Comme une source à travers le feu

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Monique TOUVJET

COMElimSOURCE A TRAVERS LE FEU avec Pierre-Joseph de CLORIVIERE UN COURANT SPIRITUEL TRAVERSE LES RÉVOLUTIONS

C.L.D


" Ces cĹ“urs seront votre rempart et votre fontaine " P.J. de Clorivière


PREFACE

Le petit ouvrage alerte qui sollicite aujourd'hui votre lecture a entre autres trois mérites. Tout d'abord il prend l'exacte mesure de la mutation spirituelle qui, depuis 1975, se fait jour dans la jeune génération. La soif de contemplation qui habite celle-ci la conduit, " comme à travers le feu " de l'Esprit d'amour, vers ce foyer rayonnant de Gloire, vers cette " Source " limpide du Coeur transpercé de Jésus qui recèle l'origine cachée de tout le mystère du salut. Car, affirmait déjà le Concile Vatican II traitant de la prière de l'Eglise, " c'est du côté du Christ endormi sur la croix qu'est né l'admirable sacrement de l'Eglise tout entière" (Constitution sur la Liturgie, n° 5). Dans la renaissance actuelle de cette Eglise mystique au cœur de la " génération Compostelle ", nous voyons sous nos yeux se réaliser l'intuition du Disciple bien-aimé qui, ayant entendu battre le


Cœur de Dieu " dans le sein de Jésus " (Jn 13,23), prophétisait des chrétiens à venir : " Ils regarderont vers Celui qu'ils ont transpercé" (Jn 19,37). Les voici donc les fils de cette Eglise de demain, rutilants de la beauté d'une grâce souvent retrouvée après des années d'errance, tout configurés à la foi de Celle qui, avant eux, ne fut avec l'humble Coeur du Rédempteur qu' "un coeur et qu'une âme " (Ac 4,32) ! C'est en priorité à cette Eglise de l'an 2000, me semble-t-il, que l'espérance de l'auteur dédie son livre. Le second mérite du texte qu'on va lire éclate dans sa première partie. Agrégée d'histoire, Monique TOUVET a su nous y épargner les dédales d'une érudition aride. Tout ici porte la marque d'un regard contemplatif qui, à la lumière de Saint Jean, ressaisit dans l'unité le développement séculaire de la spiritualité chrétienne. La fresque bimillénaire qui retrace l'historique de la contemplation du Coeur incandescent de Jésus n'a en effet qu'un seul but : révéler au lecteur comment les diverses spiritualités successivement apparues dans l'Eglise sont comme autant de fleuves qui s'abreuvent à l'unique " sein " du Christ (Jn 7,38). Il y a là une vision théologique de l'histoire spirituelle qui est à la fois rigoureusement exacte au regard de l'intelligence et - l'on s'en rendra compte à la lecture - merveilleusement savoureuse pour le coeur.

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Enfin - et c'est là son troisième mérite - le texte met en relief la contribution décisive de l'école bérullienne (alias : " Ecole française") à l'émergence moderne d'une spiritualité concentrée dans les coeurs de Jésus et Marie. Jamais en effet l'école salésienne n'aurait produit une sainte Marguerite-Marie si, à la fin du Grand Siècle, les monastères de la Visitation n'avaient été subrepticement pétris de l'esprit du temps, qui était tout entier celui de cette Ecole française : voyant dans le coeur du Rédempteur le centre hypostatique vers lequel, en raison de sa science de vision, avaient conflué, depuis le premier instant de l'Incarnation jusqu'à l'agonie de Gethsémani, tous les torrents de l'ingratitude humaine, les hommes et les femmes de la modernité naissante furent saisis d'un humble désir de rendre amour pour amour à l'Amour méprisé. En même temps, souligne l'auteur, cette spiritualité a produit d'admirables fruits de dévouement aux pauvres. Mais jamais non plus - et c'est ici la pointe de Mademoiselle Touvet - l'école jésuite n'aurait donné le jour à un Clorivière ni à ses deux fondations si, en plein siècle des Lumières, la Compagnie de Jésus, achevant d'assimiler la théologie de cette même Ecole française, n'avait fait sien, au plus fort du complot qui allait un temps l'abattre, le message de Paray-le-Monial et n'avait obtenu en 1766 le privilège d'introduire dans la liturgie de


l'Ordre la Fête du Cœur de Jésus qui venait d'être concédée au royaume de Pologne. Ce n'est pas un hasard si cette même année Pierre de Clorivière faisait voeu de " promouvoir en toute occasion le culte du Sacré-Cœur aussi bien que la dévotion à la Bienheureuse Vierge " (Pierre de Clorivière, d'après ses notes intimes, Paris, 1935, t. 1, p. 187-188). Comme jésuite, je voudrais remercier Monique Touvet de nous rappeler que, selon le mot de Karl Rahner, " la Compagnie de Jésus a fait ", avec le Cœur du Christ, " une expérience spirituelle qui, pour ne pas remonter à ses débuts, n'en est pas moins venue à se confondre avec son charisme propre, au point qu'elle ne peut plus s'en désintéresser ou la considérer comme un épisode secondaire de son histoire " (préface de K. Rahner au livre de P. Arrupe, Comme je vous ai aimés, Namur, 1986, p. 6-7). Edouard Glotin, s.j. Février 1990


INTRODUCTION

Au début de la Révolution Française en 1790-1791 LES FONDATIONS de Pierre-Joseph de CLORIVIERE à la Source des Cœurs de Jésus et de Marie

Le Bicentenaire de la Révolution Française est aussi celui de deux Sociétés Religieuses, nées dans ces tempêtes, après l'interdiction des voeux religieux en février 1790, puis l'ordre de dispersion des Congrégations à voeux solennels, jugées contraires aux libertés par les députés de l'Assemblée Constituante. Tout de suite, de la chaire de l'église SaintSauveur de Dinan, le Père Pierre-Joseph de Clorivière avait protesté, le 25 mars 1790, en la fête de


l'Ordre la Fête du Cœur de Jésus qui venait d'être concédée au royaume de Pologne. Ce n'est pas un hasard si cette même année Pierre de Clorivière faisait voeu de " promouvoir en toute occasion le culte du Sacré-Cœur aussi bien que la dévotion à la Bienheureuse Vierge " (Pierre de Clorivière, d'après ses notes intimes, Paris, 1935, t. 1, p. 187-188). Comme jésuite, je voudrais remercier Monique Touvet de nous rappeler que, selon le mot de Karl Rahner, " la Compagnie de Jésus a fait ", avec le Cœur du Christ, " une expérience spirituelle qui, pour ne pas remonter à ses débuts, n'en est pas moins venue à se confondre avec son charisme propre, au point qu'elle ne peut plus s'en désintéresser ou la considérer comme un épisode secondaire de son histoire " (préface de K. Rahner au livre de P. Arrupe, Comme je vous ai aimés, Namur, 1986, p. 6-7). Edouard Glotin, s.j. Février 1990

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INTRODUCTION

Au début de la Révolution Française en 1790-1791 LES FONDATIONS de Pierre-Joseph de CLORIVIERE à la Source des Cœurs de Jésus et de Marie

Le Bicentenaire de la Révolution Française est aussi celui de deux Sociétés Religieuses, nées dans ces tempêtes, après l'interdiction des voeux religieux en février 1790, puis l'ordre de dispersion des Congrégations à voeux solennels, jugées contraires aux libertés par les députés de l'Assemblée Constituante. Tout de suite, de la chaire de l'église SaintSauveur de Dinan, le Père Pierre-Joseph de Clorivière avait protesté, le 25 mars 1790, en la fête de


l'Annonciation. Né en 1735 dans une famille d'armateurs de Saint-Malo, il venait de faire ses vœux solennels dans la Compagnie de Jésus, quand celle-ci, déjà interdite en France, Espagne et Portugal, fut supprimée par une décision arrachée au Pape, en 1773. Mais il était resté fidèlement jésuite en son âme et devait être, en 1814, le restaurateur de la Compagnie de Jésus en France. En 1790, il était au service du diocèse de Rennes et Saint-Malo et il se préparait à émigrer comme missionnaire au Maryland, dans les jeunes EtatsUnis, terre de libertés religieuses, puisque ces libertés d'exercer son ministère pour la formation de séminaristes ou de religieuses lui étaient de plus en plus retirées en France. C'est alors que, le matin du 19 juillet 1790, tandis qu'en priant il pensait à un " sermon " sur saint Vincent de Paul dont ce jour marquait la fête, il eut une inspiration subite : ce projet pour le Maryland, "pourquoi pas en France ? ". Il conçut alors le projet d'une Société religieuse masculine - complétée pour les femmes, le 18 août -, menant pour l'extérieur la vie de tout le monde, comme dans l'Eglise primitive, sans uniforme ni signe distinctif, et sans vie en commun, car tout cela était désormais interdit, mais gardant l'essentiel des conseils évangéliques. Il comptait sur la Parole du Christ : " Père, je ne Te prie pas de les retirer du monde, mais de les garder du mal " (Jean 17,15) pour "réparer les pertes que

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faisait l'Eglise par l'extinction de tant d'Ordres religieux " (1) qui avaient si longtemps œuvré en France. Il concevait ainsi une nouvelle forme de vie religieuse, non déclarée ni repérable d'emblée - c'était devenu impossible - soutenue par l'adhésion de l'esprit et du cœur par une Règle (un Plan) souple, et l'entr'aide fraternelle, mais sans cadre social porteur. Le nom fut bientôt trouvé, d'après la Source du Cœur de Jésus qui, en sa prière sacerdotale à la veille de sa Passion (Jean 17), inspirait Clorivière à la veille de la Passion de l'Eglise de France ; et pour la Société féminine, on choisit celui du Cœur de Marie, si uni à Celui de son Fils. La Société du Cœur de Jésus rassembla très vite des prêtres et religieux réfractaires au Serment qu'exigeait désormais la Constitution civile du Clergé votée le 12 juillet 1790. Celle du Cœur de Marie fondée en même temps accueillerait des " Filles et Veuves " que des devoirs urgents de famille, ou les circonstances de l'époque, auraient empêchées de suivre un appel à la vie religieuse. En effet, les lois interdisaient désormais tout recrutement aux congrégations, pour un bref moment encore tolérées. L'inspiration de Clorivière recoupait aussi celle de Mademoiselle Adélaïde Champion de Cicé qu'il dirigeait alors ; elle devint à son appel la première supérieure et la cofondatrice des Filles du Coeur de Marie. Les premiers membres des deux Sociétés se

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lièrent secrètement par un acte de consécration et d'association spirituelle, le 2 février 1791, en la fête de la Présentation de Jésus au Temple : les hommes - ils étaient six - à Montmartre, sur les lieux où saint Ignace s'associa ses premiers compagnons et trois autres dispersés s'unissaient à eux ; les femmes étaient neuf aussi, soit à Paris, soit en Bretagne, là où elles résidaient, mais toutes en union avec les associés de Paris et le Père de Clorivière. Celui-ci, de sa cachette parisienne, les décrit ainsi après la chute de Robespierre, le 10 septembre 1794 (2) : " ils étaient fidèles d'abord à se réunir chaque semaine, puis, après les massacres de septembre (1792) et la Terreur qui fit parmi eux plusieurs martyrs, obligés de se disperser et se cacher, et ne pouvant même plus s'écrire. Ils étaient une trentaine quand survint la Terreur et plusieurs " eurent le bonheur de verser leur sang pour la foi, quelques-uns furent emprisonnés... d'autres durent s'expatrier... mais il en est toujours demeuré à Paris un petit nombre, attendant de la Bonté du Seigneur de pouvoir se réunir un jour". Que traitait-on dans leurs réunions hebdomadaires de 1792 ? - "on croyait qu'il valait bien mieux, dans ces commencements, que chaque membre s'occupât à se bien remplir de l'esprit de la Société, qui ne devait être que celui du Cœur même de Jésus, que de penser à s'augmenter en nombre ", écrit toujours Clorivière. On y étudie les premiers

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Plans, manuscrits de juillet-août 1790 - qui, imprimés dès 1792, prévoient déjà avec précision comment vivre une vie religieuse et des vœux, de façon adaptée à ces temps difficiles, qui auraient dû les rendre impossibles (3). En effet, ni la fin de la Terreur, ni le Concordat napoléonien n'apportèrent aussitôt la possibilité de vivre au grand jour cette vocation. Après inculpations (erronées) dans les complots contre le Premier Consul, procès, internements des Fondateurs au Temple (Clorivière) ou à la Salpétrière (Mademoiselle de Cicé), la police de Fouché les suspecte et les file toujours. Aussi est-ce par des "Lettres Circulaires" que, de 1795 à 1808, le Fondateur peut atteindre ses fils ou ses filles dispersés, les diriger et former discrètement et... communautairement de ses cachettes ou de la prison du Temple et de l'asile d'aliénés où il est reclus sur ordre de la police impériale, de 1804 à 1809. Et par assimilation providentielle, c'est un Pape déporté et prisonnier lui-même au château de Fontainebleau que Clorivière rencontre enfin, pour recevoir de vive voix ses bénédictions et ses encouragements en mars 1813. Alors l'aigle impérial va se casser les ailes, et la Restauration ouvrira une période plus favorable. Dans la formation initiale et discrète qu'il donne en ses Lettres circulaires, Clorivière insiste sur la formation spirituelle profonde qui peut conforter ses Fils dans les périls de ce temps là, et


qu'indiquent les noms des deux Sociétés du Cœur de Jésus et du Cœur de Marie : "Les Cœurs de Jésus et de Marie (4), à qui vous êtes consacrés, se communiqueront à vous; ils seront comme un cachet... imprimé sur votre cœur et sur votre bras (Cant 8,6) : sur votre cœur afin que toutes vos affections soient pures ; - sur votre bras afin que toutes vos œuvres soient saintes... A ce cachet (sceau) la Trinité Sainte vous reconnaîtra comme une portion favorite de son Domaine, et rien ne pourra vous arracher de ses mains... ...Ces Cœurs seront votre trésor toujours ouvert... inépuisable,... votre rempart... votre oratoire... votre fontaine. " C'est aussi la priorité de son Testament spirituel rédigé dès le 21 mai 1807, depuis son lieu de détention, et il l'adresse à Mademoiselle de Cicé pour qu'elle le transmette à ses Fondations : "Du trésor inépuisable que vous possédez dans les divins Cœurs de Jésus et de Marie..., je vous lègue au Nom de la Sainte-Trinité, par les Cœurs de Jésus et de Marie... 1" -un Cœur tout embrasé de l'amour le plus pur et le plus généreux pour ces divins Cœurs auxquels vous êtes consacrée... 2° - un grand amour pour votre vocation S'il vous laisse au milieu du monde, c'est afin qu'héritière de l'esprit apostolique que possédait... le Cœur de Marie, vous puissiez, comme Elle, contri-

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buer à changer le monde et à renouveler l'Eglise naissante... " (5). Cet Amour - il cite Jean 17,15... - est Source d'engagement apostolique fécond, car l'Amour de Dieu et du prochain ne font qu'un. Ainsi ses Filles et ses héritiers spirituels ont le désir, pour se ressourcer, d'explorer leur " Trésor inépuisable ", et mieux pénétrer cette spiritualité qui inspira l'élan dont, après 200 ans, ils vivent encore. Pour mieux comprendre "avec tous les saints la longueur, la largeur, la profondeur de l'Amour du Christ... (Eph 3,18)... et puiser à cette Fontaine jaillie pour tous, il leur faut regarder "cette tranchée dont ils sont issus " (Is. 51,1), ou bien, comme Bernadette l'illustrait de ses gestes, sur les conseils de la Vierge à Lourdes, il faut creuser pour désensabler afin que l'Eau Vive jaillisse sans obstacles de défiances, d'erreurs, d'oublis ou de distractions, et qu'on puisse "se laver et boire à la Fontaine " (6). Alors, selon le mot de l'Ecriture, "de Son Cœur couleront des fleuves d'Eau Vive " (Jean 7,38), devenant, en ceux qui boiront, " source d'eau jaillissant en vie éternelle " (Jean 3,14), en magnifique renouveau spirituel. Mais notre Sauveur et Berger ne nous mène-t-il pas tous vers " ces eaux du repos pour y refaire nos âmes " (Ps. 22) - ces eaux ne combleraient-elles pas les aspirations de nos contemporains qui ont besoin de creuser jusqu'à la Source de la Vitalité mystique dont ils ont soif ?... bien des jeunes et

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communautés nouvelles l'affirment -. Car l'eau jaillie du rocher de Lourdes, comme celle qui sous le bâton de Moïse, jaillit à Mériba pour abreuver le peuple d'Israël assoiffé et au bord de la révolte à force de misères (Nombres 20,2-11, ou Exode 17,6...), est le signe évoquant celle qui jaillit du Coeur de Jésus ouvert par la lance, sur le rocher du Calvaire (Jean, 19,34). Nous tous, serviteurs de ces temps où l'on dit que le vin s'épuise car on est à la fin, comme à Cana ou à Lourdes, faisons ce que dit la Mère de Jésus, revenons au Cœur du Christ. Clorivière en pressait déjà ses auditeurs et lecteurs et, deux siècles après, les foules internationales accourues à Lourdes ou à Paray-le-Monial avec le Pape Jean-Paul II ne montrent-elles pas que ces torrents de Vie grossissent au lieu de s'épuiser. Pourtant on dit du " Sacré-Cœur " : " c'est une dévotion " (7) (donc certains l'estiment facultative... ou marginale) et souvent on la croit récente. Cependant les Encycliques pontificales du 20e siècle en parlent comme d'un culte, et demandent de lui accorder une place centrale, car il est fondé en Ecriture et en théologie comme une réalité spirituelle permanente dans notre foi et notre histoire, en France et en Europe en particulier. Il s'enracine dans l'Evénement historique rapporté par Jean 19,34-37 du Cœur transpercé. De plus, le Concile Vatican II, qui a voulu " restaurer et veiller au progrès de la liturgie", en la recentrant sur le Christ et son mystère pascal,

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souligne que "c'est du côté du Christ endormi sur la Croix qu'est né l'admirable sacrement de l'Eglise tout entière " (8) exerçant le culte public intégral en tant qu'elle est " Corps Mystique du Christ toujours présent par Sa Parole, par la prière des fidèles et les sacrements; car l'Eglise est cette Epouse bienaimée que le Christ s'associe toujours pour le salut du monde entier et l'adoration véritable du Père (Jean 4,23) " (9). En s'exprimant ainsi, le Décret conciliaire sur la sainte liturgie n'a-t-il pas voulu souligner la place centrale de cette contemplation du Cœur du Christ ouvert par la lance pour l'effusion de l'Esprit par qui naissent l'Eglise et notre foi ? Ainsi s'accomplit le mystère du salut du monde entier " Car Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné Son Fils unique " qui " doit être élevé de terre comme le Serpent au désert afin que tout homme qui croit en lui et le regarde ne périsse pas mais ait la vie éternelle " (Jean 3,14-16). Pour percevoir mieux l'importance de la contemplation du Christ élevé en Croix, caducée de salut, pour regarder notre Roi, sauveur de tous les larrons que nous sommes (Luc 23,43), nous ouvrir largement les portes du Paradis, pour recevoir du Cœur du Christ, ouvert pour nous, une grâce surabondante, il faut nous pénétrer de la longue tradition de l'Eglise issue de la méditation de l'Ecriture, traduite en leur vie par vingt siècles de saints.

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Il faudrait donc : A. Parcourir les principaux jalons de cette contemplation du Cœur ouvert qui n'a cessé depuis saint Jean... et se développe de siècles en siècles, comme un torrent inépuisable (Ezéchiel 47,9-12), s'élargissant et s'approfondissant surtout depuis " l'Ecole Française " ou " Bérullienne " du 17e siècle, et depuis saint Jean Eudes jusqu'aux 19e et 20e siècles où de l'Europe il gagne l'univers. B. Insister aussi sur le climat spirituel du 18e siècle, surtout au moment du Bicentenaire des débuts de la Révolution. C'est une connaissance indispensable pour pénétrer les profondeurs des écrits d'un maître spirituel comme le P. de Clorivière ; on voit mieux alors combien il était largement ouvert à toutes les sources spirituelles de son temps... dont le nôtre vit toujours... par delà les secousses révolutionnaires, beaucoup plus profondément qu'on ne le pense, et un peu grâce à lui. Enfin les notes bibliographiques permettront à chacun d'approfondir selon ses désirs en recourant aux sources indiquées.

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I. Racines évangéliques et patristiques

1. L'enracinement de cette contemplation du " Cœur ouvert " se trouve dans l'Evangile de Jean qui culmine certes au Coup de lance (Jean 19,34), mais désigne dès le début les Sources de Salut à travers les thèmes du Vin des Noces de Cana (Jn 2,1-12), du Serpent d'airain dont la contemplation guérit (Jn 3,14-17) ou de l'Eau vive (Jn 4,10-14) et de l'Esprit que veut donner Jésus à qui a soif (Jn 7,37-39)... Et tous ces passages reprennent les prophéties et symboles bibliques du Rocher frappé à Mériba pour abreuver le peuple d'Israël exaspéré de soif (Exode 17,6) ; ou ceux du Torrent jailli du Temple (Ezéchiel 47), du don de l'Eau et de l'Esprit (Ez. 36,25-27)... et même du Coeur de Dieu " qui se retourne " de douleur et d'amour, sans vouloir punir (Osée 11,8), ou de la lamentation sur

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le Fils unique transpercé (Zacharie 12,10) que feront tous les peuples enfin convertis. Saint Paul aussi dans les élans de foi et d'amour de ses épîtres (Rom 8,35 ; Ephésiens 3,17...) nous presse de nous enraciner dans l'amour du Christ, et d'en découvrir les dimensions infinies. 2. Toute la tradition patristique des premiers temps de l'Eglise explore cette Source et s'y abreuve, spécialement en Gaule évangélisée par les disciples de saint Jean et des Eglises d'Ephèse et de Smyrne (10) où saint Polycarpe, martyr en 155, avait été disciple de Jean ; son Eglise de Smyrne envoie des missions en Gaule, échange des lettres avec celle de Lyon ; et après les terribles épreuves du martyre collectif dans l'amphithéâtre, qui vit périr glorieusement en 177 l'évêque Pothin et l'esclave Blandine... et tant d'autres, c'est encore elle qui renfloue cette jeune Eglise gauloise : Irénée devient Evêque de Lyon et Docteur des Gaules (11) jusqu'à son martyre vers 202. A la même époque, l'apologiste saint Justin (f 165) signera aussi par le martyre son témoignage si biblique et johannique ainsi proclamé : "Nous, chrétiens, nous sommes... né(s) du Christ; car nous avons été taillés dans son Cœur comme des pierres arrachées du Rocher... C'est pour nous une joie de mourir pour le Nom du Rocher glorieux qui dispense l'Eau Vive dans le coeur de ceux qui, par Lui, aiment le Père de toutes choses ".

