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ALUMNI ACHIEVEMENTS

2006

Haut-Lac est clairement mieux adapté à mon style d’apprentissage que mon école précédente, car pour la première fois de ma vie j’ai 16,6666667 % d’attention du prof (un prof pour six élèves). Alors qu’avant ça se rapprochait plutôt des 4 %. Et même si parfois, ça m’arrangerait d’en avoir 0 %, je me rends à l’évidence que c’est un sacré privilège. Nous sommes la première volée de l’histoire de l’école à boucler le programme du Baccalauréat International. Maintenant il est temps de choisir ma voie.

Trois pistes me font de l’œil dont deux sont des secrets nichés dans le déni : les arts, la littérature et la psychologie. Les arts sont une évidence comme tous les membres de ma famille sont là-dedans. Aucun n’est dans la psychologie et ceux qui étaient dans la littérature sont morts depuis des générations (à l’époque où les hommes étaient à la fois poètes, médecins, sculpteurs, philosophes, logiciens et architectes…). Naturellement, et par une sorte de haussement d’épaules et de sourcils, j’opte pour les arts, même si tout au fond de moi, j’entends un truc qui me dit que les mots sont plus réconfortants qu’une œuvre d’art floue car leurs contours sont plus nets et ils encadrent ce qu’ils veulent dire. J’ai bien aimé les cours de français-anglais ici, mais je crains que mon cerveau ne survive pas à l’université. Encore moins en psychologie, où il n’y a plus une once d’art et sûrement trop de science.

J’ai 19 ans et je ne sais rien. Je parviens à entrer dans l’école d’art de la région (ECAL) et me retrouve dans un tourbillon qui dure 4 ans. La dernière année, je dois choisir un projet de Bachelor. A nouveau, je trouverais drôlement cool de travailler avec les mots, mais à ce moment-là de ma vie, je ne sais pas qu’on a le droit de les utiliser au-delà d’un cadre scolaire. Alors je le fais sous la forme d’un petit livre d’artiste, en construisant des phrases qui ont peur d’exister, ultra neutres, en faisant attention de n’y mettre aucune émotion, ni opinion. Je cherche la non-humanité pour raconter des faits. D’ailleurs je ne cherche même pas, je cite et j’indique. Car pour écrire il faut être écrivain. On n’a pas le droit d’écrire des belles choses sans savoir écrire des belles choses. Alors on se tait, on énumère les mots. Par miracle, je passe, et cette pratique, même austère, de l’écriture m’enflamme. Malgré ça, je sors de là bien désorientée.

Il faut gagner sa vie paraît-il. Et après cette école d’art, tous les amis foncent faire des stages dans des agences de design et de graphisme réputées du monde entier. Ils vont faire les choses dans l’ordre : les stages, les postes fixes, l’indépendance, couplés par la suite du combo « mariage, maison, enfants ». De mon côté, passé le moment de blizzard cérébral, je me retrouve par hasard dans un poste de graphiste dans une banque où je me fais, malgré tout, de bonnes économies. C’est bien, mais je ne peux pas en profiter puisque tous mes amis sont pauvres.

Je quitte mon emploi à la banque pour tâcher de trouver un milieu qui me conviendrait mieux et se rapprocherait de mes valeurs. Les recherches de stages acharnées me conduisent vers une agence de communication à

Lausanne puis un théâtre à Genève. Je suis adulte et pourtant je ne sais toujours pas bien vers quoi je tends et ce qui me correspond.

Je m’essaie au cinéma. Durant quelques années, en plus de mon travail de graphiste (vaguement) indépendante, je travaille comme décoratrice sur les tournages de petite et de grande taille. Je crée la fausse affiche des années 1970 pour le suffrage féminin sur une comédie valaisanne, le faux document juridique pour une série sur le fric, et parfois je me retrouve seule à gérer tous les accessoires d’un court ou moyen-métrage.

Les ateliers d’écriture auxquels je participe me poussent à commencer un petit blog où je poste quelques textes de temps à autre, quand l’humeur y est, pour m’exercer. Je me sens vivre en constant décalage avec mes pairs et j’aimerais identifier où se trouve ma bizarrerie pour essayer de l’exploiter, de la cultiver et de la travailler. Je commence à soupçonner l’écriture d’être la route qui mène à mes rêves. Et je sens que raconter les méandres du cerveau pourrait être une bonne piste. En quelque sorte, mêler la psychologie, la littérature et les arts, mais il me manque un élan plus concret.

Le cinéma c’est beau, mais l’univers de la déco est trop ingrat pour moi, trop de stress et de responsabilités sans reconnaissance, alors je décide de me mettre officiellement à mon compte en tant que graphiste. Comme ça je pourrai écrire des scénarios ou des articles quand je veux. Faire ce que je veux, quand je veux, comme je veux. Oui, mais la contrepartie c’est d’être fauché. Mes amis, eux, sont arrivés à l’étape « croissance pécuniaire » de leur vie.

L’envie d’écrire quelque chose de plus conséquent qu’un article commence à prendre sa place. Alors je m’achète un vélo en ligne, vais le chercher à Londres et rentre avec seule, jusqu’à Lausanne, en pédalant tous les matins et en écrivant toutes les après-midis. Le voyage comme prétexte pour écrire, l’écriture comme prétexte pour voyager. Je retravaille le récit de mon périple durant plus de deux ans et pendant cette période (en plein confinement), ma vie se prend un petit choc d’air frais lorsque je reçois un diagnostic d’autisme. Il explique tant de choses, de difficultés, de foisonnements merveilleux. Et surtout il valide enfin, par un mot qui existe, ma manière de fonctionner. Une parmi tant d’autres sur ce large spectre.

