendue au Père. Les visites devenues plus faciles devaient cependant se faire avec prudence le Père étant toujours sous la surveillance de la police. Une lettre de Mme de Saisseval à Mme de Clermont du 14 juillet 1808 nous renseigne à ce sujet : "Il n'y a personne dans la maison qui puisse lui faire de société, par conséquent il est dans une grande solitude. La grande distance et la prudence obligent à y aller peu, on ne dit même qu'aux plus intimes de nos amies où il est et la facilité qu'on a à le voir". Pès son arrivée chez le docteur Dubuisson le Père dut se remettre au travail pour achever sa lettre à Mr Maugendre, celle-ci porte en effet la date du 29 mai 1808. Elle a pour titre : Exposé de l'oeuvre que nous avons entreprise pour la gloire de Dieu et le bien de son Eglise".

(3)

Depuis 1790 l'une et l'autre Société ont été affrontées aux réalités sanglantes de la Révolution, puis aux embûches et aux persécutions

(1) Ce transfert est mentionné dans un document de la Police : n° 5588. Le 3 juin 1808. Réponse à la note du 14 mai dernier. Picot Clos Rivière, détenu au Temple, dont Son Excellence a ordonné le transfërement dans une maison de réclusion. Le Sr. Picot ayant fait choix de la maison de santé tenue par le Sr Dubuisson, rue du Faubourg St Antoine, n° 333, et sa famille ayant arrêté le prix de sa pension, il a été transféré dans cette maison le 21 mai et le Sr Dubuisson s'est engagé, sous sa responsabilité personnelle, de prendre les mesures et d'employer les moyens nécessaires pour prévenir l'évasion de ce prisonnier, qui ne doit, sous aucun prétexte sortir de cette maison sans l'autorisation de Son Excellence, et par lequel seront supportés tous les frais que son séjour y occasionnera. Pour le ministre. approuvé. (On ne retrouve pas trace du court internement à Vincennes mentionné par certains biographes). (2) cf. M. de Bellevue, op. cit., p.257-258. (3) D.C., p.441-475.


->$de la politique religieuse de l'empire dont le déclin ne s'annonce pas encore. Les deux fondateurs ont été gravement compromis dans l'attentat de la machine infernale, et ils sont à la tête d'associations religieuses clandestines. Après quatre années d'emprisonnement au Temple, le Père de Clorivière n'a pas encore recouvré sa liberté. Mère de Cicé est toujours plus ou moins surveillée par la police. Dans les différents diocèses, les assemblées des membres doivent encore se faire avec la plus grande discrétion. Comment, avec tout ce poids d'existence et d'expérience, le Père

va-t-il composer l'exposé de l'Oeuvre, exposé destiné à une large

diffusion par l'intermédiaire du curé de paroisse auquel il est adressé ? En suivant de près le texte de ce document on constate la continuité de la conception du fondateur, quant au "régime intérieur" des Sociétés, la fidélité de ses souvenirs, la lucidité et la pertinence avec laquelle mettant à profit les difficultés et les objections rencontrées il donne de nouvelles précisions sur le "régime extérieur". En raison de l'importance de ce document, nous en indiquons ici les principales articulations. "La formation des Ordres religieux" au cours des siècles, comme disposition providentielle pour venir au secours de l'Eglise et des fidèles est évoquée une fois encore par le Père de Clorivière.(1)

Il rap-

pelle le témoignage de saint Benoît, saint Bruno, .saint Dominique, saint François, saint Ignace. "Ce moyen nous est ôté", les peuples le repoussent loin d'eux, "Mais l'Esprit régénérateur subsiste et subsistera toujours avec l'Eglise. Il a fait connaître...qu'en recueillant avec soin les étincelles de ce feu divin (la vie religieuse) qu'il avait autrefois suscité pour la réforme du peuple chrétien, il fallait prendre une route un peu différente". Cette route sera celle indiquée par l'inspiration reçue d'en haut, c'est-à-dire : de sociétés religieuses d'une forme toute nouvelle. Les obligations imposées par cette oeuvre sont "les voeux substantiels de la Religion" auxquels

"il faut principalement s'attacher,

non pas transitoirement, mais de la manière la plus fixe et la plus constante".

(1) Fascicule II* "Le Projet du Père de Clorivière", p.6-7.


Ces* voeux dont le Père donne un commentaire rapide, "ont parmi nous la même force et n'exigent pas de nous, quant à l'esprit, des dispositions moins parfaites que dans les anciens Ordres religieux les plus fervents". Suivent des précisions quant à la pratique extérieure des voeux de pauvreté et d'obéissance. On peut noter ici, car c'est une des lignes de force de la spiritualité religieuse du fondateur, la confiance faite aux exigences

de

l'amour pour informer les modalités extérieures nécessaires aux fins des Sociétés. Parmi "les moyens pour remplir ces obligations", il désigne comme "le plus efficace... 1'abondance des grâces et des lumières que... nous devons attendre avec confiance de la bonté du Seigneur, pour atteindre la fin à laquelle II a daigné nous appeler. Plus cette fin est sublime, plus il s'y rencontre de difficultés, plus nous pouvons nous rendre témoignage que nous n'avons pas entrepris de nous-mêmes une chose si fort au-dessus de nos forces". Il faut pour cela "une vocation divine". Suivent les autres moyens traditionnels inspirés par l'Esprit Saint : "des Règles...des Supérieurs... 1'union, les prières, l'exemple de nos frères...de fréquentes réunions spirituelles, de pieux colloques, des ■ exhortations S la pratique des Conseils ëvangéliques...la solitude et le silence". Le Père aborde ensuite un point crucial : "il est nécessaire de se former une juste notion du Corps". Faire lucidement la distinction entre le "régime intérieur"

et le

"régime extérieur" est actuellement

question de vie ou de mort pour les Sociétés. Il pose alors directement la question : "Ce Corps doit-il être regardé comme un Corps religieux ou non ?" Nous connaissons la réponse donnée maintes fois : oui devant Dieu et l'Eglise,

(1)

non devant les hommes qui utiliseraient cette connaissance pour le détruire.

(1) Le Père veut toujours l'approbation de l'Eglise. D'où son recours au Souverain Pontife quand les évêques sont moralement privés de leur liberté vis-à-vis des sociétés religieuses.


- \60r D'où les mises au point du fondateur : "Il n'est point douteux que ce Corps ne puisse être, à bien des égards et dans ses rapports spirituels, 'regardé comme un Corps religieux. Il emprunte des Corps religieux ses voeux, ses règles, ses moyens de perfection. Il en a toute l'excellence, le mérite, les effets ; on peut même lui appliquer cette définition qu'on donne assez communément de l'état religieux : l'état de ceux qui tendent à la perfection par l'observance des Voeux de Pauvreté, de Chasteté et d'Obéissance. C'est pour ces raisons- que, considérant ce Corps presque uniquement sous ces rapports spirituels, nous l'avons constamment représenté comme un Corps religieux. D'un autre côté, si l'on considère ce Corps à l'extérieur et sous ses rapports avec les autres classes de la société civile et toutes les autorités, soit ecclésiastiques soit séculières, on peut dire avec vérité qu'il n'a rien au dehors de commun avec les Ordres religieux, ni habitation commune, ni vêtement uniforme, ni séparation des personnes qui vivent dans le monde, ni privilèges, ni exemptions particulières ; il laisse ceux qu'il admet au nombre de ses membres avec les mêmes droits, les mêmes charges, les mêmes devoirs que les autres citoyens". Un peu plus loin, il précise que ce Corps n'est pas substantiellement différent des Ordres religieux qui l'ont précédé, mais il est en quelque sorte "hors série". "Ce n'est point un Corps religieux particulier, qui soit distingué de ceux qui l'ont précédé. Il possède éminemment l'esprit de tous, et selon les divers besoins de l'Eglise, il doit, autant qu'il lui sera possible, suppléer à leur défaut et retracer aux yeux du monde, avec le secours de la grâce divine, les vertus qui reluisaient davantage en chacun d'eux. C'est ce que rappellent les noms qui ont ,été donnés aux deux branches principales de ce Corps". La forme de son gouvernement est en rapport avec sa fin principale : "Fait pour subvenir aux besoins de 1'Eglise... ce Corps doit participer â la forme du gouvernement de l'Eglise comme il participe à son Esprit". Ce sont là pour le fondateur des données fondamentales, c'est pourquoi : "dans sa totalité le Corps dépendra nécessairement du Souverain Pontife qui seul y pourra faire'les changements qu'il jugera plus convenablejau bien de l'Eglise et y donner des ordres auxquels tous seront obligés de se soumettre". Suivent des précisions sur la juridiction des évêques et le rôle des supérieurs. Le Père se demande ensuite "comment ce Corps peut-il se propager, atteindre sa perfection et se maintenir dans cet état". Il conclut en montrant une fois de plus la relation qui existe entre la valeur de


- ] 64 -

la vocation, les fins poursuivies et la conformité au

Coeur

du Christ

et à celui de sa Mère : "Nous sommes sous l'invocation spéciale du Coeur adorable de Jésus et de celui de sa Très Sainte Mère ; nous avons pris ces divins Coeurs pour Modèles, c'est en quelque sorte avoir contracté l'engagement d'agir en tout, soit intérieurement, soit extérieurement, avec toute la perfection dont nous sommes capables avec le secours de la grâce divine". Le fondateur s'arrête ensuite aux "préjugés qu'on pourrait se former contre la bonne oeuvre et contre le Corps en général".(1) Il cite le dernier : "Le défaut de sanction de l'autorité civile : "Cette sanction, d'après un édit impérial, est nécessaire pour l'admission d'un Corps religieux dans l'Etat. Nous en convenons sans peine, et nous reconnaissons que rien n'a nui davantage au progrès de la bonne oeuvre. Des premiers Pasteurs ont pu craindre prudemment de se mettre en opposition avec le Gouvernement et par là de nuire aux grands intérêts de la Religion. Nous respectons ce motif qui n'a rien que de louable et de religieux ; mais nous croyons pouvoir dire que s'ils eussent été plus à lieu de connaître à fond la bonne oeuvre, ils auraient vu qu'elle n'est point comprise dans les termes, ni dans l'esprit de 1'édit impérial, et qu'il ne s'agit pas de l'admission d'un nouveau Corps religieux. Si nous donnons à l'oeuvre dont il est question le nom de Corps, c'est que, pour en parler, il faut bien lui donner un nom ; mais ce n'est point un Corps dans les termes et dans le sens de l'édit impérial ; ce n'est point un Corps distinct du Corps des autres citoyens, soit ecclésiastiques, soit laies ; il n'est en rien séparé de ce Corps général qui forme l'essence même de l'Etat... Si ce Corps est religieux, ce n'est point en un sens qui puisse affecter le Gouvernement, qui intervertisse l'ordre de la Société civile en général, ni celui des familles particulières. Tout y est conforme au Concordat passé entre le Gouvernement et le Souverain Pontife. Enfin on n'y prescrit rien que ce que tout ecclésiastique, que tout Chrétien même, qui tend à la perfection évangélique, n'ait pu faire en tout temps pour y parvenir. Il paraît évidemment par là que la bonne oeuvre, ou le Corps en question, n'a pas besoin d'être nouvellement admis ni comme Corps, ni comme Religieux, ni comme nouveau (2) et qu'il ne peut être compris dans

(1) Nous restituons le titre donné à ce passage dans l'ancien texte lithographié. Ceux des D.C. sont souvent des paraphrases. (2) On retrouve la dialectique dont le Père ne se départira pas : Devant Dieu - il l'a longuement explicité dans les documents officiels précédents - c'est bien un Corps religieux et nouveau. Il ne l'est pas aux termes du Décret impérial, et il n'a pas à être connu comme tel "aux yeux des hommes".


ce qui regarde l'admission des Corps religieux. Pour l'y comprendre, il faudrait prêter au Gouvernement des vues qui ne s'accorderaient pas avec la protection marquée qu'il accorde à la Religion catholique et la profession qu'il fait de reconnaître le pouvoir spirituel. Cependant, comme parmi les personnes en autorité, il peut s'en trouver de peu favorables à la Religion, qui se prévaudraient d'une simple apparence pour contrarier la bonne oeuvre, il est plus prudent, dans les circonstances, que les premiers Pasteurs ne se déclarent pas trop ouvertement pour elle; et que nous nous contentions des approbations'ordinaires qu'ils accordent aux autres prêtres de leur Clergé". Le Père parle ensuite "Du commencement de la bonne oeuvre, de la marche qu'on y a constamment suivie, et des Approbations principales sur lesquelles elle est appuyée". (1) Ce récit qui termine l'Exposé à Mr Maugendre montre la fidélité des souvenirs du fondateur. Malgré sa brièveté et sa concision aucun détail important n'est omis, soit dans le récit de l'inspiration, soit dans la "marche de l'obéissance" constamment suivie. On notera 1'énumération des documents officiels apportés â Rome par les deux émissaires du Père de Clorivière en 1800, en vue d'obtenir la première approbation de Pie VII : "Ils portaient en outre (des lettres de recommandation) le Spécimen, le Plan de la Société des Filles du Coeur de Marie, l'explication du Sommaire, nos diverses Lettres, le Mémoire aux Evêques, et les autres écrits qui pouvaient donner au Saint-Père une plus ample connaissance de nos Sociétés". Et en 1808, comme en 1801 - date de "la lettre circulaire aux membres des

Sociétés"-(2), le Père tient à préciser que

"tous ces papiers, par ordre de Sa Sainteté furent remis â deux Cardinaux des plus distingués du Sacré Collège, et, sur le rapport avantageux qu'ils en firent...le Saint Père déclara aux Députés qu'il approuvait comme bon et utile àl'Eglise le projet qu'ils lui avaient présenté et la forme de vie qui était tracée dans nos écrits". La Société que l'on demande à Mr Maugendre de propager avec toute la discrétion et la prudence requises par le temps est bien celle des origines, celle dont l'intention primordiale est de conserver coûte que coûte la vie religieuse à l'Eglise et au monde.

(1) Titre ancien de la ôe partie. Le titre donné dans D.C., p.469 est aj outé. (2) D.C., p.347-355.


- 163-

En cette fin d'année 1808, la correspondance du Père avec Mère de Cicé se ralentit. Quand sa santé le lui permet, cette dernière peut en effet voir le Père près la Barrière du Trône. Mlle d'Acosta et Mme de Saisseval le visitent aussi.

9ème LETTRE CIRCULAIRE SUR L'EDIFICATION QUE NOUS DEVONS AU PROCHAIN En écrivant à Mr Bacoffe (28 septembre 1808)

(2), le Père de

Clorivière lui apprend qu'il travaille à "une nouvelle instruction ou lettre sur l'édification que nous devons au prochain; elle ne serait pas en état d'être remise à M. d'Aubonne avant son départ. Je lui ai fait part d'un autre écrit que j'ai fait, pareillement analogue aux circonstances. Je ne sais s'il pourra s'en procurer une copie". Cet autre écrit "pareillement analogue aux circonstances" pourrait être la lettre à Mr Maugendre ; on relève en effet bien des analogies entre les deux documents quant à l'attitude à tenir vis-à-vis "des premiers pasteurs" et du gouvernement.

(3)

Dès le point de départ, il s'agit "de tendre tous ensemble avec plus de force et de facilité à ce que la perfection évangélique a de plus sublime" et "de remplir tellement tous les devoirs de notre vocation que non seulement, nous nous rendions de jour en jour, plus agréables à sa Divine Majesté, mais encore que nous servions à l'édification de tous ceux qui ont avec nous quelques rapports". "Avant d'entrer dans mon sujet" continue le Père, "il ne sera pas hors de propos que je vous remette sous les yeux les divers objets auxquels j'ai cru devoir m'attacher par préférence dans mes lettres précédentes". Suit 1'énumération des différentes Lettres circulaires accompagnée de ce commentaire : "Nous n'avons pu traiter de ces différents objets sans passer, en quelque sorte, en revue, tous les devoirs de la vie chrétienne et religieuse. D'ailleurs, il en est suffisamment parlé dans nos plans, dans nos Règles

(1) L.C., p.299-330. (2) Lettres, p.901. (3) Les enseignements du Père de Clorivière sur l'édification à donner au prochain quels que soient l'état et la profession, conviennent à tous les temps. Ce n'est point notre objet de les détailler ici.


