La production d'énergies renouvelables par les agriculteurs

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Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Université Paris 2 Panthéon-Assas

Master 2 Recherche Droit de l'Environnement

La production d'énergies renouvelables : nouvelle composante de l'activité agricole?

Par Henri MARIA

Sous la direction de Monsieur le Professeur François-Guy TRÉBULLE

Année universitaire 2012/2013

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Les opinions exprimées dans ce mémoire sont propres à leur auteur et n'engagent pas les Universités de Paris I et Paris II.

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Liste des abréviations ACE : Aides aux cultures énergétiques ADEME : Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie APCA : Assemblée permanente des chambres d'agriculture BCAE : Bonnes conditions agro-environnementales CCRCS : Comité de coordination du registre du commerce et des sociétés CDCEA : Commission départementale de la consommation des espaces agricoles CEA : Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives CEE : Communauté économique européenne CGI : Code général des impôts DGFP : Direction générale des finances publiques DRDR : Document régional de développement rural DRIAAF : Direction régionale et interdépartementale de l'alimentation de l'agriculture et de la forêt EARL : Exploitation agricole à responsabilité limitée EDF : Électricité de France ERDF : Électricité Réseau Distribution France EMAA : Plan énergie méthanisation autonomie azote ENVI : Commission environnement santé publique et sécurité alimentaire FEADER : Fond européen agricole pour le développement rural FNSEA : Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles GAEC : Groupement agricole d'exploitation en commun GES : Gaz à effet de serre ICHN : Indemnités compensatoires des handicaps naturels INSEE : Institut national de la statistique et des études économiques LMAP : Loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche MAE : Mesures agro-environnementales ONCEA : Observatoire national de la consommation des espaces agricoles ONU : Organisation des Nations Unies PAC : Politique agricole commune PADD : Projet d'aménagement et de développement durable PCET : Plans climat énergie territoriaux PDRH : Programme de développement rural hexagonal PIB : Produit intérieur brut 3


PLU : Plan local d'urbanisme PMBE : Plan de modernisation des bâtiments d'élevage POS : Plan d'occupation des sols RPU : Régime de paiement unique SAFER : Société d'aménagement foncier et d'établissement rural SARL : Société à responsabilité limitée SAU : Surface agricole utile SCEA : Société civile d'exploitation agricole SCOT : Schéma de cohérence territoriale SICA : Sociétés d'intérêt collectif agricole SICAE : Sociétés d'intérêt collectif agricole d'électricité SMG : Superficie maximum garantie SPS : Single payment scheme SRCAE : Schéma régional du climat, de l'air, et de l'énergie TFUE : Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne UE : Union Européenne ZA : Zone agricole ZAP : Zone agricole protégée

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Sommaire INTRODUCTION PREMIERE PARTIE : L'insertion de la production d'énergies renouvelables dans la sphère agricole : une illusion ? CHAPITRE 1 : Un cadre juridique européen ouvert à la production d'énergies renouvelables par les agriculteurs SECTION 1 : L'agriculteur, producteur de la source d'énergie renouvelable SECTION 2 : L'agriculteur, exploitant d'énergies issue de sources renouvelables CHAPITRE 2 : Une qualification juridique complexe en droit interne SECTION 1 : La qualification de l'activité de production d'énergies renouvelables en droit rural SECTION 2 : La qualification de l'activité de production d'énergies renouvelables à la ferme en droit fiscal

SECONDE PARTIE : Les influences juridiques de la production d'énergies renouvelables sur l'exploitation : une réalité. CHAPITRE 1 : Les conditions d'exploitation des énergies renouvelables par les agriculteurs SECTION 1 : Les formes d'exploitation des énergies renouvelables à la ferme SECTION 2 : Les contrats d'implantation d'unité de production CHAPITRE 2 : La production énergétique à la ferme et l'aménagement de l'espace agricole SECTION 1 : L'objectif de protection des terres agricoles SECTION 2 : Les dérogations permettant le développement des énergies renouvelables en zone agricole

CONCLUSION

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Introduction « Dans un État moderne comme la France, où la production agricole joue un rôle capital, le métier d'agriculteur n'est plus une chose simple. La pratique ancestrale, l'amour et l'instinct des choses de la terre, la ténacité, l'économie la plus stricte et l'ardeur au travail ne suffisent plus. Les problèmes avec lesquels le cultivateur est aux prises présentent une complexité de plus en plus grande : complexité technique, économique et sociale. » Maurice Lemoigne, Extrait de la préface du Nouveau Larousse Agricole, 1952. **** L'ancien Ministre de l'Agriculture Bruno Le Maire notait en avant-propos du rapport intitulé «Prospective Agriculture Énergie 20301 » que l'agriculture devra dans le futur « non seulement faire évoluer ses pratiques pour préserver l'environnement et réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais également développer des énergies renouvelables pour atténuer la dépendance de nos économies aux énergies fossiles ». L'agriculture est aujourd'hui confrontée à plusieurs défis majeurs : elle doit nourrir une population mondiale en forte croissance2, gérer durablement les ressources naturelles, réduire la dépendance aux énergies et matériaux fossiles, lutter contre le changement climatique et s'y adapter. C'est dans ce contexte que se développe aujourd'hui la production d'énergies renouvelables sur les exploitations agricoles, dont le cadre juridique fait l'objet de cette étude. 

