retraite et sante

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retraite

et

société

L’état de santé des travailleurs âgés

I NUMÉRO 59 I Août 2010


retraite

et

société Les articles publiés sont soumis à l’évaluation d’experts

Directeur de la publication : Pierre Mayeur Rédactrice en chef : Claudine Attias-Donfut Responsables éditoriales : Carine Cordier ● Alix Robineau Conception graphique et mise en page : Catherine Jégou Coordination du numéro : Jean-Marie Robine, Inserm ● Emmanuelle Cambois, Ined

Les articles de Retraite et société sont indexés dans les banques de données Sociological Abstracts, Francis (base de l’Inist), Abstracts in Social Gerontology, Human Resources Abstracts, GeroLit (base DZA Deutsches Zentrum für Altersfragen).


Comité éditorial Marie-Aline Bloch, CNSA ● Isabelle Bridenne, Cnav ● Vincent Caradec, Université Lille 3 ● Delphine Chauffaut, Cnaf ● Guy Desplanques, Université Paris 1 ● Anne-Marie Guillemard, Université Paris 5 ● Annie Jolivet, Ires ● Florence Legros, Université Paris-Dauphine ● Michel Loriaux, Université catholique de Louvain ● Marie MercatBruns, Sciences-Po ● Jim Ogg, Cnav ● laude Périnel, Cnav ● Vincent Poubelle, Cnav ● Jean-Marie Robine, Inserm ● Annie Rosès, Cnav ● Alain Rozenkier, Cnav ● Emmanuelle Sainson, Cnav ● Arnauld d’Yvoire, Observatoire des retraites

Correspondants scientifiques étrangers Sara Arber, Université du Surrey, Grande-Bretagne ● François Höpflinger, Université de Zurich, Suisse ● Martin Kohli, Université libre de Berlin, Allemagne ● Christian Lalive d’Épinay, Université de Genève, Suisse ● Frédéric Lesemann, INRS-Culture et société, Montréal, Canada ● Howard Litwin, Université hébraïque de Jérusalem, Israël ● John Myles, Université de Toronto, Canada ● Joakim Palme, Swedish Institution for Social Research, Suède ● Pierre Pestieau, Université de Liège, Belgique ● Leopold Rosenmayr, Université de Vienne, Autriche ● Chiara Saraceno, Université de Turin, Italie ● Constanza Tobio, Université Carlos 3, Madrid, Espagne ● Alan Walker, Université de Sheffield, Grande-Bretagne

Retraite et société est une revue ouverte aux échanges d’opinions. Les points de vue exprimés dans les articles et autres textes signés n’engagent que leur(s) auteur(s). Il est interdit de reproduire les articles, de manière intégrale ou partielle, sans autorisation. Demande d’autorisation de reproduction : Rédaction de Retraite et société Communication externe, service 121 Cnav - 75951 Paris Cedex 19


sommaire Avant-propos

I

Jean-Marie Robine, Inserm ; Emmanuelle Cambois, Ined

PARTIE

6

La santé des travailleurs âgés en Europe

13

Approcher l’âge de la retraite en Suède : santé et ressources des 50-64 ans entre 1968 et 2000

39

Tendances de l’incapacité dans les activités de la vie quotidienne : étude chez les Américains de 50 à 69 ans (1997-2006)

61

Retraite choisie ou retraite subie ? Les effets de la retraite et du maintien en emploi sur la santé

79

Nicolas Sirven, Catherine Sermet, Irdes

Marti Parker, Carin Lennartsson, Susanne Kelfve, Aging research center, Karolinska Institut & université de Stockholm, Suède Sandra L. Reynolds, university of South Florida ; Eileen M. Crimmins, university of Southern California Chantale Lagacé, INRS, Montréal

Environnements capacitants, développement cognitif et possibilité de maintien dans l’emploi Jean-Claude Marquié, université de Toulouse, CNRS

Hors thème

103

L’accès aux sphères sociale et politique des retraités : quelles formes de participation et de représentation ?

117

Migrations et communautarisation territoriale des personnes âgées aux États-Unis

139

Catherine Gucher, université Pierre Mendès France, Grenoble ; Denis Laforgue, université de Savoie

Christian Pihet, université d’Angers, UMR CNRS « Espaces et Sociétés » ; Jean-Philippe Viriot-Durandal, université de Franche-Comté, université de Sherbrooke, Québec, Canada


PARTIE

II

Entretien avec Serge Volkoff et Anne-Françoise Molinié (Créapt – CEE Unité de recherches « Âges et travail »)

Santé au travail : jusqu’où se logent les inégalités sociales ? Stéphanie Vermeersch (chargée de recherche CNRS) et Marie-Hélène Bacqué (professeure de sociologie) Habiter autrement pour mieux vieillir : héritages et perspectives

Faits et chiffres Participation et choix des personnes âgées vivant en institution Julie Prévot, Amandine Weber, Drees

Le point sur Espérances de vie, espérances de vie en santé et âges de départ à la retraite : des inégalités selon la profession en France

Emmanuelle Cambois, Ined ; Thomas Barnay, Erudite-Tepp (FR CNRS 3126) université Paris-Est Créteil ; Jean-Marie Robine, Inserm

Planification urbaine et vieillissement

Pierre-Marie Chapon, université de Lyon, Chargé de recherche Icade

Regards sur le droit Minimum contributif et pension de réversion

Sylvie Chaslot-Robinet, Isabelle Bridenne, Julie Couhin, Cnav

Notes de lecture Analyses critiques Parutions

Résumés /Abstracts

164 164 174

181 194 194 206

218 232 232 248

253


6

propos avant-

Jean-Marie Robine, Inserm ; Emmanuelle Cambois, Ined

L’argument pour étendre la période de vie active, en France ou ailleurs, est que les cohortes les plus récentes vivent plus longtemps que les précédentes. Mais qu’en est-il de l'état de santé de la population ? Au cœur du débat sur le recul de l'âge de la retraite, ce numéro de Retraite et société s’intéresse à la santé des 50-65 ans. Bien que cette tranche d’âge soit de première importance lorsqu’on étudie les conditions de fin de vie professionnelle et le passage à la retraite, elle n’a pas fait l’objet d’une grande attention en santé publique au cours des 20 dernières années. En effet, les études ont été davantage orientées sur les problèmes de dépendance et limitées au troisième ou quatrième âge. Pourtant, les analyses qui se préoccupent des quinquagénaires mettent au jour des situations de santé susceptibles d’entraver dès 50 ans la qualité de vie et la participation sociale. L’enquête européenne SILC (Statistics on income and living condition) montre qu’en France, près d’un quart des 50-54 ans déclare des limitations dans les activités usuelles ; chiffre qui augmente ensuite progressivement avec l’âge : 27 % des 55-59, 30 % des 60-64 ans et 33 % des 65-69 ans (www.ehemu.eu). Ces constats, mis en parallèle avec des discussions sur la durée de vie professionnelle, soulèvent bien sûr des questions. Les personnes proches de la retraite sont-elles en bonne santé et en capacité de travailler plus longtemps ? La situation s’est-elle Retraite et société I 59 août 2010


L’état de santé des travailleurs âgés

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améliorée au cours du temps alors que l’espérance de vie augmente ? Quelle est l’ampleur des disparités de santé au sein des populations ? Ces différences s’expliquent-elles en partie par la vie professionnelle et les conditions de travail ? Les articles présentés dans ce dossier sont empruntés à la démographie ou aux statistiques de la santé et du travail, dressant un panorama de la santé des quinquagénaires et des sexagénaires, travailleurs ou inactifs, en France, en Europe, aux États-Unis ou encore au Canada. Loin de prétendre couvrir l’ensemble du champ des recherches sur la santé des travailleurs, ce dossier entend apporter des éléments de réponse à ces questions d’actualité en mettant en perspective différentes études sur les situations de santé et de travail des populations en fin de vie active. L’article de Nicolas Sirven et Catherine Sermet, qui ouvre ce dossier, répond à la première de nos questions à partir des données de Share (Survey on health, ageing and retirement in Europe). Il montre des problèmes de santé non négligeables dès 50 ans, mais aussi une forte hétérogénéité des situations au sein de l’Europe parmi lesquelles la France occupe une position relativement médiocre. Si la France est la championne des espérances de vie, tout au moins pour les femmes, il n’en va pas de même pour la santé de ses quinquagénaires. En distinguant les actifs des inactifs, l’article rappelle aussi que, même s’il paraît indispensable de mener des études sur les travailleurs âgés, il faut également tenir compte de la situation de ceux qui sont inactifs Si la France est la championne avant l’âge de la retraite, et qui le sont souvent pour des espérances de vie, il n’en des raisons de santé. La part des actifs et des inactifs va pas de même pour la santé dépend, entre autres, des dispositifs de sortie précoce de ses quinquagénaires. d’activité mis en œuvre. Les articles qui suivent abordent la question de l’évolution de l’état de santé au cours du temps. Dans les pays qui disposent de données permettant des comparaisons dans le temps, l’hypothèse que l’état de santé s’améliore en parallèle de l’augmentation de l’espérance de vie n'est pas vraiment soutenue par les chiffres pour ceux qui sont proches de la retraite. Dans le deuxième article du dossier, portant sur la Suède et couvrant la période allant de 1968 à 2000, Marti Parker, Carin Lennartsson et Susanne Kelfve montrent que les quinquagénaires suédois se sont trouvés dans des situations de santé différentes selon les générations, mais qu'il est difficile de déclarer que les cohortes les plus récentes sont en meilleure santé. Si leurs capacités de mobilité et leur santé dentaire se sont améliorées jusque dans les années 1990, les quinquagénaires déclarent aujourd'hui plus de maladies et de troubles, tels que l'obésité, et ont davantage recours au système de soins. De même, dans le troisième article du dossier portant sur les États-Unis, Sandra Reynolds et Eileen Crimmins notent au total peu d’amélioration dans l’état de santé fonctionnelle des 50-69 ans au cours de la période 1997-2006. Les auteurs constatent une dégradation des performances dans les activités élémentaires et instrumentales de la vie quotidienne (AVQ et AIVQ) chez les quinquagénaires, accompagnée d’une augmentation de leur besoin d’aide, contrairement aux sexagénaires pour qui les besoins d’aide n’augmentent pas au cours de la période. Ces deux Retraite et société I 59 août 2010


8

L’état de santé des travailleurs âgés

études, comme celle de Martin et al. (2009) concernant également les États-Unis ou celle de Rice et al. (2010) concernant l’Angleterre, apportent des résultats mitigés sur l’évolution de l’état de santé des 50-64 ans au cours des dernières décennies ; les améliorations constatées se sont produites avant l’an 2000 et/ou concernent les générations les plus anciennes. Les interrogations les plus grandes portent donc sur les années les plus récentes comme sur les classes d’âge de fin de carrière. Quant aux disparités, en particulier socioprofessionnelles, au sein de la population, elles sont évoquées dans la rubrique Le point sur associée à ce numéro. Nous rappelons avec Thomas Barnay quelques chiffres sur les différentiels français en termes d’espérance de vie, d’espérance de santé et d’âge de départ à la retraite. À 50 ans, l’écart d’espérance de vie entre les hommes des professions les plus qualifiées et les ouvriers est de 5 ans. En termes d’espérance de vie en bonne santé perçue, les premiers peuvent encore espérer vivre 23 ans L'état de santé et les conditions contre un peu moins de 14 ans pour les ouvriers, de travail sont des déterminants soit 9 ans d’écart. Au-delà de ce constat, on observe importants de la décision de aussi que les chances d'atteindre l'âge de 65 ans en départ en retraite. bonne santé sont inégales selon la profession. Pour les individus en mauvaise santé des catégories populaires, les arbitrages entre activité/inactivité/retraite précoce, c'est-à-dire entre les types et le montant des revenus, sont sûrement plus compliqués que pour les cadres disposant d'une latitude décisionnelle plus importante. L'état de santé et les conditions de travail sont des déterminants importants de la décision de départ en retraite et de fait, il existe de grandes inégalités selon les catégories de professions en la matière. Dans le troisième article du dossier, la revue détaillée de Chantale Lagacé sur les effets sur la santé du passage à la retraite et du maintien en emploi, montre l’importance du caractère contraignant des différentes mesures et dispositifs en place. Contraints, le passage à la retraite et le maintien en emploi ont des effets négatifs sur la santé, surtout sur la santé mentale, alors que choisis, l’un et l’autre ont des effets positifs. Dans ce domaine, en France, l’étude française Visat (Vieillissement, Santé, Travail) révèle l’effet des conditions de travail sur la santé cognitive. Jean-Claude Marquié aborde dans son article l’envie et la capacité d’agir dans le travail comme en dehors du travail avec l’hypothèse que certaines conditions de travail peuvent avoir un effet invalidant à long terme sur ces composantes cognitives essentielles de la vie professionnelle et plus généralement, de la participation sociale. Enfin, dans notre entretien sur les conditions d’activité des travailleurs âgés, Anne-Françoise Molinié et Serge Volkoff nous rappellent les facteurs de risques professionnels auxquels sont soumis les travailleurs vieillissants, les pénibilités visibles ou invisibles, ainsi que les stratégies connues pour leur effet favorable sur la santé. Ils discutent de l’évolution des conditions de travail au cours du temps, de la disparité des situations vécues par les travailleurs et des interrogations sur les effets sur la santé future des personnes qui vivent aujourd’hui de telles situations. Retraite et société 59 > août 2010


Avant-propos

9

En somme, ce dossier de Retraite et société souligne l’ampleur de nos incertitudes quant à l’état de santé présent et surtout futur des quinquagénaires et des sexagénaires. Les problèmes de santé de tous ordres, diagnostiqués ou non, surviennent dès 50 ans et on ne perçoit pas d’amélioration claire de l’état de santé fonctionnelle des quinquagénaires au cours des dernières années. Ces articles nous montrent que la France bénéficie d’une des meilleures espérances de vie, mais qu’il existe une grande hétérogénéité dans les chances de survie en bonne santé jusqu’à 60 ou 65 ans. Il en résulte qu’une partie de la population ne pourra se maintenir que difficilement en emploi du fait d’un état de santé dégradé. Ces articles suggèrent aussi que les dispositifs de fin de carrière mis en place dans les années 1980 ont probablement permis de préserver la santé d’une partie des travailleurs en leur donnant la possibilité de quitter précocement l’activité quand leur santé était menacée. Ces dispositifs « protecteurs » ont pu de ce fait participer à l’augmentation générale de l’espérance de vie en France. En tant que professionnels de la santé des populations, il nous paraît donc légitime de se demander, au regard de ces différents travaux, si l’augmentation générale de la durée de vie professionnelle est réellement possible pour tous, et si celle-ci n’aura pas des conséquences négatives sur la santé des travailleurs âgés comme sur l’ensemble de leur classe d’âge. Ces questions nous engagent à nous intéresser de manière plus spécifique à la tranche d’âge des 50-65 ans et d’en suivre régulièrement l’état de santé.

Bibliographie Martin L.G., Freedman V.A., Schoeni R.F., Andreski P.M., 2009,« Health and functioning among baby boomers approaching 60 », Journal of gerontology : social sciences, n° 64, p. 369-377. Rice N.E., Lang I.A., Henley W., Melzer D., 2010, « Baby boomers nearing retirement : the healthiest generation ? », Rejuvenation Research, vol. 13, n° 1, p. 105-114.

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I

P A R T I E

L’état de santé des travailleurs âgés

La santé des travailleurs âgés en Europe

13

Tendances de l’incapacité dans les activités de la vie quotidienne : étude chez les Américains de 50 à 69 ans (1997-2006)

61

Approcher l’âge de la retraite en Suède : santé et ressources des 50-64 ans entre 1968 et 2000

Retraite choisie ou retraite subie ? Les effets de la retraite et du maintien en emploi sur la santé

Environnements capacitants, développement cognitif et possibilité de maintien dans l’emploi Hors thème

L’accès aux sphères sociale et politique des retraités : quelles formes de participation et de représentation ?

Migrations et communautarisation territoriale des personnes âgées aux États-Unis

11

39

79

103

117 139

Retraite et société 59 > août 2010



La santé des travailleurs âgés en Europe

Nicolas Sirven*, Catherine Sermet*, Irdes



La santé des travailleurs âgés en Europe

15

L

e vieillissement démographique est un phénomène global, mais d’ampleur inégale selon les régions du monde. L’Europe est le continent où la part des personnes âgées est la plus élevée. En 2010, 22 % de sa population totale est âgée de 60 ans et plus, contre 18,4 % en Amérique du Nord et moins de 10 % en Asie ou en Afrique (Nations unies, 2008). La « vieille Europe » continue de vieillir, principalement à cause du déclin des taux de natalité, de l’accroissement continu de l’espérance de vie et du vieillissement des générations nombreuses d’après-guerre (les baby-boomers). Toujours d’après les projections des Nations unies (2008), la part des personnes de 65 ans et plus devrait passer de 16,3 % en 2010 à 27,4 % en 2050, ce qui représente un accroissement de 85 % de cette sous-population. Si l’on rapporte cette projection à celle de la population en âge de travailler (15-64 ans), le ratio de dépendance du grand âge ainsi obtenu serait multiplié par deux en seulement 40 ans, atteignant un rapport de 47 personnes de 65 ans et plus pour 100 en âge de travailler (15-64 ans) au milieu du XXIe siècle. Les conséquences économiques et sociales du vieillissement transforment déjà nos rapports avec le marché du travail et les solidarités familiales. L’accroissement des dépenses de santé, la prise en charge de la dépendance ou la question du financement des retraites sont des enjeux actuels majeurs pour les décideurs publics. Pour faire face à ces défis, un des éléments de la stratégie européenne consiste à accroître le taux d’emploi des seniors. Dès 2001, les États membres ont indiqué leur volonté d’atteindre en 2010 un taux d’emploi de 50 % des personnes âgées de 55 à 64 ans. Aujourd’hui, cet objectif n’est pas atteint par tous les pays, même si des améliorations dans les taux d’emplois des seniors ont été constatées au cours de la décennie précédente. Outre les différences institutionnelles (régimes de retraite, conditions de cessation précoce d’activité…), une des raisons avancée pour expliquer la difficulté d’harmoniser les différentes situations nationales en Europe concerne l’hétérogénéité des états de santé entre les États membres (Debrand, Sirven, 2009). Mesurer et comprendre les différences de santé parmi les seniors européens relève d’un double intérêt. En premier lieu, l’allongement de la durée de la vie conduit à donner de plus en plus d’importance à la qualité de vie aux âges avancés de la vie. Les notions de successful ageing (Rowe, Kahn, Retraite et société 59 > août 2010


16

L’état de santé des travailleurs âgés

1997 ; Bowling, 2007) et de active ou healthy ageing (Robine, Romieu, 1998 ; WHO, 2006 ; Lièvre et al., 2007) mettent la santé au cœur des stratégies visant à accroître les conditions de bien-être des personnes âgées (Agren, Berenson, 2006). Dans ce cadre, une attention particulière est souvent donnée aux travailleurs âgés parce que la capacité de participer au marché du travail est simultanément un facteur de bien-être individuel (Bellaby, 2006 ; Warr et al., 2004 ; Choi, 2001) et un déterminant important de la performance économique. En second lieu, l’état de santé de la population âgée détermine en partie l’équilibre des systèmes de Sécurité sociale et l’enjeu est d’autant plus élevé que la part de cette sous-population sera de plus en plus importante dans les années à venir. La Commission européenne estime que d’ici à 2060, le coût budgétaire du vieillissement dans l’UE27 en pourcentage du PIB devrait augmenter de 4,7 points (AISS, 2010). Notre travail s’inscrit dans cette double perspective avec pour objectif principal de dresser un état des lieux de la santé des travailleurs âgés, entre 50 et 60 ans, en Europe. Afin de présenter un aperçu relativement large de la situation actuelle, nous procédons à des comparaisons internationales qui s’appuient sur plusieurs mesures individuelles de l’état de santé pour lesquelles l’effet confondant des caractéristiques socio-démographiques est pris en compte. Les données de l’enquête européenne sur la santé, le vieillissement et la retraite en Europe (Share) s’avèrent particulièrement adaptées à ce type d’analyse parce qu’elle est la source la plus récente de données individuelles (individus de 50 ans et plus) pluridisciplinaires (santé, économie, relations sociales) et comparables entre 14 pays d’Europe (en 2006). La première partie présente plus en détail les données de Share et l’échantillon utilisé. Les variables de santé sont présentées dans la partie suivante et les premières différences internationales d’état de santé sont proposées. Enfin, l’analyse se poursuit par l’étude des déterminants individuels de l’état de santé.

Les données

Sources statistiques Le projet Share (Survey on health, ageing, and retirement in Europe), initié en 2002, a pour objectif de produire une base de données unique sur le vieillissement en Europe à partir d’informations recueillies auprès des individus (Börsch-Supan, Jürges, 2005). Le champ de l’enquête concerne les ménages ordinaires dont l’un des membres est âgé de 50 ans ou plus. Les répondants, enquêtés pour la première fois, le sont à nouveau lors des vagues suivantes – de manière à constituer un panel biennal1. Share couvre initialement (2004-2005) 11 pays d’Europe (Autriche, Allemagne, Suède, Pays-Bas, Espagne, Italie, France, Danemark, Grèce, Suisse, Belgique) 1 Les données des deux premières vagues (2004-2005 et 2006-2007) sont accessibles aux chercheurs sur le site www.share-project.org.

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La santé des travailleurs âgés en Europe

17

et Israël. La seconde vague du projet (2006-2007) s’étend à la Pologne, la République tchèque et l’Irlande, et les vagues suivantes devraient concerner de nouveaux pays comme le Portugal, la Slovénie, etc. Share croise des questions sur la dimension économique (revenus, patrimoine, transferts, etc.), sociale (famille, réseaux sociaux, engagement associatif, etc.) et la santé (santé physique, mentale, mesures déclarées et objectives) des répondants. Dès l’origine, Share a été conçue pour permettre des comparaisons internationales dans ces différents domaines. Afin de rendre les données comparables, les questionnaires sont harmonisés ex-ante et des procédures d’apurement des données sont réalisées ex-post, avant que les données soient mises à la disposition des chercheurs. Des procédures de codage harmonisées au niveau Européen sont utilisées lors de la phase de préparation des données dans les domaines de l’éducation (Isced), des activités professionnelles (Isco) et des secteurs d’activité (NACE-CITI-NAF). Des pondérations sont mises à la disposition des chercheurs afin de corriger les données du biais de non-réponse et de garantir ainsi leur représentativité2. L’exigence de qualité dans la production des données et la diversité des thèmes abordés par Share font de cette enquête une source statistique incontournable pour appréhender les différences d’état de santé des travailleurs âgés en Europe.

L’échantillon L’étude des différences d’état de santé entre les pays d’Europe repose sur les données en coupe instantanée les plus récentes. La seconde vague de Share offre en outre l’avantage de couvrir un nombre de pays plus important que la vague précédente, de sorte que la sous-population des 50-59 ans dans la vague 2 concerne 11 964 individus dans 14 pays (Israël n’ayant pas mené de vague 2). Afin que les résultats présentés dans cette étude soient représentatifs au niveau de chaque pays pour la classe d’âge étudiée, les données font l’objet d’un redressement du biais de nonréponse. Le tableau 1 présente l’échantillon de base ; il contient en moyenne 50,5 % de femmes pour 49,5 % d’hommes et la distribution des classes d’âge tous les deux ans est équilibrée. Seule l’Autriche contraste un peu avec un échantillon assez faible (N = 346 individus) où la part des moins de 52 ans est sous-représentée (seulement 4,3 %). On observe au tableau 2 que dans l’ensemble, les actifs représentent plus des deux tiers de la sous-population née entre 1946 et 1956. Le taux de chômage moyen autour de 7,2 % masque de profonds écarts entre les pays. Ainsi, les 11,8 % de chômeurs en Allemagne contrastent fortement avec les 2,1 % aux Pays-Bas. Toutefois, la situation des chômeurs âgés est délicate à interpréter, d’abord parce que la variable d’activité ne correspond pas à la mesure du chômage au sens du BIT3, ensuite parce 2 Pour plus d’informations sur la méthodologie de Share, voir Börsch-Supan, Jürges (2005). 3 Par exemple, certains individus dispensés de recherche d’emploi peuvent à tort se déclarer

chômeurs, d’autres dans le même cas se déclareraient inactifs.

Retraite et société 59 > août 2010


18

L’état de santé des travailleurs âgés

que deux logiques de chômage peuvent coexister à cet âge : être en recherche active d’emploi ou bénéficier de l’allocation chômage en attendant l’ouverture des droits à la retraite. TABLEAU 1 Distribution de l'échantillon des 50-59 ans selon l'âge et le genre Pays

Autriche

Allemagne Suède

Effectifs bruts

Femmes

Hommes

50-52

864

49,8

50,2

18,0

50,9

16,7

346 771

Pays-Bas

1020

Italie

906

Espagne

1090

Grèce

1164

Belgique

1151

Pologne

1010

Danemark Suisse

Rep.Tchèque Irlande Total

49,1

49,1

666

France

50,3

49,1 50,8 51,3

992

49,6 51,0

509

51,9 49,9

1059

51,4 51,8

416

52,6

11964

50,5

49,7 50,9 50,9 49,2 48,8 50,4 49,0 48,1 50,1 48,6 48,2 47,4 49,5

Pourcentage

4,3

18,9 18,8 17,5 18,2 15,9 23,7 17,0 11,6 15,8 21,9 15,1 17,8

52-54

54-56

56-58

58-60

17,3

25,4

22,8

16,6

19,9 18,8

23,1 20,3 18,6 17,7 25,9 17,1 23,7 23,0 19,8 21,1 18,3 19,1

21,9

25,6

22,0

18,4

20,8

18,8

21,8

19,8

16,9

19,4

20,2

22,7

15,7

22,8

22,3

20,4

20,3

19,8

21,4

21,5

22,0

19,5

20,5

19,5

20,2

26,0

21,2

21,3

Note : Pondérations individuelles utilisées afin de corriger de la non-réponse. Lecture : en France, les femmes repésentent 51,3 % des 50-59 ans en 2006-2007. Source : enquête Share, vague 2 (2006-2007).

28,3 22,0 20,6 19,3 27,7 21,2 19,6 16,5 19,2 22,4 22,9 17,0 20,4 20,6

TABLEAU 2 Distribution de l'échantillon selon le statut d’occupation (en %) Pays

Autriche

Allemagne Suède

Pays-Bas Espagne Italie

France

Danemark Grèce

Suisse

Belgique

Rep.Tchèque Pologne Irlande Total

Actifs occupés

Chômeurs

Retraités

Invalides

Autres inactifs

Non renseigné

69,1

11,8

4,1

4,8

9,1

1,0

68,7

2,1

51,0 82,9 56,0 52,8 64,2 77,3 59,1 80,3 58,3 63,0 39,5 65,1 60,9

5,2 3,6 8,2

30,0 8,5 3,9 6,6

1,8 3,1

15,2

2,3

23,0

4,4

18,5

7,3

0,9

10,8

1,8

3,8

9,3

5,7

2,1

11,8

7,2

11,9

9,1

23,9

16,3

11,0

5,9

3,6 9,0 5,1 7,2

23,6 6,0

24,5 11,4 2,0

0,9

25,6

9,8

12,5

3,6 5,8

Note : pondérations individuelles utilisées afin de corriger de la non-réponse. Lecture : en France, 64,2% des 50-59 ans en 2006-2007 sont des actifs occupés. Source : enquête Share, vague 2 (2006-2007).

Retraite et société 59 > août 2010

1,4

9,3

3,3 6,7

12,0

10,2 0,7 9,8

17,6 13,9

0,0 0,5 0,8 0,4 0,1 2,7 1,7 0,6 0,4 0,4 0,3 1,4 0,5 1,1


La santé des travailleurs âgés en Europe

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Dans ce dernier cas, le chômage représente une passerelle vers la retraite et les individus peuvent quasiment être considérés comme des inactifs. Pour cette raison, l’analyse multivariée se focalisera uniquement sur les actifs occupés. Ils représentent en moyenne plus de 60 % de la population en âge de travailler (soit 7,385 répondants). Par ailleurs, de profondes disparités dans les taux d’emploi se manifestent selon un gradient nord-sud dans les pays d’Europe. La Suède et le Danemark (avec la Suisse) ont des taux d’emploi supérieurs à 75 % alors que les pays du sud, Espagne, Italie et Grèce ont des taux inférieurs à la moyenne européenne. Plusieurs études ont proposé des interprétations de cette situation (Aubert, Blanchet, Blau, 2005 ; Blanchet, Debrand, 2007) et parmi les facteurs principaux qui expliquent cette différence en Europe, outre l’influence des systèmes de protection sociale qui est prépondérante, les déterminants individuels comme la santé jouent un rôle non négligeable (Debrand, Sirven, 2009).

Le choix des mesures de santé Il est d’usage dans la littérature sur les comparaisons internationales d’état de santé de choisir les Le modèle médical ou biologique indicateurs de santé parmi les trois catégories définit le mauvais état de santé proposées par Blaxter (Blaxter, 1989 ; Sermet, par un écart à une norme Cambois, 2002). Dans le modèle subjectif, l’état physiologique ou psychique. de santé est mesuré par la perception qu’ont les individus de leur propre état de santé. La santé perçue est l’indicateur le plus souvent utilisé dans ce cadre. Le modèle médical ou biologique définit le mauvais état de santé par un écart à une norme physiologique ou psychique. Il s’agit ici de relever les pathologies dont souffre l’individu ou d’objectiver par différentes mesures la présence d’anomalies physiques ou biologiques. Enfin, selon le modèle fonctionnel, l’état de santé est évalué par des restrictions d’activité et des limitations fonctionnelles. Un mauvais état de santé est alors défini comme l’inaptitude à assurer un rôle social et à réaliser un certain nombre de tâches de la vie quotidienne.

Analyse descriptive Un grand nombre de variables de santé sont disponibles dans l’enquête Share. Six ont été retenues, correspondant aux différentes catégories proposées dans le modèle de Blaxter. La perception de l’état de santé général et la présence de symptômes physiques ou dépressifs répondent au modèle subjectif, la mesure des déficiences cognitives et la mesure de la force de préhension au modèle médical ; enfin, la présence de limitations d’activité correspond au modèle fonctionnel. À titre indicatif, la partie descriptive propose une analyse comparative de l’échantillon de la population des actifs occupés entre 50 et 59 ans avec celle des inactifs et des chômeurs pour la même tranche d’âge. Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

Perception de l’état de santé général Pour des raisons de comparaisons internationales avec d’autres enquêtes que Share, seule la version américaine de la question sur la santé perçue a été retenue en vague 2. Il s’agit d’une réponse à la question suivante : « Diriez-vous que votre santé est excellente, très bonne, bonne, acceptable, médiocre ? ». Cette question est posée de manière aléatoire à la moitié des répondants avant les questions détaillées sur la santé, et après pour l’autre moitié de l’échantillon enquêté. Une variable finale est ensuite générée à partir de ces deux modes de réponse afin de corriger les biais potentiels dus à l’énoncé des différentes pathologies et symptômes. Pour les besoins de l’analyse, nous utilisons une version dichotomique prenant la valeur 1 si les individus ont déclaré un état de santé « acceptable, ou mauvais » et 0 sinon (c’est-à-dire bon, très bon ou excellent). Au total, 26,1 % des 50-59 ans déclarent un état de santé dégradé (inférieur ou égal à « acceptable »), avec une prévalence de 17,5 % pour les actifs occupés contre 39,6 % pour les chômeurs et inactifs. GRAPHIQUE 1

Mauvaise santé déclarée selon les pays et le statut d’emploi

Note : les pays sont classés selon la valeur décroissante de l’indice de santé pour l’ensemble de la population des 50-60 ans. Lecture : part des 50-60 ans déclarant une santé « acceptable » ou « médiocre ». Source : Share, vague 2 (2006-2007), exploitation Irdes. Effectifs pondérés pour corriger de la non-réponse.

Il existe des écarts importants entre les pays, l’Irlande, la Grèce, la Suisse et la Belgique affichant une santé perçue nettement meilleure que la moyenne européenne, à l’opposé de la Pologne, de la République tchèque, de l’Autriche, de l’Allemagne et de l’Italie. La France, avec 22,9 % de personnes en mauvaise santé, se situe autour de la moyenne. Ces écarts de Retraite et société 59 > août 2010


La santé des travailleurs âgés en Europe

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santé perçue sont assez communément observés dans différentes enquêtes (Harbers et al., 2008 ; Barnay et al., 2005) et s’expliquent principalement par les caractéristiques socio-économiques, le niveau d’éducation ou de revenus des populations, mais aussi par des différences culturelles d’interprétation de la question de santé perçue (Mackenbach et al., 2008). Quel que soit le pays, les actifs occupés se perçoivent en meilleure santé que le reste de la population. La France se situe dans la moyenne.

Limitations d’activité Il s’agit d’une variable générée à partir de la question suivante : « Durant au moins les six derniers mois, dans quelle mesure avez-vous été limité dans les activités quotidiennes à cause d’un problème de santé ? ». La variable est codée 1 si les individus ont donné une limitation, qu’elle soit sévère ou pas, et 0 s’ils déclarent ne pas souffrir de limitations. Cette variable a été préférée aux variables de limitations basées sur des listes d’activités de la vie quotidienne à cause de leur faible incidence sur la population de référence : 4,9 % des répondants déclarent au moins une limitation dans les ADL et 7,9 % dans les IADL4. La variable retenue ici indique que les limitations causées par un problème de santé affectent 31,5 % de la population des seniors en âge de travailler ; les actifs occupés sont 23,4 % à déclarer ce type de limitations, contre 44,4 % pour les chômeurs et les inactifs. GRAPHIQUE 2

Limitations d’activité selon les pays et le statut d’emploi

Note : les pays sont classés selon la valeur décroissante de l’indice de santé pour l’ensemble de la population des 50-60 ans. Lecture : part des 50-60 ans déclarant être limités dans leurs activités normales par des problèmes de santé. Source : Share, vague 2 (2006-2007), exploitation Irdes. Effectifs pondérés pour corriger de la non-réponse. 4 Limitations dans les activités de la vie quotidienne (ADL, Activities of daily living), les activités instrumentales de la vie quotidienne (IADL, Instrumental activities of daily living).

Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

La proportion de personnes de 50-59 ans limitées dans leurs activités varie de plus de 40 % en Autriche, en République tchèque, aux Pays-Bas et en Pologne, à 20 % environ en Suisse et en Irlande et seulement à 13,8 % en Grèce. La France se situe au-dessous de la moyenne européenne avec 27,4 % de personnes déclarant une limitation d’activité. Pour tous les pays, les actifs occupés sont moins nombreux à être limités dans leurs activités que les inactifs. Les écarts entre les proportions d’actifs occupés et d’inactifs limités dans leurs activités sont importants, dans un rapport de 1 à 1,9 en moyenne, traduisant probablement l’influence notable des limitations d’activités sur la capacité des individus à rester en emploi, ainsi que le biais de déclaration évident qui consiste à se considérer comme limité dans ses activités lorsqu’on est inactif. Au-delà de normes culturelles et sociales différentes selon les pays, les prévalences relativement plus élevées de personnes inactives ayant des limitations d’activités dans certains pays sont le témoin de l’existence passée ou présente de politiques spécifiques concernant les incapacités. Ainsi, ce n’est que très récemment (2006) que les Pays-Bas ont mis en place une politique d’accès et de retour à l’emploi des personnes handicapées, visant à limiter le nombre de bénéficiaires de pensions d’invalidité (OCDE, 2009).

Symptômes physiques La question posée a été la suivante : « Au cours des six derniers mois, avez-vous été gêné par le symptôme suivant ? ». On trouvait une liste de 12 symptômes, parmi lesquels douleurs dorsales et/ou aux articulations ; problèmes cardiaques, angine de poitrine, ou douleur thoracique pendant l’effort ; souffle court, difficulté à respirer, etc. Cette variable est préférée à la liste des maladies déclarées à cause de la faible prévalence de ces dernières. La variable générée prend la valeur 1 si le répondant déclare au moins deux symptômes, et 0 sinon. Un tiers des individus de 50-59 ans sont concernés par deux symptômes ou plus, cette proportion monte à 42,2 % pour ceux qui ne travaillent pas contre 28,7 % pour ceux qui travaillent.

Pour tous les pays, les actifs occupés sont moins nombreux à être limités dans leurs activités que les inactifs.

La proportion de personnes déclarant deux symptômes ou plus varie selon les pays de plus de 40 % (Pologne, République tchèque et Autriche) à 22 % (Grèce et Irlande). La France, avec 39,8 % de personnes déclarant au moins deux symptômes, est également dans le peloton de tête. Comme pour tous les autres indicateurs, les personnes en emploi sont, quel que soit le pays, moins nombreuses à déclarer des symptômes que les personnes inactives. Les inactifs déclarant deux symptômes ou plus sont en moyenne 1,5 fois plus nombreux que les actifs dans cette situation ; cet écart est très faible en France et les Français sont, parmi les actifs en emploi, ceux qui sont les plus nombreux à déclarer des symptômes (37,4 %). Retraite et société 59 > août 2010


La santé des travailleurs âgés en Europe GRAPHIQUE 3

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Symptômes physiques (2+) selon les pays et le statut d’emploi

Note : les pays sont classés selon la valeur décroissante de l’indice de santé pour l’ensemble de la population des 50-60 ans. Lecture : part des 50-60 ans déclarant connaître au moins deux symptômes physiques (sur 12 proposés). Source : Share, vague 2 (2006-2007), exploitation Irdes. Effectifs pondérés pour corriger de la non-réponse.

Force de préhension Un test de force de préhension a été réalisé lors des entretiens à partir d’un dynamomètre suivant une procédure précise. Les mesures sont validées si l’écart entre les deux mesures pour chaque main ne dépasse pas 20 kg, et si les mesures sont comprises entre 0 et 100. La variable de force de préhension générée retient la valeur validée maximale. Cette mesure objective est généralement considérée comme un bon indicateur de la capacité musculaire des individus. Pour les besoins de l’analyse, une variable dichotomique a été créée. Elle prend la valeur 1 si les individus ont un score de force de préhension inférieur au 1er quintile de la distribution, et 0 sinon. Notons que dans la création de cette variable, la décomposition en quintile a été effectuée selon le sexe et les valeurs de l’indice de masse corporelle (IMC) regroupées en trois catégories. Il est intéressant de voir, comme pour les autres variables de santé, que les actifs occupés sont moins affectés (18,3 %) que les chômeurs et les inactifs (34,2 %). La proportion de personnes ayant une faible force de préhension se situe en dessous de 15 % en Allemagne, aux Pays-Bas et en Suisse. Elle est de plus de 30 % en Espagne et en Irlande. La France est proche de la moyenne. Les personnes en emploi ayant une force de préhension relativement faible sont peu nombreuses, sauf dans deux pays, l’Irlande et l’Espagne, où elles dépassent 20 % des actifs. Cette proportion croît en même temps que la proportion totale de personnes de faible force de préhension dans le pays. Les personnes inactives sont en moyenne deux fois plus nombreuses que celles qui sont en emploi à avoir une faible force de préhension. Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés GRAPHIQUE 4

Faible préhension selon les pays et le statut d’emploi

0,50 0,45 0,40 0,35 0,30 0,25 0,20 0,15 0,10 0,05 0,00

e

e d agn Irlan

Esp

as de ie ne ue ue se he ne rèce mark ance Ital olog giq utric chèq Suè Suis ays-B emag G Fr ne P A Bel P Da p.T All e R En Emploi

Autre

Note : les pays sont classés selon la valeur décroissante de l’indice de santé pour l’ensemble de la population des 50-60 ans. Lecture : part des 50-60 ans dans le 1er quintile de force de préhension selon le genre et l’IMC. Source : Share, vague 2 (2006-2007), exploitation Irdes. Effectifs pondérés pour corriger de la non-réponse.

Symptômes de dépression Share permet de construire un score de dépression à partir d’une liste de 12 questions (sentiment dépressif, pessimiste, suicidaire, coupable, difficultés à dormir, etc.) correspondant à l’échelle EURO-D. Un individu est considéré en général comme à fort risque de dépression s’il déclare au moins 3 des 12 symptômes cités précédemment – la variable est alors codée 1 et 0 sinon. En l’occurrence, 24 % de la population des seniors en âge de travailler entrent dans cette catégorie à risque ; les actifs occupés ne sont que 18,4 % contre 33 % pour les individus ne travaillant pas. La population des 50-60 ans déclarant au moins trois symptômes évocateurs de dépression varie du simple au triple selon les pays. Elle est très élevée en Pologne où 40 % des personnes sont à risque dépressif et élevée en France également avec 30,2 % de personnes à risque. À l’opposé, les prévalences sont faibles en Grèce, 13,7 % de personnes à risque ; l’Irlande, l’Autriche, la Suède, la Suisse, les Pays-Bas, et l’Allemagne se situant tous entre 16,6 % et 18,1 %. Ces résultats sont en phase avec d’autres études qui montrent une prévalence plus élevée de dépression en France que dans d’autres pays européens (Lepine, et al., 1997), associée à une plus forte consommation d’antidépresseurs et de médicaments psychotropes (Alonso, et al., 2004). Parallèlement, les quatre pays à risque élevé de dépression sont également Retraite et société 59 > août 2010


La santé des travailleurs âgés en Europe GRAPHIQUE 5

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Symptômes de dépression selon les pays et le statut d’emploi

Note : les pays sont classés selon la valeur décroissante de l’indice de santé pour l’ensemble de la population des 50-60 ans. Lecture : part des 50-60 ans ayant plus de trois symptômes de dépression (Euro-D). Source : Share, vague 2 (2006-2007), exploitation Irdes. Effectifs pondérés pour corriger de la non-réponse.

ceux où la prévalence est élevée chez les actifs occupés. En Pologne, plus de 30 % des actifs occupés déclarent au moins trois symptômes dépressifs, plus de 25 % en France et 20 % en Belgique et Italie.

Déficiences cognitives Parmi les indicateurs de santé mentale présents dans Share, une place importante est accordée à la mesure des fonctions cognitives. Les questions concernent l’orientation dans le temps (date du jour et de l’année), la fluence verbale (nombre d’animaux énoncés en une minute), et la mémoire épisodique (mémoriser une dizaine de mots et les répéter immédiatement, puis après un certain laps de temps). Un score de fonctions cognitives peut-être établi à partir des deux derniers thèmes, et les individus dont le score est inférieur à la moyenne des scores de l’ensemble des répondants (50 ans et plus) moins 1,5 fois l’écart-type de cette moyenne sont considérés comme une population ayant des déficiences cognitives (Dewey, Prince, 2005). Cette mesure est considérée comme un bon prédictif de la maladie d’Alzheimer. Cependant, la sous-population des 50-59 ans, relativement jeune pour ce genre de pathologies, est peu exposée aux déficiences cognitives (seulement 2 %), même si des différences entre les travailleurs (> 1 %) et les autres (3,8 %) sont significatives. Les effectifs de personnes souffrant de déficiences Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

cognitives sont trop faibles pour permettre une analyse pays par pays. Pour cette raison, l’analyse selon les pays et le statut d’occupation ne sera pas présentée ici.

Analyse multivariée

Options méthodologiques La comparaison brute des états de santé entre les pays amènes à penser qu’une partie des différences est imputable à un healthy worker effect (effet travailleur en bonne santé) favorisant la surreprésentation des individus en meilleure santé sur le marché du travail. La difficulté inhérente à cet effet dans un contexte de comparaisons internationales tient dans le fait qu’occuper un emploi dépend non seulement de l’état de santé, mais aussi des possibilités de sortie du marché du travail offertes dans chaque pays (ou « générosité des systèmes ») et de la capacité du marché du travail à proposer des emplois pour les plus de 50 ans. D’un point de vue statistique, le healthy worker effect est souvent considéré comme un effet de sélection, mais ne peut être traité par les techniques habituelles (modèle de sélection de Heckman, par exemple) parce que la santé est à la fois la variable Le healthy worker effect est d’intérêt et un excellent déterminant de la participation souvent considéré comme au marché du travail. Toutefois, lorsque comme ici, il un effet de sélection. s’agit uniquement de dresser un état des lieux, la littérature sur ce sujet conseille de privilégier les comparaisons entre travailleurs au détriment d’une analyse englobant travailleurs et nontravailleurs (Li, Sung, 1999). L’analyse multivariée à venir se concentrera donc uniquement sur les travailleurs âgés en Europe. Elle doit permettre d’étudier les différences internationales une fois corrigées de l’effet confondant d’autres facteurs et d’obtenir ainsi une comparaison internationale d’état de santé toutes choses égales par ailleurs. Au-delà, cette analyse rend possible l’identification de quelques variables susceptibles d’améliorer l’état de santé des travailleurs âgés en Europe et d’orienter les politiques publiques. Les différentes variables de santé retenues peuvent être analysées comme variables dépendantes à partir d’un modèle commun sous l’hypothèse où chacune représente un proxy de l’état de santé individuel. En général, les modèles de santé prennent en compte les variables indépendantes enoncées ci-après. L’âge et le sexe

Ils renseignent à la fois sur les aspects biologiques du processus de vieillissement sur la santé et sur les effets des caractéristiques socioéconomiques. L’âge est un bon indicateur de l’expérience sur le marché du travail et le sexe identifie les modalités du partage des tâches – surtout au sein la population née entre 1946 et 1956. Comme on peut s’y Retraite et société 59 > août 2010


La santé des travailleurs âgés en Europe

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attendre, la proportion de femmes au travail (42,7 %) est sensiblement inférieure à celle des hommes (57,3 %) et la part des actifs occupés diminue avec l’âge. Elle est de 21,5 % pour les 50-51 ans en emploi contre 13,6 % pour les 58-59 ans (tableau 3). Le niveau d’éducation

C’est un bon révélateur du statut social des individus. On note que seulement un quart des 50-59 ans ont un niveau d’éducation supérieur au baccalauréat et les Européens âgés au travail ont en moyenne des niveaux d’éducation plus élevés que ceux qui ne travaillent pas. Cette variable d’éducation peut être associée au revenu pour compléter l’appréhension du statut social, mais cette option n’est pas retenue ici à cause des risques de corrélation qui pourraient biaiser les coefficients. Les facteurs de risque

Avoir été un fumeur régulier peut accroître les risques de voir sa santé se détériorer. 53,3 % des 50-59 ans déclarent avoir déjà consommé du tabac de façon régulière au cours de leur vie et cette statistique est à peu près identique suivant la population en emploi et la population totale. La dimension sociale

Trois groupes de variables ont été retenus selon la structure du ménage, le fait d’être né dans le pays de résidence, ou le fait de dispenser de l’aide (soins à la personne) en dehors du ménage (à un parent dépendant, par exemple). D’abord, le fait de vivre en couple – ce qui est le cas de la grande majorité des quinquagénaires au travail en Europe (80 % d’entre eux) – influence positivement la santé des individus et ce, d’autant plus si le conjoint est en bonne santé. Ensuite, le fait d’être un migrant peut fortement influencer l’état de santé dans le sens où ceux-ci ont souvent des conditions initiales spécifiques et une histoire de vie particulière. Ils représentent en moyenne 8 % de la population active occupée des 50-59 ans dans les 14 pays retenus. Enfin, l’aide à la personne en dehors du ménage peut affecter la santé des aidants, notamment la santé mentale (Maher, Green, 2002 ; Arno et al., 1999). Près d’un quinquagénaire sur dix est l’aidant d’une autre personne âgée ou malade, les actifs occupés étant toutefois relativement moins nombreux que les autres. La pénibilité au travail

On peut vouloir décomposer l’effet sur la santé d’occuper un emploi suivant le degré de pénibilité au travail. En effet, la littérature empirique abonde de références où des conditions de travail difficiles conduisent à un mauvais état de santé (Blanchet, Debrand, 2008). Plusieurs indicateurs de pénibilité au travail peuvent être envisagés suivant les modèles théoriques employés (Karaseck, Theorell, 1990 ; Siegriest, 1996). Dans le cas présent, nous proposons un indice simplifié des conditions de travail construit à partir de Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

10 questions de Share 5 sur ce thème, chacune apportant potentiellement un point à un score total allant de 0 (insatisfaction totale) à 10 (satisfaction totale). Une variable dichotomique est ensuite construite pour les personnes en emploi, suivant que le répondant se soit attribué un score supérieur à la médiane (> 7) ou non. On observe ainsi qu’un tiers des travailleurs bénéficie de conditions de travail plutôt satisfaisantes. S’ajoute à cette liste une série de variables indicatrices concernant le pays de résidence des répondants et permettant d’effectuer des comparaisons internationales. Le tableau 3 présente la distribution des variables retenues pour la population des 50-59 ans en Europe. Par ailleurs, si l’on considère que la distribution de la probabilité d’être en mauvaise santé, conditionnelle aux variables explicatives présentées ci-dessus, suit une loi normale, alors l’estimation du modèle est celle d’un Probit usuel par maximum de vraisemblance.

Résultats des estimations Les effets individuels

Afin de comparer entre elles les différentes estimations Probit relatives aux variables de santé retenues, les effets marginaux des variables indépendantes sont reportés au tableau 4. Seules cinq estimations sont proposées ; la variable de déficiences cognitives n’ayant qu’une prévalence extrêmement faible sur la population relativement jeune des quinquagénaires, il a été décidé de ne pas la retenir dans la suite de l’analyse. Enfin, rappelons que les estimations ont été menées sur la sous-population des travailleurs. Le tableau 4 indique que les variables indépendantes retenues sont significatives et prennent toutes le signe attendu. Parmi les variables ayant un effet quelle que soit la variable dépendante, on constate que les conditions de travail, telles qu’elles sont ressenties par les travailleurs, sont fortement corrélées avec l’état de santé. Par exemple, les travailleurs, dont les conditions de travail sont plutôt bonnes par rapport au reste de la population des quinquagénaires en emploi, ont en moyenne, une probabilité de déclarer un mauvais état de santé inférieure de 5,7 points de pourcentage. Par ailleurs, le fait de vivre en couple exerce un effet bénéfique sur l’état de santé. En particulier, il apparaît que, quel que soit l’indicateur de santé utilisé, les individus vivant avec un conjoint en bonne santé ont moins de chances d’être eux-mêmes en mauvaise santé. Enfin, de manière plus classique, on retrouve le rôle protecteur du niveau d’éducation et le fait d’être ou d’avoir été un fumeur régulier accroît les risques d’un mauvais état de santé dans la plupart des cas. 5 Satisfaction générale au travail, travail physiquement pénible, pression temporelle due à une

forte charge de travail, peu de liberté pour décider comment organiser son travail, opportunités de développer de nouvelles compétences, soutien de la part des collègues en cas de situation difficile, reconnaissance dans le travail, salaire adéquat, possibilités d'évolution/promotion, sécurité de l'emploi.