-16^et dans les autres écrits de la Société que vous avez entre les mains". Ce rappel est important au moment où le fondateur va montrer jusqu'où s'étend l'édification que les membres des. Sociétés doivent à tout prochain, y comprenant aussi leur attitude vis-à-vis des pouvoirs civils, même hostiles. Cette édification requiert la mise en pratique de "tous

les

devoirs de la vie chrétienne et religieuse". On retrouve toujours le même mouvement : sur le solide fondement de la vie chrétienne, l'esprit et les obligations de la vie religieuse informent toutes les dimensions de la vie partagée avec "le commun des fidèles". Mais cela suppose connaissance et assimilation de "tous les écrits qui regardent les Sociétés". Le Père précise en effet que contrairement aux "religieux qui vivaient en communauté...nous ne sommes pas extérieurement séparés du monde, nous en faisons partie ; mêlés avec les autres classes de citoyens, nous en subissons les charges, nous avons les mêmes devoirs ; et les saints engagements que nous prenons vis-à-vis de Dieu, quoique nuls à peu près devant les hommes du siècle, exigent que nous les remplissions avec toute la perfection dont nous sommes capables. C'est par là surtout que nous pouvons servir à l'édification du prochain". Après une mise au point détaillée sur la manière de concilier l'obéissance religieuse avec les autres obéissances dues aux diverses autorités, le Père aborde "nos rapports avec les autorités ecclésiastiques de chaque diocèse, l'Evêque et ceux qui gouvernent en son nom. Ces rapports regardent en premier lieu les prêtres...de la Société du Coeur de Jésus" mais aussi "tous les membres de l'une et de l'autre Société". Certes "leur plus ardent désir serait d'être, dans chaque Diocèse, entièrement à découvert au premier Pasteur, de se diriger en tout par ses conseils et par ses ordres, et de pouvoir le regarder comme l'âme et le principe de tous leurs mouvements". Mais "d'un autre côté, les circonstances sont de telle nature que nous ne pouvons pas nous adresser trop ouvertement à nos premiers Pasteurs, dans la crainte de les compromettre ; et qu'eux-mêmes, soit pour nous, soit pour eux, ou plutôt pour le bien de l'Eglise, sont comme contraints de désirer que nous gardions en nous-mêmes, jusqu'à des circonstances plus favorables les témoignages que nous voudrions leur donner de notre entier dévouement ; tant l'esprit de ténèbres est parvenu à prémunir la plupart des puissances du siècle, contre tout ce qui se ressent de l'esprit religieux". Restent les autorités civiles ; les devoirs envers le gouverne-


- I6f -

ment font l'objet d'un long exposé où le Père de Clorivière affirme que "quelque dures que paraissent ses lois, il faut s'y soumettre quand elles n'ont rien qui soit évidemment contraire à la loi divine", car "confondus avec le reste des citoyens, soumis aux mêmes charges, et devant, en vertu de notre profession, tendre à la perfection, nous leur devons en ceci l'exemple, comme dans tous les autres points de la vie chrétienne. Il convient donc que nous nous acquittions de ce devoir, non Seulement sans murmure mais avec joie, et de manière que le gouvernement soit convaincu qu'il n'y a point de sujets plus fidèles et plus soumis que ceux qui sont les plus fortement attachés à la loi de Dieu". Avec autant de prudence que d'habileté, le Père aborde alors ouvertement la question des Décrets impériaux qui a posé tant de problèmes aux membres des Sociétés : "Peut-être nous objectera-t-on que nous avons des vues contraires aux siennes (du gouvernement), que notre existence ne s'accorde pas avec ses décrets. Je dois détruire l'apparence de vérité sur laquelle cette objection est fondée. Qu'on considère avec attention ce que nous faisons, on n'y verra rien qui contrevienne à la défense portée par le gouvernement d'ériger, sans son aveu, de nouvelles Sociétés religieuses. Cette défense, en effet, ne peut tomber que sur des Sociétés séparées et qui, par quelque marque extérieure, attireraient l'attention du gouvernement. Nous ne sommes point une Société séparée du clergé séculier ; nous en sommes une portion inaliénable, et nous lui appartenons essentiellement sans aucune distinction réelle". L'argumentation reste la même, fermement établie dans la pensée du fondateur. Il insiste sur l'édification à donner en toute profession, c'est un point fondamental dans les Sociétés. La conclusion ramène les associés au Coeur du Christ et à celui de sa Mère, à la source dont tout découle : "Le salut d'un grand nombre d'âmes peut dépendre de votre fidélité dans ce point ; sans elle, vous ne répondrez que bien imparfaitement à votre vocation ; vous marquerez peu d'amour et d'intérêt pour une Société dont l'existence est peut-être attachée à l'édification qu'elle doit donner au monde, qui maintenant est dans la crise la plus terrible où il se soit jamais trouvé depuis l'établissement du Christianisme. Sans elle, encore, vous serez bien éloignés d'entrer, comme vous le devez, dans les sentiments intimes du Coeur adorable de Jésus ; vous n'aurez aucun trait de ressemblance avec celui de sa Très Sainte Mère". Si l'on rapproche cette 9ème Lettre circulaire "sur l'édification que nous devons donner au prochain" de la première sur aux sentiments du Coeur du Christ"

"la conformité

et de la 8ème sur "l'esprit intérieur"


-16$-

on constate que les trois Lettres

poursuivent un même but : la forma-

tion du religieux de la Société. Dans la 1ère Lettre circulaire, les sentiments de Jésus-Christ permettent seuls au religieux vivant au milieu du monde, d'y être "à l'image" et en quelque sorte avec les attitudes du Verbe Incarné devant le Père et au service des hommes, dans un même mouvement de charité, celui du Coeur du Christ dont celui de sa Mère est la parfaite image. Dans la Sème Lettre, la familiarité divine propre à l'homme intérieur lui donne une sorte "d'intelligence" de toutes les circonstances de sa vie privée ou publique pour les intégrer spontanément dans la pensée et les vouloirs de Dieu. Dans la 9eme Lettre, ce même religieux, citoyen à part entière, doit "édifier", au sens fort du terme, non seulement par son rayonnement dans la famille, la profession, au sein de toutes activités, mais aussi par son dévouement à la chose publique. Pour le Père de Clorivière, le religieux vivant en profondeur les vertus théologales, doit être en même temps l'homme des perspectives les plus larges et les plus concrètes, à la mesure de sa mission dans le monde. La fin de l'année 1808 est encore marquée par deux longues lettres à Mr Faucheux, ce prêtre du diocèse d'Orléans, qui, rassuré par la direction claire et ferme du fondateur, a renouvelé sa consécration en 1807.

(1) La seconde de ces lettres constitue un vrai petit traité sur

la valeur irremplaçable des voeux perpétuels dans toute société religieuse. On retrouve presque dans les mêmes termes les motifs invoqués dans la lettre écrite en mars 1801 à Mgr Cortois de Pressigny après l'approbation verbale (2). On notera seulement un des derniers paragraphes de cette lettre du 12 décembre 1808 en raison de sa vigueur d'expression :

"J'ajoute que le Souverain Pontife a formellement approuvé notre forme de vie telle qu'elle est tracée dans nos écrits qui ont été mis sous ses yeux et partout, elle y est présentée, comme un état stable et permanent, ce qui repousse bien loin ce prétendu dégagement qu'on

(1) Lettres inédites. (2) D.C., p.331-333.


-16^-

acquerrait en faisant les voeux annuels. Cette seconde supposition est donc tout à fait insoutenable, et si nous sommes fidèles a cette vocation en faisant les voeux annuels qui nous sont prescrits, notre volonté doit donner intérieurement â nos engagements toute l'étendue et la perfection dont ils sont capables, étant intimement persuadés que telle est l'intention de Jésus-Christ Notre-Seigneur et celle du successeur de Pierre, son vicaire sur la terre". Il est important de souligner ici que depuis le Décret impérial de

1804,

le fondateur a inlassablement répété,

défense des Sociétés

:

entre autres moyens de

"les voeux chez nous ne sont pas perpétuels"

témoin ce passage d'une lettre au Conseiller d'Etat Réal

:

(1),

(2)

"Cette Association (du Coeur de Jésus) paraît adaptée, autant qu'il est possible, à la forme actuelle du Gouvernement... Tout y conduit également au bien de l'Eglise et de l'Etat... Quant aux voeux qu'on fait dans l'Association, ils ont uniquement pour but cette utilité. Ils ne peuvent se faire que sous l'autorité et avec la permission de l'Ordinaire et seulement pour un an. Au bout d'un an, chacun rentre dans sa liberté. Ainsi ces voeux n'ont rien de commun avec ceux que le Gouvernement a supprimés". Il est important de noter que le Père de Clorivière, cette lettre au Conseiller d'Etat Réal,

en écrivant

contraint par les circonstances

se place uniquement sur le plan juridique :

au bout d'un an, à l'expira-

tion des voeux, juridiquement toute obligation cesse. Quand il s'adresse librement aux membres des Sociétés, sur le plan religieux :

on se donne au Seigneur pour toujours.

LA LIBERATION DU PERE DE CLORIVIERE.

Agé de 75 ans,

(1) Lettres,

il demeure

(3)

affaibli par ses cinq années de captivité,

sans

p.201.

(2) D.C., p.603. (3) Copie n° 162 a Rapport de Mr Dubois, Conseiller d'Etat, Préfet de Police, en date du 14 avril Picot Closrivière (Pierre Joseph)

ji £ l'honneur d'informer son Excellence,

1809.

le Sénateur

a

Ministre de la Police Générale, Comte de l'Empire, que, conformément à sa décision, qui m'a été communiquée par une note du 8 de ce mois, j'ai fait mettre en liberté le Sr Pierre Joseph Picot Closrivière, qui était retenu en vertu de ses ordres, depuis le 21 mai 1808, dans la maison de santé du Sr Dubuisson, rue du Faubourg St Antoine. Le Conseiller d'Etat; Préfet, Comte de l'Empire signé : Dubois


- I#-

doute est-il jugé désormais inoffensif par le ministre de. la police. Ce dernier ne peut se douter des réserves d'énergie du Përe de Cloriviëre qui lui permettront bientôt de restaurer la Compagnie de Jésus en France. M. de Belleviie nous a donné le récit de cette libération. (1) Rappelons seulement deux faits : C'est agenouillé à la chapelle de la maison de santé que le Père reçoit de la main de Mr Dubuisson son ordre de mise en liberté. N'est-ce point le Seigneur qui décide de toutes choses ? Puis en voiture, d'abord recueilli et silencieux, il dit soudain à ses compagnes : "Quelle sainte âme le Ciel vous a donné pour Mère. Vous avez toutes gagné à vivre ces années-ci sous sa direction plutôt que sous la mienne. La mienne... dont elle a supporté la rigueur avec une soumission vraiment admirable".

Et peu après : "Quelle reconnaissance ne dois-je pas

à sa courageuse discrétion qui a préservé ma vie au risque de la sienne". C'est dans les bâtiments de l'ancienne maison des Carmes, rachetés par Madame de Soyecourt après la Révolution, que le Père va loger alors. Un partie est occupée par les carmélites, une autre par des ecclésiastiques. Cette disposition se révélera providentielle ; elle donnera au Père de Cloriviëre l'occasion de contacts suivis avec le cardinal di Pietro dont l'influence et les conseils seront si efficaces pour les Sociétés.

o o

o

(1) cf. M. de Belleviie, op. cit., p.258-259.


CHAPITRE PIE VII PRISONNIER DE NAPOLEON.

VI

SAVONE - FONTAINEBLEAU.

La première moitié de l'année 1809 touche à sa fin. Des événements d'une gravité exceptionnelle vont atteindre le coeur de la chrétienté. Le 16 mai, l'Empereur a signé le décret qui réunit les Etats Pontificaux à l'Empire français, "l'empire d'Occident". Le 10 juin, le général commandant des troupes impériales à Rome

fait hisser le drapeau français

sur le Château Saint-Ange. Le jour même, Pie VII signe contre "les usurpateurs, fauteurs, conseillers, adhérents, exécutants de cette violation sacrilège" une bulle d'excommunication, placardée immédiatement sur les portes des basiliques.

(1)

Dans la nuit du 5 au 6 juillet, l'assaut est donné au palais du Quirinal et le Saint-Père est sommé - au nom de l'empereur - de renoncer à sa souveraineté temporelle. Sur son refus, une demi-heure plus tard, une voiture emmenait le Pape prisonnier, accompagné du cardinal Pacca. Après quarante-deux jours de voyage fait dans des conditions déplorables, le Saint-Père est incarcéré à Savone.(2)

Il y restera près de

trois ans, jusqu'au 9 juin 1812. Une lettre de Mère de Cicé à Amable Chenu, le 30 août 1809, fait allusion à ces douloureux événements :

n'en mais pour pour

"Je ne vous parlerai point des nouvelles affligeantes qui, je doute pas, sont le sujet de vos prières. Attachons-nous plus que jad'esprit et de coeur à l'Eglise de Jésus-Christ et prions beaucoup le Souverain Pontife. Nous nous unissons toutes, d'esprit et de coeur implorer les miséricordes de Dieu sur toutes et sur notre patrie". En gardant Pie VII à Savone, loin de Rome, l'empereur nourrissait

le projet de l'acclimater peu à peu à l'idée de s'établir en France. Séparé de "ses méchants conseillers" (3), cet homme âgé finirait bien par céder ; on l'installerait alors grandement à Paris au Palais de l'Archevêché (4). Ayant comme il le disait, "son pape" sous la main, Napoléon

(1) cf. J. Leflon, op. cit.,p.250. (2) Savone, ville située sur la riviera italienne, à 40 kms de Gênes. (3) Nouvelle Histoire de 1'Eglise...t.4, p.294. (4) Le palais de l'Archevêché où Napoléon pressait les aménagements se trouvait alors au chevet de Notre-Dame dans l'île de la Cité.


- 170-

pensait pouvoir le manoeuvrer au profit de sa politique européenne. En- attendant, les archives du Saint-Siège étaient au début de ]8]0 transportées à 1'hôtel de Soubise à Paris ; vingt-huit cardinaux étaient établis dans la capitale, bon gré, mal gré. Parmi eux se trouvait le cardinal di Pietro. Ce dernier d'abord logé au collège des Irlandais mais vite soupçonné de compter parmi "les méchants conseillers" fut prié par le directeur du collège de chercher gîte ailleurs. Accueilli par Mme de Soyecourt dans l'immeuble des carmélites, il eut l'occasion de faire intime connaissance avec le Père de Cloriviëre. Cependant, à Savone, Pie VII privé de l'indépendance nécessaire à sa fonction, sauvegarde son pouvoir spirituel et refuse de donner l'investiture canonique aux éveques nommés indûment par l'empereur. Il

en

résulte de graves inconvénients, notamment dans l'opinion du clergé et des catholiques avertis. Dix-sept diocèses se trouvent bientôt sans pasteurs légitimes, dont celui de Paris où Napoléon pour remplacer le cardinal de Belloy décédé, a nommé le cardinal Maury, transfuge de la cause royaliste, mais sensible à l'appât des honneurs. A cette querelle des investitures s'ajoute un nouveau différend. L'empereur a résolu de rompre son mariage avec l'impératrice Joséphine qui ne peut assurer d'héritier à la dynastie impériale. Le mariage civil est facilement cassé par le Sénat ; reste le mariage religieux. L'Officialité de Paris reconnaît sa nullité, les formes canoniques n'ayant pas été observées, et surtout Napoléon n'a donné qu'un "consentement simulé". Les cardinaux italiens demeurant à Paris sont fort embarrassés, les causes matrimoniales des souverains étant toujours réservées au Saint-Siège. D'où l'abstention de treize de ces cardinaux à la cérémonie du mariage de l'empereur avec l'archiduchesse Marie-Louise d'Autriche, le 1er avril 1810 à Notre-Dame. C'était une humiliation publique infligée à Napoléon, et surtout ce geste pouvait jeter un doute sur la légitimité de sa future descendance. Victimes de sa vindicte, les coupables furent privés de leurs pensions et de la pourpre, insigne de leur dignité, d'où le surnom de "cardinaux noirs" que leur a conservé l'histoire. Ils furent ensuite exilés en province et placés sous la surveillance de la police. Le cardinal di Pietro qui était du nombre fut envoyé à Semur-en Auxois.

(1) V. Bindel, op. cit., p.54.

(1)


-mNous n'avons pas à détailler ici les essais successifs de deux "conseils ecclésiastiques" convoqués par l'Empereur, l'un en 1810, l'autre en 1811 pour chercher - en vain - à résoudre la question des investitures. Une réunion de 95 cardinaux, archevêques et évêques, improprement dénommée concile, ouverte en grande pompe à Notre-Dame, le 17 juin 1811 resta elle aussi sans résultat (1) malgré deux sessions mouvementées et l'emprisonnement de trois évêques. Après des tractations répétées et douloureuses avec Pie VII, à Savone, l'intransigeance de l'Emperéur provoqua une réaction énergique du Souverain Pontife qui finalement refusa le décret dont les compromis avaient été si laborieusement préparés pour sortir l'Eglise de France de l'impasse. Napoléon se persuada alors qu'il réussirait à convaincre "ce vieil homme" là où les évêques envoyés en ambassade avaient échoué. Il fallait donc rapprocher Pie VII de Paris. Avant d'engager la funeste campagne de Russie, ordre fut donc donné de transférer le pape de Savone à Fontainebleau. Le voyage en voiture, incognito, dans des conditions déplorables, dura du 9 au 19 juin 1812 et mit en danger la vie de Pie VII. Tombé gravement malade au Mont-Cenis, il arriva très affaibli à Fontainebleau.