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Avant de mourir, il affirme "Je suis chrétien, voilà ma gloire " (12). - Tertullien (f 220) et Augustin (f 430) dans leur catéchèse baptismale introduisent les fidèles " dans le mystère de la blessure du Côté du Christ qui nous ouvre la Source de la Vie ". Comme Paul, saint Augustin s'extasie : "77 m'a aimé ". " Tu nous as faits pour toi Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu'il ne repose en toi" (13). - Origène (f 254), exégète de saint Jean, passionné d'amour pour le Christ, et maître spirituel, contemple ainsi saint Jean à la dernière Cène, avant d'inviter ses disciples à entrer dans la même attitude de contemplation : " Jean, penché sur le Verbe et reposant dans des états mystiques plus profonds, se penchait sur le sein du Verbe comme, toutes proportions gardées, Lui-même est dans le sein du Père, selon cette parole : le Fils unique est dans le sein du Père " (Jn 1,18). ... Aussi "mettons tout en œuvre pour être jugés dignes de l'amour de choix de Jésus : ainsi en effet, nous aussi serons-nous couchés dans le sein de Jésus " ; car seul celui qui se penche sur le sein de Jésus connaît Jésus ; il entre dans son mystère. Et Origène souligne : "N'hésitons donc pas à le dire: les Evangiles sont les prémices de toute l'Ecriture ; et les prémices de l'Evangile, c'est l'Evangile de saint Jean. C'est un livre dont l'intelligence échappera à qui n'a pas

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reposé sur la poitrine de Jésus, ni reçu de Jésus Marie devenue aussi sa propre Mère ". Origène évoque ici le legs de Jésus du haut de la croix : " Voici ta Mère ". Il pense que cette configuration filiale à Jésus par Marie va jusqu'à devenir Jésus. Aussi précise-t-il : "... Et celui qui doit devenir un autre Jean, il faudra qu'il s'élève assez haut pour être appelé Jésus, comme le disciple bien-aimé, par Jésus luimême. Marie en effet, à en croire ceux qui n'ont eu sur elle que des idées saines, n'a pas eu d'autre Fils que Jésus. Or Jésus dit à sa Mère : 'Voici ton Fils' (Jn 19,26) et non pas: Voici que lui aussi est ton fils. C'est dire équivalemment : Vois, en cet homme, Jésus que tu as mis au monde. Et en effet, celui qui est parfait ne vit plus, mais c'est le Christ qui vit en lui, et dès lors que vit en lui le Christ, on dit de lui à Marie : Voici ton fils, le Christ " (14). Pour Origène, le premier et le plus savant exégète de l'antiquité chrétienne, ce qui importe avant tout c'est de rencontrer, approcher, toucher le Verbe fait chair comme l'a fait Jean. C'est l'objet de sa recherche priante, car l'Ecriture est vraiment le Sacrement de la Présence du Christ pour celui qui la lit en priant (15). Cette approche, cette configuration à Jésus sont les thèmes de la mystique d'Origène, surtout dans son " Commentaire de saint Jean ", mais aussi dans celui " de saint Matthieu ". Il insiste constamment sur les degrés de cette approche dont le dernier est le

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repos sur le sein de Jésus et, explique-t-il, "c'est donné à tout disciple du Christ " : " et nous aussi (comme Pierre et André en Jean 1,35 et sv.) avons obtenu (par le baptême) la grâce de suivre Jésus, d'aller avec Jésus, de voir sa maison,... de l'approcher avec plus de tendresse, ... de monter avec lui sur la montagne, ... de l'accueillir dans notre demeure où Jésus puisse dîner et se reposer,... car quiconque pèche est " dehors " ou " vient à Jésus pour Le tenter ", mais quiconque obéit à la Parole de Dieu, celui-là est une maison de Béthanie où Jésus fait sa demeure et se repose après avoir eu les pieds lavés " (16). 3. Les gallo-romains L'Evangile de saint Jean avait donc marqué dès le IIe siècle les chrétiens d'Orient ou de Gaule, évangélisés par les disciples du Bien-Aimé, comme Irénée de Lyon qui se référait à Polycarpe et à Jean. Cette inspiration johannique et orientale est renouvelée lorsqu'au IVe siècle, saint Hilaire de Poitiers (f 367) est exilé pour s'être opposé à l'hérésie arienne ; il se retrouve en Orient et traduit du grec les textes patristiques - et Origène spécialement. Cet ami de saint Martin (f 397) insiste

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alors, comme Origène: "Le Verbe était au commencement, Il est Dieu, non le son d'une voix, vie et lumière des hommes... Ces vérités sublimes, c'est sur la poitrine du Seigneur que Jean lésa apprises... Pour mieux nous entretenir avec Jésus Christ, reposons-nous sur la poitrine du Seigneur " (17). La théologie trinitaire d'Hilaire insiste en effet sur l'Incarnation du Verbe en Marie par le Saint-Esprit, et sur le baptême qui, par le même Esprit, fait dans le chrétien une nouvelle incarnation du Verbe. C'est le raccourci fameux de l'Ecole de saint Athanase qui marqua fortement saint Hilaire et saint Martin. "Dieu s'est fait homme pour que l'homme soit fait Dieu ". Etant donné l'influence de ces deux grands apôtres de la Gaule au tournant du IVe au Ve siècle, on comprend mieux comment le christianisme gallo-romain devint le rempart contre cette hérésie d'Arius, développée dès le IIIe siècle autour de ce docte prêtre d'Egypte, qui gagnait tout le bassin Méditerranéen, même Rome et l'Occident : les ariens refusaient la Trinité et la divinité du Christ. Cette hérésie fut condamnée par le Concile de Nicée en 325 et obligea les Pères de ce Concile à préciser le Symbole des apôtres (le Credo de nos " messes ") en insistant "Jésus Christ, vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré, non pas créé, de même nature que le Père... par l'Esprit-Saint, il a pris chair de la Vierge Marie et s'est fait homme". Mais il resta de l'arianisme de profondes traces en Orient et cela

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fera plus tard le lit de l'Islam qui, lui aussi, nie la Trinité, la Divinité du Christ, la maternité divine de Marie " Mère de Dieu " (non pas la conception virginale de Jésus) et même la réalité de la mort de Jésus en Croix. Comme Origène aussi, un autre Gallo-romain, l'évêque saint Paulin de Noie (f 431) admire "saint Jean, qui eut le bonheur de reposer sur la poitrine du Seigneur, fut rempli de l'Esprit-Saint, car il puisa directement au Coeur de la Sagesse qui créa toutes choses, une intelligence (du mystère du Christ) qui dépasse celle de tous les autres... ". L'élan était donné, le cours d'eau va s'approfondir et s'élargir de siècles en siècles (Ezéchiel, 47).

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II Le Moyen-Age

Du Ve au XVe siècle, la pensée médiévale reprend ensuite fidèlement ces intuitions et ces thèses d'Origène, des Pères de l'Eglise et de saint Augustin : on les copie, les étudie, les commente dans les Ecoles-Cathédrales ou monastiques, embryons des Universités qui s'épanouissent au XIIP siècle. On s'appuie sur l'Ecriture connue dans toute son ampleur, chantée et méditée dans l'office liturgique. On la cite copieusement, on l'illustre abondamment dans les miniatures des manuscrits, les fresques et les vitraux des églises. Tant de vitraux et chapiteaux sculptés romans ou ogivaux nous montrent encore en nos vieilles églises ou cathédrales : saint Jean couché sur le sein de Jésus (18) ; ou bien la lance du soldat " Longin " ouvrant le côté du Christ, comme Moïse frappant le rocher

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pour en faire jaillir les sources sacramentelles, ou comme le Créateur ouvrant le côté d'Adam (Genèse 2,21) pour en faire naître la Femme, Eve, " os de ses os, chair de sa chair ", figure de l'Eglise Epouse du Christ, nourrie de sa chair eucharistique et vraie " mère des vivants " (Genèse 3,20). C'était expliquer aux simples la catéchèse pascale d'Augustin, ou la théologie d'Irénée. Car les artistes du XHIème siècle étaient guidés par de savants chanoines ou théologiens nourris de l'Ecriture et des Pères, ou des écrits des docteurs de leur temps : Anselme, Bernard ou Bonaventure : - Au XIe siècle, saint Anselme (1033-1109), fondateur du Bec-Hellouin en Normandie, médite sur l'intérieur de Jésus, veut connaître le Christ par le dedans, par le Cœur : "l'ouverture du côté de Jésus révèle les richesses de son amour pour nous ". - Au XIIe siècle, saint Bernard de Citeaux (f 1153), est proche de saint Augustin et de saint Anselme. " Je vois le secret du Cœur par la blessure du Corps, je vois le grand mystère de la Bonté, la profondeur des miséricordes divines " (Sermon LXI). Après Origène, il aime commenter le Cantique des cantiques où il voit aussi le poème de l'union d'amour de l'Eglise, de l'âme avec le Verbe de Dieu. - Au XIIIe siècle, le dominicain Thomas d'Aquin, ami de saint Louis, est le docteur de l'Eu-

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charistie qu'il célébrait magnifiquement, formant à la théologie les fidèles qui chantaient ses hymnes : "Ave verum Corpus natum de Maria Virgine... Vere passum, immolatum, pie pelicane " (Salut vrai Corps né de la Vierge Marie, vraiment mort, immolé... pieux pélican, Jésus Seigneur) Mais si saint Thomas, le dominicain a un peu éclipsé son contemporain, le docteur franciscain saint Bonaventure (1221-1274) était au XIIIe siècle aussi célèbre que lui ; on redécouvre aujourd'hui la richesse de ce magnifique théologien qui, bien avant le XVIIème siècle, voyait le Coeur du Christ centre de tout, soleil de l'Humanité, et contemplait longuement le Christ " Arbre de vie " : "Pour que, du côté du Christ endormi sur la Croix, surgisse l'Eglise et pour que soit accomplie la parole de l'Ecriture : " ils contempleront Celui qu'ils ont transpercé ", la Sagesse divine a bien voulu que la lance d'un soldat ouvre et transperce ce côté. Il en sortit du sang et de l'eau, et c'était le prix de notre salut qui s'écoulait ainsi. Jailli de sa source, c'est-àdire du plus profond du Coeur du Christ, il donne aux Sacrements de l'Eglise le pouvoir de conférer la Vie de la grâce et, à ceux qui ont déjà en eux la Vie du Christ, il donne à boire de cette Eau Vive qui jaillit jusque dans la Vie éternelle. (Jean 4,14) Debout! Toi qui es aimé du Christ, sois donc comme " la colombe qui fait son nid sur le bord de l'abîme " (Ct 3,14). Et là, comme l'oiseau qui a

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trouvé un nid, ne te relâche pas de ta vigilance ; là, comme la tourterelle, viens cacher les enfants de ton amour chaste, et de cette plaie approche tes lèvres pour "puiser de l'Eau à la Source du Sauveur " (Is 12,13). C'est là qu'on trouve "la Source qui jaillissait au milieu du Paradis " (Gen 2,10) et qui, "se partageant en quatre bras ", puis répandue dans les coeurs aimants, arrose et féconde la terre entière. O jaillissement éternel et inaccessible, plein de lumière et de douceur, de cette Source cachée à tous les regards humains ! Profondeur sans fond, hauteur sans limite, grandeur incommensurable et pureté inviolable ! C'est de Toi que coule " ce fleuve qui réjouit la Cité de Dieu ", et c'est grâce à Toi qu'aux accents des acclamations et des actions de grâce, nous pouvons Te chanter le cantique de louange, car nous pouvons témoigner, par expérience, qu 'en Toi est la Source de la Vie, et que, par Ta Lumière, nous verrons la Lumière. " (19). Par ce texte de Bonaventure, on observe combien l'ardente éloquence médiévale est tissée de références bibliques d'Isaïe, de la Genèse, ou de l'Apocalypse et des Evangiles... Ainsi éclairé par les deux flambeaux de saint Thomas d'Aquin et saint Bonaventure, le XIIIe siècle porte un culte fervent à l'Humanité du Christ et à sa Passion, en l'Eucharistie qu'il adore longuement. Au XIIIe siècle encore, trois mystiques allemandes : sainte Ludgarde (f 1246), deux moniales

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cisterciennes de Helfta : sainte Mechtilde (f 1298) et sainte Gertrude (f 1302) ont, toutes trois, des expériences mystiques qui annoncent sainte Marguerite-Marie : elles expérimentent le Cœur de Chair du Christ Glorieux assis à la Droite du Père, intercédant pour tous les hommes au coeur de la Trinité. Et après le 16e siècle, on méditera leurs " Révélations " dans tout l'Occident, surtout dans les régions du Rhin. L'expérience que Gertrude fait du Coeur du Christ, qui réside en elle et unit son coeur avec le sien, s'insère dans la liturgie de l'Eglise, car elle la chantait au choeur du monastère d'Helfta et son oraison et sa vie s'en nourrissaient (20). Ainsi, aux Laudes de la fête de la SainteTrinité, elle voit Jésus tenant en main son coeur comme une Lyre ; le chant des moniales s'unit au Sien qui donne à leurs voix la plénitude harmonieuse qui réjouit les Trois Personnes Divines (21). Une autre fois, un troisième dimanche de l'A vent (" Gaudete "), Gertrude s'unissait de cœur à la messe à laquelle, malade, elle ne pouvait se rendre. Jésus se montre à elle, élevant à l'offertoire Son Cœur " comme un autel d'or rayonnant de flammes ", où les anges apportaient les offrandes des hommes : leurs pensées, désirs, prières, souffrances et œuvres... Au " Sursum Corda " de la Préface, tous les saints élèvent leur cœur, les unissant à celui de Jésus. Voilà la " réunion de fête de

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la Jérusalem Céleste dont Jésus est le Grand Prêtre parfait (Hébreux 9,11-12 ; 10,11-16), le médiateur de l'Alliance Nouvelle (Hébreux 12,22-24). Au Pater, Jésus l'invite à s'unir à la tendresse de Son Cœur offrant cette prière à Son Père et notre Père. Jésus lui explique aussi les battements de Son Coeur qu'il lui a fait écouter : "Ils opèrent le salut des hommes, satisfaisant pour leurs crimes..., excitant les saints à prier pour les pécheurs, appelant les pécheurs à la pénitence et attendant leur conversion avec un désir indicible " (22). Ces " Révélations ", pourtant très appréciées des théologiens de son temps, furent... oubliées ; on n'en publiait que des prières, ou on s'en inspirait comme dans ce Rosaire du Cœur de Jésus très populaire au XVe siècle : 5 Pater, 5 Ave, 5 invocations au Cœur de Jésus, avec qui on priait ainsi, surtout dans les régions du Rhin : " Que ton Règne vienne - au 'à cause du Cœur affligé du Seigneur, l'Esprit-Saint embrase le cœur des fidèles du feu de l'Amour. Que ta volonté soit faite... à travers le très doux Cœur. Ne nous soumets pas à la tentation... O Seigneur par les immenses douleurs dans lesquelles se brisa ton Cœur Sacré, rachète-nous, défends-nous, offre satisfaction pour nos péchés " (23).

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Mais en France, il faut attendre le XVIe siècle, et ce n'est qu'au XIXe siècle que le savant restaurateur de Solesmes traduit les cantiques d'Amour de Gertrude où passe toute cette expérience mystique qu'elle voulait rendre accessible à ses sœurs et à tous les chrétiens (24). " Ton dévouement digne d'un Dieu, ô Amour, m'a ouvert l'entrée du tendre Cœur de mon Jésus. O Cœur rempli de douceur ! O Cœur débordant de compassion ! O Cœur surabondant de charité ! O Cœur d'où la suavité et la miséricorde distillent en rosée ! O Cœur, objet de ma tendresse, daignez absorber mon propre cœur en vous-même. Vous qui êtes plus cher à mon cœur que la perle la plus précieuse, invitez-moi au festin de la vie. " O Amour, prends ce Cœur divin, cet encensoir où brûle un si suave encens, cette hostie si noble, offre-le pour moi sur l'autel d'or où est scellée la réconciliation de l'homme, offre-le pour suppléer à ce qui m'a manqué jour par jour dans tout le cours de ma vie, durant laquelle j'ai été pour toi si stérile. " Aux XIVe et XVe siècles, en une sainte émulation, Franciscains, Dominicains "font pleurer toute l'Europe sur les plaies de Jésus Christ " (25), ou chantent le plus ancien des hymnes au Cœur du Christ (attribué à Joseph Hermann, évêque de Cologne (f 1241)):

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Summi Régis cor, aveto ! Te saluto corde laeto, Te complecti me delectat, Et hoc meum cor affectât, Ut ad te loquar animes

Cœur du Souverain Roi, je vous salue ! Je vous salue d'un cœur joyeux, A vous baiser je me réjouis, Et ce que mon cœur désire, C'est que vous l'excitiez à vous parler

Viva cordis voce clamo, Duke cor ; te namque amo : Ad cor meum inclinare, Ut se possit applicare Devoto tibi pectore.

De toutes ses forces mon cœur vous appelle Cœur très doux ; car je vous aime ; Vers mon cœur, inclinez-vous Afin qu'il puisse reposer Pieusement sur votre poitrine.

0 mors illa quam amara, Quam immitis, quam avara, Quae per cellam introivit In qua mundi vita vivit Te mordens, Cor dulcissimum !

Oh! qu'elle a été douloureuse cette mort, Et atroce et exigeante, Qui a pénétré dans le sanctuaire Où vit la vie du monde En vous mordant, Cœur très doux.

Propter mortem quam tulisti, Quando pro me defecisti, Cordis mei Cor dilectum, In te meum fer affectum Hoc est quod opto plurimum.

Par cette mort que vous avez soufferte Quand pour moi vous avez cessé de battre, 0 Cœur si cher à mon coeur, Attirez à vous toutes mes affections, C'est là mon ardent désir.

0 Cor dulce praedilectum, Munda cor meum illectum, Et in vanis obduratum ; Pium fac et timoratum Repulso tetro frigore.

0 Cœur très doux, Coeur le plus aimé, Purifiez mon cœur attiré Et endurci par tout ce qui est vain, Remplissez-le de piété et de crainte, Chassez-en les ténèbres qui glacent. (26)

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Le chef de file des mystiques rhénans du XIVe siècle, Maître Eckhart (f 1327), dominicain de Saxe, professeur à Paris ou à Cologne, enseigne " que les hommes qui veulent posséder Dieu frappent à la porte par laquelle on entre ... ; d'abord au sein déchiré de Jésus-Christ et à Son Cœur ouvert par l'amour ". Tauler (f 1361) et Suso (f 1366), les grands mystiques rhénans qui suivirent à Cologne ses leçons, contribuent puissamment à la contemplation du Cœur ouvert, invitant à y demeurer, à prendre son repos sur Son Cœur. Ils sont connus en France comme en Allemagne jusqu'à ce que le jansénisme du XVIIe siècle les rende suspects (27). 200 chartreuses, répandues en toute l'Europe diffusent ensuite au XIVe siècle " la Vie de Jésus Christ ", écrite par Ludolphe le Chartreux, et la dévotion à Son Cœur. C'est cette " Vita Christi " que lisait Ignace, convalescent au château de Loyola. Il y méditait ces lignes qui furent l'amorce de sa conversion : " O Jésus, en faisant ouvrir votre Cœur, vous avez entr'ouvert à vos élus les portes de la vie. Vousmême êtes cette porte, ô Seigneur, et les justes passeront par elle. Maître, je vous en conjure, oubliez mes iniquités, puisqu'elles vous engageraient à me fermer la porte, ménagée par vos soins, aux pécheurs convertis et aux vrais pénitents... Et le Cœur blessé de Jésus ne blessera-t-il pas notre cœur ?


N'aurons-nous point compassion de Lui, ne l'aimerons-nous point ? " (28). En Italie, sainte Catherine de Sienne, un matin d'été 1370, priant après avoir communié, répétait l'invocation de David : " crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu " (Ps. 50), alors il lui sembla voir Jésus à sa droite, lui prendre son cœur... elle vécut ensuite deux jours, insensible - rien ne la consolait - le troisième jour, comme elle priait au même endroit, le Christ cette fois vint à elle, tenant en main son propre Cœur irradié de soleil, le lui mit dans la poitrine en disant : " Ma fille, je t'ai pris ton cœur, voici le mien " ; dès lors elle priait le Père avec le Cœur de Jésus, et dialoguait avec Lui. Ses " Lettres " sont pleines de conseils pénétrants comme celui-ci : "Le cœur est un petit vase, qui ne peut être rempli que par l'amour ; si les créatures veulent y boire, il faut les désaltérer ; une seule précaution suffit : ne pas retirer le vase de la Fontaine d'amour qu'est le Christ. Si on l'éloigné de la Source il s'épuise aussitôt, mais qu'on le tienne sous le jet intarissable de la Charité divine, des multitudes pourront y boire, il demeurera toujours plein " (29). Cette jeune femme, Docteur de l'Eglise, traduisait en expérience ce que le Christ expliquait à la Samaritaine en lui promettant l'eau vive (Jean 4,14), illustrait à Cana en donnant à satiété le vin de noces. Elle puisait sa science aux " Dialogues "

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de ses oraisons avec la Trinité, expérimentait avec le Christ, son Epoux, cet échange des cœurs que désireront et vivront les grands saints du XVIIe siècle français, saint François de Sales, saint Jean Eudes ou sainte Marguerite-Marie. Au XVe siècle, saint Bernardin de Sienne trouve des accents aussi enflammés que Catherine pour prêcher à ses auditeurs l'Amour du Christ : "Le côté ouvert découvre le cœur, le cœur qui aime jusqu'à en mourir ; nous sommes invités à entrer dans cet amour ineffable qui l'a fait descendre jusqu'à nous. Allons donc au Cœur de Jésus ! " Des femmes, comme l'oblate Françoise Romaine, ou la princesse sainte Jeanne de Valois, fondatrice des Annonciades, contemplent et s'unissent au Cœur de Jésus. On trouve à cette époque, celle où fut composée " L'Imitation de Jésus-Christ ", un grand nombre de prières adressées au Cœur de Jésus, et d'innombrables peintures ou " Pieta " dans les églises, invitent les chrétiens, en ce siècle dramatique pour l'Europe, à se réfugier dans les plaies et le côté du Christ. Ainsi fait aussi l'auteur franciscain de la prière " Anima Christi ", si aimée de saint Ignace qu'il la mit en tête des Exercices Spirituels. Au début du XVIe siècle, en France, Louis de Blois retrouve pour le Cœur de Jésus les accents de sainte Gertrude, et la Chartreuse de Cologne est devenue un Foyer de l'amour de Jésus, rayonnant sur l'Europe du Rhin (30). Le jésuite saint Pierre

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Canisius, qui aurait voulu rester Chartreux à Cologne si sa santé n'y avait mis obstacle, y puise sans doute son ardent amour pour le Coeur de Jésus. A Rome, la veille de ses voeux, au cours de sa prière, il reçoit une grâce décisive : " O divin Rédempteur, vous m'avez entr'ouvert votre Coeur adorable et vous m'avez permis d'y plonger mon regard ; vous m'avez invité à puiser en vous les eaux du salut et ordonné de boire à vos fontaines sacrées " (31). Il en abreuva ensuite tous les " écoliers " de ses collèges, priant le Cœur de Jésus de suppléer à ce qui manquait à son immense et aimante activité dans toute l'Europe Centrale : " O Bon Jésus je t'aime. Mais pour ce qui me manque, je te prie d'offrir à ton Père Céleste l'amour de ton Cœur ". Il joignit ainsi la science du docteur à l'amour du mystique. De là son immense audience. En effet, cet approfondissement spirituel était bien nécessaire pour répondre à la critique protestante. Avec la Renaissance grandissait une crise spirituelle ; sous l'impact de la redécouverte de l'Antiquité, et surtout avec la multiplication par l'imprimerie des textes bibliques et la vulgarisation des connaissances, la foi du Moyen Age subissait l'assaut des contestations et critiques rationalistes et celle, décapante, de la Réforme. Le Clergé n'était pas assez instruit en sciences bibliques et lettres anciennes pour y faire face. Saint Ignace l'avait compris, il avait décidé d'étudier, avec ses

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premiers compagnons, à l'Université de la Sorbonne ; il avait dix ans de moins que Luther et sa " Compagnie de Jésus " est approuvée par le Pape six ans avant la mort de Luther (1540) ; par ses prédications populaires, ses retraites spirituelles et bientôt la fondation de collèges dans toute l'Europe occidentale, la Compagnie de Jésus serait un des meilleurs pare-feu à la Réforme. Il était temps ! Avec les guerres civiles, dites " de religion ", qui embrasent la France et l'Europe, la misère grandit, la misère intellectuelle et spirituelle aussi. Mais le Concile de Trente (1545-1563) où coopèrent activement les jésuites, prépare, après les bourrasques de la Réforme, une merveilleuse renaissance de l'Eglise, un " Réveil spirituel ", une nouvelle évangélisation et un renouveau mystique, une intériorisation de la foi. C'est pourquoi, si au XVIe siècle on redécouvre sainte Gertrude, si les bienheureux Louis de Blois, Pierre Fabre ou François de Borgia et les retraitants des Exercices spirituels méditant la Passion de Jésus sont conduits à l'amour de Son Cœur, à partir du XVIIe siècle, le choix devient impossible : la dévotion au " Sacré-Coeur " (ce terme devient courant) a conquis tous les milieux pieux ; elle part de l'effort d'intériorisation et de méditation de l'Evangile accompli par les Jésuites (32) relayés par " l'Ecole Française ", sur laquelle il nous faut donc insister.

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III L'Ecole Française au XVIIe siècle est un relais de saints

Qui l'aurait prévu pendant les guerres de religion, ce grand Siècle de la Spiritualité en France ? Après les ravages des guerres, l'Edit de Nantes a ramené la paix (1598), et la Réforme catholique voulue par le Concile de Trente - achevé dès 1563 - ne commence en France qu'avec le siècle qui mène d'Henri IV à Louis XIV. Pour répondre aux critiques, trop souvent justifiées, de la Réforme protestante, ce Concile recommandait la formation biblique des prêtres et le recentrement de la théologie sur le Christ, Soleil du monde, dont les saints ne sont que le rayonnement, et de la liturgie sur l'Eucharistie. Les disciples de saint Ignace avaient ardemment collaboré à ce Concile.