Retraite et société 59 > août 2010


La santé des travailleurs âgés en Europe

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Les autres facteurs explicatifs de l’état de santé ont des effets différenciés selon l’indicateur de santé considéré. Par exemple, les hommes ont, toutes choses égales par ailleurs, moins de risques de déclarer des symptômes physiques ou dépressifs que les femmes. En revanche, aucune différence notable n’est à signaler dans le cas de la santé déclarée ou de la faible préhension. L’absence de corrélation dans le cas de la force de préhension tient, rappelons-le, à ce que cette Il est ainsi difficile de séparer les variable a été construite en tenant compte du sexe et effets de génération, des effets de l’IMC des répondants. Par ailleurs, la prévalence du vieillissement lui-même. de la mauvaise santé ne semble s’accroître avec l’âge que lorsqu’il s’agit de la santé perçue et de la force de préhension. Aucun effet n’est notable dans le cas des limitations d’activité ou les symptômes physiques, alors que les symptômes de dépression semblent se réduire avec l’avancée en âge. Toutefois, l’interprétation de ces résultats est délicate dans le cas d’une population relativement jeune et homogène en âge. Il est ainsi difficile de séparer les effets de génération, des effets du vieillissement luimême. Par exemple, l’absence de corrélation entre l’âge et la prévalence de limitations d’activité est probablement liée au fait que la réelle augmentation de cette prévalence des incapacités survient plus tardivement au-delà de 80 ans. La distribution de cette mesure de santé est donc relativement homogène selon l’âge dans la population des quinquagénaires. Par ailleurs, une attention particulière a été portée au fait d’être né dans le pays de résidence ou non et de dispenser de l’aide à la personne en dehors du ménage (exemple des soins ou de l’aide informelle à un parent dépendant). Dans le premier cas, il apparaît que les migrants déclarent plus souvent une mauvaise santé perçue, présentent plus souvent des symptômes de dépression et, toutes choses égales par ailleurs, sont plus souvent affectés par une force de préhension plus faible que les natifs. Dans le second cas, la charge de certains aidants peut nuire à leur santé, en particulier en accroissant le risque de mauvaise santé perçue, le risque de dépression et le risque de déclarer des symptômes physiques. Les effets pays

En matière de comparaisons internationales, quelle que soit la variable dépendante considérée, les effets marginaux associés aux indicateurs Pays sont pour la plupart statistiquement différents de zéro et sont significativement différents les uns des autres (tests de Wald non reproduits). Autrement dit, il existe des différences internationales entre les états de santé pour la population des actifs occupés entre 50-59 ans qui ne peuvent s’expliquer par la composition de la population ou ses caractéristiques. La valeur des effets marginaux permet d’effectuer un classement des pays par rapport à la France (catégorie de référence). Des effets marginaux significativement négatifs (respectivement positifs) indiquent que la situation dans le pays considéré est relativement meilleure (respectivement moins bonne) qu’en France. En revanche, lorsque les effets marginaux des indicateurs Pays sont non significatifs, cela signifie que les écarts corrigés entre la France et le pays considéré sont statistiquement nuls. Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés TABLEAU 3 Distribution des déterminants de la santé (en %) Genre

Hommes

< Lycée

Autriche

Lycée

Supérieure

61,7

13,5

49,2

34,1

Suède

52,9

27,6

27,7

42,5

65,9

61,4

POPULATION EN EMPLOI Allemagne Pays-Bas Espagne Italie

France

Danemark Grèce

Suisse

Belgique

Rep.Tchèque Pologne Irlande

Éducation

52,8 58,9 64,1 52,9 53,8

5,8

31,4 40,3 24,9 8,7

67,7

36,6

58,4

30,5

53,2 58,0 58,8 57,6

20,6 31,0 14,2 25,8

53,1 28,4 18,8 36,9 43,0 42,3 24,5 36,4 32,1 47,1 64,9 10,0

Total

57,3

25,5

40,3

Autriche

49,7

22,2

48,9

Suède

50,9

29,5

28,3

50,9

68,3

POPULATION TOTALE Allemagne Pays-Bas Espagne Italie

France

Danemark Grèce

50,2 50,9 49,2 48,8 50,4 49

Suisse

48,1

Rep.Tchèque

48,6

Belgique Pologne Irlande Total

50,1 48,2 47,4

49,5

9,0

36,6 55,5 32,5 12,5 40,9 23,5 36,8 38,9 22,5 31

33,5

50-52

52-54

54-56

56-58

58-60

4,1

26,7

30,5

23,2

15,5

21,1

19,9

21,8

16,9

20,3

39,6

19,1

38,3

21,8

18,6 22,1 30,2 48,6 36,9 40,9 35,6 18,9 20,8 63,5

32,8 26

20,3 23,6 24,4 17,1 27,2 18,6 14,2 19,4 32,9 16,3

41,4 27,6 38,2 31,9 43,9 61,1 10,8

39,1

24,5 44,7

22,7 31,2 18,8

25,3 25,4 19,8 21,0

21,1 19,7 17,1 12,7 26,9

16,8 12,8 16,1 13,6 15,4 3,4

17,0

28,3

18,8

18,8

22,0

18,4

18,8 17,4 18,2 16

11,7

15,7

21,9

25,7

27,2

19,8

18,4

12,9

25,6

28,8 56,7

24,4

23,9

23,1

13,3

21,9

23,7

14,5

17,7

15,6

18,0

16,6

19,9

29,3 35,4

27,4

22,3

17,8

14,3

4,3

16,7

40,7

22,4

17,8

17,6

13,6

31,9 14,3

27,5

23,7

15,8

13,2

19,5

28,2

12,8

21,8

22,5

23,3

23,0

17,9

29,9

25,6

27,3

22,4

34,5

16,3

17,1

21,5

55,2

39,8

Âge

17

17,3 23,1 20,3 18,6 17,7 25,9 17,1 23,7 23

15,8

19,8

15,1

18,3

17,8

25,4 20,8 21,8 16,9 20,2 15,7 22,3 20,3 21,4 22

21,1

20,5

19,1

21,2

20,2

22,8

16,6 22

18,8

20,6

19,4

27,7

19,8 22,7 22,8 20,4 19,8 21,5 19,5 19,5 26

21,3

19,3 21,2 19,6 16,5 19,2 22,4 22,9 17

20,4

20,6

Note : pondérations individuelles utilisées afin de corriger de la non-réponse. Lecture : en France, 30,2% des actifs occupés de 50-59 ans ont un diplôme d’études supérieures, contre 24,5% pour l'ensemble de la population des 50-59 ans. Source : enquête Share, vague 2 (2006-2007).

Retraite et société 59 > août 2010


La santé des travailleurs âgés en Europe

Conditions de travail

Avoir déjà fumé régulièrement

Pays d'origine

Bonnes

Mauvaises

33,4

66,6

49,2

7,5

43,3

56,7

58,6

9,8

33,0 53,4 30,7 30,7 32,4 46,2 19,9 49,4 42,8 24,3 15,6 40,2

33,3

67,0 46,6 69,3 69,3 67,6 53,8 80,1 50,6 57,2 75,7 84,4 59,8

66,7

51,7 65,7 52,8 54,7

Migrants

7,3

71,8

6,9

10,9

1,9

13,1

5,2

9,5

14,1

65,6

3,3

8,5 7,2 5,3

48,0

12,5

52,4

2,2

10,1

10,3

12,0

59,8 73,9 48,7

54,3 47,8

7,3 0,3

8,0

5,7

8,8 6,2 6,4

48,6

18,5

59,4

2,9

7,1

7

8,3

14,8

54

2,5

50

9,2

56,9 67,8 53,3

0,9 8,5

74,1 82,7 79,7 76,9 79,7

80,4

15,3

47,7

85,3

11,1

1,6 5,1

80,9

71,2

11,1

65,4

80,0

7,3

7,8

52

87,0

77,8

65,9

4,4

79,4

8,6

10,7

45,8

85,8

80,0

11,4 10,7

76,8

9,8

51,8 59

En couple 81,4

12,3

6,5

Structure du ménage

6,9

9,2

48,4 63,2

Dispense de l'aide (soins) en dehors du ménage

9,4 9

8,4 9,8 6,1

12,2

10,5

31

77

81,3 83,8 78,5 76,4 84,3 74,2 82,1 73,3 73,4 76,4

78,5

Retraite et société 59 > août 2010


32

L’état de santé des travailleurs âgés TABLEAU 4 Déterminants de l'état de santé des travailleurs âgés 50-59 ans en Europe Var. dép.

Effets marginaux : Conditions de travail Bonnes Mauvaises Genre Hommes Femmes Âge 50-52 52-54 54-56 56-58 58-60 Facteurs de risques Fumeurs

Éducation < Lycée Lycée Supérieure Ménages Avec épouse/partenaire - En bonne santé - En mauvaise santé - On ne sait pas Sans épouse/partenaire Relations sociales Dispensent de l'aide (soins) en dehors du ménage Pays d'origine Migrants Pays de résidence France Autriche Allemagne Suède Pays-Bas Espagne Italie Danemark Grèce Suisse Belgique Tchéquie Pologne Irlande Obs. Log L.

Mauvaise santé perçue

Limitation d'activité

Symptômes physiques (2+)

Faible préhension

État dépressif

-0,057*** Réf.

-0,080*** Réf.

-0,090*** Réf.

-0,027*** Réf.

-0,084*** Réf.

-0,013 Réf.

-0,024* Réf.

-0,123*** Réf.

0,01 Réf.

-0,115*** Réf.

Réf. 0,019** 0,035*** 0,048*** 0,038***

Réf. -0,012 0,008 0,017 0,007

Réf. 0,014 0,004 0,016 0,012

0,025***

0,024**

0,058***

Réf. -0,037*** -0,083***

Réf. -0,025** -0,039***

Réf. -0,023* -0,027**

Réf. -0,015 -0,030***

Réf. -0,027*** -0,015

-0,060*** 0,013** -0,012 Réf.

-0,034** 0,021 0,001 Réf.

-0,064*** -0,012 -0,02 Réf.

-0,031** -0,01 -0,031** Réf.

-0,070*** -0,032*** -0,032** Réf.

Réf. 0,032** 0,069*** 0,104*** 0,125*** -0,015*

Réf. 0,003 -0,026** -0,01 -0,038*** 0,016*

0,040

0,018

0,047***

0,017

0,051***

0,046***

0,018

0,001

0,070***

0,042**

Réf. 0,025 -0,073*** -0,023 -0,043* 0,103*** 0,044 0,008 0,029 -0,038* -0,033* -0,085*** 0,006 0,091*** 6969 -2991,2

Réf. -0,091*** -0,079*** -0,087*** -0,082*** -0,080*** -0,013 -0,053*** -0,107*** -0,070*** -0,031* -0,092*** 0,055** -0,075*** 7248 -2941,2

Réf. 0,032* 0,044 0,024*** -0,019 0,002 -0,028 -0,014*** -0,070*** -0,055*** -0,031** -0,011* 0,125*** -0,068*** 7322 -4505,3

Réf. 0,181*** 0,109*** 0,080*** 0,186*** -0,073*** -0,006 0,028 -0,127*** 0,001 -0,007 0,120*** 0,096*** -0,053* 7322 -3755,6

Réf. 0,008 -0,053** -0,049** -0,109*** -0,117*** -0,059*** -0,018 -0,152*** -0,068** -0,008 -0,013 -0,01 -0,129*** 7324 -4119,5

* p<0,10 ; ** p<0,05 ; *** p<0,01. Lecture : les actifs occupés de 50-59 ans ayant un diplôme supérieur, ont une probabilité de se déclarer en bonne santé inférieure de 14,8 points de % à ceux ayant un diplôme inférieur au baccalauréat. Source : Share, vague 2 (2006-2007).

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La santé des travailleurs âgés en Europe

33

Typiquement, une fois l’effet confondant des déterminants individuels pris en compte, l’Espagne et l’Irlande conservent les taux de prévalence les plus élevés en matière de faiblesse dans la force de préhension, alors que l’Allemagne et la République tchèque sont les pays les moins affectés dans cette tranche d’âge. Les autres pays constituant la catégorie intermédiaire dans laquelle les taux de prévalences corrigés sont statistiquement comparables (au seuil de 5 % d’erreur) à ceux de la France. Un schéma général des différences internationales est assez délicat à mettre en évidence, même si l’idée d’un gradient nord-sud apparaît dans le cas des limitations d’activité. Les pays du Nord (Autriche, Allemagne, Suède, Pays-Bas) et de l’Est (République tchèque, Pologne) de l’Europe accusent des taux de limitation d’activité supérieurs aux pays continentaux (France, Belgique, Suisse), eux-mêmes au-dessus des taux enregistrés dans les pays du Sud (Espagne, Grèce). Les autres mesures de santé ne permettent pas de confirmer l’existence d’un gradient nord-sud dans l’état de santé des travailleurs de 50-59 ans en Europe. La France occupe le plus souvent une position moyenne dans le cas de la santé perçue ou de la force de préhension, voire défavorable dans le cas des symptômes physiques où elle rejoint le groupe des cinq pays (Danemark, Autriche, Belgique, République tchèque, Pologne) pour lesquels la prévalence est la plus forte et dans celui des symptômes dépressifs, où seule la Pologne affiche des taux de prévalence corrigés supérieurs à la France. D’une manière générale, on retrouve les observations faites dans l’analyse ci-dessus : la population des 50-59 ans en emploi en France est le plus souvent dans le peloton de queue des pays européens en matière d’état de santé.

Conclusion L’analyse des conditions socio-économiques de la population des travailleurs âgés de 50 à 59 ans met en évidence une hétérogénéité des situations en Europe en matière d’état de santé. L’utilisation de plusieurs mesures de santé permet de révéler le caractère multidimensionnel de la santé et les inégalités entre les pays selon différentes conditions de santé, qui forment finalement la notion assez abstraite d’« état de santé ». Par ailleurs, bien que le recours à plusieurs mesures de santé ne permette pas de dégager un schéma européen bien tranché, il semble qu’en général, les travailleurs quinquagénaires français figurent parmi ceux en moins bonne santé. Ce résultat est d’autant plus préoccupant dans un contexte où le recul de l’âge de la retraite est au cœur du débat politique actuel. Est-il possible d’harmoniser les politiques publiques du marché du travail et de la protection sociale en Europe avec des états de santé aussi divers ? L’analyse des déterminants individuels permet de retrouver l’idée avancée par ailleurs, d’une influence positive des mesures ciblées de politique publique sur l’état de santé des travailleurs. C’est notamment le cas des programmes visant à lutter contre le tabagisme. Mais surtout, l’analyse suggère qu’une amélioration des conditions de travail aurait tout son Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

sens dans un objectif d’amélioration des conditions de santé sur le marché du travail. « Travailler plus longtemps grâce à de meilleures conditions de travail » est d’ailleurs un leitmotiv de plus en plus souvent évoqué comme un compromis permettant d’améliorer sensiblement les taux d’emplois des seniors en Europe. Notre étude met aussi en évidence le rôle primordial de l’effet du pays de résidence sur l’état de santé de la population active. Les différences importantes d’état de santé entre les pays d’Europe persistent après que les caractéristiques sociodémographiques ont été prises en compte. Dans le cas des mesures subjectives d’état de santé (la santé perçue, par exemple), une partie de ces différences est probablement imputable à des écarts de mesure entre les pays, mais aussi à des caractéristiques nationales, histoire, normes sociales, environnement… qui sont autant de pistes pour la recherche future.

Cette recherche bénéficie d’un financement de l’ANR (ANR-09-JCJC-0141-01) via le projet « Jeunes chercheurs » 2009-2012 HEAPS (Health economics of ageing and participation in society).

Cet article utilise des données de la vague 2 de Share (release 2.3.0), telles qu’elles étaient disponibles en novembre 2009. La collecte des données entre 2004 et 2007 a été principalement financée par la Commission européenne, via les programmes cadres n° 5 et n° 6 (projets n° QLK6-CT-2001-00360; RII-CT-2006-062193; CIT5-CT-2005-028857). Nous remercions également le National Institute on ageing américain (bourses n° U01 AG09740-13S2; P01 AG005842; P01 AG08291; P30 AG12815; Y1-AG-4553-01; OGHA 04-064; R21 AG025169) ainsi que d’autres institutions nationales pour leur contribution. Voir http://www.share-project.org pour une liste complète des organismes ayant apporté un soutien financier au projet.

Retraite et société 59 > août 2010


La santé des travailleurs âgés en Europe

35

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La santé des travailleurs âgés en Europe

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* Les auteurs souhaitent remercier Thomas Barnay (Université Paris-Est Créteil) et les deux relecteurs anonymes pour leurs commentaires sur une version antérieure de cet article. Retraite et société 59 > août 2010



Approcher l’âge de la retraite en Suède : santé et ressources des 50-64 ans entre 1968 et 2000

Marti G. Parker, Carin Lennartsson, Susanne Kelfve,

Centre de recherche sur le vieillissement (Aging research center), Karolinska Institut & université de Stockholm, Suède



Approcher l’âge de la retraite en Suède: santé et ressources des 50-64 ans entre 1968 et 2000

41

I

l existe un dilemme en gérontologie : la santé et le bien-être de chaque nouvelle cohorte de « personnes âgées » est plus ou moins unique. Bien qu’il soit possible d’identifier certains effets universels liés à l’âge, le fait d’appartenir à une cohorte de naissance spécifique et de vivre à une certaine période entraîne des effets qui sont intrinsèquement entremêlés et qui contribuent à la singularité historique de chacune de ces cohortes (Ryder, 1965 ; Settersten, 1999). Les événements historiques comme les guerres, les famines, les dépressions économiques et les épidémies laissent une empreinte sur celles-ci, plus ou moins profonde selon l’âge auquel l’événement survient. Une dépression économique accompagnée de pénuries alimentaires peut laisser des marques indélébiles sur un enfant en bas âge, et avoir des conséquences même à un âge avancé. Les mêmes conditions peuvent ne pas avoir d’effets à long terme sur la santé de personnes de 20 ans, mais elles peuvent avoir une incidence sur le comportement, la santé mentale ou les chances d’accéder à des études supérieures. Les politiques sociales et économiques d’un pays déterminent également les conditions de vie d’une cohorte et, par conséquent, la santé et le bien-être futurs de celle-ci. De la même façon, les effets d’une politique ont une incidence différente sur les gens selon l’étape de leur vie à laquelle ils se trouvent à ce moment-là. Les normes sociales, mais aussi celles liées au genre, changent au fil du temps. Elles restreignent ou ouvrent des trajectoires, comme le choix professionnel, l’âge de la retraite, le mode de vie. Que savons-nous des prochaines cohortes de personnes âgées ? Dans quelle mesure seront-elles différentes de celles actuelles ? Nous savons qu’en Suède, comme dans la plupart des pays industrialisés, les futures cohortes de personnes âgées seront plus importantes en nombre que les précédentes : il y a eu plus de naissances au cours des années 1940 et 1950 qu’au cours des années 1920 et 1930. La cohorte née après la Deuxième Guerre mondiale a été qualifiée de baby boom, un pic dans la courbe démographique se déplaçant le long de l’axe des âges de la population. Ce pic atteint aujourd’hui le moment de la retraite. Tout comme les autres pays industrialisés, la Suède fournit depuis longtemps une retraite aux personnes âgées qui se retirent de la vie professionnelle. Un système de retraite limité, fondé sur les propres paiements des individus, a Retraite et société 59 > août 2010


42

L’état de santé des travailleurs âgés

été instauré dès 1913. C’était à l’époque un programme peu coûteux. L’espérance de vie (EV) à la naissance était de 55,6 ans pour les hommes et de 58,4 ans pour les femmes. À 65 ans, l’EV était de 12,8 ans pour les hommes et de 13,7 ans pour les femmes. En 2009, l’EV à la naissance a atteint 79,4 ans pour les hommes et 83,4 ans pour les femmes ; celle à partir de 65 ans est passée à 18,2 ans pour les hommes et 21,0 ans pour les femmes (SCB, Statistics Sweden, 2009). Cela signifie qu’aujourd’hui, la plupart des gens peuvent espérer vivre encore longtemps après 65 ans, l’âge de départ à la retraite actuel. Tandis que la proportion de personnes âgées augmente par rapport à la population active, l’éventualité que le système des retraites devienne un poids pour les ressources publiques provoque des inquiétudes. On craint également que les besoins en soins médicaux et en services sociaux n’augmentent au fur et à mesure que la population vieillit (Batljan & Lagergren, 2005). Ce phénomène, décrit comme le fardeau de la dépendance (dependency burden), résulte de l’augmentation de l’EV, mais aussi d’une baisse des taux de fécondité. Au cours des années 1990, le système des retraites suédois a subi une vaste réforme et des réductions importantes (Gustafsson, Johansson et Palmer, 2009). Cependant, cela ne suffira peut-être pas à faire face aux prochaines cohortes de retraités. D’après certains chercheurs, une solution viable serait d’augmenter le nombre d’heures travaillées en Suède en faisant entrer les jeunes plus tôt sur le marché du travail et en augmentant l’âge de départ à la retraite (Bengtsson et Scott, 2009). Un comité gouvernemental a suggéré d’ajuster automatiquement l’âge de la retraite à l’espérance de vie (Council, 2009). Beaucoup d’autres pays partagent ces inquiétudes avec la Suède.

La relation entre mortalité et morbidité n’est ni simple ni immuable.

En ce qui concerne le besoin en ressources de soins de santé, il existe un espoir que les prochaines cohortes de personnes âgées seront en meilleure santé et que leurs besoins ne seront pas aussi grands que ceux des cohortes actuelles. Les preuves de ce phénomène restent nuancées. Si la santé se mesure par rapport à la mortalité, on constate une amélioration continue au fur et à mesure des années. En 1969, le taux de décès chez les personnes de 50 ans était de 4 pour 1 000. En 2000, ce taux est descendu à 2,4 pour 1 000 et chez les personnes de 60 ans, le taux de mortalité est passé de 10,7 pour 1 000 à 6,8 pour 1 000 (SCB, Statistics Sweden, 2009). Ce taux a connu une amélioration plus importante chez les hommes au cours de cette période : la mortalité a baissé de 42 % chez les hommes de 50 ans contre 37 % chez les femmes du même âge ; pour les hommes de 60 ans, le taux a baissé de 40 % contre 32 % pour les femmes. Cependant, la relation entre mortalité et morbidité n’est ni simple ni immuable. Si l’on veut estimer les besoins en ressources de soins, il est nécessaire de s’appuyer sur des indicateurs autres que les taux de mortalité. C’est en effet la morbidité qui entraîne des coûts liés aux soins. Les études sur l’évolution de la santé se sont penchées sur le passé afin d’identifier des tendances qui pourraient être appliquées au futur. Les conclusions Retraite et société 59 > août 2010


Approcher l’âge de la retraite en Suède: santé et ressources des 50-64 ans entre 1968 et 2000

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varient grandement selon la méthodologie et l’indicateur de santé utilisés (Parker et Thorslund, 2007). Une autre approche consiste à étudier les cohortes actuelles au milieu de leur vie, en partant du principe que l’état de santé au milieu de la vie laisse présager la santé future. Cependant, peu de bases de données permettent ce type d’analyse. Ces études présentent de grandes disparités en termes de méthodologie, d’âge des cohortes étudiées et d’indicateurs de santé. Une étude américaine a suggéré que la santé des personnes au milieu de la vie n’avait connu aucune évolution au fil des années (Weir, 2007). Une autre étude américaine a démontré que l’obésité, le tabagisme et certaines affections chroniques ont augmenté (Olshansky et al., 2005). Une étude danoise a suggéré que les cohortes au milieu de la vie actuelles (c’est-àdire les cohortes de personnes âgées de demain) ne sont pas en aussi bonne santé que l’étaient les cohortes au milieu de la vie précédentes (Hoogendijk, van Groenou, van Tilburg et Deeg, 2008). Une grande étude britannique (Rice, Lang, Henley et Melzer, 2010) a révélé que l’état de santé des cohortes nées après la Deuxième Guerre mondiale était préoccupant. Beaucoup d’encre a coulé au sujet de cette génération qui est désormais à l’âge de la retraite. Au cours de la première moitié du XXe siècle, la Suède a accompli de grands progrès en termes de politique sociale et de conditions de vie. Contrairement à la plupart des nations européennes, elle a très peu souffert durant les deux guerres mondiales, ce qui a été pour elle un avantage économique. En effet, lors de la Deuxième Guerre mondiale, les industries suédoises ont progressé et prospéré. Le climat politique de l’époque a favorisé une politique sociale généreuse et l’accent a été mis sur la santé et l’éducation Les enfants nés pendant accessibles à tous. Les enfants nés pendant les années les années 1940 ont 1940 ont connu toute leur vie l’État-providence suédois. connu toute leur vie Contrairement à leurs parents, ils ont pu bénéficier l’État-providence suédois. d’avantages sans précédent, comme un niveau de vie élevé, l’accès aux soins médicaux et aux services sociaux, ainsi que la possibilité de suivre des études supérieures. Les conditions de travail se sont progressivement améliorées à partir des années 1940 et les chances pour les femmes de faire partie du marché du travail se sont accrues grâce à l’instauration du congé maternité et de la garderie pour les enfants en bas âge. Si l’on considère le nombre impressionnant d’améliorations des conditions de vie survenues au cours du XXe siècle, auquel s’ajoutent les progrès relatifs à l’hygiène et aux soins médicaux, peut-on s’attendre à des bénéfices en termes de santé chez les prochaines cohortes de personnes âgées ? Notre étude a pour objet la santé et les paramètres liés à la santé chez les personnes ayant entre 50 et 64 ans, à quatre périodes distinctes, entre 1968 et 2000. De quelles ressources les cohortes successives disposent-elles, en termes de santé, d’éducation et de comportements liés à la santé, au Retraite et société 59 > août 2010


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moment où elles partent à la retraite ? Existe-t-il des différences dans les habitudes et les attentes des personnes ? Nos données nous permettent d’étudier un grand nombre d’indicateurs de santé. Le recours aux soins découle d’un ensemble complexe de facteurs qui viennent s’ajouter à l’état de santé réel. Parmi ces facteurs, on retrouve ceux liés à la demande : attentes, niveau d’éducation, comportements liés à la santé, habitudes de recours aux soins (Andersen, 1995). C’est pourquoi nous nous intéressons aussi aux indicateurs liés au comportement et à la capacité de trouver ses marques et de faire des demandes au sein du système de soins.

Source documentaire et méthode Cette étude repose sur l’enquête Niveau de vie (LNU, Level of living survey) commencée à l’université de Stockholm en 1968. Il s’agit d’une enquête sociologique menée sur la base d’échantillons représentatifs de la population suédoise ayant entre 15 et 75 ans. La LNU de 1968 a été inspirée par le concept de « maîtrise des ressources » permettant d’accéder au confort et au bien-être (Titmuss, 1958). Elle comportait des questions relatives aux conditions de vie générales, comme les conditions de travail, la santé, les réseaux sociaux, l’éducation, le budget, la vie familiale et les activités de loisirs. Un grand soin a été apporté afin de garantir la similarité des variables et du travail sur le terrain d’une année à l’autre. Les personnes de moins de 15 ans et les immigrants ont été pris en compte par la suite afin de s’assurer que chaque vague d’enquête était bien représentative de l’année en cours. Cette étude a été réalisée successivement en 1968, 1981, 1991 et 2000. Des données concernant les enquêtés de trois groupes d’âge, 50-54 ans, 55-59 ans, et 60-64 ans, lors de chaque enquête, ont été utilisées. En 1968, les enquêtés ayant entre 50 et 64 ans étaient nés entre 1904 et 1918. Le même groupe en 2000 était né entre 1936 et 1950 (n = 1 395). Afin d’éviter les répétitions, nous décrivons chaque variable telle qu’elle est présentée dans les résultats. Parmi les variables de santé incluses dans cette étude, beaucoup découlaient d’une seule question (par exemple : « Avez-vous eu l’un des troubles ou l’une des maladies suivants au cours des 12 derniers mois ? ») suivie d’une liste de symptômes et de maladies. L’étude employait des expressions simples en suédois pour désigner les troubles et les maladies. Trois réponses alternatives étaient proposées : Non ; Oui, léger ; Oui, grave. Nous avons utilisé les mêmes paramètres pour les quatre vagues d’enquête, sauf l’indice de masse corporelle (IMC) qui a été ajouté en 1991. Certains paramètres ont été combinés pour créer des indices, tels que la circulation sanguine, la douleur et les troubles psychologiques. Les variables sont présentées sous forme de graphiques, mettant en évidence les taux de prévalence pour chaque groupe d’âge à chaque vague Retraite et société 59 > août 2010


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d’enquête. Une analyse sur l’effet du genre est également présentée, puisque des recherches précédentes ont démontré que l’évolution de la santé n’est pas la même pour les hommes et les femmes. Des tests du X² ont été utilisés pour mettre en évidence les différences significatives dans les taux de prévalence entre 1968 et 2000 (des tests t ont été utilisés pour l’éducation et l’IMC).

Résultats Le tableau 1 présente les années de naissance des personnes concernées par l’étude, leur âge à chaque vague d’enquête et les taux de réponse. La personne la plus âgée (64 ans) en 1968 était née en 1904 et la plus jeune (50 ans), en 1950. Il existe un chevauchement entre les cellules. Par exemple, les personnes ayant entre 50 et 54 ans en 1991 avaient aux alentours de 60-64 ans en 2000. Les taux de réponse ont décru au fil du temps. Cette tendance se retrouve dans les études de tous les groupes d’âge en Suède. TABLEAU 1 Années de naissance et nombre de participants (taux de réponses) Groupe d’âge 50-54 ans Années de naissance

Nombre de participants Taux de réponses

Groupe d’âge 55-59 ans Années de naissance

Nombre de participants Taux de réponses

Groupe d’âge 60-64 ans Années de naissance

Nombre de participants Taux de réponses Total

Année d’enquête

1968

1981

1991

2000

1914 - 1918

1927 - 1931

1937 - 1941

1946 - 1950

89 %

79 %

77 %

76 %

1909 - 1913

1922 - 1926

1932 - 1936

1941 - 1945

88 %

75 %

77 %

73 %

1904 - 1908

1917 - 1921

1927 - 1931

1936 - 1940

86 % 1 458 88 %

76 % 1 222 77 %

72 % 1 124 75 %

74 % 1 395 74 %

518

494

446

409

401

412

Source : enquête Niveau de vie (LNU, 1968, 1981, 1991 et 2000).

426

352

346

552

477

366

Indicateurs de santé

Les graphiques 1 à 8 montrent les taux de prévalence chez les trois groupes d’âge (50-54 ans ; 55-59 ans ; 60-64 ans) pour un certain nombre d’indicateurs de santé, de 1968 à 2000. Circulation

Un indice a été créé à partir de cinq critères : infarctus du myocarde, douleur dans la poitrine, problèmes cardiaques, tension artérielle élevée et vertiges. Les participants étaient considérés comme ayant des problèmes de circulation Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

sanguine, s’ils faisaient état de troubles graves pour au moins un critère, ou de troubles légers pour trois critères, ou s’ils avaient eu un infarctus du myocarde au cours des 12 mois précédents. Le graphique 1 montre une baisse générale des problèmes de circulation sanguine entre 1968 et 1991, puis une quasi-absence d’évolution entre 1991 et 2000. Le changement global entre 1968 et 2000 a été significatif (p = 0,03). La prévalence chez les hommes n’a pas changé. La prévalence chez les femmes était plus élevée pour tous les groupes d’âge et toutes les années, mais elle a diminué au fil du temps, passant de 17 % à 11 % (p = 0,00). Ce sont les femmes âgées entre 60 et 64 ans qui ont connu l’amélioration la plus remarquable, et ce phénomène a eu lieu en grande partie avant 1991. Douleur

Un indice a été créé à partir des douleurs signalées sur trois zones : dos/hanches, épaules, et extrémités (mains/coudes/jambes/genoux). L’indice a été divisé en deux afin d’identifier les personnes se plaignant de douleurs sévères sur une zone au moins ou de légers problèmes sur trois zones. Une augmentation globale a été notée dans les plaintes relatives à la douleur, passant d’une moyenne de 30 % en 1968 à 35 % en 2000 (p = 0,00). Le graphique 2 montre qu’à chaque vague d’enquête, la même proportion de personnes entre 60 et 64 ans (à peu près 35 %) a signalé des douleurs. Les groupes les plus jeunes ont connu une augmentation du taux de prévalence entre 1968 et 1991, puis une quasi-absence d’évolution entre 1991 et 2000. Une analyse distincte par sexe (non présentée ici) montre que les femmes avaient des taux plus élevés : 33 % en 1968 et 42 % en 2000 (p = 0,00). Au fil du temps, les femmes entre 50 et 59 ans ont connu une augmentation régulière. Les femmes entre 60 et 64 ans avaient des taux plus élevés en 1968 et 1981, mais lors des enquêtes de 1991 et 2000, les taux de prévalence étaient identiques aux groupes les plus jeunes. Cela signifie que l’augmentation des plaintes liées à la douleur est plus visible chez les femmes plus jeunes. Troubles psychologiques

Cet indice a été créé à partir des témoignages de fatigue générale, de troubles du sommeil, de problèmes nerveux (anxiété, inquiétude) et de dépression. Les participants sont considérés comme ayant des troubles psychologiques s’ils ont fait état de troubles sévères pour au moins un critère ou de troubles légers pour trois critères. Les femmes avaient des taux de prévalence plus élevés que les hommes, avec un taux de 25 % en 2000 contre un taux de 14 %. Les niveaux de prévalence se sont effondrés pour les hommes comme pour les femmes entre 1968 et 1981, puis ils ont légèrement réaugmenté entre 1981 et 2000. Globalement, on constate une légère baisse, de 19 % à 16 % (p = 0,01). C’est le groupe le plus âgé (60 ans-64 ans) qui a connu l’amélioration la plus remarquable, avec une chute de 23 % en 1968 à 14 % en 2000 (p = 0,00). Cette amélioration a surtout eu lieu entre 1968 et 1981. Retraite et société 59 > août 2010


Approcher l’âge de la retraite en Suède: santé et ressources des 50-64 ans entre 1968 et 2000 GRAPHIQUE 1 Les problèmes de circulation sanguine : évolution au fil du temps par groupe d’âge (en %)

GRAPHIQUE 2 Douleur : évolution au fil du temps par groupe d’âge (en %)

GRAPHIQUE 3 Troubles psychologiques : évolution au fil du temps par groupe d’âge (en %)

GRAPHIQUE 4 Problèmes de mobilité : évolution au fil du temps par groupe d’âge (en %)

GRAPHIQUE 5 Troubles de l’audition : évolution au fil du temps par groupe d’âge (en %)

GRAPHIQUE 6 Surpoids : évolution au fil du temps par groupe d’âge (en %)

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L’état de santé des travailleurs âgés

Lorsque l’on examine les paramètres de l’indice séparément (non présenté ici), on constate que ce sont les troubles nerveux qui ont connu la baisse la plus importante. Les troubles du sommeil, la fatigue générale et la dépression ont connu quelques fluctuations, mais peu d’évolution globale. Il est intéressant de noter que les analyses de ce même indice pour les âges allant de 20 à 64 ans mettent en évidence une augmentation de la prévalence au cours de la même période (Hemström, Krantz et Roos, 2007). Apparemment, l’augmentation concerne les groupes les plus jeunes. Mobilité

Un indice a été créé à partir de deux critères : capacité à parcourir 100 mètres à vive allure et capacité à monter et descendre des escaliers. Une incapacité à l’un ou l’autre des critères était considéré comme un problème de mobilité. On note une amélioration nette entre 1968 et 1991, puis peu de changement ou d’augmentation de la prévalence entre 1991 et 2000. Le taux global était de 23 % en 1968 et de 15 % en 2000 (p = 0,00). Les femmes avaient des taux de prévalence plus élevés : 27 % en 1968 et 18 % en 2000 (p = 0,00). En 1968, le taux chez les hommes était de 19 % et en 2000, il n’était plus que de 12 % (p = 0,00). Audition

Les problèmes liés à l’audition ont augmenté avec l’âge et ont connu une augmentation au cours de la période étudiée. Le taux chez les hommes est passé de 19 % en 1968 à 28 % en 2000 (p = 0,00). Celui des femmes est passé de 10 % en 1968 à 13 % en 2000 (p = 0,04). Chez les groupes plus jeunes, l’augmentation a eu lieu entre 1968 et 1991, puis il y a eu une baisse en 2000. Les taux chez les groupes plus âgés ont continué à s’élever. Surpoids

La LNU a inclus dans toutes les vagues d’enquête un critère d’autoévaluation du surpoids. Davantage de femmes ont signalé avoir des problèmes de surpoids, mais les âges et les tendances au fil du temps ne suivent pas des schémas cohérents. Les femmes plus âgées avaient tendance à signaler plus de problèmes de surpoids, mais la répartition des âges n’était pas claire chez les hommes. La seule tendance cohérente sur le long terme se retrouve chez les hommes qui ont signalé une augmentation du surpoids, passant de 10 % en 1968 à 20 % en 2000 (p = 0,00). La majeure partie de l’augmentation est due au fait qu’ils ont signalé avoir de « légers » problèmes de surpoids. IMC

À partir de 1991, on a demandé aux personnes participant à la LNU d’indiquer leur taille et leur poids, afin de pouvoir calculer leur IMC (non Retraite et société 59 > août 2010


Approcher l’âge de la retraite en Suède: santé et ressources des 50-64 ans entre 1968 et 2000 GRAPHIQUE 7 Diabète : évolution au fil du temps par groupe d’âge (en %)

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GRAPHIQUE 8 Mauvaise santé dentaire : évolution au fil du temps par groupe d’âge (en %)

reporté ici). Une augmentation de l’IMC a été constatée chez tous les groupes d’âge, que ce soit pour le surpoids (IMC entre 25 et 29) ou l’obésité (IMC 30). L’IMC moyen pour les trois groupes d’âge était de 25,25 en 1991 et de 25,68 en 2000 (p = 0,00). L’augmentation a été constatée chez les hommes comme chez les femmes ; cependant, cette augmentation n’était significative que pour les hommes. Diabète

Le graphique 7 montre l’évolution du diabète. Bien que les niveaux de prévalence chez la population générale soient bas, on note une augmentation significative de la moyenne, passant de 1,8 % en 1968 à 4,2 % en 2000 (p = 0,00). L’évolution n’a pas été linéaire : les taux semblent connaître un pic en 1981, pour redescendre vers 1991, puis remonter ensuite. La prévalence a augmenté chez les hommes, passant de 1,6 % en 1968 à 4,8 % en 2000 (p = 0,00). Le taux chez les femmes est passé de 1,9 % à 3,5 % (p = 0,07). Santé dentaire

Le graphique 8 présente le pourcentage de personnes ayant signalé ne plus avoir de dents ou avoir des dents en mauvais état. Les hommes et les femmes de tous les groupes d’âge ont connu une amélioration tout à fait significative, passant de 60 % en 1968 à 10 % en 2000 (p = 0,00). Les taux sont similaires chez les hommes comme chez les femmes et les différences de santé dentaire liées à l’âge se sont uniformisées avec le temps. Ce changement très net de la santé dentaire des différentes cohortes a été mis en évidence grâce à l’utilisation des résultats de tous les groupes d’âge de tous les échantillons de la LNU (Ahacic, Parker et Thorslund, 2007). Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

GRAPHIQUE 9 Visites chez le généraliste: évolution au fil du temps par groupe d’âge (en %)

GRAPHIQUE 10 Visites chez le dentiste : évolution au fil du temps par groupe d’âge (en %)

Variables liées à la santé et ressources Visites chez le médecin et le dentiste

On a demandé aux participants à la LNU s’ils avaient consulté un médecin généraliste au cours de l’année précédente. Une question similaire portait sur les visites chez le dentiste. Au cours de la période concernée, les visites chez le généraliste et chez le dentiste ont augmenté. En 1968, 56 % des participants avaient consulté un médecin. En 2000, ce pourcentage atteignait les 64 % (p = 0,00). Chez les femmes, tous les groupes d’âge suivent la même tendance au cours de la période. La proportion de femmes signalant avoir consulté un médecin est passé de 62 % à 69 % (p = 0.01). Chez les hommes, les variations entre les groupes d’âge et tout au long de la période étaient plus importantes. Les groupes les plus âgés ont signalé davantage de visites (p > 0,00). En moyenne, on constate une augmentation au cours de la période, passant de 51 % à 59 %, celle-ci concerne davantage les deux groupes les plus âgés. Le nombre de visites chez le dentiste au cours de l’année précédente a nettement augmenté entre 1968 et 1991, sans ensuite beaucoup évoluer entre 1991 et 2000. Les taux sont passés de 40 % en 1968 à 83 % en 2000 (p = 0,00). L’augmentation a été significative pour les hommes comme pour les femmes. On constatait en 1968 une relation inverse avec l’âge, c’est-à-dire que les groupes les plus âgés avaient signalé moins de visites que les autres groupes, mais à partir de 2000, les différences d’âge avaient disparu chez les hommes comme chez les femmes. Tabagisme

Les questions de la LNU sur le tabagisme ont permis de mettre à jour les habitudes tabagiques au moment de l’enquête. Les taux de tabagisme Retraite et société 59 > août 2010


Approcher l’âge de la retraite en Suède: santé et ressources des 50-64 ans entre 1968 et 2000

dans leur ensemble ont diminué au fur et à mesure de la période étudiée (graphique 11). Cependant, cette baisse n’a été effective que chez les hommes. En 1968, 53 % des hommes et 20 % des femmes des groupes d’âge étudiés fumaient. En 2000, 28 % des hommes et 27 % des femmes fumaient. Il y a donc eu une diminution significative du tabagisme chez les hommes (p = 0,00) et une augmentation significative chez les femmes (p = 0,00).

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GRAPHIQUE 11 Tabagisme : évolution au fil du temps par groupe d’âge (en %)

Ressources

La LNU comprenait des questions relatives à l’éducation, à la profession, au pays de naissance, à la situation conjugale (mariage ou concubinage) et à la capacité de contester une décision prise par une autorité publique. Il a été montré que les personnes avec un haut niveau d’études et les employés de bureau sont ceux qui se détachent le plus nettement dans la courbe de bonne santé en Suède et dans d’autres pays (Kawachi, Kennedy et Wilkinson, 1999 ; Marmot, 2006 ; Parker, Thorslund e Lundberg, 1994). Le lien entre les immigrants et la santé est complexe, mais de manière générale, les études suédoises montrent que les plus mauvais états de santé se retrouvent chez les résidents immigrés (Fritzell, Lennartsson et Lundberg, 2007). Le mariage est considéré comme favorable à une bonne santé, surtout chez les hommes, même si une grande partie de ce phénomène est dû au choix du conjoint sur des critères positifs (Arber, 2004 ; Lennartsson et Lundberg, 2007). Nous ajoutons également une question concernant la capacité à contester la décision d’une autorité publique. Ce paramètre peut mettre à jour la propension d’un individu à maîtriser ses problèmes de santé, i.e. chercher les services les plus appropriés et à faire valoir ses droits. TABLEAU 2 Ressources : évolution au fil du temps Années d’instruction (moyenne) Emplois de bureau (en %) Nés à l’étranger (en %) Personnes mariées (en %)

1968 7,4 27,1 3,2 76,7

1981 8,4 32,3 7,2 77,2

1991 9,9 46,0 11,4 79,0

2000 11,5 50,8 11,0 78,1

Niveau d’études

Le nombre moyen d’années de scolarisation a augmenté, passant de 7,4 en 1968 à 11,4 en 2000 (p = 0,00). Les hommes avaient un léger avantage sur les femmes (d’environ 6 mois) à chaque vague d’enquête. La hausse du nombre d’années s’est accompagnée d’une dispersion de la distribution plus importante, l’écart-type passant de 2,4 à 3,7 ans. Cette hausse a eu lieu au fur et à mesure des vagues d’enquête successives. Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés Profession

La structure sociale en Suède a beaucoup changé au cours de la période étudiée. Le pourcentage de personnes occupant des emplois de bureau a sans cesse augmenté, comme on peut le voir dans le tableau 2. Parmi les trois groupes d’âge allant de 50 à 64 ans, on constate une hausse régulière du nombre d’employés de bureau, passant de 27 % en 1968 à 51 % en 2000 (p = 0,00). Cette augmentation a touché les hommes comme les femmes (non présentée ici). L’immigration

Elle a également augmenté entre 1968 et 2000. Dans nos panels, la proportion de personnes nées en dehors de la Suède est passé de 3 %, en 1968 à 11 % en 2000 (p = 0,00). On observe la même tendance pour les trois groupes d’âge, et aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Ce résultat se rapprochait de la moyenne nationale pour la population totale, qui était de 7 % en 1970 et de 11 % en 2000 (SCB, 2009). Personnes mariées

Le tableau 2 montre le pourcentage de personnes mariées ou en concubinage au moment de l’enquête. Il n’y a pas eu de réel changement au fil du temps, pour l’ensemble des groupes d’âge. Le pourcentage de personnes mariées a augmenté pour le groupe le plus âgé, mais uniquement chez les femmes (non indiqué ici). Ce résultat reflète certainement la diminution du veuvage due à une baisse de la mortalité masculine. Contester une décision

GRAPHIQUE 12 Capacité à contester une décision : évolution au fil du temps par groupe d’âge (en %)

Retraite et société 59 > août 2010

En 1968, 80 % du groupe d’âge dans son ensemble affirmaient pouvoir contester une décision rendue par une autorité (soit d’eux-mêmes, soit avec l’aide de quelqu’un d’autre) ; en 2000, ce chiffre atteignait les 95 % (p = 0,00). Cette augmentation a été observée pour les trois groupes d’âge, et aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Les écarts entre les groupes d’âge ont diminué au fil du temps. En outre, les écarts entre hommes et femmes ont également diminué : la moyenne des femmes est passée de 73 % en 1968 à 94 % en 2000 (p = 0,00).


Approcher l’âge de la retraite en Suède: santé et ressources des 50-64 ans entre 1968 et 2000

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Discussion Cette étude se penche sur une série de variables de santé ou en lien avec la santé, pour des personnes appartenant au groupe d’âge entre 50 et 64 ans, lors de quatre vagues d’enquête effectuées entre 1968 et 2000. Nous avons examiné chaque groupe d’âge, chaque genre et les différentes cohortes tout au long de la période déterminée. Les taux de prévalence ont augmenté en fonction de l’âge pour tous les indicateurs de santé. Cependant, cet effet de l’âge s’est estompé au fil du temps pour la plupart des indicateurs. Par exemple, les différences, entre les 50-54 ans et les 60-64 ans ont diminué. Une importante exception est à noter pour les variables concernant l’audition pour lesquelles l’effet de l’âge était plus grand lors des dernières vagues d’enquête. Les taux de prévalence pour les femmes étaient plus élevés que pour les hommes pour la plupart des indicateurs, sauf pour l’audition et la santé dentaire. Les différences entre les deux sexes ont considérablement varié selon les indicateurs. Par exemple, l’augmentation du pourcentage de personnes souffrant de douleurs concerne plus les femmes, alors que l’augmentation du pourcentage de personnes souffrant de diabète concerne plus les hommes. La plupart des indicateurs liés à la santé montrent des améliorations significatives pour les cohortes les plus récentes comparées aux cohortes du même âge précédentes. La santé dentaire, notamment, et la mobilité se sont améliorées pour tous les groupes d’âge et pour les femmes comme pour les hommes. Les femmes ont également fait état de problèmes de circulation sanguine en moins grand nombre. Pour les indicateurs de santé qui ont connu une nette amélioration, cette dernière a surtout eu lieu avant 1991. L’évolution n’est pas complètement positive. Les problèmes d’audition ont augmenté, tout particulièrement chez les hommes. Ceux des cohortes les plus récentes ont également signalé souffrir plus qu’avant de diabète et de surpoids. Les femmes ont signalé davantage de douleurs articulaires. Nous avons également examiné d’autres variables pouvant être considérées comme liées à la santé, et les résultats n’étaient pas plus tranchés. Un niveau élevé d’éducation et l’appartenance à une classe sociale supérieure sont liés à une meilleure santé. Entre 1968 et 2000, les niveaux d’éducation des 50-64 ans ont connu une hausse chez les femmes comme chez les hommes, tout comme la proportion de personnes ayant un emploi de bureau. Le tabagisme, associé à une mauvaise santé, a fortement chuté chez les hommes et fortement augmenté chez les femmes. Durant la période étudiée, le recours aux soins médicaux et dentaires est devenu plus courant, comme le montre la hausse du nombre de visites (des hommes et des femmes) chez le médecin généraliste et chez le dentiste. Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

La capacité de contester une décision rendue par une autorité peut être envisagée comme un moyen de gagner en autonomie. Cette capacité a augmenté au fil du temps, chez les hommes et les femmes des trois groupes d’âge. En revanche, le fait d’être d’origine étrangère s’est retrouvé associé à un mauvais état de santé et peut impliquer des difficultés à trouver ses marques dans le système de santé. La proportion de personnes d’origine étrangère est passée de 3 % à 11 %. La LNU était au départ une étude sociologique et les données relatives à la santé étaient limitées, avec seulement quelques informations concernant les handicaps ou les troubles chroniques spécifiques. Tous les indicateurs de santé étaient renseignés par le participant lui-même. De ce fait, une partie de l’évolution observée, qu’elle soit positive ou négative, pourrait être due à des changements dans la façon de répondre aux questions et dans les aspirations des personnes enquêtées. L’enquête la plus récente ayant été effectuée en 2000, seules les personnes du groupe d’âge le plus jeune étaient nées après la Seconde Guerre mondiale. Cependant, tous les groupes d’âge interrogés en 2000 ont vécu la majeure partie de leur vie au sein d’un État-providence développé. Nous avons trouvé peu d’études comparables à la nôtre. Une étude néerlandaise a été réalisée sur deux cohortes de personnes âgées de 55 à 65 ans (en 1992 et en 2002) et elle s’est penchée sur le nombre de personnes souffrant de handicap, les comportements liés à l’éducation et à la santé (Hoogendijk, et al., 2008). La cohorte la plus récente avait un comportement lié à la santé moins bon et moins adapté que l’autre. Les problèmes de handicap chez les femmes étaient également plus importants en 2002, et le lien entre handicap et faible niveau d’éducation était plus fort. Une étude américaine s’est intéressée à la période allant de 1971 à 2002 et a comparé des cohortes nées avant et après 1945 en ce qui concerne l’obésité et l’arthrite (Leveille, Wee et Iezzoni, 2005). La prévalence de l’obésité a augmenté, commençant de plus en plus jeune à chaque cohorte successive. Les taux d’arthrite n’ont pas augmenté, mais le risque d’arthrite provoquée par Le risque d’arthrite provoquée l’obésité a augmenté avec le temps. Les auteurs ont par l’obésité a augmenté avec conclu qu’à cause de l’obésité, on peut s’attendre le temps. pour l’avenir à une augmentation du pourcentage de personnes touchées par des troubles musculo-squelettiques et par un handicap consécutif à ces troubles (Leveille, Wee et Iezzoni, 2008). L’étude britannique (Rice, et al., 2010) a observé le groupe d’âge de 50 à 61 ans, en comparant une cohorte de 10 ans née avant ou pendant la Deuxième Guerre mondiale, avec une cohorte née juste après guerre. Les résultats révèlent également une augmentation de l’IMC et des taux d’affections chroniques, mais une baisse de la tension artérielle. Nous n’essaierons pas de donner une explication à chacune des tendances qui ressortent de cette étude. Chaque indicateur de santé doit être pris en considération séparément. Les tendances sont le reflet de plusieurs Retraite et société 59 > août 2010


Approcher l’âge de la retraite en Suède: santé et ressources des 50-64 ans entre 1968 et 2000

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facteurs : des changements dans la manière de répondre au questionnaire aux changements du système des soins médicaux. Par exemple, la baisse du nombre de « troubles nerveux » peut venir en partie du fait que cette expression est désormais considérée comme archaïque alors qu’elle était courante en 1968, date du début de l’enquête. L’augmentation du diabète peut s’expliquer en partie par l’amélioration des diagnostics. Une étude plus ancienne (Ahacic, Parker et Thorslund, 2003) a montré que les améliorations en termes de mobilité chez les 45-71 ans entre 1968 et 1991 s’expliquaient par le fait que davantage de personnes occupaient des emplois de bureau. Ce même effet peut probablement expliquer une partie des améliorations mises à jour lors de cette étude. À la lumière de nos résultats, nous nous concentrerons plutôt sur deux questions fondamentales : le recul de l’âge de départ à la retraite et le besoin de ressources de soins.