RENCONTRE PROVIDENTIELLE DU PERE DE CLORIVIËRE AVEC LE CARDINAL DI PIETRO. Avant d'aller plus avant, il nous faut revenir légèrement en arrière au moment de la rencontre providentielle du Père de Cloriviëre avec le cardinal di Pietro, sous le toit hospitalier de Mme de Soyecourt. Cette rencontre est de grande conséquence en raison de la personnalité du cardinal et de la confiance exceptionnelle que lui accordaient les Souverains Pontifes. Déjà Pie VI en 1799 lui avait confié la direction

des

(1) Il est intéressant de noter ici que, dans son Commentaire après la Cène (XIV), le Père de Cloriviëre qui a été contemporain de ces événements précise : "Le chef de l'Eglise doit présider par lui-même ou par ses légats à tous les conciles. Sans son approbation, les décrets des conciles sont sans force. Le pouvoir donné spécialement à Pierre n'a pas été confié aux autres apôtres que collectivement et conjointement avec Pierre". C'était justement le fond du débat du pseudo-concile de 181]. Cf. aussi Vatican II, Décret sur la charge pastorale des évêques dans l'Eglise, n°2-3-4.


-171affaires ecclésiastiques durant sa captivité et il comptait parmi les conseillers les plus sûrs de Pie VII. Le 30 novembre 1810, par un bref daté de Savone, le Pape le nomme Délégué apostolique "afin que dans les besoins extrêmes, il n'eut aucun scrupule à procurer par lui-même ou par ses collègues le salut spirituel des fidèles".

(1)

Le Père de Cloriviëre connaît déjà ces prérogatives, même si elles ne peuvent avoir un caractère officiel,"vu les circonstances, quand il écrit le 23 mai 1810 à Mr Moreau (prêtre du diocèse de Besançon)

(2),

qui lui aussi, comme tant d'autres, a besoin de précisions et d'encouragements : "Tout récemment, la Providence m'a fait avoir des rapports assez particuliers avec celui des Cardinaux qu'on regarde comme spécialement délégué du S.P. (du Saint-Père); dans mes entretiens avec lui, je l'ai informé de tout ce qui nous regarde et en particulier de notre situation actuelle vis-à-vis de nos Evêques ; je lui ai dit que nous ne désirions rien tant que d'agir en tout avec leur approbation, et qu'en effet nous en dépendons en tout dans l'exercice du saint Ministère; mais que vu qu'ils sont eux-mêmes dans une sorte d'oppression et qu'ils ne pourraient sans se compromettre vis-à-vis du Gouvernement civil, vu ses préjugés contre tout ce qui a quelque apparence de religieux, se déclarer ouvertement pour nous, comme membres de la Société, nous croyons pouvoir en remplir les devoirs sans leur approbation expresse, d'autant plus que ces devoirs n'ont rien qui ne s'accorde parfaitement avec la perfection, soit du prêtre, soit du simple fidèle. A cela, le Cardinal a répété plusieurs fois que je faisais très bien d'agir ainsi et qu'il m'exhortait à continuer à le faire. Dans cette décision, je crois voir celle du S.Père lui-même, et nous ne pouvons rien faire de mieux que de nous y conformer". Cette lettre qui confirme la position du Père de Cloriviëre visà-vis des évêques, présente un grand intérêt. Elle permet, grâce à de sérieux indices, de situer avec probabilité l'époque où le Père a rédigé deux notes autographes possédées aux AFCM. Celles-ci ne portent ni date ni nom

de destinataire ; l'une, la plus courte, s'intitule : "Sommes-

nous des Sociétés religieuses ?", l'autre : "Pouvons-nous dire que nous sommes membres d'une Société religieuse ?", et en sous-titre : "Les Sociétés des Sacrés Coeurs de Jésus et de Marie sont-elles des Sociétés véritablement religieuses ?" (3)

(1) cf. Mémoires Consalvi, note p.245. En fait, Pie VII avait délégué le cardinal di Pietro dès son internement à Savone en 1809. (2) Lettres, p.936. (3) D.C., p.571-590.


- 17? -

Si nous nous y arrêtons, un peu longuement, c'est parce qu'elles peuvent être source de sérieuses erreurs d'interprétation pour qui n'a pas fait - à la lumière de l'histoire - une étude rigoureuse des textes du Père de Cloriviëre, s'étendant sur une période de dix années au moins. Ce travail donne l'occasion de faire pleine lumière sur ce sujet. Dès le premier abord, l'on voit qu'elles s'apparentent à la question traitée dans la lettre à Mr Maugendre': "Ce Corps doit-il être regardé comme un corps religieux ou non ?" Mais dans le document Maugendre, les dix premières pages constituent une démonstration en règle de l'authenticité de la vie religieuse des Sociétés, et il tombe sous le sens que c'est "aux yeux des hommes" qu'elles ne doivent pas être dites "Corps religieux": question de vie ou de mort dans le contexte politique d'alors. Maintenant, l'emprisonnement récent du Saint-Père et les remous qu'il provoque rendent le problème plus aigu encore. La lettre du Père de Cloriviëre à Mr Moreau prouve qu'il a soumis ce problème en détail au cardinal di Pietro, bien placé pour connaître "l'état d'oppression" où l'empereur tient, non seulement le Saint-Père, mais le clergé français. Le premier indice qui éveille l'attention est celui-ci : à la fin de cette lettre, le Père écrit au sujet de la prudence à observer vis-à-vis des évêques : "Le Cardinal a répété plusieurs fois que je faisais très bien d'agir ainsi et qu'il m'exhortait à continuer à le faire". Or, dans le document le plus long et le plus précis : "Pouvonsnous dire que nous sommes membres d'une Société religieuse ?", dans

le

paragraphe où il justifie sa conduite vis-à-vis des évêques, le Père écrit "D'ailleurs nous avons été autorisés et exhortés à le faire". Depuis 1804, le Père qui emploie une terminologie très précise, a toujours laissé entendre qu'il avait été autorisé à garder cette prudence, mais c'est la première fois qu'il ajoute le terme : exhortés. Autre indice : la qualité de celui qui exhorte. Dans la lettre à Mr Moreau, le cardinal di Pietro est désigné comme "celui des cardinaux qu'on regarde comme spécialement délégué du S.P.

(Saint-Père)".

Dans le document en cause : "Nous avons été autorisés et exhortés à le faire par ceux qui sont revêtus des pouvoirs du Souverain Pontife".


- 17^-

Soutenu et singulièrement encouragé dans sa défense de "l'oeuvre de Dieu" par le cardinal di Pietro, représentant du Saint-Père et "informé de tout ce qui nous regarde", le fondateur a eu toute la liberté d'esprit et de conscience voulue pour affirmer en quelque sorte la non existence civile des Sociétés. Mais pourquoi le Père de Cloriviëre aurait-il rédigé ce document avec les précisions qui restent à examiner ? Son contenu le suggère, mais cette même lettre â Mr Moreau paraît le confirmer. Il s'agit de rassurer certains membres des Sociétés, troublés en conscience par la situation où ils pourraient se trouver face aux autorités : "Les intentions de ces MM. (Vielle et Bres.) ont été très bonnes, je suis persuadé que leur attachement pour la famille est le même, et en vertu de cet attachement et de leur fidélité, ils n'ont pas cessé de lui appartenir par leur Consécration, même en cessant momentanément de renouveler extérieurement leurs voeux. Mais je crois que, sans blesser en rien les droits de Monseigneur l'Archevêque, sans même aller contre ses véritables intentions, que nous devons supposer avoir pour but le bien de l'Eglise et de son Diocèse, ils auraient pu ne pas suspendre leurs voeux. Voici mes raisons : c'est que nous ne formons point à l'extérieur un Corps religieux et que nous autres Clercs, nous faisons partie du Clergé séculier, comme ceux qui ne sont pas clercs parmi nous font partie de la classe commune des fidèles. Nous sommes, il est vrai, religieux devant Dieu, parce que les voeux que nous faisons sont ce qui constitue essentiellement le religieux. Mais nous ne le sommes pas extérieurement devant les hommes, parce que ces voeux se font entre Dieu et nous, qu'ils ne nous isolent en rien des autres hommes, que nous demeurons sujets aux mêmes devoirs qu'auparavant, soumis aux mêmes juridictions qu'auparavant, épiscopales, naturelles, civiles, séculières ; nous ne contractons de nouvelles obligations que celles qui peuvent perfectionner en nous celles du prêtre ou du simple fidèle ; nos règles ne prescrivent rien que ce qui convient à l'un ou à l'autre. Nos Supérieurs n'ont aucune juridiction ecclésiastique, ils ne peuvent rien commander de contraire à toute autorité légitime ; ils n'ont point d'autre pouvoir sinon de porter chacun de leurs inférieurs à la perfection propre de son état. Il me semble évident par là que le Gouvernement civil ne pouvant rien que sur ce qui est extérieur, il ne peut s'étendre en aucune manière à une Société religieuse qui n'est telle que devant Dieu et qui, comme telle, n'existe point à l'extérieur". Si l'on rapproche de ce passage le document "Pouvons-nous dire que nous sommes membres d'une Société religieuse, ?" ce dernier

apparaît

comme le développement méthodique des assertions de la lettre ci-dessus. Tout d'abord, il ne faut pas y chercher ce que le Père n'y a pas mis : les finalités des Sociétés, leur substance religieuse,

leur


- 17f-

esprit, leurs exigences d'authenticité. Tel n'est pas son objet. D'ailleurs tous ces points sont largement explicités dans les documents officiels qu'on remet aux membres des Sociétés en vue de leur formation. Mais pour certains, surtout s'ils sont chargés de responsabilités - les correspondants du Père sont souvent des supérieurs -, il semble que la cause de leurs troubles réside dans la difficulté à concilier ces trois notions : pleinement religieux devant Dieu et l'Eglise, ils ne peuvent pas toujours être connus comme tels par leur évêque, et ils doivent rester tout à fait inconnus à cet égard devant les hommes. On retrouve ici, confirmée par les difficultés concrètes rencontrées, l'intuition de 1801 : "l'essentiel à ce qu'il me semble et le noeud de la difficulté est de tellement disposer le régime extérieur et ostensible qu'il le couvre suffisamment (le régime intérieur) sans cependant l'étouffer", (1) et la nécessité de prouver : qu' "une société liée par les trois voeux qui n'aurait rien qui la distinguât et la séparât à 1'extérieur de la société commune et générale, pourrait être religieuse devant Dieu, mais elle ne le serait pas devant les hommes, qui ne peuvent juger des choses que par ce qu'ils en voient au dehors". (2) D'où première affirmation : "Dans cette Société, on se consacre pour toujours à Dieu par les trois voeux substantiels de l'état religieux". Suit la distinction entre ce que les voeux opèrent dans les "autres Sociétés religieuses" (à cette époque) et ce qu'ils n'opèrent pas dans nos Sociétés : . Dans les premières : "ceux qui font les voeux de religion sont censés mourir civilement", dans les nôtres : "chacun de ses membres conserve ses droits civils" et peut en faire usage. .Dans les premières "ils (les religieux) passent d'un état dans un autre", dans les nôtres "on ne cesse pas d'être ce qu'on était auparavant" quoiqu'on puisse changer d'emploi.

(1) D.C., p.338. (2) C'est nous qui soulignons.


-

17& -

. Dans lès premières : "ce changement d'état en entraîne d'autres très notables dans le commerce extérieur de la vie", dans les nôtres : "on ne change rien à son extérieur, à son habillement, son habitation, sa forme de vie..." Enfin, "en faisant les mêmes voeux, en prenant sur soi les mêmes obligations quant à l'essentiel (1), que les autres religieux, le prêtre séculier et le laie ne font que se perfectionner chacun d'eux dans son état". Quant aux Règles : "il est vrai que nous adoptons spécialement" celles de saint Ignace..."mais on n'exclut pas par là l'esprit des autres Règles... nous retranchons tout ce qui est extérieur... et fixé à de certains usages et devoirs qui ne conviennent qu'à ceux qui vivent en commun, comme on peut le voir dans notre explication du Sommaire". "Nos Supérieurs" ne remplacent pas "ceux qui gouvernent la société commune" et "leur autorité est toute spirituelle". Les membres des Sociétés à cette époque, connaissent clairement l'étendue et les exigences de l'obéissance à travers le Sommaire, précis de vie religieuse auquel le fondateur se réfère d'ailleurs explicitement dans les deux documents en question. Ils peuvent donc comprendre sans équivoque que "Nos Supérieurs peuvent sans doute et doivent même prescrire ou défendre ce qui serait contraire aux Conseils évangêliques que les inférieurs se sont engagés à suivre...mais cette obligation n'est que pour le for intérieur et devant Dieu". Après avoir développé ce point et évoqué la situation des Sociétés vis-à-vis des évêques, le Père de Cloriviëre conclut : "D'après cet exposé, que je proteste en présence de Dieu, être parfaitement conforme à l'idée que je conçois des Sociétés des Sacrés Coeurs de Jésus et de Marie, j'infère avec une pleine assurance que ceux qui sont membres de ces Sociétés, sont véritablement religieux devant Dieu et dans le for intérieur de la conscience, parce que nos engagements ont tout ce qui constitue.intérieurement le Religieux, et que nous en avons devant Dieu les obligations...mais qu'ils ne le sont pas, et ne peuvent pas se dire Religieux dans le for extérieur et devant les hommes, 1° Parce qu'ils ne sont pas reconnus tels par l'Eglise; 2° Parce qu'ils n'ont rien au dehors qui les désigne pour Religieux; 3° Parce qu'ils appartiennent essentiellement au clergé séculier ou à l'état commun des simples fidèles",

(1) Voir "l'essentiel religieux", Fascicule .II, "Le Projet du Père de Cloriviëre", p.12-14 et 29-34.


- 17f -

puis, sans transition, après avoir redit que "la nature des deux Sociétés est toute spirituelle", le Père enchaîne, comme si c'était la conclusion où devait aboutir toute cette argumentation : "On voit par là ce qu'il faudrait répondre à un juge qui nous demanderait ce que nous sommes". Suit immédiatement sur le même feuillet, un texte intitulé par le Père de Cloriviëre : "Questions qu'on peut nous faire et ce que nous pouvons et devons répondre à ces questions". On trouvera en appendice ce texte avec sa photocopie. Ce document apparaît ainsi comme une synthèse de la défense qu'il a fallu soutenir sur trois fronts depuis le Décret impérial. Chacun des partis en cause peut y trouver réponse. L'affirmation solennelle quant à l'idée conçue par le fondateur, inférant "avec une pleine assurance que ceux qui sont membres de ces Sociétés sont véritablement religieux devant Dieu...mais qu'ils ne le sont pas et ne peuvent pas se dire Religieux dans le for extérieur et devant les hommes", est eh accord avec la pensée du Père de Cloriviëre dès les origines : conserver la vie religieuse à l'Eglise et au monde, à l'insu des peuples. Replacées dans le contexte du temps, ces deux notes qui se recoupent, offrent un grand intérêt historique. Elles décrivent le "régime extérieur", c'est leur raison d'être, mais ne peuvent être interprétées comme un exposé du "régime intérieur". La substance de ce dernier se trouve, et dans l'inspiration du 19 juillet si souvent mentionnée par le fondateur (1), et dans le corps

de doctrine contenue dans les Lettres circulaires, et

enfin dans les différents livres de règles propres à la Société :

Plan

abrégé, Règle de Conduite, Sommaire. Par ailleurs, ces deux notes ne paraissent pas avoir été diffusées dans les Sociétés ; on ne retrouve aucun écho à ce sujet. On peut aussi remarquer que le Père de Cloriviëre ne les a pas mentionnées dans la "Liste des Ecrits relatifs aux deux Sociétés", alors qu'il a rajouté

(1) cf. Fascicule II, "Le Projet du Père de Cloriviëre", p.7-12.


- mde sa main aux autres documents déjà inscrits antérieurement : "l'Exposé de l'oeuvre que nous avons entreprise"

(rédigé pour Mr Maugendre) et la

9e Lettre circulaire "Sur l'édification que nous devons au prochain".(1)

L' 17

AUDIENCE MARS

ACCORDEE

AU

FONDATEUR

PAR LE SOUVERAIN PONTIFE

:

1813.

Nous avons signalé (2) le transfert de Pie VII de Savone Fontainebleau en juin 1812.

à

Sous des dehors moins rigoureux, il est

toujours prisonnier de Napoléon. Celui-ci rentré à Paris à la fin de cette même année pour essayer de reconstituer une armée - la retraite de Russie a décimé grande armée" - estime nécessaire d'engager de

nouveaux

"la

pourparlers

avec le Souverain Pontife. Il lui est plus utile que jamais d'arriver à ses fins pour unir à nouveau autour de lui les évêques et les catholiques français ébranlés par le traitement inique imposé à Pie VII, toujours prisonnier, en dépit des apparences. .Malgré son extrême fatigue, celui-ci résiste, inébranlable, aux propositions des évêques envoyés par l'empereur auprès de lui, notamment pour lui arracher de nouvelles modalités d'investitures épiscopales. Napoléon décide alors d'agir par lui-même. Le 19 janvier, sous prétexte d'une chasse à courre, il se rend à Fontainebleau, entre soudain dans le bureau du Saint-Père et l'embrasse avec effusion. Puis durant cinq longues journées d'entretiens, jouant tour à tour de la séduction et de la violence, il fait pression sur le pontife isolé et affaibli, et arrive à lui faire signer un document

"comme devant servir de base à un arrange-

ment définitif" et destiné à rester secret jusqu'à un accord final.

