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Extraits des textes cités
Texte cité dans l'avant-propos
Suivre les chemins de l’eau...
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« Comprendre un site commence par le repérage des ruisseaux permanents ou intermittents, à la fois conséquences et causes du relief : l’eau choisit la pente et, ce faisant, elle l’accentue, de manière douce ou violente, au cours d’un long travail qui dépasse les temps historiques. Mais ce travail de l’eau est saisonnier, il connaît des cycles et des périodes d’arrêt, il rencontre la vie des plantes et celle des animaux, certains souvent imperceptibles pour nous, et voilà la biodiversité à notre porte. La répartition de la végétation depuis les grandes forêts jusqu’aux parcs et jardins des territoires urbanisés est intimement liée aux caractéristiques du site, comme le montre si souvent l’étude du tracé des anciens ruisseaux ou des petites rivières. Ainsi quelques-unes des grandes pièces d’eau du parc du château de Versailles, comme le Grand Canal ou la pièce d’eau des Suisses, proviennent de l’impossibilité d’assécher des étangs alimentés par de petites sources locales et forment ainsi la petite rivière du ru de Gally. Plus récent, le parc départemental Georges Valbon, en Seine-Saint-Denis, accueille et retient dans plusieurs bassins successifs les eaux du Could après son confluent avec la Morée et celui, encore plus en amont, avec le Petit-Rosne, sans compter la Vielle-Mer et, plus à l'Est, la Molette, aujourd'hui disparues. Ainsi tout en donnant à cette installation technique une forme agréable et utile pour les habitants en même temps qu'une réserve pour plusieurs espèces d'oiseaux, que l'on peut observer les matins calmes, chacune regroupée dans l'un des étangs, le parc sert de protection à la ville de Saint-Denis qui, sans lui aurait souvent les pieds dans l'eau.
On pourrait multiplier les exemples anciens ou récents d'aménagements considérés pour leurs qualités artistiques et devenus patrimoine qui trouvent leur origine dans la nécessité de prévenir un risque. Le canal de la Fontaine à Nîmes en constitue l'un des plus célèbres : il montre comment récolter et diriger les eaux des orages estivaux et prévenir ainsi, pour les réduire, les dégâts des des inondations. On peut, au contraire, se souvenir que le quartier parisien du Marais était, jusqu'à Henri II, un marais malsain, avant que son assèchement transforme le site en un lotissement accueillant les hôtels particuliers de la noblesse. On peut encore se souvenir qu'au Moyen Âge, bien des villes étaient, on l'a oublié de petites Venises.
Après la lecture d'un livre donnant la carte des anciennes rivières londoniennes, j'entrepris d'en remonter quelquesunes à pied, partant de leurs confluents avec la Tamise encore facilement repérables, même si un part de leurs cours est depuis longtemps canalisée et enterrée. Mais les chaque ruisseau reste lisible car tous les espaces verts, du petit square de proximité aux parcs de plus grande importance, se trouvent sur le tracé d'un cours d'eau. Leur succession et leur proximité s'expliquent : il faut retenir autant que possible l'écoulement des eaux dans un relief parfois assez accentué, et ceci d'autant plus que le niveau de la Tamise, longtemps sujette à la montée des marées, limitait deux fois par jours les débouchés jusqu'à la mise ne service du barrage Thames Barrier. Et la vallée de la Lea (Lee River), qui a servi de fil conducteur entre les installations des avants-derniers Jeux Olympiques, conserve dans son lit majeur, inconstructible, une succession de plantations (vergers, terrains maraîchers, prairies ou buissons sauvages) qui forment dans la ville une étonnante promenade végétale.
Pourquoi s'intéresser à ces chemins de l'eau? Peut-être pour sortir d'une vision techniciste de la ville et du territoire, vision qui conduit depuis la révolution industrielle à séparer, isoler puis cacher ce qui gêne. L'eau mouille, amollit les sols, transforme l'argile en boue...On la cache, on remplace le fossé par une canalisation que l'on enfouit. Et peu importe alors que l'on mêle des eaux propres (la pluie) et d'autres plus douteuses (domestiques et vannes) que l'on mettra du temps à distinguer de nouveau. On oublie malheureusement que dans cette rue basse et encaissée, dans ce square parfois un peu humide passait une rivière...jusqu'au jour où la nature le rappelle, parfois brutalement. Retrouver les chemins de l'eau, c'est une manière de comprendre le relief, de saisir son modelé et de retrouver la logique du site avant son urbanisation. C'est aussi une manière de comprendre pourquoi tel terrain est encore vacant, tel autre encore boisé. C'est une manière de saisir impossibilité de penser la ville et ses territoires comme des systèmes enclos, isolés."