Peu de Suédois ayant entre

Peut-on encore reculer l’âge de la retraite, l’âge officiel 55 et 65 ans désirent étant actuellement fixé à 65 ans ? L’âge moyen (et travailler au-delà de 65 ans. médian) de départ à la retraite en Suède est déjà plus élevé que dans la plupart des pays européens : il est de 63 ans pour les femmes et de 64 ans pour les hommes, alors que dans l’Europe des 25, la moyenne est de 59 ans pour les femmes et de 61 ans pour les hommes (Romans, 2007). Une étude sur les préférences d’âge de départ à la retraite (Stattin, 2006) a montré que peu de Suédois ayant entre 55 et 65 ans désirent travailler au-delà de 65 ans. La raison principale du souhait de prendre sa retraite avant 65 ans était d’avoir plus de temps pour les loisirs. Une mauvaise santé et la pénibilité au travail étaient également deux raisons justifiant une préférence pour un départ précoce à la retraite. L’un des arguments justifiant le recul de l’âge de la retraite est que les cohortes de personnes âgées les plus récentes vivent plus longtemps et sont en meilleure santé. Ils sont donc capables de travailler plus longtemps. Certes, ces résultats montrent, selon certains indicateurs, que les prochaines cohortes arriveront probablement à l’âge de la retraite en meilleure santé, mais tous les indicateurs ne montrent pas les mêmes tendances. De plus, la plupart des améliorations dont les cohortes ont bénéficié ont eu lieu avant 1991. Cela signifie qu’il n’y aura peut-être pas plus d’améliorations dans les années à venir. Selon un autre argument soutenant le recul de l’âge de la retraite, la plupart des emplois seraient moins pénibles qu’avant sur le plan physique. Dans de nombreux secteurs, le port de charges lourdes et autres tâches difficiles sont gérés par des machines. Cependant, comme dans tous les pays industrialisés, le secteur des services devient de plus en plus important sur le marché du travail, étant donné que de nombreuses tâches industrielles sont automatisées ou délocalisées. Dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, et tout particulièrement dans le secteur médical et social, de nombreux postes exigent toujours de réaliser des tâches physiques pénibles et d’avoir des horaires de travail décalés. Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

Les prochaines cohortes de personnes retraitées auront-elles moins besoin de ressources que leurs prédécesseurs ? Le besoin en ressources de soins dépend de la taille de la population, du besoin moyen ou de la demande par personne, et du nombre de ressources nécessaires pour répondre à chaque besoin. Il ne fait aucun doute que les prochaines cohortes seront plus importantes en termes de taille. En ce qui concerne les besoins de santé, la mobilité accrue qui a été mise à jour dans cette étude induit une évolution positive, mais l’augmentation des troubles de l’audition et du diabète présage des interventions médicales. La hausse du surpoids et du tabagisme (chez les femmes) met en évidence un besoin de mesures préventives. L’amélioration de la santé dentaire implique paradoxalement une augmentation des besoins en soins, étant donné que plus de gens conserveront leur dentition et auront donc davantage besoin de soins pour leurs vieux jours. En ce qui concerne la demande, les dispositions à consulter un spécialiste et la capacité accrue à contester une décision laissent à penser que les prochaines cohortes auront davantage tendance à solliciter une aide médicale lorsqu’elles en ressentiront le besoin. Les plus grands changements survenus au cours de cette période ne concernent pas la santé en soi, mais plutôt les conditions globales de vie et de travail, ce qui influe sur le maintien d’une bonne santé lors du vieillissement. De plus, des changements majeurs ont été réalisés par rapport aux Les plus grands changements survenus technologies permettant de traiter des au cours de cette période ne concernent maladies chroniques, même à des âges pas la santé en soi, mais plutôt les avancés. Nous disposons aujourd’hui d’un conditions globales de vie et de travail. large éventail d’outils pour guérir ou gérer les problèmes de santé, des médicaments à la chirurgie en passant par la technologie d’assistance. Si l’on considère que les prochaines cohortes entreront dans le troisième âge en ayant l’habitude de recourir aux soins et de faire valoir leurs droits, toutes ces évolutions laissent à penser que la demande en services de soins risque d’augmenter. Les études qui ont pour objet les changements dans les tendances de santé au sein de cohortes successives peuvent contribuer à la compréhension des tendances de santé au fil du temps. Cette étude montre que ce serait erreur de croire que chaque cohorte de naissance subira les mêmes effets dus à l’âge. Les différentes tendances mises à jour pour les indicateurs de santé démontrent bien la nature multidimensionnelle de la santé. Les différences entre hommes et femmes qui apparaissent dans les tendances soulignent la nécessité de les étudier séparément. Les résultats de cette étude sont nuancés en ce qui concerne la santé et les ressources liées à la santé chez les cohortes proches de l’âge de la retraite. Les taux de prévalence parmi les cohortes les plus récentes témoignent à la fois des besoins de santé élevés et faibles, selon l’indicateur pris en compte. Lorsque l’on se pose des questions sur l’âge de la retraite ou les besoins de soins, les résultats laissent espérer que les prochaines cohortes seront en meilleure santé que les précédentes, mais avec des réserves. L’examen de ces deux questions doit prendre en compte d’autres facteurs que ceux liés à la santé lorsque l’on envisage l’avenir. Retraite et société 59 > août 2010


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Tendances de l’incapacité dans les activités de la vie quotidienne Étude chez les Américains de 50 à 69 ans (1997-2006)

Sandra L. Reynolds, PhD,

School of aging studies, university of South Florida

Eileen M. Crimmins, PhD,

Andrus gerontology center, university of Southern California



Tendances de l’incapacité dans les activités de la vie quotidienne

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D

ans les années 1970, 1980 et 1990, de nombreuses études ont été consacrées aux tendances de la santé chez les personnes âgées aux États-Unis et dans de nombreux autres pays, et notamment à l’incapacité d’effectuer les activités élémentaires et instrumentales de la vie quotidienne (AVQ et AIVQ). Aux États-Unis, on s’accorde à penser que la dégradation de la capacité à effectuer ces activités est apparue dans les années 1970 et au début des années 1980 (Crimmins et Saito, 2001 ; Manton et al., 1995 et 1997). À la fin des années 1980 et dans les années 1990, des améliorations ont été constatées, mais elles n’apparaissent pas systématiquement dans toutes les études ou pour toutes les années échantillonnées, et la définition de l’incapacité varie d’une étude à l’autre (Freedman, Crimmins, Schoeni et al., 2004). Comme la génération du baby-boom atteint la soixantaine, et que, parallèlement, l’obésité ne cesse de progresser dans la population américaine, on se demande si les améliorations enregistrées dans les années 1990 se poursuivent (Reynolds, Crimmins et Saito, 1998). En effet, des recherches récentes indiquent que la tendance à l’amélioration semble terminée, du moins pour les personnes qui ne sont pas les plus âgées (Seeman et al., 2010). Le thème de l’incapacité a été essentiellement étudié chez les personnes âgées, c’est-à-dire chez les 65 ans et plus. Les premiers baby-boomers arrivant à l’âge de 65 ans, et la majorité des individus de cette génération ayant dépassé 50 ans, nous examinons les tendances de l’incapacité aux AVQ et aux AIVQ chez des hommes et des femmes de 50 à 69 ans entre 1997 et 2006, ainsi que les changements dans les caractéristiques démographiques susceptibles d’affecter ces tendances.

Généralités Les tendances de la santé et de l’incapacité de la population âgée des États-Unis ont fait l’objet de recherches abondantes. Dans les années 1970 et au début des années 1980, on constate globalement une augmentation de l’incapacité chez les Américains les plus âgés (Crimmins, Saito et Ingegneri, 1989 ; Colvez et Blanchet, 1981 ; Verbrugge, 1984). Mais tout le monde s’accorde à dire que la tendance s’est inversée à la fin des années 1980 et dans les années 1990, si bien que les taux d’incapacité ont Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

bien souvent reculé (Crimmins et Saito, 2001 ; Crimmins, Saito et Reynolds, 1997 ; Freedman, Martin et Schoeni, 2002 ; Manton et al., 1993, 1995 et 1997 ; Schoeni, Freedman et Wallace, 2001). Reste à savoir si ces améliorations se sont poursuivies au XXIe siècle. D’après une étude récente des tendances de la santé dans les pays développés, malgré l’accroissement généralisé de la longévité, les résultats sur le plan de l’incapacité et des fonctions physiques sont mitigés. Au Japon et en France, par exemple, la plupart des indicateurs de l’incapacité aux AVQ se sont améliorés au début des années 2000, tandis que les études espagnoles ont fait état d’une Dans les années 1970 et au dégradation des AVQ et d’une amélioration sur le plan début des années 1980, on des capacités physiques (Christensen, Doblhammer, constate une augmentation Rau et Vaupel, 2009). Dans un article récent, de l’incapacité chez les Freedman et al. (2008) constatent une amélioration Américains les plus âgés. des AVQ chez les Américains de 75 ans et plus, et aucune tendance pour les AIVQ. La Finlande note d’importants reculs de l’incapacité tandis que les Pays-Bas et les États-Unis signalent une légère amélioration des AVQ. Les études sur les tendances chez les personnes de 55 à 65 ans ne permettent pas encore de déterminer clairement si cette tranche d’âge connaît les mêmes améliorations que les personnes plus âgées. Plusieurs auteurs ont noté une progression de divers types d’incapacités dans cette tranche d’âge (Bhattacharya, Choudhry et Lakdawalla, 2008 ; Lakdawalla, Bhattacharya et Goldman, 2004 ; Reynolds, Crimmins et Saito, 1998 ; Seeman et al., 2010). Par ailleurs, sur la base des national health surveys 1997-2006, Martin et al. observent des résultats mitigés pour la tranche des 40 à 59 ans, avec une augmentation de la prévalence de quatre affections chroniques, une stabilité pour les fonctions physiques et un accroissement du besoin d’aide pour les gestes de la vie quotidienne (Martin, Freedman, Schoeni et Andreski, 2009). Sur la base de données analogues, Reynolds et Crimmins (2010) observent un recul, d’après les déclarations des intéressés, de l’incapacité de travail dans cette tranche d’âge. Le recul de l’incapacité est souvent attribué en grande partie à un meilleur niveau Le recul de l’incapacité est d’instruction dans la population (Freedman souvent attribué en grande et Martin, 1999 ; Schoeni, Freedman et partie à un meilleur niveau Martin, 2008). De plus, l’augmentation de d’instruction dans la l’obésité dans la population américaine population. explique l’absence d’amélioration ou la dégradation des capacités physiques dans le groupe le plus jeune (Alley et Chang 2007 ; Seeman et al., 2010). Ces deux explications sont vraisemblablement des simplifications excessives. D’autres tendances simultanées pourraient également contribuer à faire diminuer le nombre de notifications d’une incapacité, notamment les changements intervenant dans le cadre bâti et l’incapacité liée à des maladies chroniques. Ainsi, le recours croissant aux opérations de la cataracte et les progrès du traitement immédiat des AVC pourraient progressivement faire diminuer les incapacités. Retraite et société 59 > août 2010


Tendances de l’incapacité dans les activités de la vie quotidienne

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Dans le présent article, nous étudions le besoin d’aide pour les gestes de la vie quotidienne et les besoins ordinaires (AVQ et AIVQ), correspondant à un niveau sévère d’incapacité, chez les Américains de 50 à 69 ans. Nous nous intéressons donc aux travailleurs âgés et aux jeunes retraités. Les personnes interrogées au cours de la première année de l’analyse (1997) étaient nées entre 1947 et 1928. Pour la dernière année (2006), les années de naissance s’échelonnaient entre 1956 et 1937. Cette analyse inclut donc des représentants de la première moitié du baby-boom.

Méthodes

Les données Les données utilisées pour l’analyse des personnes âgées de 50 à 69 ans proviennent d’enquêtes menées aux États-Unis, les national health interview surveys (NHIS), pour les années allant de 1997 à 2006. Les NHIS sont des enquêtes auprès des ménages, réalisées tous les ans, dont l’objectif est de suivre l’état de santé de la population américaine qui ne vit pas en établissement et l’utilisation qu’elle fait des soins de santé. Les données sont collectées sous les auspices du National center for health statistics (NCHS), chargé des statistiques de santé. La méthode de collecte est bien documentée et nous ne la réexpliquerons pas ici (NCHS, 2009). La taille de l’échantillon annuel est d’environ 17 000 adultes de 50 à 69 ans. En 1997, le questionnaire NHIS a été largement remanié au niveau des questions servant à suivre l’évolution des incapacités de la population et son état de santé. Ensuite, le questionnaire est resté dans une large mesure inchangé, ce qui permet l’analyse des tendances depuis 1997. Avant cette date, les personnes de moins de 70 ans devaient signaler les limitations qu’elles rencontraient dans l’exécution d’une activité majeure ou leur incapacité à travailler en raison d’un problème de santé. À compter de 1997, les questions concernant les AVQ portaient sur tous les membres de la famille d’au moins trois ans et étaient formulées ainsi : « En raison d’un problème physique, mental ou affectif, [avez-vous/quelqu’un de votre famille a-t-il] besoin de l’aide d’autrui pour les gestes de la vie quotidienne (manger, se laver, s’habiller ou se déplacer dans la maison) ? » De même, les questions sur les AIVQ portaient sur « le recours à un tiers pour des besoins quotidiens (tâches ménagères courantes, activités de la vie quotidienne, courses, déplacements en dehors de la maison) ». Afin de mieux comprendre les tendances temporelles, nous prenons en compte les variables de composition de la population susceptibles d’avoir une incidence sur les tendances des besoins d’aide pour les AVQ et les AIVQ : le genre, l’âge, la race/l’ethnicité, le niveau d’instruction et l’obésité. Nous nous attendons à constater une incapacité plus forte chez les femmes, chez les personnes âgées et chez les personnes appartenant à des minorités raciales/ethniques (Crimmins, Saito et Reynolds, 1997 ; Reynolds, Saito et Crimmins, 2005). Dans notre analyse multivariée, nous Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

opérons une dichotomie entre un niveau d’instruction faible, c’est-à-dire moins de dix années d’école, et tous les autres niveaux. Selon les normes reconnues, l’obésité est définie par un indice de masse corporelle (IMC) supérieur ou égal à 30 (OMS, 2004) ; même si l’IMC reste une mesure imparfaite de l’obésité, c’est la seule disponible pour ces données.

Méthodes Afin d’examiner les tendances temporelles du besoin d’aide pour les AVQ et les AIVQ, nous regroupons des données au niveau individuel sur dix ans. Nous pouvons ainsi étudier les conséquences du fait de se rapprocher de 2006 d’un an tout en examinant des effets dus à la composition de la population. Cet ensemble de données présente un total n d’environ 176 000. Notre analyse repose sur des équations de régression logistique. Nous tenons d’abord compte de l’âge et du genre, puis nous examinons l’effet de la variation de la composition de la population en termes de race et d’ethnicité, d’éducation et d’obésité en ajoutant ces variables à l’équation. L’analyse prend la forme suivante : log (P/1-P) = α + β1Χ1 + ε1 P est la probabilité d’avoir besoin d’aide pour les AVQ (ou les AIVQ) et X1 est un vecteur de variables indépendantes incluant les années depuis 1997 (temps), l’âge, le genre, le fait d’être afro-américain d’origine non hispanique, d’être d’origine hispanique, d’avoir peu fréquenté l’école, et d’être obèse. La prise en compte de toutes ces caractéristiques permet une standardisation pour tout changement dans la composition de la population (au niveau de l’âge, de la race, de l’éducation et de l’obésité) qui a pu se produire au cours des 10 dernières années et indique l’effet des dernières années ou le changement au cours du temps pour une population standard. Nous examinons également l’interaction entre le temps et d’autres variables afin de déterminer si la tendance temporelle diffère en fonction du genre, de la race/de l’ethnicité, ou du niveau d’instruction, ainsi que l’interaction entre le genre et l’obésité afin de déterminer si l’effet de l’obésité varie en fonction du genre. Le tableau 1 présente les caractéristiques de l’échantillon groupé pour cette tranche d’âge. Les femmes représentent 52 % de l’échantillon et l’âge moyen est de 58 ans (tableau 1). Les différences entre les hommes et les femmes sont assez peu marquées, même si les femmes sont plus susceptibles de déclarer avoir besoin d’aide pour les AVQ et AIVQ. Bien que la période observée soit courte, on note que la composition de cette tranche d’âge a changé. Ainsi, de 1997 à 2006, la composition raciale/ethnique fait apparaître une hausse de 7,9 % des Afro-Américains d’origine non hispanique et une augmentation de 23,5 % des Hispaniques (données non présentées). En outre, la moyenne des années de scolarité achevées est passée de 14,2 à 15,4 pour les quinquagénaires et de 13,2 à 14,7 pour les sexagénaires, tandis que l’obésité a légèrement progressé pour tous sur cette période (tableau 2). Retraite et société 59 > août 2010


Tendances de l’incapacité dans les activités de la vie quotidienne

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TABLEAU 1 Caractéristiques de l’échantillon : proportions (moyenne/écart type) calculées à partir des national health interview surveys, 1997-2006, en fonction du genre

Total Hommes Femmes (n = 176 170) (n = 83 422) (n = 92 748)

Âge***

Femmes

(58,10/5,7)

(58,01/5,7)

(58,18/5,7)

9,83

9,01

10,57

12,49

13,00

12,10

1,74

1,50

1,96

52,15

Afro-Américains non hispaniques *** Hispaniques *

Faible niveau d’instruction (< 10 années de scolarité) *** Obèses a ***

Ont besoin d’aide pour les AVQ ***

Ont besoin d’aide pour les AIVQ ***

7,83

27,19 3,98

---

7,68

26,58

3,00

---

7,96

27,71 4,87

a 78 380 personnes seulement ont répondu aux questions (taille, poids) qui permettent de calculer l’indice de masse corporelle. Il s’agit du sous-échantillon qui a répondu au volet individuel (person file) de l’enquête. *p < 0,05 ; ***p <0,001

TABLEAU 2 Tendances du niveau d’instruction et de l’indice de masse corporelle moyens (Américains quinquagénaires et sexagénaires, NHIS 1997-2006) Nombre moyen d’années de scolarité

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

Hommes 60-69 ans

13,6

13,8

13,9

13,6

14,1

14,2

14,3

14,6

14,7

14,6

Hommes 50-59 ans Femmes 50-59 ans Femmes 60-69 ans

14,5 14,2 13,2

Indice de masse corporelle moyen

14,7 14,3 13,2

14,7 14,4 13,3

14,8 14,5 13,5

14,9 14,6 13,8

15,0 14,7 13,6

14,9 14,7 13,6

15,2 15,2 14,3

15,4 15,1 14,4

15,1 15,2 14,2

Hommes 50-59 ans

27,6

27,6

27,8

27,9

27,9

27,9

28,3

28,3

28,2

28,5

Femmes 50-59 ans

27,0

27,3

27,3

27,7

27,4

27,7

27,9

27,7

28,0

28,1

Hommes 60-69 ans Femmes 60-69 ans

27,1 26,7

27,2 26,9

27,3 27,1

27,5 27,3

27,8 27,5

28,1 27,7

27,8 27,7

28,0 27,8

28,0 28,0

28,0 27,8

Résultats Le tableau 3 présente les résultats de la régression concernant la probabilité d’avoir besoin d’une aide pour les gestes élémentaires de la vie courante (AVQ) au cours des dernières années de la période examinée, pour l’échantillon des personnes âgées de 50 à 69 ans. Après prise en compte de l’âge et du sexe, on constate un effet significatif des années depuis 1997. La probabilité relative d’avoir besoin d’une aide pour les AVQ est légèrement supérieure pour les années les plus récentes, d’environ 1,5 % par an (tableau 3, modèle 1). On observe une interaction négative significative entre l’âge et les années depuis 1997 (modèle 2), si bien que l’augmentation de la probabilité relative d’avoir besoin d’aide pour les AVQ diminue quand on avance en âge. Lorsque l’on prend en compte la composition raciale, ethnique et le niveau d’études de la population (modèles 3 et 4), l’effet de la tendance Retraite et société 59 > août 2010


68

L’état de santé des travailleurs âgés

temporelle reste largement inchangé. Ensuite, la prise en compte de l’obésité et de l’interaction significative entre le fait d’être obèse et celui d’être une femme a peu d’incidence sur le coefficient indiquant la tendance temporelle (modèles 5 et 6), ce qui sous-entend que l’incapacité sur cette période n’était guère affectée par les petits changements dans l’obésité. TABLEAU 3 Estimations des paramètres [rapport de cotes] à partir de la régression logistique sur la probabilité d’avoir besoin d’aide dans une quelconque activité de la vie quotidienne (Américains âgés de 50 à 69 ans, NHIS 1997-2006, n = 176 170) Modèle 1

Modèle 2 : Modèle 1 + âge × temps

Modèle 3 : Modèle 2 + race/ ethnicité

Modèle 4 : Modèle 3 + faible niveau d’instruction

Modèle 5 : Modèle 4 + obésité a

Modèle 6 : Modèle 5 + obésité × femmes

[1,074]

[1,068]

[1,052]

[1,052]

Âge

0,0544***

0,0713***

0,0718***

Femme

0,2630***

0,2628***

0,2473***

0,2606***

0,2126***

0,0147*

0,2386***

0,2290***

0,2201***

0,2503**

0,2523**

-0,0037***

-0,0036**

-0,0034**

-0,0037***

-0,0038*

0,7447***

0,6763***

0,6822***

0,6643***

0,3879***

0,1106

0,1569

[1,056] [1,301]

Années depuis 1997

[1,015]

Âge × années depuis 1997

[1,074] [1,301] [1,269]

[00,996]

Afro-Américains non hispaniques

[1,281] [1,257]

[00,996] [20,106]

Hispaniques

[1,474]

Faible niveau d’instruction

0,0659*** [1,298] [1,246]

[00,997] [1,967] [1,248]

0,7024*** [20,019]

Obésité

R2 ajusté

[1,237] [1,284]

[00,996] [1,978] [1,170]

30 568,860 0,0126

30 557,401 0,0130

30 336,108 0,0208

30 121,842 0,0283

0,0503*** 0,0729

[1,076] [1,287]

[00,996] [1,943] 0,1501

[1,162]

0,7135***

0,7068***

0,5474***

0,3257***

[20,041] [1,729]

Obèses × femmes -2LL

0,0503***

14 147,718 0,0325

[20,028] [1,385]

0,3632*** [1,438]

14 127,231 0,0333

L’ajout de la variable « obèse » fait chuter n à 78 380 en raison de valeurs manquantes. * p < 0,05 ; ** p < 0,01 ; *** p < 0,001

a

Le tableau 4 présente des résultats analogues sur le besoin d’aide pour les AIVQ. Pour ce type d’activités, les résultats non significatifs pour les années depuis 1997 deviennent significatifs et positifs lorsque l’on y adjoint un terme d’interaction avec l’âge, ce qui signifie que la probabilité d’avoir besoin d’aide pour les AIVQ augmente chaque année, mais que cette évolution est de moins en moins marquée à mesure que l’on avance en âge. Comme avec les AVQ, la prise en compte de la race, de l’ethnicité et du faible niveau d’instruction (modèles 3 et 4) ne change pas notablement la tendance temporelle. Les prises en compte subséquentes de l’obésité et de l’interaction entre le fait d’être une femme et celui d’être obèse n’éliminent pas la tendance temporelle. Retraite et société 59 > août 2010


Tendances de l’incapacité dans les activités de la vie quotidienne

69

TABLEAU 4 Estimations des paramètres [rapport de cotes] à partir de la régression logistique sur la probabilité d’avoir besoin d’aide dans une quelconque activité instrumentale de la vie quotidienne (Américains âgés de 50 à 69 ans, NHIS 1997-2006, n = 176 192) Modèle 1

Modèle 2 : Modèle 1 + âge × temps

Modèle 3 : Modèle 2 + race/ ethnicité

Modèle 4 : Modèle 3 + faible niveau d’instruction

Modèle 5 : Modèle 4 + obésité a

[1,055]

[1,049]

[1,040]

Âge

0,0437***

0,0533***

0,0536***

Femmes

0,4956***

0,4955***

0,4830***

0,4994***

0,4298***

0,2438***

-0,0036

0,1262**

0,1178**

0,1085*

0,1537*

0,1564**

-0,0022**

-0,0021**

-0,0018*

-0,0024*

-0,0025*

0,6760***

0,6089***

0,5098***

0,4870***

0,2011***

-0,0928

-0,1363*

-0,1455

0,7453***

0,8360***

0,8287***

0,5873***

0,2635***

Années depuis 1997 Âge × années depuis 1997

[1,045] [1,641]

[00,996]

[1,055] [1,641]

[1,135]

[00,998]

Afro-Américains non hispaniques

[1,621] [1,125]

[00,998] [1,966]

Hispaniques

[1,223]

Faible niveau d’instruction

0,0475*** [1,648] [1,115]

[00,998] [1,838]

[00,911] [20,107]

Obésité

R2 ajusté

[1,537] [1,166]

[00,998] [1,665]

[00,873] [20,307] [1,799]

Obèses × femmes -2LL

0,0393***

Modèle 6 : Modèle 5 + obésité × femmes 0,0394*** [1,040] [1,276] [1,169]

[00,998] [1,627]

[00,865] [20290] [1,301]

0,4983*** [1,646]

58 1550,088 58 1460,344 57 7780,951 57 2030,828 29 5660,264 29 5190,167 0,0167

0,0169

0,0242

0,0345

0,0441

0,0459

a L’ajout de la variable « obèse » fait chuter n à 78 380 en raison de valeurs manquantes. * p < 0,05 ; ** p < 0,01 ; *** p < 0,001

Les personnes plus âgées sont plus susceptibles d’indiquer avoir besoin d’aide à la fois pour les AVQ et pour les AIVQ, et les femmes plus encore. Nous constatons que le fait d’être une femme augmente de 30 % la probabilité relative d’avoir besoin d’aide pour les AVQ (tableau 3, modèle 1) et de 64 % celle d’avoir besoin d’aide pour les AIVQ (tableau 4, modèle 1). On n’a constaté aucune interaction significative entre le genre et le temps. Autrement dit, la tendance temporelle est la même pour les hommes et les femmes. Les Afro-Américains et les Hispaniques sont plus susceptibles d’indiquer avoir besoin d’aide pour les AVQ et pour les AIVQ (tableaux 3 et 4, modèle 3), même si l’effet concernant les Hispaniques est largement éliminé lorsque l’on prend en compte l’instruction. Les personnes ayant un faible niveau d’études présentent une probabilité d’avoir besoin d’aide pour les AVQ et les AIVQ représentant le double de celle des personnes ayant un niveau d’études plus élevé (tableaux 3 et 4, modèle 4). L’obésité est liée à une augmentation de 73 % de la probabilité d’avoir besoin d’aide pour les AVQ (tableau 3, modèle 5) et de 80 % en ce qui concerne les Retraite et société 59 > août 2010


70

L’état de santé des travailleurs âgés

AIVQ (tableau 4, modèle 6). Le terme d’interaction montre que le fait d’être une femme obèse est associé à une probabilité nettement supérieure d’avoir besoin d’aide aussi bien dans les AVQ que dans les AIVQ. Afin de mieux interpréter la signification des résultats statistiques concernant les effets du changement temporel sur le besoin d’aide pour les AVQ et les AIVQ et sur l’ampleur des écarts entre les sous-groupes par âge et par sexe, nous estimons la probabilité qu’une personne ayant telle ou telle caractéristique ait besoin de l’un ou l’autre des types d’aide en 1997 et 2006 au moyen des résultats des modèles de la régression logistique dans les tableaux 3 et 4. Nous appuyant sur les coefficients tirés des modèles pour l’âge, le sexe, les années depuis 1997, et sur l’interaction de l’âge et des années depuis 1997 (modèle 2), nous estimons la probabilité qu’un homme ou une femme ait besoin d’aide pour les AVQ ou les AIVQ pour des raisons de santé à 50, 55, 60 et 65 ans en 1997 et en 2006 (tableau 5). À chaque âge, et dans ces deux années, les femmes avaient environ 30 % davantage besoin d’aide pour les AVQ que les hommes. Pour les quinquagénaires, la probabilité d’avoir besoin d’aide pour les AVQ augmente d’environ cinq points de pourcentage entre 1997 et 2006 ; l’augmentation est plus faible pour les personnes de 60 ans, et aucune évolution n’a été notée chez celles de 65 ans. Ces données montrent l’ampleur de la progression de l’incapacité dans les AVQ chez les baby-boomers les plus âgés. Selon nos estimations, le besoin d’aide pour les AIVQ n’augmente que chez les quinquagénaires. On note même des améliorations chez les personnes de 65 à 69 ans à la seconde date. Le besoin qu’ont les femmes d’une aide pour les AIVQ est toujours nettement plus élevé que celui des hommes. TABLEAU 5 Estimations de la probabilité d’avoir besoin d’aide pour les AVQ et AIVQ chez les hommes et les femmes à différents âges

Hommes

1997

AVQ

2006

1997

AIVQ

2006

50 ans

0,007

0,012

0,020

0,022

60 ans

0,015

0,018

0,032

0,032

55 ans 65 ans

Femmes

0,010 0,021

0,015 0,021

0,025 0,042

0,026 0,036

50 ans

0,010

0,016

0,031

0,036

60 ans

0,019

0,023

0,055

0,055

55 ans 65 ans

0,014 0,027

0,019 0,027

0,041 0,067

0,042 0,058

On peut également modéliser l’estimation des probabilités en intégrant l’effet de l’éducation. Le tableau 6 montre les probabilités prévues d’un besoin d’aide pour les AVQ et les AIVQ, pour un homme blanc ou une femme blanche non hispanique de 55 ou 65 ans ayant soit un faible niveau d’instruction, soit un niveau supérieur. L’effet de l’éducation est assez fort. Retraite et société 59 > août 2010


Tendances de l’incapacité dans les activités de la vie quotidienne

71

Ainsi, une personne de 65 ans ayant un faible niveau d’instruction présente une probabilité estimée d’avoir besoin d’aide à la fois pour les AVQ et les AIVQ qui est environ du double de celle d’une personne ayant suivi davantage d’études. Pour les quinquagénaires, à l’intérieur des groupes par niveau d’études, on observe une hausse du besoin d’aide pour les AVQ et les AIVQ entre 1997 et 2006. Pour les sexagénaires, on ne constate aucun changement notable dans le besoin d’aide estimé pour les AVQ. Le besoin d’aide pour les AIVQ affiche des tendances temporelles différentes selon l’âge. Par exemple, entre 1997 et 2006, le besoin d’aide pour les AIVQ a augmenté chez des hommes et chez des femmes de 55 ans ayant un faible niveau d’instruction comme chez ceux ayant un niveau élevé. Dans le même temps, hommes et femmes de 65 ans ayant, pour certains, un faible niveau d’instruction et pour d’autres un niveau élevé présentent, selon les estimations, un besoin d’aide moindre. TABLEAU 6 Estimations de la probabilité d’avoir besoin d’aide dans les AVQ et les AIVQ à différents âges avec un niveau d’instruction faible/élevé (pour les hommes blancs/ les femmes blanches non hispaniques) Hommes blancs non hispaniques 55 ans

Niveau d’instruction faible Niveau d’instruction élevé 65 ans

Niveau d’instruction faible Niveau d’instruction élevé

Femmes blanches non hispaniques 55 ans

Niveau d’instruction faible Niveau d’instruction élevé 65 ans

Niveau d’instruction faible Niveau d’instruction élevé

1997

AVQ

AIVQ

2006

1997

0,017

0,023

0,041

0,047

0,032

0,032

0,067

0,062

0,022

0,030

0,068

0,074

0,042

0,041

0,105

0,098

0,009 0,016

0,011 0,021

0,012 0,016

0,015 0,041

0,021 0,033

0,034 0,053

2006

0,023 0,030

0,037 0,049

Pour étudier l’effet de l’obésité, nous estimons le besoin d’un homme ou d’une femme de 55 ou 65 ans ayant un faible niveau d’instruction dans le cas où cette personne est obèse et dans celui où elle ne l’est pas (tableau 7). Nous incluons dans nos estimations les effets de l’interaction du genre et de l’obésité. L’obésité est associée à une probabilité accrue d’avoir besoin d’aide pour les AVQ au sein de tous les groupes et aux deux moments étudiés, même si l’effet est plus marqué chez les femmes: pour les hommes, l’obésité relève de respectivement 35 % et 36 % la probabilité d’avoir besoin d’aide, alors que chez les femmes, elle double cette probabilité. La tendance temporelle diffère en fonction de l’âge. La probabilité d’avoir besoin d’aide pour les AVQ pour les personnes de 55 ans augmente de plus de 50 % lorsqu’elles sont obèses, alors que la hausse est faible chez les personnes de 65 ans. Retraite et société 59 > août 2010


72

L’état de santé des travailleurs âgés

Pour les hommes quinquagénaires ou sexagénaires, l’obésité est liée à une augmentation de 27 % à 28 % de la probabilité d’avoir besoin d’aide pour les AIVQ dans les deux années étudiées. Chez les femmes, en revanche, l’obésité a pour effet de doubler la probabilité d’avoir besoin d’aide pour les AIVQ dans ces deux âges et aux deux moments examinés. Là encore, les tendances temporelles divergent. Pour les hommes et les femmes de 55 ans, le besoin d’aide pour les AIVQ s’accroît d’environ 20 %, que la personne soit obèse ou non, alors que chez les hommes et les femmes obèses et non obèses de 65 ans, on observe de légères améliorations entre 1997 et 2006. TABLEAU 7 Estimations de la probabilité d’avoir besoin d’aide pour les AVQ et les AIVQ chez les personnes obèses/non obèses (pour les hommes blancs/les femmes blanches non hispaniques à différents âges et avec un niveau d’instruction faible). Hommes blancs non hispaniques, 55 ans, niveau d’instruction faible Non obèses Obèses

Hommes blancs non hispaniques, 65 ans, niveau d’instruction faible Non obèses Obèses

Femmes blanches non hispaniques, 55 ans, niveau d’instruction faible Non obèses Obèses

Femmes blanches non hispaniques, 65 ans, niveau d’instruction faible Non obèses Obèses

1997

AVQ

AIVQ

2006

1997

0,017

0,026

0,054

0,064

0,028

0,029

0,077

0,073

0,018

0,028

0,067

0,080

0,030

0,031

0,097

0,091

0,023

0,038

0,036

0,058

0,036

0,040

0,054

0,061

0,069

0,098

0,134

0,186

2006

0,082

0,093

0,157

0,177

Conclusion Nous nous sommes efforcés d’examiner si les améliorations dans l’incapacité enregistrées dans les années 1990 se poursuivaient au début du XXIe siècle. Pour les hommes et les femmes de 50 à 69 ans, nous constatons peu d’améliorations. Parmi les plus jeunes de l’échantillon, aussi bien les hommes que les femmes ont davantage besoin d’aide pour les AVQ et les AIVQ. Ce besoin n’a pas eu tendance à s’accentuer chez les personnes plus âgées de l’échantillon, et l’on a encore noté quelques améliorations chez les plus de 65 ans dans les capacités physiques au regard des AIVQ. L’ampleur des changements observés s’est révélée légèrement moindre que ce que l’on aurait observé en l’absence de progression continue du niveau d’instruction de la population américaine. En revanche, la prise en compte des légères augmentations de l’obésité dans ce groupe d’âge n’a pas permis d’éliminer l’effet observé, signe que l’obésité n’explique pas les tendances. Retraite et société 59 > août 2010


Tendances de l’incapacité dans les activités de la vie quotidienne

73

Notre analyse examine les tendances temporelles observées dans la prévalence de l’incapacité à effectuer les AVQ et les AIVQ. Il est impossible de savoir si ces différences découlent d’incapacités récentes ou de problèmes plus anciens. Il se peut que ces cohortes souffrent depuis longtemps d’une santé et de fonctions physiques moins bonnes que les cohortes précédentes, mais qu’elles soient à présent des « personnes âgées » en moins bonne santé que les cohortes précédentes. Dans des travaux précédents, Reynolds et al. (1998) ont trouvé des éléments montrant des possibilités d’augmentation de l’incapacité chez les baby-boomers les plus âgés. Plus précisément, ils ont constaté une augmentation du nombre de personnes mentionnant des limitations et inaptitudes à accomplir leur activité principale dans les cohortes nées après la seconde guerre mondiale, alors qu’ils observaient une diminution chez celles nées plus tôt. Ils ont également noté une augmentation de la prévalence des troubles musculosquelettiques chez les hommes nés pendant le baby-boom, de l’asthme et des problèmes orthopédiques chez les femmes nées durant cette période (Reynolds et al., 1998). Outre l’augmentation de l’obésité chez les cohortes nées plus tardivement (Reynolds et Himes, 2007), il existe d’autres explications possibles à ces constats, notamment la diminution de la consommation de lait et de l’activité physique chez les plus jeunes. Nos constats semblent corroborer ce point de vue et sont cohérents avec ceux de Martin et al. (2009). Ces derniers ont examiné différents types de capacités physiques chez des groupes un peu plus jeunes (40-59 ans), en s’appuyant eux aussi sur les NHIS entre 1997 et 2006. S’ils ont constaté des améliorations, ils ont également observé, à l’instar de Lakdawalla et al. (2004), que le nombre de personnes ayant besoin d’une aide pour les AVQ augmentait. Étant donné que les groupes d’âge examinés ici sont proches de l’âge de la retraite, le besoin croissant d’assistance dans les gestes de la vie courante et les besoins ordinaires risquent de faire peser un poids supplémentaire sur un système de financement et de prestation de soins de long terme, Medicare, auquel on demande déjà beaucoup aux États-Unis. Il convient de noter que l’augmentation de ce type d’incapacité n’implique pas un accroissement de l’incapacité sur l’ensemble du spectre. Nous observons une hausse de ce que l’on pourrait qualifier d’incapacité sévère. Il est possible que l’incapacité moins sévère évolue différemment sur la même période (Reynolds et Crimmins, 2010). Cette étude souffre toutefois de limitations, notamment parce qu’elle s’appuie sur des estimations de l’incapacité émanant des sujets euxmêmes. Sa définition de l’incapacité peut en fait se rapprocher de celles de la dépendance et de l’inaptitude à vivre seul ou à effectuer les gestes de la vie courante, souvent caractérisées par divers items des AVQ ou des AIVQ. De plus, l’utilisation de l’IMC à partir du poids et de la taille indiqués par les sujets eux-mêmes peut conduire à une sous-estimation de l’obésité et de ses effets. Néanmoins, les définitions de l’incapacité et de l’obésité sont constantes sur l’ensemble de la période examinée, si bien que l’analyse tendancielle reste adéquate. De surcroît, la nécessité de tenir compte de la prévalence croissante de l’obésité a réduit la taille Retraite et société 59 > août 2010


74

L’état de santé des travailleurs âgés

de notre échantillon original, même si la tendance de l’obésité est suffisamment significative pour justifier de procéder ainsi. Pour inverser ce qui apparaît comme une tendance négative dans l’état de santé des personnes qui approchent de la retraite, le gouvernement américain devra investir davantage dans les efforts de santé publique visant à encourager l’autonomie dans les fonctions physiques et l’élimination de l’incapacité et de l’obésité, de sorte que l’état de santé de la population âgée ne cesse de s’améliorer.

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Tendances de l’incapacité dans les activités de la vie quotidienne

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Retraite choisie ou retraite subie ? Les effets de la retraite et du maintien en emploi sur la santé

Chantale Lagacé,

Collège de Maisonneuve et Groupe de recherche sur les transformations du travail, des âges et des politiques sociales (www.Transpol.org), Institut national de la recherche scientifique (INRS), Montréal.



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urant les années 1980-1990, parallèlement aux grandes vagues de restructuration des entreprises, les travailleurs vieillissants ont été définis comme un groupe improductif à mettre au rancart en faveur des « jeunes » (discours occultant les pratiques d’attrition). Cette définition accompagnait de nombreuses mises à la retraite anticipées et une baisse de l’activité sur le marché du travail des travailleurs de 55 ans ou plus. Ces pratiques ont normalisé la baisse de l’âge de la prise de la retraite, souvent sans tenir compte ni des choix ni des besoins des individus concernés. Elles ont été socialement définies comme une manière acceptable de réduire la main-d’œuvre des entreprises (Lesemann et D’Amours, 2006). Si la baisse d’activité rémunérée à partir de 55 ans est devenue une norme sociale et si la retraite anticipée est devenue un statut valorisé, donc une aspiration, ce n’est pas le résultat d’une agrégation de choix individuels, mais bien celui d’une transformation du marché du travail.

Depuis quelques années, face à une inquiétude relative à d’éventuelles pénuries de main-d’œuvre1 et à l’incapacité appréhendée des caisses de retraite d’absorber les effets du vieillissement de la population, on observe un retournement de cette définition. Les travailleurs vieillissants sont davantage dépeints comme une source d’expérience inestimable pour les entreprises et ils devraient, dit-on, être encouragés à demeurer en emploi. Dès lors, les gouvernements des sociétés où la population vieillit repensent graduellement les pratiques de retraite et font une promotion, plus ou moins intensive, de ce qu’il est dorénavant convenu d’appeler le « maintien en emploi ». Cette préoccupation répond d’abord à des fonctions politiques et économiques, mais elle crée de concert une nouvelle image des travailleurs vieillissants. L’idée de vieillissement « actif » ou « productif » (productive aging) comporte le postulat que l’engagement productif est en lui-même une bonne chose (Luoh, Herzog, 2002 ; Morrow-Howell, Hinterlong, et al., 2001, Taylor, Bengtson, 2001), autrement dit, le maintien durant la vieillesse des activités de l’âge adulte actif serait une garantie de vieillissement « réussi ». Mais pour certains, ce postulat n’est pas confirmé par la recherche (Taylor, Bengtson, 2001) ou alors peu documenté (Richardson, Kilty, 1991) et fortement normatif. 1 Inquiétude qu’il y a lieu de relativiser, voir à ce sujet Lagacé, 2005 ; Lesemann et Goyette,

2003 ; Hicks, 2003 ; Laroche, 2003.

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L’état de santé des travailleurs âgés

L’Institut national de santé publique du Québec s’interroge actuellement sur les répercussions potentielles sur la santé qu’entraîneraient d’éventuelles modifications dans les pratiques associées à la retraite, notamment sur la question du maintien en emploi. Cet article rend compte des résultats d’une recension de la littérature scientifique que nous avons effectuée en vue d’alimenter cette réflexion. La première partie est consacrée à la présentation des effets de la retraite et du maintien en emploi sur la santé physique et psychologique. Dans la deuxième partie, nous proposons une réflexion sur l’effet du caractère contraint ou volontaire des décisions, déterminant pour la santé et révélateur des inégalités sociales.

Les effets de la retraite et du maintien en emploi sur la santé Aspects méthodologiques de la recension de la littérature Les indicateurs de l’emploi, de la retraite et de la santé

Les efforts de recension ont porté avant tout sur les recherches empiriques visant à identifier, dans les champs des sciences sociales, de la psychologie et de la santé, les effets de la retraite et du maintien en emploi sur la santé. La recherche s’est faite tant par la consultation des bases de données bibliographiques que par l’identification de la littérature grise. Dans les études sur la santé des retraités, les mesures d’activité sont variables. La notion de productive aging a élargi la définition de l’activité productive. Seulement, il n’y a pas d’accord sur ce que pourrait être une liste adéquate; c’est pourquoi on y trouve le jardinage, l’aide à autrui, le travail domestique, le travail rémunéré, le bénévolat, etc. Étant donné les différences majeures entre ces activités et le travail, il faut se demander si l’on peut, dans l’état actuel de l’organisation sociale et compte tenu des contraintes institutionnelles et des inégalités sociales associées à l’emploi, les amalgamer au travail rémunéré et en tirer des leçons sur le maintien en emploi. Quoi qu’il en soit, c’est le travail rémunéré qui a fait l’objet de notre attention. Si les mesures longitudinales sont présentes (quoique typiquement sur de courtes périodes), plusieurs études établissent l’effet de la retraite en comparant des groupes de retraités et de travailleurs, idéalement en contrôlant l’âge et d’autres données socio-économiques ou démographiques. L’effet de sélection a donc fait l’objet de grandes discussions dans ce champ de recherche. Minkler (1981) le soulignait déjà et elle a été suivie par bien d’autres : les travailleurs en moins bonne santé ont tendance à quitter l’emploi lorsqu’ils sont plus jeunes. Par conséquent, les études qui portent sur les travailleurs approchant l’âge de la retraite concernent un segment de la population de cet âge en meilleure santé. Les mesures de la retraite et de l’occupation d’un emploi varient. Souvent, elles sont le fait de l’autodéclaration des répondants, plus rarement, elles seront établies par les chercheurs suivant divers critères de classement (toucher ou non un revenu de retraite, travailler moins d’un certain nombre d’heures, etc.). Retraite et société 59 > août 2010


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La santé physique est, dans l’immense majorité des cas, mesurée par l’autodéclaration des répondants, soit par des questions portant sur l’état de santé global ou sur la perception d’un changement dans l’état de santé entre deux périodes définies, soit par les réponses à une série de questions portant sur des indicateurs de santé, diagnostiqués cliniquement ou non (listes de maladies, limitations fonctionnelles, incapacités, condition physique, comportements sanitaires). Dans quelques très rares cas, les données proviennent d’examens cliniques. Étant donné l’imprécision et la complexité du concept de « santé mentale », il n’est pas étonnant que ses Les travailleurs en moins mesures soient variées et matière à débats. La littérature bonne santé ont tendance utilise massivement les concepts d’adaptation, de moral à quitter l’emploi lorsqu’ils et de satisfaction (Drentea, 2002 ; Ross, Drentea, 1998 ; sont plus jeunes. Warr, 1998 ; Bossé et coll., 1987 ; Jakubowski, 1985). Or, si ces mesures peuvent être vues comme des reflets partiels de la santé mentale, elles n’en sont pas l’équivalent, même si un certain glissement de sens les présente comme des mesures apparentées (Bossé et coll., 1987 ; Jakubowski, 1985 ; Kasl, 1979). Les mesures telles que la « satisfaction » et « l’adaptation » reflètent tout autant les attentes (tacites dans les enquêtes) des répondants que des problèmes objectifs (Drentea, 2002). Celles comme la dépression ou l’anxiété sont probablement, de ce point de vue, de meilleurs indicateurs des conséquences psychologiques de la retraite (Drentea, 2002). Par conséquent, c’est d’abord sur elles que nous nous sommes concentrés, tout en considérant quelques travaux sur l’adaptation ou la satisfaction lorsqu’ils nous semblaient apporter des informations supplémentaires, des pistes non couvertes par les travaux sur les troubles psychologiques. Remarques sur la relative rareté de la documentation sur le maintien en emploi

Bien qu’elle fasse l’objet d’une préoccupation politique grandissante dans le contexte du vieillissement de la population, la réalité concrète du maintien en emploi, à plus forte raison sur la question de ses effets sur la santé des travailleurs, est très peu documentée empiriquement (Calvo, 2006 ; Bellaby, 2006; Phillipson et Smith, 2005; Bender, 2004; Morrow-Howell, Hinterlong et Sherraden, 2001 ; Hirsch, 2000). Nous avons constaté que les synthèses en gérontologie portant sur la notion même d’activité durant la vieillesse ne lui accordent pas ou peu d’attention. Les références citées dans plusieurs articles sont souvent datées, dans un univers de recherche où la nouveauté est pourtant la norme. Enfin, la consultation de rapports de diverses organisations préoccupées par les politiques sur le vieillissement de la main-d’œuvre est tout à fait éloquente et indique que l’on y traite de la santé principalement comme un facteur de production. Les rares traces de préoccupations pour la santé des travailleurs vieillissants concernent la nécessité de réorganiser le travail afin de conserver la main-d’œuvre ou de promouvoir la santé pour maintenir les capacités productives des travailleurs. Les approches Retraite et société 59 > août 2010


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politiques des six pays (Canada, États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Australie) ayant pris part au projet Workforce aging in the new economy (WANE)2 ne tiennent compte ni de la diversité des parcours de vie et d’emploi, ni de la santé (Cooke, 2006). Cette situation, qui semble à première vue étonnante étant donné l’ampleur des discours sur la question des retraites et le maintien en emploi, s’explique sans doute par le contexte et la manière de poser la question du vieillissement en emploi. Le caractère urgent de cette question n’a été perçu que récemment et accompagne le retrait prochain de la génération du baby-boom. La revalorisation de la main-d’œuvre âgée qui en découle, même si elle n’est pas inédite, est, dans sa forme actuelle, relativement récente. Ensuite, et c’est sans doute ce qui est le plus déterminant, la question du maintien en emploi est posée à peu près exclusivement en termes Les discours sur le vieillissement instrumentaux. Les discours sur le vieillissement de la main-d’œuvre sont le plus de la main-d’œuvre, et plus généralement sur souvent alarmistes. celui de la population, sont le plus souvent alarmistes et centrés sur les régimes de retraite, le système de santé, le volume de main-d’œuvre disponible, la performance des entreprises et celle des économies nationales. Enfin, la notion de « maintien en emploi » demeure normative. En effet, on suppose que les individus « devraient » demeurer en emploi, que l’on « devrait » promouvoir ce maintien en emploi et que cette promotion « produira » du maintien en emploi. La crainte d’une éventuelle pénurie de main-d’œuvre a entraîné une agitation prescriptive visant à définir des moyens (considérés adéquats du point de vue des organisations) de la retenir. Les connaissances sur la pénétration réelle de ces moyens sont assez limitées, mais des recherches montrent que leur utilisation n’est pas très répandue (Lagacé, 2005 ; Minni et Topiol, 2002). Il faut néanmoins reconnaître que les taux d’activité ont augmenté chez les travailleurs les plus âgés au cours de la décennie qui s’achève. Mais cela s’explique davantage par l’effet d’une baisse globale du chômage (si l’on excepte les années récentes), des pertes subies dans les fonds de pension suite à la chute des valeurs boursières et par la transformation de nombreux régimes de retraite à prestations déterminées en régimes à cotisations déterminées (Lesemann et D’Amours, 2006 ; Cooke, 2006).

Maintien en emploi, retraite et santé

Les effets du maintien en emploi sur la santé

Les études sur la santé en lien avec le vieillissement suggèrent que le travail aurait des effets positifs tant sur le plan physique que psychologique (Calvo, 2006). Cette idée naît de l’association du travail et de l’activité en général, posée comme ayant des effets bienfaisants sur la santé. Elle provient aussi du fait que la retraite est perçue, à l’inverse du travail, comme une perte 2 Des mesures pour encourager la participation au marché du travaildes travailleurs dits « âgés ».

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du rôle social, ce qui entraîne des effets négatifs sur la santé. Mais, comme nous venons de le voir, l’effet du maintien en emploi est peu étudié empiriquement (Calvo, 2006). Il s’agit donc plus d’un postulat, en l’état actuel des connaissances, que d’une conclusion qui s’appuie sur des études. L’activité en général est considérée comme bénéfique pour la santé des personnes âgées (Hinterlong, 2006 ; Luoh et Herzog, 2002). Toutefois, les niveaux d’activité nécessaires à une bonne santé seraient très faibles, une centaine d’heures par an suffiraient et il semble que les augmentations d’activité au-delà de ce seuil n’aient pas d’effets (Luoh et Herzog, 2002). Le bienfait de l’activité reste inchangé lorsqu’on distingue les activités rémunérées des autres, ce qui indique que ce n’est pas le travail en soi qui est bénéfique, mais bien l’activité en général (Hinterlong, 2006). Il semble également que la variété des activités soit positive pour la santé (Hinterlong, 2006). Toutefois, le contrôle des variables sociodémographiques et de la santé antérieure atténue la relation entre activité et santé. Il s’agit donc sans doute, en partie, d’un effet de sélection. Quelques recherches indiquent néanmoins que le travail a des effets positifs sur la santé physique et mentale des travailleurs âgés (Calvo, 2006 ; Luoh et Herzog, 2002 ; Herzog, House et Morgan, 1991 ; Bossé et coll., 1990 ; Erickson et coll., 1986). Toutefois, plusieurs de ces études ne tiennent pas compte d’un effet possible de sélection (Calvo, 2006). Pour remédier à ce problème, Calvo (2006) analyse donc des données longitudinales (2000 et 2002) et contrôle partiellement l’effet de sélection en associant les indicateurs de santé deux ans avant l’étude à ceux de 2002. Les résultats indiquent que les individus qui étaient en emploi en 2000 éprouvaient un bien-être plus longtemps (deux ans de plus) que ceux qui n’étaient plus en activité. Le fait de travailler réduit la probabilité de déclarer maladies, limitations ou dépression. L’emploi protégerait également de la mortalité. L’exception réside dans les emplois où les conditions de travail sont nuisibles à la santé (Calvo, 2006). En, effet, l’activité physique (entre Le bienfait de l’activité reste autres choses) liée à l’emploi produirait cette inchangé lorsqu’on distingue les association entre travail et santé (Ohrui et coll., activités rémunérées des autres. 2004). Toutefois, cette conclusion est tirée d’une étude menée au Japon, auprès des hommes les plus instruits de la population (diplômés d’une école universitaire de génie). On ne saurait donc en généraliser les résultats, même si, sur cette base, ses auteurs encouragent le maintien en emploi. Certains travaux rapportent à l’inverse des effets négatifs du maintien en emploi. Par exemple, chez les travailleurs belges les plus âgés (Burnay, Kiss, Malchaire, 2005), les troubles psychologiques sont plus fréquents que chez les préretraités ou les sans-emploi. Il faut toutefois noter que la catégorie des travailleurs inclut ici non seulement ceux qui ont un emploi stable, mais également les travailleurs temporaires et ceux qui vivent dans l’insécurité d’emploi (dont on peut penser qu’ils sont plus touchés par les troubles psychologiques). Les limitations touchent davantage, et plus Retraite et société 59 > août 2010


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précocement, les travailleurs manuels, ce qui laisse supposer un accroissement des inégalités dans un contexte de maintien en emploi plus généralisé (Bellaby, 2006). Bref, dans le contexte où les conditions de travail ne sont pas nuisibles pour la santé, la rémunération adéquate, le travail épanouissant, mais surtout, où le fait de demeurer ou de retourner en emploi est le résultat d’une décision volontaire et non d’une contrainte due aux circonstances (matérielles, par exemple), il existe très peu d’indications dans la littérature consultée précisant que le maintien en emploi est négatif pour la santé. Il semble acquis que l’activité en général est associée à de meilleurs états de santé. Mais cela ne dit rien sur les circonstances de l’activité, ni sur la relation inverse : le fait d’être en bonne santé au départ permet de maintenir un niveau d’activité qui, en retour, maintient ou améliore la condition physique et psychologique. Il faut sans doute ajouter ici que les études citées portent sur des individus qui n’ont pas forcément atteint l’âge « conventionnel » de la retraite. On peut donc difficilement en tirer des conclusions sur le maintien en emploi passé cet âge. Les effets de la retraite sur la santé

A priori, en comparant des groupes de travailleurs à des groupes de retraités, plusieurs recherches indiquent que la retraite a un effet négatif sur la santé (Dhaval, Rashad et Spasojevic, 2006 ; Gill et coll., 2006 ; Buxton, Singleton et Melzer, 2005 ; Charles, 2002 ; Drentea, 2002 ; Drentea et Ross, 1998 ; Bossé, Aldwin et Ekerdt, 1987). Mais ces effets ne sont pas constatés dans d’autres études (Villamil, Huppert et Melzer, 2006 ; Butterworth et coll., 2006 ; Newman, 2004 ; Fonseca et Paúl, 2004 ; Martikainen et coll., 2003 ; Mein et coll., 1998 ; Gall, Evans et Howard, 1997 ; Ekerdt et coll., 1983). C’est le contrôle des différentes circonstances associées à la retraite ou des caractéristiques des retraités qui atténue, le plus souvent, les effets qui sont constatés au départ : l’âge, la définition des populations, le statut occupationnel et le caractère contraint ou volontaire de la retraite. Malgré des résultats qui paraissent contradictoires à première vue, la retraite ne semble pas avoir en elle-même d’effets négatifs sur la santé, pourvu qu’elle ait lieu dans des conditions matérielles et sociales convenables et surtout qu’elle soit volontaire. En fait, la conclusion la plus générale que l’on pourrait tirer La retraite ne semble pas avoir en elle-même d’effets est celle de Marshall, Clarke et Ballantyne (2001) à négatifs sur la santé, savoir que la retraite est neutre ou positive pour la pourvu qu’elle ait lieu dans santé, sauf en ce qui concerne la retraite involontaire des conditions matérielles qui est négative pour la santé. et sociales convenables.