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En Espagne, le Carmel Réformé de SainteThérèse (1515-1582) insistait sur la prière intérieure ; en Italie, Philippe Néri (1515-1595) a lancé " l'Oratoire " pour inciter les prêtres à la vie de prière. Le jeune évêque de Genève François de Sales, est en relation avec tous ces courants romains, italiens, espagnols puis français. Car c'est avec un retard de 30 ans (1593 seulement) que les conclusions du Concile furent introduites en France. Aussitôt les collèges jésuites en diffusèrent l'esprit, leur influence s'élargit ; et la Réforme bénédictine de Saint-Maur (1618) relançait en ses abbayes les études bibliques et historiques (33). On redécouvre saint Augustin ; et La Bruyère, Bérulle, Pascal ou Bossuet s'y réfèrent. Ainsi s'ouvre en France, avec le règne d'Henri IV, cet extraordinaire relais de saints, à la fécondité apostolique inouïe, qui se prolonge jusqu'à nos jours ; de France il gagna l'Europe, puis le monde où s'intensifiait alors l'expansion missionnaire, heureux revers de la colonisation française de l'époque, même si cette colonisation était, au Canada français du moins, plus culturelle et évangélisatrice que militaire et marchande. Les initiateurs sont trois contemporains du Roi Henri, qui deviendront amis ; ils viennent de trois pôles et de trois couches sociales du Royaume ou de ses marges : - le savoyard François de Sales, de vieille noblesse, est l'aîné ; il naît dès 1567 quand vient de

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s'achever le Concile de Trente, dans la région où s'est installé Calvin ; - le parisien Pierre de Bérulle, de famille parlementaire, de huit ans son cadet (1575); - et le paysan gascon Vincent de Paul, le plus jeune (1581), les rencontre tous les deux lorsqu'il vient à Paris, et choisit Bérulle pour directeur d'âme, en 1608. Tous trois s'apprécient et s'entr'aident. Tous trois sont influents à la Cour d'Henri IV et Louis XIII meurt dans les bras de " Monsieur Vincent " (1643). Tous trois surtout se passionnent pour la formation spirituelle des prêtres et la restauration des paroisses ravagées par les guerres et l'inculture religieuse. François de Sales (1567-1622), juriste et prêtre formé à Rome, jeune évêque de Genève, obligé de s'installer à Annecy, car sa ville épiscopale est officiellement calviniste, s'attelle à la rénovation de son diocèse ravagé par le passage des gens de guerre (de religion ou d'Italie), où de multiples paroisses sont sans prêtre, où les fidèles sont abandonnés, sans ressources souvent et sans instruction généralement, même religieuse. Il a rencontré Jeanne de Chantai dès 1604, écrit de multiples lettres de conseils ou de direction pour les laïcs qu'il confesse et oriente dans la vie de prière et pour les nouveaux convertis qui reviennent au catholicisme.

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•■ Ces écrits rassemblés et publiés à la demande des jésuites, dès 1608, forment " l'Introduction à la Vie Dévote " (entendez : " dévouée à Dieu ") qui est aussitôt diffusée, rééditée et traduite jusqu'en Angleterre. Pour accueillir et former les nouveaux convertis de la Réforme, ou les candidats au Sacerdoce, il fonde et développe la " Sainte Maison de Thonon ", centre culturel et spirituel où passeront en deux ans 500 futurs prêtres. Il partage, avec Bérulle et Vincent de Paul, le souci de la formation d'excellents prêtres, "nourris de l'Eucharistie, animés par l'Amour du Christ, prêchant simplement mais avec profondeur... ". Or l'évêque de Genève prêche avec bonheur pour tous les publics ; il fait plus : pour atteindre ceux qui, par préjugé ou négligence, ou dans les longs hivers savoyards, ne mettent pas les pieds à l'église, il se fait auteur, imprimeur, éditeur, journaliste de bulletins paroissiaux distribués à domicile en son diocèse (34). Pour compléter " l'Introduction à la Vie Dévote " si appréciée des gens du monde " vivant de vie commune", il publie (1611) "le Traité de l'Amour de Dieu ", afin d'encourager ses lecteurs à l'oraison, les former à la vie d'amour de Dieu, et ainsi à la vie religieuse qu'il voudrait ouverte le plus possible au monde et " aux pauvres filles ", sans dot, sans santé... ou sans instruction, mais très aimées du Christ, alors que les couvents leur sont fermés. Alors saint François de Sales fonde avec Jeanne de Chantai " la Visitation ", et s'écrie :

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"vraiment notre petite Congrégation est un Ouvrage du Cœur de Jésus et Marie ! " car il veut que les Visitandines établissent dans les cœurs le règne de l'amour, en elles d'abord, et aussi chez les pauvres malades qu'elles visitent, ou chez les femmes " qui dans le monde ont besoin d'un peu de retraite pour se consoler ou pour s'établir en l'amendement de leur vie "... Et il insiste sur l'identité de l'amour de Dieu et du prochain dès leur source : "La même charité qui produit les actes de l'amour de Dieu, produit en même temps ceux de l'amour du prochain; comme Jacob vit qu'une même échelle servait aux anges pour monter et descendre, nous savons aussi qu'une même dilection (amour de choix) s'étend à chérir Dieu et à aimer le prochain, nous élevant à l'union avec Dieu et nous ramenant à l'amoureuse société des prochains " : Ainsi " Tout est à l'amour en l'amour de l'amour et pour l'Amour en l'Eglise de Dieu " (35). Il avait à sa mort (1622) tant élargi et approfondi la " vie dévote tant unifié tout en l'Amour, que protestants ou catholiques de son diocèse pouvaient s'exclamer comme Mr Vincent : "Mon Dieu, que vous êtes bon, puisque Monseigneur de Genève, votre créature, est rempli de tant de bonté !".

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Dès 1634, l'Eglise le béatifie, et ses œuvres en furent encore plus multipliées. Ce fut le commencement magnifique de la Réforme catholique en France. Pierre de Bérulle (1575-1629) est le théologien de " l'Ecole Française " appelée aussi de son nom " Bérullienne " ; plus que François de Sales, il est au carrefour des influences spirituelles qui s'exercent en France, car il réside à Paris : il occupe donc une position d'initiateur et son influence sera immense. Né en pleines guerres de religion, ordonné prêtre peu après l'Edit de Nantes, membre d'une famille de magistrats anoblis, il étudie au collège des Jésuites de Clermont (l'actuel lycée Louis le Grand), puis en Sorbonne. Dans le Paris d'Henri IV, il discute avec des Réformés, fréquente le salon de Madame Acarie, sa cousine, avec qui il participe activement à l'introduction du Carmel Thérésien en France (1604); il apprécie la mystique rhénane, connaît bien les Chartreux et fréquente assidûment les Jésuites, fait les Exercices Spirituels selon saint Ignace, et pense même entrer dans la "Compagnie de Jésus" (1602). Aussi lorsque, déjà, Henri IV exclut un moment les Jésuites de France, c'est lui qui est choisi par les Pères pour discerner leurs vocations. Mais sa hantise est " la restauration de l'état de prêtrise " (36).

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Il fonde alors à Paris la Communauté de "l'Oratoire" (en la saint Martin de 1611) avec cinq prêtres diocésains, menant, rue Saint-Jacques, la vie commune, priant ensemble l'Office, étudiant la Bible, et adorant l'Eucharistie. Leur spiritualité est très christocentrique : " Jésus-Christ seul est Fin et Moyen ". On retrouve chez Bérulle la marque ignatienne et thérésienne, mais dans la contemplation il s'attache surtout à l'attitude intérieure de Jésus, spécialement en son Incarnation et en son Enfance, lorsque le Verbe se fait muet. Là s'enracine sa dévotion au Saint-Sacrement et à Marie, à qui il fait voeu d'esclavage pour imiter Jésus vivant et agissant par et en Marie. Et l'œuvre de sa vie, qu'il tint à publier sous le titre " Vie de Jésus ", n'est en réalité que la contemplation et l'union de cœur à Jésus vivant en Marie " l'adoration parfaite du Père ", lorsqu'il se fait esclave d'amour pour l'humanité ; c'est là l'esprit de l'Oratoire, la marque de sa Direction. Le jeune Vincent de Paul s'en imprègne : les conseils de ce " Directeur et Ami " sont si évangéliques : " Jésus est notre accomplissement. En la dépendance de Jésus sont notre vie, notre repos, notre force. Son activité rédemptrice commencée au Baptême, Jésus veut l'achever en vous ; l'ascèse ne peut l'obtenir..., Exposez-vous à la Puissance de son Esprit ". ou bien :

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"Présentons-nous à l'Humilité, à la Charité (de Jésus)... Ouvrons nos Cœurs afin qu'elles s'y impriment : Cette adhérence est toute l'occupation de la Vierge, toute remplie de Jésus, adhérant totalement à Lui " "Comme Marie, laissez-vous à Jésus, à sa Volonté cachée sur vous " (37). Les Jésuites, grands conducteurs d'âmes comme les Pères Lallemant (38), La Colombière, ou de Caussade, Surin, Huby ou saint Jure (39), suivent la même impulsion et au siècle suivant, Clorivière dans ses lettres à Adélaïde est de la même veine. Comme les Jésuites, les Oratoriens fondent des collèges, prêchent, missionnent et catéchisent de paroisses en paroisses pour y relever la foi, organisent des retraites et sessions de prêtres, puis des Séminaires. A la mort du Cardinal de Bérulle, 400 prêtres et 60 maisons de l'Oratoire prolongent son influence, qui pénètre alors en France tous les milieux religieux. Quel Collège français, quel Séminaire n'était pas, au XVIIe siècle, influencé et nourri spirituellement par les œuvres de Bérulle, éditées dès 1644 ? Le vœu du Fondateur de l'Oratoire, " la sanctification du clergé ", était réalisé. Ce fut alors une germination de tout un peuple chrétien, un vrai renouveau mystique : au lieu d'exercices d'ascèse, c'est un esprit de louange et d'adoration ; au lieu

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de prières récitées, l'accent est mis sur l'intériorisation et l'union, ou l'abandon confiant à Dieu. A cette Ecole mûrissent des saints, qui sortent des cloîtres et se laissent façonner par la Providence de Dieu à travers les circonstances imprévisibles ou quotidiennes. Vincent de Paul (1581-1660) est le plus populaire de ces saints (40). Sa longévité, alors exceptionnelle, lui fait dominer tout son siècle. Il est prêtre dès 1600 et, venant à Paris, il se confie à la direction de Monsieur de Bérulle (1608), participe aux rencontres de l'Oratoire dont il adopte les méthodes - la direction spirituelle et les missions paroissiales - ainsi que celles de saint François de Sales qui l'apprécie au point de lui demander de le prolonger à l'aumônerie des Visitandines de Paris, lorsqu'en 1622, peu avant sa mort, l'évêque de Genève se sent débordé par l'ample diffusion de son œuvre. Mais l'orientation originale de " Monsieur Vincent " fut surtout décidée par la rencontre des pauvres paysans qu'il confessa et extrémisa, et par le cri d'un Réformé " Comment voir tant de prêtres aisés à Paris et tant de misérables chrétiens délaissés dans les campagnes, pour croire que votre Eglise soit guidée par le Saint-Esprit ! " Dès 1617, il se détache un peu de " l'Oratoire ", fonde les premières " charités " - ou secours paroissiaux des indigents - organisées par des laïcs, à la très pauvre paroisse de Châtillon-les-

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Dombes, puis à Joigny... Mâcon... pour les sinistrés des guerres de Lorraine, ou pour ceux de la famine. Car s'il reste saisi, comme Bérulle et François de Sales, par l'urgence de la formation des prêtres, il veut aussi - c'est sa marque - l'évangélisation des campagnes. Alors il fonde, dès 16251628, les "prêtres de la Mission" pour la formation des ordinands à l'évangélisation des gens simples et même des soldats. Le cardinal de Richelieu l'encourage, réclame ses missionnaires (n'est-ce pas mieux que le siège de La Rochelle pour lutter contre l'influence protestante ?). Les " Missions ", appelées bientôt du nom de leur quartier d'origine " Missions Saint-Lazare ", se répandent en France, puis à Alger, en Irlande, en Pologne et jusqu'à Madagascar (1646); en même temps s'ouvrent les oeuvres pour les Pauvres, " Charités", " Enfants Trouvés ", Hôpitaux. Dès 1634, ses "Filles de la Charité", pour pouvoir mieux servir les pauvres, c'est-à-dire Jésus-Christ même, "auront pour cloître les rues, pour clôture l'obéissance ". Les " conférences du mardi " à Paris, puis dans les villes de province, sont un vrai recyclage des prêtres diocésains. Ainsi, partout où il passe, la foi est restaurée en France, en même temps que la charité, car il faut " aimer Dieu à la force de nos bras, à la sueur de nos visages " et traduire en actes cette " charité du Christ qui nous presse " de " quitter Dieu (à l'oratoire) pour Dieu dans le pauvre " ou l'enfant, et de

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Le voir crucifié en ses pauvres humiliés. Le premier sceau des Filles de la Charité traduit ce zèle enflammé puisé au Cœur du Christ (Philip. 2,3-8) : autour d'un Cœur brûlant où se trouve inclus le Crucifié, est gravée l'inscription paulinienne : " la Charité de Jésus Crucifié nous presse" (2 Cor. 5,14). C'était le même Feu d'Amour de Dieu qui brûlait déjà François de Sales et le poussait à multiplier les œuvres de " charité pour le prochain ". A sa mort (1660), Vincent de Paul laisse 15 séminaires en France, 6 à l'étranger, 40.000 enfants trouvés ont été secourus et ses Filles ont fondé tant d'hôpitaux qu'il est vénéré dans toute la France... et dans ses "Missions étrangères". "Monsieur Vincent" est canonisé dès 1737; Pierre de Clorivière est alors un enfant, et on comprend que ce soit sous son patronage qu'il aura l'inspiration d'une " Société nouvelle " pour missionner et restaurer la Foi en France et dans tout l'univers aux temps de démolitions de la Révolution Française. Les saints Disciples de la génération suivante prennent le relais, mais ils se sont formés à leur école, les ont bien connus et brûlent du même feu. Monsieur Olier (1608-1657) est né à Paris dans une famille parlementaire (41). Puis à Lyon, il est élève du collège jésuite de cette ville lorsque Fran-

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çois de Sales vient chez ses parents qu'il fréquente assidûment de 1617 à 1622. Lorsque Jean-Jacques Olier revient à Paris, il rencontre " Monsieur Vincent " aux conférences du Mardi où il est assidu en 1633, et sous cette influence, ce jeune prêtre ardent participe aux missions rurales d'Auvergne, ou des pays nantais et chartrain dès 1634. Il se met ensuite sous la direction du successeur de Bérulle à l'Oratoire, Monsieur de Condren. Déjà marqué par sa prière à Notre-Dame de Chartres, il reçoit avec joie l'empreinte très mariale de son Directeur. Comme Bérulle et bien des prêtres de l'Oratoire, il s'était dès 1633 consacré "par voeu de servitude " " à Jésus par Marie " pour devenir son Hostie et se laisser conduire par le SaintEsprit. Les fruits apostoliques sont alors abondants. Il reçoit la charge de Saint-Sulpice, immense paroisse désolée, vaste friche de ce qui était alors la banlieue de Paris " aux Champs". C'est là que désormais son travail missionnaire s'enracine : il développe la dévotion eucharistique, les catéchismes, le soutien aux pauvres. Il lui faut intensifier le mouvement de formation des prêtres à laquelle se consacrait (trop minutieusement) l'Oratoire ; le zèle pour l'Eglise le brûle. Le " Séminaire de Saint-Sulpice " qu'il fonde en 1641, veut honorer et se laisser entraîner par " l'Esprit Apostolique de Jésus, grand Apôtre de Son Père ", s'y soumettre et l'invoquer chaque jour

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sur soi, le Clergé et l'Eglise. Pour faire vite, utiliser les ressources de la capitale et rester en contact avec les milieux cultivés, les séminaristes fréquentaient la Sorbonne, y prenaient leurs grades, recevaient à Saint-Sulpice leur formation spirituelle, et se mettaient à la disposition des évêques ensuite, pour être envoyés en tels diocèses qu'ils voudraient, selon les urgences de la mission, pour essaimer aussi des Séminaires sulpiciens en province... et jusqu'au Canada. Pour atteindre la foule des baptisés, Monsieur Olier fait imprimer (1655) la "Journée du Chrétien ", manuel de prière éduquant à la vie liturgique, eucharistique et à la prière personnelle. Il meurt deux ans plus tard, à moins de 50 ans, mais après une vie apostolique très pleine ; il laissait des Séminaires et prêtres sulpiciens en France et en Amérique. Jean Eudes (1601-1680) (42) a, comme Vincent de Paul, la robustesse paysanne. Il vient de Normandie, formé aux études et à la piété mariale par le collège des Jésuites de Caen, et à 22 ans il entre à l'Oratoire de Paris pour s'y préparer au sacerdoce ; il s'est nourri des écrits de François de Sales (Traité de l'Amour de Dieu) et a connu Monsieur Vincent. Ordonné à 24 ans, il est saisi par la misère urbaine des villes normandes lors de l'épidémie de peste à Caen, par la misère morale des filles de la campagne, prostituées en ville, pour qui il essaie d'ouvrir un " Refuge " (dès 1634), par

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la misère spirituelle des travailleurs des campagnes, qu'il constate dans les paroisses rurales normandes et bretonnes (1636), à Saint-Malo, où il missionne. Son génie apostolique fait donc un peu penser à celui de Monsieur Vincent. Lui aussi est pressé par la Charité du Christ pour le Royaume de Dieu, dont il saisit l'extrême urgence et l'enracinement intérieur ("Vie et Royaume de Jésus", 1637), selon la prière de Paul (Ephésiens 3,14-21) si chère aussi à Clorivière qui la développera en sa 8e " Lettre Circulaire ". Alors il rompt avec l'Oratoire pour fonder plus vite ses " Maisons de Jésus et Marie ", premiers Séminaires eudistes, au moment (1641) où Monsieur Olier fonde celui de Saint-Sulpice, et Monsieur Vincent celui de Saint-Lazare. C'est qu'il y a place pour tous en la Vigne du Père... trop en friche : "Allez, vous aussi à ma vigne... ". Il écrit même le roman du prêtre idéal, " un Pasteur selon le Cœur de Dieu" (1643); pour piquer ses confrères de sainte émulation il s'inspire d'un saint prêtre de Marseille (43) qu'il cherche à imiter lui-même. (Est-ce à lui que Clorivière pensait en écrivant en 1779 "le modèle des pasteurs " ?) De 1632 à 1676, Jean Eudes prêche 110 missions de plus d'un mois chacune, avec prédication d'une heure le matin, catéchismes l'aprèsmidi, conférences spécialisées selon les publics

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(d'artisans, de gentilshommes ou de prêtres, ou de femmes), confessions sans relâche... Comme Jean-Jacques Olier, il puise son ardeur apostolique au Cœur de Marie. C'est un 25 mars 1637 qu'il a fait voeu du martyre, pour imiter Jésus disant en entrant dans le monde : " Vous n'avez voulu ni holocauste, ni victime... alors j'ai dit : Je viens " (Ps. 39, v. 7-9). C'est encore en l'Assomption de 1643 qu'il fonde la " Congrégation de Jésus et Marie " (futurs Eudistes) et pour elle il compose et célèbre le 8 février 1648 à Autun la première fête liturgique du Cœur de Marie. Il lui dédie la première chapelle du Saint Cœur de Marie au Séminaire de Coutances (actuellement chapelle du lycée) et ses missions s'étendent en Normandie, en Champagne et Bourgogne, en Bretagne. Il ouvre des séminaires à Caen (1658), à Rouen (1659) et Rennes (1670) (44). Il prêche avec grand succès à la Cour de Versailles (1671) et compose la liturgie de la première fête du Cœur de Jésus (20 octobre 1672) : il a l'approbation de nombreux évêques de France, et dès 1674, les Bénédictines de Montmartre célèbrent solennellement une fête du Sacré-Cœur. Cependant Louis XIV est réticent, et retire même sa protection à Jean Eudes qui doit revenir à Caen. Il y achève d'écrire " Le Cœur Admirable de la Mère de Dieu" (25 juillet 1680) et meurt le 19 août suivant, dans l'octave de l'Assomption de Celle qu'il avait si bien chantée, servie et suivie

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dans l'obscurité et la contradiction qui transpercent le Cœur de la Mère et du Fils (45). Mais il ne laissait que 40 religieux eudistes et 6 séminaires et ses fondations ("Refuges") étaient contestées et freinées. Pourtant le bon peuple de l'Ouest et de Bourgogne chantait ses cantiques, adoptait sa dévotion aux Cœurs de Jésus et Marie, et de multiples confréries paroissiales prolongeaient son influence et adoptaient ses catéchismes et manuels de piété jusqu'à la fin du XVIIP siècle... sans connaître toujours leur auteur. Les congrégations religieuses et les paroisses célèbrent dès lors les 8 février, dans l'octave de la Présentation, la fête du Saint Cœur de Marie dont l'oraison, très johannique, composée par Jean Eudes, pourrait être contresignée par François de Sales, Bérulle, Mr Olier et... Pierre-Joseph de Clorivière.

"Dieu, Tu as voulu que Ton Fils Unique, éternellement vivant en Ton propre Cœur, Vive et règne dans le Cœur de Marie, Donne-nous de célébrer cette vie très sainte de Jésus et de Marie en un seul Cœur, de n'avoir qu'un seul cœur entre nous et avec eux, et d'accomplir en tout Ta Volonté avec amour et de grand cœur ". Dans le Diocèse d'Autun, quand Jean Eudes introduisit la Fête du Cœur de Jésus (1672), Marguerite-Marie Alacoque (46), jeune fille de

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25 ans, venait d'entrer dans " cette petite Congrégation... ouvrage du Cœur de Jésus et Marie", la Visitation de Paray-le-Monial. Or, l'année suivante, en la fête de saint Jean, 27 décembre 1673, alors qu'elle priait près du Saint-Sacrement,... " le Seigneur, confie-t-elle, me fit reposer fort longtemps sur sa poitrine où II me découvrit les merveilles de son Amour... et les secrets de son Cœur... qu'il m'ouvrit pour la première fois... " (47). Elle eut trois autres grandes Révélations : Un premier vendredi du début 1674 : " Ce divin Cœur m'était représenté comme un Soleil... d'une éclatante lumière dont les rayons donnaient sur mon cœur d'un feu si ardent qu'il me semblait m'aller réduire en cendres ". Un premier vendredi de 1674, le SaintSacrement étant exposé : " Jésus-Christ se présente à moi tout éclatant de Gloire ; ses cinq plaies brillantes comme cinq soleils... Et Sa Poitrine, qui ressemblait à une Fournaise s'étant ouverte, Il me découvrit son Cœur tout aimant, vive Source de ces flammes... " et "jusqu'à quel excès II avait aimé les hommes, dont II ne recevait qu'ingratitudes "... "S'ils me rendaient quelque retour d'amour! Toi, du moins, donne moi ce plaisir de suppléer. Je serai ta Force ". Jésus lui indique alors ce qu'il désire : la communion fréquente, et de plus celle de tous les premiers vendredis. Et "les nuits du jeudi au

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vendredi, tu te lèveras de onze heures à minuit pour te prosterner une heure avec Moi tant pour les pécheurs que pour adoucir l'amertume... de l'abandon de mes apôtres ". Enfin en juin 1675: "étant devant le SaintSacrement en jour de son octave (après la Fête Dieu), 77 me dit : " Voici ce Cœur qui a tant aimé les hommes... et je ne reçois de la plupart que froideurs... et mépris qu'ils ont pour Moi dans ce Sacrement d'Amour... C'est pour cela que je te demande que le Vendredi d'après l'octave du Saint-Sacrement soit une fête particulière pour honorer mon Cœur en communiant ce jour-là. Adresse-toi à mon serviteur (le Père La Colombière) et dis-lui de faire son possible pour donner ce plaisir à mon divin Cœur ". Le 20 juillet 1685, ses novices, pour sa fête, lui font la surprise de vénérer la première image du Cœur de Jésus, blason symbolique de sa Royauté d'Amour (48) : un Cœur ouvert, auréolé d'épines, surmonté de la croix "qui signifiait que dès son Incarnation la croix y fut plantée... Il voulait que l'image en fut portée sur soi et sur le cœur pour y imprimer son Amour " (49). Le culte du " Sacré-Cœur " est ainsi mis en relation avec Son Don d'Amour à la Cène et au Calvaire : l'Eucharistie. Les révélations à Marguerite-Marie en dégageaient le message si clair, si évangélique. Ce culte fut bientôt adopté à Dijon, Autun, Lyon, Marseille : il avait été confirmé par

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l'approbation du confesseur des Visitandines de Paray, le jeune et saint Père Claude La Colombière, diffusé bientôt par les Pères Jésuites (50) à qui le Christ en avait confié la mission en 1688. Dans leurs Collèges, les élèves prient le Cœur de Jésus ; on recopie... on imprime des images et les Révélations de Paray. Ce culte est désormais populaire en France, et déborde très vite l'audience des communautés et paroisses qu'avaient atteintes les maisons de Jean Eudes et les missions des Jésuites bretons. Après les apparitions de Paray, tous les foyers, isolés mais nombreux,de la dévotion au Cœur de Jésus apparus en France au cours du XVIP siècle, se mettent à flamber dans un incendie qui gagne le pays entier, auquel participent toutes les Congrégations : Carmels, Bénédictines du Saint-Sacrement à Montmartre, Ursulines, Franciscains, Eudistes ou Jésuites. Il avait fallu pour cela les révélations de Paray dans un terrain français déjà partout préparé. Le culte gagne la Pologne, l'Italie, Vienne ; il est approuvé par beaucoup d'évêques. Il restait encore beaucoup de chemin à parcourir pour vaincre les obstacles venus des Jansénistes - les plus farouches opposants à une dévotion qui glorifiait l'Amour miséricordieux du Sauveur - ou des milieux parlementaires et éclairés des " beaux esprits " du siècle ; tous méprisent ceux qu'ils flétrissent du nom de " Cordicoles".