Un modèle agricole dépendant des énergies fossiles

Le terme « d'énergies renouvelables » désigne couramment les « énergies primaires inépuisables à très long terme, car issues directement de phénomènes naturels, réguliers ou constants, liés à l’énergie du soleil, de la terre ou de la gravitation 3 ». On oppose

1 Julien Vert, Fabienne Portet, (coord.), « Prospective Agriculture Energie 2030. L'Agriculture face aux défis énergétiques », Centre d'études et de prospectives, SSP, Ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité et de l'Aménagement du Territoire, 2010. 2 La population mondiale actuelle de 7,2 milliards devrait augmenter de près d'un milliard de personnes au cours des douze prochaines années, pour atteindre 8,1 milliards en 2025 et 9,6 milliards en 2050 selon le rapport de l'ONU. World Population Prospects: The 2012 Revision, Department of Economic and Social Affairs, Population Division, Press Release, 13 juin 2013. 3 Définition donnée par le Ministère de l'Écologie, du Développement durable, et de l'Énergie, disponible sur http://www.developpement-durable.gouv.fr

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généralement les énergies renouvelables aux énergies fossiles 4 (charbon, pétrole, gaz)5 dont les stocks limités et les capacités de nuisances environnementales empêchent de penser aujourd'hui que leur utilisation est compatible avec un développement durable. Or, la modernisation de l'agriculture opérée au cours du XXème siècle repose en grande partie sur l'utilisation des énergies fossiles. Les pays industrialisés sont passés de systèmes agricoles locaux aux rendements faibles, à des systèmes mécanisés, spécialisés et intensifs, reposant sur des techniques productivistes et nécessitant peu de main d'œuvre. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le machinisme agricole a commencé à se développer et l'emploi d'engrais chimiques et de biocides à se répandre. Ces technologies reposent toutes sur l'utilisation des énergies fossiles : le pétrole et le gaz sont nécessaires pour faire fonctionner les moteurs des machines agricoles, pour assurer le transport des denrées, pour chauffer les bâtiments d'élevages et les serres, pour fabriquer les pesticides (chimie du pétrole) et les engrais azotés (transformation du gaz naturel6). En Europe, ce passage d'une agriculture de subsistance à une agriculture de production s'est accéléré avec la mise en place de la politique agricole commune (PAC) qui a fixé comme priorité l'augmentation de la production agricole et la hausse de la productivité de l'agriculture dans le but de satisfaire les besoins alimentaires d'une France et d'une Europe en reconstruction. A son lancement en 1962, ce défi était énoncé comme tel dans le traité CEE : « accroître la productivité de l'agriculture en développant le progrès technique7 ». Il fut relayé en droit interne par la loi d'orientation agricole de 1960 qui prévoyait « d'accroître la productivité agricole en développant et en vulgarisant le progrès technique, en assurant le développement rationnel de la production en fonction des besoins et de l'emploi optimum des facteurs de production8». Cette révolution agricole a produit des systèmes agraires « motorisés, mécanisés, chimisés et spécialisés9 », un modèle de développement qui a engendré une hausse de l'énergie nécessaire à la production de biens agricoles. Il s'est distingué des modèles antérieurs en devenant totalement dépendant des énergies fossiles. Ainsi, l'objectif d'indépendance alimentaire a été atteint au prix d'une dépendance énergétique forte. 4 Énergie issue de la fossilisation de matière organique dans le sous-sol terrestre. 5 Cette opposition est explicite dans la définition juridique de la notion que l'on retrouve à l'article 2 de la Directive 2001/77/CE du Parlement Européen et du Conseil du 27 septembre 2001, relative à la promotion de l'électricité produite à partir de sources d'énergies renouvelables sur le marché intérieur de l'électricité: « les sources d'énergies renouvelables sont les sources d'énergies non fossiles renouvelables (énergie éolienne, solaire, géothermique, houlomotrice, marémotrice, hydroélectrique, biomasse, gaz de décharge, gaz des stations d'épuration usées et biogaz) ». 6 Procédé Haber-Bosch 7 Traité CEE, art.39 8 Loi n°60-808, 5 août 1960, d'orientation agricole, art.2 9 Marcel Mazoyer, Laurence Roudart, Histoire des agricultures du monde : du néolithique à la crise contemporaine, Seuil, avr. 2002, p.33.

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Plus globalement, tous les champs de l'économie sont devenus tributaires des ressources énergétiques fossiles. Le taux d'indépendance énergétique10 de la France était proche de 50% en 201211, celui de l'Union Européenne avoisinait quant à lui les 46% 12. Cela signifie qu'en France, comme dans le reste de l'Europe, l'énergie consommée est majoritairement importée de pays étrangers. Cette dépendance a des inconvénients. Les prix du pétrole et du gaz sont réputés très volatils : ils peuvent varier en fonction de l'offre et de la demande selon des règles particulières propres à leurs marchés13, mais également en raison des tensions géopolitiques et du contexte international. Le Moyen-Orient, au centre de l'échiquier pétrolier mondial 14, est une zone marquée par les multiples conflits qui s'y déroulent depuis de nombreuses années. Ces événements ont des répercussions sur les conditions d'approvisionnement de pétrole et de gaz. Si les grands pays consommateurs que sont l'Europe et les États-Unis ont réussi jusqu'à maintenant à limiter leur dépendance à l'égard du Moyen-Orient, le rôle de cette zone devrait tout de même se renforcer dans l'avenir en raison des stocks très conséquents qui y sont présents et de la demande grandissante des puissances émergentes comme la Chine et l'Inde15. La question de l'approvisionnement en ressources fossiles mêle donc les intérêts économiques aux relations diplomatiques et est un enjeu de taille pour les prochaines années. Les sources d'énergies renouvelables exploitées localement permettent de minimiser cette dépendance et représentent une alternative au pétrole et au gaz, dont les prix ne devraient pas cesser de croître, notamment compte tenu de la hausse de la demande16. 