Le contrôle de l’âge est particulièrement important, pour plusieurs raisons. D’abord, même si ce n’est pas systématique, l’avancée en âge s’accompagne souvent d’une détérioration de la santé. Pour cette raison, le contrôle de l’âge dans les études sur les effets de la retraite sur la santé fait disparaître une partie, sinon la totalité, des effets

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observés (Martikainen et coll., 2003 ; Ekerdt et coll., 1983). Ensuite, l’âge de la retraite est une norme sociale, et le fait de prendre sa retraite prématurément a été identifié comme une cause de maladie ou de détresse, alors que lorsqu’elle est prise à l’âge conventionnel, la retraite n’a pas d’effets sur la santé (Villamil, Huppert, Melzer, 2006 ; Butterworth et coll., 2006 ; Gill et coll., 2006 ; Bossé et coll., 1987). Enfin, l’âge est, bien entendu, corrélé à la durée de la retraite. Les effets de la retraite varient à court et à long terme ; s’il y a déclin de la santé, il est graduel plutôt que soudain (Gall, Evans, Howard, 1997). À court terme, la détresse psychologique diminue alors que l’énergie et la satisfaction augmentent. À long terme, la santé, tant psychologique que physique, se détériore (Gall, Evans, Howard, 1997), mais plus le temps passe et plus il devient difficile de distinguer ce qui découle de la retraite des conséquences d’autres événements de la vie. Toujours en lien avec l’âge, un aspect plus subjectif doit être à considérer également, d’autant plus que les recherches s’appuient souvent sur une autodéclaration de santé. Pour les personnes vieillissantes, la santé est souvent l’une des plus importantes préoccupations pour l’avenir (Levet, 2005, Mein et coll., 1998). La préoccupation pour la santé est un reflet de l’adhésion graduelle au rôle social de « personnes âgées » et entraîne une plus grande sensibilité aux symptômes de toutes sortes (Mein et coll., 1998). On ne peut, par ailleurs, négliger l’effet de sélection évoqué plus haut. Plusieurs auteurs font en effet observer que la corrélation établie au départ entre retraite et maladie ou santé (tant physique que psychologique) disparaît le plus souvent ou quelquefois s’inverse lorsque l’on tient compte du fait qu’une grande partie des retraites est prise pour des raisons de santé (Dhaval, Rashad et Spasojevic, 2006 ; Bossé, Aldwin, Levenson et Ekerdt, 1987 ; Ekerdt et coll., 1983). L’occupation est elle aussi déterminante des effets de la retraite (Villamil, Huppert et Melzer, 2006, Pour les hommes qui ont Drentea, 2002 ; Jakubowsi, 1987). Pour les hommes connu des conditions de qui ont connu des conditions de travail délétères travail délétères, la retraite (stress au travail, horaires imprévisibles, contrôle est une expérience positive. excessif, travail ennuyeux, faible rémunération, insécurité d’emploi, etc.), la retraite est une expérience positive (Neuman, 2004 ; Theorell, 2001). Le mieux-être s’expliquerait tant par le retrait d’une activité nuisible que par des activités de remplacement favorables à la santé, notamment au plan psychologique. La détresse et l’anxiété diminuent parce que les activités des retraités sont plus routinières, plus autonomes, aussi agréables que le travail rémunéré et elles impliquent moins de contacts avec autrui, moins de résolution de problèmes et moins d’apprentissage (Drentea, 2002). À l’inverse, chez les professionnels, on observe plus de dépression suite à la prise de la retraite, à cause du sentiment d’une perte de statut (De Grâce et coll., 1994). Les observations contradictoires concernant les effets de la retraite pourraient s’expliquer en partie par le fait qu’elles ne tiennent pas toujours compte du statut occupationnel antérieur. Retraite et société 59 > août 2010


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L’importance pour la santé des contraintes associées à la retraite et au maintien en emploi La recension des effets de la retraite et du maintien en emploi sur la santé met donc en relief l’importance de prendre en considération les circonstances de la retraite. Bien que l’on conçoive généralement la retraite comme une interruption de l’activité rémunérée, cette compréhension fait l’impasse sur la variété des événements qu’elle recouvre. Par exemple, la retraite est-elle prise à l’âge que l’on pourrait appeler « conventionnel » ou, au contraire, à un âge précoce ou tardif ? La retraite est-elle plutôt une option de rechange à une situation de chômage ? Plus largement, la retraite est-elle choisie ou imposée par les circonstances ? Est-elle ou non suivie d’une activité professionnelle (à temps plein ou partiel, plus ou moins temporaire) ? L’activité professionnelle durant la retraite est-elle choisie ou forcée par les circonstances (par exemple financières) ? L’activité professionnelle durant la retraite est-elle équivalente en rémunération, en qualifications et en responsabilités à celle de la carrière ou offre-t-elle des conditions inférieures ? Toutes ces circonstances sont à même d’influencer l’expérience de la retraite ou du maintien en emploi, en particulier l’état de santé. Le caractère contraint ou choisi de la retraite et du maintien en emploi est identifié comme particulièrement important pour la santé. Plusieurs auteurs ont fait remarquer qu’en contrôlant le caractère subi ou choisi de la retraite, les effets négatifs qui lui sont imputés disparaissent. La même chose est dite du maintien en emploi, qui doit être choisi pour être positif. Bref, une conclusion forte de cette littérature est qu’en cas de décision volontaire, ni la retraite, ni le maintien en emploi n’entraînent de maladies ou de troubles psychologiques. À l’inverse, les statuts involontaires sont associés à des problèmes de santé et à des troubles psychologiques. Les effets négatifs de la retraite seraient donc le reflet de l’absence de contrôle des individus sur la décision de la retraite ou du maintien en emploi. En effet, à l’exception de Ekerdt et coll. (1983) dont les conclusions sont fondées sur un Le caractère contraint ou choisi de échantillon de volontaires, les études qui la retraite et du maintien en emploi tiennent compte des contraintes dans les est identifié comme particulièrement décisions de retraite n’observent pas d’effets important pour la santé. négatifs et, dans certains cas, constatent plutôt que la retraite est positive, particulièrement au plan psychologique (Villamil, Huppert et Melzer, 2006, Gill et coll., 2006 ; Joly, 2004 ; Bender, 2004 ; Drentea, 2002 ; Charles, 2002 ; Marshall, Clarke et Ballantyne, 2001 ; Isaksson et Johansson, 2000 ; Elder et Rudolph, 1999 ; Ross et Drentea, 1998 ; Shultz, Morton et Weckerle, 1998 ; Herzog, House et Morgan, 1991 ; Jakubowski, 1985). Quelles sont donc les circonstances des choix associés à la retraite ou au maintien en emploi ? Les lignes qui suivent portent sur cette question. Retraite et société 59 > août 2010


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Le caractère contraint ou volontaire de la retraite Les résultats portant sur l’effet du choix sont de toute première importance si l’on considère la fréquence de la retraite involontaire3. Au Canada, les données de l’Enquête sociale générale (2002) indiquent que 26 % des retraites seraient involontaires (McDonald, 2006). La proportion est différente pour les hommes (27 %) et les femmes (22 %). Les principales raisons de la retraite involontaire sont par ordre d’importance : la santé (la moitié des retraites involontaires), la retraite obligatoire (autorisée dans certaines provinces canadiennes, mais pas au Québec), le chômage (McDonald, Donahue et Marshall, 2000). Le passage abrupt d’un emploi à l’inactivité occupationnelle totale est loin d’être un scénario universel. En ce qui concerne les sorties d’activité précoces, elles peuvent être regroupées en deux grands types de statuts : ceux assimilables au chômage et ceux assimilables à la retraite (Crespo, 1999), statuts qui pèsent lourdement sur le « choix ». « La description abstraite des fins d’activité pourrait dissimuler le fait que la décision propre des intéressés pèse peu en définitive dans la détermination de l’âge de la mise à la retraite, parce qu’ils ne peuvent pas « faire autrement » que ce qu’on leur impose. » (Pitrou, 2006) L’expérience de sortie d’activité variera en fonction de la légitimité sociale du statut. Les conceptions L’expérience de sortie d’activité contemporaines liées au travail font du chômage, variera en fonction de la particulièrement celui de longue durée, une expérience légitimité sociale du statut. douloureuse qui peut être contrecarrée par une prise de distance envers ce statut. Le passage à des statuts qui « déchargent de l’obligation sociale d’exercer un emploi » (Crespo, 1999) atténue ces effets. Or, les pratiques d’entreprises – qui se situent à l’exact contrepoint des discussions sur l’allongement de la vie professionnelle et du maintien en emploi – ont largement déguisé le chômage en retraite. L’abaissement de l’âge de la retraite dans les années 1980 et 1990 est fortement lié au contexte de chômage massif, si bien que l’on peut assimiler une bonne partie des retraites anticipées à du chômage déguisé (Dubois et Ntetu, 2002; Henrard, 2002; Taddei, Charpin, Davanne et Abitbol, 2000). Pour certains, cela s’est fait dans de bonnes conditions. Cette retraite anticipée ressemblait alors davantage à un « choix ». Mais pour d’autres, non seulement la situation était subie, mais elle entraînait de surcroît, d’autres risques (santé, perte de revenus, de statut et de sécurité). Les travailleurs déplacés suite à des licenciements collectifs ou à des fermetures d’usines subissent des pertes importantes de gains d’emploi, même après un retour en emploi. Statistique Canada (2007) révèle en effet que la perte minimale dans de telles circonstances est de 9 %, ce taux s’accentue avec l’ancienneté, sans compter la difficulté connue de retrouver un emploi pour les travailleurs dits vieillissants, particulièrement pour les moins qualifiés ou pour ceux dont les qualifications sont jugées trop pointues. 3 Au Québec, la proportion s’établit à 43 % (Joly, 2004).

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Les raisons et les conséquences de la retraite varient selon que la retraite est volontaire ou non. Le tableau 1 démontre que les retraités involontaires ont moins accès à des pensions ou à des primes de départ anticipé, comptent plus souvent parmi les retraites créées par le chômage ou la réduction d’effectif, voient plus souvent leur situation financière se détériorer, trouvent moins souvent un emploi à la suite de la retraite et retournent davantage au travail pour des raisons financières. TABLEAU 1 Raisons et conséquences de la retraite selon le caractère volontaire ou involontaire de la retraite (Canada, 2002)

Raisons du premier départ à la retraite

Retraités volontaires qui n’auraient pas continué à faire un travail rémunéré

Retraités volontaires qui auraient continué à faire un travail rémunéré

Retraités involontaires

> Retraite financièrement accessible

79 %

74 %

34 %

> Primes de départ anticipé

19 %

27 %

13 %

> Accès à la pension

> Réduction des effectifs > Chômage

47 % 6% 1%

54 % 13 %

3%

26 % 25 % 15 %

> État de santé*

10 %

31 %

Reçoivent une prestation de retraite d’un ancien employeur Situation financière au moins équivalente depuis la première retraite Retour sur le marché du travail après la retraite > Ont trouvé un emploi rémunéré lors du retour

52 %

58 %

37 %

16 %

32 %

32 %

> Obligations familiales

> Retour pour raisons financières

7%

78 % 97 % 20 %

9%

67 % 90 % 41 %

43 %

8%

50 % 65 % 60 %

Lecture : parmi les retraités volontaires qui ne souhaitaient pas continuer à travailler, 79 % ont pris une première retraite, car celle-ci était financièrement accessible. C’était le cas pour 74 % des retraités volontaires qui auraient souhaité continuer à travailler, mais seulement 34 % des retraités involontaires sont partis parce que la retraite leur était financièrement accessible. Par ailleurs, 52 % des retraités volontaires qui ne souhaitaient pas continuer à travailler reçoivent une prestation de retraite de leur ancien employeur, alors que c’est le cas pour 37 % des retraités involontaires. Implicitement, le tableau indique donc que 63 % des retraités involontaires n’en reçoivent pas. * Parmi les retraités volontaires qui auraient continué de travailler et qui se sont retirés pour raison de santé, 65 % ont dit que cela leur était financièrement possible. Chez les retraités involontaires qui se sont retirés pour des raisons de santé, seulement 34 % ont affirmé que cela leur était financièrement possible. Source : Schellenberg et Silver (2004), d’après les données de l’Enquête sociale générale, 2002

La perception d’une retraite volontaire est plus fréquente chez les personnes plus scolarisées ainsi que dans les rangs professionnels et administratifs (Shultz, Morton et Weckerle, 1998). Il semble donc que le « choix » de la retraite fait partie du cumul de privilèges sur le marché du travail. Ce choix est bien évidemment une question de moyens matériels. Les moyens financiers prévus à la retraite sont inférieurs pour les femmes, les immigrants, les personnes en mauvaise santé, les veufs, les séparés et les divorcés (Townson, 2006 ; Shaw et coll., 1998). La « préparation financière » à la retraite est un déterminant important de la satisfaction envers la retraite (Shaw et coll., 1998). Il faut noter également, surtout en Retraite et société 59 > août 2010


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ces temps de responsabilisation, que la préparation financière est, au moins en partie, une question de moyens. Schellenberg (2004) rapporte, à partir des données de l’Enquête sociale générale (2002), que dans l’ensemble des Canadiens âgés de 45 à 59 ans, un tiers sont inquiets de leurs ressources financières à la retraite, surtout en fonction de leurs revenus, du fait qu’ils bénéficient ou non d’un régime de retraite, qu’ils possèdent ou non une maison, qu’ils sont ou non natifs du Canada (les immigrants ayant moins accès à des régimes de retraite, des périodes de cotisation plus courtes et des revenus inférieurs), de leur état matrimonial et de leur état de santé. Enfin, l’état de santé détermine fortement la capacité à demeurer ou non en emploi et sa détérioration limite les choix qui s’offrent aux individus (Buxton, Singleton et Melzer, 2005 ; Barnay, 2005 ; Derriennic, 2004 ; Derriennic, Saurel-Cubizolles et Montfort, 2003 ; Des Rivières, 2002 ; Shultz, Morton et Weckerle, 1998). Cette réalité renvoie aux inégalités sociales de morbidité et de mortalité (De Koninck et coll., 2008 ; Leclerc, Kaminski et Lang, 2008 ; Pampalon, Hamel et Gamache, 2008), y compris celles qui sont liées au travail (Gollac et Volkoff, 2006). De nombreuses recherches L’état de santé détermine fortement démontrent que les appartenances sociales et la capacité à demeurer ou non en les conditions de vie qui en découlent ont un emploi et sa détérioration limite les effet important sur la morbidité et la mortalité. « choix » qui s’offrent aux individus. Parmi les déterminants sociaux de la santé, le travail occupe une place de choix et ce, au moins à cinq titres : par le revenu qu’il procure, par son contenu et les conditions organisationnelles dans lesquelles il s’effectue, par le lien d’emploi (emploi dit « permanent », précarité, chômage), par la place occupée dans la hiérarchie, enfin, par le sens du travail et le soutien social qu’il facilite dans certaines circonstances.

Le caractère contraint ou volontaire du maintien en emploi Le maintien en emploi est déjà une réalité ou un souhait pour une partie des individus de 55 ans ou plus, dont certains se déclarent retraités. Au Canada4, après une première retraite, 24 % des hommes et 18 % des femmes occupent un emploi rémunéré, principalement à temps partiel, particulièrement dans les cas de retraite anticipée ou obligatoire (McDonald, 2006). Au Québec, Michaud (2001) rapporte que parmi les retraités récents, 4 sur 10 sont encore actifs sur le marché du travail ou veulent le demeurer. Les données canadiennes sont similaires (Projet de recherche sur les politiques, 2005 ; Schellenberg, 2004 ; Schellenberg et Silver, 2004). Puisque la retraite n’a pas nécessairement lieu au moment choisi par les travailleurs, environ 25 % d’entre eux reviennent sur le marché du travail. Un quart des travailleurs âgés ne prévoient pas de partir en retraite. Un tiers des retraités affirment qu’ils auraient travaillé plus longtemps moyennant un aménagement de leurs conditions de travail : 4 D’après les données de l’Enquête sociale générale de Statistique Canada (2002).

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s’ils avaient pu réduire leurs heures de travail, être mieux rémunérés, accomplir des tâches différentes, etc. Certains retraités (26 %) auraient travaillé plus longtemps s’ils avaient été en meilleure santé. Les caractéristiques des individus qui retournent en emploi, de même que le contexte de ce retour, diffèrent. Le retour en emploi après une retraite précoce est plus fréquent chez les gens en bonne santé, comme chez ceux qui n’aiment pas la retraite et sont attachés au travail ou qui ont des besoins financiers, chez les hommes, chez les plus instruits, chez les travailleurs indépendants (Lesemann, 2006 ; Singh, Verma, 2001 ; Morrow-Howell, Hinterlong, et al., 2001). En simplifiant, on peut distinguer deux grands types de situations : celle où le retour en emploi est lié à l’envie de travailler et l’autre où le retour en emploi est lié à la nécessité de travailler. La première situation est la plus valorisée et concerne ceux pour qui le maintien en emploi est un choix. Dans ce cas, le maintien en emploi est principalement le fait de ceux qui sont attachés au travail et qui bénéficient des conditions qui produisent cet attachement (rétribution matérielle satisfaisante, travail gratifiant qui n’est pas dommageable pour la santé, reconnaissance, stimulation, etc.). « L’engagement au travail » est un comportement louangé, mais l’on évoque rarement les conditions qui le produisent. En effet, il est, lui aussi, marqué par l’inégalité. Mein et coll. (1998) rapportent, à partir d’entretiens qualitatifs auprès de retraités de la fonction publique britannique, que les membres des niveaux hiérarchiques supérieurs se sentent davantage coupables de ne plus travailler et qu’ils associent le statut de retraité à une non-contribution à la société. Ils sont donc plus investis dans le travail, mais ils ont beaucoup plus de raisons de s’y investir. Certaines recherches ont révélé qu’en général les travailleurs plus âgés sont plus engagés dans leur travail (Hedges, 1983, cité par Shaw et coll., 1998) et une étude portant sur les PME manufacturières au Québec (Lagacé, 2003) démontre que cette perception est aussi celle des employeurs. Toutefois, cette relation s’explique en partie par le fait que le niveau occupationnel des travailleurs plus âgés est supérieur à celui des plus jeunes (Hanlon, 1986, cité par Shaw et coll., 1998). À l’inverse, il y a le cas de ceux qui, n’ayant pas les moyens de prendre leur retraite (insuffisance de revenus, de patrimoine accumulé ou d’accès à des rentes de retraite) sont forcés de demeurer en emploi, même si, dans certains cas, ils aspirent à la retraite. Le tableau 2 illustre le phénomène en indiquant les taux d’activité en fonction de l’accès à une pension de retraite. Sans accès à un tel revenu, l’activité est beaucoup plus élevée et l’écart s’accroît avec l’âge. TABLEAU 2 Taux d’activité selon l’âge et l’accès à une pension, Canada, 2003 Avec pension

Sans pension

50 ans

59 ans

87 %

76 %

71 %

46 %

Source : Wannell (2007), d’après Statistique Canada, données administratives longitudinales

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Pour les groupes discriminés sur le marché du travail et pour les pauvres, le maintien en emploi peut être une obligation (Hinterlong, MorrowHowell et Sherraden 2001). De même, le choix est théorique pour une grande partie des travailleurs, notamment pour ceux qui ont mené une carrière marquée par le chômage de masse et pour ceux qui, dans les milieux de travail, sont soumis aux pressions de l’âgisme (Taddei, Charpin, Davanne et Abitbol, 2000). Les travailleurs qui occupent des emplois très insatisfaisants ou exigeants peuvent légitimement voir la retraite comme une libération, ce qui ne permet aucune conclusion sur leur engagement envers le travail en général (Shaw et coll., 1998). On sait assez peu de chose sur ces travailleurs, d’abord parce qu’ils sont davantage poussés vers la retraite et parce qu’ils tendent à ne pas participer aux recherches menées par les employeurs (Shaw et coll., 1998).

Conclusion Une des conclusions les plus claires qu’offre la littérature sur les effets du maintien en emploi ou de la retraite sur la santé est que les statuts involontaires sont négatifs, surtout pour la santé psychologique. Or, la retraite involontaire est un phénomène courant (environ un quart des retraites au Canada) et la possibilité de choisir est inégalement répartie dans la population, surtout en fonction des inégalités socio-économiques et de l’état de santé. Il est donc permis de penser que les effets négatifs des statuts involontaires affectent en grande partie des sous-groupes de la population déjà vulnérables, surtout si l’on y inclut des gens exposés à des conditions de travail néfastes, mais qui n’ont pas les moyens de prendre leur retraite. Les pires scénarios pour la santé sont ceux de la retraite involontaire (surtout lorsqu’elle survient avant l’âge conventionnel) et du maintien en emploi dans des conditions de travail délétères ou pour nécessité financière. En lui-même, le maintien en emploi ne semble pas problématique pour la santé s’il est choisi, si les conditions de travail sont adéquates, si le travail n’est pas dommageable pour la santé et si le travailleur est en bonne santé. L’attachement au travail est aussi une condition favorable dont on sait relativement peu de chose, même si l’on a tendance à idéaliser cette notion lorsqu’on craint, à tort ou à raison, des pénuries de main-d’œuvre. On sait également peu de chose des retours en emploi pour nécessité financière. Ce phénomène mériterait d’autant plus d’être documenté qu’il est vraisemblablement lié à des situations de contrainte et il est démontré que celles-ci ont des effets négatifs sur la santé. À cela s’ajoutent toutes les situations de chômage, de précarité et d’instabilité professionnelle ainsi que les conditions auxquelles les individus sont soumis tout au long de leurs carrières. La réflexion sur le maintien en emploi ou la retraite doit se faire en tenant compte de la santé et des conditions de travail qui les précèdent. Ainsi, contrairement à une croyance populaire bien ancrée, les effets positifs ou négatifs du maintien en emploi ou de la retraite sont dus bien davantage aux circonstances dans lesquelles ils ont lieu, qu’à des effets Retraite et société 59 > août 2010


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directs de leur part. Cette conclusion rejoint celle de Warr (1998) pour qui « good mental health at older ages does not depend upon having a job or not having a job ; the key requirement is the availability of a mix of beneficial features, from whatever source they may arise » (Warr, 1998, p. 2535). La littérature sur la question indique que ni la retraite, ni le maintien en emploi n’ont de conséquences particulières sur la santé. C’est le contexte dans lequel ils se produisent qui importe, de même que leur caractère librement consenti, élément des inégalités sociales sur le marché de l’emploi. Par conséquent, la question du maintien en emploi et de la retraite ne peut faire l’économie d’une réflexion sur les déterminants sociaux de la santé et, plus globalement, sur les inégalités sociales qui devraient en constituer un axe essentiel. « Social class is, from our viewpoint, the most important structural element that must be considered in shaping whatever may be possible in aging, for social class is the single most consistent structural factor that is empirically related to virtually every measure of health and illness. Race, ethnicity and gender each weigh in very heavily as well. » (Estes et Mahakian, 2001, p. 2026). Dans cette perspective, il n’existe pas de « travailleurs âgés », car les travailleurs de tout âge ont une appartenance de classe qui conditionne non seulement leurs parcours professionnels, mais également leurs fins de carrière et leurs retraites.

5 « la bonne santé mentale à l’âge avancé ne dépend pas du fait d’occuper ou non un emploi; la condition clef d’une bonne santé est de jouir d’un ensemble de conditions bénéfiques, quelle qu’en soit la source » (Warr, 1998, p. 253, traduction libre). 6 « À notre avis, la classe sociale est l’élément structurel le plus déterminant de toute action reliée au vieillissement, parce que la classe sociale est l’élément structurel qui est le plus systématiquement lié à la quasi totalité des mesures de santé et de maladie. L’appartenance ethnique et le sexe constituent également des caractéristiques très importantes. » (Estes et Mahakian, 2001, p. 202, traduction libre).

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L’état de santé des travailleurs âgés

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Environnements capacitants, développement cognitif et possibilité de maintien dans l’emploi

Jean-Claude Marquié*, université de Toulouse, CNRS



Environnements capacitants, développement cognitif et possibilité de maintien dans l’emploi

105

L

’allongement de la vie professionnelle sur la fin de la carrière, essentiellement justifié par la nécessité d’équilibrer le financement des retraites, fait l’objet de diverses mesures dans de nombreux pays de l’OCDE. La volonté politique dans ce domaine se heurte cependant à divers obstacles. Parmi eux, l’état de santé dans lequel se trouvent les salariés en fin de carrière joue un rôle important. La précarité de cet état de santé, tout particulièrement pour certaines catégories de salariés, est tangible à travers divers indicateurs statistiques à caractère médical, comme les accidents du travail, les maladies professionnelles, les restrictions d’aptitude ou les inaptitudes prononcées par les médecins du travail (Barnay et Jeger, 2006 ; Lê et Raynaud, 2007 ; Jolivet et Molinié, 2006). Cette précarité transparaît également dans l’étude Visat1 qui montre que la proportion de ceux qui disent ne pas se sentir capables d’occuper leur emploi jusqu’à la retraite est toujours plus élevée parmi ceux qui expriment par ailleurs un trouble de santé (Molinié, 2005). Mais si, comme s’interroge Aptel (2010), ces signes de santé précaire sont encore largement « inaudibles », que dire de ceux qui ont un caractère moins typiquement médical et qui renvoient aux ressources cognitives qu’on associe moins spontanément, à tort, à des composantes de la santé ? Ces ressources ne bénéficient pas actuellement d’indicateurs aussi clairs et reconnus que les composantes physiques pour exprimer une difficulté en fin de carrière. Que recouvrent précisément ces ressources cognitives ? Qu’ont-elles à voir avec la possibilité de se maintenir durablement en emploi ? Quelles sont les conditions de travail antérieures (expositions à des agents pathogènes, formes d’organisation du travail, parcours de formation et d’emploi) et les conditions de travail actuelles qui sont susceptibles de rendre ces ressources indisponibles ou bien encore plus difficiles ou pénibles à mobiliser dans la dernière partie de la carrière ? Notre hypothèse est que ces ressources sont tout autant susceptibles d’usure que les ressources physiques. Nous croyons que certaines Visat (Vieillissement, Santé, Travail) est une étude reposant sur le suivi pendant 10 ans d’une cohorte de 3 200 salariés et retraités, âgés lors de leur inclusion en 1996 de 32, 42, 52 et 62 ans, et pour lesquels des informations ont été recueillies sur les conditions de travail, la vie hors travail, la santé, et l’efficience cognitive (Marquié, Jansou, Baracat, Martinaud, Gonon, Niezborala, et al., 2002 ; voir aussi : http://www.visat.fr/). 1

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L’état de santé des travailleurs âgés

conditions de travail peuvent avoir un effet incapacitant à long terme au travers d’une altération des composantes cognitives et métacognitives2 de l’envie et de la capacité d’agir, dans le travail et en dehors du travail. Nous présentons dans cet article des résultats de recherche soutenant la validité de cette hypothèse. Nous empruntons une majorité de nos exemples à des recherches menées sur la relation vieillissement, santé, travail dans le cadre de l’étude Visat.

Que recouvrent les ressources cognitives et qu’ont-elles à voir avec la possibilité de se maintenir durablement en emploi ? La santé, l’envie et la capacité d’agir3, ce que l’individu est capable et prêt à faire à un moment de sa vie, reposent en effet tout autant sur l’état de ses ressources cognitives que sur celui de ses ressources physiques. Les aptitudes cognitives renvoient principalement à la capacité à maintenir actives les compétences acquises, à en acquérir de nouvelles, à résoudre des problèmes inédits de manière efficace, créative et adaptative, et à soutenir dans la durée les efforts importants que ces opérations nécessitent. La cognition repose donc sur des capacités élémentaires de traitement de l’information (hardware), mais aussi sur des connaissances et des aptitudes métacognitives et motivationnelles forgées par l’expérience (software). Qu’est-ce que les ressources cognitives ont à voir avec la possibilité de se maintenir durablement en emploi ? La réponse est que leur sollicitation semble être un facteur important de maintien dans l’emploi des seniors. Nous en donnerons deux exemples. Le premier (tableau 1) révèle que le sentiment qu’éprouvent les salariés de pouvoir tenir jusqu’à la retraite dans leur emploi actuel n’est pas seulement dépendant de leur état de santé, comme indiqué plus haut, mais aussi du fait que leur travail leur permet d’apprendre des choses nouvelles (Molinié, 2005)4. Or, l’analyse prospective des données Visat sur les recueils de 1996 (t1) et de 2001 (t2) montre que les salariés âgés de 52 ans en 1996 et qui rapportent ne pas se sentir capables d’occuper leur emploi jusqu’à la retraite ont un risque presque 2,5 fois supérieur aux autres d’être en arrêt maladie ou au chômage cinq ans plus tard (OR = 2,34), et un risque de 30 % supérieur aux autres d’être à la retraite ou en préretraite à la même période (OR = 1,29)5. Les aptitudes métacognitives renvoient à la capacité à surveiller, évaluer et réguler son propre fonctionnement cognitif, à évaluer ses possibilités et ses limites, les exigences des tâches et les aptitudes des autres. 3 Il faudrait ajouter dans cette définition de la santé : « en harmonie avec ses propres intérêts et ceux de son environnement ». 4 Dans le modèle de régression logistique final où d’autres caractéristiques du travail et de l’état de santé de la personne sont également contrôlées, la probabilité pour les salariés de 52 ans de déclarer qu’ils se sentent capables d’occuper leur emploi jusqu’à la retraite est 2,65 fois plus élevée chez les femmes et 3,5 fois plus élevée chez les hommes qui considèrent que leur travail leur permet d’apprendre. 5 Ici aussi, dans le modèle final de régression logistique, ce résultat est indépendant d’autres caractéristiques du travail et de la santé de la personne qui ont également été entrées dans le modèle et qui expliquent une part de la variance totale (travail posté, répétitif, postures pénibles, état de santé auto-évalué). 2

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Environnements capacitants, développement cognitif et possibilité de maintien dans l’emploi

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TABLEAU 1 Variables qui prédisent le fait de se sentir capable d’occuper son emploi jusqu’à la retraite, chez des femmes et des hommes de 52 ans Femmes, 52 ans

Pas de possibilité de changement d’emploi (dans ou hors entreprise)

OR

(IC 95%)

0,52

(0,28-0,97)

2,96

(1,54-5,62)

Travail permet d’apprendre

2,65

Travail posté ou de nuit actuel

2,25

Avoir les moyens de faire un travail de qualité Au moins un item au NHP* tonus Hommes, 52 ans

0,23

(1,34-5,15) (1,06-5,26) (0,11-0,43)

Travail permet d’apprendre

3,51

(1,47-8,26)

Au moins un item au NHP* tonus

0,12

(0,04-0,29)

Efforts physiques (postures, charges lourdes, etc.) Au moins un problème ostéoarticulaire

0,39 0,23

(0,59-0,91) (0,05-0,70)

Note : il s’agit de résultats d’analyses de régressions logistiques « pas à pas » effectuées pour chaque sexe séparément. La variable expliquée est « Se sentir capable d’occuper son emploi jusqu’à la retraite ». OR = odd ratio (risque relatif approché) ; IC = intervalle de confiance. Seuls les OR significatifs au seuil de 5 % sont mentionnés dans le tableau. * Au moins une réponse positive à un des trois items de la dimension « tonus » du Nottingham health profile : « Je me sens tout le temps fatigué », « Tout me demande un effort », « Je me fatigue vite ». Source : données Visat 1996 ; d’après Molinié, 2005.

Le deuxième exemple suggère que les caractéristiques cognitives du travail jouent un rôle modérateur important sur la sensation de pénibilité physique elle-même, laquelle est souvent associée chez les seniors à des problèmes de santé et à la sortie de l’activité professionnelle, comme le montrent Barnay et Jeger (2006). Il est alors pertinent de se demander quelles sont les caractéristiques cognitives et plus largement psychosociales du travail qui prédisent à cinq ans l’apparition et la disparition de plaintes concernant la pénibilité Les caractéristiques cognitives du perçue des contraintes physiques, comme cela travail jouent un rôle modérateur a été fait dans une étude récente (Niezborala, important sur la sensation de Esquirol, Cadéac-Birman et Marquié, 2010). pénibilité physique elle-même. Parmi les salariés exposés à des contraintes physiques à t1, ceux qui étaient soumis à un travail répétitif et qui ne pouvaient pas choisir la façon de procéder dans leur travail avaient respectivement 3,25 et 2,17 fois plus de risque que ces contraintes physiques soient devenues pénibles cinq ans plus tard (t2), alors qu’elles n’étaient pas perçues comme telles auparavant. De même, la possibilité de contrôle sur son propre travail, la présence d’un soutien social et l’absence de répétitivité du travail multiplient quasiment par deux la probabilité qu’une pénibilité physique ressentie à t1 disparaisse dans les cinq ans. Le rôle protecteur ou, au contraire, aggravant de ces caractéristiques du travail à l’égard des problèmes de santé vécus par les quinquagénaires a également été observé dans l’enquête SVP 50 (Molinié, 2006). Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

Quelles conditions de travail antérieures et actuelles peuvent rendre ces ressources indisponibles ou plus difficiles à mobiliser dans la dernière partie de la carrière ? Mettre en question le rôle des conditions de travail rencontrées antérieurement dans la carrière, c’est considérer que l’activité de travail a des effets en retour qui sont durables, positifs ou négatifs, sur les ressources que le travail mobilise. Ces effets en retour, lorsqu’ils sont négatifs, sont bien décrits par le concept d’usure dans le domaine physique. Ce concept s’applique également au domaine cognitif, mais il est pourtant beaucoup moins étudié en tant que tel ou alors, lorsque les effets négatifs de l’activité sur le fonctionnement cognitif sont étudiés, ce sont ceux à court terme qui sont le plus souvent considérés (effets de certaines conditions de travail sur la vigilance, les stratégies cognitives ou les performances relatives à l’activité en cours, du lendemain ou des jours suivants ; par exemple, Ansiau, Wild, Niezborala, Rouch et Marquié, 2007). Lorsque les effets de l’activité sont observés sur le long terme dans le domaine cognitif, il s’agit le plus souvent des effets positifs de l’expertise, c’est-à-dire des effets spécifiques du travail sur les compétences propres à la classe de situation où s’exerce l’activité professionnelle (la technique du métier, au sens étroit). Les conséquences cognitives à long terme des activités professionnelles sur les aptitudes autres que celles sous-tendues par l’expertise ne sont presque pas étudiées6. Or elles contribuent fortement, à côté de l’expertise elle-même7, à ce qu’un individu est capable de faire et prêt à faire après 50 ans. Nous donnerons ici quelques exemples de facteurs « capacitants »8 et incapacitants à long terme présents dans les environnements professionnels. Une première illustration concerne les effets du travail posté. Les travailleurs engagés durablement dans ce mode d’organisation temporelle du travail sont soumis à une désynchronisation des rythmes biologiques dont on ignore encore les effets à long terme sur le sommeil et l’efficience cognitive. Nos travaux ont montré des conséquences négatives sur la mémoire épisodique9 après plusieurs années d’exposition à une désynchronisation de leurs rythmes biologiques chez des travailleurs postés (Rouch, Wild, Ansiau et Marquié, 2005). Les hommes exposés au travail posté, au moment de l’étude, montraient des performances à des tests de rappel immédiat en mémoire moins bonnes que ceux qui n’avaient jamais été exposés à ce type d’horaire décalé (tableau 2). Cette différence était marginalement significative sur le plan statistique (p = 0,07), car l’effet du travail posté semble être fonction de la durée d’exposition. La dégradation À l’exception, un peu, des effets de certaines substances toxiques sur le fonctionnement cérébral. Et parfois même davantage, car une expertise élevée dans un domaine trop spécialisé est incompatible avec l’acquisition d’autres formes de savoirs complémentaires pourtant de plus en plus requises par l’organisation moderne du travail. 8 On voudra bien nous pardonner ce néologisme, également utilisé dans le titre, mais il est bien commode tant ce terme fait écho à des concepts (organisations qualifiantes…) utilisés dans le même sens en sociologie, en économie et dans le management (Sen, 1999). 9 Mémoire des événements vécus et qu’on peut relier à leur contexte (date, lieu, état émotionnel). 6 7

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Environnements capacitants, développement cognitif et possibilité de maintien dans l’emploi

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des scores de mémoire était en effet maximale et significative entre 10 et 20 ans d’exposition. Ces résultats ont été obtenus après ajustement sur d’autres variables (notamment le niveau d’étude) qui sont susceptibles d’influencer aussi (éventuellement de manière différentielle) les performances de mémoire dans les groupes étudiés. Par ailleurs, la relation significative trouvée dans nos analyses entre durée d’exposition au travail posté et performances de mémoire enlève de la vraisemblance à l’hypothèse d’un biais de sélection à l’entrée dans le travail posté qui expliquerait les différences observées sur le plan cognitif entre postés et non postés par des différences initiales (antérieures à la pratique du travail posté). Nos résultats concordent avec ceux obtenus par Cho (2001) par des méthodes d’imageries cérébrales chez des personnels navigants effectuant des rotations transatlantiques fréquentes et soumis de ce fait, à une désynchronisation des rythmes. Dans cette étude, les effets observés sur la mémoire spatiale devenaient également significatifs après plusieurs années d’exposition. TABLEAU 2 Effets du travail posté et de la durée d’exposition sur la mémoire immédiate chez les hommes Exposition au travail posté Jamais (n = 1049)

Actuellement (n = 265)

Durée d’exposition au travail posté (actuels postés) 1 à 4 ans 5 à 9 ans

10 à 20 ans > 20 ans

ß

(ref)

-0,23 (ref)

-0,39

-0,80 -0,66

ET*

p**

0,13

0,07

0,46

0,38 0,45

0,16

0,04 0,40

Note : régressions multiples linéaires ajustées sur l’âge et le niveau d’étude. *ET = erreur type ; **p = seuil de signification statistique. La performance de mémoire est un score factoriel reflétant le nombre de mots que le participant est capable de rappeler à la suite de chacune des 3 présentations successives d’une liste de16 mots. Source : données Visat ; d’après Rouch, Wild, Ansiau et Marquié, 2005.

Une deuxième illustration concerne les effets de caractéristiques cognitives du travail sur le développement des fonctions cognitives et donc sur le rôle possiblement protecteur ou accélérateur que les environnements professionnels peuvent jouer à l’égard du vieillissement cognitif. Des analyses récentes sur les données du suivi à 10 ans dans l’étude Visat10 confirment ces effets protecteurs ou aggravants. Ils montrent que des contenus et une organisation du travail exigeants sur le plan cognitif (par exemple : « Je dois traiter beaucoup d’informations à la fois »), mais permettant de développer ses compétences (par exemple : « Mon travail me permet d’apprendre des choses nouvelles »), sont associés à une 10 Marquié J.-C., Rico Duarte L., Bessières P., Dalm C., Gentil, Ruidavets J.-B. (Soumis), « Higher mental stimulation at work is associated with higher cognitive functioning and more favourable change in both young and older workers ». D’autres études obtiennent des résultats qui vont dans le même sens (par exemple, Adam, Bonsang, Germain et Perelman, 2007).

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L’état de santé des travailleurs âgés

évolution plus favorable des fonctions cognitives sur la période étudiée. Les fonctions cognitives manipulées dans cette étude concernaient la vitesse de traitement, la mémoire verbale épisodique et l’attention sélective. Ces résultats doivent être mis en relation avec le fait, révélé par des enquêtes de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, qu’avec l’avancée en âge, les travailleurs rapportent de plus en plus souvent que le travail ne permet pas d’apprendre (Molinié, 2003). La notion de contenu et d’organisation qualifiants du travail a donc bien un sens, si l’on entend par-là tout ce qui dans l’environnement professionnel favorise la construction de cet aspect cognitif de la santé ou bien le préserve en partie des effets délétères du vieillissement. Dans Marquié et Rico Duarte (2007), nous avons montré comment les inégalités d’accès à la formation au détriment des seniors, les méthodes de formation pas toujours bien adaptées à ces derniers, et différents aspects de l’organisation du travail elle-même, contribuent au fil du temps à l’érosion des compétences, de l’adaptabilité, et peut-être plus généralement de l’ensemble des aptitudes cognitives et motivationnelles. Les arguments et résultats présentés jusqu’ici visent à montrer que les expériences professionnelles antérieures peuvent expliquer certains obstacles au prolongement de l’activité en fin de carrière. Cependant, même si les expériences professionnelles n’ont pas altéré les ressources cognitives de l’individu ou en ont même favorisé le développement, il reste encore des facteurs, présents dans l’environnement ou l’organisation du travail actuels, qui sont susceptibles d’en empêcher ou d’en rendre plus pénible la mise en œuvre. À l’instar de l’étude Visat, quelques enquêtes spécialisées sur la question des seniors, comme Estev avant elle (Derriennic, Touranchet et Volkoff, 1992) ou SVP50 (Volkoff et Bardot, 2004) et Share (http://www.share-project.org/ après elle11, ont traité de cette question dans ses diverses composantes, pas seulement cognitive. Contentons-nous ici de signaler quelques contraintes de travail potentiellement pénalisantes sur le plan cognitif, généralement moins bien tolérées par les seniors, au-delà de celles déjà signalées comme pénalisantes à long terme, et qui valent aussi souvent pour le court terme. On peut mentionner notamment les exigences sensorielles et motrices élevées, l’usage abusif de la polyvalence, la pression temporelle forte, les changements techniques fréquents et mal accompagnés. Une étude réalisée dans un grand CHU régional (9 000 personnes, hors personnel médical) avait permis de montrer qu’une des contraintes de travail les plus pénalisantes pour les soignants âgés était l’imprévisibilité dans le travail (Gonon, Delgoulet et Marquié, 2004) (tableau 3). L’imprévisibilité était liée aux plannings remis très tard au personnel ou à l’impossibilité de 11 On peut y ajouter d’autres enquêtes nationales (celles de la Dares, par exemple) et internationales (celles de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, par exemple) qui, bien que généralistes, fournissent des indications précieuses sur le sujet.

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Environnements capacitants, développement cognitif et possibilité de maintien dans l’emploi

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connaître les tâches à l’avance compte tenu des changements fréquents de planning. Il faut noter que certaines de ces contraintes – qui concernaient surtout les jeunes dans le passé, car elles étaient moins bien tolérées par les plus âgés qui cherchaient donc à s’en écarter – sont de plus en plus présentes dans les situations de travail en même temps que progresse le nombre de travailleurs âgés dans la population active (Molinié, 2003). Ces contraintes sont donc aujourd’hui moins facilement évitables par les seniors par le mécanisme du changement de poste. TABLEAU 3 Caractéristiques du travail des infirmières en fonction de la structure d'âge de 66 unités de soins d’un grand CHU Caractéristiques du travail Horaires

2x8 3x8

Jours fixes

Exigence psychique liée à l'état des patients Imprévisibilité dans le travail Exigence physique

Difficultés relationnelles dans l'unité Perception élitiste de l’unité

Catégories d'unités

Jeunes (N = 25)

Intermédiaires (N = 20)

Âgées (N = 21)

p

24

18

4

< .001

2,59 (1,23) 2,41 (1,22) 4,69 (0,94) 1,07 (0,90) 3,71 (1,46)

1,98 (1,58) 1,43 (1,24) 4,04 (1,72) 1,13 (0,84) 2,60 (1,69)

0,90 (0,61) 0,76 (0,94) 3,83 (1,46) 1,05 (1,22) 2,79 (2,00)

< .0001

1 0

2 0

4

13

-

< .001

< .0001 [.093] -

[.074]

Note : excepté pour les horaires de travail (résultats exprimés en nombre d’unités hospitalières concernées), les autres résultats sont exprimés en score moyen du facteur (analyse en composante principale), avec l’écart type entre parenthèses. Des scores plus élevés indiquent que la contrainte de travail s’applique davantage. Une unité de soin « âgée », est définie par le fait que 100 % des infirmières de cette unité ont plus de 40 ans ; une unité de soin « jeune » est définie par le fait que moins de 57 % des infirmières de cette unité ont plus de 40 ans. Source : d’après Gonon, Delgoulet, Marquié, 2004.

Par quels mécanismes ces ressources sont-elles influencées par l’activité professionnelle ? Les mécanismes qui sous-tendent les effets à long terme des environnements professionnels sur le développement cognitif sont divers et peuvent être décrits à trois niveaux : neurophysiologique, cognitif et métacognitif. Le premier niveau est celui des traces laissées dans le cerveau, dans son fonctionnement aussi bien que dans sa morphologie. Des recherches récentes en neurosciences sur les chauffeurs de taxi, par exemple, montrent que leur expérience professionnelle, en l’occurrence l’aptitude cognitive à se déplacer dans un environnement urbain extrêmement complexe, est corrélée positivement à la taille de l’hippocampe postérieur, une zone du cerveau impliquée dans le traitement et la mémorisation des informations spatiales (Woollett, Spiers et Maguire, 2009) (figure 1). Certaines formes d’expérience influencent donc la morphologie même du cerveau. Les recherches actuelles tendent à préciser le caractère Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés GRAPHIQUE 1 Relation entre le nombre d’années d’expérience des chauffeurs de taxi londoniens et le volume de leur hippocampe postérieur

Source : d’après Woollett, Spiers et Maguire, 2009.

GRAPHIQUE 2 Effets de l’âge et de la profession (acteurs de théâtre versus contrôles) sur les croyances d’auto-efficacité de la mémoire

Source : d’après Huet, Marquié, Bacon, 2010.

réversible de ces traces ou étroitement dépendant de l’utilisation de la fonction cognitive concernée. Le deuxième niveau permet de décrire les traces de l’activité en termes d’aptitudes cognitives, de performances, de stratégies compensatrices. Le troisième niveau, le niveau méta cognitif, concerne les effets des expériences sur les attitudes, les croyances, les connaissances construites sur soi, sur les tâches et sur les autres. Bien que la vie professionnelle ait certainement de nombreuses influences sur ce plan, ces dernières sont encore très peu explorées. Une étude réalisée sur Retraite et société 59 > août 2010


Environnements capacitants, développement cognitif, et possibilité de maintien dans l’emploi

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des comédiens de théâtre (Huet, Marquié, et Bacon, 2010) a permis de trouver une association entre la pratique intensive de la mémoire dans le métier de comédien de théâtre et des représentations de la mémoire (sa propre mémoire et la mémoire en général) qui sont réputées pour être plus favorables à l’exercice et au développement des compétences dans ce domaine. Comparés à des personnes qui ne font pas un usage intensif de leur mémoire dans leur profession (groupe contrôle), les comédiens étudiés, jeunes et âgés, montraient une conception de leur mémoire plus stable au cours du temps (donnant moins de prise aux effets du vieillissement) et un sentiment plus fort de contrôle sur cette aptitude cognitive (figure 2). Ces résultats suggèrent donc12 que l’exercice régulier de fonctions cognitives particulières (ici la mémoire), l’effort et les stratégies développés dans ce domaine favorisent la confiance qu’on acquiert dans ce domaine et donc certainement l’aptitude à maintenir plus longtemps actives ces fonctions.

Conclusion On ne peut vouloir augmenter le taux d’activité des seniors sans poser la question des conditions de travail qu’ils rencontrent actuellement et celles qu’ils ont rencontrées dans le passé. En effet, ce sont elles qui déterminent l’état dans lequel ils se trouvent en fin de carrière. De ce fait, les solutions passent, elles aussi, par des mesures à court et à long terme. Sur le court terme, peut-être les travailleurs âgés ont-ils plus besoin que les jeunes qu’on limite la durée des efforts maximaux en matière de charge perceptive et mentale. Mais, très certainement plus que les jeunes, ils ont besoin de mettre du sens sur ce qui leur demande de l’effort en rapport avec ce que leur expérience leur a permis de construire. La pénibilité cognitive dépend moins de la charge mentale ou de l’effort cognitif sollicité dans l’activité, que de l’effort cognitif stérile, celui qui ne débouche sur aucune valeur ajoutée pour l’opérateur. Cette pénibilité peut être mise en évidence aussi sur le long terme, à l’échelle d’une vie de travail, lorsque l’individu constate que beaucoup d’efforts ont été consentis pour un retour sur investissement modeste ou négatif en termes de développement personnel. Plutôt que de pénibilité, on peut alors parler de préjudice cognitif. C’est le cas lorsque l’organisation du travail (travail posté et désynchronisation des rythmes biologiques qu’il induit) ou le contenu du travail (richesse ou pauvreté cognitive des activités) affecte durablement (de façon irréversible ?) le fonctionnement cérébral et les aptitudes cognitives qu’il sous-tend, via des mécanismes que l’on commence à peine à entrevoir, pour certains. C’est le cas, aussi, lorsque l’organisation du travail ne permet pas de réfléchir sur son activité de travail, de « dé-procéduraliser13 » les savoirs accumulés, c’est-à-dire de faire le travail cognitif qui permet de les 12 Suggèrent, mais ne démontrent pas, car on ne peut exclure une interprétation alternative de ces résultats en termes de sélection à l’entrée dans la profession de comédien : ceux ayant une meilleure perception de leur mémoire s’orienteraient plus volontiers vers la profession. D’autres travaux devront essayer de préciser le poids de chacune de ces deux interprétations.

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amener à la conscience et d’en tirer les leçons. Il ne s’agit pas seulement des savoirs techniques (sur les tâches, le système technique, le métier, la clientèle), mais aussi de ceux que l’on peut qualifier de méta-fonctionnels parce qu’ils portent sur soi-même et sur son propre rapport au monde. Aider les travailleurs à en prendre conscience est une condition indispensable pour permettre à ces savoirs de progresser.

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Environnements capacitants, développement cognitif, et possibilité de maintien dans l’emploi

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* L’auteur souhaite remercier les médecins du travail, leurs assistant(e)s et les chercheurs du groupe Visat qui ont contribué d’une manière ou d’une autre à l’étude du même nom. Remerciements également aux financeurs de l’étude Visat et notamment, pour les plus récents, l’ANR (06 SEST 041) et l’IOSH (Institution of occupational safety and health, UK). Retraite et société 59 > août 2010



HORS THÈME

L’accès aux sphères sociale et politique des retraités : quelles formes de participation et de représentation ?

Catherine Gucher, MCF, sociologue, CPDG, UMR Pacte,

université Pierre Mendès France, Grenoble

Denis Laforgue, MCF, sociologue, LLS, université de Savoie



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A

lors que la part des retraités dans la société française ne cesse d’augmenter, les politiques les concernant paraissent, a priori, pouvoir être identifiées comme relevant du registre des « politiques de la pitié », telles que les définit Hannah Arendt, c’est-à-dire un ensemble d’interventions publiques organisées sur le fondement d’une distance établie et maintenue avec un public faisant l’objet de définitions homogénéisantes, à partir de sa souffrance supposée et de ses besoins d’aide (Arendt, 1967). Or, cette logique politique semble entrer en tension avec un contexte contemporain, dans lequel émerge très fortement « le problème des places sociales des différentes générations », en laissant tout particulièrement en suspens la question de la place1 des retraités dans la société française. Les retraités baby-boomers, disposant de ressources nouvelles (temps, santé, capital économique) malgré de fortes inégalités persistantes n’aspirent-ils pas à continuer à exister à part entière dans une société qui reconnaîtrait tout à la fois la contribution qu’ils ont apportée, par leur travail, à la société, mais aussi le rôle positif qu’ils peuvent encore jouer dans le présent ? De nouveaux groupes de population (futurs retraités, préretraités ou jeunes retraités) se confrontent aujourd’hui, en l’absence de modèles préexistants, à la nécessité de penser et d’aménager leur vie à la retraite et cherchent à déterminer les formes de leur existence sociale et politique. Cet article se propose, à partir des résultats d’un travail de recherche réalisé en 2008 sur commande de la CGT-Ires, de s’interroger sur les modalités de la participation des retraités aux sphères de la décision politique et d’identifier les canaux de la mise en forme de leurs attentes et de leur représentation. Premièrement, il s’agit d’identifier les formes et modalités d’accès des retraités à la sphère sociale, en soulignant la coexistence d’une « centration sur la sphère privée », d’engagements dans la vie sociale sur le mode de l’épanouissement de soi et d’une aspiration à une meilleure reconnaissance dans la sphère sociale des attentes propres de chaque retraité. 1 Par place, nous entendons, dans une perspective wébérienne, un statut, une identité, une

reconnaissance et une existence sociales. Nous postulons à la suite de Sorokin (1927) l’existence d’une stratification sociale reposant sur une distribution inégale des droits et des privilèges, des devoirs et des responsabilités, des valeurs sociales et des privations, du pouvoir social et des influences.