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Louis-Marie Grignion de Montfort (51) (16731716) est un autre grand Missionnaire des SaintsCœurs. Il est Rennais, né à Montfort-la-Cane près Rennes à la fin du siècle (1673). D'abord élève du collège Jésuite " Saint-Thomas Beckett " de 1684 à 1692, puis séminariste à Saint-Sulpice de Paris, il fut donc formé à la même école ignatienne et bérullienne que Mr Olier et Jean Eudes, et reçut fortement cette double empreinte (52). Durant les seize ans de sa courte vie d'apôtre brûlé de zèle, L.M. Grignion de Montfort missionna de la Bretagne au Poitou (1700-1716). Mais son apostolat s'exerce vraiment à contrecourant en ce début du XVIIIe siècle. Il fut encore plus contesté que Jean Eudes par les beaux esprits rationalistes, gallicans ou jansénistes de son temps, parce qu'il était " trop " ascétique, si pauvre que, comme Benoit Labre (ou Ignace), les mendiants de Poitiers le prenant pour l'un des leurs, se cotisaient pour lui ; et " beaucoup trop " mariai, car comme Mr Olier et comme Jean Eudes, tout son zèle missionnaire, toute sa sagesse et toute son efficacité apostolique étaient puisés au Cœur de Marie, à laquelle il s'unissait de visée, de cœur et d'action en priant les mystères du grand rosaire qui, avec la Bible et la Croix, ne quittaient pas ce missionnaire de Dieu. A Poitiers, il connaît le message de Paray le Monial, et s'en inspire. Quand s'annonce " l'ère des grands craquements " qui préludent à la Révolution (53), la

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Bretagne, le Poitou et la Vendée furent si marqués par sa prédication que, durant les tempêtes de la Révolution, les deux Cœurs enlacés de Jésus et Marie furent la marque de la résistance religieuse à la déchristianisation ; ils restent aujourd'hui le symbole de la Vendée (les touristes qui voient cet emblème le comprennent-ils ?). Les petites écoles des Sœurs Grises de la Sagesse qu'il avait fondées, avaient si bien formé la paysannerie que la prospérité agricole était un des fruits jalousés de la Vendée, qui exportait ses farines et son bétail à Paris. C'est pourquoi l'extermination des paysans et l'incendie des villages et des moulins, dans la terrible guerre de Vendée (1793-1794), par les armées de répression envoyées par la Convention, aggraveront la disette dans la capitale. Mais la Vendée ne capitula pas - ni la chouannerie en Bretagne -, tant qu'elle n'obtint pas la réouverture des églises et la liberté du culte. Et ce n'est pas un hasard si un prêtre d'Angers négocia en Vendée le Concordat de 1801 par lequel Bonaparte accordait la paix religieuse en France : la Vendée, martyre de sa foi, l'avait achetée par son sang ; les 99 martyrs d'Angers, laïcs, prêtres, nobles, artisans, ruraux et domestiques, fusillés en février 1794, canonisés depuis 1986, en sont les témoins. On comprend pourquoi Pierre Joseph de Clorivière, curé de Paramé, écrivait " la vie de Monsieur de Montfort ", admirait et encourageait

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les missions paroissiales (54) de prêtres bretons comme Mr Cormeaux, et voulait, pour les prolonger, instituer des prêtres diocésains, religieux en secret, à l'âme missionnaire forgée par l'imitation des Cœurs de Jésus et Marie, jusqu'à ce qu'on puisse restaurer la foi et les oeuvres ruinées par les tempêtes révolutionnaires. Entre la ferveur de l'Ecole Française et les missions bretonnes du XVIIe siècle d'une part, et le XVIIIe siècle si teinté de rationalisme critique d'autre part, Louis de Montfort avait jeté un pont. Clorivière le suit et voudrait lui aussi lancer un pont pour franchir les tourbillons de la Révolution anticléricale jusqu'à notre XIXe siècle qui, prévoit-il, se laïcisera. Durant tout le XVIIIe siècle, malgré la force de résistance des esprits gagnés à la philosophie des " Lumières ", l'adhésion populaire au culte des Saints Cœurs s'étend grâce aux missions paroissiales, aux confréries et aux couvents. L'enthousiasme suscité par des guérisons miraculeuses dûment constatées, et surtout par l'extinction d'une violente épidémie de peste à Marseille, lorsque la ville se fut consacrée en 1721 au Sacré Cœur de Jésus, contribuent aussi à sa diffusion (55). Et on peut constater à la fin du siècle, souligne Daniel Rops, "une tendance très nette à un renouveau spirituel, à une reprise de l'élan mystique comme si, menacée par tant d'ennemis, ou par trop de tiédeur, la foi des catholiques éprou-

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vait le besoin de faire retour à la Source d'eau vive " (56). Le message de sainte Marguerite-Marie à Paray-le-Monial se diffusait largement et Rome recevait des suppliques de plus en plus nombreuses en vue d'obtenir une fête liturgique en l'honneur du Cœur de Jésus. En 1765, le Pape Clément XIII avait enfin reconnu la mission de MargueriteMarie pour authentique, et accordé une Messe et une fête avec un Office propre " du Sacré-Cœur ", à la Pologne comme aux confréries du Sacré-Cœur. Depuis le début du XVIIIe siècle, les évêques (qui jouissaient de la liberté en ce domaine) avaient çà et là en France pris l'initiative de la fête. La nouveauté en 1765 pour la France, c'est qu'à l'assemblée épiscopale de juillet, la reine Marie Leczinska pressant les évêques présents, ceux-ci décidèrent d'instaurer la fête dans tous leurs diocèses, incitant les absents à faire de même. Des estampes, comme celle de P.J. Pasquier, célèbrent l'événement, montrant la France guidée par l'Eglise, adorant le Cœur du Christ, soleil d'Amour au sein de la Trinité. De nombreuses liturgies, messes du Sacré-Cœur voient le jour au cours des décennies suivantes. Associations, confréries des Cœurs de Jésus et Marie se multiplient en Europe occidentale : Ouest français, Bourgogne, Provence, Alsace, Rhénanie et en Pologne. Elles ouvrent aussi petites écoles, hospices, entretiennent des soupes populaires,

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distribuent des secours aux pauvres... Ainsi le torrent était devenu un fleuve dont les bras se multipliaient et arrosaient le Jardin de l'Eglise (Genèse 2,10) "Et partout où ses eaux pénètrent la vie se multiplie, les arbres (de sainteté) croissent et portent fruits, et la marée (du mal) s'assainit " (Ezéchiel 47,7 et 8). A l'approche de la Révolution et de l'interdiction de la Compagnie de Jésus (1773), c'est dans le Cœur du Christ que les Jésuites cherchent refuge (57) ou intercèdent pour leurs persécuteurs. Le Père de Clorivière fait ses retraites (celle de 1771) avec les manuscrits autobiographiques de Marguerite-Marie, et la Retraite du Père La Colombière. Il est touchant de constater jusque dans la famille royale cette dévotion fervente ; Madame Elisabeth, jeune soeur de Louis XVI, priait ainsi : " O Jésus-Christ, tous les saints nous disent que votre Cœur a été ouvert pour tous les hommes, et spécialement pour la France...; en faisant naître cette dévotion au sein du Royaume, n'avez-vous pas voulu lui préparer une ressource dans ses malheurs ? " (58) Elle voudrait obtenir du Roi Louis XVI la consécration du Royaume en péril au Cœur de Jésus (59). En 1788, elle n'y parvint pas, malgré la piété du Roi, et il n'est pas tout à fait sûr qu'elle y parvint plus tard.

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Pourtant en 1815, on diffuse le texte d'un " vœu du Roi martyr " écrit par Louis XVI, peut-être aux Tuileries à la veille du 10 août 1792 et sous l'influence de son confesseur le saint Père Hébert, supérieur général des Eudistes, très dévot aux Saints Cœurs. Il y en aurait eu plusieurs copies cachées par les soins du P. Hébert avant qu'il soit arrêté, incarcéré et massacré à la prison des Carmes. Une de ces copies fut " cachée dans la fente d'un mur par Mademoiselle de Cicé, fondatrice des Filles du Cœur de Marie " (60), une autre déposée à l'Archevêché de Paris... Louis XVI d'après ce texte promettait par vœu, dès qu'il recouvrerait sa liberté et sa puissance royale, de révoquer la Constitution civile du clergé, ... d'établir une fête solennelle en l'honneur du Sacré Cœur de Jésus le premier vendredi après l'octave du Saint-Sacrement et de lui consacrer son Royaume. Mais tous les témoins de ce vœu ont été massacrés, et ni le Testament du Roi à Noël 1792, ni le " Mémoire " écrit avant de quitter le Temple par Madame Royale, sa fille et la seule survivante de la famille royale, n'y font allusion. Pourtant la dévotion de la famille royale aux Saints Cœurs, dont ils vénéraient et portaient l'image, est certaine. Les historiens hésitent donc ou n'en parlent pas (61). Deux Dames d'honneur de la Reine, amies de la princesse de Lamballe, échappées à la prison grâce à Thermidor, ou revenues d'émigration, sont témoins directs d'un autre voeu : Mesdames de

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Carcado et de Saisseval avaient assisté avec de nombreux témoins émus, à la prière de la famille royale venue à Notre-Dame de Paris renouveler, le 10 février 1790, la Consécration du Royaume à Marie par le Roi Louis XIII (10 février 1638). Puis elles s'associèrent au voeu que fit Madame Elisabeth, avec de pieuses dames de sa suite et trois prêtres de Saint-Sulpice en juillet 1790 : la Terreur les massacra ou dispersa tous. Mais Madame de Saisseval dans son " Journal " et sa correspondance, ainsi que Madame de Carcado dans une lettre de 1806 en donnent le texte et les dates (62): "On promettait par vœu au Saint Cœur de Marie, considérant que le Sacré Cœur de Marie fut l'arche où se conserva la foi dans le temps de la Passion de Notre Seigneur : 1°) de consacrer une somme aussi considérable qu'on pourrait... à la bonne oeuvre qui semblerait la plus agréable à Dieu... ériger un autel dédié au Cœur immaculé de Marie et fonder un Salut (du Saint-Sacrement) en reconnaissance de la grâce demandée: la conservation de la Religion catholique en France ; 2°) d'élever gratuitement au moins un garçon et une fille pauvres ". En gage de ce vœu, deux Cœurs d'or, jointifs, représentant ceux de Jésus (couronné d'épines, enfermant ces mots " l'Eglise de France ") et de Marie (percé du glaive, contenant la supplique " le

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Roi et la famille Royale ") furent envoyés au Trésor de la Cathédrale Notre-Dame de Chartres... où ils échappèrent aux pillages révolutionnaires... et sont encore sous la châsse du " Voile de Marie ". Dès 1803, dans leur héroïque pauvreté - car elles ont tout perdu - les deux Dames, devenues Filles du Cœur de Marie, trouvent des associées, et fondent sou par sou, l'œuvre des petits Séminaires, et celle des " Enfants délaissés " (orphelinat) (63). Madame de Carcado, dans sa lettre d'août 1806 souligne en effet que dès 1791, " la foi pouvait être considérée comme sauvée ", car le 4 janvier 1791, 42 évêques sur 44 présents à la Constituante refusèrent le Serment, le Roi rétractant ensuite, à la veille de Varennes (20 juin 1791), sa signature à la Constitution Civile du Clergé (64). Les Cœurs du Trésor de Chartres, le lycée technique Carcado-Saisseval du boulevard Raspail à Paris, sont aujourd'hui les témoignages concrets d'une piété royale et populaire qui unissait toujours, comme le voulait " Monsieur Vincent ", la foi, l'amour de Dieu et l'amour des pauvres, et vénérait ensemble les Cœurs unis de Jésus et Marie.

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IV Le XIXe siècle

Au-delà de l'éclipsé dramatique, mais brève, de la Révolution, le XIXe siècle voit une Restauration rapide des anciens Grands Ordres Religieux, et de plus une multiplication extraordinaire de Congrégations apostoliques nouvelles, d'Associations, de Missions paroissiales d'évangélisation populaire, et d'oeuvres de bienfaisance, issues de la " dévotion aux Cœurs du Christ et de sa Mère ". La célèbre " Médaille Miraculeuse " (65), diffusée depuis Paris (rue du Bac) après 1830, montrant au revers les deux Cœurs et la croix, encourage aussi cette dévotion par un sillage ininterrompu de grâces de conversion ou protection. Ainsi, l'amour pour le Christ et ses pauvres s'incarne socialement en une multitude d'Ecoles ou Hospices en France, ou lance des Missions d'évan-

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gélisation dans tout l'univers, Asie, Afrique et Océanie... La foi et la charité restent donc toujours liées (66) comme aux temps de Vincent de Paul ou François de Sales. " L'apostolat de la Prière " noue en gerbe d'offrandes au Cœur de Jésus les prières et les activités de milliers d'associés regroupés autour du centre jésuite de Toulouse ; bientôt ils deviennent des millions dans le monde entier. La Papauté encourage le culte du Sacré-Cœur et l'étend en même temps à tout l'univers catholique. Le 23 août 1856, Pie IX étend au monde entier "la fête du Sacré-Cœur, entrée dans la liturgie depuis près de deux siècles ", précise-t-il lui-même, "grâce à saint Jean Eudes, l'auteur du culte liturgique des Cœurs Sacrés de Jésus et de Marie ", comme le qualifiera le Décret d'héroïcité de ses vertus, le 3 janvier 1903. En décembre 1857, dans une lettre synodale, le Cardinal Pie, à l'instar de Bossuet, affirme que : " le culte du Sacré-Cœur, c'est la quintessence même du christianisme, c'est l'abrégé et le sommaire de toute la religion... Le christianisme... ne saurait être identifié aussi absolument avec une autre dévotion comme avec celle du Sacré-Cœur ". En 1870, les chrétiens de France sont traumatisés par la guerre, l'invasion du pays et aussi l'occupation de Rome par les troupes italiennes qui interrompent le Concile Vatican I, tandis que le Pape Pie IX s'enferme au Vatican. Alors, à l'initiative de laïcs encouragés par deux Jésuites et deux

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Dominicains, s'élabore le " voeu national au SacréCœur " dont le texte (janvier 1871) circule rapidement dans toute la France et provoque adhésions et souscriptions enthousiastes... donc avant la Commune (mars 1871). La Basilique de Montmartre s'érige dès la paix en même temps que la prière s'y organise, sans attendre que l'édifice soit achevé avec, dès 1885, "l'adoration perpétuelle" du Saint-Sacrement... qui n'a jamais cessé depuis... Elle est devenue pèlerinage national et international au Cœur de Jésus. Le 23 mai 1899 annonçant, par l'Encyclique " Annum Sacrum ", la consécration du genre humain au Sacré-Cœur, Léon XIII déclare : " Dans le Sacré-Cœur... se trouvent le symbole et l'image expressive de l'infinie charité de Jésus-Christ qui nous stimule à l'aimer en retour ".

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V Au XXe siècle

Le culte du Cœur de Jésus s'approfondit et s'élargit. A cette époque où le rapide essor des sciences analyse la structure de la matière et l'évolution des êtres vivants, des idéologies s'imposent, avec des théories scientifiques "projetant vers le bas le centre du monde ou s'égarant dans le culte de la matière ". Alors le savant jésuite et explorateur paléontologue, Pierre Teilhard de Chardin, " suspend la marche des choses au pôle supérieur de l'Esprit ". Il opère ainsi, souligne le Père de Lubac (67), un renversement de méthode : " Le Monde est attiré en avant et en haut vers le spirituel, polarisé par le Christ-Oméga qui personnalise et " amorise " le monde". De 1918 ("Ecrits du temps de Guerre " ; " Messe sur le Monde " (1923)) à 1948 ("Comment je vois"), il contemple, il prie ardem-

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ment le Christ-Jésus comme "le Foyer d'énergie aimante " qui fait monter la sève du monde vers la Divine Trinité. C'est pour cela que dans " la Messe sur le Monde " (68), offertoire splendide du travail et de la souffrance des hommes au milieu du désert de Chine, il appelle comme Elie le feu capable de tout pénétrer, celui qu'il voit brûler au Cœur du Christ dont il devine que tout l'univers en est irradié et vibrant, transfiguré par l'Energie du rayonnement du Divin immergé dans le charnel. Passionnément il se voue au Christ et s'abandonne à Lui d'avance, jusqu'à sa mort au retour de la Messe de Pâques 1955 au centre de New York tout près de l'O.N.U. C'était l'aboutissement de sa prière (69) : "Et maintenant, Jésus, que voilé sous les puissances du Monde, vous êtes devenu véritablement et physiquement tout pour moi, tout autour de moi, tout en moi, je ferai passer dans une même aspiration l'ivresse de ce que je tiens et la soif de ce qui me manque, et je vous répéterai, après votre serviteur (70), les paroles enflammées où se reconnaîtra toujours plus exactement, j'en ai la foi inébranlable, le Christianisme de demain : "Seigneur, enfermez-moi au plus profond des entrailles de votre Cœur. Et, quand vous m'y tiendrez, brûlez-moi, purifiez-moi, enflammez-moi, sublimez-moi, jusqu'à satisfaction parfaite de vos goûts, jusqu'à la plus complète annihilation de moi-même ".

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"Mon Dieu, il m'était doux, au milieu de l'effort, de sentir qu'en me développant moi-même, j'augmentais la prise que vous avez sur moi... Faites qu'après avoir découvert la joie d'utiliser toute croissance pour vous laisser grandir en moi, j'accède sans trouble à cette dernière phase de la communion au cours de laquelle je vous posséderai en diminuant en Vous... Lorsque sur mon corps (et bien plus sur mon esprit) commencera à marquer l'usure de l'âge ; quand [...] je prendrai tout à coup conscience que je suis malade ou que je deviens vieux; à ce moment surtout où je sentirai que je m'échappe à moi-même... ; à toutes ces heures sombres, donnez-moi, mon Dieu, de comprendre que c'est Vous (pourvu que ma foi soit assez grande) qui écartez douloureusement les fibres de mon être pour pénétrer jusqu'aux moelles de ma substance, pour m'emporter en Vous. O Energie de mon Seigneur... parce que, de nous deux, Vous êtes le plus fort infiniment, c'est à Vous de me brûler dans l'union qui doit nous fondre ensemble... Apprenez-moi à communier en mourant ! " Pierre Teilhard de Chardin (70) (1881-1955) En ce dramatique XXe siècle de Guerres, Révolutions et crises mondiales, tous les Papes insistent sur le recours au Cœur du Christ Sauveur dont l'extension devient universelle et embrase les cinq

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continents, partout où s'étendent les missions catholiques. Le 8 mai 1928, dans l'Encyclique " Miserentissimus Redemptor ", plus spécialement consacrée au devoir de la réparation, Pie XI présente le culte du Sacré-Cœur comme " la synthèse de toute la religion et, par le fait même, la règle d'une vie plus parfaite ". Après la deuxième Guerre Mondiale, Pie XII donne à l'Eglise un Document Majeur pour connaître les bases théologiques et historiques du Culte du " Sacré-Cœur ". C'est l'Encyclique " Haurietis Aquas ", publiée le 15 mai 1956, pour le centenaire de l'extension de la fête du Cœur du Christ à l'Eglise universelle (71). Pie XII (comme Jean-Paul II le fera plus tard à Paray-le-Monial, octobre 1986), y dénonce l'erreur de ceux qui minimisent, sinon méprisent le culte du Sacré-Cœur, le considérant comme "moins adapté, pour ne pas dire nuisible, aux nécessités spirituelles de l'Eglise et de l'humanité, les plus urgentes à l'heure actuelle " et arguant des "formes particulières et diverses " de cette dévotion, "y voient plutôt une piété plus nourrie de sensibilité que d'esprit et de Cœur ", sans compter ceux qui, voyant ce culte faire " appel surtout à la pénitence... et autres vertus qu'on déclare 'passives'..., ne l'estiment pas propre à ranimer la spiritualité de notre époque " (H.A. n° 6).