(1) cf. photocopie de cette liste en appendice. Sur l'autographe, la différence de l'encre apparaît plus nettement pour les trois lignes ajoutées postérieurement : deux dans un intervalle disponible, à la suite des lettres diverses, la troisième "Règlements sur les Maisons communes" en fin de texte. (2) ci-dessus, p.173.


- lty -

Les concessions admises par le Pape

pour une étude ultérieure

donnaient satisfaction à l'empereur sur les poîns essentiels, y compris l'investiture des évêques.

(1)

"Avec une mauvaise foi insigne, Napoléon se hâta de faire publier cet acte, et le présentant comme un véritable concordat nouveau, ordonna de célébrer par des Te Deum la réconciliation entre l'Eglise et l'Etat".(2) - "Il m'a trahi" répétait douloureusement Pie VII, "il m'a trahi". D'ailleurs, à peine sa signature extorquée, le Saint-Père était tombé dans un état d'engoisse et de prostration qui donnait les plus vives inquiétudes à son entourage. à peine.

Il refusait même de dire la messe et parlait

Mais il était heureusement soutenu par quelques-uns de ses plus

fidèles conseillers car, par diplomatie, Napoléon les avait fait revenir à Fontainebleau pour persuader Pie VII de ses bonnes intentions.

Parmi

eux se trouvaient les cardinaux Consalvi, Pacca et di Pietro. Ensemble ils estimèrent que le Souverain Pontife qui le souhaitait ardemment, devait écrire à l'empereur une lettre de rétractation. Cette lettre dont nous donnons quelques extraits est d'une humilité et d'une sincérité bouleversantes.

Dans ses Mémoires,

le cardinal

Pacca écrit que "le saint Père était si faible, si abattu qu'il pouvait à peine écrire et tracer quelques lignes par jour".

(3)

Après avoir exprimé sa surprise de ce qu'on ait "rendu public et imprimé sous le nom de Concordat, des articles qui n'étaient que la base d'un arrangement futur"..."en présence de Dieu auquel il devra rendre compte de l'usage qu'il aurait fait de la puissance à lui donnée pour le gouvernement de l'Eglise" le Saint-Père déclarait que sa conscience "oppose d'insurmontables obstacles à l'exécution des divers articles contenus dans cet écrit. Nous reconnaissons trop, dans notre confusion et notre douleur, que nous

nous servirions de notre pouvoir,

non pour édifier, mais pour

détruire,, en exécutant ce que nous avons imprudemment promis, avec

des

intentions manquant de droiture, mais

non point

par humaine fragilité,

(1) cf. Nouvelle Histoire de l'Eglise... t.4, p.299. (2) op. cit., p.299. (3) Cardinal Pacca, Mémoires, t.II, p.107, cité par J.Leflon, op. cit., p.272.


-

18$ -

comme étant poussière et cendre". Il ajoutait cependant que certains articles appelaient des amendements et qu'il se tenait prêt à un accommodement définitif mais "sur d'autres bases conciliables avec nos devoirs".

(1) Ce fut le 24 mars seulement que Pie VII fit remettre cette let-

tre à Napoléon. Furieux, celui-ci ordonna de la tenir secrète et continua à proclamer le Concordat de Fontainebleau comme loi d'Etat. Il ordonna d'enfermer le Souverain Pontife dans un isolement. total, avec défense d'introduire quiconque près de lui, même pendant sa messe. Le cardinal di Pietro tenu comme principal responsable de la rétractation de Pie VII, fut envoyé en exil à Auxonne. Les autres cardinaux reçurent l'interdiction formelle "de correspondre avec qui que ce fût".(2) Or, en rapprochant les dates, on s'aperçoit que l'audience privée du Père de Clorivière eut lieu le 17 mars, dans la matinée, la lettre de rétractation du Saint-Père n'étant pas encore terminée. Quelques jours plus tard, toutes les visites étant supprimées et le cardinal di Pietro renvoyé en disgrâce, il n'aurait pu être reçu par le Souverain Pontife. C'est donc au cours de cette semaine, lourde d'une atmosphère dramatique et douloureuse pour Pie VII, que le fondateur put l'approcher. Dès lors, tout ce qui se passe pendant cette journée du 17 prend une singulière coloration notamment quant aux marques de détente et de bienveillance données par le Saint-Père. Providentiellement, nous possédons le récit de l'audience écrit sept jours plus tard par le Père de Clorivière lui-même dans une lettre du 22 mars, adressée à Mr d'Aubonne:

(3)

"...J'ai été tout récemment, la semaine dernière, à Fontainebleau, et j'ai eu une audience particulière du Saint-Père qui m'a été procurée par Son Em. le Cardinal di Pietro, qui jouit du plus grand crédit auprès de Sa Sainteté et qui m'honore de sa bienveillance. Le Cardinal était seul présent à l'audience.

(1) cf. J. Leflon, op.

cit., p.272.

(2) V. Bindel, op. cit., p.161. (3) Lettres, p.939-940. Cette lettre est adressée en réalité non pas à Mr Loye mais à Mr d'Aubonne, prêtre de la S.C.J., supérieur des F.CM. de Dole, qui projetait alors de s'installer à Besançon, (ce qui lui aurait permis d'aider Mr Pochard après le décès de Mr Bacoffe). cf. deux lettres à Mr Pochard, p.891-892.


- 18^ -

Dans un petit discours latin que Sa Sainteté a entendu avec bonté, en lui demandant sa bénédiction pour moi et les deux familles, je lui ai rappelé l'approbation qu'elle'avait donnée à Rome, la première année de son pontificat, à notre forme de vie comme "pieuse et utile à l'Eglise". Il m'a paru que son visage s'épanouissait quand elle m'a entendu parler de cette approbation, et lui dire que c'était à elle que nous croyions devoir attribuer la grâce que le Seigneur nous avait faite de sortir sain et sauf du tourbillon de la Révolution dans laquelle nous avions pris naissance..." Le récit de la visite faite l'après-midi du même jour au cardinal di Pietro doit aussi retenir l'attention, car les deux interlocuteurs se sont déjà longuement rencontrés auparavant chez Mère de Soyecourt. On constate combien la question des voeux perpétuels est toujours au premier plan des préoccupations du fondateur : "Dans l'après-midi, je suis retourné chez le Cardinal qui demeure au Château, et il m'a dit que lorsque je suis sorti de l'audience, le SaintPère lui avait exprimé la satisfaction qu'il avait eue de me voir ; ce que je ne puis attribuer qu'au bien qu'on lui a dit de moi et aux suppliques que je lui ai présentées en divers temps, et surtout au cas qu'il fait de nos Sociétés. J'ai expliqué ensuite les points principaux qui regardent nos Sociétés, notre position actuelle, surtout vis-à-vis de nos Pasteurs, nos voeux qui, quoique emi s seulement pour un an, selon qu'il nous a été prescrit par le Souverain Pontife, nous paraissent équivalents à des voeux perpétuels, par l'intention que nous en avons et les renouvellements fréquents que nous en faisons, etc, etc.. En dernier lieu je lui ai dit que j'avais oublié de demander quelques grâces au Souverain Pontife, comme j'en avais eu le dessein... Indulgence plénière lorsqu'on fait sa première Consécration dans l'une ou l'autre de nos Sociétés. Idem quand on y émet ses voeux. Idem quand on les renouvelle deux fois l'année selon notre usage. Le Cardinal m'a dit sur le champ : "Tout ce que vous demandez vous est accordé", en nous signifiant qu'il était en son pouvoir de nous accorder ces grâces au nom de Sa Sainteté. Un de nos prêtres était présent à cette conversation". Une lettre de Mère de Cicé à Mme Rosalie de Goësbriand le 25 mars fait écho à l'audience et aux souffrances de Pie VII : "Notre bon Père a eu il y a quelques jours, 17 mars 1813, la précieuse consolation de faire le voyage de Fontainebleau et d'y voir le Saint-Père, d'y recevoir sa bénédiction, et non seulement pour lui-même mais pour tous ses enfants. Il la lui a donnée avec toute sorte d'affection et il a écouté avec beaucoup de bonté le compte qu'il lui a rendu de tout ce qui concerne sa famille, ce qui a paru le tirer un moment de l'état de tristesse et d'accablement où il est. Il ne le connaissait point encore, mais il a été présenté par un cardinal qui a toute la confiance du Saint Père et qui connaît depuis longtemps notre Père, l'aime et l'estime beaucoup .


-

181-

On nous recommande beaucoup à toutes de prier pour Sa Sainteté à qui on a rappelé les bontés qu'Elle avait eues à Rome lors de la députation qui nous intéressait. Notre Père a eu la douce consolation de s'assurer par lui-même de tout ce qui lui avait été rapporté de consolant dans cette occasion, ainsi que de la bienveillance de notre Très S,Père que Dieu veuille conserver et maintenir au milieu de toutes ces épreuves." Cinq mois après l'audience, le 27 août 1833, le Père écrit à Mr Pochard (1). Nous rapportons un passage de cette lettre, elle répète celle adressée a Mr d'Aubonne, mais du même coup nous constatons le prix que le fondateur attache toujours à l'approbation des Sociétés : "Au mois de mars j'ai été à Fontainebleau, et le 17 j'ai eu une audience particulière du Saint Père à qui j'ai été présenté par le Cardinal di Pietro qui jouissait de toute sa confiance et qui m'honore de ses bontés. Après un petit discours latin dans lequel je lui ai rappelé l'approbation qu'il nous avait donnée la première année de son pontificat, le 19 janvier 1801, je l'ai supplié de nous accorder à moi et à nos deux Sociétés sa bénédiction Apostolique, en confirmation de l'approbation qu'il nous avait donnée. Il l'a fait avec effusion de coeur. Il a aussi accueilli bien gracieusement l'offrande que je lui ai faite de mon Commentaire sur les Epîtres de St Pierre, et de plus il nous a accordé Indulgence plénière pour la 1ère Consécration, l'émission des Voeux et les jours où on les renouvelle, deux fois l'année. Dans 1'après-dîner, j'ai été revoir mon bon Cardinal, et la première chose qu'il m'a dite a été que le Saint Père lui a témoigné m'avoir vu avec satisfaction". L'heure va bientôt sonner où les sociétés religieuses se verront délivrées de l'écrasante tutelle napoléonienne.

o o

(1) Lettres, p.892.

o


- 183 -

IV 1814

-

CHAPITRE

1220 I

Sensiblement différente des précédentes, cette quatrième étape est marquée à son début, en 1814, par de graves événements politiques et religieux qui vont graduellement modifier les conditions d'existence en France et en Europe, et par contre-coup celles des Sociétés. - La France verra la chute de Napoléon et la restauration de la monarchie, - l'Eglise

y

la libération du Souverain Pontife et son retour à

Rome, - la Compagnie de Jésus, son rétablissement officiel dans le monde entier. Le Père de Clorivière en sera l'artisan pour la France. Quand les fondateurs entreront "dans la joie de leur Maître", Mère de Cicé le 26 avril 1818, le Père de Clorivière le 9 janvier 1820, ils laisseront des Sociétés religieuses prêtes à prendre le large

par

temps "paisibles", comme par temps "malheureux" (1) afin de servir l'Eglise "dans tout l'univers" (2) pour "une durée égale à celle des siècles" (3).

CHUTE DE L'EMPIRE et RESTAURATION DE LA MONARCHIE. LIBERATION DE PIE VII. Quelques semaines avant les entretiens de Fontainebleau avec Pie VII, l'empereur rentre précipitamment en France pour se reconstituer

(1) D.C., p.99-100. Cf. Fascicule II "Le Projet du Père de Clorivière", p.20-21. (2) D.C., p.18. (3) cf. D.C., p.397.

Lettres, p.895, et passim.


- 18 i| -

une nouvelle armée, la "grande armée" étant décimée par la campagne de Russie. Avec une incroyable rapidité, ce sera chose faite en quelques mois. Mais ces 300.000 jeunes recrues, trop hâtivement formées, ne pourront contenir l'avance des armées alliées, malgré le génie militaire de Napoléon et des victoires, partielles. L'invasion de la France commencée fin décembre 1813 s'étend progressivement en 1814. Le 31 mars, les troupes alliées occupent Paris. Le 3 avril, le Sénat et le Corps législatif votent la déchéance de Napoléon Bonaparte et de sa famille. Celui-ci ne veut pas s'avouer vaincu. Ce même 31 mars, il était à Fontainebleau avec sa "Vieille Garde" (1) prêt à livrer bataille. Ses maréchaux refusèrent le combat. Le 6 avril 1814, Napoléon est obligé d'abdiquer sans condition. Le 20, il s'embarque pour l'île d'Elbe, en Méditerranée. Le jour même de l'abdication, le 6 avril, le Sénat impérial avait proclamé roi de France, Louis XVIII, frère de Louis XVI. Dès le début de 1814, le 21 janvier, l'empereur estimant sans doute que la présence du Souverain Pontife à Fontainebleau pouvait être une source de complications avec les alliés, avait donné l'ordre de reconduire Pie VII à Savone. Le 17 février, le Saint-Père y retrouvait son ancienne résidence. Pendant ce temps, Murât, roi de Naples, trahissait Napoléon son beau-frère, en négociant avec les Autrichiens pour essayer d'annexer les Etats romains à son royaume. Napoléon, dans l'espoir de créer des embarras au traître donna l'ordre de laisser le Souverain Pontife rentrer à Rome. Le 24 mai 1814, la population romaine faisait un accueil triomphal à son souverain retrouvé. En vrai serviteur de l'Evangile, celui que l'empereur avait tant fait souffrir physiquement et moralement, donna asile à Rome aux membres de sa famille proscrite.

(1) C'était le titre donné aux vieux grenadiers, échappés aux combats meurtriers des campagnes napoléoniennes en Europe. Ils avaient voué une admiration et une fidélité indéfectible à leur chef.


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18$ -

LA RESTAURATION DE LA COMPAGNIE DE JESUS DANS LE MONDE ET EN FRANCE. Le 7 août 1814, à Rome, dans l'église du Gesù (1), Pie VII entouré du Sacré Collège et d'un grand nombre d'évêques, célébrait le saintsacrifice sur l'autel de saint Ignace, et faisait lire la bulle "Sollicitude omnium Ecclesiarum" qui rétablissait solennellement la Compagnie de Jésus dans l'Eglise entière. Rappelons que, contre toute attente, la Compagnie supprimée dans les Etats catholiques en 1773, avait été maintenue en Russie par l'impératrice Catherine II, celle-ci ayant fait arrêter à la frontière le Bref de suppression "Dominus ac Redemptor". L'année suivante, Clément XIV, et un peu plus tard Pie VI autorisaient verbalement cette situation exceptionnelle, confirmée publiquement en 180] par le bref "Catholicae fidei".

(2)

Nous n'avons pas à nous attarder ici sur les différents événements qui préparèrent la restauration officielle de la Compagnie. Ce qui nous intéresse au premier chef est le choix du Père de Clorivière fait en juin 1814 par le Père Brzozowski, Supérieur général, pour assurer le rétablissement de la Compagnie en France.

L'instrument toujours disponible. Avant d'évoquer l'étonnante activité avec laquelle ce religieux qui venait d'entrer dans sa quatre-vingtième année remplit sa mission, il convient de rappeler son inébranlable attachement à sa vocation. La constance de ses attitudes à travers une histoire mouvementée s'il en fut, est révélatrice. Une ligne de fond se dégage : la spiritualité de "l'instrument" toujours disponible. Elle marque toute la vie du Père de Clorivière, il l'a léguée à la Société des Filles du Coeur de Marie. L'inspiration de 1790 se présente d'abord à lui comme un moyen de rétablir en secret la Compagnie en France. Les obstacles rapidement rencontrés lui font comprendre que telle n'est pas la volonté de Dieu. Docile,

(1) tglise des Pères jésuites à Rome. (2) cf. J.Terrien, op.cit., p.551-552 et 558.


- 186l'instfument s'incline devant les desseins de la Providence, mais il n'en reste pas moins fidèle à sa vocation première. Détaché de ses fondations que d'autres, pense-t-il, peuvent soutenir, il se prépare à partir en mission, au Maryland, où peut-être sera-t-il possible de faire revivre sa chère Compagnie. Mais son évêque lui désigne la France comme champ d'apostolat où l'appelle un plus grand service de l'Eglise par le moyen des deux Sociétés. Docile, disponible, le Père de Clorivière se livre tout entier à sa tâche. Fondateur, il a créé deux Sociétés religieuses et les a dotées d'un corps de doctrine spirituelle adapté ; cependant il est sans attache et reste prêt à se dessaisir de "l'oeuvre de Dieu": elle n'est pas la sienne. Il reste et restera toujours "l'instrument" détaché de lui-même. En ]805, prisonnier au Temple, dès qu'il en a l'occasion, il fait passer une lettre au Père Général, en Russie (1). Après lui

avoir

parlé des Sociétés qu'il a fondées, il se déclare prêt à en abandonner la direction si le Père Général estime que c'est un empêchement â

sa

réadmission dans la Compagnie. Le Père Antoine Lustyg, vicaire général après la mort du Père Gruber, répond que le Père de Clorivière peut continuer à soutenir les Sociétés, si utiles â l'Eglise de France, tout en étant membre de Compagnie.

la

Il est alors incorporé à la Province de Russie.