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Deuxièmement, nous nous intéressons au rapport des retraités à la sphère politique en soulignant d’une part la difficulté pour les retraités à se constituer en tant que groupe social, condition d’émergence de ces derniers en tant qu’acteur collectif dans la sphère politique et d’autre part l’existence d’une fraction de retraités indifférents à cet enjeu de l’accès à la sphère politique sur le mode du citoyen éclairé et vigilant. Troisièmement, nous étudions un certain nombre d’organisations officielles (dispositifs de participation, syndicats de retraités, élus locaux, institution publique) du point de vue de leur capacité à assurer l’accès des retraités aux sphères sociale et politique2.

Les retraités et leur accès à la sphère sociale Envisager la question de la représentation des retraités, c’est bien sûr s’interroger sur la façon dont les aspirations de ces populations émergent dans les débats publics et dont elles accèdent à certaines formes de pouvoir. Mais, au-delà d’un accès formel aux instances de pouvoir, inscrit dans le rapport conventionnel représenté/représentant, d’autres modalités d’accès peuvent être décryptées, à partir de nos enquêtes, telles que des formes de participation des retraités à la sphère sociale, qui ne se réduisent pas, malgré leur importance, aux attachements relevant de la sphère privée (Arendt, 1994).

Soi et les autres : une centration sur la sphère privée Différents travaux (Legrand, 2001 ; Viriot-Durandal, 2003 ; Gucher et Mallon, 2007) soulignent les modes de participation protéiformes des retraités à la vie sociale, leurs engagements multiples3 qui donnent à voir une volonté de rester en prise avec le monde social et d’y apporter une contribution. Cependant, il semble bien exister des lignes de fracture importantes au sein de la population retraitée, dans la façon de percevoir la retraite. Ces différences dans la conception de la vie à la retraite reposent au fond essentiellement sur la manière de se percevoir en relation avec les autres et plus encore, avec « le tout social ». Majoritairement, les retraités enquêtés envisagent la retraite comme « un temps pour se consacrer à sa famille et ses amis » (59,1 %) et « un temps pour profiter des loisirs » (47,2 %). L’idée de la retraite comme « temps de repos bien mérité » (28,3 %) et comme « temps pour s’engager dans la vie sociale » (24,7 %) 2 Notre propos s’appuie sur : – une enquête téléphonique auprès de 248 personnes de 55 à 75 ans

de quatre départements de Rhône-Alpes (Savoie, Isère, Loire et Rhône); – une enquête à destination d’instances de représentation (syndicats, Coderpas, CCR qui a recueilli 34 réponses); – une enquête ethnographique auprès d’un CCAS et son public de retraités. Contrat de recherche CGT-Ires 2007-2008, « La représentation des retraités ». 3 Nous nous référons ici aux enquêtes permanentes sur les conditions de vie produites par l’Insee de 1997 à 2005.

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occupe une place secondaire, mais non négligeable, dans les propos des répondants. Ces éléments permettent de mettre en évidence l’importance de la sphère privée (famille) comme terrain d’exercice de la retraite. Secondairement, ils révèlent la priorité accordée au proche et confirment ainsi l’importance soulignée par d’autres travaux des proximités spatiales et affectives dans les sociabilités Majoritairement, les retraités et solidarités des retraités. Cette centration sur le enquêtés envisagent la retraite proche, sur la famille, sur soi – à travers les loisirs – comme « un temps pour se fait surgir nécessairement une interrogation sur la consacrer à sa famille et ses capacité à se situer dans une sphère sociale élargie. amis » et « un temps pour Au demeurant, si la sphère privée est le lieu essentiel profiter des loisirs ». d’ancrage des retraités, celle à partir de laquelle se définissent leurs priorités, leurs attentes, leurs prises de position, elle implique également un principe de différenciation, d’individuation et de singularisation très fort. Comment définir des intérêts collectifs et se sentir proches des autres retraités, si le fondement de sa vision du monde est la sphère familiale et plus largement une sphère privée ?

Un accès contrasté et difficile à la sphère sociale Cette centration sur la sphère privée semble s’affirmer dans la perception qu’ont les retraités de leur utilité sociale, compte tenu des réponses des enquêtés à la question : « Dans votre famille / votre voisinage/votre commune / une association / la société, vous sentez vous très utile / assez utile / très peu utile / pas du tout utile ? » Ainsi, il s’avère que le sentiment d’utilité est très affirmé chez les personnes enquêtées lorsqu’il s’agit de la sphère familiale (89,1 %) et décline dès que l’on s’en éloigne. Il reste fort néanmoins dans la sphère du voisinage (62,3 %), mais il diminue de façon notable lorsqu’il s’agit de la société (38,5 %). Ces écarts peuvent être analysés en relation avec le degré de proximité de la sphère concernée mais aussi avec le caractère plus ou moins politique/politisé de cette sphère. Au fort sentiment d’utilité dans les sphères affectives et électives s’oppose un important sentiment d’inutilité dans des sphères plus éloignées affectivement et plus structurées politiquement. Le distinguo proposé par Weber entre activités de sociation et de communalisation et repris par Nowik dans ses travaux consacrés aux engagements associatifs des retraités (Nowik et Morel, 2006) nous paraît ici tout à fait pertinent pour souligner que le sentiment d’utilité est organisé prioritairement autour des activités traditionnelles et affectives de communalisation. À la forte conscience du service rendu par proximité, nécessité, affection, habitude aux membres de sa famille s’oppose la difficile élaboration du rôle joué dans la société. Cette conscience de l’utilité dans la société apparaît principalement liée au degré d’engagements formels des retraités. Ce sont 29,4 % des personnes qui n’ont aucun engagement social formel qui ne se sentent pas du tout utiles contre 11,6 % des personnes qui déclarent avoir un engagement. Au-delà, il importe de souligner que ce qui est en cause ici, est la conscience d’« un soi social » qui ne se manifeste pas de manière évidente pour 61,5 % de l’échantillon. Comment concevoir en conséquence la formation d’un groupe social, susceptible de favoriser l’accès au champ politique ? Retraite et société 59 > août 2010


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La participation néanmoins Les inégalités d’accès à la sphère sociale évoquées plus haut doivent être nuancées par le jugement formulé par les retraités sur leur participation à la vie sociale. En effet, malgré les jugements réservés portant sur leur utilité sociale au sein de la société, une petite moitié de l’échantillon (47,4 %) déclarent participer à la vie sociale4. Les modalités décrites de cette participation s’inscrivent sur des registres très différenciés. Nous pouvons repérer que cette participation s’exprime pour 28 % de l’échantillon à travers le canal associatif. À partir de ces éléments, nous pourrions donc être amenés à nuancer les propos tenus précédemment concernant les difficultés d’accès à la sphère sociale. Cependant, comme le démontre Stéphanie Vermeersch, la participation associative prend sens dans le cycle de vie des individus. Elle se donne à comprendre davantage comme modalité renouvelée de la quête de soi et de l’affirmation de son autonomie que comme modalité d’engagement pour le socius. La recherche d’utilité se trouve alors plutôt au service du développement personnel que de l’engagement militant ou d’une volonté de changer la société (Vermeersch, 2004). Ainsi, le sens de la participation des retraités au mouvement associatif ne peut être, selon nous, associé, de façon systématique à une volonté manifeste de prendre part activement aux débats et évolutions sociales en cours. Il semble, en effet, que ces inscriptions sociales relèvent essentiellement du sens conféré individuellement par les retraités à leur parcours de vie et non d’une mise en forme collective de ce que pourrait être la place et le rôle des retraités dans la société. Il ressort en effet clairement de notre enquête une disjonction forte entre les sphères sociale et politique : aucun lien de dépendance ne peut être établi entre la participation des retraités à la vie sociale et leur engagement. De même leur participation à la vie sociale n’influe pas sur la définition qu’ils proposent de « la représentation ».

Des luttes pour la reconnaissance ? Quel que soit le niveau de participation ou d’engagement dans la sphère sociale, transparaissent des aspirations relatives à un meilleur accès à cette sphère sociale. Nous soulignons ici le paradoxe entre une « place vécue » centrée sur la sphère privée et une « place attendue », marquée par une sollicitation (souvent déçue) de la sphère sociale par les retraités. Ce paradoxe s’exprime clairement dans certaines réponses des enquêtés à la question (ouverte) : « Que diriez-vous de la place des retraités aujourd’hui ? ». Ainsi, presque un tiers des enquêtés ayant répondu à cette question, pensent leur accès à la « sphère sociale » en termes de « lutte sociale ». Pour ces enquêtés, leur rapport à la sphère sociale passe (entre autres choses) par le fait qu’ils sont impliqués dans des luttes pour faire valoir les intérêts et les droits des retraités (niveau de retraite, accès aux 4 Il ne s’agit pas ici d’engagement, mais seulement de participation.

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soins…). Certes, la plupart d’entre eux ne participent pas directement à ses luttes (8 % seulement ont un engagement associatif, syndical ou politique), ce qui ne les empêche pas d’insister sur leur existence et leur importance. Aux yeux de ces retraités, ces luttes nécessitent de s’opposer à ce qu’ils perçoivent comme d’autres catégories (« les actifs », « les jeunes », « les plus riches », etc.) dont les intérêts seraient en conflit avec les leurs. Les enquêtés, qui développent un tel rapport à la sphère sociale, considèrent dans leur majorité (70 % contre 49 % dans la population totale) que les retraités ont aujourd’hui, dans cet espace de lutte, une position (relativement) dominée. Ces enquêtés se déclarent inquiets et souvent indignés, plus rarement résignés, face à la place qui est faite, selon eux, aux retraités : « Les retraités ne sont pas trop bien entendus par rapport à leur représentation : on leur reprend ce qu’on leur avait donné l’année précédente… », « Les retraités ont leur mot à dire, qu’ils ne soient pas exclus… » Une partie importante des retraités enquêtés aspire donc à une place dans la sphère sociale qui serait caractérisée par une plus grande reconnaissance de leurs attentes (en matière d’accès à différents biens), de leurs droits, de leurs besoins (Honneth, 2000), mais ils sont peu nombreux à s’investir activement dans la sphère sociale pour lutter en faveur des retraités5.

L’accès des retraités à la sphère politique L’accès des retraités à la sphère politique suppose leur capacité à passer du statut d’individu particulier à celui de membre de groupes, susceptibles de fonctionner comme des supports de reconnaissance et/ou de mobilisations collectives de citoyens (Schnapper, 1994). Les logiques de l’action collective sont évidemment à l’œuvre dans cette transition à construire entre sphère privée/sphère sociale/sphère politique (Olson, 1978). Qu’en est-il alors de ces supports de transition entre les sphères ? Comment s’effectue ou non le passage entre ces domaines spécifiques ?

Semblables et différents : groupes de status et/ou force constituée, un obstacle pour l’accès à la sphère politique ? Si nous retenons comme éléments de définition d’un groupe social les critères communément admis par la sociologie c’est-à-dire un ensemble d’individus, ayant des caractéristiques communes, des intérêts communs, développant un sentiment d’appartenance et reconnu par la société, nous pouvons nous interroger sur l’existence du groupe social des retraités. Certes, le statut de retraité (qui relève d’une mise en forme juridique et 5 On peut remarquer que ces enquêtés ne souhaitent pas davantage que les autres « être

représentés spécifiquement en tant que retraités » : 60 % d’entre eux espèrent une meilleure reconnaissance de leur situation individuelle.

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administrative) permet de faire émerger des intérêts communs sur lesquels se retrouvent bon nombre d’acteurs sociaux (syndicats, associations, etc.), lorsqu’il s’agit de la défense du pouvoir d’achat des retraités par exemple. Cependant cette catégorisation administrative ne recouvre pas tous les aspects de la vie des personnes concernées, les principes de classification retenus (par exemple, le critère de l’âge) n’étant pas, nécessairement, ceux qui font sens pour les retraités. Le processus d’unification symbolique nécessaire à la naissance de tout groupe social est-il aujourd’hui abouti ? Les retraités existent-ils déjà en tant que « groupe de status » ? Une approche wébérienne de l’existence de groupes sociaux unifiés à partir de leur stand, c’est-à-dire de la reconnaissance sociale et du prestige dont ils jouissent au sein de la société pourrait être une hypothèse heuristique concernant les retraités. Ainsi donc, ils trouveraient leur unité dans une même position de prestige, fondée sur des représentations sociales unifiées les concernant. Cependant, chez Weber, le statut repose sur des mécanismes de distinction symbolique et sur la définition de rôles sociaux sur lesquels les membres de ces groupes de status sont attendus (Weber, 1921). Or, si un processus de définition externe d’un status commun semble déjà bien avancé – autour notamment du modèle d’une retraite citoyenne et active –, les pratiques sociales des retraités et la définition qu’ils donnent de ce qu’ils se sentent être et de ce qu’ils sont appelés à être sont loin d’être homogènes et il s’avère que les anciennes positions socioprofessionnelles, qui peuvent sous-entendre des appartenances de classes, restent déterminantes dans les distinctions qui s’énoncent. L’existence d’un groupe social « retraités » ne semble donc pas pouvoir encore être affirmée.

La conscience politique de certains retraités Malgré l’absence d’un groupe de retraités susceptible d’une action politique, un certain nombre de retraités se positionnent clairement dans la sphère politique. On en trouve un indicateur dans les réponses à la question : « Pour vous, qu’est-ce que cela signifie “être représenté” ? » Pour presque la moitié des personnes ayant répondu à cette question, « être représenté » signifie avoir un accès, participer à la sphère politique, afin d’exprimer, de faire valoir ses aspirations, ses intérêts, ses convictions, ses valeurs : « être représenté », c’est « tenir compte de notre avis », « prendre en compte nos intérêts », « tenir compte des remarques que l’on peut faire et être entendu au niveau politique ». On peut caractériser plus précisément ces retraités en distinguant leurs différentes formes d’engagement à l’égard de la sphère politique. La très grande majorité de ces retraités (95 %) adopte une posture d’engagement cognitif (« c’est important, ça me concerne ») et beaucoup plus rarement, d’engagement pratique (politique, syndical) à l’égard de la sphère politique : ils entendent y faire valoir leurs droits ou plus largement leur définition du bien commun. La plupart (90 %) se sentent représentés : Retraite et société 59 > août 2010


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41 % pensent l’être par une instance politique (locale, nationale, parti politique), un tiers par des instances syndicales, associatives ou de représentation des retraités (4,4 %). Les premiers adhèrent donc davantage aux principes de la démocratie représentative classique, alors que les seconds semblent faire davantage confiance aux mécanismes de la « contre-démocratie » (Rosanvallon, 2006) pour faire entendre leur voix dans l’espace politique. Par ailleurs, on peut distinguer deux formes contrastées d’engagement de ces retraités à l’égard de la sphère La très grande majorité de ces politique. Ils sont peu nombreux à concilier un retraités (95 %) adopte une engagement cognitif et un engagement pratique : posture d’engagement cognitif ils sont moins de 10 % à être engagés dans une et/ou d’engagement pratique à organisation politique ou syndicale (6 % dans la l’égard de la sphère politique. population totale) ; un tiers est engagé dans une association (24 % dans la population totale). Les autres se caractérisent donc par un « concernement distancié » à l’égard de la sphère politique : 50 % des individus adhérant à une conception politique de la représentation n’ont aucun engagement formel et, à l’instar des autres retraités, ils disent consacrer leur vie à la retraite avant tout à leur famille, à leurs proches et aux loisirs. Pour aller plus loin dans l’analyse, il conviendra d’identifier les formes pratiques (se tenir informé, « grogne » au quotidien dans la sphère privée…) et les logiques subjectives (par exemple un sentiment d’impuissance face aux instances politiques) de ce « concernement distancié ».

Le non-sens de l’accès à la sphère politique pour certains : les hors-jeu Tous les enquêtés ne se rallient pas au rapport (dominant et légitime) à la sphère politique précédemment étudié. On peut en particulier, en se fondant sur la même question, distinguer deux conceptions alternatives. Tout d’abord, un quart des enquêtés adhère à une conception « apolitique » de la représentation. Pour eux, « être représenté » ne passe pas par l’existence d’un représentant, d’un porte-parole légitime, mais signifie « avoir une place », « jouer un rôle » dans un réseau social constitué d’autruis significatifs. Être représenté, c’est donc être un acteur (reconnu) de sa sphère privée et de la vie sociale. Pour ces retraités, la question de l’accès à la sphère politique n’est pas un enjeu central, le sens de leur expérience se joue « ailleurs » : dans le rapport à soi, dans la routine du quotidien (de laquelle le « politique » est jugé absent), dans le rapport aux proches, mais aussi au travers d’engagements très divers dans la vie sociale… Ensuite, pour environ 15 % des enquêtés, le sentiment d’être représenté suppose l’existence d’une relation d’aide, offerte par des institutions publiques s’ils en ont « besoin ». Pour ces retraités, être représenté, c’est voir ses problèmes, ses besoins pris en compte, lorsque c’est nécessaire, par une instance (relevant de la sphère publique) dont c’est la mission. Retraite et société 59 > août 2010


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Il s’agit là d’enquêtés dont le rapport aux instances de la sphère politique est spécifique : ces enquêtés attendent d’elles qu’elles prennent en compte leur vulnérabilité (besoins, problèmes, difficultés). On parlera donc à leur propos de « représentation compassionnelle » dans la sphère politique : ces retraités entendent être représentés non pas par un porte-parole de leurs intérêts et de leurs revendications dans l’espace politique6, mais par un « acteur public » sensible, attentif à leur fragilité, à leur dépendance…

Quelle représentation sociale, politique, institutionnelle des retraités ? Compte tenu des aspirations et des logiques d’action qui caractérisent l’accès des retraités aux sphères sociale et politique, quels rôles peuvent jouer différentes organisations officielles ? Nous aborderons cette question en montrant que : les dispositifs officiels de participation sociale des retraités peuvent entraver l’accès de ces derniers à la sphère politique proprement dite ; les syndicats de retraités valorisent une représentation spécifique et politique des retraités, i.e. en tant que groupe social constitué autour d’intérêts communs à défendre. Or cette logique de représentation ne recoupe que partiellement les attentes des retraités ; certains d’entre eux ne se considèrent pas comme faisant partie d’un groupe des retraités, ils raisonnent davantage en termes de reconnaissance individuelle plutôt que de défense d’intérêts communs ou encore ils n’envisagent pas l’accès à la sphère politique comme une priorité ; les postures des élus qui s’expriment lors des entretiens et au travers des supports de communication municipale relèvent le plus souvent d’une logique compassionnelle et n’intègrent que marginalement la question de la définition de la place sociale de ces générations ; des institutions publiques qui, comme les CCAS, ont pour objectif de répondre localement aux besoins des retraités les plus fragilisés oscillent entre des postures de care attentives à l’expression des attentes singulières de ces derniers (dans leur sphère privée ou sociale) et une définition en surplomb et in fine réifiante de « ce dont ont besoin les retraités les plus démunis ».

Participation et représentation Le champ politique peut être perçu comme une arène où des luttes se développent – elles visent à la modification des rapports de force sociaux – et où les agents sociaux contribuent inégalement à la production « des produits politiques » (Bourdieu, 1981). 6 Logiquement, presque un quart d’entre eux « ne ressent pas le besoin d’être représenté » selon

les principes de la démocratie représentative (ils ne sont que 12,5 % dans la population totale enquêtée).

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De ce point de vue, la participation sociale des enquêtés, précédemment étudiée, semble certes permettre l’accès à une certaine sphère publique, dans le sens où ces pratiques de participation et d’engagement constituent un maillage d’actions, visant, de façon plus ou moins implicite, à traiter de certaines formes du bien commun. Mais, il ne paraît pas possible de parler d’accès à « l’espace public », dans la mesure où ces lieux d’action, ne sont pas pour autant des lieux de discussion publique, d’élaboration commune et de publicisation des questions concernant la société et l’État (Habermas, 1978). Plus encore, il apparaît ici que les frontières de la sphère de la famille avec la sphère politique sont renforcées par la cloison d’étanchéité que reprèsente la sphère sociale. Cette dernière semble tenir lieu de politique et renforcer ainsi le caractère inaccessible de cette sphère, dont l’autonomie, impensée, ne se révèle pas aux enquêtés. La participation à la vie sociale peut alors être analysée comme une voie détournée pouvant potentiellement écarter les retraités de la sphère politique plutôt que d’en favoriser l’accès. En effet, ces nouvelles formes de participation sociale peuvent être comprises comme un déplacement de l’intervention des citoyens retraités : ils deviennent, à travers leur action, producteurs de société, se situant alors au stade de l’élaboration des décisions publiques et non pas au stade de la décision elle-même ou de sa mise en œuvre (Gagnon, 1991). De plus, leur capacité d’« exit » (Hirschman, 1970) se trouve obérée par leur implication dans un processus participatif et consultatif. La participation n’apparaît pas toujours, en conséquence, comme une voie facilitant l’accès à la sphère politique (Jarry-Omarova, 2005). Cependant, s’il est possible de distinguer participation et représentation, sphère publique et sphère politique d’un point de vue phénoménologique, il importe de prendre en compte la manière dont la participation, à travers les associations, engage également des rapports de pouvoir, et peut contribuer à la formation d’un capital de « compétence politique », pouvant préfigurer ainsi, d’autres formes d’engagements.

Le point de vue syndical et associatif Ces éléments suggèrent d’envisager la représentation formelle comme un support indispensable à l’accès des retraités à la sphère politique. Dans ce cas, qu’en est-il de la capacité des instances syndicales et associatives (interrogées par questionnaire) à représenter les retraités en vue de leur accès au champ politique ? Plusieurs décalages entre le point de vue des retraités et celui de ces instances sont à relever. Alors que les retraités n’envisagent pas tous la nécessité d’une représentation spécifique (30 % de l’échantillon) et que par ailleurs 18 % expriment qu’ils ne ressentent pas le besoin d’être représentés, les syndicats ou associations répondant au questionnaire affirment à 79,4 % la nécessité d’une représentation spécifique des retraités. Les motifs invoqués sont convergents et mettent en évidence la conscience de l’importance de la représentation pour l’accès au champ politique. Le Retraite et société 59 > août 2010


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verbatim laisse apparaître la conscience d’un domaine de luttes particulier, mettant en jeu des interlocuteurs spécifiques – « les lieux d’expression et de négociation ne sont parfois pas les mêmes, interlocuteurs différents. » –, nécessitant des compétences particulières – « les syndicats d’actifs ne prennent pas suffisamment en compte les retraités » –, la peur de l’oubli – « quiconque ne se manifeste pas tombe dans l’ignorance et l’oubli » –, le sentiment d’une reconnaissance sociale à conquérir – « parce que la société active les charge souvent de tous les maux » – et le sentiment de ne pas disposer de canaux de revendications adéquats et d’une difficulté d’accès à l’échelon politique – « les retraités devraient être mieux représentés dans les différents organismes d’État et des régions ». De manière complémentaire, les syndicats répondants s’autolégitiment comme instance pertinente de représentation des retraités. Alors que seulement 6,1 % des retraités enquêtés envisagent les syndicats comme l’instance la plus apte à les représenter, 47 % des instances syndicales répondantes se définissent comme représentatives, 38,2 % comme militantes et seulement 8,8 % comme Seulement 6,1 % des retraités consultatives. Les conceptions de la représentation enquêtés envisagent les développées par les instances syndicales paraissent syndicats comme l’instance fortement liées à l’influence de positions militantes. la plus apte à les représenter. Les questions liées à l’avancée en âge et/ou à la retraite sont envisagées comme des enjeux sociaux intervenant dans un champ de luttes et de rapports de force qui impliquent des mouvements collectifs et organisés de défense d’intérêts. La représentation est donc ici conçue comme représentation politique. Pour la majorité (53 %), la représentation est celle « de tous les retraités quels que soient leurs choix et leurs modes de vie ». 26, 5 % prétendent assurer une représentation de l’ensemble de la société et 11,8 % de certaines catégories de retraités seulement. Cette vocation de représentation est très largement liée à la culture et à la pratique syndicales définies essentiellement sur le registre politique: « Sans pression syndicale sur les décideurs, l’histoire prouve qu’on n’obtient pas grand-chose. » Les tris opérés permettent de faire émerger quatre orientations dans les définitions de la représentation. La première (qui représente 29,4 % des réponses) met l’accent sur l’existence de revendications. Ce qui est ici souligné, c’est une fonction de porte-parole, de porte-voix. Le deuxième axe (14,7 % des réponses) insiste sur un aspect davantage à l’écart des définitions traditionnelles de la représentation et rejoint l’une des définitions proposées par les retraités : c’est une fonction d’écoute et d’accompagnement qui implique une proximité et un soutien social des retraités. Le troisième axe (14,7 % également) met l’accent sur la transformation d’intérêts individuels en intérêts collectifs à travers la mobilisation et l’implication des personnes concernées. Enfin, le dernier type (11,8 %) met au centre de la définition le mandat reçu et l’existence d’une délégation pour parler et agir au nom d’autrui. Les écarts avec les définitions de la représentation proposées par les retraités sont ici manifestes à l’exception d’un domaine toutefois : celui de la Retraite et société 59 > août 2010


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représentation que nous avons qualifiée chez les retraités de « compassionnelle ». En effet, ce sont environ 14 % des retraités qui situaient la représentation dans ce registre de l’aide et du recours, tout comme ce sont 14,7 % des syndicats qui définissent la représentation comme l’action « d’accompagner, d’écouter, de renseigner ». Cependant, à aucun moment les retraités ne font référence à la nécessité de l’existence d’un groupe constitué, ou encore à l’existence de mandats officiels et légitimes. Ces réponses syndicales manifestent une différenciation tranchée entre représentation et participation. En effet, les instances désignées comme les plus représentatives sont nettement les syndicats (70 %) suivies de loin par les associations (8,8 %) et les Coderpa pour 8,8 %. Les justifications de ce classement font nettement référence à une fonction politique. Mais en même temps, la distance à l’égard du politique pour l’accès à une opinion publique ouverte est aussi soulignée : « tous les autres systèmes sont tenus par les politiques : il faut des contre-pouvoirs »7. Or, si la définition de la représentation se situe clairement sur le plan politique, les registres de l’action évoqués sont fréquemment politiques et sociaux. La justification de cette association repose sur l’idée du prolongement de l’action sociale en action politique pour faire entendre les revendications et faire aboutir les transformations souhaitées. Le terme presque unanimement utilisé pour qualifier les missions des organisations syndicales est le verbe « défendre » (les intérêts Si la définition de la représentation se des retraités). Pour ces instances, le monde situe clairement sur le plan politique, social est donc bien structuré en rapports de les registres de l’action évoqués sont force et de lutte entre catégories. Les intérêts, fréquemment politiques et sociaux. mais aussi les droits sont à défendre et la plupart des réponses mentionnent des interlocuteurs devant lesquels il s’agit de porter les revendications, i.e. le gouvernement ou les élus quel que soit leur échelon. Les objectifs poursuivis relèvent essentiellement du référentiel classique de l’action syndicale. Il s’agit là encore de défendre essentiellement le pouvoir d’achat et les conditions de revenus. C’est donc la sphère économique qui est ici constituée en sphère politique. En ce qui concerne les objectifs plus symboliques, sont citées au même niveau la reconnaissance et la valorisation du rôle actuel des retraités et la défense de l’égalité des droits des retraités avec les autres catégories de population. Mais c’est aussi l’accès des retraités aux sphères politiques décisionnelles qui émerge comme objectif de ces instances syndicales.

Des élus locaux entre « représentation compassionnelle » et « régulation libérale des rapports sociaux »8 Il nous faut maintenant étudier les modalités par lesquelles les élus locaux entendent représenter les retraités puisque ces derniers mentionnent en 7 Évidemment, le fait que les réponses proviennent majoritairement des syndicats introduit un biais. 8 Cette partie résulte en partie du travail iconographique réalisé par Elsa Guillalot, MCF en sciences

politiques, UMR Pacte qui participait au projet initial de recherche.

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tout premier lieu les élus locaux (21,5 %) parmi les instances les plus représentatives. Une analyse fine des journaux municipaux de 20 communes de 4 départements de la région Rhône-Alpes sur une durée d’un an9 met en évidence d’une part le faible nombre d’articles consacrés aux retraités et aux personnes âgées en comparaison avec ceux consacrés à d’autres catégories de population (enfants et adolescents par exemple), mais également le caractère « apolitique » des thèmes abordés et des contenus proposés. Seules certaines petites communes, dont le vieillissement est notable et pour lesquelles la proportion de personnes âgées est supérieure à la moyenne nationale, dérogent à cette règle et se font l’écho, plus fréquemment de festivités liées aux personnes âgées par exemple. Par ailleurs, la lecture des magazines produits par les conseils généraux, pourtant fers de lance des politiques publiques de la vieillesse (ne seraitce qu’en tant que gestionnaires de l’Apa), ne dissipe qu’imparfaitement ce sentiment d’une absence relative des personnes âgées. Certes, les conseils généraux de l’Isère, de la Loire, du Rhône et de la Savoie font état des initiatives mises en place sur leur territoire et présentent même, selon les numéros, des dossiers sur la question, mais l’ensemble ainsi constitué reste très en retrait par rapport à d’autres sujets comme l’enfance encore une fois, ou l’aménagement du territoire. On rejoint ici les discours recueillis auprès des élus des conseils généraux qui témoignent eux aussi d’une certaine ambiguïté, affirmant tour à tour à propos des retraités : « Ils ont une place suffisamment représentée, pas trop, ni pas assez. »10 et « [Ils] ne doivent pas concentrer les pouvoirs… les autres groupes plus jeunes doivent aussi pouvoir accéder au pouvoir. » Les propos recueillis auprès de 11 élus – communaux et départementaux –, ainsi que l’analyse des publications, permettent de dégager deux conceptions du rapport de ces élus et plus largement du politique aux retraités. D’une part, une logique compassionnelle de prise en compte individualisée des besoins qui se traduit principalement par des relations interpersonnelles. Cette approche de la représentation existe surtout dans les communes rurales qui fonctionnent encore essentiellement sur le registre de l’interconnaissance. En témoignent les propos de cette élue de la commission solidarité d’un conseil général, mais également adjointe au maire d’une petite commune rurale : « Un retraité a du temps, s’il veut passer par une association, il peut. S’il ne veut pas, ils sont aussi représentés dans les CCAS par une personne qualifiée. Et de toute façon en milieu rural, ils peuvent directement accéder aux élus locaux dans leurs permanences… C’est ceux que je vois le plus… Les jeunes qui travaillent ne peuvent pas venir aux permanences. » 9

Il s’agit de communes de tailles différentes situées en milieu urbain, péri-urbain ou rural.

10 Commission solidarité.

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Par ailleurs, cette logique compassionnelle, lorsqu’elle s’adresse à des personnes dépendantes, laisse surgir une supposée « minorité politique ». Il ne s’agit pas, pour ces élus, d’évoquer un citoyen à part entière, qui aurait peut-être des difficultés spécifiques d’accès à l’arène politique, mais qui garderait une capacité pleine et entière à participer à la vie de la cité. Les propos tenus suggèrent plutôt l’image de personnes retombées dans une sorte de minorité politique, inaptes de toutes façons à la construction raisonnable d’une opinion et à la délibération. D’autre part, une logique libérale qui consiste à laisser les rapports sociaux entre groupes d’âge se dérouler, en se contentant d’assurer le respect du droit. On devine alors clairement, en arrière-plan, le discours de la gouvernance qui inclut des dispositifs légaux, gouvernementaux, mais qui y ajoute des mécanismes informels, non gouvernementaux, dans lesquels les individus et les organisations agissent librement, en fonction de leurs intérêts. Cela signifie concrètement que nous sommes face à un simple système de règles, qui repose à la fois sur des lois et sur des relations interpersonnelles. La construction des places et des rôles de chacun doit résulter d’une négociation permanente entre les acteurs sociaux, constitués en partenaires d’un vaste jeu. En d’autres termes, on assiste ici, à travers l’exemple des personnes âgées, à la mise La construction des places et en place d’une vision pacifiée et démocratique des des rôles de chacun doit résulter rapports sociaux et des clivages idéologiques, et d’une négociation permanente l’on comprend mieux ces propos recueillis auprès entre les acteurs sociaux. d’un agent du conseil général : « [Les retraités] doivent pouvoir jouer un rôle social, être solidaires, mais ils ne doivent pas seulement se comporter comme des assistés qui attendent tout du politique… ils doivent se mettre au service de la collectivité. Je ne parle ici que de ceux qui en ont les capacités. » De même, la 4e adjointe de Grenoble, chargée des politiques intergénérationnelles et des personnes âgées, souligne : « Grenoble est la seule ville de France à avoir créé, pour le mandat qui s’ouvre, une délégation pour les personnes âgées et les politiques intergénérationnelles. C’est donc une première pour moi et la mission qui m’incombe est d’autant plus vaste qu’elle est entièrement nouvelle. Je peux cependant d’ores et déjà vous dire que notre objectif sera de faire en sorte que les personnes âgées ne constituent pas une catégorie à part de la population mais s’intègrent au contraire dans le tissu social partout où cela sera possible. Pour cela, nous devrons mener au niveau des quartiers une politique ambitieuse. […] Améliorer partout où c’est possible la mixité sociale, créer des solidarités entre les générations… voilà ce seront nos principaux objectifs. »11 Ces différents extraits mettent en évidence une conception « a-idéologique » et apolitique de la représentation portée par les élus locaux, qui n’est 11 Les nouvelles de Grenoble, mai 2008, p. 23

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finalement pas si éloignée de celle des retraités. Une ambiguïté s’exprime en effet chez les retraités. La représentation est bien perçue comme relevant du politique (puisque 21,5 % de l’échantillon nomment les élus locaux comme l’instance la plus représentative), mais la nécessité de la distance au politique et de l’accès direct à l’opinion publique pour participer, de façon autonome au champ politique, ne paraît pas assimilée et c’est une demande d’écoute et d’accompagnement qui s’exprime à l’égard du politique à travers la demande de représentation.

Des médiateurs institutionnels : l’exemple d’un CCAS. Pour une partie des retraités, avoir une place dans les sphères sociale et politique passe par la reconnaissance de certains de leurs besoins propres par des institutions publiques (voir paragraphe Le non sens de l’accès à la sphère politique pour certains : les hors-jeu). Dans cette perspective, comment qualifier l’action d’un CCAS et de son service à domicile (assurer des tâches ménagères et un accompagnement relationnel) auprès de retraités en situation de fragilité, d’isolement social, ou démunis économiquement ? Notre hypothèse est que cette institution se caractérise par son ambivalence (Laforgue, 2009) en ce qui concerne l’enjeu de l’accès des retraités aux sphères sociale et politique. Tout d’abord, l’enquête ethnographique établit que l’action des professionnels du CCAS peut tout autant contribuer à l’accès des personnes âgées à une sphère sociale (même proximale) que fragiliser leur place sociale. L’action institutionnelle peut certes participer d’un renforcement de l’« identité pour soi » (Dubar, 1995) du retraité et du maintien de rôles sociaux reconnus et valorisés. Cela peut passer par la présence régulière de l’aide à domicile auprès de retraités caractérisés par leurs faibles attachements dans les sphères privée, familiale et sociale. Ces derniers peuvent alors endosser un rôle social valorisé dans le cadre de la relation interpersonnelle avec l’aide à domicile : être reconnus par cette dernière comme un interlocuteur compétent, voire comme une « confidente » ou une « personne d’expérience » Dans ce cas, l’action institutionnelle constitue un véritable étayage du « sentier de vie quotidien » (Giddens, 1987) et de l’estime de soi du bénéficiaire : par exemple, lorsque ce dernier se considère comme l’hôte compétent d’un agent public dont l’aide relèverait d’un « don de la collectivité à l’attention des retraités ». Pour d’autres retraités, l’intervention institutionnelle est perçue comme rendant possible le maintien d’attachements sociaux valorisés. Ces bénéficiaires considèrent que, grâce à cette aide qu’ils jugent importante (car elle leur évite d’être fatigués) mais limitée (cela ne représente qu’une petite partie de leur expérience sociale), ils peuvent continuer à exercer pleinement leur autonomie en gardant du temps et de l’énergie pour s’engager dans une association, pour participer à un conseil de quartier, pour lire et réfléchir, pour se consacrer à leur vie de couple… Retraite et société 59 > août 2010


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Mais l’action du CCAS peut aussi participer du sentiment de certains retraités d’être déconsidérés. La présence de l’aide à domicile peut renforcer l’impression d’être inutile, de ne pas pouvoir se débrouiller seul et générer une identité pour soi négative : « C’est une grosse aide matérielle… mais moi qui me perturbe, dans mes habitudes… mais il faut passer outre… et puis cela signifie aussi que je ne peux plus le faire [le ménage] ou que je peux le faire mais après, je suis trop fatigué… » (une bénéficiaire) Certains retraités ont aussi l’impression d’être disqualifiés par le regard et les réactions du professionnel face à des habitudes, des pratiques relevant de la sphère intime (manières de s’alimenter, de tenir son intérieur, de se laver…). Cette expérience peut alors être associée à des tactiques de résistance visant à être reconnu par la Certains retraités ont professionnelle et à s’auto-définir comme une personne aussi l’impression autonome : par exemple veiller à ce que cette dernière d’être disqualifiés. n’adopte pas un ton « infantilisant », garder un pouvoir de décision dans les tâches ménagères, être mécontent du fait qu’une aide ménagère de deux heures nécessite de « bloquer » une demi-journée… Toutefois, sur la durée, en l’absence de modification de la relation institutionnelle, la résistance peut se transformer en lassitude et en épuisement moral (face à ce qu’on ne peut pas modifier). Certaines personnes sont ainsi susceptibles de se réfugier dans l’apathie, seule manière pour elles de faire face à cette fragilisation de leur Soi. Il semblerait que cette posture trouve une de ses sources dans le fait que les retraités concernés soient rarement confrontés dans leur quotidien, à des autruis significatifs leur assignant une « identité pour autrui » (Dubar, 1995) positive, i.e. permettant à l’individu de se percevoir comme un être « utile » pour autrui, « compétent », « indépendant ». En l’absence de ces ressources identitaires, ces retraités ne pourront pas opposer au jugement et aux pratiques institutionnelles, une conception de soi propre. Ensuite, l’étude des catégories de pensée et modes de faire mobilisés par les professionnels du CCAS établit que cette institution contribue certes à prendre en compte certaines de attentes des retraités, relatives à leur sphère privée et/ou sociale (sans toutefois échapper à certaines formes de réification), mais délaisse la question de leur accès à la sphère politique. Ainsi, les acteurs institutionnels privilégient un travail d’étayage et de soutien de la personne retraitée dans sa sphère intime et privée. Une partie des activités ordinaires des professionnels du CCAS (les aides à domicile) relève de formes de care, i.e. un type de relation consistant à prendre soin des autres quand ils sont en situation de besoin (Paperman et Laugier, 2006). Ce « souci d’autrui » se caractérise pour l’aidant par la suspension de tout jugement moral face à la vulnérabilité d’autrui et par « la tendance à oublier ses propres termes, à se voir comme “sans-moi”, à se définir dans les termes de l’autre » (Gilligan, 1995), afin de soulager sa souffrance et de l’aider dans la satisfaction de ses besoins et intérêts propres. Par ailleurs, cette institution favorise certes l’accès des retraités à la sphère sociale, mais à partir d’une posture en surplomb assez largement Retraite et société 59 > août 2010


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indifférente aux aspirations individuelles (Payet, Giuliani, Laforgue, 2008). À travers des politiques compassionnelles (Arendt, 1967) censées répondre aux besoins de telle ou telle catégorie de retraités (défavorisés, vulnérables), pensée comme spécifique et homogène, l’institution définit seule les modes de prise en charge des retraités bénéficiaires : ceux dont « la situation d’isolement social nécessite la participation à des sorties, des voyages (à un prix abordable) », ceux dont « la situation personnelle nécessite une aide ménagère et un suivi relationnel ». Or, l’enquête par entretiens auprès des retraités concernés signale d’emblée qu’une partie d’entre eux ne se reconnaît pas dans cette définition que l’institution donne d’eux : si certains ne voient effectivement « pas grand monde », ils ne souhaitent pas pour autant « faire quelque chose, voir du monde à tout prix », tant cet « activisme » est L’institution définit seule les pour eux le signe d’un refus, voué à l’échec, de modes de prise en charge « lâcher prise » d’accepter le processus « naturel » des retraités bénéficiaires. du vieillissement ; pour d’autres, s’ils apprécient l’aide ménagère apportée par l’aide à domicile, ils regrettent que cette dernière soit tenue par sa hiérarchie de « s’enquérir du déroulement de leur vie quotidienne » : ils n’ont pas besoin de cette forme (imposée) de sollicitude. Enfin, cette institution délaisse la question de l’accès des retraités concernés à la sphère politique. Ainsi l’enjeu et les modalités de la participation des retraités-bénéficiaires à la définition et à l’évaluation des politiques publiques locales, dont ils sont la cible, ne font pas réellement, pour l’heure, l’objet d’une réflexion et d’un travail de la part de l’institution.

Conclusion Au terme de cette investigation, on peut certes souligner les multiples décalages entre d’un côté, les attentes plurielles des retraités en matière d’accès aux sphères sociale et publique et de l’autre, les formes partielles et segmentées (voire réifiantes) de participation et de représentation proposées par différentes instances susceptibles de leur assurer cet accès. Mais, on peut aussi insister sur les tensions à l’œuvre tant chez les retraités qu’au sein de ces instances en ce qui concerne cet enjeu de représentation et de participation sociales et politiques. Ainsi, il est clair que les retraités oscillent (individuellement) ou varient (dans leur diversité) quant à leurs prétentions à s’inscrire dans les sphères privée, sociale et politique. En effet, si le « culte moderne de l’authenticité » (Taylor, 1997) les conduit à investir de façon privilégiée la sphère privée, leurs attentes concernant l’accès à la sphère sociale restent fortes, sans que, de manière apparemment paradoxale, la majorité d’entre eux ressente la nécessité de s’assurer une place sociale à travers un engagement dans la sphère politique. Retraite et société 59 > août 2010


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Face à cette ambivalence et à cette opacité des attentes et des dynamiques propres des retraités autour de cet enjeu de l’accès aux différentes sphères, on comprend mieux que les instances étudiées (syndicats, associations, élus, institutions publiques) ne traitent que partiellement et de façon orientée cet enjeu. Confrontées au caractère apparemment insaisissable de cette population et de ses attentes, ces structures réduisent cette incertitude en se focalisant sur certaines modalités d’accès (et en occultant les autres), à partir de logiques propres : ce travail de sélection leur permet d’avoir prise sur cet enjeu démocratique complexe et, ce faisant, d’assurer leur légitimité.

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HORS THÈME

Migrations et communautarisation territoriale des personnes âgées aux États-Unis

Christian Pihet,

Professeur de géographie, université d’Angers

Jean-Philippe Viriot Durandal,

Maître de conférences à l’université de Franche-Comté, Professeur associé à l’université de Sherbrooke, Chercheur au Gepecs/Paris Descartes, Président du Reiactis



Migrations et communautarisation territoriale des personnes âgées aux États-Unis

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A

ux États-Unis, indépendamment des aspects économiques, la question du « bien vieillir » se décline principalement à partir de deux thématiques, celle de la mobilité résidentielle et la question des hébergements et du logement. Dans ce texte écrit par un géographe et un sociologue, nous mettons volontairement l’accent sur deux aspects, la dimension migratoire et la construction de villages pour « seniors ». Il nous semble qu’au travers de la mise en concurrence des espaces et des projets se profilent des risques ségrégatifs non négligeables pour les retraités américains. Comme en Europe occidentale, les migrations résidentielles de personnes âgées constituent un phénomène assez ancien, repéré dès le début du XXe siècle et plutôt traditionnellement réservé aux élites sociales. En Amérique du Nord, dès les années 1920, les observateurs notent ainsi la présence de concentrations de retraités sur les littoraux, au cap Cod ou à Miami par exemple (Baulig, 1936), et dans le sud, autour des principales stations thermales, en Géorgie ou dans l’Arkansas. Une organisation spatiale encore floue, mais centrée sur cette catégorie d’âge, se met progressivement en place autour d’hébergements et d’activités de loisirs comme les casinos. Cependant, depuis près de 50 ans, les proportions de migrants âgés de plus de 65 ans n’ont guère évoluées et concernent toujours une fraction minoritaire des personnes âgées ; en 2000, dernier recensement en date, environ 20 % d’entre elles ont changé de résidence dans les cinq années précédant le recensement. Celles qui se sont installées dans un autre État représentent toujours entre 4 et 4,5 % de la population âgée. À partir d’enquêtes, de nombreux auteurs (Bradley et al., 2006 ; Wiseman, 1980 ; Cuba, 1991 ; Longino, 1995) ont dégagé les motivations et les processus de prise de décision aboutissant au changement résidentiel ; ils ont produit des modèles migratoires qui mettent en lumière l’attrait des régions touristiques, le sud et la Floride en particulier. La migration résidentielle ainsi réalisée apparaît avant tout comme la recherche d’une meilleure qualité de vie. Ainsi s’est progressivement répandu et formalisé un modèle social et spatial de la migration des personnes âgées, caractérisé par une adhésion (toutefois minoritaire) des classes moyennes blanches et, sur un plan géographique, par un fort gradient nord/sud. Retraite et société 59 > août 2010


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Mais, à partir des données censitaires de 1990 et 2000, complétées par les estimations annuelles du Current Population Survey, on assiste à un certain nombre de changements récents dans les flux migratoires de ces retraités. En effet, on note une dispersion progressive des lieux de destination à l’intérieur des États-Unis, ainsi qu’un intérêt récent pour des pays méridionaux voisins comme le Mexique et les îles Caraïbes. Dans le même temps, observant que l’accueil de ces nouveaux venus entraîne un développement économique indéniable, les acteurs économiques et politiques tant locaux que nationaux ont mis au point des stratégies plus agressives d’attraction dans la plupart des régions d’arrivée des migrants. Les décideurs locaux – politiques et économiques – tentent donc de créer des espaces encore mieux adaptés à leurs besoins afin de les attirer et de plus en plus aussi, les retenir. Mais, ne reproduisent-ils pas des modèles qui peuvent facilement être déplacés ailleurs au fil du temps ? Et quel sera à long terme l’effet de la crise actuelle de l’immobilier sur ce modèle ? Au-delà des stratégies de développement territorial et de ses éventuelles fragilités, nous interrogeons également le modèle d’intégration sociale induit par ces formes de structuration urbaine. Et ce, à la fois pour les résidents de ces zones spécifiquement dédiées aux retraités et dans le cadre d’une réflexion plus large sur la démocratie locale.

Des lieux d’accueil progressivement diversifiés En règle générale, aux États-Unis comme en Europe, la mobilité résidentielle des plus de 65 ans est proportionnellement bien moins importante que celle de la population plus jeune. C’est entre 55 et 74 ans que les changements résidentiels sont le plus fréquemment associés aux migrations dites de retraite ; ce sont en effet, le plus souvent, des départs du comté ou de l’état d’origine qui se produisent après l’arrêt officiel de l’activité. Ils représentent en moyenne 40 % des déménagements affectant ce groupe d’âge contre à peine 14 % pour les plus de 85 ans. Néanmoins, les proportions de ces retraités migrants demeurent étonnamment stables au fil des recensements décennaux intervenus depuis 1960. En revanche, les effectifs ont doublé passant de moins d’un million en 1960 à un peu moins de deux en 2000. D’autre part, autre indication censitaire, ces migrants, majoritairement blancs, sont pour la plupart dotés de ressources financières et culturelles au dessus de la moyenne et représentent donc un atout pour les zones d’arrivée. En analysant les départs par État d’origine, les résultats sont peu surprenants d’un recensement à l’autre. En général, les migrants quittent les États fortement urbanisés et à hivers froids du Nord et du Midwest, comme l’État de New York et l’Ohio. En 2006, la région du Nord-Est est ainsi la seule à présenter un solde migratoire négatif pour les plus de 65 ans. Ces migrants vont s’installer très majoritairement dans le sud, à raison des trois quarts dans le Sud-Atlantique et central et pour près d’un quart d’entre Retraite et société 59 > août 2010


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eux, dans le sud-ouest, suivant en cela le mouvement d’ensemble de la population américaine. Toutefois l’étude par État d’accueil des plus de 65 ans sur les 30 dernières années met en lumière des modifications progressives (Longino, 2003). En 1970, la Floride recevait 25 % du total des migrants et l’autre destination phare, la Californie, près de 10 %. La concentration géographique des destinations d’installation était Les migrants quittent en d’ailleurs assez forte : les 10 premiers États par général les États fortement l’importance des effectifs de migrants, dont 8 localisés urbanisés at à hivers froids dans le Sud, réunissaient 60 % des migrants de du Nord et du Midwest. l’Union. En 2000, ils n’en rassemblent plus que 54 %. Apparaissent désormais l’attraction grandissante de l’Ouest intérieur (Mountain states, Colorado, Utah, Nevada) ainsi que celle d’autres États du Vieux Sud comme les Carolines et l’Arkansas. En Caroline du Nord, devenue troisième destination après la Floride et l’Arizona, la population âgée s’est accrue de près de 20 % entre 1990 et 2000, atteignant désormais un million de personnes, soit 12 % des résidents de l’État. Tout en demeurant largement en tête des destinations, la Floride a enregistré une baisse assez sensible en pourcentage en n’attirant plus que 19 % de tous les migrants de plus de 65 ans. Cette progressive déconcentration géographique des destinations à l’échelle des États se reproduit à l’échelle plus fine des comtés, subdivisions des États. En sont bénéficiaires par exemple, non seulement certains comtés méridionaux, ruraux et métropolitains, jusque-là peu attirants, mais également des comtés touristiques du Nord et du Midwest, comme ceux bordiers des Grands Lacs. Ainsi, en Caroline du Nord, à côté des stations de la côte atlantique, comme Wilmington ou Morehead City, d’autres secteurs accueillent désormais de nombreux migrants âgés. Il s’agit de la région métropolitaine de Charlotte et du triangle Raleigh-Chapel Hill-Durham, où l’offre immobilière et de La Floride a enregistré une services, notamment en loisirs et en santé, baisse assez sensible en est singulièrement attractive et, plus récempourcentage en n’attirant ment, des comtés appalachiens et ruraux plus que 19 % de tous les migrants de plus de 65 ans. de l’ouest (Asheville, Hendersonville) où de nombreux retraités aisés acquièrent des résidences principales et secondaires. En Floride, les comtés méridionaux comme Miami, zones de réception anciennes, reçoivent désormais proportionnellement moins de migrants que les comtés demeurés ruraux et faiblement métropolisés de la Floride centrale1. Dans les États de la Nouvelle-Angleterre, traditionnellement peu attractifs malgré quelques espaces dotés d’une tradition touristique comme le cap Cod ou les littoraux du Maine, les données migratoires de 2000 soulignent le développement d’assez nombreux comtés ruraux et suburbains, comme 1 Note d’information sur le site web « Retirement living center », mars 2000.