Des énergies renouvelables pour lutter contre la crise agricole?

L'agriculture souffre de sa dépendance aux énergies fossiles. En effet, l'énergie coûte cher aux agriculteurs (en moyenne 6 400 euros par exploitation en 2009, le double si on ajoute le coût 10 L'INSEE définit le taux d'indépendance énergétique comme « le rapport entre la production nationale d'énergies primaires (charbon, pétrole, gaz naturel, nucléaire, hydraulique, énergies renouvelables) et la consommation en énergie primaire, une année donnée » (www.insee.fr) 11 Information donnée par le CEA sur leur site internet, www.cea.fr 12 Tirée de la base statistique de l'Union Européenne Eurostat, http://epp.eurostat.ec.europa.eu 13 V. pour le pétrole : Jean-Marie Chevalier, Michel Derdevet, Patrice Geoffron, L'avenir énergétique : cartes sur table, Gallimard, 2012, p.23. 14 C'est la région du monde qui dispose des plus grandes réserves de pétroles et de gaz. Voir Ludovic Mons, Les enjeux de l'énergie, Petite encyclopédie Larousse, 2011, p.42-43. 15 Pour le spécialiste en géopolitique François Lafargue, une bataille pétrolière mondiale a déjà commencé entre les États-Unis, la Chine et l’Inde, pendant que l'Europe se marginalise en se reposant sur son approvisionnement issu de Norvège et de Russie : http://www.atlantico.fr/decryptage/petrole-guerre-mondiale-libye-etats-unis-chine-indefrancois-lafargue-209623.html#llJrmhYqfPMMDVf4.99 16 Rapport d'information n° 105 (2005-2006) de MM. Joseph KERGUERIS et Claude SAUNIER, fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification, déposé le 24 novembre 2005, p. 28, 49.

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de l'énergie indirecte liée aux engrais et aliments17). Le prix du baril de pétrole exerce donc une influence directe sur les finances des agriculteurs. Or, entre 2000 et 2008, ce prix a été multiplié par trois sur le marché mondial18, pénalisant ainsi l'agriculture française. Bien évidemment, l'agriculture n'est pas le seul secteur touché par l'augmentation du prix des énergies fossiles. Mais elle est tout de même une victime privilégiée puisque le secteur est en proie à de multiples difficultés qui s'additionnent à cette crise énergétique. L'agriculture vit tout d'abord de profondes mutations19. C'est un secteur en restructuration continuelle depuis plusieurs décennies, notamment sous l'effet de la mondialisation qui bouleverse les marchés, et des techniques qui ne cessent d'évoluer. Ce changement de paradigme a pour corollaire une forte baisse du poids du secteur agricole en termes de PIB dans l'économie française, ainsi que la chute du nombre d'exploitations et d'actifs agricoles, à la source d'un certain malaise relativement répandu au sein de la profession 20. S'est ajouté à cela une crise agricole conjoncturelle, liée au tumulte économique et financier mondial survenu depuis 2008. La volatilité des prix de nombreuses matières premières (pétrole, céréales, oléagineux...) ainsi que la baisse de la consommation des ménages engendrés par la crise ont des conséquences particulièrement néfastes sur l'agriculture21. La production d'énergies renouvelables à la ferme a les capacités de répondre partiellement à ces crises. C'est d'abord le meilleur moyen de réduire la dépendance énergétique des exploitations agricoles et de permettre à l'exploitant de faire des économies. C'est aussi l'occasion pour lui de diversifier ses revenus en vendant de l'énergie et d'être, par ce biais, moins dépendant des aléas climatiques et de la fluctuation des prix des produits agricoles. Enfin, c'est aussi une production qui est susceptible de dynamiser un territoire en créant des emplois et en développant des filières. Prenant le cas de la méthanisation, Guy Vasseur, Président de l'Assemblée Permanente des Chambres d'Agriculture (APCA), déclarait en 2013 qu'elle

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Pour les agriculteurs, c’est une diversification de leur activité, une moindre dépendance aux énergies fossiles, une réduction de leur impact sur l’effet de serre et un revenu complémentaire. Pour les territoires, c’est la production d’énergies renouvelables, un 17 Didier Marteau, « L'agriculture moteur des énergies renouvelables et de la croissance verte », Chambres d'agriculture, n°1017, nov. 2012, p.12. 18 http://www.actualitix.com/evolution-du-prix-du-baril-de-petrole.html 19 V. à ce sujet l'article de Stéphanie Bia, « Agriculture, la grande mutation », CNRS le journal, n°157-158, janvier/février 2003, en ligne sur : http://www2.cnrs.fr 20 V. l'ouvrage de Pierre Daucé, Agriculture et monde agricole, la Documentation française, 2003, 160 p. 21 V. le dossier spécial consacré à ce sujet dans le magazine Chambres d’agriculture n° 1013, Juin 2012, p. 13-30.

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potentiel pour le recyclage de certains déchets, la création de nouvelles filières et d’emplois non-délocalisables »22.