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Vues superficielles, car si certaines déviations sentimentales peuvent choquer à juste titre, elles ne fournissent pas d'arguments valables pour abandonner une dévotion aussi solidement enracinée dans la théologie, l'Ecriture et la Tradition. C'est ce que rappelle cette Encyclique " Haurietis Aquas " qu'il faudrait lire en entier (H.A. 12 à 20). Citons seulement trois passages capitaux pour la justification d'un culte qui convient si " parfaitement à la nature de la religion chrétienne qui est une religion d'amour " (H.A. 52) : 1. Le Cœur de Jésus est le Symbole de l'Amour Trinitaire : " C'est à bon droit, par conséquent, que le Cœur du Verbe incarné est considéré comme le signe et le principal symbole de ce triple amour dont le Divin Rédempteur aime et continue d'aimer son Père éternel et tous les hommes, car il est le symbole de cet amour divin qu'il partage avec le Père et l'Esprit-Saint, mais qui pourtant, en Lui seul en tant que Verbe fait chair, se manifeste à nous par son corps humain périssable et fragile, puisque "c'est en Lui qu'habite corporellement toute la plénitude de la divinité " (H.A. n° 27). 2. Dans ce Cœur bat l'Amour éternel du Cœur Humain du Christ Ressuscité : "Depuis que son corps revêtu de l'état de gloire éternelle s'est réuni à l'âme du Divin Rédempteur vainqueur de la mort, son Cœur très saint n'a

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jamais cessé et ne cessera de battre d'un mouvement paisible et imperturbable. Il ne cessera jamais pareillement de signifier le triple amour qui lie le Fils de Dieu à son Père céleste et à toute la communauté des hommes, dont il est de plein droit le Chef mystique " (H.A. n° 28). 3. Dans un troisième passage, l'Encyclique offre ce magnifique raccourci et l'Eglise, par la voix du Pape, encourage ainsi les chrétiens à " atteindre le Cœur de Dieu par le Cœur du Christ...". "Je suis le Chemin, la Porte... " (H.A. n° 60) : " C'est à très bon droit que nous pouvons voir et vénérer le Cœur du Divin Rédempteur comme l'image expressive de son Amour et le témoignage de notre Rédemption, et comme aussi l'échelle mystique qui nous élève jusqu'à embrasser "Dieu notre Sauveur " (72). C'est pourquoi dans ses paroles, ses actes, ses préceptes, ses miracles et particulièrement dans ses oeuvres qui nous témoignent plus clairement son Amour - comme l'institution de la divine Eucharistie, sa Passion si douloureuse et sa mort, le don affectueux qu 'il nous fit de sa très Sainte Mère, l'Eglise qu'il fonda pour nous, et enfin le Saint-Esprit envoyé à ses apôtres comme à nous - en tout cela, disons-nous, nous devons admirer comme des preuves de son triple Amour " (H.A. n° 28). C'est la théologie de saint Jean Eudes ; c'est la recherche mystique de saint Bonaventure qui, après Origène, cherchait dans l'approche du

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Christ, à la suite de Jean ou de Thomas ("mets ta main dans mon côté"), à recevoir l'aide et la force du Christ pour s'élever vers Lui : " l'échelle mystique qui nous élève jusqu'à embrasser Dieu notre Sauveur " ose dire le Pape Pie XII... Or il connaissait et aimait le message de la petite Thérèse dont il avait fait la deuxième Patronne de la France (après Notre-Dame). Déjà proclamée Patronne des Missions, elle devenait la grande petite sainte pour le XXe siècle et on ne peut s'empêcher de penser à cet " ascenseur " que le génie de Thérèse de l'Enfant Jésus avait trouvé " pour aller au ciel", " les bras de Jésus qui, dans Sa Miséricorde, l'attirent vers Son Cœur". Elle écrit à la fin de ses cahiers autobiographiques : "Le Bon Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables, je puis donc malgré ma petitesse aspirer à la sainteté ; me grandir, c'est impossible, je dois me supporter telle que je suis avec toutes mes imperfections; mais je veux chercher le moyen d'aller au Ciel par une petite voie bien droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle. Nous sommes dans un siècle d'inventions, maintenant ce n'est plus la peine de gravir les marches d'un escalier, chez les riches un ascenseur les remplace avantageusement. Moi, je voudrais aussi trouver un ascenseur pour m'élever jusqu'à Jésus, car je suis trop petite pour monter le rude escalier de la perfection. Alors

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j'ai recherché dans les livres saints l'indication de l'ascenseur, objet de mon désir, et j'ai lu ces mots sortis de la bouche de la Sagesse Eternelle: "Si quelqu'un est tout petit, qu'il vienne à Moi " (Prov. 9). Alors je suis venue, devinant que j'avais trouvé ce que je cherchais et voulant savoir, ô mon Dieu, ce que vous feriez au tout petit qui répondait à votre appel, j'ai continué mes recherches et voici ce que j'ai trouvé : " Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous balancerai sur mes genoux " (Isaïe 66,12-13). Ah! jamais paroles plus tendres, plus mélodieuses, ne sont venues réjouir mon âme ; l'ascenseur qui doit m'élever jusqu'au Ciel, ce sont vos bras, ô Jésus ! Pour cela je n 'ai pas besoin de grandir, au contraire il faut que je reste petite, que je le devienne de plus en plus; ô mon Dieu, vous avez dépassé mon attente et moi je veux chanter vos miséricordes " (73). C'est pourquoi, le 9 juin 1895, en la fête de la Sainte-Trinité, elle s'était offerte à l'Amour Miséricordieux de Jésus pour qu'il l'emporte, et les derniers mots de son cahier étaient pour nous encourager et rassurer : "J'imite Marie-Madeleine, son amoureuse audace qui charme le Cœur de Jésus... quand bien même j'aurais sur le cœur tous les péchés du monde, j'irais me jeter dans les bras de Jésus, car je sais qu'il chérit l'enfant prodigue qui revient vers Lui ".

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Elle avait aussitôt emprunté l'échelle mystique du Cœur de Jésus, mourant deux mois après avoir écrit ces dernières lignes, le 30 septembre 1897, en soupirant : "Je l'aime !". Elle avait ainsi vécu avant la lettre cette recommandation de l'Encyclique : "Le culte que l'on doit rendre au Cœur Sacré de Jésus est comme la profession pratique de toute la religion chrétienne " (H.A. n° 60) bref, un magnifique raccourci ! Pourtant, après l'enthousiasme du renouveau liturgique et biblique suscité par le Concile Vatican II (1962-1965), on a ressenti pour ce culte un certain désintérêt et même une éclipse dans l'euphorie des " engagements " des années 1950-1970. Mais actuellement, après un certain essoufflement, le besoin se fait jour de redécouvrir et intérioriser les Sources Spirituelles que les études patristiques, historiques et la connaissance plus approfondie et large des Textes Bibliques permettent de mieux savourer. Or Paul VI invitait la France à rééquilibrer action et contemplation. Elu en la fête du SacréCœur, il recommandait " que le Cœur de Jésus soit honoré par une plus intense participation à l'Eucharistie, son Don le plus grand ". Et le Pape Jean-Paul II (élu en la fête de sainte Marguerite-Marie (octobre 1978) lance son appel célèbre : " Levez plus souvent les yeux sur Jésus-Christ !

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Regardez l'Homme-Dieu, L'Homme au Cœur Transpercé, N'ayez pas peur ! Ouvrez-lui les portes ! Il est le Libérateur de l'homme ",

Or il vient de Pologne, premier pays qui réclama une fête du Sacré-Cœur pour le monde (1765), et ses Encycliques sur le " Rédempteur de l'homme" (1979), la "Miséricorde Divine" (1980), ou ses appels à Paray-le-Monial (5 octobre 1986) montrent que le Cœur du Christ est à sa place centrale dans le mystère de la Rédemption du monde par la Trinité : " La Rédemption du monde - ce mystère redoutable de l'amour, dans lequel la création est renouvelée - est, dans ses racines les plus profondes, la plénitude de la justice dans un Cœur humain, dans le Cœur du Fils premier-né, afin qu'elle puisse devenir la justice des cœurs de beaucoup d'hommes qui, dans ce Fils premier-né, ont été prédestinés de toute éternité à devenir fils de Dieu et appelés à la grâce, appelés à l'amour (Eph. 1). La Croix du Calvaire sur laquelle Jésus-Christ - Homme, Fils de la Vierge Marie, fils putatif de Joseph de Nazareth " quitte " ce monde, est en même temps une manifestation nouvelle de la Paternité éternelle de Dieu, lequel, dans le Christ, se fait de nouveau proche de l'humanité, de tout homme, en lui donnant "l'Esprit de Vérité " trois fois saint ". "Cette révélation du Père et cette effusion de l'Esprit-Saint, qui marquent d'un sceau indélébile le

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mystère de la Rédemption, font comprendre le sens de la Croix et de la mort du Christ. Le Dieu de la création se révèle comme le Dieu de la Rédemption, Dieu "fidèle à lui-même", fidèle à son amour envers l'homme et envers le monde, tel qu'il s'est déjà révélé au jour de la création. Et son amour est un amour qui ne recule devant rien de ce qu 'exige sa justice. C'est pourquoi le Fils "qui n'avait pas connu le péché, Dieu l'a fait péché pour nous ". S'il " a fait péché " celui qui était absolument sans péché, il l'a fait pour révéler l'amour qui est toujours plus grand que toutes les créatures, l'amour qu'il est lui-même, " car Dieu est amour " ; et surtout, l'amour est plus grand que le péché, que la faiblesse, que la caducité de la créature, "plus fort que la mort " (74). - " Avance en eaux profondes " (Luc 5,4). Après ce long enseignement du Christ, depuis la barque de son Eglise, durant vingt siècles, il est temps - sur sa Parole - sans nous désoler d'avoir " péché toute la nuit sans rien prendre ", de nous laisser entraîner " par ce dessein bienveillant que Dieu avait formé par avance pour le réaliser quand les temps seraient accomplis, ramener tout sous un seul Chef, le Christ,... de connaître l'Amour du Christ qui surpasse toute connaissance " (Eph chap. 1,10 et 3,19), Torrent inépuisable, approfondi de siècles en siècles où s'assainit et fourmille la Vie et " le poisson sera très abondant et des filets seront tendus"... (Ez 47,9-10).

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Deuxième Partie

LE CLIMAT SPIRITUEL DE LA FIN DU XVIIIe SIECLE AUX ORIGINES DES FONDATIONS DE CLORIVIERE


"Jamais dans l'Eglise la sainteté n'a été vécue sans être nourrie des expériences antérieures. Dans la croissance de la Vie selon l'Esprit, le maître spirituel dont on fait la lecture remplit le rôle d'un ami, ... son apport n'est pas conceptualisable mais sa fréquentation va peu à peu me transformer par osmose, ... quelque chose d'eux est passé en nous sans que nous nous en rendions compte... " J.-Cl. Guy, S.J. (Bulletin de Saint-Sulpice 1983-9, p. 212). "Il ne fait pas de doute que la période actuelle est de celles qui nous obligent à rechercher une nouvelle fidélité aux origines. En tous domaines, nous sommes dans un temps où les expressions chrétiennes d'un passé récent ne sont plus vivifiantes, doivent être reconsidérées. Cela est vrai (surtout) de l'accueil existentiel de la Parole de Dieu, qu'on appelle la spiritualité. " J.-Cl. Guy, dans " Saint Benoît -480- 1980".

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VI Les trois sources de la spiritualité de P.-J. de Clorivière

Il semble indispensable, pour mieux comprendre le Père Pierre-Joseph de Clorivière, pénétrer ses écrits, ou l'esprit de ses Fondations de 1790 (Sociétés du Cœur de Jésus et du Cœur de Marie) de bien connaître sa spiritualité. Or il est tributaire de son milieu breton et français, des influences spirituelles qui s'exerçaient en son temps. Il sut en discerner les meilleures sources et y puiser largement ; elles sont de trois ordres : 1. C'est d'abord la Bible Si, au XXe siècle, le renouveau biblique et liturgique nous a rendu la familiarité de l'Ecriture sainte, nous facilitant la connaissance en notre langue d'une plus riche variété de textes, au temps

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de Clorivière, et depuis le Concile de Trente, ces textes n'étaient accessibles qu'en latin, et réservés à un clergé instruit ; c'était trop demander pour de simples fidèles... même si quelques évêques, ou Jean Eudes ou Mr Olier encourageaient la publication de " Livres de prières " traduisant les prières essentielles et les évangiles des Messes des grandes fêtes. Comme François de Sales ou Mr Olier, le Père de Clorivière veut ouvrir plus largement ce trésor. Il cite la Bible en latin... puis il traduit ; il s'y réfère en tête de tous ses écrits, ses homélies ; mais, plus encore son texte, son style s'en nourrissent, même sans référence explicite, tant sa pensée en est pétrie. Il s'inspire surtout de saint Jean, saint Paul et des épîtres de saint Pierre dont il fait des " Commentaires ", de " l'Apocalypse " qu'il a beaucoup étudiée jusque dans ses cachettes, pendant la Terreur. Il connaît à fond toute l'Ecriture ; elle lui permet la richesse d'évocation biblique des commentaires des " Litanies de la Sainte Vierge " ou du " Rosaire ", car sa dévotion mariale est fondée sur l'Ecriture, d'autant plus que les contacts qu'il eut en Angleterre ou en Belgique avec le monde protestant lui en avaient fait sentir l'exigence. En cela il est très moderne et (comme François de Sales au pays de Genève), il fait déjà oeuvre oecuménique ; aussi plusieurs Réformés se rallièrent à un Catholicisme si appuyé sur la Parole de Dieu.

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Clorivière doit encore répondre avec rigueur, par l'appui incessant sur l'Ecriture, aux objections qu'on lui oppose en ces temps (1800) déjà rationalistes où l'on suspectait facilement, même dans le clergé, les " dévotions " à la Sainte Vierge ou aux Cœurs de Jésus et Marie. Sa " Lettre sur la Très Sainte Vierge en réponse à quelques objections " en est un bon exemple (75) : les arguments sont tirés des textes de la Genèse, du Cantique, de Jean, de Paul, mais fidèle à l'héritage catholique, il s'appuie aussi sur la Tradition en sa continuité et il cite les " Pères de l'Eglise... les Bernard, Anselme, Bonaventure ", ou ses contemporains : " l'excellent livre du P. Gallifet... ou les Conférences du Père d'Argentan " (76) . S'il encourage les vocations à ses Fondations (77) , c'est encore en s'appuyant sur l'Evangile de Jean (chap. 15 et 17 surtout), ou l'Epître aux Ephésiens qu'il aime particulièrement (chap. 1 à 4). Un lecteur un peu familier de la Bible peut facilement retrouver ces références, même non mentionnées, en tous ses écrits. 2. C'est aussi la spiritualité ignatienne Ce fidèle Jésuite l'a voulue explicitement pour ses Fondations ; il a écrit dans le premier récit des Fondations (août-septembre 1794) qui nous soit conservé : "l'Institut de la Société de Jésus (78)...

serait comme un rejeton de la Compagnie de

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Jésus..., elle regarderait toujours saint Ignace comme son fondateur. On n 'admettrait de changements que ceux que saint Ignace serait censé y avoir faits lui-même, s'il s'était trouvé dans la même situation " (79) (allusion à la suppression de la Compagnie et à la Révolution Française qui interdisait toute association et voeux religieux). Les premiers membres de cette Société (du Cœur) de Jésus y entrent après avoir fait les Grands Exercices de saint Ignace, et y font la consécration de soi-même selon la prière ignatienne " O Roi suprême " dès le 2 février 1791, en spécifiant, dans l'acte de cette première Association spirituelle, " sous les auspices de la Très Sainte Vierge Marie, Mère pleine de tendresse et Protectrice toute-puissante ", que " saint Ignace est choisi pour Père et Patron ainsi que tous les saints de la Compagnie ". Si l'on ajoute que cette première Association est faite à Montmartre, dans une chapelle où saint Ignace avait réuni ses premiers compagnons, le 15 août 1534, on voit que la filiation est très claire dans l'intention et l'expression du Père de Clorivière. Pour la Société de Marie (appelée ensuite dès 1791 "du Cœur de Marie"), l'inspiration et le premier Plan qui la fondent (18-27 août 1790) sont calqués sur les mêmes idées et l'Acte d'Association des premières " Filles " est daté du même jour (2 février 1791) et dans des termes à peu près semblables (80).

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Clorivière insiste souvent sur ce parallélisme et cette ressemblance entre les deux Sociétés. De plus, aux premiers livres de Règle imprimés dès fin 1792 (Plans des deux Sociétés du Cœur de Jésus et du Cœur de Marie), s'ajoute le "Sommaire des Constitutions Ignatiennes" et la "Lettre de N.S. Père Ignace sur la Vertu d'Obéissance ". Quand le Fondateur rédige la Règle de Conduite pour les premières Filles du Cœur de Marie, il se plaît à souligner leur date : " Paris - 30 juillet 1791 samedi veille de Saint-Ignace ". La pensée et la prière de Clorivière étaient si fidèlement puisées aux sources Ignatiennes que ce fils d'Ignace fut choisi, en 1814, comme restaurateur en France de la Compagnie de Jésus qui était abolie depuis 1773. Mais il ne renonce pas à s'occuper de ses deux Fondations, il a relu les Constitutions de 1818 qui spécifiaient que les retraites spirituelles des Filles du Cœur de Marie " se feront selon la méthode de saint Ignace " (81). Jusqu'à nos jours, la Société du Cœur de Marie puise toujours largement aux sources ignatiennes que les circonstances historiques actuelles ouvrent plus largement encore qu'au temps de leur fondateur. On pourrait multiplier exemples et citations, tant cette référence aux sources ignatiennes est constante dans la formation et l'histoire des deux siècles d'existence des Filles du Cœur de Marie.

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3. Et l'Ecole Française enfin : Mais il faut actuellement insister sur la troisième source de la spiritualité de Clorivière et de ses Fondations, celle de " l'Ecole Française ou Bérullienne ", car elle est moins immédiatement apparente, quoiqu'elle imprègne toute sa spiritualité et transpire dans ses écrits, parce que moins connue, voire un peu oubliée de nos contemporains. Pourtant Clorivière se réfère explicitement à deux saints de ce courant, déjà canonisés en son temps, et universellement vénérés en France au XVIIIe siècle : Saint Vincent de Paul surtout (1581-1660), car c'est en priant le jour de son patronage (le 19 juillet 1790), alors qu'il devait "prêcher le panégyrique de saint Vincent de Paul " à Saint-Servan qu'il eut " au sortir de l'oraison du matin " cette inspiration " en un clin d'oeil et cependant dans un assez grand détail " d'un genre de vie religieux nouveau (82)... "pourquoi pas en France ? Pourquoi pas dans tout l'univers ?". Si toujours il veut qu'on se réfère à ce patronage de Monsieur Vincent, c'est qu'il se veut et se sent dans son sillage et y engage ses Fondations. C'est pourquoi dans sa troisième Lettre Circulaire sur la Pauvreté et la communauté de biens, il souligne la date : " du jour de SaintVincent-de-Paul " (83) qui eut tant le souci de "contribuer au culte divin " (dépourvu de ressources par les guerres de Religion), et de

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" soulager les indigents " que ces temps agités ont multipliés. Saint François de Sales aussi (1567-1622), dont Monsieur Vincent fut un continuateur, est une des références qu'il aime à souligner parfois. Ainsi le Père de Clorivière prêche à Paris en l'honneur de saint François de Sales (84) ; et il s'inspire de la sagesse salésienne, quand il conseille à Adélaïde de Cicé, l'une de ses dirigées... "cette douce application du cœur à Dieu qui fortifie l'esprit sans fatiguer le corps, (comme le) recommande si fort saint François de Sales à ses filles " : c'est le " tout car amour et rien par force " cher au doux évêque de Genève. De fait, quand il rédige, pour les ermites du Mont Valérien (1778) et recommande à Adélaïde ses " Considérations sur la prière et l'oraison " (85), on retrouve souvent en filigrane l'inspiration du " Traité de l'Amour de Dieu " de l'Evêque de Genève (livres 6 et 7 surtout). Adélaïde de Cicé, qui fit un essai (en 17761777) à la Visitation de Rennes, connaît très bien saint François de Sales et le cite souvent. Avant de rencontrer le Père de Clorivière à Dinan, elle avait conçu dès 1785 un "Projet de Société pieuse" pour lequel... elle s'inspirait du premier Plan de saint François de Sales pour son Institut qui voulait "joindre la vie active (non cloîtrée, sans costume distinctif) et la vie intérieure, avec vœux simples, pour servir aux divers besoins de leurs

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frères indigents ". Cette inspiration salésienne était du reste celle des Filles de la Croix, chez lesquelles Clorivière encourage Adélaïde à faire un noviciattest de sa vocation et de son projet. Onze ans après le premier essai à la Visitation, c'est donc toujours l'empreinte salésienne qui marque Mademoiselle de Cicé chez les Filles de la Croix, à Saint-Servan, du 8 septembre 1788 à janvier 1789. Elle aurait voulu demeurer à l'ombre d'une Congrégation existante... elle était timide encore. Mais les événements bousculèrent ses vues, et le Seigneur l'obligea ainsi à les élargir... Elle doit en effet revenir en hâte dans sa ville de Rennes et dans sa famille car les premiers symptômes de la Révolution agitent la Bretagne en toutes ses paroisses : rédaction des Cahiers de Doléances, élection de députés... et ses frères y sont très mêlés, surtout Jérôme, évêque de Bordeaux, Garde des Sceaux du Roi Louis XVI. Voici qu'en février 1790, l'Assemblée Nationale Constituante se mêle d'abolir les Sociétés Religieuses à voeux solennels, puis en août, disperse même les Congrégations hospitalières ou enseignantes ; enfin l'Assemblée décide de réformer le clergé par une Constitution Civile (12 juillet 1790) qui l'assujettit au Pouvoir politique par le traitement et le serment et par l'élection des évêques et curés. C'est alors, le 19 juillet 1790, puis le 18 août, que le Père de Clorivière eut cette double inspiration de "Sociétés religieuses

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nouvelles pour répondre aux besoins des temps " sans être retirées du monde... Celle d'une "Société de Filles et Veuves " rejoignait celle d'Adélaïde en 1785 et l'aidait à prendre corps. Elle prolongeait aussi l'intention primitive de François de Sales et de Vincent de Paul d'un Institut féminin consacré non cloîtré pour les besoins urgents des familles pauvres de leur temps (86). La spiritualité de saint Jean Eudes (1601-1680) avait profondément marqué l'Ouest de la France et la Cour de Louis XIV (il prêcha devant le Roi). Le XVIIIe siècle l'oublie quelque peu et il n'est plus réédité. Pourtant, la province bretonne de Pierre de Clorivière et Adélaïde de Cicé, la Normandie, F Anjou-Poitou et la Vendée gardaient spécialement son empreinte ; elles étaient très marquées par la Dévotion aux Cœurs de Jésus et Marie, toujours vénérés ensemble et fêtés fidèlement, notamment à Rennes (87), depuis plus de cent ans, depuis la Mission de Jean Eudes en 1670. Ce Normand, béatifié (1909) et canonisé (1925) très tard à cause des résistances jansénistes, avait beaucoup influencé l'Ouest (et un peu la Bourgogne) par ses fondations de Séminaires (1670 à Rennes), ses " Refuges " de N.-Dame de Charité (en 1666 à Rennes), ses missions qui répandaient dans les paroisses les fêtes liturgiques, les prières, le culte adressé au Cœur de Marie (dès 1648). Monastères et couvents adoptaient cette liturgie, publiaient ses

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œuvres et des confréries de laïcs prolongeaient ces missions, diffusaient ses prières... dont généralement on ignorait l'auteur. Ainsi à Rennes existait, dès 1670, une " Confrérie de Notre-Dame des Miracles et du Cœur de la Vierge ", on rééditait un " Règlement " de Vie pour " les Enfants du Cœur de la Mère Admirable " ; les laïcs fervents, ainsi initiés à l'oraison en union avec les Cœurs de Jésus et Marie, célébraient leurs fêtes dans les paroisses ; Adélaïde de Cicé y a sûrement participé et elle était pénétrée de cette dévotion, comme les prêtres qui l'ont conseillée (l'Abbé Boursoul ou, un moment, l'eudiste Le Berryer), Clorivière l'y encourage dans sa lettre si belle du 27 octobre 1790 qui était alors dans l'octave de la fête du SacréCœur (inaugurée un 20 octobre par saint Jean Eudes). "Abandonnez-vous tout à fait au Seigneur... Enfoncez-vous dans la plaie de son côté, perdezvous, consumez vous pour son Cœur adorable, non par une flamme sensible d'amour, mais par une sorte d'anéantissement de vous-même. La foi doit l'opérer en vous. Elle vous montre les grandeurs de Jésus... Que vous êtes grand, que vous êtes saint, que vous êtes beau, ô mon Sauveur! Pourquoi donc resterai-je en moi-même qui ne suis rien, qui n'ai rien, qui ne peux rien !