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ceux des Berkshire dans l’ouest du Massachusetts, désormais clairement attractifs pour les retraités. Dans d’autres états riverains des Grands Lacs, le bilan migratoire de comtés littoraux – comme Door dans le Wisconsin, Eaton dans le Michigan ou Lake dans l’Ohio – est positif pour les groupes d’âge entre 55 et 74 ans. Or, il demeure négatif pour les plus de 75 ans et les moins de 45 ans. Pour reprendre l’expression imagée de Charles Longino, la forme de la migration de retraite tend à passer de celle d’un rayon laser à celle d’une pomme d’arrosage (Longino, 2003)… D’autant plus que les destinations les plus anciennes tendent à perdre des migrants âgés, autochtones ou non, et donc à participer à la croissance des nouvelles zones d’attraction. En effet, les tableaux censitaires permettent de comparer l’évolution des bilans migratoires pour les plus de 65 ans pour chacun des États. En Floride ou en Californie où la fonction d’accueil est ancienne, des courants de départ importants, countermigrations, s’affirment au fil des ans. Si 286 000 immigrants sont arrivés en Floride entre 1995 et 2000, 137 000 l’ont également quitté dans le même temps. Le solde est ainsi négatif pour la Californie. Aujourd’hui, les régions les plus attractives sont celles d’états plus petits à urbanisation très rapide comme ceux du sud-ouest, le Nevada avec, par exemple, le pôle de Las Vegas et l’Arizona avec les banlieues étendues de Phoenix. Le cas de la Floride mérite approfondissement en raison de sa charge symbolique et de son importance démographique. En effet, les nouveaux arrivants continuent de provenir essentiellement du Nord-Est et du Midwest. Dans le même temps, des départs de la Floride s’effectuent en direction de deux aires Sur 137 000 retraités ayant géographiques. Il s’agit du Nord et du Nord-Est. On quitté la Floride, plus du peut alors penser à une classique migration de retour tiers l’ont fait pour s’installer limitée à des personnes plus âgées ou devenues dans des états voisins. isolées, souhaitant revenir auprès de leurs familles. Un second courant est bien plus inquiétant pour l’attractivité de l’État, même s’il est encore limité. Des migrants âgés installés dans l’état le quittent pour une destination voisine qu’ils estiment plus adaptée à leurs attentes. Sur les 137 000 retraités ayant quitté la Floride, plus du tiers l’ont fait pour s’installer dans des états voisins comme la Géorgie, la Caroline du Nord et le Texas). Ce mouvement traduit sans doute le vieillissement de la destination « Floride » au profit de territoires jugés plus neufs, donc plus séduisants. Le même glissement de proximité se produit pour la Californie dont les trois plus importants contingents de départ se dirigent vers des États voisins, l’Arizona, le Nevada et l’Oregon. Ainsi la croissance en personnes âgées du Nevada est alimentée pour près de moitié par la migration de retraités californiens. Deux raisons majeures peuvent participer à l’explication de ces fluctuations. D’une part, les destinations concurrentes se sont dotées d’infrastructures de qualité équivalente à celles de la Floride et de la Retraite et société 59 > août 2010


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Californie, notamment en matière d’offre de logements, de loisirs et également en matière d’accessibilité. Ainsi en Caroline du Nord, les aéroports de Charlotte et de Raleigh sont devenus des pôles majeurs de trafic à l’échelle du continent permettant des déplacements faciles. D’autre part, la concentration des retraités dans des espaces progressivement saturés produit des effets négatifs. En Floride, sous l’effet de la pression des promoteurs, les prix de l’immobilier ont considérablement augmenté, la circulation automobile est devenue problématique sans que les transports publics aient pris le relais. Les risques climatiques (cyclones récurrents) et aussi ceux liés à la pollution croissante ne sont pas non plus négligeables. Autant d’éléments qui dégradent la qualité de vie recherchée alors que s’offrent d’autres espaces d’accueil avec des aménités de plus en plus comparables En Floride, les prix de l’immobilier sans les contraintes découlant de la forte ont considérablement augmenté, fréquentation du sunshine state. la circulation automobile est

devenue problématique sans que les

Par ailleurs, depuis quelques temps la presse transports publics aient pris le relais. américaine s’est fait l’écho d’une autre innovation, les départs de retraités étatsuniens vers le Mexique (régions de Cuernavaca et de Basse Californie) ou vers l’Amérique centrale (Costa Rica) et les Antilles anglophones. Ce mouvement, apparemment en essor, concernerait quelques dizaines de milliers de personnes – environ 50 000 selon les estimations mexicaines – ayant principalement acheté des villas et des appartements dans des enclaves pour retraités du Nord en cours de développement comme autour du lac Chapala (Truly, 2002). Néanmoins, les snowbirds, Canadiens installés en hiver dans le sud des États-Unis, en Floride notamment où ils sont estimés à 250 000 et dont le séjour maximal est limité à six mois pour continuer à bénéficier de la protection sociale canadienne, font plus qu’équilibrer ces départs vers l’autre Amérique.

Dans ce contexte de réorientation progressive des destinations de retraite, l’attractivité de tel ou tel espace n’est plus garantie définitivement. Elle dépend des transformations des évaluations matérielles et psychologiques portées sur ses qualités territoriales et sociales. Il en résulte une compétition accrue entre les territoires, compétition qui se traduit par des stratégies de promotion de ces qualités susceptibles de séduire durablement les plus de 65 ans.

Migrants âgés et développement territorial Alors qu’ils proviennent en général des aires métropolitaines, la plupart des migrants changeant d’état ou de comté sont amenés à s’installer dans de plus petites villes ou en milieu originellement rural. La migration de retraite participe donc du mouvement général de suburbanisation qui contribue aussi à la revitalisation partielle des aires rurales et touristiques. Retraite et société 59 > août 2010


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Ainsi dans une station littorale, l’arrivée de retraités permet de constituer une population permanente susceptible de réduire la saisonnalité de l’activité économique comme dans les villes les plus importantes de la péninsule du cap Cod ou dans les stations de la côte orientale du Maryland. En milieu rural ou faiblement métropolisé, l’installation de ménages de migrants âgés suscite des demandes en services, commerces et en équipements supplémentaires. Débouchant sur des créations d’emplois, ces arrivées s’avèrent souvent plus dynamisantes que les efforts des chambres de commerce et des élus pour attirer des entreprises industrielles qui sont souvent de passage dans ce types de territoires en dépit des avantages fiscaux et salariaux qui leur sont accordées. Par ailleurs, ces immigrants sont les citoyens idéaux pour les communautés d’accueil. En effet, comme ils sont plutôt aisés, ils constituent des clientèles solvables pour les entreprises locales. Ces ménages retraités n’ont plus d’enfants bruyants, ne consomment En milieu rural ou faiblement pas de cannabis… et s’investissent fréquemment dans métropolisé, l’installation de la vie associative locale. ménages de migrants âgés suscite des demandes en services.

Afin d’évaluer au mieux les conséquences de ces migrations sur les territoires, le service de recherche économique du département fédéral de l’Agriculture (Economic Research Service) a donc défini des retirement destination counties – comtés ou territoires pour retraités – où la population âgée de plus de 60 ans s’est accrue entre deux recensements de plus de 15 % grâce à l’immigration.

Les comtés non métropolisés constituent l’essentiel des destinations de ces migrants. Par ailleurs, le cinquième des comtés ruraux et non métropolisés américains entre désormais dans cette catégorie. Ils sont majoritairement localisés dans la Sun Belt et l’Ouest intérieur, mais aussi dans des zones vertes et plutôt touristiques des États du Nord et du Midwest. Ces comtés ainsi définis ont enregistré pendant la dernière période intercensitaire une croissance démographique globale de 2 % par an, soit le double du taux d’accroissement de la population totale du pays. Le taux de croissance est d’autant plus élevé que la concentration géographique des retraités est forte. C’est d’ailleurs dans les comtés où le vieillissement est le plus ancien (Floride, Californie) que l’on observe les proportions les plus élevées d’immigrés aisés, sans doute en raison du développement antérieur du tourisme qui a permis la mise en place d’infrastructures et de services adaptés. Les revenus transférés par les retraités y sont naturellement les plus importants. Dans le comté de Palm Beach en Floride, 31 % des migrants déclarent un revenu annuel supérieur à 50 000 dollars par an, et 49 % dans celui de Santa Clara, dans la banlieue de San Francisco. Les revenus déclarés sont nettement moins importants dans les autres comtés du sud rural, devenus plus récemment territoires pour retraités. Par exemple, dans un de ces comtés, celui de Benton, dans la chaîne des Ozarks en Arkansas, seulement 14 % des migrants déclarent un revenu Retraite et société 59 > août 2010


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de plus de 50 000 dollars. Néanmoins, l’apport (stable par définition), est partout significatif et contribue au développement de ces espaces. Une étude de la commission régionale des Appalaches (Crispell, Frey, 1993) évalue l’apport net d’un ménage de migrants âgés à 71 600 dollars par an pour l’espace d’accueil. En termes d’emploi, l’effet est estimé entre 0,3 et 1 emploi (direct et indirect) pour chaque retraité. De nombreux économistes et bien entendu, les administrations locales ont essayé de chiffrer les effets de la migration des personnes âgées. En fait, les retraités ne créent pas tellement d’emplois directs, mais accroissent plutôt les possibilités d’améliorer les revenus des salariés déjà sur place. Ainsi la clientèle d’un cabinet médical peut être élargie, tout comme celle des centres commerciaux. Pour les collectivités locales, les études soulignent que les ressources fiscales produites par les impôts, ajoutées à la consommation sur place des revenus, dépasseraient les dépenses occasionnées par leurs demandes de services. Le gain est particulièrement important dans les régions touristiques. En effet, la présence permanente des retraités lisse la saisonnalité des activités et rentabilise ainsi certains services, comme les commerces de base, alimentaires par exemple. Dans ces régions, mais aussi ailleurs, y compris en milieu rural, ils contribuent également à l’animation du marché immobilier en représentant fréquemment la moitié des acheteurs. Des enquêtes conduites en Nouvelle-Angleterre, sur le littoral atlantique (Pihet, 2003) au cap Cod et au Maryland souligne l’effet d’entraînement assuré par la récurrence des cohortes, année après année, des migrants retraités ; ce sont ainsi ces flux réguliers qui garantissent la rentabilité supplémentaire des activités. Le potentiel de développement local issu de l’accueil des retraités conduit les états fédérés et les collectivités locales à multiplier les efforts de promotion et de marketing territorial. Les incitations fiscales, notamment le maintien à un faible niveau des taux d’imposition locaux, constituent un outil largement utilisé. On Les retraités ne créent pas observe dans la plupart de ces territoires une tellement d’emplois directs mais volonté assez nette de réduire les impôts sur le accroissent plutôt les possibilités revenu pour les plus de 65 ans, voire comme en d’améliorer les revenus des Floride de les supprimer sous condition de résider salariés déjà sur place. la moitié de l’année dans l’état. Dans cette perspective, la Floride a créé dès 2003 une commission d’étude pour renforcer l’attractivité déclinante de son état auprès des retraités. Diverses propositions ont été émises puis adoptées, telles que le gel des taxes immobilières et foncières, l’amélioration des transports publics ou encore la simplification des procédures administratives pour l’achat des résidences. La même année, la Caroline du Nord a élaboré un state aging plan sur quatre années visant à mettre en œuvre le concept de senior-friendly communities pour accueillir les nouveaux immigrants en accroissant et en diversifiant l’offre de loisirs, d’équipements routiers Retraite et société 59 > août 2010


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et de services de santé. Ces améliorations qui ont pour but d’accroître l’afflux de populations solvables sont supposées bénéficier par ricochet à l’ensemble des habitants. Il existe aussi de nombreux sites Web informant sur les types et lieux de retraite ainsi que des guides comme Where to retire ? ou bien encore le catalogue des lieux de retraite classés par item, Retirement places rated (Pihet, 2003). Mais pratiquement toutes les collectivités territoriales diffusent aussi des brochures et des messages incitatifs sur leurs propres sites Internet à destination des retraités pour capter ces flux. Il peut s’agir d’efforts coordonnés à l’échelle En Floride, Arizona ou bien de l’état, comme au Nouveau Mexique, en Arizona encore au Nevada, la moitié ou en Géorgie avec des magazines destinés aux des acheteurs de biens clientèles nationales ou plus simplement à l’échelle immobiliers a plus de 55 ans. d’une vallée comme celle de la Shenandoah en Virginie avec des brochures et des messages télévisés. L’État du Mississipi consacre ainsi un budget annuel de 700 000 dollars à sa promotion auprès des clientèles retraitées et estime avoir pu attirer 5 000 personnes supplémentaires dans les dernières années grâce à cet effort. Les thèmes les plus fréquemment abordés par ces stratégies concernent la qualité des loisirs, des soins médicaux, la sécurité des lieux et le coût modéré de la vie, notamment celui du logement. Elles mettent aussi l’accent sur les possibilités d’emplois partiels ou à temps complet pour les personnes âgées, notamment dans les services aux personnes comme l’hôtellerie ou le commerce de détail. En effet près de 25 % des plus de 65 ans continuent par goût ou par nécessité d’exercer une activité, cumulée à une pension. En fait les messages cherchent à décrire un espace de bien-être, conçu prioritairement pour les retraités des classes moyennes et aisées, le plus éloigné possible des réalités des métropoles assimilées à des anti-modèles. D’ailleurs sur plusieurs sites Web, la sécurité régnant dans ces espaces est implicitement opposée au chaos des artères et des ghettos urbains. Toutefois le secteur immobilier se taille la part du lion dans les campagnes de promotion à destination de cette clientèle. D’après le magazine des retraités, Modern Maturity, plus de 300 promoteurs immobiliers comptent exclusivement sur les migrants retraités pour assurer une part importante de leurs ventes de maisons. Il est vrai qu’en Floride, en Arizona ou bien encore au Nevada, la moitié des acheteurs de biens immobiliers a plus de 55 ans. Ce marché tend à être dominé par des entreprises de taille nationale comme Del Webb à qui l’on doit la chaîne des Sun cities ou encore Leisure World ou Cooper Corporation. En réalisant d’importantes économies d’échelle et en promouvant des lotissements à gamme différenciée dans la plupart des régions, ces firmes élargissent l’accès à l’achat des résidences pour retraités. Elles participent donc à l’extension spatiale de territoires spécifiques pour personnes âgées, tout en contribuant aussi à façonner des modèles architecturaux répandus d’un bout à l’autre du pays, tel le pavillon sur tertre engazonné. Retraite et société 59 > août 2010


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Variété relative et mutations des espaces pour retraités Les territoires pour retraités ne se limitent pas aux enclaves regroupant plusieurs dizaines de milliers de personnes âgées, retraités et actifs « tardifs » observées en Californie et en Floride dans la chaîne des Sun cities par exemple. Ainsi, dans l’Ohio, en bordure du lac Erie, la petite ville de Conneaut, jadis port minéralier actif, a vu se développer en périphérie du noyau urbain initial, le long du lac, sur près d’une dizaine de kilomètres un ensemble de lotissements peuplés essentiellement de retraités. Ceux-ci sont originaires des grandes villes de l’État notamment de la Pennsylvanie Ces territoires pour retraités voisine. Plusieurs promoteurs y ont ainsi édifié au présentent à peu près les mêmes fil des dernières années des résidences à statut caractéristiques paysagères. varié, gated et ouvertes, achetés principalement par des ménages de classe moyenne. En lien avec ces arrivées de nouveaux commerces ont vu le jour à Conneaut, tels des boutiques de vêtements, des restaurants et un petit port de plaisance a pu se développer grâce aux loisirs nautiques pratiqués par ces immigrants. Quelles que soient leurs tailles, ces territoires pour retraités présentent à peu près les mêmes caractéristiques paysagères. Ils ressemblent à des lotissements suburbains avec des rues bordées d’arbres et régulièrement tracées séparant des maisons individuelles standardisées. De fait, le développement de ces territoires ne dépend pas exclusivement de l’agrément de leurs sites et de l’abondance de l’ensoleillement. Au lien avec le potentiel touristique, il faut ajouter trois facteurs essentiels : D’abord, une infrastructure efficace de communication est indispensable pour assurer la mobilité des retraités. Les aéroports et leurs dessertes par des compagnies charter ou low-cost tendent à jouer un rôle essentiel, notamment dans les régions du Sud, comme à Charlotte en Caroline du Nord. Ensuite la proximité d’un centre urbain et de ses équipements est nécessaire: Sun City West est à proximité de Phoenix. Dans l’Ouest de la Caroline du Nord, le centre urbain d’Asheville joue un rôle organisateur vis-à-vis des concentrations de retraités dans les vallées appalachiennes voisines. Les aménités culturelles, sociales et médicales fournies par ces centres sont indispensables à des populations massivement d’origine urbaine. Enfin, un troisième élément joue également. Il s’agit de l’identité forgée par les loisirs. En effet, l’identité fournie par le travail a disparu et même pour les actifs à temps partiel, le loisir devient un élément fortement identitaire. Ainsi des d’espaces-retraite, notamment dans le sud, sont organisés par exemple autour d’un country-club ou d’un golf-club dont le montant de l’adhésion permet aussi de sélectionner les membres. Difficile à percevoir d’emblée, le marquage par l’appartenance communautaire, si prégnant dans la vie sociale américaine, est néanmoins important et ces espaces-retraite sont aussi très fréquemment des espaces Retraite et société 59 > août 2010


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de « l’entre-soi ». Cet entre-soi peut être simplement géographique – les Bostoniens au cap Cod, les Baltimoriens à Havre de Grâce dans la baie de la Chesapeake –, mais il est aussi fréquemment social et professionnel. À titre d’exemples, citons les lotissements des anciens ouvriers de l’automobile en Floride, construits avec l’aide du syndicat, les countryclub pour les professions libérales, les affinités religieuses catholiques pour les retraités d’origine irlandaise ou bien encore les concentrations de retraités juifs dans le comté de Broward en Floride. Plus récemment, il peut s’agir de communautés fondées sur l’orientation sexuelle à l’instar des lotissements pour gays âgés construits à Santa Fé au Nouveau Mexique par l’entreprise Rainbow Vision. Les identités et les appartenances communautaires peuvent s’enchevêtrer et évoluer selon les flux mais elles sont toujours présentes et constituent un rouage essentiel du fonctionnement de ces territoires. En effet, l'examen de détail des lieux d’arrivée des migrants âgés sur les littoraux de la Nouvelle-Angleterre (Pihet, 2003) indique que pour les cohortes de retraités, les espaces attractifs n’ont pas les mêmes contenus sociaux et communautaires. Ils semblent spécialisés dans tel ou tel profil de migrants. Les stations atlantiques du Maine attirent des groupes assez populaires et ouvriers alors que les collines du Berkshire au Massachusetts jouissent d’une image plus sélective, appropriée aux milieux des intellectuels et des cadres retraités. La presse et les actions organisées par les autorités locales et les entreprises d'hébergement vont aussi dans ce sens. Il y a un tri social implicite et intériorisé par les retraités eux-mêmes qui s’exprime par des destinations différenciées selon les appartenances sociales, culturelles et ethniques. Il en résulte une vie sociale assez conformiste et parfois éloignée des brochures publicitaires. C’est, somme toute, l’univers du bowling alone conceptualisé par Robert Putnam (Putnam, 2000) avec des risques d’isolement social, en particulier pour les couples fragilisés par l’âge. D’ailleurs, preuve d’une insertion encore fragile dans le milieu d’accueil, les réseaux de sociabilité établis antérieurement continuent à fonctionner comme en témoignent les visites des familles et des amis « d’avant ». Ces territoires semblent d’autant plus des extensions suburbaines des lieux d’origine que les relations avec les communautés autochtones sont assez lâches à l’exception des rapports marchands. En Caroline du Nord, le taux de pauvreté des plus de 65 ans est de 14 %, soit trois points de plus que la moyenne nationale, et provient quasi-exclusivement des personnes âgées autochtones, résidant en milieu rural et dans les centres-villes. Ces retraités « locaux » expriment d’ailleurs des frustrations quant aux effets de ces migrations, notamment à propos de la hausse constante des prix immobiliers et de l’élévation en général du coût de la vie. Les nouveaux arrivants, bien dotés en capital économique et culturel, sont aussi souvent accusés de manipuler le pouvoir local en leur faveur, ne serait-ce que pour obtenir

En Caroline du Nord, le taux de pauvreté des plus de 65 ans est de 14 %, soit trois points de plus que la moyenne nationale.

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des dessertes routières ou des choix d’équipements qui leur correspondent plus, comme le golf. Après des décennies de développement, ce modèle territorial fondé sur la mobilité géographique semble désormais connaître quelques signes d’essoufflement qui, à terme, menaceraient sa pérennité. Une étude récente de la puissante association des retraités indiquait que 83 % des plus de 45 ans souhaitaient demeurer le plus longtemps possible dans leur lieu actuel de résidence. Cette proportion était plus faible de 12 points 10 ans auparavant. Des facteurs proprement économiques, pouvant à terme limiter la mobilité des plus de 65 ans, s’ajoutent à ces intentions. D’ailleurs, suite aux dérégulations et mutations économiques des 20 dernières années, le niveau des pensions et retraites tend à baisser, ce qui amène de nombreux sexagénaires à continuer à travailler. Entre 1995 et 1999, le nombre d’actifs de plus de 65 ans est passé de 3,6 à 3,8 millions, soit un taux d’activité de 25 % pour la tranche d’âge des 65-74 ans. Or, redevenus facteur de fixation, les emplois sont bien plus nombreux dans les aires métropolitaines que dans les zones rurales et littorales… La complexité croissante du système de santé représente un autre élément. En raison des restrictions croissantes imposées par les contrôles des dépenses de Medicare, l’Assurance maladie des plus de 65 ans, d’assez nombreux médecins – 17 % selon une enquête diffusée par l’AARP – refusent d’ajouter de nouveaux patients à leur clientèle assurée par Medicare. Dans ce cas, il ne resterait alors aux retraités qu’à payer à plein tarif la Entre 1995 et 1999, le nombre consultation de leurs nouveaux médecins, souvent d’actifs de plus de 65 ans est près de 100 dollars. Ce tarif est alors un élément passé de 3,6 à 3,8 millions, soit puissamment incitatif pour demeurer sur place. un taux d’activité de 25 % pour la tranche d’âge des 65-74 ans.

Les promoteurs et les entreprises de services pour personnes âgées ont commencé par intégrer le ralentissement potentiel de ces flux migratoires. Beaucoup prévoient alors le développement de résidences pour retraités dans les états peuplés, susceptibles d’un vieillissement accentué sur place comme dans le Michigan et l’Illinois, voire l’État de New York. Dans le New Jersey en 2007, les promoteurs programmaient la construction de 2 500 logements par an pour les ménages de plus de 55 ans dans les 10 ans à venir. A priori ces projets ne semblent pas affectés par la crise immobilière de 2008. Toutefois, si des projets en nombre plus important se réalisent dans la Frost Belt, le contenu d’ensemble n’est guère modifié et les intentions de construire des gated communities pour retraités sont toujours aussi nombreuses. Il s’agit simplement d’attirer « à domicile » les clients voulant vivre une vie de loisirs à proximité de leurs lieux habituels de résidence. Néanmoins, ce basculement migratoire au profit des périphéries des grandes métropoles, s’il se confirmait, pourrait se révéler délicat pour le développement des comtés ruraux les plus éloignés des aires métropolitaines (Kansas, Arkansas,

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Caroline…) qui ont misé sur ce type de croissance. À moins que leurs dirigeants ne trouvent d’autres stratégies et fassent appel à d’autres migrants.

Citoyenneté, espace public et gouvernance privée Il existe une grande diversité de formes de regroupements résidentiels pour retraités (age-restricted planed communities). De la communauté fermée (gated community), retranchée derrière des murs aux accès scrupuleusement surveillés, aux espaces résidentiels plus ouverts garantissant une continuité de services tout au long de la retraite (continuing care retirement community) qu’ils soient intégrés dans la ville ou en périphéries des centres, les modes de structuration et d’organisation de ces entités sont particulièrement contrastés. Nous reprendrons les critères énoncés notamment par Philips et qui caractérise ces espaces résidentiels pour retraités (purpose built retirement communities) comme des espaces d’habitation et de vie destinés aux personnes qui, passé un certain âge, ne sont plus dans une activité professionnelle à temps plein ou en retraite et disposent de ce fait de temps libéré des contraintes productives. Ces résidents peuvent bénéficier sur place d’activités, d’infrastructures et de services dédiés en toute autonomie et en sécurité dans cet espace d’habitation destiné à répondre à leurs besoins (Philips et al., 2001). L’émergence de ces lieux de vie pour retraités interpelle classiquement la sociologie dans l’analyse des formes de production de la ville et de la cohésion sociale ou s’opposent deux modèles archétypales. L’un ségrégatif fondé sur la conformité à des normes implicites ou explicites de sélection des habitants, générant finalement des formes d’homogénéité sociale ; l’autre intégratif prônant l’accumulation, la mixité sociale et l’hétérogénéité des populations. Au-delà de cette dichotomie plutôt tranchée, deux questions se posent sur les acteurs légitimes pour concevoir et produire la ville et arrêter les critères pertinents pour en dessiner les contours jusqu’à tracer des séparations spatiales et sociales entre les habitants d’un de ces territoires et le reste du monde (Le Goix, 2005 et 2008). La question de la spécialisation territoriale et du découpage des espaces, aux fonctionnalités spécifiques (produire, dormir, se divertir, etc.) avec une rationalisation des flux et des stocks (mobilités, sédentarité) se retrouve implicitement dans ce modèle qui concentre les retraités en un même lieu, distinct du monde des actifs. Cette « périphérisation » interpelle aussi la sociologie du pouvoir dès lors qu’elle se fonde sur une approche interactionniste où la possibilité d’interrelation préconditionne la probabilité d’une relation de pouvoir (Weber, 1971 ; Crozier et Friedberg, 1977 ; Viriot Durandal, 2003). L’enjeu est bien de définir ici le cadre de l’interaction sociale en la conditionnant structurellement à l’existence d’espaces de probabilités de rencontre, d’interrelation, et même de confrontation. Dans les formes probables ou improbables du lien social que trace la ville, c’est aussi la question du pouvoir sur elle qui se pose. Il apparaît que les collectivités Retraite et société 59 > août 2010


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locales et les acteurs de la société civile (associations sans but lucratifs, fondation) ne sont pas rares dans ce type de projets, mais les acteurs privés demeurent largement majoritaires dans la conception et la gestion de ces espaces de vie. En acceptant la création ex nihilo d’enclaves périphériques à leurs propres bassins de populations, les collectivités locales accompagnent la construction de lieux de vie entièrement dédiés aux projets de vieillissement d’une population (purpose built comunities). Le schéma de développement économique local qui s’impose dans un univers de plus en plus concurrentiel induit l’acceptation par les décideurs publics d’enclaves où des populations liées par un intérêt commun peuvent aussi constituer à terme des groupes d’intérêts distincts et cohérents susceptibles d’exercer des pressions dans le cadre de la démocratie politique locale (Le Goix, 2001). L’émergence du pouvoir de ces ensembles pouvant se manifester par la volonté d’auto-administrer ce qui échoit communément aux pouvoirs politiques locaux, qu’il Dans les formes probables s’agisse de l’adaptation des infrastructures aux besoins ou improbables du lien spécifiques des populations âgées (route, espaces social que trace la ville, publics adaptés aux personnes âgées, espaces verts, c’est aussi la question du etc.) ou de la gestion des services (sécurité, loisirs et pouvoir sur elle qui se pose. activités, service médicaux, sanitaires et sociaux à la personne, etc.). Avec un degré plus ou moins élevé d’autarcie et la création d’espaces réservés à une population spécifique sur un territoire donné, se pose la question du partage des ressources au sens large. En premier lieu, l’accès privilégié, voire exclusif, aux infrastructures des villages seniors et aux services qui y sont offerts renvoie à la question de la cohabitation entre un espace doté d’infrastructures et un autre en proximité qui en est souvent dépourvu. Les contrastes ne se posent donc pas tant en termes de groupes d’âge que d’accès des populations locales aux infrastructures dédiées. En outre, le fait de prendre en charge à la fois des infrastructures et des services au sein de ces communautés restreintes peut induire des phénomènes de réticence à l’impôt local dès lors qu’une partie des besoins des résidents sont déjà partiellement ou totalement couverts et organisés dans le cadre de financements privés. Le « pouvoir gris » se manifeste, en l’espèce, par un collectif d’intérêt revendiquant la prise en considération de ses intérêts propres au dépend de logique collective intégrant d’autre populations, d’âge, de conditions socio-économiques ou d’origines différentes en faisant pression pour la baisse de la fiscalité locale. La loi permet déjà aux personnes morales à but non lucratif qui gèrent ces communautés d’échapper en grandes partie aux taxes et impôts locaux grâce au régime fiscal particulier (Commision on accreditation of rehabilitation facilities, 2007). Plus encore, la présence d’une population d’électeurs conscients de leur identité et de leurs intérêts peut mener à des pressions sur le plan électoral de nature à faire basculer le centre de gravité politique vers les plus anciens dans l’utilisation des ressources publiques des collectivités en favorisant la politique de la vieillesse. La question des choix politiques dans l’évolution de l’environnement urbain Retraite et société 59 > août 2010


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est alors posée. Des travaux américains ont ainsi mis en évidence l’importance de l’action collective des résidents âgés en étudiant le cas du village pour retraités de Laguna Woods dans le comté d’Orange en Californie. Le projet de construction d’un aéroport, particulièrement attendu dans le cadre des projets de développement local, s’est heurté à une résistance intense stimulée par les entrepreneurs immobiliers du complexe et animée par les retraités désireux de maintenir leur qualité de vie et la valeur de leurs logements en évitant l’installation d’une zone aéroportuaire à proximité (Andel et Liebig, 2002). Le Goix mentionne, par ailleurs, l’exemple de la communauté fermée de Coto non exclusivement composée de retraités, mais où plus de 80 % des résidents n’ont pas d’enfants et se sont prononcés à 84 % contre l’ouverture d’une école publique (Le Goix, 2005). Comment dans ces conditions les arbitrages politiques entre les différentes populations présentes sur le territoire peuvent-ils respecter l’intérêt général et l’équilibre entre les différentes composantes socio-économiques et générationnelles ? La question des pressions exercées sur les collectivités locales pose le problème de la réduction consécutive de leur capacité d’action et partant de leur périmètre d’intervention du fait d’une privatisation implicite de certains domaines par une collectivité particulière (en l’espèce les communautés de personnes âgées) ou de leur capacité à constituer des forces politiques suffisamment cohérente et organisée pour faire échec au pouvoir politique. Un mouvement paradoxal prend forme en générant la réduction de l’espace public entendu au sens premier d’une agora délibérative fondée sur une collectivité publique ancrée dans le cadre des entités politiques et démocratiques existantes que sont les collectivités locales au profit d’espace collectifs privés administrant ces espaces. Dans d’autres configurations, ces deux espaces publics et collectifs, mais privés, se superposent à l’issue d’un combat pour leur reconnaissance à l’instar de la communauté de Laguna Hills créée en 1964 et qui, en 1999, obtient le statut de commune. C’est le rapport entre la sphère de compétence juridique d’une communauté et celle de la société dans laquelle elle est insérée et à laquelle elle est sensée se soumettre qui est ici posé. Fondamentalement, il s’agit de comprendre dans l’analyse des pouvoirs en présence, comment ces territoires dédiés aux personnes âgées font société avec les espaces juridiques et délibératifs qui la dépasse dans l’espace géographique et la transcende, par subsidiarité, dans la hiérarchie des normes. Comment, par exemple, alors que le principe de discrimination par l’âge est interdit au niveau fédéral, des collectivités privées peuvent-elles le retenir comme critère de sélection des résidents ? Un amendement à la loi Unruh qui interdisait la discrimination dans les établissements commerciaux a du être amendé en 1984 pour valider légalement l’existence de communauté fermée fondée sur critère d’âge (Le Goix, 2005). Au-delà, comment ce même critère peut-il déterminer l’accès, même temporaire, et la possibilité d’acquérir un bien immobilier pour y résider dans ces espaces protégés ? Retraite et société 59 > août 2010


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Dans l’une des plus grandes communautés fermées au monde, il est fait obligation d’avoir au moins 55 ans pour devenir propriétaire d’une maison avec interdiction aux personnes de moins de 19 ans d’y résider de manière permanente. Le séjour des enfants dans le village y est strictement limité à 30 jours par an (Blechman, 2008). Les règles liées à l’accès à ces espaces, mais aussi à la sécurité, mériteraient également d’être mieux observées pour en mesurer la compatibilité avec la règle commune dans l’État et au niveau fédéral (Le Goix, 2005). L’intégration aux communautés de personnes âgées induit une adhésion à un ensemble de règles collectives, plus ou moins bien contrôlées par les résidents, sous forme de règlements intérieurs ou de contrats standards qui régissent l’espace commun. Par ailleurs, une partie des droits et de l’accès des résidents aux services au sein de ces entités sont conditionnés par leur niveau de contribution financière. Les moyens économiques pouvant ouvrir à des éligibilités à géométrie variable en matière de Dans l’une des plus grandes services récréatifs et de soins à la personne. Fortement communautés fermées au individualisées, ces communautés sont souvent monde, il est fait obligation régies par des règles où l’individu s’inscrit dans une d’avoir au moins 55 ans collectivité par contrat, pleinement conscient des pour devenir propriétaire. règles et des projets qui ont inspiré les concepteurs de ces lieux. En cela, l’intégration à ces ensembles est aussi une forme de projet individuel de vieillissement dans un cadre collectif partagé par des pairs.

Pouvoir agir sur son cadre de vie et son projet de vieillissement La vie à l’intérieur de ces communautés est souvent organisée par des services privés (animation, soin, coordination gérontologique, etc.) à but lucratif ou non, et animée par des professionnels ou auto-organisée par les retraités eux-mêmes. Ces activités échappent donc, en grande partie, à la gestion de la commune et des collectivités locales avoisinantes. Dans cette approche, la définition du cadre de vie à la retraite n’est pas un bien commun garanti par des droits politiques partageables entre tous les citoyens âgés de manière égale, mais une opportunité qu’offre la propriété et/ou l’acquittement d’un droit d’accès en tant que locataire à un espace dédié au vieillissement. Le pouvoir s’exerce, dans la théorie libérale du libre choix et de la régulation par le marché par la capacité dont disposent les acheteurs ou les locataires à adhérer ou refuser le projet de vieillissement présenté par les différentes communautés en concurrence. A posteriori, le résident exerce théoriquement son pouvoir auprès des opérateurs du projet (promoteurs immobiliers, collectivités locales, fondations, associations Retraite et société 59 > août 2010


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sans but lucratif, etc.) qui réservent un rôle plus ou moins important aux résidents âgés ou à leurs représentants dans la conception, l’évolution et la gestion du cadre de vie. Mais les associations de résidents structurent l’agora en partie seulement. La spécialisation sur les problématiques de vieillissement des opérateurs immobiliers, urbanistes, juristes et financiers, promoteurs de ces ensembles, induit un degré de compétence et d’expertise dont ne disposent pas toujours les retraités et leurs associations. Pour autant, l’ingénierie gérontologique concentrée sur un espace réduit doit induire en théorie une meilleure attention et prise en compte des besoins des personnes âgées par un personnel spécialement qualifié. Cette focalisation sur les problématiques gérontologiques – dans le cadre d’une rationalisation de la conception et des fonctions d’un territoire donné – contribuerait à une plus forte participation sociale à travers une offre riche et diversifiée d’activités endo et exocentrées avec notamment une forte stimulation pour l’engagement bénévole à l’intérieur comme à l’extérieur des villages seniors, mais aussi une mise à disposition de services à la personne adaptés et coordonnés (Croucher, 2006). La conception environnementale de ces projets s’inscrit dans la construction d’un cadre de vie tout autant matériel et infrastructurel, qu’immatériel (conception et professionnalisation de services sanitaires, sociaux et récréatifs, affirmation de règles et valeurs communes) visant à permettre la réalisation d’un modèle de retraite conforme à une conception particulière du vieillissement réussi, à la fois actif, sécurisé et autonome. C’est un modèle essentiellement tourné vers les loisirs et le développement personnel. Le cadre de vie rencontre alors une conception à la fois normative et programmatique enjoignant au vieillissement de s’adjoindre immédiatement les qualificatifs de « réussi », « actif » ou « productif » (Walker, 1999). Pour autant, ces notions promouvant l’activité tout au long du vieillissement ne comportent pas les mêmes projets. Comme le rappellent Bass, Caro, et Chen (1993) : « Although successful aging and productive aging are representative of a wawe of positive thinking about aging, the terms reflect very different perspectives about older people. In productive aging, the emphasis is on the role older people can play in society ; in successful aging, the emphasis is on individual physiological and psychosocial capacity and performance ». Les communautés de retraités posent donc des injonctions paradoxales. Qualifiées de lifestyle communities (Green, 2004), elles véhiculent essentiellement une conception de la retraite fondée sur l’activité. L’entretien et la mobilisation des capacités physiques et intellectuelles sont fortement encouragés, à tel point que certaines études mettent en avant leur difficulté à répondre aux besoins de ceux qui incarneraient en définitive la vraie vieillesse et ses stigmates (perte d’audition, déficiences visuelles et sensorielle, troubles de la mémoire ou du comportement, etc.). La difficulté de ces publics à s’inscrire dans les activités et les projets d’animation de ces ensembles résidentiels en témoigne (Bernard et al., 2007). Pourtant le souhait des résidents est de pouvoir être accompagnés sur le même lieu de vie tout au long des différentes étapes de leur vieillissement. Retraite et société 59 > août 2010


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Les valeurs d’autonomie et le pouvoir sur soi sont particulièrement dominants dans ce type d’ensembles résidentiels (Croucher, 2003 ; Bernard et al., 2007; Bernard, 2008). Le second paradoxe relève précisément du principe même de mise en retrait, voire d’isolement, de la société à travers un éloignement géographique des centres urbains pour trouver un environnement permettant un vieillissement conforme au modèle de réussite de cette période de l’existence hors du champ professionnel, comme si ce modèle du vieillissement devenait peu conciliable avec celui du vieillissement intégré socialement dans des ensembles plurigénérationnels et hétérogènes sur le plan socioéconomique. Finalement, la création de villages senior ne constituerait-elle pas à elle seule l’aveu de l’échec des politiques de vieillesse locales ? Doit-on en conclure une déroute des politiques d’intégration sociale pour tous les âges prenant en compte les besoins d’autonomie, de sécurité et de services de certains segments de la population âgée ? Ces carences supposées induiraient alors La création de village senior ne leur migration vers des zones plus accueillantes constituerait-elle pas à elle seule (senior friendly communities). Il est difficile de l’aveu de l’échec des politiques saisir avec exactitude la portée explicative de cette de la vieillesse locales ? hypothèse tant sont complexes et diverses les politiques locales en la matière. Le recensement des motivations des résidents d’un village senior en Grande-Bretagne souligne l’importance de la recherche d’un cadre assurant l’autonomie de la personne, et sa prise en charge sanitaire et sociale (Croucher, 2003) Pour autant les études sur les phénomènes migratoires parmi les retraités états-uniens concluent à un ensemble de motivation beaucoup plus contrasté. Grâce au Health and Retirement Survey, une enquête a été menée pour la cohorte 1931-1941 entre 1992 et 2004. Il apparaît que les migrations liées à une volonté de mieux vivre sa retraite dans un environnement plus adapté ne sont pas les premières raisons qui poussent au changement. En effet, les deux premières causes invoquées pour expliquer le déménagement sont d’ordre familial à 28 % (perte d’un conjoint et volonté de rapprochement avec les proches) et financier à 22 % (coût trop élevé du logement, besoin de liquidité, etc.). Dans 21 % des cas, les déménagements sont motivés par la recherche d’un meilleur endroit ou d’une maison plus appropriée et dans 16 %, ils sont directement liés à la retraite. (Haverstick, Zhivan, 2009). L’évolution des formes et de l’intensité des solidarités familiales, la place des politiques publiques dans la détermination des conditions et du cadre de vie, l’affaiblissement de l’État providence, et la montée des valeurs individualistes offrent donc aussi un cadre d’analyse pertinent à prendre en compte dans l’analyse du développement des diverses formes de regroupement résidentiel d’une partie de la population âgée, notamment dans le monde anglo-saxon. Retraite et société 59 > août 2010


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Conclusion Ainsi, au fil des recensements, on assiste à la fois à une stabilité d’ensemble de la proportion des mouvements migratoires des plus de 65 ans et à une diffusion progressive de ceux-ci. Cet élargissement géographique s’effectue au détriment des destinations traditionnelles comme la Floride ou la Californie. Dans ce contexte, les collectivités américaines adoptent très largement une attitude active et concurrentielle tendant à promouvoir l’arrivée des retraités et à faciliter leurs consommations. C’est la mise en pratique de l’aging enterprise conforme à la philosophie économique dominante en Amérique du Nord (Estes, 1979). Les effets en sont encore difficilement mesurables à l’échelle du pays et relèvent avant tout du développement local. Les retraités sont amplement considérés comme des atouts économiques majeurs par de nombreuses petites communautés. Toutefois, les formes territoriales produites par ces migrations tendent à « l’entresoi » dans un transfert du modèle suburbain et donc à se surimposer simplement aux structures géographiques locales existantes. On pourrait alors les qualifier de suburbanisations cloisonnées. La réduction possible de la mobilité géographique des retraités ne semble pas devoir remettre en cause ce style résidentiel, tout au plus le déplacer, en partie vers les États peuplés et urbanisés du nord. Mais quels que soient les lieux, la marée annoncée des retraités baby-boomers plaide a priori en faveur d’une progression des effectifs. Les prévisions établies pour la Caroline du Nord impliquent un doublement des effectifs des plus de 65 ans, passant d’un million actuellement à deux millions en 2020, par immigration et aussi vieillissement sur place. Mais la baisse des mobilités résidentielles, la diminution annoncée du niveau des pensions et la croissance continue du coût de la santé ne risquent-elles pas de modifier ces tendances pour les nouveaux espacesretraite au risque de remettre en cause des équilibres géographiques acquis par ces régions faiblement urbanisées grâce au développement récent de « l’industrie de la retraite » ? Par ailleurs, les processus de construction d’espaces segmentés et spécialisés dans l’accompagnement du vieillissement peuvent-il se dispenser d’une recherche de cohésion sociale sur un territoire partagé ?

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Le 3e colloque international du REIACTIS aura lieu à Santiago du Chili, les 26 et 27 octobre 2010 sur le thème: Âge, citoyenneté et pouvoirs: de la recherche à l’action. Avec le parrainage de l’ONU et du gouvernement du Chili, ce colloque est organisé en collaboration avec l’université pontificale du Chili qui accueillera les débats. Seront présents: Anne-Marie Guillemard, Alan Walker, Michèle Charpentier, Rosita Kornfeld et plus de 75 chercheurs de 17 pays. Les grands axes de ce colloque portent sur les politiques publiques en faveur de l’intégration des personnes âgées aux décisions et les implications pour les pratiques professionnelles. La question du pouvoir de décision aux différents moments du vieillissement sera posée afin d’ouvrir des perspectives sur les nouveaux défis pour l’accès au droit, à l’information et à la formation des personnes âgées. Retraite et société 59 > août 2010



P A R T I E

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Entretien avec Serge Volkoff et Anne-Françoise Molinié 164 Santé au travail : jusqu’où se logent les inégalités sociales ? Stéphanie Vermeersch et Marie-Hélène Bacqué 174 Habiter autrement pour mieux vieillir: héritages et perspectives Faits et chiffres Participation et choix des personnes âgées vivant en institution

Le point sur Espérances de vie, espérances de vie en santé et âges de départ à la retraite Planification urbaine et vieillissement

Regards sur le droit Minimum contributif et pension de réversion

Notes de lecture Analyses critiques Parutions

Résumés /Abstracts

181 194

206

218 232 248

253

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avec

entretien Anne-Françoise Molinié et Serge Volkoff,

Créapt – CEE Unité de recherches « Âges et travail »

Réalisé par Emmanuelle Cambois

Santé au travail : jusqu’où se logent les inégalités sociales ? Les inégalités entre professions face à la mort sont très fortes en France. Les ouvriers ont une espérance de vie plus courte et passent plus de temps en mauvaise santé. En quoi les conditions de travail contribuent-elles directement à ces inégalités en fin de carrière ? Comment cela a-t-il évolué au cours du temps ? Outre les analyses épidémiologiques conduites dans ce domaine de recherche, des travaux spécifiques permettent de mettre en évidence le poids de l’organisation du travail et des pénibilités dans la dégradation de l’état de santé des travailleurs, mais aussi dans les possibilités qui leur sont offertes de se mettre à l’abri et de poursuivre une activité professionnelle jusqu’au terme légal. Dans ce domaine, les travaux d’Anne-Françoise Molinié et Serge Volkoff mobilisent des disciplines variées telles que la démographie, la statistique ou l’épidémiologie et l’ergonomie pour analyser les facteurs de risques professionnels ou, au contraire, des conditions favorables auxquels sont soumis les travailleurs vieillissants. EC : Il existe des fortes inégalités sociales d’espérance de vie et d’espérance de santé selon la profession : quelles sont aujourd'hui les conditions de travail qui contribuent à détériorer l'état de santé des travailleurs en fin de carrière ? Retraite et société 59 > août 2010


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SV : Nous disposons à présent d’un corpus de connaissances solide, cohérent et convergent sur le fait que certaines caractéristiques du travail ont des effets délétères à long terme sur la santé. Ils peuvent se manifester dès le milieu de la carrière, davantage – statistiquement parlant – vers la fin de la carrière et encore plus, après elle. Les connaissances dans ce domaine mettent surtout en évidence le rôle de l’exposition aux toxiques, dont les cancérigènes (implication dans la survenue des cancers), le travail de nuit qui a des effets directs ou indirects, notamment sur le fonctionnement de l’appareil cardiovasculaire, et tout le champ des efforts physiques comme les manutentions lourdes, mouvements répétitifs, vibrations… Sur ce troisième point, en l’état actuel des choses, nous ne connaissons pas bien les conséquences des efforts sur l’espérance de vie. En revanche, nous savons leurs effets sur le système ostéo-articulaire dans la seconde partie de la vie professionnelle et après la fin de la vie professionnelle. Mais si l’on veut traiter des conditions qui peuvent poser des problèmes tout au long de la vie, on peut élargir la gamme. Même sans parler du travail de nuit, les horaires décalés peuvent avoir des effets immédiats sur la santé. De même, un certain nombre de caractéristiques physiques, autres que celles qui viennent d’être abordées, comme le bruit, les sollicitations visuelles, conséquences d’un mauvais éclairage, peuvent avoir des effets tout au long de la vie. Les facteurs de « pénibilités mentales », toutes les contraintes liées aux objectifs et à l’organisation du travail, qu'on oublie souvent d'évoquer, agissent aussi sur l'état de santé des personnes et leur capacité à pouvoir exercer correctement leurs activités, entre autres professionnelles: contraintes de temps, faible marge de manœuvre, impossibilité de faire un travail de qualité… Quant à ce qu’on appelle usure en fin de carrière, ce n’est pas un terme dont la définition est bien stabilisée. On voit bien à quoi ce terme renvoie dans le langage courant. Dans les travaux scientifiques, le mot « usure » n’a guère été utilisé avec une définition très précise. Néanmoins, on peut dire que dans l’idée d’usure se trouvent deux notions, distinctes, même si elles peuvent être liées entre elles : – « J’ai été usé par » : cette expression renvoie à ce que l’on vient de dire. Il s’agit de traces provenant d’expositions cumulatives dans le temps sur la santé du travailleur. On n’utiliserait pas le terme d’usure pour un accident survenu à un moment donné. On est bien ici dans le processus régulier. – « Je n’ai plus un organisme aussi fringant qu’il a été et je me sens trop usé pour faire ce travail » peut caractériser une seconde définition de l’usure. EC : Dans le domaine de la santé, l’usure ne renvoie-t-elle pas souvent à l’usure articulaire ? AFM : Pas seulement. La notion d’usure renvoie souvent à l’idée d’une atteinte globale à la santé (et pas forcément des atteintes spécifiques), combinant les effets de l’avancée en âge et les traces de l’ensemble de la vie Retraite et société 59 > août 2010


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professionnelle. Elle est généralement appréhendée de façon différentielle, en fonction du sexe, des groupes sociaux, des métiers, etc. Dans l’enquête Santé et vie professionnelle après 50 ans (SVP50)1, on avait plusieurs questions autour de ce sujet, et notamment une appréciation qui était donnée par les médecins du travail. Ils indiquaient si, de leur point de vue et indépendamment des décisions qu’ils pouvaient prendre en matière d’aptitude ou d’inaptitude, tel salarié « devrait cesser de travailler ». La réponse « oui » suggérait l’idée que si cette personne continuait à travailler dans ces conditions, sa santé allait se dégrader du fait du travail, mais aussi qu’il semblait difficile de transformer le contexte de travail pour lui permettre de travailler en santé et sans mettre en péril son emploi. En plus de l’état de santé, les résultats mettaient en évidence que le jugement « ce salarié devrait cesser de travailler » était très lié à l’importance des exigences physiques du travail encore présentes en fin de vie professionnelle, mais aussi à celles du passé. Ils soulignaient aussi les difficultés qu’il peut y avoir à travailler par exemple quand on n’a pas le sentiment d’avoir « les moyens pour faire un travail de qualité » ou quand le travail « ne permet pas d’apprendre »2. EC : Est-ce qu’il n’y a pas aussi une forme d’usure liée à un problème de démotivation, en lien avec une pénibilité mentale, qui pourrait expliquer la difficulté à supporter la pression en fin de carrière, à s’adapter à de nouvelles demandes et avoir un effet sur l’envie de ne pas poursuivre son activité ? SV : Ce n’est pas forcément la même chose que l’« usure » dont on parlait jusqu’ici. Mais on pourrait reprendre cette idée dans le champ de la démotivation pour renvoyer à tous les itinéraires qui ont été très ankylosés (un même travail sans intérêt sur une longue durée) ou bien encore pour le fait de subir toute une panoplie de contrariétés de travail dans le registre de l’ambiance quotidienne qui finit par « user ». Mais les phénomènes comme le manque de variété, d’occasions d’apprendre, de possibilités de coopérer, de moyens d’obtenir de bons résultats ou pire encore, le fait qu’« on » attende de nous des « mauvais résultats »3 réfèrent plutôt à la démotivation qu’à l’usure. L’âge devient en fin de carrière un facteur susceptible de rendre des conditions de travail plus délètères. Il existe d’ailleurs toute une série de liens possibles. Il y a des liens cumulatifs. Beaucoup de caractéristiques de santé sont « indexées » sur l’âge; dans les travaux épidémiologiques, on voit bien que la prévalence des troubles de santé augmentent avec l’âge, 1 En 2003, le groupe épidémiologie du Cisme, en collaboration avec le Créapt, a pris l’initiative de l’enquête SVP50. Six-cent-cinquante médecins du travail, de toutes les régions, ont recueilli 11 213 questionnaires auprès de salariés de 50 ans ou plus, qu’ils recevaient en visite annuelle. 2 Pommier J.-L., Bardouillet M.-C., Gilles M. et Molinié A.-F., 2006, « Ce salarié devrait cesser de travailler : une approche de l’usure professionnelle des 50 ans et plus », Retraite et société, n° 49, p. 39-59. 3 Ceci fait référence à un phénomène relativement récent où travailler trop bien n’est pas ce qui est souhaité.

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indépendemment même de la vie au travail. Quand cette avancée en âge s’ajoute à des caractéristiques de travail usantes, invalidantes, pathogènes, elles peuvent s’additionner. C’est important, car celles-ci peuvent faire franchir un seuil de tolérabilité de la vie de travail. Parfois ces effets des caractéristiques du travail peuvent aussi interagir avec l’âge. Cela est parfaitement démontré dans l’exemple de la qualité du sommeil en lien avec l’âge. Les effets de raccourcissement de la durée du sommeil à cause du travail de nuit sont plus forts chez les quinquagénaires que chez les personnes de 20 ans, d’un point de vue statistique. Il existe aussi l’effet inverse : avec l’âge, on a un processus de construction, une élaboration de l’expérience, y compris de l’expérience de soi où l’on développe des stratégies de préservation dont certaines sont très efficaces et là, on constate presque des effets positifs de l’âge sur la préservation de la santé au travail. Il faut pour cela que les salariés aient une marge de manœuvre suffisamment grande. Cela dépend complètement des conditions et de l’organisation du travail, des contraintes de temps, de la formation, de la conduite des changements et de l’organisation des collectifs. AFM : Il faut faire attention à ne pas s’intéresser qu’aux plus âgés ou à seulement les comparer aux plus jeunes pour comprendre les effets de l’âge. En particulier, parce qu’il y a des phénomènes de sélection qui interviennent tout au long de la vie de travail, notamment dans des conditions de travail difficiles : ceux qui y sont, et surtout ceux qui y restent, sont ceux qui ont pu y rester. Il faudrait aussi s’intéresser à ceux qui partent, à tous les âges. EC : Les conditions de travail ont évolué, mais est-ce au bénéfice des travailleurs ou à leurs dépens ? Les inégalités s’aggravent-elles ou diminuent-elles ? SV : Les conditions de travail ont évolué dans des directions qui ne sont pas exactement celles que l’opinion courante tend à croire ou à faire croire. On prétend trop souvent caractériser cette évolution par la substitution du travail intellectuel au travail manuel, l’élévation de l’autonomie et des qualifications. Cette évolution apparaîtrait comme une sorte d’amélioration « naturelle » des conditions de travail au terme de laquelle les salariés seraient moins fatigués physiquement, trouveraient davantage d’occasions de développer leurs compétences et auraient davantage d’indépendance dans la manière d’organiser leur propre travail. Non pas que tout cela soit complètement faux, mais il faut beaucoup nuancer cette croyance. Concernant les expositions physiques, notamment celles environnementales, on ne constate pas de tendance à la baisse dans l’exposition aux solvants, aux produits chimiques, aux toxiques divers dans les milieux de travail. Ce ne sont pas forcément les mêmes qu’avant, certaines techniques de prévention peuvent être développées, mais dans le fond, les choses sont restées Retraite et société 59 > août 2010


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identiques. Concernant l’exposition aux efforts physiques, il y a un recul des sollicitations physiques extrêmes, les bruits très élevés, les températures très hautes, les charges lourdes à porter… Des actions de prévention les ont faites reculer. En revanche, pour les expositions moyennes-fortes, sachant qu’elles laissent, elles aussi, des traces sur la santé, on ne trouve aucune amélioration. Jusqu’à présent, elles se maintiennent au même niveau et sont même probablement plus étendues, car des phénomènes de polyvalence ou de précarité sont survenus. Concernant le registre de l’organisation, l’élément principal est l’intensification. On travaille de plus en plus dans la hâte ou bien l’on doit changer de travail rapidement. Tout cela potentialise les autres contraintes : on pourrait, par exemple, profiter d’une aide à la manutention, mais on n’a pas le temps ; on pourrait soulever quelque chose à deux, mais on doit le faire seul, car l’autre est débordé… Il y a toute une série de stratégies de protections individuelles et collectives qui sont remises en cause par la hâte au travail. Les éléments que nous possédons actuellement nous incitent à penser que ce mouvement général vaut à peu près dans toutes les catégories sociales. Quant à la tension nerveuse, toutes les statistiques existantes montrent un surcroît de facteurs de tension au travail dans les catégories du bas de la hiérarchie sociale. La différence socioprofessionnelle de ce point de vue se caractérise par une augmentation de pression temporelle plutôt dans le haut de la hiérarchie, mais on constate aussi davantage de marges de manœuvres, de moyens d’action pour gérer cette pression temporelle. Les situations où l’on trouve peu de marge de manœuvre se trouvent plutôt vers le bas de cette hiérarchie. L’aptitude à apprendre, à s’adapter à de nouveaux métiers, l’évolution des technologies et le besoin d’apprendre davantage représentent également des facteurs d’accroissement d’inégalités, spécialement en France ou dans des pays ayant une absence de dynamique de la formation professionnelle continue. La France est un pays où le niveau de formation continue est bas par rapport à la quasi-totalité des pays occidentaux avec de fortes inégalités sociales dans l’accès à la formation. L’esprit de la loi de 19714, qui visait à ce que la formation continue compense les inégalités dans l’éducation initiale, n’a pas été suivi et ne se traduit pas du tout dans la réalité. Dans ce cas, on trouve une réelle différence entre les catégories professionnelles. En outre, on observe une pente descendante forte et parallèle en niveau, c’est-à-dire avec des rapports qui s’accroissent. En effet, le rapport entre le niveau de ces courbes ne cesse de grandir avec l’accroissement de l’âge. Les ouvriers ou les employés peu qualifiés, surtout les plus âgés, sont réellement moins bien formés pour faire face aux changements de technologies ou de métiers, ou même pour changer d’emploi, par exemple pour échapper à une tâche pénible. 4 Loi du 16 juillet 1971 instaurant en France la formation professionnelle continue.

