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LES NEWS de la semaine

Ada Colau sous les ors de l’hôtel de ville de Barcelone, le 1er juin.

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Une indignée à la mairie

Un an après son arrivée à la municipalité de Barcelone, Ada Colau donne toujours l’impression d’être une anomalie. Cette ancienne « squatteuse » militante, désormais à la tête de la deuxième ville d’Espagne, est fière de son bilan mais ne fait pas l’unanimité. Rencontre exclusive. Par François Musseau à Barcelone Photos Hector Mediavilla 34 Gr azia • 17.06.2016

Photos : Picturetank

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ans un coin de la Plaza de España, sous le vaste chapiteau de BizBarcelona – foire annuelle sur l’innovation en entreprise –, le contraste est cocasse : des hommes d’affaires cravatés, sérieux et solennels, accompagnent une femme simple et rieuse, pantalon de velours noir et chemisier mauve, sans bijou. Leur prévenance obséquieuse s’explique : cette femme qui parle avec la même aisance à un président de multinationale qu’à un technicien de maintenance, cette femme un tantinet masculine dont le pas évoque la randonneuse en montagne, n’est autre que « Madame le maire ». A l’arrière du cortège, la soixantaine dégarnie, Josep González, patron de Pimec (une association qui réunit 112 500 PME de Catalogne), ne cache pas sa circonspection : « Nous sommes un peu inquiets. Sa sensibilité sociale est indéniable, mais sur le plan économique, on ne sait pas trop sur quel pied danser : la création de richesses, ça n’a pas l’air d’être son truc ! » Un an après son arrivée à la mairie de Barcelone, Ada Colau donne toujours l’impression d’être une anomalie. A 42 ans, celle qui fut longtemps une « squatteuse » militante, une activiste alter battant le pavé à Gênes ou Seattle, une défenseur des petites gens malmenés par les affres de la crise, est désormais à la tête de la deuxième ville d’Espagne. La capitale économique, réputée pour ses technologies de pointe,

A la rencontre des étudiants : la maire veut garder le contact avec la rue.

ses foires, son architecture futuriste ou ses huit millions de touristes annuels. Longtemps dominée par des notables incarnant cette Barcelone commerçante, la cité de Gaudí est désormais dirigée par cette femme qui, il n’y a pas si longtemps, qualifiait haut et fort les banquiers de « criminels ». Et qui dirige à présent neuf mille fonctionnaires et gère un budget annuel de 2,7 milliards d’euros.

l’icône d’un mouvement national

Comment une telle bizarrerie politique a-t-elle pu advenir ? Rien ne serait arrivé sans un certain « 15 mai 2011 », lorsque des centaines d’Espagnols « indignés », victimes de la crise, se sont révoltés contre les oligarchies politico-financières. Outre la création du parti Podemos, cela a donné lieu à plusieurs combats citoyens. Le plus important d’entre eux : la défense des milliers de gens qui, tombés au chômage, ne peuvent plus rembourser leur prêt immobilier et sont jetés à la rue. Ada Colau, une Barcelonaise du populaire quartier du Guinardó, est aux avant-postes de cette lutte, affrontant au corps à corps huissiers et policiers. Au point de devenir l’icône d’un mouvement national, la Plataforma de Afectados por la Hipoteca (PAH), qui a stoppé plus d’un millier d’expulsions en cinq ans. Aux municipales de juin 2015, surfant sur sa popularité, elle se présente à la mairie de Barcelone, 17.06.2016 • Gr azia 35


LES NEWS de la semaine

1. Ada Colau, dans son bureau de la mairie de Barcelone. 2. Après une conférence de presse, la maire est assaillie par les médias.