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Que mon esprit et mon Cœur se tiennent continuellement fixés en Vous, que je me désoccupe de moi-même pour ne plus m'occuper que de Vous. Que je perde de vue mon impuissance en pensant que vous pouvez tout et que c'est sur le néant que vous aimez agir. Que j'oublie mes misères en pensant à vos miséricordes, ma malice pour penser à votre sainteté, mon indigence pour penser à votre richesse " (88). Même si Clorivière ne cite pas Jean Eudes - car il ne sera béatifié qu'en 1909, et n'est pas réédité car fort contesté par les " Lumières du XVIIIe siècle " -, il connaît ses écrits et sa doctrine que répercutaient des Jésuites comme le Père de Galliffet (f 1748) (89) et les Sociétés religieuses eudistes très implantées en Normandie - Bretagne. Il est surtout profondément entré dans le courant spirituel bérullien, qui veut se perdre dans l'adoration aimante, et voir tout, aimer, agir avec les " sentiments du Cœur de Jésus " ; il cite souvent dans sa première lettre circulaire les épîtres de Paul pour ses chers Philippiens : "Ayez en vous les sentiments qui furent dans le Cœur de Jésus " (Phil. 2,5), ou pour les Ephésiens : " Que le Christ habite en vos cœurs par la foi et que vous soyez enracinés dans l'amour " (Eph. 3,11). Or c'est là l'insistance de toute l'Ecole Française, et bien des jésuites après le Père Lallemant, les Pères de Galliffet, ou

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Caussade, ou Grou sont de ce sillage (90). Ce sont justement ceux qu'il préfère... Ainsi la Compagnie de Jésus était préparée au début du XVIIIe siècle à adopter et diffuser le culte des Cœurs de Jésus et Marie. Jean Eudes avait été, disait Pie XI, " le Père, le Docteur et l'Apôtre de ce culte liturgique ", en une langue admirable de simplicité et de concision. L'idée réparatrice est soulignée par Marguerite-Marie, mais l'Adoration réparatrice du SaintSacrement existait déjà (dès 1654) dans la perspective de " l'Ecole Française ", et les révélations de Paray-le-Monial la suggéraient à un public élargi (91). Car c'est toujours les yeux rivés sur l'Hostie exposée que Marguerite Marie entend la plainte du Bien-Aimé trop peu aimé. Elle contemplait en sa retraite de 1684 l'anéantissement eucharistique du Verbe. Le Père de Galliffet puis Clorivière et d'autres jésuites entrent dans ce sillage. Déjà jeune religieux, en 1762, Pierre de Clorivière écrivait sous le coup des attaques contre la Compagnie de Jésus : "Que le Cœur de... la Mère de Douleurs soit notre refuge. Oublions nos peines pour songer aux siennes et puisons en ce Cœur, source du Bel Amour, l'ardeur la plus pure pour Celui que tous devraient aimer ". Il fait ses retraites en ces Cœurs de Jésus et Marie "son lieu de repos, son oratoire, son école, son refuge, son centre " (1766) ; il n'a que 32 ans et

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n'en sortira plus... Il s'y enfonce dans sa retraite de 1771 et adore le Christ dans l'anéantissement eucharistique voulu par son Cœur (92). C'est pourquoi, en 1791, il choisit pour ses Fondations les noms de Sociétés du Cœur de Jésus et du Cœur de Marie. Il l'explique clairement dans son " Mémoire aux Evêques de France " de 1798 (93): " Ces noms nous rappellent combien nous devons être attachés à une dévotion infiniment solide en elle-même et qui, ayant pris naissance dans ce pays (de France) où a commencé depuis le mal qui désole le christianisme, semble nous avoir été donnée comme la digue principale qu'il faut opposer au torrent d'iniquité... " (94). Plus loin, le P. de Clorivière insiste sur "le bonheur qu'a ce Royaume d'être spécialement consacré à la T.S. V. Marie Mère de Dieu (95), comme aussi d'avoir donné naissance à la dévotion envers le Cœur de Jésus, dévotion qui avec celle de Marie paraît destinée à lui servir de refuge et de défense dans les présentes calamités ". Certaines des expressions de Clorivière pourraient être signées de Jean Eudes, elles émaillent les " Lettres Circulaires " qu'il adressait à ses Sociétés (96), comme le Mémoire aux Evêques de France pour les leur présenter : " se reposer dans le Cœur de Marie, c'est occuper le centre même du Cœur de Jésus " — ou : "le Cœur de Jésus est tout entier en celui de Marie, et le Cœur de Marie est

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dans le Cœur de Jésus ", y écrit Clorivière (97). Et Jean Eudes (98) dans sa prose rythmée si facile à mémoriser s'écriait : "Jésus est tellement vivant et régnant en Marie qu'il est l'âme de son âme, l'esprit de son esprit, le cœur de son cœur, de sorte qu'on peut bien dire que le Cœur de Marie, c'est Jésus ". Depuis Bérulle en effet, l'Ecole Française contemple le mystère de Jésus dans le Cœur de Marie dès l'Annonciation. Condren, Olier, Jean Eudes ne faisaient pas autre chose ; avec beaucoup de Jésuites, Clorivière est entré dans leur sillage. Enfin Pierre de Clorivière admire et partage la dévotion mariale d'un breton, saint Louis-Marie Grignion de Montfort qui est, avant lui, le jalon le plus tardif de cette " Ecole Française " qui marqua jusqu'au XXe siècle la France et la Pologne, et de proche en proche toute l'Europe. Or, plus encore que Jean Eudes, Grignion de Montfort était contesté à la fin du XVIIIe siècle... ses écrits étaient oubliés, non publiés, refusés ; ses fondations, très modestes, avaient pourtant marqué profondément le peuple des humbles et des pauvres de Bretagne, Anjou, Poitou, Vendée, où il missionna, secourut les pauvres, fonda les " petites écoles " de " la Sagesse ", de Rouen à

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La Rochelle. Mais ses religieux ne portaient même pas le nom (actuel) de Montfortains, mais celui de leur deuxième Supérieur, Mr Mulot ; si le peuple vendéen ou rennais apprécie les " Mulotins ", les " Soeurs Grises " de la Sagesse, s'il dit " le Rosaire de Mr de Montfort " et chante ses cantiques, les beaux esprits, gagnés par la philosophie rationaliste et critique des Lumières, ou par le soupçon janséniste, raillent sous le surnom de " Cordicoles " et Jean Eudes, et plus encore Montfort ou les Jésuites de leur sillage (ce qui explique probablement en partie leur disgrâce). Est-ce pour le réhabiliter, le sortir de l'oubli... ? C'est en tout cas parce qu'il l'admire, communie à son expérience spirituelle, apostolique et mariale, et reconnaît le rayonnement de ce Maître ignoré, que Clorivière, curé de Paramé, écrit et fait publier à Rennes dès 1785 cette "Vie de Monsieur de Montfort"... qui ne fut pas étrangère à la béatification - tardive - de ce dernier, en 1888... Montfort ne fut canonisé qu'en 1947; mais aujourd'hui le Pape Jean-Paul II s'y réfère : " J'aime évoquer, parmi les nombreux témoins et maîtres de cette spiritualité (mariale)... saint Louis Marie Grignion de Montfort qui proposait aux chrétiens la consécration au Christ par les mains de Marie comme moyen efficace de vivre fidèlement les promesses du baptême. Je constate avec plaisir (en) notre époque actuelle... de nouvelles manifestations de cette spiritualité et de cette dévotion " (99).

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Adélaïde de Cicé aussi connaît bien et fréquente les " Sœurs de la Sagesse " qui existent à Rennes depuis 1724 et aussi à Dinan, lorsqu'elle rencontre pour la première fois le P. de Clorivière en 1787. A Rennes et Paramé-Saint-Malo, Adélaïde et ses premières compagnes priaient le Rosaire (100) selon la " Méthode de Monsieur de Montfort " très christocentrique. On commençait le chapelet ainsi (101): " Je m'unis à tous les saints, à tous les justes sur terre et à Vous, mon Jésus, pour louer votre Mère et Vous louer en elle et par elle" ajoutant ensuite à chaque Ave une clausule en rapport avec le mystère ; à la première dizaine pour l'Annonciation : "Et Jésus incarné, fruit de vos entrailles, est béni " ou à la deuxième dizaine, méditant la Visitation de Marie, on précise : "Et Jésus sanctifiant (Jean dans le sein d'Elisabeth) est béni " On concluait ensuite le chapelet en disant : "Grâces de ces mystères, sanctifiez-moi... Or dans son explication des " quinze mystères du Rosaire" (1790), Clorivière (102) se fait le continuateur et l'amplificateur de cette méthode montfortaine qui cherche, dans la méditation des mystères évangéliques vécus par Marie - et - Jésus ensemble, à s'unir à eux, et prier par Marie, se lais-

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sant conformer par elle aux dispositions intérieures de Jésus, Marie étant alors selon la démonstration de saint Louis-Marie (103) "le moule où le Saint-Esprit forme les saints puisqu'il a formé Jésus, et le chemin assuré et court qui mène à Jésus ". Pourtant il ne cite guère Montfort quoiqu'il le connaisse tant et cherche à le faire connaître, et bien qu'il mène lui aussi ses Sociétés " A Jésus par Marie ", et emprunte le premier ce Chemin mariai vers le plus grand amour de Jésus.

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VII L'Ecole Française ou Bérullienne est un terreau spirituel commun pour la France du XVIIIe siècle donc aussi pour Clorivière

Si Bérulle et Olier, Jean Eudes ou Louis-Marie de Montfort ont été élèves des Collèges jésuites, membres de leurs congrégations mariales, ou se sont ressourcés aux Exercices spirituels de saint Ignace, réciproquement on peut voir qu'au XVIIIe siècle les Jésuites puisent abondamment aux sources de la spiritualité bérullienne. Les œuvres de Bérulle éditées dès 1644 sont dans tous leurs Collèges ou Scolasticats. Des Jésuites comme le Père de Galliffet, si apprécié de Clorivière, ou l'abbé Grisel, son premier directeur spirituel, sont nourris de la spiritualité de Bérulle ou de Jean Eudes, ils la répandent (104). C'est pourquoi des

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monastères, comme la Visitation si insérée dans la dévotion aux Cœurs de Jésus et Marie, les demandent comme aumôniers et directeurs spirituels (ainsi le jeune Père La Colombière, à Paray-leMonial). Du reste, entre les Congrégations féminines (Bénédictines de Montmartre, Carmels, Visitation, Sagesse) et les Instituts sacerdotaux (Oratoriens, Sulpiciens, Lazaristes de la Mission, Eudistes ou Montfortains - on dit " Mulotins au XVIIIe siècle) il y a tant d'interférences et de similitudes qu'on peut parler d'un " terreau spirituel ". Et les laïcs, par leurs confréries et les manuels de prière qu'elles diffusent, par les Congrégations issues des collèges, puisent à tous ces courants. On édite, réédite, on recopie des morceaux de manuscrits qui passent de paroisses en paroisses, de couvents en monastères. Les révélations du Christ (de 1673 à 1689) à Marguerite-Marie, Visitandine de Paray-le-Monial, renforcèrent ce courant ; il passa de la France à la Pologne, et l'exode des Jésuites, exclus de France, le diffusa à Liège, Louvain, Bruxelles et jusqu'en Angleterre et en Amérique du Nord, ouvertes aux proscrits de l'intolérant continent. A la fin du XVIIIe siècle, c'est dans le monde catholique une sainte osmose et émulation chrétienne. La Réforme catholique voulue par le Concile de Trente est à son apogée vers 1760-1770, avant qu'elle ne s'essouffle sous les coups de la contestation philosophique des " lumières ", à la fin du

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siècle. Mais les accusations d'obscurantisme ne sont en rien justifiées, tant est solide la théologie et répandue l'instruction des collèges, petites écoles, et de la catéchèse missionnaire des retraites et des paroisses, alors que l'Encyclopédie ne tire qu'à 4.000 exemplaires. La passionnante étude du Père A. Rayez, "Rennes en ce temps-là" (105) le montre bien pour la capitale bretonne et peut servir de test. D'excellents prêtres (l'abbé Boursoul) y imitent Vincent de Paul, Jean Eudes... et incarnent les " modèles des Pasteurs " préconisés par Eudes ou Clorivière, appelés par la supplique de Montfort dans sa " prière embrasée " (106) ; ils secourent les pauvres, dirigent les âmes, éduquent leurs paroissiens, encouragent les confrères. Ils sont pétris de la Bible et hommes de prière, ils paient ou fondent des écoles avec bourses pour les pauvres. Pour toute une chrétienté, hommes et femmes, c'est une vie spirituelle profondément nourrie d'Evangile qui explique l'admirable fécondité spirituelle et caritative de la fin du XVIIIe siècle, puis le renouveau rapide des paroisses et des institutions religieuses au-delà de dix années de tempête révolutionnaire (1790-1800). Les philosophes s'exaspéraient parfois de l'audience et de l'influence des " Cordicoles". Mais les pauvres savaient bien à quelles paroisses, quels hôpitaux, et quelles portes frapper dans les périodes de disette de la fin du siècle (107).

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Il reste à dégager les caractères de cette spiritualité qui n'a jamais mieux mérité le nom de " française ", tant elle est généralisée, et tant la fusion des différents apports des grands courants religieux du XVIIe siècle est devenue naturelle dans la France de Louis XIII à Louis XVI. 1. Spiritualité christocentrique Sous l'empreinte initiale des exercices spirituels d'Ignace, puis des contemplations bérulliennes de l'Ame du Christ, elle est christocentrique. Mais cette contemplation du Christ est très enracinée dans les écrits bibliques et patristiques ; c'est une contemplation du Verbe incarné par l'Esprit en Marie, du Serviteur et " parfait Adorateur en esprit et vérité ", que cherche le Père (Jean 4), du " parfait Religieux du Père ", Unique Médiateur (la contestation de la Réforme a été entendue), comme y insistent Bérulle, Olier, Montfort ou Clorivière (108). Pour pouvoir s'adresser même à des laïcs, ou à des filles des champs - comme depuis François de Sales et Monsieur Vincent on tend à le vouloir -, la méthode de contemplation est simple, en trois points, suggère Mr Olier : "Avoir Jésus devant les yeux, Le regarder et L'adorer Avoir Jésus dans le Cœur, s'unir à Lui, L'aimer et communier à Lui

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Avoir Jésus dans les mains, œuvrer en Lui, coopérer à Lui " (109), c'est-à-dire "L'aimer à la force de nos bras " comme disait Mr Vincent. Ainsi cette contemplation adorante se tourne en amour et en imitation et vise à laisser Jésus vivre et agir en nous comme le recommandait saint Paul (Philip. 2,3 ; Eph 3,17) que cite souvent aussi Pierre-Joseph de Clorivière. La mystique rhénane de l'auteur (XVe siècle) de 1' " Imitation de JésusChrist ", dont on se nourrit du XVIIe au XXe siècle (sainte Thérèse de Lisieux), est assimilée. 2. Spiritualité Trinitaire Mais il ne s'agit pas de piétisme. Cette contemplation est charpentée par une très solide théologie Trinitaire, enracinée dans l'Ecriture, surtout l'Evangile de saint Jean ; en effet, il s'agit " quand un chrétien fait oraison, de continuer l'oraison que Jésus-Christ a faite sur la terre ", comme, après Bérulle, y insiste Mr Olier, de prolonger la " Prière Sacerdotale de Jésus " (Jean, chapitre 17) qui, pour les siens, priait son Père dans l'Esprit-Saint. Cet Esprit-Saint est, lui aussi, de plus en plus évoqué et invoqué : Ainsi les disciples sulpiciens de Monsieur Olier s'engageaient à invoquer chaque jour l'EspritSaint, source apostolique de l'Eglise, pour eux-mêmes, le Clergé, toute l'Eglise ; ainsi Mr Olier, ou Clorivière plus tard, s'exerçait à la docilité au Saint-Esprit (110).

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C'est pourtant à de simples laïcs que Mr Olier enseignait à faire oraison en Jésus de cette manière si trinitaire : "Que l'Eglise, ô mon Sauveur Jésus, dilate ce que vous avez renfermé en vous seul, et qu'elle exprime au dehors d'elle-même cette religion divine que vous avez pour votre Père dans le secret de votre Cœur, dans le ciel et sur nos autels. "Donc, ô mon Dieu, que toutes ces louanges et tous ces cantiques, ces psaumes et ces hymnes que nous allons chanter à votre honneur ne soient que l'expression de l'intérieur de Jésus-Christ, et que ma bouche ne vous dise que ce que l'âme de mon Sauveur vous dit en elle-même. "Adhérant donc à votre Esprit, ô mon Seigneur Jésus, qui êtes la vie de notre religion, je désire de rendre à votre Père tous les hommages et tous les devoirs qui Lui sont dus, que Vous seul comprenez, et que Vous seul Lui rendez dans votre sanctuaire " (111). Or, aujourd'hui, après Vatican II, la liturgie présente ainsi la prière de l'Eglise unie à celle du Christ, et c'est dans la ligne de Bérulle, de Mr Olier ou de Jean Eudes : "En venant pour apporter aux hommes la Vie divine, le Verbe qui procède du Père comme l'éclat de sa gloire, le Souverain Prêtre de la nouvelle Alliance, le Christ Jésus, prenant la nature humaine, a introduit (sur terre) cet hymne qui se chante éternellement dans les demeures

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célestes (112). Désormais, dans le Cœur du Christ, la louange de Dieu se fait entendre par des paroles humaines, celle de l'adoration, de la propitiation et de l'intercession. Tout cela est présenté à Dieu par le Chef de l'humanité nouvelle, médiateur entre Dieu et les hommes, au nom et pour le bien de tous " (113). 3) Spiritualité Eucharistique et Ecclésiale Ainsi était semé dans les âmes un grand amour de l'Eglise, Corps Mystique du Christ, vivifié par l'Eucharistie qui nourrit et unit ce Corps dans l'Esprit-Saint : Adorations, Processions du SaintSacrement étaient encouragées, vivifiées et se multipliaient. "Le Christ et l'Eglise c'est tout un ", disait déjà Jeanne d'Arc (114). "Toute l'Eglise n'est qu'un Christ, Toute l'Eglise n'est que le Christ partout, l'Eglise n'est rien par elle-même, elle ne peut rien qu'en Jésus-Christ ! " s'écriait Mr Olier (115). Les " Missions " insistaient sur la vie baptismale, qui fait vivre le chrétien de la Vie même du Christ ; elles préparaient l'auditoire à renouveler solennellement les engagements de ce baptême ; ainsi la " Communion Solennelle " des enfants était accompagnée, soutenue par la Rénovation Solennelle des adultes, qui voulaient vivre chrétiens en tous les actes de leur vie, selon leur " contrat d'alliance avec Dieu " : leur baptême.

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Saint Jean Eudes l'exprimait avec profondeur et clarté : " Le Fils de Dieu a dessein de faire comme une extension et continuation en nous et en toute son Eglise, de ses mystères... C'est pourquoi saint Paul dit que " nous concourons tous à sa perfection et à l'âge de sa plénitude " (Eph 1,22-23, 4,13) c'est-àdire à son âge mystique qu 'il a dans son Corps Mystique. Ainsi lia dessein... de consommer en nous le mystère de son Incarnation, de sa Vie cachée..., en prenant naissance en nous par les Sacrements de Baptême et de l'Eucharistie, et en nous faisant vivre d'une vie spirituelle et intérieure qui soit cachée avec Lui en Dieu. lia dessein de perfectionner en nous le mystère de Sa Passion, Mort et Résurrection... Il a dessein d'accomplir en nous l'état de Vie glorieuse et immortelle qu'il a au ciel... La vie que nous avons sur terre ne nous est donnée que pour l'employer à l'accomplissement de ces grands desseins que Jésus a sur nous... Et nous y coopérons par bonnes oeuvres, par prières et par une application fréquente à nous donner à Lui afin qu 11 opère en nous... pour sa pure Gloire " (116). Le Père de Clorivière qui passera les longues heures de la Terreur confiné dans un étroit réduit en compagnie de Jésus Hostie, et qui meurt en 1820, à genoux dans l'Adoration profonde devant le Tabernacle, écrit dès 1771 cette méditation sur l'Abandon du Christ livré par son Amour dans l'Eucharistie (117) :

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" Tous peuvent venir à Lui, tous le recevoir. A tout moment du jour et de la nuit, en mille lieux différents, nous le trouvons prêt à toutes nos volontés, Il se laisse porter partout où l'on veut, garder dans des églises pauvres et souvent désertes, dans des tabernacles négligés, et quelque grands sujets qu'il ait de se plaindre de nos froideurs, de nos ingratitudes, du mauvais usage que les hommes font d'un tel don, jamais II ne résiste, jamais II ne manifeste la moindre opposition. Fut-il jamais créature qui obéit à Dieu comme Jésus-Christ nous obéit ? Cette obéissance toute volontaire procède uniquement de l'Amour, quelle sera notre réponse ? Jésus-Christ est tout à nous, jusqu'à nous donner une sorte d'autorité sur Lui dans le Sacrement, mais cela ne diminue en rien son pouvoir sur nous et la pleine dépendance où nous sommes de Lui. Notre Souverain Seigneur nous obéit : que feronsnous ? Il s'est livré entre nos mains ; refuserons-nous de nous livrer entièrement à Lui ? C'est sûrement chose merveilleuse que Dieu poussé par son amour en vienne à obéir à l'homme. Mais quelle effroyable injustice et ingratitude si, après cela, l'homme refuse cette entière et parfaite obéissance que, par sa nature, il doit à son Dieu. Il est écrit de Vous, Seigneur Jésus, que Vous Vous êtes fait obéissant jusqu'à la mort. Mais voici que cette obéissance Vous la perpétuez dans votre Sacrement. Vous aviez dit Vous-même que Vous

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étiez venu pour servir et voici que cette parole de votre vie mortelle trouve encore une réalisation à l'autel. O immense Amour, que Vous êtes peu connu... Je Vous adore, je m'anéantis devant Vous, je me réjouis de dépendre entièrement de Vous, je m'abandonne à Vous, désirant uniquement que votre volonté s'accomplisse en moi. Mais qu'est-ce que cela, auprès de ce que Vous êtes et de ce que Vous faites pour moi ?... " On y sent des échos des Exercices spirituels, et il est frère aussi de Bérulle, ou de Mr Olier se vouant par vœu à Jésus par Marie pour devenir son Hostie. 4. Spiritualité mariale

Pour le vivre plus parfaitement et plus sûrement, ce Règne de Jésus en nous, et pour qu'il s'étende dans le monde, la voie la plus sûre et la plus courte c'est Marie. La méditation des mystères du Rosaire contemplés et priés avec Elle pour en vivre comme Elle, " la Consécration à Jésus par Marie " ou " Voeu de Servitude ", pratiquées par Bérulle, Olier, Eudes, recommandées par Montfort (118), sont des "pédagogies" courantes de l'"Ecole Française". Ainsi devient-Elle notre " Oratoire et notre Temple ", selon les termes communs à l'Oratoire, à Montfort et à Clorivière ; elle est le Creuset dans lequel sont formés les saints sur le modèle de Jésus, selon la belle prière enseignée par Mr Olier, ensuite généralisée par les

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Montfortains et les manuels de prière chrétienne : " O Jésus vivant en Marie venez et vivez en vos serviteurs, dans votre Esprit de sainteté, dans la plénitude de votre force, dans la perfection de vos voies, dans la vérité de vos vertus, dans la communion de vos mystères ; dominez sur toute puissance ennemie dans votre Esprit, à la Gloire du Père " (Prière de Mr Olier et de Mr Condren) (119). La consécration montfortaine s'exprime ainsi : "Je renouvelle aujourd'hui mon baptême et afin de me donner tout à Jésus-Christ, je vous choisis aujourd'hui ô Marie, en présence de toute la Cour Céleste, pour ma Mère et ma Reine. Je vous livre et consacre en toute soumission et amour mon corps, mon âme, mes biens, tout le bien que je pourrai faire, mes richesses spirituelles et matérielles, sans exception, selon votre désir à la plus grande gloire de Dieu, pour le temps et l'éternité. Amen ". Cette dévotion mariale ne sépare donc jamais Marie de Jésus, elle est très trinitaire, appuyée sur la Patristique et l'Ecriture, et orientée vers le combat spirituel du chrétien, à la suite de la Femme couronnée d'étoiles de l'Apocalypse (Ap 12,1 et 2) (120). Toutes ces attitudes spirituelles, ces références bibliques sont familières à Clorivière. La profon-


deur de sa mystique mariale a été étudiée à fond et sous-tend ses écrits (121). Comme L.M. Grignion de Montfort dont, en 1785, il écrit "La Vie" (publiée alors à Rennes, Paris et Saint-Malo), il prévoit le triomphe de la dévotion mariale après des temps d'apostasie et de lutte pour la foi. Marie est pour lui aussi chemin nécessaire pour aller au Fils et par le Fils au Père. Se consacrer à Marie, agir en tout avec Marie, prier avec elle, souffrir avec elle, se tenir en sa présence et converser avec elle, telle est la vraie dévotion intérieure à Marie qui conduit au Cœur du Christ et à l'union à Dieu. Clorivière l'a pratiqué et enseigné " en théologien et mystique d'une qualité rare" (122). 5. Spiritualité concentrée dans les Saints Cœurs Elle s'enracine dans la longue contemplation de Jésus vivant au Cœur de Marie dès l'Annonciation, y agissant (dans la Visitation), et elle trouve son symbole dans les Cœurs unis de Jésus et de Marie. Saint François de Sales ne cessait de faire référence au Cœur de Jésus dans son Traité de l'Amour de Dieu ; il voyait ainsi le Cœur de Marie uni à celui de Jésus (123) et il écrit cela bien avant saint Jean Eudes ou saint Louis M. Grignion de Montfort : "Si les premiers chrétiens furent dits n'avoir "qu'un cœur et une âme "... si saint Paul ne vivait

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plus lui-même, mais Jésus en lui..., ô vrai Dieu, combien est-il plus véritable que la Sacrée Vierge et son Fils n'avaient qu'une âme, qu'un Cœur, et qu'une vie, en sorte que cette Sainte Mère vivant, ne vivait pas, elle, mais son Fils en elle, Mère la plus aimante et la plus aimée qui pouvait jamais être... " "... Aimée d'un amour plus éminent que celui de tous les Anges et des hommes..., la douce Mère qui aimait plus que tous fut plus que tous "outrepercée" (124) du glaive de douleur... Ayant assemblé en son esprit, par une vive et continuelle mémoire, tous les aimables mystères de la vie et de la mort de son Fils..., enfin le feu sacré du divin Amour la consume toute, comme holocauste de suavité, de sorte qu'elle en mourut, son âme étant toute ravie et transportée entre les bras de son Fils ". C'est pourquoi Pie IX en 1877 déclarait que l'évêque de Genèves avait jeté la semence de la dévotion au Cœur Sacré de Jésus. Cette union du Cœur de Marie avec celui de Jésus lui était un modèle : " O Jésus, soyez mon tire-Cœur. (125) Serrez, pressez mon esprit sur votre poitrine, puisque votre Cœur m'aime. Que ne me ravit-il en soi puisque je le veux bien ! Tirez-moi et je courrai à la suite de vos attraits

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pour me jeter entre vos bras et n'en bouger jamais dans les siècles des siècles ". C'était du reste l'aspiration de sa jeunesse car, étudiant de 22 ans, il s'était proposé cette règle " pour reposer ses puissances spirituelles fatiguées : "je destinerai tous les jours un certain temps pour que mon âme repose en assurance sur l'aimable poitrine et dans le Cœur amoureux de l'amoureux Sauveur ". Aussi les portraits de l'évêque de Genève ou de saint Jean Eudes les montraient tenant en main leur cœur enflammé. Tous deux s'inspiraient de l'exemple de saint Jean. Et lorsque Marguerite-Marie voyait les Cœurs de Jésus et Marie fondus dans le même brasier d'amour, et le sien tout petit s'y joindre, elle était fidèle Visitandine de son Père saint François et, sans le savoir, soeur de saint Jean Eudes ; elle était héritière et émule de Gertrude ou de Catherine de Sienne. Car Jean Eudes voulait déjà ce " Cor Unum " que le Père de Clorivière recommande et promet comme " l'autel où brûle nuit et jour le feu du pur amour sur lequel vous vous offrirez dans les flammes de la charité" (126). Lorsque Clorivière décidait dès 1766 de faire sa retraite de 3e an dans les Cœurs de Jésus et Marie (127), il connaît certes Jean Eudes, sa prière " Ave Cor " (128) :

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" Nous Te saluons Cœur très saint, Cœur très doux, Cœur très humble, Cœur très pur, Cœur très priant, Cœur très sage, Cœur très patient, Cœur très miséricordieux Cœur très aimant de Jésus et Marie, Nous Te consacrons et T'offrons notre cœur, Nous Te saluons, Cœur très aimant de Jésus et Marie, Nous T'adorons, nous Te louons, Nous Te glorifions, nous Te rendons grâce. Nous T'aimons de tout notre cœur, de toute notre âme et de toutes nos forces. Nous T'offrons notre cœur, nous Te le donnons, nous Te le consacrons, nous Te le sacrifions, Reçois-le, possède-le tout entier ; purifie-le, éclaire-le, sanctifie-le. En lui vis et règne, maintenant, toujours et en tous les siècles. Amen ".