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EC : On constate aussi des parcours plus souvent discontinus et davantage d'insécurité professionnelle. Ces caractéristiques ont-elles un effet sur la santé ? SV : Les enquêtes Précarité-Santé-Travail indiquent des résultats assez ambivalents. La santé des précaires est plus exposée, en raison de conditions de travail plus difficiles. Mais lorsqu’on essaie d’isoler la précarité dans des analyses à plusieurs variables, elle apparaît parfois, en elle-même, paradoxalement « protectrice » par rapport à un certain nombre de risques inhérents au travail. Il faut préciser que nous parlons ici du travail, il ne s’agit pas de la difficulté de trouver un logement ou autres. C’est un point un peu étonnant que les sociologues mettent en rapport avec l’aspect temporaire du travail. En effet, lorsqu’une personne est dans un emploi pour peu de temps, elle a tendance à minimiser les problèmes puisqu’elle sait que les choses s’arrêteront de fait à la fin du contrat et qu’elle partira ailleurs. Mais la ligne générale reste tout de même que les précaires sont dans les travaux les plus difficiles et les plus dangereux. Cependant, nous ne connaissons pas dans ce domaine des résultats spécifiques sur ce qui se passe en fin de vie active… AFM : Concernant les jeunes d’aujourd’hui, peut-être que les difficultés à entrer dans un emploi long et sécurisé et tous les phénomènes de crainte de perdre leur emploi ou de ne pas être dans un emploi stable auront aussi des effets sur leur santé au fil des années. On ne connaît pas bien le degré de réversibilité de ce type de détérioration de la santé. Porte-t-on le poids de ce qu’on a vécu pendant un certain nombre d’années (petits boulots, incertitudes, inquiétudes…) ? Ce n’est pas beaucoup évalué pour l’instant. Il y a un autre volet à étudier, celui des précaires âgés qui auparavant ont été, au contraire, en emploi stable pendant de longues années. Les évaluations sont très difficiles pour d’autres raisons liées au fait que le phénomène majeur est la perte d’un métier, d’un statut. On ne sait pas si c’est la vie même de salarié précaire qui va être pathogène ou si c’est le fait d’avoir quitté une situation de travail dans laquelle les personnes se reconnaissaient et de devoir vivre d’expédients en attendant la retraite. EC : Les caractéristiques professionnelles défavorables sont inégalement réparties dans les catégories socioprofessionnelles. Mais elles concernent aussi différemment les hommes et les femmes du fait d'une segmentation sexuée des métiers encore aujourd'hui. Voit-on des pénibilités plus spécifiquement féminines ou masculines ? AFM : Si on revient à la distinction sur les différents types de pénibilités, celles qu’on relierait plus à des possibilités de départ anticipé (exposition à des produits toxiques, efforts physiques importants, etc.), c’est certain qu’on les trouve plus souvent dans les métiers masculins. Parce que les hommes et les femmes, globalement, ne travaillent pas dans les mêmes Retraite et société 59 > août 2010


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secteurs, ne sont pas sur les mêmes postes, et n’ont pas non plus eu des vies de travail professionnel de mêmes durées. Mais aussi, dans de nombreux métiers féminins, on a plus de mal à évaluer la pénibilité, et les expositions sont parfois moins visibles. Je pense notamment à des métiers assez proches du travail domestique (nettoyage, gardiennage) ou de soin aux malades ou aux enfants ; il y a un masquage des pénibilités dû à l’analogie spontanée qui est faite avec la vie privée, alors que celles-ci méritent d’être perçues et reconnues comme des contraintes de travail. Les pénibilités, les expositions physiques, la station debout, les manipulations de produits, le soin des enfants, la prise en charge des malades, la propreté, la préparation des aliments… bref, toutes tâches que l’on fait aussi chez soi dans les usages sociaux de nos pays peinent à être reconnues comme de vraies expositions professionnelles. Or, elles le sont. À ce sujet, on peut évoquer ce qui s’est passé dans le domaine des soins, à la fin des années 1980, où il y a eu un grand mouvement des personnelles soignantes, très lié à des problèmes de conditions de travail. On peut noter à ce sujet la progression considérable du pourcentage de salariées du secteur de la santé disant « porter des charges lourdes » entre l’enquête « Conditions de travail » de 1984 (avant ce mouvement) et celle de 1991 (après ce mouvement). Certes, les conditions de travail ont peut-être un peu changé, mais surtout, les femmes se sont mises à admettre que soulever des malades était une contrainte de travail au même titre que de soulever des pièces mécaniques ou des poutres dans le bâtiment. Mais ce type d’évolution a demandé une secousse sociale importante pour pouvoir parler des personnes malades comme de « charges lourdes », passer d’un métier vu sous l’angle de la vocation, du dévouement et de caractéristiques « naturellement » féminines, à une vision en termes de « conditions de travail ». Il y a donc eu une modification, une reconstruction sociale de la perception des contraintes de travail. Cet exemple montre bien qu’il existe des masquages des pénibilités du travail féminin, un manque de reconnaissance de la part de la société en général et des travailleuses elles-mêmes. En somme, les formes de reconnaissance et de formalisation des pénibilités ne sont pas les mêmes selon le genre. EC : Pour ce qui est des reconnaissances d'un état de santé dégradé, en particulier pour les reconnaissances administratives de maladies professionnelles, on peut probablement percevoir un décalage entre un bilan de santé d'un médecin et le ressenti du salarié sur ses capacités à poursuivre son activité (décalage dans les deux sens ?). Comment s'articulent la santé objective et la santé perçue dans le cadre du vieillissement au travail et y a-t-il des inégalités sociales ? AFM : En situation de travail, travailler avec des pathologies n’est pas rare, même si nombre d’entre elles contribuent à l’exclusion de l’emploi. Mais on est surtout confronté, encore plus fréquemment, à des « petits » troubles de santé, qui sont plutôt de l’ordre de l’infrapathologique, sans gravité évidente, éventuellement associés à une avancée en âge « naturelle » : douleurs articulaires, troubles du sommeil, sensation de Retraite et société 59 > août 2010


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fatigue, déficiences légères, etc. L’expression des problèmes de santé par les personnes elles-mêmes est donc une question centrale dans ce champ qui n’est pas balisé par les démarches diagnostiques et où les façons de dire entretiennent des rapports étroits avec les façons de vivre la douleur, ou la fatigue. Cela a donc des conséquences sur la question de la santé « objective » : renvoie-t-elle seulement à de la pathologie, donc avec un rôle central du diagnostic médical ; ou faut-il aussi s’intéresser à ce que les gens disent eux-mêmes de leur santé, de leur ressenti ? Dans ce domaine, une recherche faite au Portugal5 a montré que le regard des médecins et les réponses des travailleurs paraissent souvent en décalage, tant dans leurs perceptions de l’état de santé que dans les liens qu’ils établissent entre la santé et les caractéristiques du travail. Il y avait très souvent du côté du médecin une sous-estimation à la fois des expositions et des troubles de santé, ainsi qu’une focalisation sur certains problèmes de santé qui n’étaient pas forcément ceux ressentis par les salariés. Il y a aussi des attentes, des représentations en fonction de la situation professionnelle et donc un regard différent, mais aussi une écoute différente par rapport aux troubles de santé, avec des distinctions, notamment entre hommes et femmes… Quant à la question sur les reconnaissances administratives, regarder la santé au travail à travers ce filtre est très réducteur. Les maladies professionnelles reconnues sont une minuscule partie des problèmes de santé au travail – même s’il y a une « explosion » des troubles musculosquelettiques – et cette reconnaissance, acquise au terme d’un véritable parcours du combattant, est loin de refléter la réalité de la santé au travail. Quant aux décisions prises par le médecin du travail en matière d’inaptitude, elles sont très lourdes de conséquence. Enclencher un départ anticipé pour raisons de santé, par l’intermédiaire de l’inaptitude ou de l’invalidité, est un vrai dilemme pour les médecins du travail, entre la préservation de la santé des personnes et la préoccupation de leur assurer aussi des conditions psychologiques et financières de départ pas trop catastrophiques. Ce dilemme était d’ailleurs bien expliqué dans un précédent numéro de Retraite et société autour de l’inaptitude en fin de vie active6. On voit bien que ces décisions sont surtout prises quand on n’est pas trop loin de l’âge de la retraite. Elles sont bien sûr liées à l’état de santé, mais aussi au fait qu’il n’y a pas la possibilité de travailler avec ces problèmes de santé, à cause du manque de coopérations dans le travail ou de la pression temporelle par exemple. Selon la façon dont on va regarder la santé, et qu’on s’intéressera à ce qui est reconnu, pris dans des dispositifs, ou à ce que les gens en disent, on ne verra pas du tout la même chose.

5 Barros Duarte, C., Lacomblez, M., 2006. Santé au travail et discrétion des rapports sociaux, Pistes, vol. 8, n° 2, octobre 2006. http://www.pistes.uqam.ca/v8n2/articles/v8n2a2.htm. 6 Retraite et société , n°49, 2006. Voir en particulier dans ce numéro : Bardot F., Touranchet A., « Partir plus tôt : le dilemme pour les médecins du travail », p. 62-77.

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EC : En prolongement, existe-t-il des dispositifs de reconnaissance de santé dégradée, hors lourde invalidité, et des stratégies de mise à l'abri des salariés « fatigués » (réaffectations, des horaires partiels) ? AFM - Pour beaucoup de ces dispositifs formels, cela passe par le médecin du travail, par exemple lorsqu’on parle d’aménagement de poste ou de décisions de restriction d’aptitude. Par ailleurs, il peut y avoir des changements de poste pour d’autres motifs qui ont aussi des liens avec la santé. Mais toutes ces possibilités de réaffectation deviennent de plus en plus complexes En effet, du fait des changements dans l’organisation du travail et de la production, des réductions d’effectifs, les médecins du travail ont de plus en plus de mal à trouver des solutions en interne pour les salariés qui éprouvent des difficultés à suivre en raison d’un état de santé déficient. EC : Les salariés peuvent-ils développer également des stratégies comme des réaffectations sur d'autres postes ? SV : On ne sait pas exactement qui est à l’origine des réaffectations ; il y a beaucoup de personnes qui interviennent dans ce genre de processus. Le salarié peut expliquer lui-même un certain nombre de ses difficultés ou au contraire, essayer de les masquer pour des raisons diverses (si son travail l’intéresse, par exemple). Le fait de manifester son souhait de changement, l’encadrement immédiat, les ressources humaines, les services de santé au travail, l’employeur en dernier ressort, surtout dans les petites structures, tout cela représente finalement un processus collectif. Il existait un dispositif bien utile pour tous ces cas délicats et qui concernait 10 000 à 15 000 personnes environ. Il s’agissait de la préretraite progressive supprimée par la réforme Fillon. Elle permettait aux salariés âgés d'au moins 55 ans qui le souhaitaient de passer à temps partiel et de percevoir une allocation complémentaire jusqu'à l'âge de la retraite. La majorité des chercheurs et des praticiens dans ce domaine ont du mal à comprendre pourquoi ce dispositif a été supprimé sans que l’on sache les raisons. Ce dispositif servait à régler une bonne partie de ces problèmes et était une solution moins radicale que le licenciement. Le gain économique et social de cette suppression est très contestable. Par ailleurs, on l'a évoqué, les dispositifs de formation qui peuvent permettre des réorientations et changements de métiers pour se mettre à l'abri ne sont pas suffisamment développés en cours de carrière et sont inégalement accessibles. Il faudrait pourtant que les travailleurs exposés puissent anticiper ces réaffectations avant que leur santé soit dégradée. AFM : Des médecins du travail qui ont réalisé une « post-enquête » par entretien auprès de salariés qui avaient répondu à l’enquête Santé et itinéraires professionnel7 ont été étonnés de voir que des salariés confrontés dans leur travail à des problèmes de santé, passaient finalement très peu par le médecin du travail, et qu’il y avait une « faible médicalisation » du Retraite et société 59 > août 2010


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parcours professionnel, en termes de poste adapté, d’inaptitude, de reclassement professionnel, de temps partiel. Par contre, les raisons de santé, et notamment le souci de préservation de la santé, étaient presque toujours très présents dans les arbitrages qu’ils pouvaient être amenés à faire dans leur parcours professionnel8. SV : Pour traiter le sujet dans sa globalité, il aurait fallu aborder également les différences de générations. Nous ne sommes pas certains que les questions évoquées concernant la situation des personnes arrivant en fin de vie active aujourd’hui seront encore d’actualité dans 10 ou 15 ans. De génération en génération, les situations de travail devraient de plus en plus souvent comporter plusieurs changements dans la trajectoire de vie. Globalement, il y a un petit effet d’amélioration avec les nouvelles générations : une meilleure protection des salariés et de meilleurs dispositifs médicaux, en particulier concernant les accidents mortels du travail qui ont été divisés par trois, mais ce progrès est à mettre en rapport avec la sous-traitance des travaux les plus dangereux dans des pays lointains, à la prévention effective ou l’intervention de plus en plus rapide des soins ou encore à la réduction des durées de travail les plus longues. Tout pourrait s’améliorer, à condition de ne pas partir de l’idée que les choses vont s’améliorer toutes seules, sinon elles se dégraderont à tous les points de vue. La période récente a été plutôt bénéfique avec les débats sur la pénibilité au travail, sur la retraite, le stress, mais les choses doivent perdurer.

7 L’enquête Santé et itinéraire professionnel (SIP) a été menée de novembre 2006 à janvier

2007 auprès de 14 000 personnes âgées de 20 à 74 ans. Elle a été conçue par la Drees et la Dares, avec l'appui scientifique du Centre d’études de l’emploi (CEE) et réalisée par l'Insee. Cette enquête permet d’identifier l’ensemble des étapes d’un itinéraire professionnel et d’observer les problèmes de santé des personnes avant, pendant et éventuellement après leur vie professionnelle. 8 Voir Guiho-Bailly M.-P., Bertin C., Dubre J.-P., Lancien N., Machefer J., Parent D., 2009, « Rapport subjectif au travail : sens des trajets professionnels et construction de la santé. Rapport final », Document de travail, Drees, série Études et recherche, n° 95.

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entretien Stéphanie Vermeersch,

Chargée de recherche CNRS 1re classe (UMR CNRS Lavue)

Marie-Hélène Bacqué,

Professeure de sociologie (UMR CNRS Lavue)

Réalisé par Jean-Philippe Viriot Durandal,

Maître de conférences à l’université de Franche-Comté, Professeur associé à l’université de Sherbrooke, Chercheur au Gepecs/Paris Descartes, Président du Reiactis

Habiter autrement pour mieux vieillir : héritages et perspectives Vous vous intéressez aux effets du vieillissement de la génération du baby-boom, sur son rapport à l’espace domestique et à ses frontières avec l’espace public. Quel regard vos différents travaux vous permettentils de porter sur ces questions1 ? Il convient d’abord de préciser que dans Changer la vie, nous nous sommes penchées sur un groupe spécifique de baby-boomers, ceux que Catherine Bidou avait baptisés les « aventuriers du quotidien » ou que la littérature sociologique du début des années 1980 dénommait la « nouvelle classe moyenne » ou la « classe d’alternative ». Ce groupe était composé de classes intermédiaires travaillant surtout dans le secteur public ou culturel et partageant des modèles culturels fondés sur la recherche de formes de convivialité, sur des rapports à l’éducation, mais aussi un projet de 1 Cet entretien a été réalisé à deux voix ; Marie-Hélène Bacqué et Stéphanie Vermeersch ne

sont donc pas citées en début de chaque réponse.

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transformation sociale par le quotidien. Nous avions été frappées par certaines analyses des couches moyennes, en particulier celles qui diagnostiquaient leur déclin. Elles étaient finalement focalisées sur ce groupe-là et décrivaient avant tout l’inachèvement de la prophétie des années 1980 voyait dans ce groupe une dynamique forte de transformation sociale. Nous avons cherché, à partir de l’histoire d’une opération d’habitat autogéré, à appréhender à la fois l’histoire d’un collectif et les trajectoires des individus qui le composent et dont les initiateurs arrivent aujourd’hui à l’âge de la retraite. Bien sûr, ces individus ont des destins multiples. Certains d’entre eux cherchent à reconvertir l’expérience sociale et politique des années 1980 dans la recherche de solutions alternatives de lieux d’habitat à cette nouvelle étape de leur vie. En effet, ils reposent ainsi la question de la relation entre maîtrise de sa propre vie, solidarité collective et projet politique et leur engagement est concret, dans le faire ensemble. Changer le monde dans les années 1970 induisait une transformation radicale des structures et des valeurs. La génération du baby-boom s’apprêterait-elle à vivre sa révolution tranquille en resituant désormais la transformation sociale dans la proximité et en agissant sur les politiques locales dans leurs villes ou leurs quartiers ? Il faut être attentif ici à ne pas relire la portée « radicale » des velléités de transformation sociale des baby-boomers dans les années 1970 par contraste avec le caractère plus « réformateur » des projets contemporains de changement social. S’il était effectivement question de « changer la vie » dans les années 1970, pour certaines fractions bien spécifiques des couches moyennes, il s’agissait également de vivre ces changements au quotidien, et notamment dans l’espace local : ouverture de la socialisation familiale, développement des sociabilités de voisinage, accent mis sur des pratiques locales de type villageois, et projets d’habitats différents plus ou moins communautaires. C’est au quotidien, dans l’espace et le temps vécus « ici et maintenant » qu’étaient expérimentés les changements de modes de vie. De ce point de vue, il existe une certaine continuité entre les expériences qui virent alors le jour et celles qui fleurissent aujourd’hui, notamment dans le cadre de l’habitat « différent » : il s’agissait et il s’agit toujours de « vivre ensemble » au quotidien de façon moins individualiste, en développant des sociabilités renforcées et ouvertes de voisinage, en imaginant des formes de cohabitation plus solidaires à l’échelle du lieu de vie, voire du quartier, tout en préservant l’intimité et le « chacun chez soi ». Les formes d’habitat partagé entre personnes âgées – dont les Babayagas à Montreuil* constituent l’exemple, non unique, mais emblématique – déclinent et adaptent ces projets à l’avancée en âge. Elles mettent notamment l’accent sur la solidarité, voire l’accompagnement, en fin de vie. Ce qui se trouve probablement modifié est l’articulation avec l’échelon politique du changement : dans les années 1970, les expériences d’habitat alternatif entendaient en quelque sorte changer la vie au quotidien dans l’espoir d’une part, d’essaimer ce changement et de le diffuser aux autres Retraite et société 59 > août 2010


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couches sociales et d’autre part, d’impulser ainsi un changement social plus large, en montrant qu’il était possible de vivre autrement. C’est cette dimension qui pourrait se trouver aujourd’hui moins prégnante, cette montée en généralité politique qui est, sinon absente, du moins atténuée. Et encore faut-il relativiser ce constat en tenant compte des itinéraires des personnes porteuses des expériences et des projets. Ainsi les Babayagas, revendiquent-elles la dimension politique de leur « maison », en se posant comme « l’avant-garde éclairée » d’un changement de regard sur les « vieilles » et leur place au sein de la société. Or, ce projet se situe bien dans la continuité de parcours de vie militants et politisés pour de nombreuses Babayagas. Mais si l’on porte le regard sur d’autres projets d’habitat différent** pour personnes âgées, qui ne formulent ni ne revendiquent l’articulation avec le politique, on constate qu’ils sont portés par d’autres profils de femmes2 : des femmes moins politisées, moins militantes, y compris dans leur jeunesse. Autrement dit, un effet parcours de vie porte celles qui voulurent changer le monde dans les années 1970 à persister dans leur volonté de changement, alors que celles qui ne cherchèrent pas à « changer la vie » il y a 40 ans, ne le cherchent pas davantage aujourd’hui et s’ancrent dans un projet pragmatique de mieux vivre leur vieillesse. Pour autant, les opérations qui vont finalement voir le jour, peuvent être relativement similaires, ouvrir sur de mêmes formes de solidarité et contribuer également à changer le regard sur la vieillesse. C’est sans doute le rapport entre sphère individuelle, collective et politique qui est ici en question. Si les féministes des années 1970 affirmaient que « tout est politique », dans les groupes qui s’engagent aujourd’hui dans des démarches alternatives, une partie le fait au nom du pragmatisme, en se réclamant certes des valeurs de la solidarité, du partage et de la maîtrise de sa propre vie, mais dans une distance vis-à-vis du politique. Qu’en est-il aujourd’hui des opérations telles que les habitats autogérés alors que les porteurs de projets vieillissent ? Les opérations d’habitat autogéré réalisées dans les années 1970-1980 ont vieilli très différemment selon le statut d’occupation. L’opération que nous avons étudiée à Angers était de l’habitat social, ce qui a permis un fort renouvellement des ménages au cours de ses 20 ans d’existence et le spectre générationnel est aujourd’hui beaucoup plus large qu’à l’arrivée des premiers habitants dans les lieux. D’autres opérations en accession à la propriété ont, au contraire, connu une grande stabilité de peuplement et sont confrontées à un vieillissement qui s’accompagne d’ailleurs parfois d’une baisse de l’investissement dans la gestion collective. Les projets d’habitat autogéré pour personnes âgées suscitent un fort engouement, notamment médiatique. D’ailleurs, concernant les deux 2 Sans être présentées comme « féministes » et réservées à des femmes, la plupart des

opérations de ce type sont engagées et investies par des femmes.

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projets aujourd’hui les plus avancés à notre connaissance, les Babayagas à Montreuil (93) et Lo Paratge en Dordogne, le recrutement des compagnes s’est essentiellement effectué via la publicité médiatique (articles dans Le Monde, Elle, émissions radio sur France Inter…). Thérèse Clerc, l’animatrice charismatique du projet de Montreuil souligne bien l’utilité des médias dans le cadre d’un tel projet, qui permettent de créer un rapport de forces avec les institutions et de le faire en faveur des futures habitantes. D’autres groupes semblables sont en train de se monter, mais il faut être attentif aux aires sociales de recrutement de ces projets. À l’instar des opérations intergénérationnelles, certains milieux sociaux (les travailleurs du socioculturel, les professions artistiques, les enseignants et chercheurs, les architectes et les urbanistes) sont plus sensibles que d’autres à l’idée de se lancer dans ces modes de vie et possèdent le capital social (et souvent économique) qui leur permet de s’y engager. Néanmoins, et c’est une hypothèse que nous étudions actuellement, on peut se demander si la vieillesse, en agissant comme un dénominateur commun, n’élargit pas sensiblement le spectre du public potentiellement intéressé par les opérations d’habitat autogéré. On voit aujourd’hui des populations habituellement moins sensibles à ces formes d’habitat, notamment moins politisées, moins militantes, se lancer dans ce type de projet, aiguillées par la volonté de bien vivre leur vieillesse et surtout, d’éviter la maison de retraite. D’ailleurs, la plupart des autres maisons de Babayagas aujourd’hui en projet ne se revendiquent pas comme féministes, alors même qu’il s’agit d’un élément structurant et fondateur de la maison des Babayagas de Montreuil, où les futures locataires seront exclusivement des femmes. Dans le cas d’expériences déjà existantes, on peut observer que les plus âgés, et notamment les fondateurs, désirent parfois se lancer dans de nouveaux projets et ne pas vieillir « dans les murs ». Cet investissement souligne l’importance de la dynamique de projet inhérente à la participation à de telles opérations ; dynamique qui peut avoir toute son importance à l’heure de la retraite en venant prendre le relais de l’activité professionnelle comme support d’identité. Au-delà des utopies collectives, en quoi l’individualisation des comportements et des valeurs qui marquent durablement les sociétés développées peut-il avoir un effet sur la relation des nouvelles cohortes de retraités à la collectivité et à l’espace public ? L’individualisation des comportements et des valeurs ne plane pas au-dessus des retraités, ils en sont eux-mêmes les vecteurs. Il ne faut pas oublier que mai 1968 est également une révolution profondément individualiste, non pas dans le sens du « chacun pour soi », mais parce qu’il s’agissait de libérer l’individu des tutelles qui l’empêchaient d’être le maître de son propre destin, de choisir comment il entendait mener sa vie. Mai 1968 a ouvert la voie à de nombreuses femmes (plusieurs Babayagas, par exemple) pour se libérer de liens conjugaux qu’elles n’avaient pas choisis et qu’elles subissaient. La société contemporaine est aujourd’hui articulée autour du principe de la construction individuelle qui ne veut faire Retraite et société 59 > août 2010


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dépendre l’individu que de lui-même, de cette autonomie individuelle fondatrice qui veut que chacun trace son chemin avec ses propres outils. Mais simultanément, les collectifs dont l’individu dépend – la famille, les pairs, les collectifs professionnels, associatifs, sportifs… – structurent son processus de socialisation. Rapports à soi et rapports aux autres s’articulent pour produire un certain type de relations à la collectivité et à l’espace public, pour les actifs comme pour les retraités, fait à la fois d’ouverture à l’autre et d’attention à soi. Les projets d’habitat autogéré pour personnes âgées ne sont ni de la révolution sociale, ni de la fermeture sur soi. Ils visent à ce que les participants aient les moyens de vivre au mieux leur vieillesse, ce qui passe par une aide et un support mutuels : la solidarité comme outil de soutien personnel et le rapport aux autres comme moyen nécessaire à l’épanouissement et au maintien de l’autonomie individuelle. C’est ce savant dosage d’individualisation et de collectif qui touche les retraités, comme les autres, dans leur rapport à l’espace public. Ces derniers sont investis, au moment de la retraite, dans cette même perspective de support de soi qui fonctionne d’autant mieux qu’il passe par le rapport à l’autre : c’est ainsi que nombre d’associations sont portées par de dynamiques retraités. En quoi la notion d’empowerment peut-elle aider à mieux cerner les processus à l’œuvre ? Tout dépend bien sûr de la définition de l’empowerment à laquelle on se réfère. Cette notion commence à se diffuser en France, mais elle a déjà une histoire dans le monde anglo-saxon qui remonte essentiellement à la fin des années 1970. Elle a en particulier été utilisée par des travailleuses sociales nord-américaines appartenant aux minorités ethniques (qui voulaient se dégager des formes d’intervention sociale paternalistes et uniquement assistantielles) et par les mouvements féministes. Mais elle est aujourd’hui inscrite dans les politiques de développement social aux États-Unis ou dans les programmes de grandes institutions comme la Banque mondiale, dans une interprétation très édulcorée ce qui conduit d’ailleurs toute une partie du mouvement communautaire étasunien à refuser l’emploi de ce terme. Mais si on revient à la perspective féministe, l’empowerment indique un processus à la fois individuel, collectif et politique par lequel un individu ou un groupe acquiert les moyens de renforcer sa capacité d’action, de s’émanciper. La notion de pouvoir y est centrale, mais il ne s’agit pas, ou pas seulement, du « pouvoir sur », mais du « pouvoir de » et du « pouvoir avec ». La force de cette notion est précisément qu’elle articule émancipation individuelle et changement social dans une dynamique réciproque et repose ainsi la question de l’articulation entre sphère privée et politique. De ce point de vue, elle est très éclairante pour analyser et comparer les opérations d’habitat alternatif pour les personnes vieillissantes. Le rapport à la vieillesse et à la perte d’autonomie y est fondateur, sans doute plus que le rapport à l’habitat. Il s’agit d’abord de maîtriser sa vieillesse, Retraite et société 59 > août 2010


Entretien avec

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voire sa fin de vie, de faire en sorte de bien vieillir, ce qui passe par une volonté d’agir sur son lieu de vie pour l’adapter. De ce point de vue, le déclencheur est systématiquement l’image repoussoir de la maison de retraite, désignée comme vecteur principal de la perte d’autonomie, de l’infantilisation, etc. C’est le désir de vivre au mieux sa vieillesse et pour cela, de rester autonome le plus longtemps possible, qui pousse à anticiper l’incapacité à vivre seul et à imaginer, de ce fait, des solutions alternatives qui sont collectives et non familiales, et, au-delà, à revendiquer et assumer une autre place dans la société pour les personnes âgées. *Babayagas, Montreuil : la future maison des Babayagas qui devrait voir le jour à Montreuil veut être féministe, autogérée, solidaire, citoyenne et écologique. Il s’agit pour les participantes, qui seront en effet exclusivement des femmes, de fonder un lieu alternatif aux maisons de retraite « classiques », pour y vivre leur vieillesse et finir leur jour. Elles y seront locataires – au titre d’un bail social – d’un appartement, mais pourront simultanément bénéficier d’espaces collectifs, pensés par elles, supports d’activités communes et d’échanges. Elles auront en charge la gestion au quotidien de ce lieu, notamment le recrutement – la cooptation – des participantes. Solidaires au quotidien, jusqu’à l’accompagnement en fin de vie, elles seront attentives à garder des liens étroits avec la cité au travers d’engagements variés (de l’alphabétisation au yoga en passant par une université du savoir sur les vieux…). **Habitat différent, Angers : le projet, né au début des années 1980, a consisté à réaliser un habitat social autogéré, au sein duquel les habitants ont participé non seulement à la conception, à l’élaboration, à la réalisation du projet, des logements individuels comme des espaces communs – y compris en ce qui concerne les coûts et les choix à effectuer dans la construction – mais également à l’entretien et à la gestion de l’opération. À cet objectif centré sur l’habitat s’ajoutait une préoccupation sociale : il s’agissait d’instaurer des relations différentes de celles ayant cours dans l’habitat « classique ». Commencée en 1987, l’opération existe toujours aujourd’hui, les pionniers réfléchissant à présent à un projet équivalent pour leurs vieux jours.

Pour en savoir plus : Bacqué M.-H., Vermeersch S., Changer la vie ? Les couches moyennes et l’héritage de mai 1968, Éditions de l’Atelier, Paris, 2007. Bacqué M.-H., Vermeersch S., « Quand les classes moyennes font territoire », in Baudin G. et Bonnin Ph. (dir), Faire territoire, Éditions Recherches, Paris, 2009. Retraite et société 59 > août 2010



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chiffres

faits

et

Participation et choix des personnes âgées vivant en institution

Julie Prévot et Amandine Weber, Drees

L'enquête réalisée auprès des résidents en Ehpa (établissement d'hébergement pour personnes âgées) en 2007 permet, à travers un certain nombre de questions posées au résident et à partir d’informations fournies par le responsable d'établissement sur le fonctionnement de son établissement, de rendre compte des possibilités offertes au résident de maintenir son pouvoir de décision et d'exprimer ses préférences au quotidien au sein de l'institution et de la façon dont il s’en saisit. Les différents thèmes explorés portent sur l'information donnée aux résidents à leur entrée en établissement concernant leurs droits, leurs devoirs ainsi que les instances auprès desquelles ils peuvent s’exprimer. Aussi, sont étudiés les choix qui leur sont possibles et comment sont préservées leur intimité et leur identité dans les moments qui scandent la vie quotidienne, particulièrement en termes de restauration, de soins personnels et de déplacements. L’enquête auprès des résidents en Ehpa est représentative des personnes vivant en France métropolitaine, en logement-foyer, en maison de retraite ou en unité de soins de longue durée (USLD). Une partie des informations concernant chaque résident sélectionné a été recueillie auprès du Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

gestionnaire de son établissement et l’essentiel (lorsque c’était possible) auprès du résident lui-même et d’un de ses proches (voir annexe). Mais, compte tenu de son thème, la présente étude est centrée sur la parole des résidents. Il est donc important de rappeler que ceux qui se sont exprimés ne sont pas représentatifs de l’ensemble des résidents des Ehpa. Ces résidents, au-delà du fait qu’ils peuvent communiquer avec leur entourage, développent plus facilement une vie sociale et sont aussi moins dépendants des autres dans l’accomplissement des actes essentiels de la vie quotidienne (toilette, habillage, alimentation, élimination, transferts et déplacements). Or, les marges de choix des résidents sont, sous certains aspects, plus ou moins importantes selon le degré d’autonomie physique et psychique. Les personnes devant être aidées pour certaines activités comme la toilette ou l’habillage ont, par exemple, moins de latitude concernant le moment de faire leur toilette ou le choix de leur tenue vestimentaire.

Les documents et dispositifs règlementaires sur les droits et devoirs du résident : fréquemment présentés à l’entrée mais rarement rappelés ensuite Différents textes de nature législative et réglementaire sont venus préciser le cadre des droits des usagers en établissements dans le domaine médical et médico-social1. De nouveaux outils favorisant l’exercice des droits des usagers ont été mis en place. Ainsi, le livret d’accueil, le règlement de fonctionnement, le contrat de séjour et la charte des droits et libertés de la personne âgée doivent être remis au résident lors de son admission (encadré 1). Mais l’enquête montre que les résidents n’ont pas le même degré de connaissance des différents supports d’information existants et qu’ils sont assez peu nombreux à faire usage des instances spécifiques permettant de s’exprimer. Environ huit résidents sur dix sont dans des établissements où les gestionnaires ont déclaré fournir de l’information sur le contrat de séjour et le règlement de fonctionnement. Sept sur dix sont dans des établissements où leur sont remis ou présentés le livret d’accueil et la charte des droits et libertés de la personne âgée dépendante (graphique 1.1). Pour l’essentiel, ces informations leur sont fournies au moment de leur entrée dans l’établissement ou dans les jours qui suivent. Les informations sur la liste des personnes qualifiées et sur le conseil de la vie sociale sont plus rarement données à l'arrivée du résident (moins de quatre cas sur dix). Mais, l’existence d’instances, comme le conseil de la 1 Quatre décrets, une circulaire et un arrêté sont venus en application des lois du 2 janvier 2002

rénovant l'action sociale et médico-sociale du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, du 11 février 2005 relative à l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et enfin du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.

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Faits et chiffres

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vie sociale (instance obligatoire dans les établissements assurant un hébergement ou accueil de jour continu), est plus fréquemment rappelée aux résidents (28 % des cas) que celle des documents écrits (moins d’un cas sur dix). GRAPHIQUE 1.1 Les documents et les informations donnés par les gestionnaires d'établissement aux résidents

Source : enquête auprès des résidents en Ehpa, questionnaire auto-administré rempli par les gestionnaires d'établissement, 2007, Drees Lecture : 74 % des résidents sont dans un établissement où le gestionnaire indique donner ou signaler à l’entrée (ou dans les jours qui suivent) le contrat de séjour, 34 % sont dans un établissement où le gestionnaire indique que ce document est uniquement explicité et commenté. Plus globalement, 81 % des résidents sont dans un établissement où le gestionnaire indique donner à l’entrée le contrat de séjour, le signaler, le commenter ou l’expliciter. Enfin pour 3 % des résidents, l’existence du contrat de séjour est régulièrement rappelée.

La transmission des documents informant des services, droits et devoirs de l'usager dans l'établissement se fait un peu plus fréquemment dans les établissements ayant signé une convention tripartite avec les conseils généraux et l’Assurance maladie (les Ehpad) que dans les autres établissements, ces informations étant moins souvent de mise dans les logements-foyers. Ainsi, la charte des droits et libertés de la personne âgée dépendante est donnée ou signalée à l'entrée dans sept cas sur dix en maison de retraite et Ehpad ou en USLD ; elle ne l'est que dans 34 % des cas dans les logement-foyers, une bonne partie d’entre eux n’accueillant pas de personnes âgées dépendantes. Le document le plus connu ou mémorisé des résidents est finalement le règlement de fonctionnement de l'établissement: 52% des résidents disent en avoir pris connaissance et 14% ne pas l’avoir lu, mais savoir de quoi il s’agit Retraite et société 59 > août 2010


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(graphique 1.2). En revanche, moins de la moitié des résidents semblent savoir ce qu’est un contrat de séjour (41% dont 29% disent l’avoir signé et 12% ne pas l’avoir signé, mais connaître ce document), un livret d’accueil (35%) ou la charte des droits et libertés de la personne âgée dépendante (17%) alors que ces supports d’informations leur sont, selon les gestionnaires, largement présentés. Par contre, la liste des personnes qualifiées a une signification pour 44 % des résidents, alors qu’elle est plus rarement présentée par les gestionnaires. Enfin, peu de résidents connaissent le conseil de la vie sociale (12%). Les dispositions réglementaires et contractuelles sur le fonctionnement de l’établissement sont donc plus connues des résidents que celles qui doivent informer de leurs droits et libertés ou qui leur permettent de s’exprimer.

Les types de supports d'information des résidents en établissement

Encadré 1

Plusieurs outils ont été introduits en 2002, en faveur de l’exercice des droits des usagers dans les établissements sociaux et médico-sociaux.

> Le livret d'accueil Selon les textes, un livret d'accueil doit être remis, à l'entrée en établissement, à la personne prise en charge (ou à son représentant légal). Ce livret présente l’établissement, les prestations proposées et comporte la charte des droits et libertés de la personne accueillie et le règlement de fonctionnement. > Le règlement de fonctionnement de l'établissement Arrêté par l'établissement, il indique les modalités concrètes d'exercice des droits et libertés individuels des résidents, les modalités d'association de la famille à la vie de l'établissement, l'organisation des locaux, etc. Il précise également les mesures relatives à la sûreté des personnes et des biens, les mesures à prendre en cas de situation exceptionnelle, les dispositions relatives aux transferts et déplacements, etc. Il énumère les règles essentielles de la vie collective. > La charte des droits et libertés de la personne âgée dépendante Créée en 1999, elle contient l'ensemble des droits et libertés individuels des résidents: principe de non-discrimination, droit à la prise en charge ou à un accompagnement adapté, droit à l'information, principe du libre choix, du consentement éclairé et de la participation de la personne, droit à la renonciation, droit au respect des liens familiaux, droit à la protection, droit à l'autonomie, principe de prévention et de soutien, droit à l'exercice des droits civiques attribués à la personne accueillie, droit à la pratique religieuse, respect de la dignité de la personne et de son intimité. Dans la pratique, cette charte peut être affichée dans l’établissement et figure dans le livret d’accueil. > La liste des personnes qualifiées Toute personne prise en charge par un établissement peut faire appel, en vue de l'aider à faire valoir ses droits, à une personne qualifiée choisie sur une liste établie conjointement par le préfet et le président du conseil général. Les personnes qualifiées sont donc des intermédiaires ou des médiateurs entre les résidents et l'établissement. > Le contrat de séjour Remis à chaque personne (ou à son représentant légal), il décrit les conditions de séjour et d'accueil et les conditions de participation financière du résident. Ce document doit être signé dans le mois qui suit l'admission. La participation de la personne (ou de son représentant légal) est requise pour que ce document ait une valeur contractuelle.

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Faits et chiffres

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GRAPHIQUE 1.2 Les documents et les informations connus des résidents

Source : enquête auprès des résidents en Ehpa, questionnaire administré en face à face auprès des résidents aptes à répondre, 2007, Drees. Lecture : 29 % des résidents déclarent avoir signé leur contrat de séjour, 12 % disent ne pas l'avoir signé mais savoir ce qu'est un contrat de séjour et enfin 59 % des résidents ne savent pas ce que c'est. * Modalité n'ayant pas de sens pour les deux dernières questions du graphique.

Toutes choses égales par ailleurs, plus le réseau amical et familial est « fort » (encadré 2), plus les résidents se déclarent informés de leurs droits et obligations via les documents et instances existants. Ainsi, en moyenne, cinq résidents sur dix ont pris connaissance du règlement de fonctionnement ; cette proportion est de six sur dix parmi ceux qui ont des relations avec les autres résidents et leurs proches ; quatre sur dix parmi ceux ayant des liens uniquement avec leur entourage ou avec d’autres résidents ; et enfin, trois résidents sur dix parmi ceux qui ont peu ou plus de contact avec leurs proches et pas de relation particulière avec d'autres résidents. La connaissance des supports d'information est aussi socialement marquée. Les personnes ayant exercé une profession intermédiaire et, dans une moindre mesure, les anciens cadres, chefs d'entreprises ou les résidents ayant exercé une profession libérale déclarent plus souvent avoir eu le livret d’accueil de l'établissement que les anciens ouvriers (respectivement 34 %, 27 % et 17 %). Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

Les relations sociales des résidents en établissements pour personnes âgées

Quatre questions de l’enquête ont été retenues pour caractériser les liens maintenus ou non avec des membres de la famille, des amis ou bien avec les résidents du même établissement :

Vous êtes-vous fait des amis ou des

Recevez-vous des visites de vos

Par quels autres moyens avez-vous

Allez-vous dans votre famille ?

connaissances parmi les résidents? Oui Non, mais vous aimeriez bien Non, vous ne le souhaitez pas ou vous ne le pouvez pas

Encadré 2

des contacts avec vos proches ? Par téléphone Par courrier Par internet Aucun autre moyen Sans objet (plus de famille)

proches ? Oui Non Sans objet: n’a plus de proches

Oui, au moins une fois par mois Oui, mais moins souvent Non, jamais ou presque jamais Plus maintenant

À partir de ces questions, quatre groupes de résidents se distinguent: > les personnes ayant une forte sociabilité (privée et dans l’établissement). Ces résidents reçoivent des visites de leurs proches et ont également des contacts avec eux par d'autres moyens (téléphone, courrier, etc.). Certains d'entre eux se rendent parfois dans leur famille. Ils déclarent aussi s'être fait des amis ou des connaissances parmi les résidents. Ils représentent 68 % des résidents; > les personnes maintenant une sociabilité familiale mais qui ne se sont pas fait d’amis ou de connaissances parmi les autres résidents (17 % des résidents); > les personnes ayant peu de contact avec leurs proches ou plus de contact du tout avec ces derniers, mais qui se sont fait des amis ou des connaissances parmi les autres résidents (10 % des résidents); > les personnes ayant peu de contact avec leurs proches ou plus de contact du tout avec ces derniers et qui ne se sont pas fait d’amis ou de connaissances parmi les autres résidents (5 % des résidents). 85 % des résidents entretiennent donc des relations régulières avec des membres de leur famille ou des amis (il s’agit trois premiers groupes cités ci-dessus).

Les résidents s’adressent plus souvent au personnel qui les encadre qu’aux instances mises en place pour s’exprimer Au-delà des dispositifs réglementaires, comme la liste des personnes qualifiées et le conseil de la vie sociale, les établissements proposent aussi à leurs résidents d’autres modalités pour faire entendre leur point de vue. Ainsi, 71 % des résidents vivent dans un établissement qui leur permet ou permet Retraite et société 59 > août 2010


Faits et chiffres

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à leur famille de donner un avis, par le biais d'enquêtes de satisfaction, de registres, de boîtes à remarques ou de réunions d'information; ce pourcentage atteint 86 % dans les établissements conventionnés, les logement-foyers mettant moins souvent en place ces recueils (45 %). Cependant, à la question posée : « Lorsque vous avez des remarques à formuler sur l'établissement, que faites-vous en général? », 32 % des résidents déclarent spontanément ne pas avoir de remarques particulières à formuler et 10 % disent ne pas oser ou ne pas vouloir formuler de remarques. Au final, moins de 60 % des résidents déclarent avoir des remarques à formuler. Parmi ces derniers, 86 % s’adressent directement au personnel de l’établissement et 18 % à d'autres personnes (proches, bénévoles…), seuls 2 % des résidents s'adressent au conseil de la vie sociale. De même, dans les établissements où il y a du personnel soignant, à la question posée au résident : « Vous arrive-t-il de poser des questions au médecin ou au personnel soignant sur votre santé, votre traitement, vos soins ? », plus d’un tiers des résidents ne posent jamais de questions, près de la moitié en posent parfois et seulement 15 % en posent souvent ; 89 % des résidents ayant posé des questions se disent satisfaits des explications qui leur ont été données.

Des possibilités de choix importantes sur les menus mais moins sur celui du voisin de table Déjeuner avec des proches, choisir son menu, obtenir un en-cas, prendre une douche ou un bain quand on le souhaite, porter les vêtements de son choix et pouvoir sortir de l’établissement sont autant de possibilités qui influent sur la vie quotidienne des personnes âgées. Quasiment tous les résidents (99 %) ont la possibilité de prendre un repas avec leur famille ou des amis dans l’établissement. Le repas est un moment d'intégration déterminant pour les résidents. Or, le choix du voisin de table n'est pas toujours possible, car il est compliqué à mettre en place (décision du personnel, habitudes des résidents, etc.). Dans les établissements servant les repas, seulement deux résidents sur dix disent pouvoir choisir leurs voisins de table (tableau 1.1). Cette possibilité est encore moins fréquente pour les résidents ayant besoin de l'aide d'une tierce personne pour se déplacer (13 %). Par contre, à la question posée au gestionnaire : « Les résidents peuvent-ils participer à la réflexion et à la décision sur le contenu des menus ? », il apparaît que huit résidents sur dix vivant hors foyerlogement peuvent y participer (tableau 1.2). Cette possibilité est plus rare en USLD que dans les maisons de retraite (58 % contre 84 %). De plus, et toujours selon les gestionnaires, au moment du repas, si le plat principal proposé ne leur plaît pas, 86 % des résidents peuvent choisir un autre plat. 79 % des résidents précisent également avoir le choix de leur boisson à table. Parmi ceux qui n’ont pas ce choix, les deux tiers déclarent que cela leur est indifférent. Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés TABLEAU 1.1 Les choix de vie dans l'établissement vus par les résidents en fonction de leur GIR2 et du type d’établissement Pourcentage des résidents qui déclarent pouvoir ou avoir pu …

Maisons GIR GIR GIR Logements- de retraite 1-2 3-4 5-6 foyers et EHPAD

...choisir leurs voisins de table¹

18

22

16

25

...avoir quelque chose à manger quand ils ont faim

35

37

31

42

Restauration

...choisir leur boisson à table¹ Toilette, habillage

78

80

80

...ranger leurs vêtements et effets personnels comme ils le souhaitent2

&&&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&&& 3 ...choisir les vêtements qu'ils portent &&&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&&& ...donner leur avis sur la tenue qu'ils portent4 &&&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&&& ...prendre un bain ou une douche quand &&&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&&& ils le souhaitent2 &&&&&&&&&&&&

Soins

...choisir le médecin qui s'occupe d'eux dans l'établissement5

66

63

63

87

USLD

Ensemble des résidents

17

23

19

33

24

34

78

67

79

97

92

91

93

77

81

73

80

99 87 92

96 63 56

93 59 35

97 70 64

Les zones grises mettent en évidence les cas où une question du même ordre a également été posée au gestionnaire (tableau 1.2). uniquement pour les personnes qui prennent les repas servis par l'établissement. 2 hors personnes confinées au lit ou au fauteuil. 3 pour les personnes qui s'habillent seules. 4 pour les personnes qui ne s'habillent pas seules ou qui ne peuvent pas choisir leurs vêtements. 5 y compris ceux qui ont choisi de conserver leur médecin traitant. 1

&&&&&& La ventilation par GIR n’est pas pertinente pour ces questions dans la mesure où elles ne sont posées qu’à certains résidents en fonction de leurs capacités. Source : enquête auprès des résidents en Ehpa, questionnaire administré en face à face auprès des résidents aptes à répondre, 2007, Drees. Lecture : 18 % des résidents, dont le GIR est évalué à un ou deux, déclarent avoir choisi leur voisin de table.

À la question : « Quand un résident le demande, a-t-il la possibilité d'avoir une collation entre les repas ? », les gestionnaires des établissements répondent que 95 % des personnes accueillies ont cette possibilité. Parallèlement, à la question : « Quand vous avez faim, avez-vous la possibilité d'avoir quelque chose à manger ? », un tiers des résidents répondent par l'affirmative, 15 % répondent ne pas avoir cette possibilité et enfin la moitié d'entre eux déclarent n'avoir jamais demandé. Ainsi, parmi les résidents qui ont déjà demandé quelque chose à manger quand ils ont eu faim, 70 % ont obtenu satisfaction.

2 La « dépendance » est habituellement définie comme l’état de la personne qui a besoin d’être

aidée pour l’accomplissement des actes essentiels de la vie, ou qui requiert une surveillance régulière. Dans cette étude, le niveau de dépendance est établi à partir de la grille nationale Aggir (Autonomie Gérontologie Groupe iso-ressources). Cette grille définit six groupes isoressources (GIR) correspondant à des profils de perte d’autonomie allant du GIR 1 (personne très « dépendante ») au GIR 6 (personne « autonome »).

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Faits et chiffres

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TABLEAU 1.2 Les choix de vie dans l'établissement vus par les gestionnaires en fonction du type d’établissement Pourcentage des résidents qui vivent dans un établissement où il est possible de …

Restauration ...participer à la réflexion et à la décision sur les menus1 ...avoir une alternative au plat principal1 ...bénéficier d'horaires personnalisés pour le petit-déjeuner2 ...être servis dans la chambre ou le logement sur simple demande du résident …avoir une collation entre les repas quand ils le demandent Vie privée ...prendre un repas avec de la famille ou des amis dans l'établissement ...apporter du mobilier personnel ...passer un appel téléphonique de leur chambre sans passer par un standard ...s'isoler avec des proches dans un lieu prévu à cet effet (en dehors de la chambre) …avoir le choix de leur médecin dont le choix seulement parmi certains médecins (y compris libéraux)

Logementsfoyers

&&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&& &&&&&&&&&&&

Maisons de retraite et EHPAD

USLD

Ensemble

84

58

80

58

74

60

92 62 95

76 84 95

86 65 95

100

98

98

99

100

95

92

96

94

29

100 65

100 0

96 84 5

82 13

97 81 89 5

Uniquement les établissements qui proposent le repas. Uniquement les établissements qui servent le petit-déjeuner. Les USLD ne sont pas concernées par cette question. &&&&&& La majorité des logements-foyers ne sont pas concernés par ces questions. Source : enquête auprès des résidents en Ehpa, questionnaire auto-administré rempli par les gestionnaires d’établissements, 2007, Drees. Lecture : 84 % des résidents des maisons de retraite ou Ehpad peuvent participer à la réflexion et à la décision sur les menus. 1 2

Toilette et habillage : marges de manœuvre moins larges pour les personnes ayant besoin d'aide En ce qui concerne les soins du corps, 63 % des résidents vivant en dehors d’un logement-foyer disent pouvoir prendre un bain ou une douche quand ils le souhaitent. Les personnes qui ont besoin d’aide pour la toilette ont moins souvent cette liberté (51 %) que celles qui font leur toilette seules (73 %). Le même constat s’observe pour les personnes qui utilisent une aide technique pour se déplacer : seules 50 % des personnes qui se déplacent à l’intérieur de l’établissement à l’aide d’un fauteuil roulant et 66 % des personnes qui se déplacent avec une autre aide technique (canne, déambulateur…) déclarent pouvoir prendre une douche ou un bain quand elles le souhaitent contre 80 % des personnes qui se déplacent sans aucune aide technique. Par ailleurs, 82 % des personnes aidées pour s’habiller déclarent qu’elles peuvent donner leur avis sur la tenue qu’elles portent. Par ailleurs, 87 % des résidents qui sont aidés pour la toilette ou l’habillage déclarent que leur intimité est respectée et près de 80 % déclarent que le Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

personnel s’occupant d’eux pour des soins ou des aides est attentif à ce qu'ils ressentent. Mais, si les résidents sont satisfaits de l’attention qui leur est portée, néanmoins, trois résidents sur dix ne connaissent ni le prénom, ni le nom, ni la fonction des membres du personnel de l’établissement.