Je voudrais retourner et dire à ma petite moi que c’était ok d’avoir les aspérités que j’avais, que mes manières de penser étaient légitimes et même une source de richesses. J’aurais voulu savoir qu’écrire ce n’est pas pour l’élite, c’est pour tout le monde. C’est une pratique démocratique, comme courir ou chanter. Simple, mais qu’il faut exercer pour devenir meilleur et « fluent ». Constamment, je dois me le rappeler, encore et encore.

2022

Il y a quelques semaines, mon livre « Une chambre à air » est paru aux éditions Slatkine et je peine encore à assimiler cette information. C’est un rêve maintenu secret et devenu réalité. www.naomicahen.ch

2006

Haut-Lac is definitely better suited to my learning style than my previous school. For the first time in my life, teachers give me 16.6666667% of their attention (one teacher for 6 students) instead of the 4% I got before. I have to admit it really is a privilege, even though sometimes I’d quite like it to be 0%. We are the first class in the history of Haut-Lac to graduate from the International Baccalaureate Diploma Programme. It is now time for me to choose my path.

I am at a three-way crossroad, two of the paths still well-hidden secrets. Do I go for the arts, literature or psychology? The arts is an obvious one as every one of my family members went that way. None, however, chose psychology and the ones who went for literature died generations back (at a time when a man could be a poet, a doctor, a sculptor, a philosopher, a logician and an architect all at once). I shrug my shoulders and, naturally, go for the arts even though deep down inside, a voice tells me that words are more comforting than abstract artwork because they have clear-cut edges that define their meaning. I liked French and English lessons here, but I fear my brain wouldn’t survive university. Especially if I go for psychology, where art has no place and where there is most definitely too much science.

I’m 19 and I know nothing. I manage to get into the local art school (ECAL) and the next four years pass in a whirlwind. In my final year, I have to choose my Bachelors project. Again, I think how cool it would be to work with words, but back then, I didn’t know you were allowed to use them after school. I therefore use them to create a little artist’s book, constructing sentences that are scared to exist, extra-neutral ones I ensure show neither emotion nor opinion. I seek out the non-human to recount fact. Actually, I don’t even seek, I cite and I point. ‘Cos to write you need to be a writer. One isn’t allowed to write beautiful things without knowing how to write beautiful things. So one shuts up and lists words. Miraculously, I pass and the practice of writing, although austere, ignites a passion in me. Needless to say, I finish art school disoriented.

You have to earn your living apparently. So after art school, all my friends dive straight into internships at world-renowned graphic design agencies. They are going to do things in order: internship, full-time position, independence, followed later by the “marriage, house, children” combo. As for me, once the mental storm abates, I find myself working, quite by chance, as a graphic designer for a bank, and manage to build up my savings despite everything. It’s good, but I can’t make the most of it as all my friends are poor.

I leave my job at the bank to try and find an environment that suits me better and aligns more closely with my values. A dogged search for internships leads me to a communications agency in Lausanne and then on to a theatre in Geneva. I’m an adult, and yet I still don’t really know where I’m headed or what suits me. I give the cinema world a go. For several years, on top being a (somewhat) freelance graphic designer, I work as a set decorator for short and full-length feature films. I design 1970s suffragette posters for a Valaisan comedy, fake legal documents for a TV series about money, and some- times find myself manag ing all the accessories for short or medium-length films alone.

The writing workshops I attend encourage me to start a little blog, where I post a few texts every now and then, when I fancy it, to practice. I feel out of step with my peers and would like to know where my strangeness comes from to try and exploit it, work at it and own it. I start to think writing is the road to my dreams. And that recounting the twists and turns my mind takes could be a good place to start. In a way, it would be like mixing psychology, literature and the arts, but I’m missing the actual kick.

The world of cinema is great, but set decor is too harsh a task for me, too much stress and responsibility with no appreciation so I decide to officially become a freelance graphic designer. That way I can write scripts and articles when I want to. Do what I want, when I want, how I want. Yep, but the downside is I’m broke. My friends, however, have reached a stage of “financial growth” in their lives.

The desire to write something more consequential than an article sets in. So I buy a bike online, go to London to collect it and return home to Lausanne alone, pedaling every morning and writing every afternoon. Travelling as a pretext for writing, and writing as a pretext for travelling.

I rework the tale of my journey for two years, and during that time (in the midst of lockdown), I’m hit with a breath of fresh air when I’m diagnosed with autism. It explains so much, the difficulties, the wonderful abundance. And more importantly, it validates, using a word that exists, my way of functioning. A way amongst so many others on the spectrum.

I’d like to go back and tell my little self that it was ok to have the asperities I had, that my ways of thinking were genuine and even resourceful. I would’ve liked to have known writing was not just for the elite, but for everyone. It’s a democratic practice, like running and singing. It’s simple, but requires practice to become better at and fluent. I have to remind myself of this again and again, constantly.

2022

The Slatkine Publishers released my book “Une chambre à air” a few weeks’ ago and I still can’t quite believe it. It’s a dream kept secret and come true.

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