HABITER LA VILLE DE DEMAIN, page 110, chapitre 7 Architecte et urbaniste, Philippe Panerai a enseigné dans différentes écoles d'architectures. Membre de l'Académie d'architecture, chercheur associé au laboratoire Architecture et Anthropologie (CNRS), ses recherches sur les formes urbaines et son activité d'urbaniste lui ont valu le Grand Prix d'Urbaniste en 1999. Pages 110, 111, 112, 113, 114.
Textes cités dans la partie : Quelle nature au Pays de Montereau?
« 77, c’est le département. Ça se revendique. C’est quelque chose. Plus grand que le 93, même, le 77 ». On ne dit pas soixante-dix-sept. On dit sept-sept. Comme un slave qui briserait le silence. C’est important ici le silence. Il est partout. Le ronronnement de la nationale au loin, le chant du tracteur, parfois, les pylônes électriques comme des cigales, toujours, et ça et là, des aboiements de chiens. C’est un silence spécial. Le silence du sud 77 parce qu’ici c’est pas Paris. Tu peux partir en vacances partout dans le monde entier, à Rouen par exemple, si tu dis que tu viens du 77, tu verras ils te diront Paris. Du coup on dit Sud 77. Ça sonne plus exotique. Plus ailleurs. Ça sent presque la mer. On sait bien qu’on est dans le 77 mais ça marque la différence. Parce qu’ici c’est pas Paris. Pas encore. Pas comme le nord 77. Ici tant que le bitume n’aura pas tout recouvert, des vagues de bitume qui enroulent l’horizon, ça restera chez nous. Et chez nous, c’est vert, c’est gris, et c’est marron. Surtout marron. Vu d’en haut : quadrillage marron. Il y a que le silo rond, la centrale électrique carrée, les pylônes rectangulaires sont métallisés. »
77 Marin Fouqué, Roman, pages 10 et 11.
" La centrale électrique, ils sont en train de la détruire, mais ça tarde. Déjà fait péter la moitié il a quelques années de ça. Ce jour là, on était toutes et tous montés sur le mont, la petite colline qui surplombe, énorme bloc gris compact sombre de la centrale en contrebas, et la Seine qui coule derrière."
77 Marin Fouqué, Roman, page 28.
" Etrange. Je tire encore une latte et retourne à mes observations de la terre grasse en face de moi. J'imagine souvent les vers au -dedans qui se rampent les uns sur les autres, qui se contractent et s'étirent par mailles comme pour former des nœuds. Des sacs de nœuds de vers tellement enlacés qu'on pourrait en faire des boules, tellement entremêlés que ça ferait du bordel, du bordel de vers, ça fait quel bruit? Les vers? Un raclement? Ce raclement? Non, ça c'est plutôt le bruit d'un raclement de godasse sur le bitume, quelqu'un qui vient."
77 Marin Fouqué, Roman, page 30
"La jeunesse, il dit. L'avenir. Les forces vives pour protéger notre hameau, notre rue, notre terre. La protéger de Paris. Paris ça gagne du terrain, il dit. Ça bétonne et ça bétonne. Çà bétonnera jusqu'à nous. Bientôt bouffera notre rue. On y croyait pas trop, aux délires du père Mandrin. Et puis un jour il y a eu le chemin de plus. Il a été tracé juste derrière notre rue, alors on l'a appelé le chemin des Derriers. Le début de la fin a dit le père Mandrin. Paris qui rampe jusqu'à nous pour le grand guetapens. D'abord c'est un chemin en plus, et puis très vite, c'est les centres commerciaux, les tours, les parkings, le tsunami de bitume et le total engloutissement."
77 Marin Fouqué, Roman, Page 17