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à la tête d’une nouvelle formation, sans moyens mais joyeusement idéaliste, En Comú (« en commun »). Jackpot. Comme l’ex-juge Manuela Carmena à Madrid ou le prof de géo « Kichi » à Cadix, la victoire de la citoyenne Ada fait sensation. A Barcelone, jamais un maire n’a autant fait parler de lui. Ses adversaires politiques fustigent son « inexpérience », les médias scrutent le moindre de ses gestes (et ceux de son compagnon, un économiste de gauche), les gens l’abordent dans la rue pour un selfie ou lui demander un travail, un logement. Son chef de presse : « Elle n’arrête pas une seconde, car en plus de ses obligations, elle veut garder le contact avec la rue. » Pour preuve, cet après-midi, apprenant que des collégiens du quartier populaire de Nou Barris visitent la mairie, la voici qui court les rejoindre : « J’adore ce genre de rencontre, confiera-t-elle. Même si les gamins me rentrent parfois dedans, c’est un discours de vérité. » Sous les moulures des somptueux salons municipaux de cet édifice du xive siècle, Ada Colau semble gênée. En recevant dans un vaste bureau où cette féministe a fait accrocher le portrait de dix femmes exemplaires (écrivains, résistantes, militantes de quartier et, sa favorite, l’anarchiste madrilène Federica Montseny, morte en 1994), elle s’excuse : « Cet endroit est réservé aux visites, je n’aime pas du tout ce luxe, je préfère travailler juste à côté. » C’est une salle modeste, l’ancien bureau du chef de cabinet de son prédécesseur, Xavier Trias, nationaliste bon teint issu de la bonne société. A l’heure de dresser le bilan d’une année de gestion, Ada Colau se montre davantage à son aise, voire fière : « Nous avons réduit les expulsions, gelé la taxe foncière sauf pour les plus riches, dépensé 150 millions d’euros pour réhabiliter les quartiers difficiles, cessé de travailler avec des entreprises qui œuvrent dans des paradis fiscaux, établi un moratoire de deux ans sur la construction d’hôtels pour stopper une fièvre dangereuse… » Et de souligner que ses engagements d’austérité (« nous sommes de simples citoyens élus, les privilèges ont vécu ») ont été

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« nous sommes de simples citoyens élus, les privilèges ont vécu » Ada Colau

respectés : baisse des frais de représentation, usage limité de la voiture officielle, salaire plafonné à 2 400 euros nets (le sien et celui de ses élus), le reste étant reversé à des organisations sociales. Une prouesse lorsqu’on sait qu’Ada Colau gouverne en minorité – 11 élus sur un total de 41 –, grâce au soutien de deux partis de gauche nationaliste. Dans le camp conservateur, cette « trublionne » irrite et dérange. « Elle génère de la méfiance, enrage Joaquim Forn, chef de l’opposition nationaliste de centre droit. Auprès de la police locale, qu’elle ne défend pas ; auprès des entrepreneurs, à qui elle pose des limites ; auprès des institutions en général, qu’elle ne respecte pas. » De l’avis général, elle est prise dans maintes contradictions. Pau Faus, réalisateur catalan qui a signé un documentaire sur elle (Alcaldessa, « la maire » en espagnol), le résume ainsi : « Antisystème, elle est entrée au sommet d’une institution. Issue de mouvements collectifs, elle doit accepter l’obsession médiatique sur sa personne. Venue d’un environnement populaire, elle se sent intruse. » Autre déchirement interne, et plus intime : avoir si peu de temps à consacrer à son fils, Lucas, 5 ans. « Il me manque beaucoup », lâche-t-elle. Car Ada Colau ne cache pas ses émotions. Les Catalans l’ont vue en colère, en larmes ou ivre de joie. Pour Bue Hansen, 32 ans, docteur en sociologie danois qui appartient à la commission internationale de son parti, « à l’opposé des dirigeants de Podemos, froids et calculateurs, elle vient de la rue et incarne la féminisation de la politique : plus sensible, plus spontanée, plus encline à exprimer ses émotions, voire à reconnaître ses erreurs ». Ce qui ne l’empêche pas d’avoir les idées claires sur l’essentiel : « Je n’entends pas être une militante à la mairie, assène-t-elle. Je prétends être une bonne maire. » •

Photos : Hector Mediavilla/Picturetank

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