En 1809, dès sa libération, il se remet entre les mains du nouveau Supérieur Général, le Père Brzozowski. L'archevêque de Baltimore, Mgr Caroll, ne l'a pas oublié et lui demande de venir assurer la formation des novices de la Compagnie en Amérique Nord. Malgré ses 75 ans et le gouvernement des deux Sociétés, le Père de Clorivière déclare : "si Sa Paternité jugeait que son départ fut plus conforme à la volonté divine, et si elle lui ordonnait d'accéder aux désirs de sa Grandeur (Mgr Caroll), il ferait tout pour partir sans aucun retard". Le Père Général lui répond en juin ]8]0 qu'il est préférable de rester en France et de continuer à s'occuper de ses oeuvres qui

(1) cf. J.Terrien, op. cit., p.563-566.


- 18$. "dans ces temps calamiteux pour l'Eglise, contribuaient si puissamment à étendre la gloire de Dieu". . Dès le rétablissement de la monarchie en France, le Père de Clorivière estimant possible la résurrection de la Compagnie écrit au Père Brzozowski pour se mettre de nouveau à sa disposition : "Commandez, mon Révérend Père, tout ce que j'ai de force est à vous, en quelque lieu du monde que ce soit ; je veux faire au-delà même du possible ; l'obéissance multipliera mes forces, la confiance augmentera mon courage. Dieu me donnera de pouvoir ; ce que je ne pourrai par moimême, peut-être le pourrai-je par d'autres. S'il se fait ici selon nos désirs, je ne demande, je n'ambitionne qu'un tout petit coin, où je puisse mourir obscur et inconnu". La réponse du Père Général ne tarde pas : en juin 1814, il charge le Père de Clorivière de préparer lui-même les voies au prochain rétablissement de la Compagnie en France.

Restaurateur de la Compagnie en France. Avec énergie et jeunesse de coeur, le Père se livre à cette nouvelle tâche. Dès le 19 juillet 1814, il recevait les premiers novices, dont le nombre montait à soixante à la fin de 1814. Une lettre de Mère de Cicé à Amable Chenu le 23 octobre de cette même année nous apprend beaucoup de choses en quelques lignes : "Notre bon Père, dont je ne vous dis rien, est absent à donner une retraite aux anciens Pères de la Foi qui deviennent Jésuites. Dieu veuille qu'ils soient pleinement rétablis en France ; en attendant ils se forment de plus en plus au régime de la Compagnie de Jésus... Quant à nous, prions beaucoup pour le succès de tout ce que notre bon Père entreprend pour la plus grande gloire de Dieu. Il ne nous perd pas de vue et ne compte remettre sa supériorité à un autre que quand il sera parvenu à donner aux petites Sociétés une consistance et une approbation entière du Saint-Père". Malgré ses occupations absorbantes, le Père de Clorivière ne perd donc pas de vue les Filles du Coeur de Marie. Il veut donner de la "consistance" aux deux Sociétés avant de remettre sa supériorité à un autre et il renonce moins que jamais à l'espoir d' obtenir "une approbation entière du Saint-Père." (1) (1) Trois lettres de Mère de Cicé datées de 1816 témoignent des efforts entrepris par le Père de Clorivière cette année-là. Il profite du voyage d'un prêtre du Coeur de Jésus à Rome pour tenter une nouvelle démarche près de Pie VII. On en trouvera le détail ailleurs, cf. Fascicule IV, "Approbations données par l'Eglise à la Société des Filles du Coeur de Marie", p.22-23.


- 198 -

L'Eglise de France commence à respirer plus librement, les dispositifs de défense et de prudence pourront se relâcher peu à peu. Au cours des "Cent Jours" (1), mars-juin 1815, pendant le règne éphémère de Napoléon, le Père aura encore à subir une descente de police à la maison de la Compagnie, rue des Postes. Il sait de longue date comment traiter avec les policiers. Sa paix et son assurance le feront relâcher aussitôt après l'interrogatoire.

(2)

Nous ne le suivrons pas dans ses différentes fondations en tant que Provincial de la Compagnie, entre 1814 et 1818 : Saint Acheul, Bordeaux, Montmorillon, Soissons ; les petits séminaires de Sainte Anne d'Auray, Forcalquier, et finalement Laval.

(3)

Le Père Général voudrait le faire aider ; il écrit notamment au Provincial d'Angleterre :

(4)

"Je vous demande en grâce d'envoyer le Père Charles Forester (Fleury) à Paris, au secours du Père de Clorivière qui succombe sous le poids ; car si ce bon Père vient à mourir, ç'en est fait des espérances de la Compagnie en France". Mais il s'avère impossible de libérer le Père Fleury : le Père de Clorivière reste encore seul à porter le lourd fardeau. En avril 1817 le Père Général lui écrit :

(5)

"Elle (la Compagnie) vous doit de la reconnaissance pour le zèle, la prudence, l'activité que vous avez montrés, dans un temps où

(1) Conscient des difficultés rencontrées par les Bourbons en France, et confiant en son étoile, Napoléon s'était évadé de l'île d'Elbe le 26 février 1815, pour tenter de rétablir son pouvoir impérial. Malgré des succès dus à son ascendant prestigieux et à la fidélité de sa Vieille Garde, il fut battu à Waterloo le 18 juin 1815, et gardé prisonnier par les Anglais à Sainte Hélène, île de l'Atlantique sud, jusqu'à sa mort le 5 mai 1821. (2) cf. J.Terrien, op. cit.,p.589-591. (3) cf. J.Terrien, op. cit.,p.575-587 et 592 sq. (4) J. Terrien, op. cit., p.593. (5) M. de Bellevue, op. cit., p.372.


- 18

votre âge eût pu paraître une excuse bien légitime pour vous soustraire â tant de soins et de fatigues. Si tout, dans le commencement, n'a pas été entièrement conforme à notre Institut, c'est uniquement aux circonstances qu'il faut l'imputer. L'empressement que vous me témoignez à entrer dans mes vues, dès que la chose est possible, et malgré les difficultés très réelles qui existent encore, me confirme de plus en plus dans l'opinion que j'ai toujours eue, que c'est une disposition particulière de la divine Providence qui vous a conservé pour le rétablissement de la Compagnie en France". Un autre que ce grand religieux aurait pu se prévaloir de ces éloges du Père Général, mais son humilité et son obéissance sont d'une autre trempe. En juin 1817, après avoir réitéré sa demande d'être déchargé le Père de Clorivière écrit comme il le pense :

(1)

"Si pendant le temps que j'ai été supérieur, il m'est échappé quelque chose qui ne fut pas parfaitement conforme aux intentions de Votre Paternité, je ne doute pas qu'elle ait la bonté de le pardonner et de 1' im puter plutôt à l'ignorance qu'à aucun défaut de bonne volonté". En décembre 1817 le Père de Clorivière doit renoncer à dire sa messe en raison d'une cécité presque totale. Quant au début de 1818

le

Père Général le décharge enfin de sa fonction de Provincial, confiée au Père Simpson, il a vraiment servi la Compagnie jusqu'à l'extrémité de ses forces.

Dernières années et derniers travaux du Père de Clorivière. Tout au long de sa vie mouvementée, vrai fils de saint Ignace, il a été "contemplatif dans l'action", il sera maintenant contemplatif dans la retraite mais sans renoncer au travail. L'oraison est son élément, il s'y plonge. Un témoignage particulièrement expressif de la profondeur de sa vie spirituelle et de sa vitalité physique malgré son grand âge, nous est laissé dans le "Commentaire du discours après la Cène" qu'il compose au cours de ses dernières années. Ses méthodes de travail sont révélatrices. Presque complètement

(1) M. de Bellevue, op. cit., p.360.


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190 -

aveugle, il ne peut plus lire, ni écrire. Un jeune religieux, le Père Fouillot, lui sert de secrétaire. "Le soir", raconte ce dernier,

(1)

"je lui lisais un chapitre ou un passage du texte sacré. Le lendemain, il le commentait d'un bout à l'autre.

Il avait pour cela une mémoire

prodigieuse". Quand on voit le volume représenté par ce travail dont les archives de la Société des Filles du Coeur de Marie possèdent une copie faite sur l'original, on reste confondu (près de 1350 pages, format

21 x 27

dactylographiées presque sans interlignes). Si c'est là le témoignage d'une mémoire "prodigieuse", c'est bien davantage celui d'une personnalité religieuse nourrie jusqu'à la moelle des mystères divins et des Ecritures. Cet ouvrage qui n'a jamais été édité compte peut-être parmi les plus beaux du fondateur. Il est la vivante illustration de ces lignes du Père Monier-Vinard :

(2)

"Ce que la théologie lui montre et ce qu'il apprend, penché sur ses livres d'étude, le Saint-Esprit le lui révèle au fond du coeur d'une manière inexprimable supérieure à toute science ; ainsi il possède avec des intuitions dépassant singulièrement les. données communes théologiques cette connaissance savoureuse de Dieu qui est le fruit du don de sagesse" Certaines lignes de fond de la spiritualité de la Société des Filles du Coeur de Marie enseignée par le fondateur s'apparentent à l'un ou l'autre passage de ce

Commentaire, notamment la conformité aux sen-

timents du Coeur du Verbe Incarné, et un attachement indéfectible à "son Eglise". Par ailleurs, nous ne devons pas perdre de vue cette vitalité psychologique et spirituelle du Père de Clorivière pendant ses dernières années de vie ; c'est au cours de celles-ci qu'il révise et complète le premier Plan de la Société des Filles du Coeur de Marie pour nous laisser la Constitution de 1818, dont nous vivons encore.

o

o

o

(1) Rapporté par M. de Bellevue, op. cit., p.387. (2) Notes intimes, Introduction, p.11.


- 194 -

CHAPITRE

II

DERNIERES ANNEES ET MORT DE MERE DE CICE. Pendant que le Père de Clorivière se dépensait sans compter à la restauration de la Compagnie en France, puis achevait sa vie dans la contemplation et le travail, Mère de Cicé continuait à suivre de près la Société des Filles du Coeur de Marie. On s'en rend compte par son abondante correspondance avec les Supérieures à cette époque. Mais malade depuis bien longtemps, elle sent ses forces décliner. Le 23 mai 1815 dans une lettre à Amable Chenu, elle s'excuse du retard avec lequel elle lui écrit : "J'ai été si malade tout l'hiver, et bien davantage depuis l'époque du printemps que je n'ai pu vous écrire. Je ne suis guère mieux encore La lettre du 15 janvier 1816 à Mme de Clermont ne laisse aucun doute sur l'affection pulmonaire qui la mine : "J'ai eu des crachements de sang pendant assez longtemps, tels que je n'avais encore eus, hors d'état de descendre à l'église des Missions dont je suis à la porte (1); heureusement pour moi, j'ai une tribune sur l'église qui fait toute ma consolation". Et un peu plus loin : "Vous n'avez pas d'idées combien de fois je suis forcée de m'interrompre en écrivant, par des crises de toux épouvantables". Le 16 janvier, le lendemain, elle écrit à Amable Chenu, excusant à nouveau le retard de ses réponses : "J'espère que vous me le pardonnerez à cause de ma mauvaise santé qui me tient toujours au-dessous de tout ce que j'ai à faire, car j'ai encore à répondre à une multitude de lettres depuis longtemps". et malgré la fatigue, suit une longue lettre, précise, détaillée, où nous trouvons d'intéressantes nouvelles sur le développement des deux Sociétés

(1) cf. aussi Lettre à Mlle Louise de Gouyon du 4 juin 1817. Les Filles du Coeur de Marie venues à Paris connaissent la modeste petite maison, blottie dans la cour des "Missions Etrangères" à l'ombre de la chapelle, et la tribune où Mère de Cicé est morte devant le tabernacle.


"Notre Père a reçu vers la Toussaint, la consécration de cinq excellents prêtres. . . J'ai omis de vous dire que les Sociétés étaient aussi établies à Coutances, tant par des prêtres que par des Filles de Marie. Il s'est établi à Tours, par les soins d'un prêtre de la Société du Divin Coeur une maison commune...où les Filles de Marie ont des pensionnaires et beaucoup d'externes...une autre petite maison dans le même genre... tenue par trois F.M....du coté de Rouen". Un post-scriptum retient l'attention quant à la pratique du voeu d'obéissance : "Notre Père a toujours été d'avis que les menus détails qui concernent les F.M., comme leur toilette, etc, soient entièrement soumis à leur Supérieure". Le 4 juillet 18)6, à la même : "Ma santé est si misérable que je ne puis vous dire que deux mots...Notre Père se porte bien, grâce à Dieu...et n'a guère d'autre infirmité que la perte de la vue". Le 10 août 1816, la lettre adressée à Mme Rosalie de Goësbriand contient un écho de l'apostolat de la Compagnie : Je "partage bien votre désir...que vous puissiez parvenir dans votre ville (Dole) à avoir des enfants de notre bon Père qui font merveille partout où ils sont établis (1). Il se porte bien, grâce à Dieu, mais sa vue baisse toujours". Une fort longue lettre est adressée le 17 janvier 1817

à

Amable Chenu : "Ma santé si mauvaise...va toujours en déclinant", et plus loin : "Il faut, chère amie, que je vous dise au moins des nouvelles de notre bon Père. Il est parti le 18 octobre de Paris. Il a fait un voyage de 460 lieues (2), il est revenu ici pour la fête de Noël. J'avoue que je frémissais de le voir partir à son âge, dans cette saison, et presque aveugle. L'obéissance à son (Père) Général l'a soutenu, elle a fait, à son ordinaire, des miracles. En arrivant, tout le monde était surpris de son entreprise, qu'on trouvait imprudente ; on l'était bien davantage de l'entendre prêcher dès en arrivant, plusieurs jours de suite et donner de petites retraites... Il (Mr Desmares) a établi une nouvelle colonie de 15-16 F.M. à Boulogne ; à Nogent il a reçu plusieurs excellents prêtres de la Société du divin Coeur..."

(1) Il s'agit des Jésuites en cours de formation sous la responsabilité du Père de Clorivière. (2) 1840 kilomètres.


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19$

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On a l'impression qu'à la faveur des libertés recouvrées depuis la chute de Napoléon, les deux Sociétés se développent un peu partout en France. Il faut encore citer ce passage d'une lettre du 23 octobre 1817 à Amable Chenu ; il reflète l'humilité de notre première Mère et son aspiration à tout donner : "Je me recommande bien à vos prières, j'en ai un extrême besoin, chère amie, pour entrer enfin dans tous les desseins de Dieu (1) sur mon âme et sur mon corps. La première est bien apesantie par le poids de la lâcheté et par les souffrances du corps qui, sans être souvent très vives, sont habituelles ; et malheureusement, je ne m'habitue pas assez à souffrir, quoique j'ai bien lieu de penser que c'est une miséricorde de Dieu sur moi". A partir de cette date les progrès de la maladie sont rapides et Mère de Cicé s'en rend compte : Le 29 novembre 1817, à la même : "Je ne puis vous dire, chère amie, à quel point d'impuissance je suis réduite par les souffrances et l'extrême faiblesse..." Le 22 décembre : "ma faiblesse s'augmente chaque jour à proportion de mes souffrances. Priez pour moi, je ne puis vous en dire davantage". Le 12 février 1818, toujours à la même : "Je suis bien souffrante et bien faible pour écrire...je ne veux pourtant pas laisser votre lettre sans réponse...Notre Père se porte bien et vous bénit toutes". Le 12 mars 1818 à Mlle Puesch, une des toutes dernières lettres écrites par la Mère, sinon la dernière : "Songez que vous n'êtes plus à vous, mais que vous appartenez à la Société dont vous êtes membre, et que l'obéissance à vos supérieurs doit vous diriger pour le corps comme pour l'esprit. Priez le (Seigneur) pour nous toutes, j'en ai grand besoin chère amie, étant bien pauvre et vide des biens de la grâce, et mon état physique demandant plus qu'aucun autre, que je me tienne prête à tout moment". Mère de Cicé pouvait se tenir prête...elle avait réalisé tous les desseins de Dieu sur elle.

(1) On retrouve l'expression de sa jeunesse, quand elle cherchait "les desseins de Dieu sur moi" (cf. Fascicule I, "Dieu prépare".)


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i9èf -

Le dimanche 26 avril 1818, aux premières heures du jour, transportée dans la tribune de la chapelle des Missions Etrangères, elle exhalait doucement son dernier soupir. La promesse de Mr Boursoul, son premier directeur de Rennes ne s'était-elle pas réalisée : •"On m'a dit...de votre part, 3 mon Dieu, que j'étais destinée à être une mère des pauvres, et une épouse de Jésus-Christ, et un séraphin dans ce monde et dans l'autre".

