GreseaEchos N°89 Travailleurs en lutte dans l'économie mondialisée

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à ceux du syndicat et peuvent même être en opposition avec celui-ci. Les acteurs de ce processus d’organisation collective dans les espaces de production et sur les lieux de travail repositionnent leur pouvoir dans la configuration syndicale, estimant de fait que la réalité syndicale ne se réduit pas à son seul lien avec l’État et aux échanges politiques en découlant. Le champ d’action des commissions internes dépasse parfois le cadre de l’usine pour s’étendre au-delà : des expériences qui ont permis d’acquérir une maturité et conduit au cours des cinquante dernières années à un processus de politisation de la base ouvrière, alternant phases de recul et d’expansion. Le rétablissement progressif des commissions internes, observé sur un certain nombre de lieux de travail lors de la crise gouvernementale de 2000-20021, a ainsi pu bénéficier d’un contexte plus favorable à partir de 2003, grâce à toute une série de facteurs convergents ayant conduit à une revitalisation syndicale de la base ouvrière (progression des négociations collectives, ajustement des salaires et hausse des conflits de travail...). L’un des faits marquants concernant ces conflits est la décentralisation des luttes, engagées à l’échelle de l’entreprise par des syndicats locaux ou par des sections syndicales. L’étude des motifs des revendications fait par ailleurs état d’une part significative (autour de 20%) de conflits concernant la représentation syndicale, avec un taux important de conflits dus à des affrontements intersyndicaux ou liés à l’encadrement syndical, mais aussi de conflits dus à la discrimination syndicale, à des pratiques antisyndicales ou au refus de la part de l’entreprise de reconnaître l’activité syndicale2. Facteur majeur des transformations à l’œuvre en Argentine, les progrès de la jurisprudence en matière de protection de l’activité syndicale en général, et de la liberté syndicale sur le lieu de travail en particulier 1. Des mobilisations de grandes ampleur ont eu lieu durant ces années. En 2001, le Président de la Nation a dû démissioner et trois Présidents provisiores lui succédèrent. Ils furent renversés en quelques jours. Voir notamment Natalia Hirtz, «Résistances et auto-organisation à la base», GRESEA échos n° 87, juilletseptembre 2016, p. 15-16 (ndlr). 2. Observatorio del derecho social (2012), Conflictividad laboral y negociación colectiva. Informe anual. Buenos Aires : CTA.

ont contribué à réaffirmer la capacité d’action de la base ouvrière. La Cour suprême de Justice (la plus haute instance judiciaire en Argentine) a prononcé une série de jugements stipulant qu’il était possible d’élire sur les lieux de travail des délégués n’appartenant pas à une organisation syndicale dotée d’un statut juridique. En complément de cette décision de 2008, la Cour suprême a étendu en décembre 2009, et ce en accord avec différentes décisions prises par des instances judiciaires de niveau inférieur, la protection du travail à tous les représentants syndicaux, qu’ils soient membres de syndicats dotés d’un statut juridique ou de syndicats simplement déclarés. Les décisions prises par la Cour suprême de justice de la Nation indiquent clairement que les nombreuses critiques d’un modèle syndical fondé sur le monopole de la représentation ont commencé à se traduire par un ajustement institutionnel au plus haut niveau, avec de sérieuses conséquences politiques à moyen terme3. Ces décisions ont de fait étendu à tous les représentants syndicaux la protection, les mettant à l’abri des pratiques antisyndicales, impliquant notamment l’interdiction pour un employeur de suspendre, de révoquer ou de modifier les conditions de travail d’un représentant syndical sans autorisation judiciaire préalable. Au final, la reprise des mouvements de résistance au programme néolibéral des années 1990 et du début des années 2000, mouvements ayant contribué à la reconfiguration des luttes ouvrières, a encouragé un processus de mobilisation qui s’est engagé dans une lutte pour de meilleures conditions d’existence tout en s’interrogeant parallèlement sur la crise des formes de représentation et sur les insuffisances politiques des années 1990. Et, c’est précisément cet aspect participatif, caractérisé par la tenue d’assemblées générales, propre aux mouvements de chômeurs et à celui des entreprises récupérées4 qui, convergeant avec une riche tradition ouvrière d’actions sur le lieu 3.�������������������������������������������������������������� Ventrici P. (2012), Sindicalismo de base en la Argentina contemporánea. El cuerpo de delegados del subterráneo, Thèse de doctorat, Université de Buenos Aires, Buenos Aires. 4. Mouvement de travailleurs qui ont occupé leur usine pour éviter sa fermeture et ont relancé, ensuite, la production et la vente des produits de manière autogérée. Voir, Natalia Hirtz, «Les entreprises récupérées par les travailleurs en Argentine: laboratoire d’une nouvelle économie?», http://www.gresea.be/spip. php?article1481 (ndlr).

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