La gestion de l'énergie dans un contexte de fragilisation des exploitations agricoles est ainsi devenue en peu de temps un enjeu essentiel, dont se sont saisis les pouvoirs publics et pour lequel les agriculteurs ont développé un intérêt23. L'énergie sera sans nul doute un facteur de compétitivité décisif dans les années à venir pour l'agriculture française, et les acteurs tant publics que privés de ce secteur semblent l'avoir compris et s'y préparer 24. L'avance prise par les agriculteurs allemands en termes de production d'énergies renouvelables sur les exploitations agricoles a été l'une des raisons évoquées pour expliquer la plus grande fragilité de l'agriculture française face à son voisin d'outre-Rhin25.

Développer les énergies renouvelables à la ferme pour protéger l'environnement

L'émergence de la problématique énergétique dans le secteur agricole est aussi liée à des considérations environnementales26. En effet, la combustion des énergies fossiles provoque un rejet de différents gaz appelés gaz à effet de serre (GES), favorisant le phénomène de changement climatique. Le secteur agricole est émetteur de telles substances : il était responsable en 2008 d'environ 13,5% des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle du globe. En France, 21% des GES proviennent de l'agriculture, ce qui en fait le deuxième secteur émetteur derrière les transports27. Les principaux GES émis par l'agriculture sont le protoxyde d'azote, le méthane et le dioxyde de carbone ; les productions animales sont responsables à elles seules de presque la moitié de ces émissions28.

22 Communiqué de presse de l'APCA, « La méthanisation, une réelle opportunité de développement pour l'agriculture française », 3 avril 2013. 23 Des ouvrages son dédiés à ce thème, V. notamment Juliette Talpin, Economies d'énergie sur l'exploitation agricole, 24 Didier Caraës, « L'énergie, facteur de compétitivité des entreprises agricoles », Chambres d'Agriculture, n°1017, novembre 2012, p.13-15. 25 Virginie Garin, « Les agriculteurs deviennent de plus en plus des producteurs d'énergies », 27 févr. 2013, www.rtl.fr. 26 Relevons à ce titre le rapport au précurseur de la SAF sur ce thème : « Les marchés de carbone : quelle place pour l'agriculture française? », SAF Agriculteurs de France en partenariat avec l'ADEME et la Caisse des dépôts, févr. 2006. 27 Didier Vandaele, Amandine Lebreton, Benoît Faraco, Agriculture et effet de serre : état des lieux et perspectives, Rapport du Réseau Action Climat France et de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l'homme, p.16. Disponible en ligne sur http://www.rac-f.org/Agriculture-et-gaz-a-effet-de . 28 Bernard Pellecuer, Énergies renouvelables et agriculture : perspectives et solutions pratiques, Éditions France Agricole, 2007, p.37.

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Les changements climatiques induits par les émissions de GES sont devenus une priorité des politiques environnementales actuelles. La Convention-cadre des Nations Unis sur les changements climatiques (CCNUCC), entrée en vigueur le 21 mars 1994, a reconnu les défis posés par les changements climatiques et a créé un cadre de coopération internationale pour lutter contre ce phénomène. Le Protocole de Kyoto a ensuite matérialisé les engagements des États en chiffrant les objectifs à atteindre concrètement et en créant le système des marchés de carbone. Les entreprises qui émettent des GES se sont ainsi vues attribuer des quotas d'émission sous forme de permis, délivrés par chaque État en fonction des objectifs qui lui ont été assignés. Ces permis autorisent les entreprises qui les détiennent à émettre une certaine quantité de carbone par an. Si jamais l'entreprise émet plus de GES que ce que ses permis l'y autorisent, elle devra alors en acheter sur les marchés pour combler l'écart. Si à l'inverse elle en consomme moins, elle pourra soit conserver ses permis en excès afin de pouvoir les utiliser plus tard, soit les revendre sur les marchés. Les émissions de l'agriculture ne sont, pour l'essentiel, pas soumises au dispositif de quotas de GES29 alors même qu'elles sont quantitativement importantes. Cela provient principalement du fait qu'il est concrètement difficile de soumettre à titre individuel les agriculteurs au système de quota de GES. Pourtant, l'extension de ce système à l'agriculture pourrait avoir des effets bénéfiques. L'intégration dans les marchés des émissions évitées et des économies d'énergies réalisées sur les exploitations agricoles représentent d'une certaine façon un potentiel inexploité30 : les économies d'énergies ainsi que la production d'énergies renouvelables par les agriculteurs pourraient être valorisées sur les marchés si un système aussi incitatif que celui des permis d'émission pouvait être mise en place. 

L'action publique au service de la production d'énergies renouvelables à la ferme

Illustration d'une prise de conscience certaine et d'une volonté politique forte, un rapport ministériel récent affirmait que « l'énergie en agriculture est trop souvent vue comme un enjeu conjoncturel alors qu'elle est en réalité une question d'avenir majeure de par ses 29 Depuis le 1er janvier 2013, les industriels de l’azote européens et donc français (GPN, YARA) sont soumis au système du marché européen des quotas carbone pour la production d’ammoniaque et d’acide nitrique, substances dont la production a été soumise au dispositif par le décret n° 2012-1343 du 3 décembre 2012 relatif au système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (période 2013-2020) et à la mise en œuvre des activités de projets. Cette évolution avait été entrevue par le Ministère de l'Agriculture dans son rapport « Le marché des engrais minéraux, perspectives et pistes d'action », Centre d'Études et de Prospectives, Analyse n°15, avril 2010, p.3. 30 Voir en ce sens la réflexion de Carole Hermon et Isabelle Doussan dans l'ouvrage Production agricole et droit de l'environnement, LexisNexis, 2012, p.375.