(1)

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(1) cf. Fascicule I, "Dieu prépare", p. 30. Note. Suivant le penchant profond de son coeur, Mère de Cicé avait demandé pour ses obsèques le convoi des pauvres. "La mère des pauvres voulait être inhumée comme eux" nous dit son premier biographe l'abbé Carron (Nouveaux Justes dans- les conditions ordinaires de la société ou vies de Lyon, 1822, p.247). Par convenances familiales, on ne put réaliser son désir. Mais celui-ci reste pour ses filles le dernier geste de leur humble Mère.


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CHAPITRE III

MERE DE SAISSEVAL SECONDE SUPERIEURE GENERALE DE LA SOCIETE DES FILLES DU COEUR DE MARIE. LA

CONSTITUTION

DE

1818.

Après la mort de Mère de Cicé, bon nombre de Filles du Coeur de Marie, rapportent les Annales, croyaient Mlle d'Acosta toute désignée pour la remplacer. En qualité d'assistante générale, elle avait secondé la fondatrice avec dévouement et compétence, tout particulièrement pendant ces dernières années. Mais le Père de Clorivière ayant pesé toutes choses devant le Seigneur et ne voyant que "le plus grand service", désigna Madame de Saisseval comme seconde Supérieure Générale de la Société. La lettre que Mlle d'Acosta écrivit le 2 juin 1818 à Mlle Arnable Chenu pour lui faire part de cette décision nous donne un bel exemple de détachement religieux : "Après avoir imploré l'Esprit Saint dans l'octave de la Pentecôte, notre bon Père a eu l'inspiration de nommer Madame la Comtesse de Saisseval, Supérieure Générale. Toutes les personnes qui la connaissent ne peuvent que se féliciter d'un pareil choix. Elle n'a d'autres vues que de suivre toutes les intentions de notre bonne Mère (de Cicé), et (d'accomplir) tout ce que sa santé ne lui permettait plus de faire. Elle a le plus grand zèle pour la perfection de la Société, donnant l'exemple de toutes les vertus. Son humilité au plus haut degré, l'éloignait d'une place aussi importante, se regardant la dernière de toutes. Mais elle a cédé à l'obéissance et ne s'occupe plus que de remplir sa charge selon les vues de Dieu. Elle a de la douceur sans faiblesse, sa charité est extrême, son union continuelle avec Notre-Seigneur lui donne la connaissance des âmes pour les conduire chacune selon la voie où elles sont appelées. J'espère que Dieu la comblera de plus en plus de grâces et de bénédictions. Prions toutes pour elle, c'est prier pour nous-mêmes. Depuis longtemps, il semble que Dieu la préparait au soin dont elle est chargée par les progrès rapides qu'elle a faits chaque jour dans la vertu. Je m'en suis aperçue plus que tout autre, la liaison que nous avons ensemble nous donnant des rapports fréquents...Elle désire établir une correspondance suivie pour être au courant de tout et agir avec un même esprit afin que nous ne fassions qu'un coeur et qu'une âme". Ces dernières lignes, d'une touche personnelle si délicate, étaient bien faites pour orienter vers la nouvelle Supérieure Générale la confiance de toutes les Filles du Coeur de Marie.


- 19^ Les écrits du Père dont "nous avons toutes tant de besoin". La Constitution de 1818.

Mère de Saisseval entreprend aussitôt cette "correspondance suivie" avec les Supérieures des Réunions pour connaître leurs besoins et recueillir les renseignements utiles â la vie et au développement de la Société. Comme on peut le voir à travers sa correspondance avec Melle Amable Chenu, la nouvelle Supérieure générale désire faire imprimer sans tarder les écrits les plus importants du Père de Clorivière. Dès le 22 juillet 1818, nous trouvons les lignes suivantes répondant à une demande de "Plans" : "Nous sommes bien loin de pouvoir vous envoyer 60 Plans, n'en ayant plus que très peu. Après l'Assomption, nous allons nous occuper de faire imprimer ce dont nous avons toutes tant de besoin, les Conférences du Père et l'explication du Sommaire. Je trouve aussi bien nécessaire de réimprimer les Plans. Il y en a eu un grand nombre de perdus". Et le 25 août suivant : "Nous allons faire imprimer des livres qui nous sont bien nécessaires, et qu'il faudrait bien que chacune contribuât de ses petits moyens pour une chose si nécessaire. Nous avons besoin de Plan, nous n'avons aucun imprimé, ni l'explication du Sommaire, ni les Lettres, ni les Conférences de notre bon Père. Il est important de profiter des années que le bon Dieu lui donne pour faire imprimer de son vivant toutes ces choses qui nous sont indispensables à avoir". Suivent des détails pratiques sur le financement de l'opération montrant la modicité des ressources des soeurs et des Réunions à cette époque : "Chaque Supérieure pourra proposer, soit de donner quelque chose gratuitement, soit en prêt, lorsque les livres seront vendus on le leur rendrait, soit en se faisant inscrire pour avoir ses livres et ce qu'elles auraient donné le payerait d'avance". La lettre du 25 septembre 1818 présente un intérêt tout spécial. A sa lecture nous constatons que le fondateur ne veut pas se contenter de livrer tel quel à l'impression le Plan Abrégé de 1790, mais qu'il

veut

en développer les différents numéros : ce sera l'origine de la Constitution de 18 J 8. "Aussitôt que les livres seront imprimés, nous vous en enverrons, mais cela ne pourra pas être encore de sitôt parce qu'il faut que cela soit


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fait avec beaucoup de soin et que notre bon Père trouve à propos de donner plus d'explication aux différents numéros du Plan. Il est précieux de profiter du bonheur que nous avons de le posséder encore pour que tout se fasse par lui, il y a des changements bien nécessaires comme celui des voeux qui ne sont qu'annuels depuis l'Approbation du Souverain Pontife en 1802"(sic) (1). Le souci de la nouvelle Supérieure générale, que tout soit fait non seulement avec le Père, mais par lui,

se manifeste encore dans la let-

tre du 8 décembre : "Malgré son grand âge, il (le Père de Cloriviëre) prend bien vivement tout ce qui a rapport à notre Société et donne son avis sur tout ce qui n'est pas suffisamment expliqué. C'est par lui que dans la nouvelle impression des livres nous aurons plus de détails sur ce qui regarde l'administration" . Comment ne pas rapprocher de cette fidélité à la pensée du fondateur,

si clairement manifestée par Mère de Saisseval,

ces lignes extraites

de la circulaire de 1820 où Mlle d'Acosta, restée Assistante générale, annonce la mort du Père de Cloriviëre aux Réunions

:

la sécurité des Filles

du Coeur de Marie d'alors sera dans l'assurance de cette fidélité ; c'est aussi la notre

:

"Heureusement qu'il a eu le temps de faire rédiger sous ses yeux la Constitution nouvellement imprimée que vous avez, se faisant répéter les articles, augmenter ou diminuer suivant que l'Esprit de Dieu lui inspirait ; enfin, il nous laisse tant d'écrits précieux qui nous donnent tout moyen de nous conduire par son esprit". D'ailleurs,

cette première édition imprimée (2) de la

"Constitution abrégée des Filles du Coeur de Marie" porte en sous titre

:

"Faite d'après le Plan approuvé par le Souverain Pontife en 1801".

La première page de la Constitution est précédée d'un "Avertissement" ajouté lui aussi, pour la sécurité des premières Filles du Coeur de

(1)

1801.

(2) Tome 1 du Manuel de 1818 édité en deux tomes ; les AFCM en possèdent encore plusieurs exemplaires. On peut se reporter à la note de la page 49 qui rappelle les autres textes de règle contenus dans ce tome 1 S la suite de la Constitution abrégée.


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Marie qui entendaient bien appartenir à une Société conforme à l'inspiration de leur fondateur. "Les Personnes qui ont les premières Editions du Plan Abrégé de la Société du Coeur de Marie doivent comprendre que les circonstances, et même l'expérience de plusieurs années, ont dû nécessiter, dans la rédaction primitive de ce plan, les changements qu'elles trouveront dans cette Edition, changements faits par l'autorité et sous les yeux du Vénérable Ecclésiastique à qui on doit la fondation de cette petite Société". On aura remarqué l'expression : "changements faits par l'autorité et sous les yeux" du fondateur.

A bientôt deux cents ans de distance, la fidélité religieuse • des premières Filles du Coeur de Marie à la pensée de leur fondateur se trouve en accord profond avec les enseignements du dernier Concile sur la vie religieuse (Perfectae Caritatis, n° 2)

:

"Rénover et adapter la vie religieuse exige tout à la fois, d'une part qu'on revienne sans cesse aux sources de toute vie chrétienne et au charisme primitif des Instituts, d'autre part qu'on accorde ceux-ci aux conditions nouvelles de notre temps". "...Il est de l'intérêt même de l'Eglise que les Instituts aient leur caractère et leur mission propres. On reconnaîtra donc et on maintiendra fidèlement l'esprit des Fondateurs et leur dessein particulier de même que les traditions vivantes, toutes choses qui constituent le patrimoine de chaque Institut". Ces lignes d'un commentaire récent et autorisé des documents de Vatican II (1) peuvent s'appliquer d'une manière saisissante aux origines de-la Société des Filles du Coeur de Marie : "L'histoire des instituts religieux retrace la mystérieuse mais réelle intervention de Dieu, au moment opportun, pour susciter au sein de l'Eglise, précisément cette forme de vie consacrée dont elle a besoin dans les circonstances où elle se trouve", c'est pourquoi il est si nécessaire "que les religieux sentent le besoin de revenir constamment à la grâce de leur fondation ; ils découvriront le plan divin providentiel qui vient de la pensée et du coeur de Dieu et place leur Institut dans le mystère de l'Eglise".

(1) E. Gambari, Ma vie c'est l'Eglise..., Fleurus, 1970, p.166 et 171.


h* - 2©i -

Nous savons, à l'évidence, que pour le Père de Cloriviëre l'idée du premier Plan de la Société "montré comme dans un clin d'oeil" et "qui devait être très utile à l'Eglise" fit sur lui une telle "impression" qu'il ne put douter "que cela ne vînt de Dieu".

(1)

Bien des années après, le Père de Cloriviëre étant déjà entré dans l'éternité, le Père Varin qui l'avait intimement connu et lui avait servi de secrétaire pour la rédaction de la Constitution de 1818 donnait par écrit ce témoignage (2)

: "C'est chose frappante qu'un homme si pro-

fondément humble, si mort à lui-même, si pénétré de son indignité, n'ait ■ jamais doute que Dieu ne lui eût inspiré le plan de la Société". Or c'est le Père de Cloriviëre lui-même, nos premières Mères ont providentiellement insisté sur ce point, qui a pour ainsi dire, dicté la Constitution de 1818, mettant à profit "l'expérience de plusieurs années"(3) (et de quelles années !) et mettant au point chaque article "suivant que l'Esprit de Dieu lui inspirait".

(4)

Une étude parallèle méthodique des deux documents : Premier Plan de la Société du Coeur de Marie et Constitution de 1818, permet de constater que les idées maîtresses, les règles fondamentales, la structure d'ensemble de la Société : nature, esprit et forme n'ont pas changé : - Intégralité de la vie religieuse, découlant des trois voeux dont la pratique est remarquablement adaptée à la forme de vie spéciale aux Sociétés. - Conformité aux Coeurs de Jésus et de Marie. Esprit intérieur, prière. - Primauté de l'esprit évangélique, l'esprit de Jésus-Christ. Pas d'esprit particulier. - Absence de signes distinctifs, permettant la vie religieuse en tous temps, en toutes circonstances, en tous milieux, et favorisant l'universalité des oeuvres, suivant le plus grand service de l'Eglise, selon les besoins du moment. - Dévouement au Christ et à sa Mère, jusqu'au martyre.

(1) cf. D.C., p.18. Voir aussi Fascicule II "Le Projet du Père de Cloriviëre" (2) cf. M. de Belleviie, op. cit., p.375-376.

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(3) cf. Avertissement de l'édition de la Constitution de 1818. (4) cf. Circulaire de Mlle d'Acosta, p.199.

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- 200 La tradition vivante et sans faille de la Société ne s'y est pas* trompée. Le fascicule consacré à l'histoire des Approbations données par l'Eglise à la Société des Filles du Coeur de Marie en a consigné les témoignages (1)

: les chapitres généraux et les Supérieures

générales ont conservé intact le dépôt, "l'essentiel religieux", à travers les adaptations aux temps, aux lieux et aux circonstances, adaptations contenues en germe dès les origines et demandées par la nature même d'une Société appelée à conserver la vie.religieuse à l'Eglise à travers les siècles (2). Le premier Plan de la Société de Marie et la Constitution de 1818 ont fourni aux constitutions actuelles de la Société leur substance, leur structure, leur "régime intérieur".

DERNIERS MOIS ET MORT DU PERE DE CLORIVIËRE LE 9 JANVIER 18 20. Si la Constitution de 1818 revêtait une importance exceptionnelle pour la Société, dans le présent et dans l'avenir, le Père de Cloriviëre et Mère de Saisseval étaient d'accord sur l'opportunité de la compléter par divers travaux et l'impression d'autres écrits. Dans sa lettre du 8 décembre 1818 à Amable Chenu, après lui avoir parlé de la Constitution, Mère de Saisseval ajoute : "Mais, indépendamment, nous aurons seulement pour les Supérieures, un Directoire qui ne sera pas imprimé mais qui servira à mettre partout une grande uniformité. Il est bien bon que vous fassiez comme vous le faites déjà par votre lettre, les observations sur les différents points qui ont besoin d'être éclairés. ...Je suis bien loin d'avoir ce qu'il faudrait pour la place que j'occupe, et j'ai un grand besoin d'être secondée par les bonnes inspirations des Soeurs qui sont aussi dévouées que vous l'êtes à procurer la gloire de Dieu en remplissant ses desseins sur cette Société que je crois être une des plus grandes preuves de sa miséricorde". , Le 12 avril 1819, nouvelle lettre à Amable Chenu : la nouvelle Constitution est en cours de diffusion mais les fonds s'avèrent déficients. Mère de Saisseval profite d'une occasion pour envoyer les cent livres désirés, mais

(1) Fascicule IV déjà paru en avril 1973. (2) cf. D.C., p.397; Lettres, p.895

et passim.


- 204 -

"nous sommes obligées d'attendre encore pour les autres écrits du Père, n'ayant pas assez de fonds pour les faire tous imprimer, nous Voulons commencer par le plus nécessaire". Une lettre du 15 mai 1819 contient une mise au point sur les rapports normaux avec le monde et le costume qui convient, mise

au point

se référant toujours aux directives du Père de Cloriviëre :

"Il faut bien conserver cette crainte salutaire (de se laisser aller trop au dehors), ne rien faire sans consulter, mais les positions exigent de se rapprocher un peu des gens du monde, lorsqu'il n'y a pas la moindre offense de Dieu, c'est pourquoi notre bon Père tient à ce que nous ne tenions à aucun costume particulier ; le lieu que l'on habite le détermine, pourvu que nos Règles qui exigent la plus grande modestie y soient parfaitement observées. Nous vous envoyons par occasion 6 Sommaires expliqués, nous vous en enverrons 18 autres ensuite". Dans cette même lettre, on trouve au sujet des voeux perpétuels une assertion de Mère de Saisseval qui peut étonner au premier abord : "Quant à la différence que vous avez trouvée dans le 3ème chapitre de la Règle, il a dû être changé ainsi que l'article des Voeux Perpétuels qui était dans le premier Plan, le Souverain Pontife ayant donné en 1802 (sic) (1) son approbation en voulant les voeux annuels et que nous fussions sous la juridiction de l'Ordinaire. Le Père ne trouve même pas que l'on doive à l'avenir chercher à faire changer cette disposition, l'essentiel étant qu'en faisant ses voeux pour un an, on ait l'intention de les renouveler jusqu'à la mort avec la grâce de Dieu, et qu'on ne reçoive personne qui ne reçoive intérieurement cet attrait de la grâce". Comment concilier cette attitude du Père renonçant à vouloir faire changer à l'avenir la restriction imposée aux voeux désormais annuels depuis l'approbation verbale, avec ses déclarations longuement répétées sur la nécessité des voeux perpétuels pour une Société qui se veut religieuse (2) ?

Cela semble contradictoire.

La fin de la citation du texte de Mère de Saisseval fournit une première mise au point : l'intention de renouveler ses voeux jusqu'à la mort reste essentielle. Mais ce qui est essentiel aussi pour le fondateur est de durer et de perpétuer "l'oeuvre de Dieu",

quelles que soient les circonstances.

Il connaît les exigences du Droit canon de l'époque, peut-être même la récente démarche de Mr Desmares à Rome où la Société a été encouragée à

(1) 1801. (2) cf. p.168

et passim.


- 20<t-

continuer, mais n'a pu encore recevoir l'approbation solennelle, l'a-t-il éclairé. C'est encore et toujours la prudence qui dicte

cette

réserve.