Dans les paroisses et confréries, on invoquait ainsi le Cœur de Jésus comme à l'Oratoire : "O Cœur de Jésus vivant en Marie et par Marie, O Cœur de Marie vivant en Jésus et pour Jésus "

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et on récitait l'Ave Maria de Jean Eudes : " Heureuse Marie qui as formé le Christ en ton Cœur par la foi et l'amour, Tu es bénie entre les femmes et Jésus le fruit de ton Cœur est béni " Le Père de Clorivière a fréquenté avec beaucoup de goût la retraite du Père La Colombière (129) et les révélations de Marguerite-Marie, mais il est ainsi vrai fils d'Ignace, puisque, aujourd'hui, la Basilique de Montmartre propose aux pèlerins d'y prier avec les mots de saint Ignace en transformant " Ame du Christ " en " Cœur de Jésus " : " Cœur de Jésus, sanctifie-moi ! Corps du Christ, sauve-moi ! Sang du Christ, enivre-moi ! Eau du côté du Christ, lave-moi ! Passion du Christ, fortifie-moi ! O bon Jésus, exauce-moi ! Dans tes blessures, cache-moi ! Ne permets pas que je sois séparé de Toi ! De l'ennemi défends-moi ! A ma mort, appelle-moi! Ordonne-moi de venir à Toi ! Pour qu'avec tes saints je Te loue Dans les siècles des siècles - Ainsi soit-il ! (prière "Anima Christi ")

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Clorivière, du reste, utilisait et appréciait le livre que son confrère le Père de Galliffet avait publié à Rennes (1733, réédition 1773) "De l'excellence de la dévotion au Cœur adorable de Jésus-Christ " ; il y publiait les révélations tirées de l'autobiographie de Marguerite-Marie... qu'il contribua ainsi à populariser en Bretagne ; il y parlait de manière remarquable du Cœur de Marie et, comme un autre Jésuite du XVIIe siècle Vincent Huby, il propageait la dévotion aux deux Cœurs, modèles de vie intérieure (130). Et Bretagne et Vendée chantaient les cantiques de Grignion de Montfort en l'honneur des Saints Cœurs, qui deviendront les symboles de la résistance spirituelle à la déchristianisation révolutionnaire : 4. " Oh ! que Jésus est libéral A sa Mère très pure ! Il met dans son sein virginal Sa grâce sans mesure ; Son Cœur est son trône royal Et sa demeure sûre ; 5. " Tandis qu'il est tout attaché A son Cœur sans partage, Dans lequel le moindre péché n'a fait aucun ravage, Il y peint sans être empêché Sa véritable image.

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6. "Leurs Cœurs unis très fortement Par des liens intimes S'offrent tous deux conjointement Pour être deux victimes, Pour arrêter le châtiment Que méritent nos crimes 9. " Ils semblent tous deux confondus : Que l'alliance est belle ! Marie est toute dans Jésus, Son amant très fidèle, Ou, pour mieux dire, elle n'est plus, Mais Jésus seul en elle. "

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La Contemplation de l'Amour du Christ et de sa Mère, l'identification à leurs sentiments dans toutes les actions de leur vie, culminait dans la méditation de la Passion, dont l'année liturgique et chaque vendredi, ou bien les Croix des carrefours et des Missions (souvent timbrées des Saints Cœurs en Bourgogne et Auvergne), offraient tant de rappels. La fin du XVIIe siècle avait un peu éclipsé cette croix, sous la Gloire..., le XVIIIe siècle finissant y insiste à nouveau pour l'ensemble des fidèles qui contemplent les Cœurs transpercés de Jésus et Marie, portent leurs scapulaires ou leurs médailles comme une prière permanente. Médailles et scapulaires des Saints Cœurs étaient diffusés dès le XVIIe siècle par des Jésuites dans le sillage du P. Huby qui enseignait aux Bretons à dire le " chapelet du cœur ", serrant ou baisant ces

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médailles sans aucune prière vocale, sauf quelques mots de tendresse ou élans inventés du cœur, répétant ces attitudes sur chaque grain du chapelet ; les enfants, les âmes simples ou saintes s'y reposaient. Les Eudistes, comme le Père Hébert, confesseur de Louis XVI, les répandaient aussi et le roi et sa famille les portaient au Temple... où elles leur furent confisquées. Les Filles de la Charité, ou celles et ceux du P. de Clorivière en portaient aussi, et plusieurs furent arrêtés pour ce délit. Sans parler des Vendéens et Chouans... à tel point que les Comités Révolutionnaires croyaient y voir des emblèmes politiques de la Contre-Révolution. Cette contemplation est pratique transformante ; elle produit cet Amour de Dieu dans les " Croix " et " contradictions ", cette patience forte et douce dans l'épreuve, cette recherche constante du pardon à donner aux persécuteurs et jusqu'à cet amour même des ennemis, cette " Vengeance évangélique " que Clorivière pratiquait excellemment avec tant de courtoisie, amour et humour, dès son noviciat... envers les magistrats persécuteurs des Jésuites..., puis durant la Révolution... Tous étaient ainsi dans le sillage de Montfort chantant la croix, ou de François de Sales méditant la prière et l'amour du Cœur du Christ pour, ses ennemis (132). La Révolution pouvait survenir, avec toutes les persécutions qu'elle infligea à l'Eglise ; clercs et religieux, fidèles chrétiens de tout rang, hommes et

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femmes, depuis leurs souverains jusqu'aux paysans, pardonnaient leurs persécuteurs (133), souffraient " volontiers ", méditaient la Passion dans leurs prisons, s'unissaient au Christ en leur chemin de croix, et allaient souvent jusqu'à chanter sa Gloire en montant à l'échafaud comme on monte à l'autel pour une première Messe ou pour des noces (134). Que cette dévotion aux Cœurs transpercés du Christ et de Sa Mère soit une synthèse parfaite de la Foi et de l'Amour chrétiens, riche de fruits merveilleux d'adoration, d'amour concret et d'efficacité apostolique, la prédication du Pape JeanPaul II, lors de son premier voyage en France, à la Basilique de Montmartre le 1er juin 1980, le montre excellemment ; et il avait certainement à l'esprit en cette circonstance (voir son discours au Bourget) toute cette tradition du Catholicisme français... qui a tant marqué aussi les Polonais : "Nous venons ici contempler l'amour du Seigneur Jésus ; sa bonté compatissante pour tous durant sa vie terrestre ; son amour de prédilection pour les petits, les malades, les affligés. Contemplons son Cœur brûlant d'amour pour son Père, dans la plénitude du Saint-Esprit. Contemplons son amour infini, celui du Fils éternel, qui nous conduit jusqu'au mystère même de Dieu. Ce mystère de l'amour du Christ, nous ne sommes pas appelés à le méditer et à le contempler seulement, nous sommes appelés à y prendre part.

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C'est le mystère de la Sainte Eucharistie, centre de notre foi, centre du culte que nous rendons à l'amour miséricordieux du Christ manifesté dans son Sacré-Cœur. Dans la Sainte Eucharistie, nous célébrons la présence toujours nouvelle et active de l'unique sacrifice de la Croix dans lequel la Rédemption est un événement éternellement présent, indissolublement lié à l'intercession même du Sauveur. Dans la Sainte Eucharistie, nous communions au Christ lui-même, unique prêtre et unique hostie, qui nous entraîne dans le mouvement de son offrande et de son adoration, lui qui est la source de toute grâce. Dans la Sainte Eucharistie - c'est aussi le sens de l'adoration perpétuelle -, nous entrons dans ce mouvement de l'amour d'où découle tout progrès intérieur et toute efficacité apostolique ". 6. Les fruits de l'Amour sont surabondants

On n'a peut-être pas assez souligné le lien entre spiritualité du Cœur de Jésus et évangélisationmission : l'union au Cœur du Christ est source d'efficacité missionnaire et sociale (135) : le Christ l'avait promis à Marguerite-Marie. A la suite d'Ignace (" Qu'a-t-il fait pour moi ? Que ferais-je pour le Christ ?" (136)), toute " l'Ecole Française " insistait avec réalisme sur la pratique de l'amour effectif : " La charité de Jésus crucifié nous presse ", affirmait le sceau des

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premières Filles de Monsieur Vincent, timbré du Cœur enflammé et marqué de la Croix, et il formait ainsi ces mêmes " Filles de la Charité " : " Jésus-Christ est vrai modèle sur lequel former toutes nos actions, dont il nous faut revêtir l'Esprit, qui est parfaite charité. Aimons Dieu à la sueur de nos fronts, à la force de nos bras; en servant les pauvres, en secourant les misérables, nous faisons justice et pas miséricorde. En servant les pauvres, on sert Jésus-Christ... Allez voir les malades, vous y retrouverez Dieu ; allez en de pauvres maisons, vous y trouverez Dieu. Je ne dois pas considérer un pauvre paysan selon l'extérieur... mais tournez la médaille et vous verrez le Fils de Dieu qui a voulu être pauvre et nous est représenté par ces pauvres ". Saint François de Sales recommandait lui aussi ce regard contemplatif sur le prochain pour ne le voir qu'en Jésus-Christ : " Quand verrons-nous les âmes de notre prochain dans la Sacrée Poitrine du Sauveur! Hélas ! qui regarde le prochain hors de là, court le risque de ne l'aimer ni. purement, ni constamment... ; mais là, en ce lieu, qui ne l'aimerait, qui ne le supporterait ? Qui ne souffrirait ses imperfections ? Or, il est, ce prochain, dans le sein, dans la poitrine du Divin Sauveur ! " (137). Dans cette contemplation s'enracinent ces multiples fondations pour aimer, servir, enseigner les pauvres, secourir Jésus-Christ en eux : ainsi

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Jean Eudes se dévouant aux pestiférés de Caen, ouvrant des " Refuges " pour les prostituées, ou Grignion de Montfort ramenant un pauvre, couvert d'ulcères, au Séminaire, en criant au portier : " Ouvrez les portes à Jésus-Christ " ! Alors se multipliaient " hospices " et " hôtelsDieu ", maisons d' "Enfants Trouvés " et " Refuges ", " Petites écoles " ou séminaires de missionnaires ayant pour objectif l'évangélisation des pauvres en priorité, en France, en " Berbérie " ou au Canada. Les curés de paroisses étaient souvent (comme l'abbé Boursoul à Rennes) modèles des pasteurs et providence des pauvres, et leurs dirigées les imitaient, telles Adélaïde de Cicé ou Madame des Bassablons à Paramé, ainsi que de multiples associations de bienfaisance. La Révolution Française, sur d'excessives ou calomnieuses accusations, en généralisant les critiques des " Lumières ", a voulu abolir les Ordres Religieux, les Confréries, Congrégations, Associations... Hélas pour les pauvres et les écoles !... Aussi, c'est à leur suppléance, à cet esprit universel de la charité du Christ, que Clorivière conviait ceux qui le suivaient, " par tout ce qu'il y a d'ardeur dans le Christ ". Il réussit par ses fondations, par la restauration des Jésuites, par les encouragements et les conseils qu'il donna (138), à passer le flambeau de l'Ecole Française au XIXe siècle, et jusqu'à nos jours.

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CONCLUSION

Ainsi, quand Clorivière écrit, le 18 janvier 1800, en sa lettre sur la Très Sainte Vierge: "le Cœur de Jésus se trouve tout entier dans le Cœur de Marie " (139) et qu'il le prouve en s'appuyant sur l'Ecriture, quand il s'écrie que " le Cœur de Marie porte tous les traits du Cœur de Jésus et en occupe le centre ", quand il explique l'inspiration du nom des Sociétés qu'il a fondées (140) ou quand il recommande de "puiser la véritable dévotion à Marie dans le Cœur du Divin Maître, car honorer, invoguer le Cœur de Marie, c'est honorer, invoquer le Cœur de Jésus ", " ressembler à l'un, c'est ressembler à l'autre " (141), il est un relais fidèle et solide de Bérulle, Olier ou saint Jean Eudes. Quand il conseille et presse de "prier avec Marie, agir en ■ tout avec elle, nous tenir en sa présence, converser avec elle, se consacrer totalement à elle par une dévotion intérieure qui conduit au Cœur de Jésus et à l'Amour de Dieu ", il est très fidèle à l'esprit de saint Louis Marie de Montfort.

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C'est lui qui, à peu près seul pendant la Révolution, maintient en France la Dévotion Mariale sur de fortes bases scripturaires et théologiques, et il en est le plus grand promoteur au début du XIXe siècle par ses fondations, les Jésuites restaurés et les Congrégations naissantes qu'il a conseillées (142). Après tant de saints de l'Histoire de l'Eglise et de l'Ecole Française, auxquels il se réfère (143), il avait comme Montfort expérimenté cette voie courte de Marie : "C'est par Marie que Dieu s'est abaissé au néant de l'homme, c'est aussi par Marie que l'homme peut s'élever jusqu'à Dieu et retourner à Lui " (144). C'est pourquoi, le comprenant de l'intérieur, il est conduit à écrire la vie de ce missionnaire encore obscur... Dans ses commentaires des litanies de la Sainte Vierge, Clorivière contemple Marie, Mère du bel Amour, " Maison d'Or " : " (Par) cette très pure et excellente charité, dont son Cœur était possédé, (Marie) étendant... ses deux bras, l'un pour embrasser Dieu, l'autre pour embrasser le genre humain, a fixé le Seigneur en son Cœur, en même temps qu'elle n'a pas dédaigné de nous y recevoir nous-mêmes " (145). Lui aussi propose donc les degrés de cette échelle mystique ; cet ascenseur de l'Amour que sainte Thérèse de Lisieux, puis Pie XII (146) et

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Jean-Paul II proposeront au XXe siècle, Clorivière le trouve dans le Cœur de Marie, " voie d'enfance pour embrasser Jésus" (Marc 10,13 à 16). Deux siècles avant l'Action Catholique qui veut pénétrer le monde du levain évangélique, avant le renouveau Biblique et le Concile Vatican II, avant le Père Teilhard de Chardin, Jésuite passionné aussi du Cœur de Jésus qu'il voit animer le monde et à qui il veut le consacrer, le Père de Clorivière s'est laissé pénétrer par la prière sacerdotale de Jésus à la veille de Sa Passion : "Père, Je ne te prie pas de les retirer du monde, mais de les garder du mal. Consacre les dans Ta Vérité... pour eux Je me consacre moi-même afin qu'ils soient consacrés " (Jn 17,15,17-19). Il la place en tête des Plans de ses Fondations et dans son testament spirituel (21 mai 1807) (147). Le Cœur de Clorivière, comme celui de saint Paul, vit en Christ, "et Christ en lui" (cf. Gai 2,20 : " Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi ") de cette habitation intérieure qu'après saint Jean, Origène, Bonaventure, toute l'Ecole Française cherche à vivre : - Alors il contemple le dessein de Dieu dans l'Epître aux Ephésiens, une de ses chères références.

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Bien avant Teilhard, il admire le Plan de Dieu de tout récapituler dans le Christ, Alpha et Oméga, et avec Paul il loue le Père : " Qui nous a élus en Lui dès avant la Création En Lui nous trouvons la Rédemption par son sang, En Lui nous avons été mis à part, marqués par VEsprit (Eph 1,4,7,11,13) et qui l'a constitué au sommet de tout Tête pour l'Eglise, laquelle est son Corps, la plénitude de Celui qui est rempli, le Christ, Tout en tout " (Eph 1,22,23). Reclus dans ses caches ou ses prisons, instamment il prie, avec Paul, qui a été prisonnier du Christ lui aussi, il prie le Père de toute paternité : "Qu'il daigne fortifier en vous l'homme intérieur ", " que le Christ habite en vos Cœurs par la foi, que vous soyez enracinés en l'Amour (il pense " dans le Cœur du Christ-Amour) " "Ainsi vous recevrez la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu'est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur. Vous connaîtrez l'Amour du Christ et vous entrerez par votre plénitude dans la Plénitude de Dieu " (Ep 3, 14 à 19).

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Or aujourd'hui tant de prisonniers du Christ dans les camps et prisons du XXe siècle, ont dû, par la même prière, appeler sur notre époque le renouveau de la foi dont on perçoit l'aurore, à l'Est de l'Europe..., et notre Occident aurait tant besoin de redécouvrir l'enracinement de la foi et des oeuvres dans la contemplation et la vitalité du Cœur du Christ brûlant au cœur du monde ! ... Clorivière est donc bien un spirituel pour notre temps, car " les saints ne vieillissent pas " et notre Trésor Evangélique déploie ses richesses anciennes et toujours nouvelles... inépuisablement. Monique TOUVET 11 février 1989 - Toussaint 1989

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NOTES

(1) " Documents historiques " - 1790-1820 : " La Société des Filles du Cœur de Marie", Paris 1981, pp. 31 à 36. Voir aussi biographie de François MORLOT : " Pierre de Clorivière ", DDB 1990 ; et celle de Marielle de CHAIGNON : Adélaïde de Cicé - Nouvelle Cité 1990. (2) " Documents historiques " - 1790-1820 : " La Société des Filles du Cœur de Marie", Paris 1981, p. 25. (3) Ibidem, Documents 3 : Plan de la S.CM. et Doc. 4 : Plan de la S.C.J., pp. 61 à 103. (4) CLORIVIERE, " Lettres Circulaires ", n° 5 du 23 février 1802, pp. 121 et 122 (éd. 1935). (5) CLORIVIERE: "Lettres circulaires", éd. 1935, Introduction. (6) Paroles de Notre-Dame à Bernadette, à Lourdes. (7) Voir revue " Christus " n° 139 : " Le Cœur du Christ et Sa Personne ", juillet 1988, article du P. Adrien DEMOUSTIER : la dévotion - le sacré et le Cœur, p. 350. (8) Concile Oecuménique Vatican II : Constitution sur la " sainte liturgie ", n° 5. (9) Idem, Vatican II : Constitution sur la " sainte liturgie ", n° 6 et 7. (10) Smyrne est l'actuelle Izmir des rivages turcs de la mer Egée. (11) Saint Irénée : Textes choisis, traduits par Albert GARREAU. " Contre les hérésies ", ed. du Soleil Levant, Namur 1962. Voir l'introduction p. 1 à 27 et cette admirable citation d'Irénée " Le Verbe de Dieu, Jésus Christ Notre Seigneur, poussé par l'immense amour qu'il nous portait, s'est fait ce que nous sommes, pour nous faire ce qu'il est lui-même " (Ad. haer. V). (12) Saint Justin, "Dialogue avec Triphon ", 114 et "Apologie" II, 13. (13) H. Irénée MARROU : Saint Augustin et l'augustinisme - citant Confessions I.I., Paris, Seuil 1955, coll. "Maîtres spirituels" n° 2. (14) Père Frédéric BERTRAND (SJ) " Mystique de Jésus chez Origène ", Ed. Montaigne, Paris Aubier 1951, pp. 138-139 et article de M. FEDOU (S.J.) : "Origène et le langage du Cœur " en Revue " Christus " n° 139, op. cit., pp. 272 à 276. (15) P.A. HAMMAN, "Dictionnaire des Pères de l'Eglise", D.D.B. Paris 1978, p. 79. (16) Père Frédéric BERTRAND (S.J.), idem, pp. 81, 83, 105.

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(17) Hilaire de Poitiers: "Sur la Trinité", II, 21 (texte cité par Michel MESMIN "Hilaire de Poitiers", Ed. Ouvrières, Paris 1959), p. 54. (18) Ainsi que le montrent le chapiteau de l'église romane d'Issoire, près de Clermont-Ferrand, ou les vitraux XIIIe s. de la cathédrale du Mans. (19) Saint Bonaventure, Seuil, 1963, Coll. "Maîtres Spirituels" n° 30, nombreux textes et illustrations, ou " Liturgie des Heures " - 3 - pour la Fête du Sacré-Cœur de Jésus, pp. 48-49. Passage extrait de " L'Arbre de Vie". (20) Gertrude d'Helfta, " Oeuvres spirituelles ", t. II, le Héraut (Livres I et II), Coll. Sources Chrétiennes n° 139, Cerf, Paris 1968. L'introduction pp. 36 à 43 montre bien l'authenticité théologique et scripturaire de la vie mystique de Gertrude et de sa " Doctrine spirituelle". (21) Gertrude d'Helfta, le Héraut de l'Amour Divin (Livre IV, ch. XLI. Sces chrétiennes n° 255 idem, Paris 1978, pp. 329 à 331 et Livre V, idem, n° 331, Paris 1986 ; Missa n°9 à 14, pp. 297 à 303). (22) Cité d'après les " Révélations de sainte Gertrude " (Héraut, Livre V) par Aug. HAMON (SJ) " Histoire de la Dévotion au Sacré Cœur " (5 vol.), tome II, Aube de la Dévotion, pp. 130-133, Paris, Beauchesne 1924. e (23) Texte anonyme du XV siècle, cité page 97 par Jésus SOLANO (SJ), " Développement historique de la Réparation dans le culte du Cœur de Jésus du 1er siècle à Marguerite Marie", Ed. C.d.C, Rome 1982. (24) Cf. " Les Exercices de sainte Gertrude ", traduits par Dom Prosper GUERANGER, H. Oudin, Poitiers 1863, pp. 336-338. (25) E. MALE, L'Art religieux de la fin du Moyen Age en France ", p. 283. (26) Cf. A. HAMON, Histoire de la Dévotion au Sacré Cœur, op. cit., tome II, pp. 190-192. (27) Idem, pp. 198 à 203. (28) Idem, p. 273. (29) Renée ZELLER, " Sainte Catherine de Sienne ", Flammarion 1931, 200 pages, pp. 50... (30) Cf. textes de " Prières de tous les temps " : la spiritualité Rhénoflamande, éd. C.L.D., Tours 1980, 90 pages. (31) Cf. texte de saint Pierre Canisius cité dans " Christus ", " Le Cœur du Christ ", juillet 1988, p. 312-313 et article de D. DIDEBERG (S.J.) : "Le Cœur du Christ et la Compagnie de Jésus", idem, pp. 303-311. e (32) Voir pour le XVI siècle, Coll. " Prières de tous les temps " : " La Tradition Ignatienne ", textes choisis par le P. Ravier SJ, éd. C.L.D. Tours 1981, pp. 30 à 45. (33) Voir R. DEVILLE, "L'Ecole Française de Spiritualité", pp. 8 à 11, Biblioth. d'Histoire du christianisme n° 11, Desclée 1987, 190 pages; - ou D. ROPS, " L'Eglise de la Renaissance et de la Réforme " : la Réforme catholique, tome IV.2, pp. 443 à 476, Fayard, Paris 1955. (34) - E.M. LAJEUNIE, " Saint François de Sales et l'Esprit Salésien ", Coll. "Maîtres Spirituels", Seuil, 190 p. et textes nombreux, éd. 1962+ rééd.