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conséquences économiques pour les exploitations, ses liens aux questions environnementales et climatiques, et son influence sur l'organisation des filières et l'aménagement du territoire31 ». Aujourd'hui, les agriculteurs sont incités par le législateur comme par les pouvoirs publics à développer la production d'énergies renouvelables. Mais toutes les énergies renouvelables ne sont pas encouragées de la même façon. La diversité des types d'énergies de source renouvelable impose un traitement particulier à chacune d'entre elles et de plus, des choix politiques amènent à en privilégier certaines plutôt que d'autres32. La première énergie à avoir été encouragée sur l'exploitation a un lien direct avec l'agriculture : il s'agit de la biomasse. Les cultures énergétiques et leur transformation sont un débouché connu de longue date en agriculture. Elles peuvent servir de base à la fabrication de carburants, ou de combustibles utilisés dans des installations de productions d'énergie. Longtemps rendues inutiles par l'utilisation des énergies fossiles, les cultures énergétiques sont réapparues sous l'impulsion de la politique agricole commune, à partir des années 1990. Mais l'agriculteur s'est plus récemment saisi d'un panel élargi de types de production d'énergies renouvelables, avec des liens plus ou moins établis avec le monde agricole. Il est notamment devenu producteur d'électricité ou de gaz provenant de source renouvelable. La production d'électricité de source renouvelable a pris son envol dans un contexte de libéralisation du marché de l'énergie, notamment grâce à l’article 10 de la loi n°2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité qui prévoit que des installations qui utilisent des énergies renouvelables ou qui mettent en œuvre des techniques performantes en termes d’efficacité énergétique, telles que la cogénération, peuvent bénéficier de l’obligation d’achat, par EDF ou les distributeurs non nationalisés, de l’électricité qu’elles produisent. Dans les exploitations agricoles, la production d'électricité à partir de panneaux solaires photovoltaïques a rencontré un grand succès. Durant les années 2000, les projets de fermes solaires se sont multipliés en raison des tarifs d'achat attractifs de l'électricité produite et de la 31 Extrait de la synthèse du rapport de Julien Vert, et Fabienne Portet, (coord.), Prospective Agriculture Energie 2030. L'Agriculture face aux défis énergétiques, Centre d'études et de prospectives, SSP, Ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité et de l'Aménagement du Territoire, 2010. 32 Selon le rapport de Cour des Comptes, « La politique de développement des énergies renouvelables », La Documentation française, 23 juillet 2013, p.114. : « Afin de préserver les atouts énergétiques français de faibles émissions de gaz à effet de serre et de bas prix de l’électricité, tout en améliorant le soutien au développement des énergies renouvelables, des arbitrages s’imposent tant entre les politiques à mener qu’entre les moyens de soutien ».

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baisse des prix des outils de production. Ces projets ont également bénéficié des encouragements et des conseils techniques des chambres d'agriculture 33. L'engouement a été tel que les pouvoirs publics ont été contraints d'y mettre un terme assez brutal, par le décret du 9 décembre 201034 qui a suspendu durant trois mois l'obligation d'achat de l'électricité photovoltaïque produite par certaines installations. Ce moratoire avait pour objectif de désengorger les files d'attente des projets chez l'opérateur ERDF et de prévenir les effets d'aubaine liés à des rentabilités excessives. Les baisses des tarifs qui ont suivi ont témoigné de la détermination du Gouvernement à reprendre en main le développement de ces projets 35. A cette occasion, les agriculteurs ont revendiqué un traitement particulier de leurs dossiers au vu de l'engagement de leur profession dans la production de cette énergie et des conséquences que les modifications légales peuvent avoir sur leurs projets36. Parallèlement, le développement de l'exploitation de l'énergie mécanique du vent a conduit les agriculteurs à accueillir de plus en plus d'éoliennes sur leurs propriétés agricoles, soit en mettant leurs terres à dispositions d'un tiers désirant exploiter l'énergie, soit en exploitant euxmêmes des installations. Les questions juridiques posées par ce phénomène ont rendu nécessaire l'établissement d'un « protocole national éolien » approuvé en 2002 entre l'APCA, la FNSEA, le Syndicat des énergies renouvelables et l'association France énergie éolienne servant de guide de recommandations relatives à l'implantation d'éoliennes sur des parcelles agricoles37. A la suite du Grenelle de l'Environnement, le Ministère de l'Agriculture a lancé le « Plan de performances énergétiques » dans les exploitations agricoles pour la période 2009-2013 38. Ce plan marque la volonté des pouvoirs publics d'accompagner le changement de modèle énergétique en agriculture et d'approfondir les réflexions sur ce sujet. En l'espace de trois ans, il a favorisé l'émergence de 6 300 projets d'aides aux investissements d'économies d'énergies et de production d'énergies renouvelables et de 127 projets de méthanisation agricole dans le cadre de deux appels d'offre en mobilisant une multiplicité de partenaires (collectivités 33 V. notamment l'article de Rachida Boughriet, « Des fermes agricoles productrices d'énergie solaire photovoltaïque », en ligne sur www.actu-environnement.com 34 Décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 suspendant l'obligation d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil, JORF n°0286 du 10 décembre 2010 page 21598. 35 V. notamment l'article de Sophie Fabrégat « Tarifs d'achat photovoltaïque : nouvelles baisses au premier trimestre 2012, www.actu-environnement.com 36 Question écrite de Michel Doubet, n°17261, 13ème législature, JO Sénat du 24 févr.2011. 37 Le Protocole nationale éolien a ensuite été actualisé en 2006. Il est en ligne sur le site internet de France Énergie Éolienne : fee.asso.fr/content/download/1719/.../1/.../Protocole+national+éolien.pdf 38 Arrêté du 4 février 2009 relatif au plan de performance énergétique des entreprises agricoles.