Demander alors les voeux perpétuels risque de créer un obstacle à l'approbation de la Société. Les temps ne sont pas mûrs.

(1)

L'Approbation verbale donnée par Pie VII en 1801 permet aux Filles du Coeur de Marie de vivre en toute sécurité leur vie religieuse, en attendant l'heure voulue par la Providence. Cependant, Mère de Saisseval connaissait si bien le désir profond du fondateur qu'elle n'hésitera pas, dès 1825 â demander l'Approbation publique au Souverain Pontife, par l'intermédiaire de Mgr de Quelen, alors archevêque de Paris et Supérieur général de la Société (2). Or, selon le Droit canon d'alors, reconnaître officiellement la Société comme société religieuse, c'était ipso facto lui reconnaître le droit aux voeux perpétuels. Une longue lettre du 10 septembre 1819, toujours à Amable Chenu, contient des précisions intéressantes sur les relations avec les évêques : "Vous savez que par les différentes approbations du Saint-Père, nous sommes sans inquiétude et pouvons continuer dans les diocèses où les Evêques n'ont pu prendre une connaissance approfondie de notre Société, ce ne peut être que ce motif qui entraverait leur approbation ; ainsi il faut réserver à la faire connaître au temps où ils pourront l'examiner à fond, et ne pas risquer en en parlant légèrement qu'ils y répondent de même". Suivent quelques lignes sur l'état de santé du Père, et le soutien que Mère de Saisseval trouve toujours près de lui : "Le...Directoire ne va pas encore être terminé, il peut se trouver de nouvelles observations à soumettre à notre bon Père, il faut profiter des jours que Dieu lui accorde pour nous, dans peu il pourra perdre cette excellente tête qui lui reste encore". (3) La fin d'une lettre du 24 octobre à la même destinataire nous indique quels sont les écrits du fondateur, enfin imprimés ou à la veille de l'être, et insiste à nouveau sur l'étonnante présence d'esprit du Père, lorsqu'il s'agit des "voies du salut". "Je pense que vous aurez encore besoin de Sommaires expliqués, nous ne vous enverrons que ce que vous nous demanderez. Nous avons le Discours sur l'Acte de Consécration, la lettre sur l'Obéissance de St Ignace, les Règles communes, et nous aurons bientôt la Lettre du Père

(1) Il faudra encore attendre près d'un demi-siècle, jusqu'en 1868. (2) cf. Fasicule IV "Approbations données par l'Eglise...", p.26-27. (3) cf. Appendice, le texte des formalités accomplies pour la rédaction du testament du Père de Cloriviëre, texte attestant sa parfaite lucidité d'esprit.


- 20? -

sur. le soin de persévérer dans sa vocation. C'est ce que l'on imprime maintenant. Sa santé continue à être bonne. J'aime beaucoup que vous me donniez dans vos lettres des commissions pour lui, il les entend avec un grand intérêt et répond parfaitement à toutes les questions qu'on peut lui faire. Son grand âge lui fait quelquefois perdre de vue les choses indifférentes, mais il n'a pas vieilli pour tout ce qui concerne les voies du salut ; il confesse même encore beaucoup et de parler de Dieu fait tout son bonheur". Fin 1819 et début 1820, Mère de Saisseval est aux prises avec de graves difficultés concernant la Réunion des Filles du Coeur de Marie de Tours, notamment au sujet de la maison d'éducation qui donnait tant d'espoirs à Mère de Cicé. Leur supérieur, Mr Guépin, prêtre du Coeur de Jésus, veut les séparer de la Société pour créer sous sa direction une nouvelle association. Mlle Puesch, supérieure des Filles du Coeur de Marie est écartelée ; elle soumet ses difficultés à Mère de Saisseval et celle-ci avant de lui répondre, demande conseil au Père de Cloriviëre. Le 8 janvier 1820, à Mlle Puesch : "J'ai porté votre lettre...à notre digne fondateur...Il vous est particulièrement bien attaché et son coeur est affligé des changements qui affligeraient sensiblement le vôtre". Puis après avoir montré que tout ce qui serait au-delà de certaines concessions occasionnerait la séparation, Mère de Saisseval conclut par ces lignes, où elle se montre si consciente de "l'héritage" remis aux. Filles du Coeur de Marie : "Faites-leur bien sentir (à vos filles) et sentez bien vous-même tout ce que vous perdriez en quittant une Société par laquelle vous avez reçu tant de grâces, qui existe depuis 30 ans, a reçu 3 différentes approbations du St Père, a l'avantage de s'être accrue sous les yeux de son Fondateur dont la sainteté, la pureté d'intention, la vie mortifiée, les persécutions nous font devant Dieu un riche héritage de mérites plus précieux qu'on ne peut le concevoir". Et le 10 janvier, à la même : "En commençant cette lettre, sortant de voir notre vénérable Père, ma chère amie, que j'étais loin de penser que je la finirais après lui avoir rendu les derniers devoirs. Il était à merveille pendant notre conversation, a passé la journée comme à son ordinaire, s'est confessé comme il le faisait, et n'était pas du tout malade. A 4 h. du matin, hier 9, il s'est levé, s'est rendu à la chapelle pour son oraison ; en la commençant, il s'est penché, son âme est allée la finir dans le sein de Dieu". Le serviteur de Dieu avait guidé et soutenu l'oeuvre "reçue d'en haut" jusqu'à son dernier souffle.


- 20^ -

Aucun document ne peut être plus évocateur que la lettre par laquelle Mlle d'Acosta annonça aux Filles du Coeur de Marie la mort de leur fondateur : "Nous venons d'avoir une bien grande affliction, et vous partagerez bien sûrement notre chagrin... Nous avons eu la douleur de perdre notre bon Père, sans maladie, sans souffrance. Dieu lui a épargné les douleurs de la mort ; le sacrifice 'de sa vie était fait par avance ; sa mortification, sa pauvreté, son esprit d'oraison, enfin il avait accompli tous les desseins de Dieu sur lui, il n'avait plus qu'à en posséder la jouissance. Samedi dernier, ce bon Père se portait à merveille, il était très gai, l'esprit bien sain. Madame de Saisseval passa du temps avec lui, parlant de la Société avec un zèle, un intérêt le plus grand, .et il lui dit que nous étions uniquement l'objet de ses prières ; il lui donna des décisions les plus importantes, et enfin sa bénédiction pour elle et toutes ses filles; peut-être pensait-il que c'était pour la dernière fois. Le lendemain dimanche, il se leva comme à son ordinaire à 3 heures 1/4, fit son oraison ; à 4 heures 1/4 se rendit à la chapelle, ne se mit point à sa place qui était un petit coin près d'une fenêtre, mais à genoux devant le St Sacrement. Quelques minutes après, il parut se trouver mal, se pencha ; les frères qui étaient près de lui, le soutinrent, il n'eut que le temps de recevoir l'absolution, et rendit son âme à Dieu. On n'a reconnu aucun accident qui précède ordinairement les morts subites. Il avait 85 ans, il était temps qu'il rendit compte à Dieu de la mission dont il l'avait chargé et en recevoir la récompense". Le 21 mai 1807, le Père de Cloriviëre répondait à une Fille du Coeur de Marie, Mlle de Fermont, qui lui avait demandé une lettre qu'elle regarderait comme son testament :

(1)

"Cette idée me plaît, parce qu'elle me transporte au moment où notre âme dégagée des liens de ce misérable corps pourra se jeter en liberté dans le sein du Dieu des miséricordes, entre les bras de notre divin Rédempteur". En ce matin du 9 janvier, dans une grande paix, dans un grand silence, l'âme du Père de Cloriviëre se libérait des liens du corps pour se jeter...dans le sein de Dieu...entre les bras du Rédempteur... Là, le fidèle serviteur pouvait, plus que tout autre, semblet—il, recevoir l'insigne

récompense qu'il avait jadis promise aux

membres fidèles des Sociétés :

(1) Lettres, p.693.


- 207* -

Jésus vous présentera à son Père...il lui présentera vos oeuvres...comme les siennes...Voilà, dira-t-il à son Père, voilà ceux que vous m'avez donnés ; ils appartiennent à mon Coeur ; dans un siècle pervers... ils ont été les organes de ce Coeur , les interprètes de mon " (1)

(1) L.C., p.123.


- 2o£-

CONCLUSION

Si, au terme de ce fascicule on jette un regard d'ensemble sur les trente premières années de la vie des Sociétés, deux sentiments s'imposent en quelque sorte : - l'un concerne les fondateurs, - l'autre, l'oeuvre confiée.

LES FONDATEURS. Humainement parlant, on pourrait ressentir une sorte d'oppression à leur sujet en présence de tant de péripéties menaçant sans relâche, et parfois tragiquement leurs personnes et l'oeuvre confiée. Mais tout s'éclaire quand on se souvient que le chemin de

la

croix est aussi celui de la lumière. Le Seigneur se sert de l'épreuve pour faire éclater au grand jour la fidélité de ses serviteurs. Ses serviteurs, c'est Lui qui les a choisis le premier, Lui qui les a préparés en vue de l'oeuvre à accomplir (1). Car, celle-ci n'est pas seulement un Plan, un Projet, c'est une oeuvre de vie et les fondateurs doivent l'incarner en quelque sorte avant de la transmettre à d'autres. Sous cet angle, on comprend mieux leur histoire et le témoignage donné au coeur de la tempête par leurs attitudes, leurs paroles, leurs réactions : tout devient langage et langage expressif. Par ailleurs, à travers ces trente années de labeur et de souffrances, on saisit mieux comment le Père de Cloriviëre et Mère de Cicé, ont porté ensemble et chacun pour leur part la réalisation de "l'oeuvre de Dieu". Plus encore que leurs actes c'est leur amour inconditionné du Seigneur qui le révèle. Mère de Cicé sera invinciblement fidèle, jusqu'à la défaillance

(1) voir Fascicule I

"Dieu prépare".


- 20Ô}-

de ses forces physiques devant la menace de mort (1). Invinciblement fidèle, elle le sera plus encore sous le pressoir des peines intérieures qui marquent une âme victime. Son ultime chant d'amour, au cours de l'ago nie des derniers jours : "mes souffrances font ma joie et mes délices" ne traduit-il pas un amour "fort comme la mort" ? Quant au Père de Cloriviëre, il semble, au sein de la tempête, comme établi dans l'exercice des trois vertus théologales ; celles-ci commandent ses réactions, même dans les circonstances les plus déconcertantes. Cet état, auquel il est parvenu, n'est-il pas celui qu'il décrit (2) comme "cette espèce de béatitude à laquelle participent dès à présent ceux qui, s'étant entièrement consacrés à Jésus-Christ, et élevés par une grâce puissante au-dessus d'eux-mêmes, dans tous les biens et les maux de cette vie, goûtent en cet état une joie pure et véritable, qui surpasse tout sentiment et qui loin de perdre sa force, s'accroît et s'augmente par ce qui trouble et désole le plus le commun des hommes". Dans sa 5ème Lettre circulaire "Sur le soin qu'il faut avoir de persévérer dans sa vocation" (3), le fondateur brosse à grands traits l'image qu'il se forme de cette vocation "sublime".

Il le fait pour les

premiers associés d'alors, et aussi pour "tous ceux et celles que Dieu, dans la suite des temps appellerait à marcher sur (leurs) traces". Il conclut : "Telle est votre vocation, elle est si grande et si noble que votre esprit, auand il serait prévenu de grandes lumières, ne pourrait jamais en concevoir ici-bas toute la grandeur, toute la sublimité ; elles ne vous seront parfaitement connues que dans l'éternité". A la lumière de l'Histoire, au cours de ces trente années, s'est manifesté l'héroïsme de Mère de Cicé et du Père de Cloriviëre. A la lumière de l'Eternité, ce sera sans doute d'un même regard que nous embrasserons non seulement "la grandeur et la sublimité" de notre vocation, mais aussi celles de nos fondateurs.

(1) cf. M. de Belleviie, op. cit., p.187. (2) Commentaire du Discours après la Cène. (3) L.C., p.117-145.


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L'OEUVRE CONFIEE. Cette oeuvre nous la connaissons, nous la vivons aujourd'hui ; mais cette étude nous a peut-être donné une vision plus complète des efforts déployés par nos fondateurs pour la sauvegarder coûte que coûte dans son intégralité. Dans des situations tragiques ou quasi inextricables, ils n'ont jamais cédé à la pression des événements, â la menace des lois injustes, ou devant la rigueur des maîtres du jour. Dans la défense et la préservation des Sociétés, la prudence de l'esprit, soigneusement distinguée de celle de la chair, a eu certes une large place, mais elle se déployait toujours dans une atmosphère de paix, de calme, on peut même dire de sérénité. C'est - on en revient toujours là - qu'il s'agissait d'une oeuvre "reçue d'en haut" pour la gloire de Dieu, le service de l'Eglise, le salut du monde ; elle ne pouvait dépendre des hommes. La vie des fondateurs, soumise à l'épreuve inexorable de l'Histoire est pour nous le plus expressif des témoignages : "La pluie est tombée, les torrents sont venus, Les vents ont soufflé, ils se sont déchaînés contre cette maison... Et, elle n'a pas croulé... C'est qu'elle avait été fondée sur le roc". (Mat. 7, 25).


APPENDICES

PREMIERE

PARTIE

Décret supprimant les voeux solennels, 13 février 17 90. Décret supprimant les congrégations séculières, 4 août 1792. Décret supprimant les congrégations séculières, etc., 18 août 1792.

DEUXIEME

PARTIE

Liste des écrits relatifs aux deux Sociétés et photocopie de l'original. Extrait d'une lettre du Père de Cloriviëre à Mlle Racine.

TROISIEME PARTIE

Lettre du Père de Cloriviëre à Pie VII, du 12 février 1805. Photocopie d'une lettre de Mr Maugendre, conservée aux Archives municipales de Rennes. Document 31 : texte des Questions et réponses terminant le document.

QUATRIEME

PARTIE

Testament du Père de Cloriviëre : texte des formalités préliminaires.


-

SUPPRESSION DES VOEUX

SOLENNELS

Texte du décret du 13 février 1790, sanctionné le 19 février 1790.

(1)

L'Assemblée Nationale décrète comme articles constitutionnels : 1° Que la loi ne reconnaîtra plus de voeux monastiques solennels de personnes de l'un ni de l'autre sexe ; déclare en conséquence que les ordres et les congrégations réguliers dans lesquels on fait de pareils voeux sont et demeureront supprimés en France, sans qu'il puisse en être établi de semblables à l'avenir; 2° Que tous les individus de l'un et l'autre sexe, existants dans les monastères et maisons religieuses pourront en sortir en faisant leur déclaration devant la municipalité du lieu, et il sera pourvu incessamment à leur sort par une pension convenable. Il sera pareillement indiqué des maisons où seront tenus de se retirer ceux et celles qui préféreront ne pas profiter des dispositions du présent d décret. ^ Déclare au surplus l'Assemblée Nationale qu'il ne sera rien changé quant à présent à l'égard des maisons chargées de l'éducation publique et des établissements de charité, et ce, jusqu'à ce qu'elle ait définitivement pris un parti sur cet objet. 3° Les religieuses pourront rester dans les maisons où elles sont aujourd'hui, l'Assemblée les exceptant expressément de 1'article qui oblige les religieux de réunir plusieurs maisons en une seule.

(1) Cité d'après A. Aulard, La Révolution française Paris, 1903, p.100-101.

et les congrégations,

Note : parlant de ce décret, A. Aulard remarque que "ces articles ne furent cependant pas insérés dans la Constitution de 1791, mais on y lit (préambule): "La loi ne reconnaît plus ni voeux religieux, ni aucun autre engagement qui serait contraire aux droits naturels ou à la Constitution", cf. A. Aulard, op. cit., p.20, note 1.


SUPPRESSION DES CONGREGATIONS REGULIERES

Procès-verbal de la séance de l'Assemblée Nationale du 4 août 17 92

(1)

:

"L'Assemblée Nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète ce qui suit : 1° Pour le 1er octobre prochain, toutes les maisons encore actuellement occupées par des religieuses ou par des religieux seront évacuées par lesdits religieux et religieuses, et seront mises en vente à la diligence des corps administratifs. 2° L'Assemblée Nationale renvoie à ses Comités des domaines et de l'extraordinaire des finances pour lui présenter un projet de décret sur l'augmentation du traitement qui peut être due auxdites religieuses ainsi versées dans la société. 3° Sont exceptées de l'article premier les religieuses consacrées au service des hôpitaux et autres établissements de charité, à l'égard desquels il n'est rien innové. 4° L'Assemblée Nationale déroge à la loi du 14 octobre 1790 en tout ce qui serait contraire au présent décret. "

(1) Cité d'après A. Aulard, op. cit., p.192-193.