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- Ou saint François de Sales : " Le livre des quatre amours ", Desclée 1964, 274 pages ; textes du " Traité de l'Amour de Dieu " refondus et très clairement présentés par R. Desjardins. (35) F. de SALES, "Traité de l'Amour de Dieu", livre 10, ch. 11 et préface. (36) R. DEVILLE, " L'Ecole Française de spiritualité " (chapitres 2 et 3), op. cit. (37) Henri BREMOND, " Histoire du sentiment religieux en France ", tome III, L'Ecole Française, textes de Bérulle cités au chap. 2, p. 130 à 133, Paris Bloud et Gay, 1935. (38) Cf. Henri BREMOND, " Histoire... ", idem, tome V, l'Ecole du Père Lallemant et la tradition mystique dans la Compagnie de Jésus, éd. 1920 et tome III supra chap. V. (39) Cf. Aug. HAMON, " Histoire de la Dévotion au Sacré Cœur ", tome III, Paray-le-Monial, Chap. III : Berullisme et Dévotion au Cœur de Jésus, pp. 56 à 86, Beauchesne 1927. (40) Voir A. DODIN, Saint Vincent de Paul et la charité, Collection "Maîtres Spirituels" n° 21, Seuil 1960 (rééd.), 188 pages. (41) Pour Monsieur Olier, voir R. DEVILLE, " Ecole Française de spiritualité ", Bibliothèque d'Histoire du Christianisme n° 11, Op. Cit. (42) Voir R. DEVILLE, " Ecole Française ", chap. 6, et Paul MILCENT, " Saint Jean Eudes ", un artisan du renouveau chrétien au XVIIe siècle, Cerf 1985, 580 pages: une biographie admirablement resituée dans son époque. (43) Il s'agit de l'évêque oratorien de Marseille, J. Baptiste Gault, qui quitta son palais épiscopal pour vivre au milieu des pauvres, prêcher les galériens, confesser, catéchiser son peuple. (44) A. RAYEZ, S.J., Formes modernes de vie consacrée, A. de Cicé et Clorivière, chapitre "Rennes en ce temps là", Beauchesne, Paris 1966. (45) Œuvres de Jean Eudes : 1636, "Exercices de piété", un manuel de prière. 1637, " La Vie et le Royaume de Jésus dans les âmes chrétiennes ", s'adresse à tous les chrétiens, même laïcs... comme les oeuvres de F. de Sales. Ce livre fut réédité au XVIIe siècle. 1642, "Le catéchisme de la mission" (par questions-réponses). 1680, " le Cœur Admirable de la Mère de Dieu". (46) Cf. Jean LADAME, " La sainte de Paray ", Marguerite-Marie, ResiacMontsurs, 1979, 390 pages très approfondies. (47) L'autobiographie manuscrite de 64 pages fut écrite par MargueriteMarie sur ordre du Père ROLIN, SJ. après 1685. Tous les textes cités en sont extraits. Cf. " Sainte Marguerite Marie, Sa vie par elle-même". Ed. Saint-Paul, Paris 1989, n° 53-55-56-57 et 92. (48) Cf. Revue Christus n° 139 : "Le Cœur du Christ " ; article A. DEMOUSTIER s.j., p. 356 à 358. (49) Cf. la lettre au P. Croiset (3 novembre 1689) de Marguerite-Marie. (50) L'autobiographie de Marguerite Marie fut publiée par le Père de Galliffet, S.J. dans son livre sur le Sacré-Cœur en 1733... (apprécié de Clori-

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vière). Avec ses lettres et les écrits des Pères jésuites La Colombière et Croiset, voilà quels sont les fondements de toutes les vies de sainte Marguerite-Marie. (51) Voir R. DEVILLE, "Ecole Française", chapitres 8 et 9. (52) Voir R. LAURENTIN, " Dieu seul est ma tendresse : Louis-Marie Grignion de Montfort", 1984, Oeil, Paris, 272 pages, illustrations, textes et chronologie, très complet. (53) Cf. Daniel ROPS, Histoire de l'Eglise, tome VIII : " l'ère des grands craquements", Réédition Fayard-Grasset illustrée 1966, pp. 290 à 293. e

(54) Ces missions avaient été inaugurées dès le XVII siècle par les Jésuites. Le P. Maunoir et le P. Le Nobletz envoyaient des centaines de prêtres dans des missions d'évangélisation de 3 ou 4 semaines, vraie catéchèse populaire accrochant l'attention par des cantiques ou des images, puis des processions et tableaux vivants mimant l'Evangile. Montfort entre dans ce sillage ; elles dureront tout le XVIIIe siècle. Cf. Henri BREMOND, " Histoire du sentiment religieux en France, tome V : " l'Ecole du P. Lallemant et la tradition mystique dans la Compagnie de Jésus"..., chap. "Les missions bretonnes", pp. 82 à 117. Ed. 1940. Cf. le Musée d'Art religieux de Vitré où l'on montre des " tableaux " du P. Maunoir et des missions bretonnes. (55) A. HAMON S.J., Histoire de la Dévotion au Sacré-Cœur, t. III, " Paray le Monial ", chap. XIII, Ed. Beauchesne, Paris 1927. (56) Daniel ROPS, Histoire de l'Eglise, tome VIII : " Les grands craquements ", pp. 268, 269 et 293. (57) Clorivière : " Notes intimes ", tome II, pp. 46 et suivantes. Publiées par P. MONIER-VINARD, Paris, Spes, Coll. Maîtres spirituels, 1935, 280 pages. (58) Voir brochure de la Société Archéologique de Chartres, article de Y. DELAPORTE, " Les Cœurs votifs du Trésor de Chartres et le Voeu de Mme Elisabeth", 1957, p. 11. (59) Voir D. ROPS, op. cit., tome VIII, pp. 371 et suivantes. Voir Paul et P. GIRAULT de COURSAC, " Enquête sur le Procès du Roi Louis XVI ", Table Ronde 1982 ; " Louis XVI et la question religieuse pendant la Révolution", Paris, O.E.I.L. 1988, p. 285... L'enquête est minutieuse, sur archives peu explorées... la question ne paraît pas close sur le voeu de Louis XVI. (60) Abbé CASGRAIN, " La Société des Filles du Cœur de Marie d'après ses Annales", tome I, Paris, Devalois 1899, pp. 386 à 389. (61) - G. LE NOTRE, " La Fille de Louis XVI, Marie-Thérèse-Charlotte de France " (Documents inédits, lettres, estampes et en particulier le " Mémoire " de Madame Royale daté de 1795, pp. 116 à 182, Paris, éd. Perrin, 1907, 310 pages. - J.V. BAINVEL : La Dévotion au S. Cœur de Jésus. Doctrine - Histoire ", Paris, Beauchesne 1921, p. 533 et 544. - A. HAMON (S.J.), " Histoire de la Dévotion au Sacré Cœur ", t. IV, Beauchesne 1931, p. 300-307.

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Une thèse de Jacques BENOIST à paraître en 1990 étudie cette tradition sous le titre : " Le Sacré Cœur de Montmartre, spiritualité, art et politique ". (62) Y. DELAPORTE, article " Les Cœurs votifs du Trésor de Chartres et le voeu de Madame Elisabeth ", Chartres, Soc. Archéologique d'Eure-et-Loir, pp. 4, 5, 7 et 8 à 11. (63) Cf. Abbé H.R. CASGRAIN (op. cit.), "Annales", t. I, pp. 397 à 403. (64) Cf. Y. DELAPORTE, op. cit., p. 8. (65) On peut observer la célèbre " Médaille Miraculeuse " frappée d'après les indications de l'Apparition de " Marie Immaculée " à -Catherine Labouré, à la chapelle des Filles de la Charité, dites " Soeurs de saint Vincent de Paul ", rue du Bac à Paris, en 1830 ; elle porte au revers les deux Cœurs de Jésus et Marie ; sous la Croix, le " M " mariai, et autour le cercle de 12 étoiles qui couronne la tête de la Femme de l'Apocalypse (Ap. 12,1 et 2); c'est donc un superbe raccourci théologique. (66) Cf. brochure " La Dévotion au Cœur du Christ, Histoire et Symbole "... Session de Paray-le-Monial, août 1987, pp. 18 à 36. Cf. A. HAMON, "Dévotion au Sacré-Cœur", t. V, p. 214 à 219. (67) P. Henri de LUBAC (S.J.), " La pensée religieuse du Père Teilhard de Chardin", Aubier 1962, p. 233. (68) P. Teilhard de Chardin, " Hymne de l'Univers ", coll. Livre de Vie, 1961, n" 62. (69) Prières de tous les temps, " La tradition ignatienne ", C.L.D. Tours 1981, pp. 75 et 76. (70) Il s'agit du P. Gaspard Druzbicki (1592-1662), jésuite polonais mort en réputation de sainteté. (71) " Haurietis aquas in gaudio de fontibus Salvatoris " (Isaïe 12,13) : Vous puiserez dans la joie les Eaux aux fontaines du Salut (en abrégé : H.A.) (72) Référence à (Tit 3,4) cité par l'Encyclique. (73) Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, " Manuscrits autobiographiques " (fin), Collection " Livre de Vie", éd. Seuil, Paris 1969, p. 240-241. (74) Jean-Paul II : Encyclique " Rédempteur de l'Homme ", mars 1979, paragraphe 9. (75) Cf. P. de Clorivière : " Lettres Circulaires " - sur la T.S. Vierge... 18 janvier 1800, p. 390, 400-401 ; Paris, éd. Durassié 1935, 411 pages. (76) Cf. " Lettres Circulaires " (op. cit.) - sur la T.S. Vierge - pp. 398-399... Le P. d'Argentan, capucin, est avec le Père Grou et Clorivière l'un des trois maîtres spirituels de la fin du XVIIIe siècle que repère Daniel Rops (tome VIII). (77) 5e Lettre Circulaire, p. 118 ou pp. 123-124. (78) Appelée ensuite (1791): "du Cœur de Jésus". (79) Cf. Documents Historiques 1790-1820- Société des Filles du Cœur de Marie, Ed. Paris 1981, pp. 17-20 et 25. (80) Documents Historiques (op. cit.), pp. 26 et 27-30 ; idem, pp. 48-49-50 + 181 et 182.

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(81) Documents Historiques, pp. 203, 375 9° + p.249 : "On pourra suivre les Constitutions de saint Ignace, mais sans affectation, ni prétention quelconque " (lettre de mars 1801 5°). (82) Documents Historiques, op. cit., pp. 14, 31-32. (83) Troisième Lettre Circulaire du 19 juillet 1799... " sur la Pauvreté et la Communauté des biens " (op. cit.). (84) Cf. " Lettres du P. de Clorivière " du 5 février 1791 - tome I - p. 63, Ed. Durassié, Paris 1948. (85) P.-J. de CLORIVIERE, " Considérations sur la Prière et Oraison ", rééd. Christus 1961. La préface d'A. Rayez dégage bien l'inspiration de l'Auteur qui avait étudié tous les Maîtres de prière (surtout F. de Sales et Thérèse d'Avila) et la pratiquait lui-même excellemment. (86) Cf. Doc. Hist., pp. 11, 12, 14, 17, 28, 29, 85, 86, 277... et A. RAYEZ S.J., " Formes Modernes de vie consacrée " qui s'y réfère dans les pp. 367, 371 à 374, Paris, Beauchesne 1966, Coll. Bibl. de Spiritualité, 458 pages. (87) A. RAYEZ, " Formes Modernes... " (op. cit.), chapitre " Rennes en ce temps-là", pp. 85-86, 186-187. (88) CLORIVIERE, Lettres, tome I, Paris, éd. Durassié, pp. 51-52, ou RAYEZ, " Formes modernes de vie consacrée ", p. 388, qui cite cette lettre entièrement. (89) Cf. J. de Galliffet, " L'excellence de la dévotion au Cœur adorable de Jésus-Christ", Nancy 1733, rééd. 1773. Jean EUDES, " Huit méditations pour la fête du Divin Cœur de Jésus ", Oeuvres complètes 8, 327. (90) Cf. article A. RAYEZ, " Dévotion et Mystique mariales du P. de Clorivière" (notes 21 et 22), tome III de Maria, 1954; et Henri BREMOND, " Histoire du sentiment religieux en France ", tome V - L'école du P. Lallemant et la tradition mystique dans la Compagnie de Jésus -. Brémond parle même de "Jésuites Bérulliens "... ceux justement dont Clorivière se nourrit. (91) Cf. E. GLOTIN, S.J. " Jean-Paul II à Paray le Monial " ou " Pourquoi le Cœur? ". Dans Nouvelle revue Théologique 108 (1986), pp. 685 à 714 vers la fin de l'article. (92) Voir texte sur Clorivière, Nouvelle Revue Théologique 108 (1986), pp. 685 à 714 et note (117) plus bas avec le texte d'une méditation sur le Christ livré dans l'Eucharistie. (93) Cf. Doc. Hist. (op. cit.), "Mémoire aux Evêques de France", 1798, pp. 124 et 164. (94) On reconnaît dans cette citation la même conviction que celle de Madame Elisabeth de France, dans sa prière pour le Royaume en 1788 (cf. page 68, supra). (95) Par le vœu de Louis XIII, 10 février 1638, d'une consécration perpétuelle de son Royaume, célébrée chaque 15 août par une procession solennelle... On l'a fêté avec éclat de nouveau le 15 août 1988, après une certaine éclipse (1965-1987)... et on a vu (partie A) comment dans la tourmente, la famille royale se réfugiait dans les Cœurs de Jésus et de Marie.

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(96) Surtout Clorivière, première Lettre Circulaire, p. 18, cinquième Lettre Circulaire, pp. 117 à 124, Lettre Circulaire pp. 338-339. (97) Doc. Hist. (op. cit.): "Mémoire aux Evêques de France", p. 153, et première "Lettre Circulaire", p. 18. (98) Jean EUDES, Oeuvres complètes, VIII, p. 130 ou 206. (99) JEAN-PAUL II, Encyclique " Redemptoris Mater", 25 mars 1987, n° 48. (100) Cf. A. RAYEZ, " Formes Modernes... ", note p. 187. (101) Cf. R. DEVILLE, " L'Ecole Française de spiritualité ", Bibl. d'Histoire du Christianisme, n" 11, Desclée, Paris 1987, p. 142. (102) CLORIVIERE, " Vie intérieure de la Sainte Vierge et les mystères du Rosaire", préfacée par A. RAYEZ, S.J., Paris, 1954, éd. de l'Orante. (103) Saint L.-M. GRIGNION de MONTFORT, " Secret de Marie ", n° 1216-17, expression brève, en 79 art. du T. suivant: " Traité de la Vraie Dévotion ", chap. 1, art., 2... quoique ce manuel, égaré dans un coffre, ne fut publié qu'après 1842, les expressions de Montfort étaient dans toutes les mémoires, car elles étaient frappées comme des slogans, répétées dans les cantiques que tout l'Ouest chantait depuis les Missions ; et une première " Vie de Montfort " avait été publiée dès 1724 par un Sulpicien, l'Abbé Grandet. Clorivière écrit la seconde, publiée à Rennes, Saint-Malo et Paris en 1785. (104) Cf. M. BREMOND, Histoire du sentiment religieux, tome III (l'Ecole Française) a de nombreuses pages sur les Jésuites Bérulliens, chap. 5, pp. 258 à 279. (105) A. RAYEZ, S.J., " Formes modernes de vie consacrée ", chap. 3, pp. 53 à 96. (106) MONTFORT, "Traité de la vraie dévotion", chap. 1er, art. IV: rôle de Marie à la fin des temps - ou prière finale. (107) Voir aussi Daniel ROPS, op. cit., tome VIII, "les grands craquements ". (108) CLORIVIERE, "Lettres Circulaires", p. 391, réponse à quelques objections. (109) Mr OLIER, "Journée chrétienne", "Introduction à la Vie et aux Vertus chrétiennes ", textes cités par R. DEVILLE, pp. 74, 76 et 77. (110) CLORIVIERE, "Notes intimes", tome 1, pp. 33, 96 à 99. (111) J.-J. OLIER, "Journée chrétienne", 1655, éd. Amiot, 1954, p. 123. Cité par R. DEVILLE, " Ecole Française ", p. 74. (112) Constitution sur la liturgie n" 83. (113) Présentation de la "Liturgie des Heures", n° 1 et 3 : la prière du Christ. (114) Procès de condamnation de Jeanne d'Arc. (115) Cité par R. DEVILLE, op. cit., p. 113. (116) Jean EUDES, "Royaume de Jésus", 3ème partie ou Liturgie des Heures, 33e semaine, tome IV, pp. 326-327.

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(117) P. de CLORIVIERE (S.J.), " Méditations sur la Passion, l'Eucharistie, le Sacré-Cœur", Paris, Mignard, 1924, pp. 200-201. (118) Dans le " Traité de la Vraie Dévotion " de Louis-Marie GRIGNION de MONTFORT. Aujourd'hui, après Pie XII (" Haurietis Aquas " (n° 79)), le Pape Jean-Paul II recommande la Consécration à Marie, " la plus unie au Cœur du Christ " pour que l'homme pécheur revienne au Cœur de Jésus. - Cf. " Christus ", n° 139, art. de D. DIDEBERG, " Le Cœur du Christ et la Compagnie de Jésus", p. 310. - Cf. J.-Paul II, Encyclique " Mère du Rédempteur ", 25 mars 1987, paragraphes 45, 46 et 48. (119) Cf. Mr Olier, " Journée chrétienne ", Paris, 1655, cité par R. DEVILLE (op. cit.), p. 68. (120) Voir supra, note (65): le revers de la "médaille Miraculeuse" me paraît ainsi résumer toute la " spiritualité française". (121) - Cf. art. P.A. RAYEZ, " Dévotion et mystique mariale du P. de Clorivière", dans Maria, tome III, Beauchesne 1954. - Cf. Lettres Circulaires du P. de Clorivière, 2e L.C. 1er mai 1799, p. 61, 18 janvier 1800, pp. 377 et sv., Paris 1935. - Cf. " P. de Clorivière ", Vie intérieure de la Vierge. Les quinze mystères du Rosaire (1799) présentés par A. RAYEZ, Paris, Ed. de l'Orante, 1954. (122) DILLENSCHNEIDER, Marie au service de notre rédemption", Haguenau 1947, pp. 130 à 138. (123) François de SALES, Traité de l'Amour de Dieu, Livre 7, chap. 13. (124) " Outre - de part en part - totalement transpercée ". (125) François de SALES, "Traité de l'Amour de Dieu", Livre 7, chap. 3. (126) CLORIVIERE, 1ère Lettre Circulaire, p. 34; 5e Lettre Circulaire, pp. 121-122 ; 2e Lettre Circulaire, p. 43. (127) CLORIVIERE, Notes Intimes, tome I, pp. 168 et sq., Paris, Ed. Spes, 1935. (128) Cf. R. DEVILLE, "Ecole Française", op. cit., p. 95. (129) Cf. Revue "Christus", "Le Cœur du Christ", n° 139, juillet 1988, p. 324 et tout l'article de Chantai Reynier, " Les relations aux Cœurs de Jésus et Marie dans les Fondations du P. de Clorivière". (130) Cf. A. RAYEZ, " Dévotion et mystique mariales du P. de Clorivière ", art. en Maria III, Beauchesne 1954, notes 21 et 22. (131) Cf. R. DEVILLE, " Ecole Française ", p. 151, Cantique à Jésus vivant en Marie. (132) François de SALES, " Traité de l'Amour de Dieu ", Livre 11, ch. 19 et 20. (133) Les biographies récentes de Louis XVI ou Marie-Antoinette, surtout leurs admirables testaments en donnent de si touchants exemples ; mais aussi les "Actes" des 99 martyrs d'Angers, béatifiés en 1986.

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(134) Ainsi tel jeune soldat blésois de 23 ans, Barthélémy Bimbenet, guillotiné pour sa foi, plus encore que pour son roi, à Paris, le 25 février 1794. (Cf. Gallerand : " Un combat spirituel sous la Terreur", Beauchesne 1989). Ou encore Noël Pinot, prêtre, guillotiné à Angers en habits sacerdotaux, disant : " Introïbo ad altare Dei " : " Je monterai jusqu'à l'autel de Dieu ", ou les célèbres Carmélites de Compiègne. (135) Cf. "La Dévotion au Cœur du Christ", op. cit., 1987, art. Yves Ledure, pp. 51 à 60 : dimensions sociales... (cf. n. 66 supra). (136) Cf. Revue " Christus " n° 139, " Le Cœur du Christ et sa Personne ", juillet 1988, l'article de D. Dideberg : " Le Cœur du Christ et la Compagnie de Jésus ", pp. 307-308-310, montre bien, par de longues citations de Jean-Paul II, dans sa visite aux Jésuites de Paray-le-Monial, et en s'appuyant sur les " Exercices Spirituels " de saint Ignace, comment ceux-ci orientent le retraitant, après la contemplation du Christ crucifié et transpercé (n° 53) et la prière " Anima Christi ", vers le retour d'Amour : " Prends et reçois Seigneur " (n° 234) et la collaboration avec le Rédempteur du monde par l'offrande de sa vie au Cœur du Christ en union avec le Cœur de Marie (ainsi le recommandent les feuillets ignatiens de l'apostolat de la prière). (137) François de SALES, "Lettres" (à une religieuse). (138) Par exemple à la Mère Sophie Barat qu'il appuya et conseilla, dont il orienta le travail des Constitutions des " Religieuses du Sacré-Cœur ", au lendemain de la Révolution. (139) CLORIVIERE, "Lettres Circulaires" (en abrégé L.C.) : - lre L.C. sur la Conformité au Cœur de Jésus, 14 février 1799 (p. 18), - L.C. sur la T.S. Vierge, 18 janvier 1800, pp. 389 à 392. (140) CLORIVIERE, "Mémoire aux Evêques ", 1797, Doc. Historiques de la Soc. F.C. Marie n° 6, p. 124 (éd. Paris 1981). (141) lre L.C. p. 18 déjà citée, et L.C. sur la T.S. Vierge, p. 401. (142) A. RAYEZ, S.J., " Introduction à la Vie Intérieure de la Vierge par P. de Clorivière", éd. Orante, Paris 1954, p. 9. (143) L.C. sur la T.S. Vierge, op. cit., p. 398. (144) A. RAYEZ, S.J., "Marie", III, "Dévotion et Mystique Mariales du P. de Clorivière ". (145) CLORIVIERE, Explication des litanies, doc. ronéotypé non édité, arch. F.C.Marie. (146) "Haurietis Aquas", n° 28, déjà cité en partie A. (147) Cf. Documents Historiques 4: Plan de la S.C. Jésus, 1792, éd. Soc. F.C.M. 1981, Paris, p. 78 et L.C. introd. 2e page.

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TABLE Préface Introduction Première Partie Principaux jalons historiques de la contemplation du " Cœur ouvert "

I. II. III. IV. V.

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Racines évangéliques et patristiques Le Moyen-Age L'Ecole Française au XVIIe siècle Le XIXe siècle Au XXe siècle

Deuxième Partie Le climat spirituel de la fin du XVIIIe siècle aux origines des fondations de Clorivière

VI. - Les trois sources de la spiritualité de P.-J. de Clorivière VII. - L'Ecole Française ou Bérullienne est un terreau spirituel commun pour la France du XVIIIe siècle donc aussi pour Clorivière Conclusion Notes


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