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publiques, organismes professionnels...)39. Prenant modèle sur l'agriculture allemande, la France s'est récemment lancée dans le développement de la méthanisation agricole. Depuis quelques années, le cadre juridique de la méthanisation ne cesse de s'étoffer, et laisse entrevoir une volonté de développer cette forme de production d'énergie sur le territoire français. En 2010, la méthanisation est devenue explicitement agricole40 au sens du droit rural. En 2011, plusieurs décrets 41 ont précisé le régime juridique du biogaz issu de la méthanisation. Une circulaire en date du 9 novembre 2012 a détaillé les conditions d’instruction par les services préfectoraux des demandes adressées par les producteurs de biométhane visant à bénéficier des conditions d’achat du biométhane prévues à l’article 2 du décret n° 2011-1594 du 21 novembre 2011 42. En 2013, plusieurs arrêtés43 ont modifié et complété ce cadre, et le décret n° 2013-177 du 27 février 201344 a autorisé la double valorisation de la méthanisation : le producteur de biogaz peut maintenant valoriser simultanément sa production sous forme d'électricité et sous forme de biométhane injecté dans le réseau de gaz naturel. Cette disposition permet aux porteurs de projets de bénéficier de deux dispositifs de soutien à la fois, ce qui devrait faciliter les investissements dans de nouveaux projets45. Au-delà de l'évolution de ce cadre juridique, le soutien des pouvoirs publics au développement de la méthanisation s'est exprimé par la mise en place du plan Energie Méthanisation Autonomie Azote (EMAA), présenté début 2013 par Stéphane Le Foll, Ministre de l'Agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt et Delphine Batho, Ministre de l'Ecologie, du développement durable et de l'énergie. Ce plan vise notamment à développer « un modèle français de la méthanisation agricole pour faire de la méthanisation agricole de taille intermédiaire un complément de revenus pour les 39 Christine Fortin, « Le PPE, levier public pour l'accompagnement de la transition énergétique »: Chambres d'agriculture, n°1017, novembre 2012, p. 16. 40 Loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche, JORF n°0172 du 28 juillet 2010 page 13925. 41 Décret n° 2011-1594 du 21 novembre 2011 relatif aux conditions de vente du biométhane aux fournisseurs de gaz naturel ; Décret n° 2011-1595 du 21 novembre 2011 relatif à la compensation des charges de service public portant sur l'achat de biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel ; Décret n° 2011-1596 du 21 novembre 2011 relatif aux garanties d'origine du biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel ; Décret n° 2011-1597 du 21 novembre 2011 relatif aux conditions de contractualisation entre producteurs de biométhane et fournisseurs de gaz naturel. 42 Circulaire du 9 novembre 2012 relative à l’injection de biométhane dans les réseaux de gaz naturel suite à l’entrée en vigueur des textes réglementaires ouvrant droit au tarif d’achat du biométhane injecté, NOR : DEVR1239413C. 43 Arrêté du 27 février 2013 modifiant l'arrêté du 19 mai 2011 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations qui valorisent le biogaz Arrêté du 27 février 2013 modifiant l'arrêté du 23 novembre 2011 fixant les conditions d'achat du biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel. 44 Décret n° 2013-177 du 27 février 2013 modifiant le décret n° 2011-1597 du 21 novembre 2011 relatif aux conditions de contractualisation entre producteurs de biométhane et fournisseurs de gaz naturel, NOR: DEVR1300297D 45 V. en ce sens le communiqué de presse de Delphine Batho, Ministre de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie en date du 28 févr. 2013.

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exploitations agricoles, en valorisant l'azote et en favorisant le développement de plus d'énergies renouvelables ancrées dans les territoires, dans une perspective d'agriculture durable et de transition énergétique et écologique ». L'objectif annoncé est d'atteindre 1000 méthaniseurs à la ferme à l'horizon 2020. Les signes d'une meilleure intégration de la question énergétique sur l'exploitation ne manquent pas. Les encouragements aux agriculteurs pour le développement de la production d'énergies renouvelables font partie intégrante de cette stratégie. Symbole de la convergence et de la complémentarité des objectifs de la politique environnementale et énergétique et de la politique agricole, l'ADEME et les Chambres d'agriculture46 ont signé au début de l'année 2013 un accord-cadre prévoyant la coopération des deux établissements publics pour la promotion du développement durable dans le secteur agricole 47. Cet accord vise notamment une meilleure prise en compte des enjeux du changement climatique, en identifiant et en assurant la promotion des techniques agricoles et systèmes de production permettant de réduire les émissions de GES et le stockage de carbone, ainsi que le développement de la gestion des effluents d'élevage et des déchets organiques, principalement par le biais de la méthanisation agricole. L'agriculture se veut aujourd'hui le moteur des énergies renouvelables sur le territoire. Les pouvoirs publics s'efforcent de favoriser et d'accompagner cette évolution. Beaucoup d'agriculteurs ont adopté la production d'énergies dans le cadre de la diversification de leur activité, à tel point que le qualificatif «d'énergiculteur » a été évoqué dans la presse spécialisée48. 