SUPPRESSION DES CONGREGATIONS SECULIERES ET DES CONFRERIES

Décret du 18 août 1792 portant suppression de toutes les congrégations séculières (1) : Titre 1er

Article premier. Les corporations connues en France sous le nom de congrégations séculières ecclésiastiques, telles que celles des prêtres de l'Oratoire de Jésus, de la Doctrine chrétienne... (énumération), les congrégations laïques telles que celles des Frères de l'Ecole chrétienne, des Ermites du Mont-Valérien...(énumération), les congrégations de filles, telles que celles de la Sagesse...(énumération), et généralement toutes les corporations religieuses et congrégations séculières d'hommes et de femmes ecclésiastiques ou laïques, même celles uniquement vouées aux services des hôpitaux et au soulagement des malades, sous quelque dénomination qu'elles existent en France, soit qu'elles ne comprennent qu'une seule maison, soit qu'elles en comprennent plusieurs ensemble les familiarités, confréries, les pénitents de toutes couleurs, les pèlerins et toutes autres associations de piété ou de charité sont éteintes et supprimées, à dater du jour de la publication du présent décret. 2. Néanmoins, dans les hôpitaux et maisons de charité, les mêmes personnes continueront,comme ci-devant, le service des pauvres et le soin des malades à titre individuel, sous la surveillance des corps municipaux et administratifs, jusqu'à l'organisation définitive que le Comité des secours présentera incessamment à l'Assemblée Nationale... 3 4. Aucune partie de l'enseignement public ne continuera d'être confié aux maisons de charité dont il s'agit à l'article 2, non plus qu'à aucune autre des maisons des ci-devant congrégations d'hommes et de filles, séculières ou régulières. 9. Les costumes ecclésiastiques, religieux et des congrégations séculaires (sic) sont abolis et prohibés pour l'un et l'autre sexe ; cependant les ministres de tous les cultes pourront conserver le leur pendant 1'exer cice de leurs fonctions, dans l'arrondissement où ils les exercent.

Titre V Article 2. Aucun des pensionnaires désignés dans le présent décret, à l'exception des femmes, ne pourra recevoir le premier terme de son traitement, s'il ne rapporte au receveur du district l'extrait de sa prestation, devant sa municipalité, du serment d'être fidèle à la nation, de maintenir la liberté et l'égalité ou de mourir en les défendant. Ledit certificat demeurera annexé à la quittance...

(1) Cité d'après A. Aulard, op. cit., p.292-294 et 306.


-i-n LISTE DES

ECRITS

RELATIFS

AUX

DEUX

SOCIETES

Le Sommaire des règles, latin et français. L'Explication du Sommaire. Le spécimen Societatis Sanctissimi Cordis Jesu, latin et français. Le Plan de la Société des Filles du Coeur de Marie, et la Règle de conduite. Conférences sur les Voeux. L'Analyse d'une petite retraite. Instruction sur le compte de conscience. Les principaux points de l'examen, avant l'émission des Voeux. Instruction sur les Conférences et sur les coulpes. La Protestation et la Consécration des deux Sociétés à Marie, pour la fête de l'Assomption de la très Ste Vierge. Lettres, 1° Sur la Conformité de sentiments, que nous devons avoir avec Notre Seigneur; Sur ces paroles : Hoc sentite in vobis, quod et in Christo Jesu. 2°Sur l'intime union qui doit régner entre nous. Multidudinis credentium erat cor unum et anima una. Act. 4. 32. 3° Sur la pratique de la Pauvreté parmi nous. Nec quisquam eorum, quae possidebat, aliquid suum esse dicebat, sed erant illis omnia communia. Ibid. 4° Haute idée qu'il faut se former de la très Sainte Vierge, et la dévotion que nous devons tous avoir pour elle. Ecce Mater tua. Jo.19.27. 5° Estime qu'il faut faire de sa vocation. Novate vobis novale, et nolite serere super spinas. Jer. 4. 3. 6° Ce qu'il faut faire pour assurer sa persévérance dans sa vocation. Quapropter, fratres, magis satagite ut per bona opéra, certam vocationem et electionem faciatis. 2 Pet. 1. 10. 7° Enchaînement des vertus nécessaires au chrétien . Vos autem curam omnem subinferentes, ministrate in fide vestra virtutem. 2 Pet. 5.6.7. 8° Esprit intérieur. Det vobis, secundum divitias gloriae suae, virtute corraborari per Spiritum ejus, in interiorem hominem. Eph. 3. 16. 9° Au sujet de 1 ' approbatioit accordée par le Souv. Pontife à notre forme de vie. 10. A Mr l'Evêque de S.M.... en réponse à quelques objections. 11. En forme de Testament. 12. Exposé de l'oeuvre que nous avons entreprise. 13. Sur l'édification que nous devons donner. . . . .

Mémoire aux Evêques. Mémoire et Supplique au Souverain Pontife, Pie VII. Aperçu ou Lettre au Cardinal Caprara, avec quelques changements. Règlement sur les Maisons Communes.


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-1% LETTRE DU PERE DE CLORIVIERE à MADEMOISELLE RACINE,'

18 juin 17 98,

(extraits copie's sur l'autographe aux AFCM)

Je saisis avec plaisir, ma chère Fille, la première occasion que j'ai de vous faire parvenir une lettre... Je crois voir, par ce qu'on me dit, que vous vous donnez pour religieuse. Vous n'en avez pas le droit. Quoique, devant Dieu, vous puissiez en vous-même vous regarder comme lui étant consacrée, et que vous deviez vous comporter en conséquence, en vertu des engagements sacrés que vous avez pris ; cependant, comme vos voeux ne sont qu'annuels, que la Société même n'est point, et ne peut se dire religieuse, qu'après l'approbation du S. Siège, que son existence même n'est encore que conditionnelle, et qu'elle dépend absolument de la volonté du Souverain Pontife et des autres Pasteurs de la Ste Eglise, vous ne pouvez pas prendre, devant les hommes et extérieurement, la qualité de religieuse.

Il y a même bien des inconvénients à le faire. Cette qualité

doit

occasionner bien des questions, auxquelles vous ne pourriez répondre

sans

contrevenir à la promesse que vous avez faite, et à la circonspection, qui nous a été si fort recommandée par les Prélats qui permettent que la Société s'établisse dans leur diocèse, et que les circonstances actuelles exigent impérieusement. Lors même qu'elle sera parfaitement établie, la nature de la Société, le bien de la chose et le plus grand service de Dieu demanderont

que

les

personnes dont elle sera composée, ne soient pas généralement connues du commun des fidèles ; à plus forte raison, ne doivent-elles pas se faire connaître, ni la Société dont elles sont membres, sinon lorsque la gloire de Dieu, le bien de leur âme, ou celui même de la Société l'exigent. Qu'on puisse voir seulement, par toute votre conduite extérieure, que vous faites profession d'être toute à Dieu, et de tendre de toutes vos forces à perfection.

...

Note : c'est le Père de Clorivière qui souligne.

la


LETTRE DU PERE- DE CLORTVIERE à SA SAINTETE PIE VII,

Texte français dans D.C., p.431-433

et

12 février 1805,

Lettres, p.967-968.

Le texte original est en latin. Les AFCM conservent l'autographe de la traduction française faite par le Père de Clorivière pour Mère de Cicé. Le 11 février 1S05, le Père écrivait â Mère de Cicé (cf. Lettres, p.260) : ...J'ai fait ma lettre au Saint—Pere, niais j 'ai encore à la transcrire et à la mettre pour vous en français..."

LETTRE A SA SAINTETE PIE VII. L.J.C. Très Saint Père,

Je ne puis ignorer les occupations continuelles que vous donne le soin de toutes les Eglise, cependant plein de confiance dans vos bontés, et de la plus vive reconnaissance pour les marques singulières que vous nous avez données de votre bienveillance, je viens de nouveau me jeter aux pieds de votre Sainteté. Je ne puis le faire que par écrit, mais cela même est de quelque adoucissement à la peine que je ressens de ne pouvoir pas, avec le reste des fidèles, révérer Jésus-Christ même dans la personne auguste de son plus digne représentant sur la terre, et jouir des douceurs de votre présence. Je viens à vos pieds, non pour quelque intérêt personnel ; je compte pour rien tout ce qui me regarde et je ne me crois pas digne que Votre Sainteté veuille abaisser ses yeux sur moi ; mais j'y viens pour l'intérêt d'une oeuvre qui vous a paru à vous-même, Très Saint-Père, être de quelque importance, et pouvoir un jour contribuer en quelque chose au bien général de l'Eglise. Avant d'exposer nos voeux à Votre Sainteté, qu'il me soit permis de lui protester, non pas seulement en mon nom, mais au nom de tous ceux qui coopèrent à cette bonne oeuvre, que nous n'avons rien tant à coeur que d'être en tout à la disposition de nos Evêques ; de ceux, dis-je, dont les sentiments sont catholiques, et qui sont unis de communion avec votre Siège Apostolique, étant intimement persuadés, que c'est ce qu'exige la nature même de nos Sociétés, et sachant d'ailleurs ce qui seul suffirait pour nous convaincre, que telle est, par rapport à nous l'ordonnance de Votre Sainteté. Maintenant cependant dans l'état de trouble où sont encore parmi nous, comme Votre Sainteté le sait mieux que personne, les choses ecclésiastiques, les Evêques eux-mêmes étant gênés dans l'exercice de leurs fonctions pastorales, je craindrais que ces Sociétés ne pussent subsister, à moins qu'il ne plut à Votre Sainteté de relâcher un peu, quant à quelques effets extérieurs et seulement pour un temps, savoir, jusqu'à ce que l'Episcopat soit tout à fait libre, ce qu'il pourrait y avoir de trop embarrassant dans notre dépendance à son égard, comme par exemple, que lorsqu'une fois nous aurons été admis dans un Diocèse, du consentement de l'Ordinaire, nous ne soyons pas assujettis à chaque mutation de Supérieur, de solliciter une nouvelle admission, ce qui aurait lieu pareillement à l'égard des voeux qui se renouvellent ou se font de nouveau parmi nous deux fois l'année.


Cela nous paraît fort à désirer et en quelque sorte nécessaire, non que nous veuillions rien faire de ce que nous croirions convenable à 1'insu de nos Evêques, ou sans les avoir consultés, mais parce que, dans les circonstances, il nous semble qu'il est de la prudence d'attendre que les Supérieurs puissent connaître à fond les hommes, et quelquefois déposer d'anciens préjugés, et que nous-mêmes nous puissions mériter leur bienveillance, en leur rendant en Jésus-Christ toutes sortes de services propres de notre état; ce qui ne nous empêcherait pas d'être toujours prêts à leur faire connaître tout ce qui nous regarde et de nous abstenir de tout ce que nous jugerions peu conforme à leur intention. Ce que nous demandons ne pourrait même qu'être agréable à nos Pasteurs. Ils n'auraient point alors à craindre qu'en acquiesçant à nos demandes, ils s'attirassent 1'animadversion de quelques personnes en place. D'après ces considérations, Très Saint Père, ayant uniquement en vue la gloire de Dieu et l'espoir de rendre un jour quelque service à la Sainte Eglise, nous prions et supplions Votre Sainteté de nous permettre, dans les cas que nous avons marqués et d'autres semblables, d'agir avec plus de liberté et de suivre l'interprétation la plus favorable. Mais, comme dans ces démarches, nous n'avons en vue que la sûreté de nos consciences, et qu'elles ne doivent nous servir que pour le for intérieur, nos voeux seront pleinement remplis si Votre Sainteté daignait nous montrer de telle manière qu'il lui plairait, qu'elle acquiesce à nos demandes, en nous en laissant par exemple, une marque quelconque sur le feuillet ci-joint, que nous pourrions communiquer, en cas de besoin, à quelques-une d'entre nous, mais dont nous ne pourrions jamais faire usage au dehors. Nous abandonnons toutes ces choses à votre Sagesse et à votre Bonté et tout ce qu'elles auront réglé, nous l'exécuterons, avec le secours du Seigneur, le mieux qu'il nous sera possible ; et pour que nous soyons en état de le faire, prosterné maintenant à vos pieds, au nom de l'une et de l'autre Société, je vous demande humblement, et pour elles et pour moi, votre bénédiction apostolique, Très Saint Père, de Votre Sainteté, le très dévoué, etc.. Paris, ce 12 février 1805.


Lettre de Mr "Kaugendre, curĂŠ chanoine de St Pierre'.' (photocopiĂŠe aux Archives municipales de Rennes)


Document 31. "POUVONS-NOUS DIRE QUE NOUS SOMMES MEMBRES D'UNE SOCIETE RELIGIEUSE ?

"

Questions, qu'on peut nous faire ; et ce que nous pouvons et devons répondre à ces questions. (sur une seule ligne dans l'autographe). D.- Qui êtes-vous ? Quel est votre emploi, votre état particulier ? R.- Je suis citoyen, ecclésiastique dans tel ou tel Ministère, dans telle ou telle profession, soit libérale, soit mécanique. D.- Etes-vous d'une Société religieuse ? R.- Non, M. cela s'accorderait mal avec la qualité de prêtre séculier, avec telle ou telle profession civile. D.- Avez-vous des Supérieurs particuliers ? R.- Toutes les Autorités civiles ou ecclésiastiques sont mes Supérieurs. Je me fais un devoir de leur obéir. Je n'en reconnais point d'autres. D.- Suivez-vous des règles particulières. R.- Toutes mes Règles, pour le spirituel, sont dans l'Evangile ; pour le temporel, dans les lois de mon pays, en tant qu'elles n'ont rien de contraire à l'Evangile. D.- Connaissez-vous un livre intitulé Spécimen Societatis Cordis Jesu ? R.- Oui, mais en le lisant je me suis aperçu que ce que l'on appelle Société n'avait rien que de spirituel, et qu'elle ne prescrit rien que ce qui convient à tout vrai Chrétien, que sans changer d'état on peut être de cette Société, et dès lors j'ai conclu que ce n'était point une véritable Société religieuse dans le sens naturel qu'on donne à ce nom. D.- Qu'entendez-vous par là ? R.- Une Société religieuse est un Corps séparé du grand Corps de la société civile, dans lequel on vit plusieurs ensemble sous la même forme extérieure de vie, avec des marques extérieures qui font connaître qu'ils sont de tel ou tel Ordre. Je ne vois rien de tout cela dans celle dont parle ce Spécimen, d'où j'augure que c'est une Société toute spirituelle qui n'a point d'existence en réalité, du moins dans l'ordre civil. D.- Connaissez-vous les membres de cette Société. R.- Avant de répondre à cette question, permettez-moi, Monsieur, de vous demander dans quel sens vous me faites cette demande. Me parlez-vous comme un Magistrat civil à un citoyen, ou comme ayant quelque autorité spirituelle ? Ce n'est pas certainement en vertu de quelque autorité spirituelle, car de qui la tiendriez-vous ? Si c'est comme Magistrat civil parlant à un citoyen, je vous répondrai qu'en cette qualité je ne connais ni cette Société, ni aucun de ses membres, parce que, comme je l'ai dit étant toute spirituelle, elle n'a à l'extérieur aucune marque qui la fasse reconnaître, qu'elle se confond avec la société générale, et que ses membres, comme tous les autres citoyens, n'ont d'eux-mêmes aucun pouvoir et sont soumis aux mêmes autorités ecclésiastiques et civiles.


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classé aux Archives Nationales, 60 rue des Francs Bourgeois, Paris 3e, Minutier Central, sous la cote : LIV " " 1274 Répertoire n° 528 Testament de M. Picot de Clorivière, 6 juin 1818.

et

Pardevant Me Charles Etienne Chapellier, Notaire Royal à Paris, soussigné en présence de Mr Jean-Baptiste Fontaine, Prêtre demeurant à Paris rue des Postes n° 18, de M. Jean Nicolas Duchampt, entrepreneur de M. Pierre Auguste Dumont de M. Jacques Marie Bellier, Prêtre demeurant à Paris grand rue des Postes n° 18, tous quatre français majeurs jouissant de leurs droits civils ayant les qualités requises par la Loi, témoins pour ce appelés et aussi soussignés fut présent M. Pierre Joseph Picot de Clorivière, Prêtre demeurant à Paris rue des Postes n° 18, douzième arrondissement, ledit Sieur Picot de Clorivière trouvé par ledit Me Chapellier Notaire et lesdits témoins dans la chambre à coucher au premier étage au-dessus de l'entresol de ladite maison ayant vue sur la cour, allant et venant vacant â ses affaires en assez bonne santé de corps, sain d'esprit, mémoire et jugement ainsi qu'il est apparu audit Me Chapellier Notaire et auxdits témoins en conversant avec lui et auprès duquel ils se sont tous transportés sur son invitation à l'effet des présentes. Lequel dans la vue de sa mort a fait dicté et nommé aud.Me Chapellier Notaire en présence desdits témoins son testament et ordonnant la dernière volonté ainsi qu'il suit. . .

...Ce fut ainsi fait dicté et nommé par le dit Sieur Testateur audit Me Chapellier Notaire en présence desdits témoins et ensuite à lui lu par ledit Me Chapellier Notaire toujours en présence desdits témoins, ce qu'il a très bien entendu et y parfaitement et passé à Paris en la chambre sus désignée dudit Sieur Testateur le samedi six juin mil huit cent dix huit...


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