La diversification agricole : un cadre juridique complexe

Dans quel cadre juridique s'effectuent les activités de production d'énergies renouvelables? Les agriculteurs s'approprient une activité dont la portée agricole n'est pas évidente, si ce n'est qu'elle se place dans l'optique d'une agriculture moderne, multifonctionnelle et diversifiée. La production d'énergies renouvelables à la ferme s'insère tout à fait dans le cadre du concept 46 Les Chambre Départementales d'Agriculture sont rassemblées au sein de l'APCA. 47 Accord-cadre 2013-2016 entre l'ADEME et les Chambres Régionales d'Agriculture, janv.2013. 48 Cette expression a semble-t-il été utilisé pour la première fois dans l'article de Valérie Noël, « Energiculteur : un nouveau métier pour demain » : La France Agricole, n°3123, Avr. 2005.

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de multifonctionnalité de l'agriculture (MFA). La multifonctionnalité de l'agriculture correspond à l'idée selon laquelle l'agriculture ne vise pas seulement à produire des biens alimentaires mais remplit également des missions sociales et environnementales. L'Union Européenne la définit comme « les rôles complémentaires que joue l'agriculture dans la société, outre son rôle de producteur de denrées alimentaires. Il s'agit de la fourniture de biens publics tels que la sécurité alimentaire, le développement durable, la protection de l'environnement, la vitalité des zones rurales et le maintien d'un équilibre global au sein de la société entre les revenus de la profession d'agriculteur et ceux des autres professions. 49 ». Le concept de MFA s'inscrit plus largement dans la démarche du développement durable définie dans le rapport Brundtland50. On le retrouve aujourd'hui dans les textes, tant en droit européen qu'en droit interne.

Au niveau européen, la MFA a principalement été développée lors de la Conférence européenne sur le développement rural à Cork (Irlande) en novembre 1996, portant sur les grandes orientations de la future politique européenne de développement rural. Le concept a été intégré ensuite dans le règlement 1257/1999 relatif au développement rural 51 toutefois, on ne lui trouve pas de fondements juridiques concrets. Cette absence le rend matériellement inapplicable. L'ambition des institutions communautaires de vouloir promouvoir ce concept ne se trouve ainsi pas concrétisée juridiquement52.

Le droit interne s'est également fait écho de la notion de MFA. La loi d'orientation agricole du 9 juillet 199953 a inséré le concept de MFA en droit interne. Son article 1 dispose que « la politique agricole prend en compte les fonctions économique, environnementale et sociale de l'agriculture et participe à l'aménagement du territoire ». Elle précise que la politique agricole doit notamment promouvoir « l'amélioration des conditions de production, du revenu et du niveau de vie (…), la production de biens agricoles alimentaires et non alimentaires de qualités diversifiées (…), la préservation des ressources naturelles et de la biodiversité ». 49 Définition du glossaire de l'Union Européenne : http://ec.europa.eu/agriculture/glossary/index_fr.htm#multifunctionality 50 World Commission on Environment and Development, « Our common future », Oxford University Press, 1987, 383p. 51 Règlement (CE) n° 1257/1999 du Conseil du 17 mai 1999 concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA) et modifiant et abrogeant certains règlements. 52 Voir en ce sens l'article de Luc Bodiguel, « La multifonctionnalité de l'agriculture : un concept d'avenir? », RD rur., août-septembre 2008, p.35. 53 Loi n°99-574 d'orientation agricole du 9 juillet 1999.

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Toutefois, et comme le souligne Luc Bodiguel, « l'objectif de promotion des différentes fonctions de l'agriculture n'a de portée que s'il est complété par des dispositions opérationnelles (…). Or, l'étude montre qu'aussitôt reconnue, la MFA est oubliée puisqu'elle renvoie aux branches traditionnelles du droit (droit de l'exploitation agricole, droit de l'environnement, droit de l'urbanisme...) ou aux politiques traditionnelles d'orientation des marchés...54». Si le droit interne a suivi les orientations européennes et décliné la MFA, il n'a pas réussi à lui donner une vraie portée juridique.

La notion de MFA semble bien pouvoir théoriquement englober la production d'énergies renouvelables. Cependant, elle souffre d'une absence certaine de portée juridique. Le droit a effectivement suivi l'évolution de l'agriculture en prenant acte de la naissance de ce concept, toutefois on ne peut en conclure pour autant que l'agriculteur a le droit d'exercer n'importe quelle activité qui en découle. Pourtant, la multifonctionnalité de l'agriculture supposerait a priori que l'agriculteur puisse légalement exercer un bouquet d'activités jugées utiles par la société et ce, sans avoir à multiplier les statuts juridiques : si l'on attribue plusieurs rôles à l'agriculture, l'agriculteur doit logiquement pouvoir exercer ses différentes missions dans le cadre juridique propre à son activité principale. Ainsi, attribuer à l'agriculture la fonction de produire des énergies renouvelables, suppose que l'agriculteur puisse disposer d'un cadre juridique lui rendant possible cette production, sans s'éloigner excessivement de la sphère agricole.

La difficulté juridique dans l'appréhension de la thématique de la production d'énergies renouvelables par les agriculteurs se situe essentiellement dans la confrontation des définitions juridiques des énergies de sources renouvelables et des activités agricoles.

La production d'énergies de source renouvelable recouvre des réalités très différentes comme on peut le constater à la lecture la définition juridique de la notion exposée à l'article 2 de la directive 2001/77 du 27 septembre 2001 sur l'électricité de sources renouvelables 55 : « les sources d'énergies renouvelables sont les sources d'énergies non fossiles renouvelables (énergie éolienne, solaire, géothermique, houlomotrice, marémotrice, hydroélectrique, 54 Luc Bodiguel, « La multifonctionnalité de l'agriculture : un concept d'avenir? », préc. p.36 55 Directive 2001/77/CE du Parlement Européen et du Conseil du 27 septembre 2001, relative à la promotion de l'électricité produite à partir de sources d'énergie renouvelables sur le marché intérieur de l'électricité.

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biomasse, gaz de décharge, gaz des stations d'épuration usées et biogaz » . Au sein de cette liste, certaines énergies semblent d'emblée susceptibles d'entretenir un lien particulier avec le monde agricole (ses pratiques et son environnement) comme par exemple l'énergie éolienne, solaire, biomasse et biogaz. Comme évoqué précédemment, les pratiques réelles des agriculteurs reflètent cette proximité et pour cause : les étendues agricoles sont idéales pour exploiter l'énergie éolienne (petit ou grand éolien), ou pour implanter des centrales photovoltaïques au sol. Les bâtiments agricoles, de par leur surface, favorisent l'accueil de panneaux photovoltaïques. La matière agricole (déchets ou produits) constitue de la biomasse, susceptible d'être transformée en biogaz. L'exploitation agricole est ainsi devenue un champ privilégié de développement des énergies renouvelables en raison de cette proximité naturelle entre l'exploitation agricole dans son espace et certaines sources d'énergies.

Ce lien entre le monde agricole et certaines énergies est-il suffisant pour en conclure que l'agriculteur peut se saisir à sa guise d'une activité de production d'énergie en gardant son statut d'agriculteur? La réponse en l'état actuel du droit est délicate. Au sein de la liste édictée précédemment, seule la biomasse est une source qui entre dans la définition classique de ce qu'est naturellement une activité agricole. En effet, l'article L. 311-1 du Code rural dispose que « sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle...». Mais la lecture de la suite de cette définition jette déjà le doute sur la qualification que l'on doit donner aux énergies renouvelables : « ...ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation ».

L'exploitation par un agriculteur d'une éolienne implantée dans son champ et qui a donc « pour support » le fond immobilier de l'exploitation est-elle pour autant une activité agricole ? L'exploitation d'une unité de méthanisation est-elle une activité agricole, dans la mesure où le traitement des déchets agricoles ou la transformation de produits agricoles pourraient être considérés comme se situant « dans le prolongement de l'acte de production » ? Les réponses à ces questions ne sont pas évidentes mais elles sont pourtant essentielles pour assurer le développement concret de ces activités. En effet, de cette qualification va découler le droit applicable à ces projets et aux porteurs de projets. Elle aura alors des conséquences en droit des sociétés, en droit des contrats, en droit de l'urbanisme... 18


Aussi, dans l'hypothèse où l'activité s'exercerait en dehors du cadre du droit rural, l'agriculteur deviendrait pluriactif56, avec les complexités administratives que cela peut entraîner.

Or, le cadre juridique dans lequel s'exerce la production des énergies renouvelables fait partie des déterminants qui vont inciter ou non les exploitants agricoles à se lancer dans de telles activités, ce qui emporte des conséquences à terme sur la réalisation des objectifs nationaux de réduction d'émission de gaz à effet de serre et de réussite de la transition énergétique.

La question de la diversification des activités agricole est un objet de recherche privilégié de longue date des chercheurs en droit rural. Celle-ci s’est vue compléter récemment par le développement de la recherche juridique sur les énergies renouvelables. La rencontre des deux sphères, énergétique et agricole, commence à faire l’objet d’analyses dans la littérature spécialisée, lesquelles sont appelées à se développer.

Au regard de ces éléments, la question suivante méritait d'être posée et traitée :

Dans quelle mesure la production d'énergies renouvelables a-t-elle une influence sur

le cadre juridique de l'exploitation agricole? La production d'énergies de source renouvelable est-elle devenue une nouvelle composante de l'activité agricole?

Définir l’activité agricole se révèle complexe au vue du cadre juridique actuel. De multiples définitions issues de différents champs juridiques rendent périlleuse la qualification de l’activité de production d’énergies renouvelables par les agriculteurs au sein des exploitations agricoles. Son intégration dans la sphère agricole peut ainsi, à de nombreux égards, sembler n’être qu’une illusion (PARTIE I). Pourtant, la production d'énergies renouvelables par les agriculteurs est un fait, dont on peut constater qu’il bouscule le cadre juridique habituellement applicable à l'exploitation agricole. Les impacts juridiques de la rencontre entre l’agriculteur et la production d’énergies renouvelables est une réalité (PARTIE II).

56 La pluriactivité se défini juridiquement comme « l'exercice simultané ou successif par une même personne physique de plusieurs activités professionnelles différentes », Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, 1987.

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Henri MARIA Contact.hmaria@gmail.com

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