Au moins trois résidents sur dix aimeraient sortir davantage de l'établissement Les personnes âgées en établissement ne peuvent pas toujours facilement sortir pour faire une course, aller chez le coiffeur, ou encore se promener en ville, hors de l'institution. Lors de la conférence organisée par l'Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes) en 2004, l’une des recommandations était la suivante : « la liberté d’aller et venir d’une personne hospitalisée dans un établissement sanitaire ou accueillie dans un établissement médico-social ne doit pas être entendue seulement comme la liberté de ses déplacements à l’intérieur de l’établissement, mais aussi comme la possibilité pour elle de mener une vie ordinaire au sein de l’établissement qu’elle a elle-même choisi. » La restriction de la liberté d'aller et venir dans les établissements peut résulter de contraintes de différentes natures (organisationnelle, sécuritaire, architecturale, médicale, etc.). Pour les sorties à l’extérieur, d’après les gestionnaires des établissements, 52 % des résidents vivent dans un établissement qui met en place un moyen de transport pour faciliter les sorties individuelles. Ces moyens de transport sont mis à la disposition de 54 % des résidents de maisons de retraite et Ehpad, 53 % des résidents d’USLD et 43 % des résidents de logements-foyers. Au total, 41 % des résidents déclarent ne pas sortir en dehors de l'établissement pour autre chose que les soins médicaux, ce pourcentage est de 39 % parmi ceux indiquant ne pas avoir besoin pas d'aide humaine pour se déplacer dans l’établissement3 et atteint 66 % chez ceux non confinés au lit ou au fauteuil, mais ayant besoin d'être aidés par une tierce personne pour se déplacer dans l'établissement4. Parmi les motifs pour lesquels les résidents ne sortent pas de l’établissement, 51 % évoquent spontanément leur état physique, 26 % l’absence d’envie de sortir, 12 % le défaut d’aide pour le faire et 5 % le fait de pas avoir le droit de sortir de l’établissement. Enfin, 21 % des résidents indiquent aussi spontanément qu’ils ne sortent pas de l’établissement parce qu’ils ne vont que dans le jardin ou le parc.

3 81 % des résidents non confinés au lit ou au fauteuil ont répondu ne pas avoir besoin d’aide

humaine pour leurs déplacements. Cependant, la moitié d’entre eux ont besoin d’une aide technique (9 % un fauteuil roulant et 41 %, uniquement une canne ou un déambulateur). 4 19 % des résidents déclarent avoir besoin d’aide humaine pour leurs déplacements et la majorité d’entre eux ont également besoin d’une aide technique (60 % un fauteuil roulant et 30 % une autre aide technique).

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Faits et chiffres

191

L’absence (ou la faible fréquence) des sorties hors de l’établissement est toutefois déplorée par près d’un tiers des résidents : 31 % des résidents qui sortent de temps en temps en dehors de l'établissement voudraient sortir davantage et 51 % des résidents qui ne peuvent pas sortir ou ne sortent que dans le jardin voudraient pouvoir sortir à l'extérieur de la résidence.

an ne xe

Annexe

L’enquête « Résidents des établissements d’hébergement pour personnes âgées »

L’objectif de cette enquête est de mieux connaître les conditions d’entrée et de vie des résidents des établissements pour personnes âgées et d’apprécier la qualité de leur prise en charge via la parole des personnes concernées. C’est pourquoi le questionnement de l’enquête est d’abord conçu pour décrire la transition domicile/établissement : de la situation des personnes juste avant leur entrée en institution (notamment en matière d’aide à domicile) à leurs conditions d’accueil et leurs premiers jours dans l’établissement, mais l’essentiel des questions vise ensuite à retracer la vie quotidienne en établissement (les soins, les activités, la restauration…) et à recueillir l’avis des personnes sur les différents type de prestations délivrées et sur les conditions de vie en général. Cette enquête complète le dispositif d’observation de la Drees sur l’activité, le personnel et la clientèle des institutions pour personnes âgées dont l’enquête quadriennale auprès des gestionnaires d’établissements d’hébergement pour personnes âgées constitue la principale source d’information ; la dernière en date (dite « Ehpa 2007 ») décrivant leur situation en décembre 2007. L’enquête « Résidents des Ehpa » a été menée par la Drees au deuxième trimestre 2007 auprès d’un échantillon représentatif au niveau national des personnes vivant en France métropolitaine, en logement-foyer, en maison de retraite ou en unité de soins de longue durée (USLD). On estime ainsi que les 3 464 résidents concernés par l’enquête sont représentatifs d’environ 652 000 personnes âgées accueillies en établissement fin mars 2007. La Drees a d’abord sélectionné un échantillon d’établissements d’hébergement pour personnes âgées. Ensuite, dans chacun d’entre eux, huit résidents ont été tirés au sort pour participer à l’enquête. Le tirage au sort des résidents a été effectué, selon une méthode assurant un tirage aléatoire. Les responsables ou les soignants des établissements ont ensuite répondu à une série de questions (dites de « cadrage ») sur chaque résident sélectionné et notamment sur leurs capacités à effectuer les actes de la vie quotidienne (variables discriminantes de la grille Aggir) et sur leurs facultés à communiquer avec autrui (problèmes d’expression orale, d’audition, troubles de la conscience…) afin de déterminer automatiquement l’aptitude ou l’inaptitude du résident à répondre à l’enquête. Il était Retraite et société 59 > août 2010


192

L’état de santé des travailleurs âgés

toutefois demandé au responsable ou au soignant de confirmer ou d’infirmer ce résultat, son opinion primant sur ce dernier. Les modifications ont été peu nombreuses et ont conduit à augmenter le nombre de résidents estimés aptes à répondre. Les responsables ou les soignants ont également fourni les coordonnées d’une personne proche du résident (« personne qui connaît bien le résident, qui a de bonnes relations avec lui, et lui rend visite régulièrement »). Il lui a été demandé de participer elle aussi à l’enquête. En effet, le protocole de l’enquête a prévu d’interroger, le résident et si possible l’un de ses proches de façon à recueillir le plus d’informations, y compris sur les résidents ne pouvant répondre à une enquête (tout en sachant que les réponses des proches ne peuvent se substituer totalement à la parole des résidents). Par ailleurs, l’interrogation d’un proche a été conduite même lorsque le résident était « apte » et répondant, ce qui permet dans ce cas, d’obtenir une double information et de pouvoir mesurer les écarts de réponse entre les deux. Deux types d’interviews ont donc été réalisés, des interviews en face-àface auprès des résidents « aptes » et des interviews téléphoniques avec des proches des résidents sur la base de questionnaires assez similaires. Par ailleurs, les responsables d’établissements ont renseigné, en plus des données de cadrage sur les résidents tirés au sort, un questionnaire décrivant les caractéristiques générales de leur établissement afin de prendre en compte le cadre de vie des résidents lors de l’analyse des réponses de ceux-ci et de celles de leur proche. 56 % des résidents sélectionnés sont finalement aptes à répondre. Dans 92 % des cas, le résident était seul lors de l'interview. Dans le cas contraire, le résident était accompagné le plus souvent du conjoint ou d'un de ses enfants.

Bibliographie Aliaga C., Neisse D., 1999, « Les relations sociales et familiales des personnes âgées résidant en institution », Études et Résultats, Drees, n° 35, octobre. Guérin S., 2008, Habitat social et vieillissement : représentations, formes et liens, La Documentation française, Paris. Mallon I., 2005, « Les personnes âgées en maison de retraite : une redéfinition des espaces familiaux ? », Gérontologie et société, n° 120-121. Mallon I., 2004, Vivre en maison de retraite. Le dernier chez-soi, Presses universitaires de Rennes, collection Le sens social, Rennes, 300 p., Retraite et société 59 > août 2010


Faits et chiffres

193

Julie Prévot, 2009, « Les résidents des établissements d’hébergement pour personnes âgées en 2007 », Études et Résultats, Drees, n° 699, août. Julie Prévot, 2009, « L’offre des établissements d'hébergement pour personnes âgées en 2007 », Études et Résultats, Drees, n° 689, mai. 2007, « L'intimité », Gérontologie et société, n° 122, septembre. 2006, L’Ehpad pour finir de vieillir. Ethnologie comparée de la vie quotidienne en institution gériatrique. Étude réalisée pour le Centre d’analyse stratégique, Maison des sciences de l’homme, mars. 2005, « L'entrée en institution », Gérontologie et société, n° 112, mars. 2004, Liberté d'aller et venir dans les établissements sanitaires et médicosociaux, et obligation de soins et sécurité, textes des recommandations (version courte), Fédération hospitalière de France (FHF), avec la participation de l'Anaes, 24 au 24 novembre. 2003, « Les personnes âgées entre aide à domicile et établissements », Dossier Solidarité Santé, Drees, janvier. 2000, Évaluation des pratiques professionnelles dans les établissements de santé, limiter les risques de la contention physique de la personne âgée, Anaes, octobre.

Prochainement, la Drees mettra en ligne un Dossier Solidarité Santé réunissant l’ensemble des articles produits à partir de l’enquête « Résidents des établissements d’hébergement pour personnes âgées ». Un article portant sur les marges de choix des résidents fera partie du dossier. Les autres articles prévus porteront sur : les conditions d’entrée des résidents en Ehpa ; la satisfaction des résidents vivant en Ehpad et en maison de retraite ; la restauration en Ehpa ; la vie sociale des résidents en Ehpa ; les soins dans les Ehpa ; le ressenti des résidents en Ehpa versus le ressenti de leur proches.

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sur

le point Espérances de vie, espérances de vie en santé et âges de départ à la retraite : des inégalités selon la profession en France

Emmanuelle Cambois, Ined Thomas Barnay, Erudite-Tepp (FR CNRS 3126), université Paris-Est Créteil Jean-Marie Robine, Inserm

L'espérance de vie française est l'une des plus élevées au monde dépassant 80 ans depuis le début des années 2000 (Pison, 2005). Les conséquences de cette grande longévité sur l'état de santé de la population sont devenues un enjeu majeur de santé publique. Les années de vie gagnées au cours des dernières décennies sont-elles des années vécues en bonne santé ou avec des maladies, des incapacités ou en situation de dépendance (Fries, 1980 ; Kramer, 1980) ? Les dynamiques démographiques et sanitaires doivent être analysées conjointement afin d’évaluer les besoins de la population et d'y répondre par une offre de soins, d'assistance ou de prise en charge adaptée. Mais l'analyse de ces dynamiques devient aussi fondamentale pour évaluer les chances de participation sociale des plus âgés compte tenu de leur état de santé. On s'interroge notamment sur les chances de participation au marché du travail des personnes de plus de 50 ans. Cette question s'inscrit naturellement dans le débat public alors que l’augmentation de la durée de cotisation requise pour obtenir une retraite à taux plein se poursuit depuis 1993 et qu'on évoque un possible report de l'âge légal de départ à la retraite au-delà de 60 ans. En France, les différences d'espérance de vie entre catégories socioprofessionnelles sont très fortes, parmi les plus grandes en Europe, et se Retraite et société 59 > août 2010


L’état de santé des travailleurs âgés

195

traduisent par des différences dans la répartition entre années de vie en emploi et à la retraite, pour des durées requises de cotisations équivalentes (Monteil, Robert-Bobée, 2005 ; Leclerc et al., 2006 ; Kunst et al., 2000). Les différences d'espérance de vie en bonne santé témoignent, quant à elles, de l’inégalité des chances face à la bonne santé et au handicap, non seulement au cours de la période de retraite, mais aussi dans les dernières années d'activité professionnelle. Il existe ainsi de larges inégalités en matière d'espérances de vie en bonne santé à 50 ans entre pays européens (Jagger et al., 2008) et dans un même pays entre catégories socioprofessionnelles (Cambois, Laborde, Robine, 2008). Parallèlement, on montre qu'un état de santé altéré est un déterminant crucial de sortie prématurée du marché du travail et qu'il existe aussi dans cette relation des inégalités, notamment selon le statut socio-économique (Barnay, 2008). Par ailleurs, le suivi d’une cohorte française a permis de montrer l’association entre le risque accru de mauvaise santé perçue et les conditions de travail défavorables quelques années avant le départ en retraite, avec un effet de « soulagement » du passage à la retraite (Westerlund et al., 2009). Dans cet article, nous présentons un regard croisé sur l'ampleur et la nature des différences d'espérances de vie et d'espérances de vie en santé selon la profession ainsi que sur le rôle socialement différencié de la santé dans les décisions de cessation d'activité. Cette synthèse de résultats français récents sur l’état de santé et les déterminants des départs en retraite vise à souligner le caractère indissociable de ces deux champs de recherche.

Les espérances de vie en bonne santé à 50 ans Les espérances de vie en santé à 50 ans représentent le nombre moyen d'années en bonne santé que peuvent espérer vivre les personnes âgées de 50 ans, compte tenu des risques de mortalité par âge du moment et de l'état de santé observé dans la population. Il existe autant d'espérances de vie en santé que d'indicateurs de santé (sans incapacité, en bonne santé perçue…) (encadré 1). Dans cette étude nous présentons des espérances de vie en bonne santé perçue (EVBS), basées sur une dimension subjective de la santé souvent utilisée pour résumer l'état général des personnes. La santé perçue correspond à une autoévaluation par la personne de son propre état de santé à travers une question d'enquête classique (En général, diriez-vous que votre état de santé est très bon, bon, moyen, mauvais ou très mauvais ?). Cette question, ainsi libellée par l'OMS dans les années 1990, est dorénavant utilisée par de nombreux pays et fait partie du mini-module européen (De Bruin, Picavet, Nossikov, 1996 ; Robine, Jagger, 2003). La santé perçue, bien que subjective, est un bon indicateur de santé. Elle s'avère fortement corrélée au risque de mortalité (Idler, Benyamini, 1997) et au risque de dégradation fonctionnelle (Idler, Kasl, 1995 ; Ferraro, Farmer, Wybraniec, 1997). Dans les enquêtes, la Retraite et société 59 > août 2010


196

L’état de santé des travailleurs âgés

mauvaise santé perçue est fortement associée à la présence d'une maladie chronique, d’incapacités, à l'expression d'un mal-être, à la prise de médicaments ou encore au recours aux soins (Benyamini et al., 2000 ; Goldstein, Siegel, Boyer, 1984). Enfin, la santé perçue, au-delà des maladies ou troubles, est associée à des déterminants psychosociaux, tels que le soutien social et la confiance en soi, notamment en lien avec les situations professionnelles (Salavecz et al., 2010 ; von dem Knesebeck, Dragano, Siegrist, 2005). La santé perçue reflète l'état de santé et le contexte plus ou moins favorable dans lequel évolue la personne ; elle indique des risques aggravés de survenue de problèmes de santé et des risques aggravés de mortalité et détermine le recours aux soins.

Des inégalités d'espérance de vie en bonne santé marquées en fin de vie active À 50 ans, en 2003, l'espérance de vie des professions les plus qualifiées atteint 32 ans Les professions qualifiées pour les hommes, soit près de 5 ans de plus bénéficient de la plus que celle des ouvriers. Pour les femmes, longue espérance de vie en l'écart est de 2 ans avec une espérance de bonne santé perçue. vie maximale pour les professions les plus qualifiées de 36 ans. De surcroît, les professions qualifiées bénéficient de la plus longue espérance de vie en bonne santé perçue. Les hommes de 50 ans de cette catégorie peuvent espérer vivre encore 23 ans en bonne santé perçue, contre un peu moins de 14 ans pour les ouvriers. Pour les femmes, les différences d'EVBS entre les professions les plus qualifiées et les ouvrières sont bien plus marquées que les différences d'espérance de vie (EV) : les premières bénéficient d'un avantage de 2 ans d'EV et de 9 ans d'EVBS. Les EV et EVBS des professions intermédiaires, des agriculteurs et des indépendants se positionnent entre ces deux extrêmes, mais plus proches des professions les plus qualifiées. Les employés viennent ensuite avec des EV et EVBS proches des Les hommes inactifs ont valeurs de ce groupe de tête pour les femmes, mais une espérance de vie extrêmement faible (9 ans proches des valeurs des ouvriers chez les hommes. Les de moins que la moyenne). hommes inactifs ont une EV extrêmement faible (9 ans de moins que la moyenne) et passent moins du tiers de leur courte vie en bonne santé perçue. Ce résultat témoigne de la spécificité de ce groupe d'hommes largement sélectionnés sur la mauvaise santé. Bien que nous retrouvions le même gradient socioprofessionnel pour les EV et les EVBS, on constate des particularités comme la relativement faible EVBS des agriculteurs, en dépit de leur EV élevée. Les conditions de travail de cette profession peuvent expliquer ce résultat. Il s'inscrit dans un constat général de mauvais état de santé relatif pour des professions caractérisées par des conditions de travail physiquement exigeantes, conformément aux conclusions apportées par la cohorte de salariés décrites précédemment (Westerlund et al., 2009). Retraite et société 59 > août 2010


Le point sur

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TABLEAU 1 Espérances de vie et espérances de vie en bonne santé perçue par PCS chez les personnes de 50 ans Hommes

Professions les plus qualifiées Professions intermédiaires Agriculteurs

Professions indépendantes Employés Ouvriers Inactifs Total

Femmes

Professions les plus qualifiées Professions intermédiaires Agriculteurs

Professions indépendantes Employés Ouvriers Inactifs Total

EV à 50 ans

Années

EVBS à 50 ans

Années et IC

% EVBS/EV

20,0 (19,0-21,0)

65

32,2

22,8 (21,8-24,0)

30,9

16,5 (15,0-18,2)

30,6 30,2 28,6

27,4 20,2

19,3 (18,1-20,6) 17,0 (15,6-18,4) 13,7 (12,9-14,5) 6,2

(4,3-8,3)

29,0

16,9 (16,4-17,3)

36,1

23,8 (21,8-26,1)

35,2

16,7 (14,9-18,6)

Années 35,1 35,3 34,8 34,0 32,4

34,2

11,1 (10,1-12,2)

53

7,3

64 59

17,2 (16,8-17,7)

8,7

(7,6-9,9)

4,6

(6,0-8,7) (6,3-9,0) (5,8-7,2) (3,1-6,1)

58 %

8,0

(7,6-8,4)

66

11,6

(9,7-13,9)

47

7,0

(5,5-8,6)

56

15,4 (14,4-16,4)

(9,0-10,9)

6,5

31

19,6 (18,2-21,1)

14,7 (13,4-16,1)

9,9 7,6

50 % EVBS/EV

17,4 (16,5-18,3)

Années et IC

71

Années et IC

19,4 (17,7-21,2)

EVBS à 65 ans

55 50 43 48

50

Années et IC

9,1

(7,8-10,6)

8,9

(7,4-10,5)

7,0

(5,9-8,1)

8,4 7,8

8,2

(7,6-9,2) (6,9-8,7)

(7,7-8,6)

% EVBS/EV 59

55 41 50 45

41 37

47 %

% EVBS/EV 53 43 33 42 40 34 40

40

Sources : échantillon démographique permanent et enquête sur la santé et les soins médicaux 2002-2003 ; Cambois, Laborde, Robine (2008a) ; Cambois, Laborde, Robine (2008b).

Des inégalités qui persistent durant la retraite Ces inégalités se retrouvent à 65 ans, âge auquel la part de vie en bonne santé s'est réduite, mais reste variable selon la profession occupée au cours de la vie active. Les différences d'années de vie en bonne santé entre les agriculteurs, les ouvriers et les employés ne sont plus significatives, mais les professions les plus qualifiées restent bien avantagées au cours de leur retraite. D'autres indicateurs de santé amènent à des conclusions similaires. Les inégalités socioprofessionnelles d'EV s'accompagnent d'inégalités d'EV sans limitations fonctionnelles, sans limitation d'activité ou encore sans gênes dans les activités de soins personnels (Cambois, Laborde, Robine, 2008a). Mauvaise santé perçue, troubles fonctionnels ou gênes dans les activités de la vie quotidienne sont bien plus présents au cours de la vie des ouvriers que de celle des cadres. On observe ainsi un gradient selon les catégories socioprofessionnelles. Les ouvriers ont non seulement l'EV la plus faible, mais le plus grand nombre d'années de vie en mauvaise santé. À 50 ans, ils passent en moyenne plus de la moitié de leur vie restante en mauvaise santé quand, pour les professions les plus qualifiées, la période de mauvaise santé occupe en moyenne un tiers de leur espérance de vie. Retraite et société 59 > août 2010


198

L’état de santé des travailleurs âgés

On montre donc d'importantes inégalités dans les chances de connaître des années de bonne santé au cours de la retraite, mais aussi dans les risques de ne pas atteindre l'âge de la retraite en bonne santé. La section suivante explore dans quelle mesure l'état de santé interfère avec les chances de participation sociale et, en particulier, la capacité à rester au travail.

Des inégalités de santé en lien avec le statut d'occupation La probabilité d’être en emploi diffère sensiblement selon les catégories socioprofessionnelles. À ces inégalités socioprofessionnelles s’ajoutent des inégalités de santé face au statut d’occupation. Entre 25 % et 28 % des actifs occupés entre 50 et 59 ans s’estiment en mauvaise ou très mauvaise santé perçue. Cette proportion atteint près de 40 % chez les chômeurs qui recherchent un emploi et dépasse 40 % chez les inactifs (elle est même supérieure à 75 % dans la population masculine inactive). Ces résultats corroborent le cas extrême des EV et EVBS très peu élevées du groupe spécifique des hommes inactifs (qui n'ont pas déclaré de profession antérieure) et qui sont hors du marché du travail bien souvent pour des raisons de santé.

Mauvaise santé perçue, troubles fonctionnels ou gênes dans les activités de la vie quotidienne sont bien plus présents au cours de la vie des ouvriers que de celle des cadres.

TABLEAU 2 Proportion de la population s’estimant en mauvaise santé selon le statut d’occupation entre 50 et 59 ans Statut d’occupation Actifs occupés

Chômeurs en recherche d’emploi

Chômeurs qui ne recherchent pas d’emploi

Inactifs avec une reconnaissance administrative du handicap Inactifs sans reconnaissance administrative du handicap Retraités

Préretraités

Retraités ou préretraités non identifiés Total

Population en mauvaise ou très mauvaise santé perçue (% pondérés) Hommes

Femmes

37,7

41,2

24,8 52,6 84,7 77,0 18,7 23,6 8,0

29,9

28,2 44,8 88,4 40,6 37,4 21,6 29,8

34,4

Sources : enquête décennale santé 2003 ; Barnay (2008).

On comprend que la dégradation de l’état de santé est associée à un départ précoce du marché du travail pour l'ensemble de la population. Mais on suppose aussi que le poids de la santé dans la cessation d'activité s'avère différent selon la catégorie professionnelle, ou le sexe. Des études permettent d'aborder cette question de manière précise et directe. Retraite et société 59 > août 2010


Le point sur

199

La santé comme déterminant inconditionnel de départ en retraite précoce Les motifs de cessation d’activité sont nombreux et influencent différemment la décision de retrait précoce du marché du travail selon la catégorie sociale (Bommier, 2001). La décision de cessation d’activité dépend de contraintes institutionnelles, du marché du travail, mais aussi de l’interdépendance des préférences dans le couple (Sédillot, Walraët, 2002) et de l’état de santé (Barnay, 2008). Par ailleurs, l’inertie partielle des comportements de cessation d’activité s’explique par de fortes incitations à des départs anticipés (ou d’adhésion massive à des dispositifs spécifiques de type « carrières longues ») et un maintien sur le marché du travail rendu difficile pour les plus de 50 ans. Cependant, l’état de santé apparaît comme un des déterminants les plus importants de l’âge réel de cessation d’activité. On constate un lien fort entre professions et état de santé. Mais les différences d’EV et a fortiori d’EVBS constatées ne se traduisent-elles pas par des comportements de retrait d’activité socialement différenciés ?

Départ à la retraite : l’âge souhaité/l’âge effectif On constate d’abord que les âges souhaités de départ à la retraite augmentent clairement avec le niveau de diplôme et de salaire. La différenciation socioprofessionnelle dans les retraits d’activité apparaît bien corrélée avec le sentiment de pouvoir choisir le moment du départ. Ainsi les cadres envisagent de partir relativement tard (60,6 ans) avec une latitude décisionnelle élevée (42 % estimant pouvoir choisir le moment du départ en retraite). En revanche, les ouvriers qualifiés sont davantage contraints dans leurs choix ; 33 % seulement déclarent pouvoir choisir le moment du départ en retraite (Rapoport, 2006). Parallèlement aux souhaits exprimés par les travailleurs, on trouve des comportements effectifs de cessation d’activité cette fois-ci très explicitement différenciés (Barnay, 2005). Le gradient social est plus fort chez les femmes, l’âge de cessation passant de 53,8 ans chez les ouvrières à 59,8 ans chez les agricultrices, soit 6 années contre 4,5 chez les hommes. La hiérarchie semble conforme à celles des EVBS, avec de nouveau la situation notable des agriculteurs (et dans une moindre mesure celle des autres indépendants) qui présentent des âges de cessation d'activité tardifs alors que les EVBS de ces professions sont relativement réduites. Les travailleurs indépendants, en dépit de problèmes de santé, peuvent avoir intérêt à poursuivre leur activité pour garantir une meilleure retraite en attendant d’être en mesure de léguer le patrimoine. En revanche, les comportements ouvriers sont conformes à l’intuition. Si la dégradation de l’état de santé des ouvriers est plus élevée que pour les autres catégories, un retrait de l’activité est particulièrement coûteux. Dans le secteur privé avant 2003, une pénalité de 10 % était appliquée sur la pension de retraite par année d’activité manquante. L’arbitrage financier pour les catégories les moins aisées est évidemment plus délicat et probablement guidé par Retraite et société 59 > août 2010


200

L’état de santé des travailleurs âgés

des contraintes d'arrêt davantage liées à l'état de santé qu’à des raisons personnelles. TABLEAU 3 Âge de cessation d’activité par catégorie de professions Agriculteurs Artisans Cadres

Professions intermédiaires Employés Ouvriers

Hommes

Femmes

61,6

59,4

61,5 59,5 57,5

57,7 57

59,8 57,3 56,3

55,6 53,8

Sources : enquête complémentaire à l'enquête Emploi de l’Insee en 1996 ; Barnay (2005).

Santé et retraite anticipée selon la profession On peut alors rechercher les déterminants de la cessation d'activité. Une analyse économétrique met bien en évidence l’influence de la santé, en incluant un certain nombre de caractéristiques individuelles et professionnelles. On étudie spécifiquement le motif de cessation d'activité et son influence sur l'âge de retrait de l'activité. Par rapport aux personnes déclarant avoir cessé leur activité parce qu’elles avaient atteint l’âge de la retraite, la cessation d’activité pour un motif de santé (suivi d’une longue maladie déclarée par les individus) apparaît associée à une cessation d’activité anticipée en moyenne de 5 années chez les hommes et de 4,5 années chez les femmes, toutes choses égales par ailleurs. Cette anticipation atteint 7 années pour les ouvriers qualifiés de type industriel et de la manutention, du magasinage et du transport. Parallèlement, on peut étudier les voies de sortie des personnes en mauvaise santé et le rôle de l’état de santé (déclarer avoir une maladie chronique, être en mauvaise santé, ou être limité dans ses activités à cause d'un problème de santé) sur la probabilité d’être en emploi après 50 ans (Barnay, 2008). La santé perçue joue un rôle significatif sur cette probabilité, mais uniquement dans la population masculine. La probabilité relative d’être en emploi lorsque la santé perçue déclarée est moyenne, mauvaise ou très mauvaise diminue très significativement de 28 % pour les hommes, toutes choses égales par ailleurs. La relation la plus marquée entre état de santé et offre de travail apparaît cependant avec l'indicateur de limitations d’activités pour raison de santé. Enfin, une étude réalisée auprès de personnes parties en retraite avec une carrière incomplète confirme le rôle déterminant d'une dégradation de la santé (Barnay, Briard, 2009). L'étude révèle des effets cumulatifs et des interactions avec la situation vécue sur le marché du travail, en particulier en fin de vie active. Les mères de famille aux revenus modestes sont ainsi relativement plus nombreuses à être éligibles à des pensions d’inaptitude Retraite et société 59 > août 2010


Le point sur

201

Les espérances de vie en santé : méthode et données

Encadré 1

La méthode de Sullivan, utilisée ici, consiste à décomposer le nombre total d'années vécues de la table de mortalité en années vécues en incapacité et en années vécues sans incapacité. Les enquêtes Santé concernent en général la population vivant en ménage ordinaire. La méthode de Sullivan suggère de tenir compte aussi dans le partage des années de vie de celles passées en institution (déduites des taux de résidence en ménage ordinaire) que l'on considère comme des années d'incapacité (Kramer, 1998; Sullivan, 1971). À partir de ces données, les indicateurs d'EV et d'EVBS ont été mis au point avec les intervalles de confiance calculés à partir d'une méthode adaptée à ces données (Jagger et al., 2006).

> Données sur la santé. L'enquête Santé 2002-2003 est conduite auprès d'un échantillon représentatif des ménages français pour collecter des informations sur la santé et les comportements des personnes. Les informations ont été collectées au cours de trois entretiens réalisés sur une période d'un mois. Les informations utilisées pour cette étude proviennent des premier et dernier entretiens. L'échantillon initial comprenait 40 832 personnes de tous âges, et on dispose finalement de 35080 questionnaires complets. Un système de pondération a permis de rétablir la représentativité de l'échantillon pour les trois visites. Dans notre étude, on se concentre sur les personnes âgées de 50 ans et plus, soit 13438 hommes et femmes. > Données sur la mortalité. Les tables de mortalité ont été construites à partir des données de l'échantillon démographique permanent (EDP). C'est un échantillon issu des fichiers des recensements, suivi et mis à jour de recensement en recensement depuis 1968 et apparié avec les données d'état civil. Il est représentatif de la population générale (son effectif représentant 1 % de cette dernière). Nous avons utilisé le logiciel IMaCh qui permet de modéliser des risques de survie à partir de telles données, sur la base de chaînes de Markov et d'un modèle logistique multinomial (Lièvre, Brouard, Heathcote, 2003). L'échantillon utilisé dans le modèle est issu du recensement de 1999 et comprend 157 628 hommes et 174 295 femmes âgés de 30 ans ou plus, parmi lesquels 21 136 décès ont été enregistrés dans les cinq années suivant le recensement (1999-2003). > Les probabilités de vie en institution. Enfin, la méthode de Sullivan suggère de tenir compte de la population vivant en institution médicalisée pour ne pas surestimer l'espérance de vie en bonne santé en omettant les plus malades. Les données utilisées proviennent de l'enquête Handicap, Incapacité, Dépendance qui s'est déroulée auprès des ménages et des institutions en 1998 et 1999. Cette enquête a mis en évidence des différences marquées dans les probabilités de résider en institution selon la catégorie de profession (Mormiche, 2003). Parmi les personnes de 50 ans et plus, 1,5 % des hommes et des femmes vivent dans des institutions pour personnes âgées ou médicalisées (0,3 % parmi les professions les plus qualifiées et 2,5 % parmi les ouvriers). La population d'étude est répartie en fonction de la catégorie de profession déclarée au moment de l'enquête et nous utilisons le niveau de classification le plus agrégé avec cinq catégories d'actifs et anciens actifs (y compris les chômeurs et retraités) et une catégorie d'inactifs (Desrosières, 2002). Cette dernière comprend les personnes n'ayant jamais travaillé ou celles qui ne déclarent pas leur profession antérieure (parce que très ponctuelle ou très ancienne, etc.). Les inactifs de notre étude représentent moins de 4 % des hommes et 22 % des femmes. Il s'agit de préretraités qui ne déclarent aucune profession antérieure, des invalides et inactifs pour d’autres raisons, principalement dans la population féminine des « femmes au foyer ». Retraite et société 59 > août 2010


202

L’état de santé des travailleurs âgés

ou d’invalidité au moment de partir en retraite. Au-delà des catégories de professions ou du statut d'activité, on comprend que les inégalités sociales en matière de retraite précoce concernent plus largement des situations précaires, dans lesquelles les arbitrages entre revenus du travail et revenus de compensation sont cruciaux. TABLEAU 4 Rôle de l’état de santé sur la probabilité d’être en emploi entre 50 et 59 ans (odds ratio) Hommes

Femmes

0,72**

0,84-

Prévalence d’une maladie chronique

0,90-

0,79*

Indice de masse corporelle hors-norme

1,12-

0,83*

0,32***

0,49***

Santé perçue « bonne ou très bonne » (référence)

Santé perçue « moyenne, mauvaise ou très mauvaise » Aucune maladie chronique (référence)

Indice de masse corporelle normal (référence) Aucune limitation dans les activités quotidiennes (référence) Limitations dans les activités quotidiennes Nombre d’observations

Nombre d’observations de la variable expliquée (y = 1) Maximum de vraisemblance

1,00 1,00 1,00 1,00

2 513 1 898

445,6

1,00 1,00 1,00 1,00

2 629 1 584

437,7

Note : effets corrigés de l’âge, du secteur d’activité, du statut matrimonial et de l’âge de fin d’études. Référence : personne de 50 ans, marié, salarié du secteur privé, qui a terminé ses études après 20 ans. Seuils de significativité : *< 0,05 ; **< 0,01 ; ***< 0,001 ; - non significatif. Sources : enquête décennale santé 2003 ; Barnay (2008).

Une situation répandue en Europe Ces inégalités se retrouvent au niveau européen. Les estimations économétriques menées avec les données de l’enquête Share sur la santé, le vieillissement et la retraite en Europe, liant état de santé et souhait de départ précoce à la retraite livrent des résultats similaires aux résultats sur données nationales. Déclarer une santé perçue mauvaise ou très mauvaise augmente de près de 12 points de pourcentage la probabilité de vouloir « partir en retraite au plus tôt » relativement à un individu se déclarant en « très bonne » santé (Blanchet, Debrand, 2007). Ce résultat fait écho à l'étude sur les espérances de santé inégales à travers l'Union européenne qui indique qu'au-delà des déterminants individuels de santé, des facteurs macroéconomiques jouent un rôle sur les probabilités de vie en bonne santé et expliquent plus précisément des différences marquées entre les 15 premiers États membres de l'Union et les pays plus récemment entrés (Jagger et al., 2008). Parmi les facteurs associés à une plus longue espérance de vie sans limitation d'activité, on retrouve le taux d’emploi des 50-64 ans. Retraite et société 59 > août 2010


Le point sur

203

Conclusion L'arbitrage activité/inactivité/retraite précoce dépend ainsi largement de l'état de santé et il semble que l'amélioration de l'état de santé fonctionnel, mais aussi subjectif, soit une variable importante d'ajustement de la durée d'activité professionnelle. Outre le découpage de la vie entre activité et retraite ou bonne santé et mauvaise santé, on peut aussi discuter des inégalités de chances d'être en emploi et en bonne santé. S'il peut exister en moyenne un réservoir « d'années de vie en bonne santé et en emploi » en Europe après 50 ans (Lièvre, 2007), notre article montre bien que les différences selon les professions sont grandes et que ces années de bonne santé et de vie active ne sont pas distribuées équitablement selon la profession ou la situation sociale. Au regard de ces différentes recherches, il apparaît qu'au-delà des statuts administratifs d'activité ou d'état de santé se pose la question des possibilités réelles de poursuite d’activité professionnelle de certaines catégories compte tenu de leur état fonctionnel, de leurs conditions de vie et des conditions d'exercice de leur emploi. Ces résultats témoignent de la nécessité pour les politiques publiques de suivre l'évolution de l'état de santé des actifs âgés, en lien avec leur profession, leurs conditions de travail et leur situation sociale en général.

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Le point sur

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206

sur

le point Planification urbaine et vieillissement

Pierre-Marie Chapon, université Lyon 3 (EA 4129) Chargé de recherche Icade (Caisse des dépôts et consignations) Responsable programme OMS « Ville amie des aînés », Lyon

Les villes sont confrontées au vieillissement de leur population : aujourd’hui les villes intra-muros et demain les banlieues et les villes éclatées – territoires périurbains se caractérisant par une faible densité de bâti et une organisation spatiale conçue à l’échelle de l’automobile. Un dialogue et une réflexion commune sont nécessaires entre les planificateurs, les décideurs et les personnes vieillissantes afin d’engager des politiques structurelles pour adapter ces ensembles urbains et périurbains aux besoins d’aujourd’hui et de demain. Les territoires ne sont en effet pas égaux dans leurs capacités à permettre aux résidents âgés d’y demeurer durablement et dans les meilleures conditions. Les questions sous-jacentes sont nombreuses : comment structurer les offres de transports et de services adaptés aux besoins des plus âgés ? Comment intégrer leur participation à la cité quels que soient leurs caractéristiques sociales, leur âge, leur genre ou encore leur catégorie socioprofessionnelle ? Comment organiser et fluidifier le parcours de vie des personnes âgées en fonction de l’évolution de leurs besoins ? Quels modèles proposer aux promoteurs immobiliers qui développent des offres d’hébergement actuellement disparates et comment les inciter à réaliser des opérations dans Retraite et société 59 > août 2010


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des territoires pertinents en termes d’accessibilité et d’offre de services dédiés afin que les résidants puissent y demeurer durablement quelle que soit l’évolution future de leurs besoins ? Dans cette note, nous nous interrogerons sur les relations entre la personne âgée et son territoire à partir des travaux que nous avons menés sur cette thématique.

Une volonté (in)consciente de mise à l’écart ? À la fin du XIXe siècle, les hospices furent déplacés à l’extérieur des villes pour regrouper ceux que la société ne savait pas intégrer. La rareté et la cherté du terrain au sein des grandes villes ont largement contribué à ce mouvement. La raison invoquée a pu être la volonté d’offrir un cadre de vie plus agréable et plus calme aux personnes âgées, mais déjà dans le compte rendu du 21 mai 1946 du Conseil de surveillance de Paris, on pouvait lire que les vieillards souhaitaient demeurer dans le quartier où ils ont vécu et que ces derniers y revenaient coûte que coûte, parfois même à pied. Pourtant, ce schéma perdure encore aujourd’hui. Ainsi, si l’on considère l’ensemble des structures d’hébergement accueillant les personnes âgées en France, 31 % sont distantes de plus de 500 mètres des commerces et services et 25 % d’entre elles ne sont pas desservies par des transports collectifs (Dutheil, 2005). Si les schémas gérontologiques départementaux évoquent des besoins d’équipement à l’échelle cantonale, peu de dispositions réglementaires viennent encadrer les choix fonciers opérés par le promoteur, quel que soit le type de réalisation destiné à héberger des personnes âgées. En 2007, la Fondation de France et de la Fédération nationale des agences d’urbanisme (FNAU) ont tiré la sonnette d’alarme1 auprès des élus pour qu’ils prennent conscience de l’importance de s’engager dès à présent dans l’organisation de leurs territoires confrontés au vieillissement, en développant des politiques portant à la fois sur l’habitat, la gestion des transports ou encore l’offre commerciale (FNAU, 2007). Si les agences d’urbanisme de Lyon, Saint-Étienne et Grenoble ont organisé une conférence commune2 allant dans ce sens, peu d’actions sont actuellement engagées en France. Notons toutefois le travail mené depuis plusieurs années par Rennes Métropole qui constitue aujourd’hui un laboratoire à grande échelle de la ville de demain. De même, rares sont 1 « Quelles villes pour les seniors ? Et comment anticiper le vieillissement de la population ? »,

Fédération nationale des agences d'urbanisme (FNAU), Fondation de France, Palais des congrès de Nancy, 13 novembre 2007. 2 « Le vieillissement, à l’épreuve des territoires et des politiques publiques dans les grandes agglomérations de Rhône-Alpes », Agences d’urbanisme de Lyon, Grenoble et Saint-Étienne, Salle du conseil, Grand Lyon, 9 juillet 2008.

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L’état de santé des travailleurs âgés

les ouvrages qui traitent de la question. Nous pouvons cependant citer celui de Simone Pennec et de Françoise Le Borgne-Uguen (2005). Les travaux antérieurs concernaient surtout l’architecture ou l’habitat, avec notamment le hors-série du Moniteur de 19923.

Un optimum territorial unique ? Planifier, structurer et organiser les territoires nécessite de connaître avec précision les besoins des personnes âgées au moyen de différents profils selon des critères individuels et sociétaux dans le but de proposer un « optimum territorial » pour chacun. Ainsi, nous avons établi une méthodologie de classification permettant de choisir les emplacements fonciers les plus favorables à la construction de logements adaptés à des femmes seules âgées de plus de 80 ans en utilisant la méthode hiérarchique multicritère (MHM) afin de dégager, au sein du 8e arrondissement de Lyon, des zones optimales pour l’implantation des logements (Chapon, Renard, 2009). Les personnes âgées font l’objet d’entretiens semi-directifs sur leurs préférences en termes d’implantations commerciales et d’équipements publics. Avec cette méthodologie, l’optimum territorial est variable selon les catégories de populations étudiées (jeunes couples de retraités, personnes dépendantes…). En utilisant la méthode des cartes mentales dans une enquête menée sur une population résidant en maisons d’accueil rurales pour personnes âgées (Marpa), nous nous sommes aperçus que l’optimum d’implantation, pour ce type de réalisation, n’était pas le centre-ville, mais plutôt un territoire accessible et situé à proximité d’un lieu de vie (par exemple, un lotissement où vivent des familles) et pas nécessairement à côté de commerces et de services (Chapon, 2009b). Les besoins et les attentes ne sont pas homogènes, la planification urbaine nécessite donc une prise en compte en bonne intelligence de la pluralité de ceux-ci.

Une « ville amie des aînés » avec les aînés Plusieurs villes, notamment Lille, Nice, Rennes et Lyon, viennent de se lancer dans le programme « Ville amie des aînés » initié par l’OMS en 2005. Ce projet a pour objectif d’inciter les villes à mieux s’adapter aux besoins des aînés par la mise en œuvre de politiques, d’aménagements, de structures et de services dédiés. Selon l’OMS, une ville est « amie des ainés » lorsqu’elle : prend acte de la grande diversité des personnes âgées ; favorise leur inclusion et leur contribution dans tous les domaines de la vie sociale ; 3 Personnes âgées et habitat : guide technique, juridique et réglementaire, Paris, Le Moniteur,

Hors-série, 1992, 359 p.

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Le point sur

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respecte leurs décisions et leur mode de vie ; perçoit les besoins et préférences liés à l’âge, et y répond avec souplesse. J’ai pour responsabilité d’animer le groupe de travail lyonnais. Ce programme, lancé lors du 18e Congrès mondial de gérontologie à Rio de Janeiro (Brésil) en juin 2005, a débouché sur la création d’un réseau d’une trentaine de villes partenaires dans le monde. Un diagnostic est effectué dans chaque cité au moyen d’un protocole commun, dit « de Vancouver » (encadré). Des groupes de discussion sont mis en place avec des aînés et des professionnels afin d’étudier différents thèmes dont une grande partie est liée aux territoires de vie : environnement géographique (espaces verts, bancs, trottoirs, accessibilité, sécurité, confort des espaces extérieurs), transports (disponibilité, accessibilité, fiabilité et

Protocole de Vancouver

Le programme « Ville amie des aînés », initié par l’OMS en 2005, a été réalisé selon une méthodologie précise auprès de 33 villes dans le monde. Ce protocole, élaboré à Vancouver, adopte une approche axée sur le leadership local et la structure ascendante. Il se fonde sur l’expérience des aînés pour établir ce qui est ou n’est pas adapté à leurs besoins. L’objectif consiste à offrir un cadre commun d’étude afin de pouvoir comparer les résultats à travers des territoires distincts.

Encadré

Pour ce faire, il faut relever les indicateurs concrets de ce qu’est une « ville amie des aînés ». L’OMS a donc effectué, à la suite de cette étude, la synthèse et l’analyse des rapports de ses partenaires sur les résultats de la phase de l’évaluation du milieu et a pu ainsi dégager des indicateurs. L’évaluation du milieu se fait en plusieurs étapes: d’abord, à partir de groupes de discussion (focus group) composés d’aînés et d’aidants qui s’occupent de personnes âgées de la communauté; puis, de fournisseurs de services: personnel professionnel des services publics municipaux ou régionaux, entrepreneurs et commerçants, organismes bénévoles.

Au cours de ces échanges, huit thématiques sont abordées : espaces extérieurs et bâtiments, transports, habitat, participation au tissu social, respect et inclusion sociale, participation citoyenne et emploi, communication et information, soutien communautaire et services de santé. Les connaissances et l’expérience des fournisseurs de services publics, de services bénévoles et de services commerciaux se combinent ainsi aux renseignements obtenus des personnes âgées pour dresser le tableau des points forts et des points faibles du milieu quant à son adaptation aux besoins des aînés. Les chefs de projet font alors état des résultats de cette évaluation. La diffusion des résultats ne vise pas seulement à communiquer les conclusions tirées de l’évaluation aux membres des groupes de discussion, mais aussi à la société civile, aux médias et aux décideurs en vue de susciter la mise en oeuvre subséquente d’initiatives communautaires. L’organisation des débats, la gestion des entretiens et les éléments de restitution sont définis précisément dans le guide de l’OMS. Celui-ci constitue une véritable référence pour les villes qui souhaitent rejoindre ce programme. Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

fréquence, adaptation, disposition des arrêts), logements (accessibilité, conception, cadre de vie) et services de santé (accessibilité, réseau). Ces groupes de parole, animés par des étudiants de l’université Lyon 3 sous ma responsabilité, fonctionnent depuis début novembre 2009 et sont mis en place sur l’ensemble des arrondissements de la ville. Nous avons auditionné 357 personnes âgées dans 35 groupes de parole. En outre, nous avons mené deux groupes d’aidants et un groupe de fournisseurs de service. L’audit est terminé (voir annexe). L’ensemble des travaux seront présentés lors des assises « Villes amies des aînés » qui se tiendront à Lyon le 18 octobre 2010. Cet audit urbain constitue une première phase qui nous permettra de proposer des recommandations aux élus qui pourront ainsi axer leurs politiques en fonction des besoins recensés.

Pour une connaissance des territoires de vie des personnes âgées Nous effectuons une étude des aires de déplacement de personnes âgées au moyen de traceurs GPS dont la technique a été utilisée pour la première fois dans deux ensembles résidentiels comparables du 8e arrondissement de Lyon. Cet outil permet de mettre en relief les « territoires de vie » de la population concernée et d’étudier ainsi le type, l’intensité et la densité des déplacements (Chapon et Renard, 2009 ; Chapon, 2009a). En observant précisément ces déplacements quotidiens, on constate que 15 % des personnes enquêtées ont effectué moins de deux sorties dans la semaine lorsqu’ils habitent dans l’ensemble résidentiel excentré par rapport au cœur commercial de l’arrondissement, tandis que ceux situés en cœur de quartier sont sortis au moins deux fois de leur domicile (Chapon et Renard, 2009). Afin d’aller plus loin dans nos investigations, nous menons actuellement une étude avec le CHU de Nice. Une équipe médicale du centre hospitalier pratique des dépistages (Mini GDS, MMS…) sur les volontaires que nous avons équipés de traceurs GPS pendant une semaine (figure 1). Enfin, d’autres facteurs comme le type d’habitat ou la catégorie socio-professionnelle d’origine sont pris en compte. L’ensemble des déplacements sont ainsi comparés aux dépistages effectués sur chaque individu par l’équipe médicale. Les premiers résultats – prochainement publiés – laissent apparaître que les deux principaux éléments déclencheurs de l’isolement sont la présence de troubles cognitifs (même à un stade peu avancé) et la dépression. En revanche, les personnes atteintes uniquement de troubles physiques mettent généralement en place des stratégies d’adaptation lorsqu’elles résident dans des territoires inadaptés. Reste à comprendre en quoi les caractéristiques de l’environnement géographique du lieu de résidence peuvent agir positivement ou négativement lorsqu’une personne est dépressive ou atteinte de troubles cognitifs légers afin de lui permettre le maintien de sa participation sociale et de mobilité dans la cité. Retraite et société 59 > août 2010


Le point sur

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© Florent Renard et Pierre-Marie Chapon, 2010

FIGURE 1 Exemple de carte de synthèse des déplacements effectués sur une semaine par un volontaire de l’étude des territoires de vie menée à Nice

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L’état de santé des travailleurs âgés

an ne xe

Annexe Lyon, ville amie des aînés

Étude menée par Caroline Brouilhet, Yvan Colin, Jocelyn Forge, Perrine Lambert, Marie-Xavier Laporte, Alexis Vulin et Sylvie Rouault sous la direction de Pierre-Marie Chapon et Maud Félix-Faure sur une commande de Pierre Hémon, adjoint aux personnes âgées de la ville de Lyon. Lyon est la ville française la plus avancée dans son audit urbain dans le cadre du programme « Ville, amie des aînés » (OMS). Au total, nous avons interrogé 357 personnes âgées (dont 77,6 % de femmes) réparties dans 36 groupes de parole dans l’ensemble des quartiers de la ville, 3 groupes d’aidants et un groupe de fournisseurs. Thème 1. Les espaces extérieurs et les édifices

Il faut sortir au moins 20 minutes par jour dans la rue, c’est bien mieux que dans son appartement pour garder la forme et le moral. Les populations âgées interrogées mettent en évidence le problème des trottoirs souvent mal conçus ou mal entretenus et responsables d’accidents assez fréquents. J’ai de grandes difficultés à sortir à cause de ma prothèse. Ces impressions changent pourtant d’un quartier à l’autre selon que ces trottoirs sont plus ou moins larges, encombrés par des terrasses ou des véhicules. Les passages pour piétons constituent également un problème. Moi je fais « la » kamikaze, je m’engage avant que la voiture ne s’arrête, mais je calcule mon coup quand même. Le temps pour traverser est souvent trop court lorsque le passage est signalé par un feu et oblige certaines personnes à changer d’itinéraires. Tous les grands carrefours sont dangereux pour nous. Enfin, toutes les voiries ne sont pas adaptées. Moi, j’ai besoin d’une rampe quand il y a un escalier : quand je monte, ça m’aide et quand je descends, ça me rassure. Le manque d’éclairage public participe à un sentiment d’insécurité. L’espace pour les voitures est bien éclairé, mais le passage pour les piétons ne l’est pas… C’est dangereux car des personnes peuvent se cacher derrière les voitures sans qu’on les voie. Les aînés audités demandent plus de bancs, même s’ils regrettent parfois le manque d’ergonomie. On peut s’asseoir, mais plus se relever sur certains bancs ou leur détérioration : des jeunes qui détériorent le matériel. Enfin, ils regrettent le manque d’espaces verts. On ne fréquente pas assez les parcs parce qu’il n’y en a pas dans le coin. Thème 2. Les transports

Je ne quitterais la Croix Rousse pour rien au monde. J’ai tout sous la main : bus, commerces, loisirs, marché… Retraite et société 59 > août 2010


Le point sur

213

Si Lyon est bien desservie, il conviendrait de sensibiliser les chauffeurs : les bus à planchers bas sont bien pensés, mais il faut que les conducteurs stationnent bien contre les trottoirs pour faciliter la montée et la descente. La mise en place des nouveaux abribus couverts avec affichage digital des temps d’attente est très appréciée. Cependant de nombreux arrêts sont encore dépourvus d’abris et de bancs. Il devrait y avoir des salles d’attente pour les longues correspondances. Le taxi est utilisé ponctuellement, sur des trajets dépourvus d’autres solutions de transport. Le prix reste néanmoins élevé. Le problème majeur est le refus des petites courses. Le taxi, c’est cher, mais quand on ne peut pas faire autrement… Les places de parking sont très limitées dans les quartiers centraux surtout depuis l’arrivée du tramway. La voiture en centre-ville ? C’est l’anarchie ! Thème 3. Le logement

Pour les personnes âgées propriétaires, il faut payer les charges comme l’ascenseur et des frais d’entretien comme les ravalements de façade. Pas le choix, il faut payer. Mais le coût du logement représente une part importante du budget pour les aînés. Une fois le loyer payé, il ne reste pas grand-chose de la retraite. Concernant l’architecture, les demi-étages sont un problème pour les personnes qui ont du mal à marcher et à monter les escaliers. S’il n’y a pas de rampe, on ne peut pas grimper. Généralement les portes d’entrée des halls d’immeuble sont lourdes, à pousser ou à tirer. Certaines personnes regrettent le manque de lien au sein des immeubles. La peur des gens et leur besoin de sécurité apportent beaucoup de contraintes ; il y a peu de vie de voisinage, c’est dommage. Le déménagement, quand il s’impose, est souvent délicat. J’ai vécu mon changement de logement comme un déracinement. Beaucoup d’aînés voudraient avoir un appartement plus petit, mais s’ils changent de logement, leur loyer serait plus cher même en prenant un appartement moins grand. J’ai déjà pensé à la question du changement de logement, mais au final j’évacue cette idée et je repousse l’échéance au maximum. Les maisons médicalisées sont trop chères, on ne peut pas y aller. Les personnes âgées, qui changent de logement et de quartier, le font en fonction de l’importance du réseau et de la qualité des commerces de proximité. C’est un véritable critère de sélection dans un premier temps, puis vient, dans un second temps, le positionnement du logement. J’ai choisi mon nouveau logement par rapport aux commerces alentour ; j’apprécie les marchés, c’est un lieu de convivialité. Cependant, il faut reconnaître que tant qu’on est autonome, on ne se pose pas la question d’un logement adapté. Les personnes auditées ne sont pas nécessairement favorables aux projets intergénérationnels. L’intergénérationnel est difficile, car les générations n’ont pas les mêmes modes de vie et le même rythme de vie. Thème 4. Le respect

Dans l’ensemble, les gens sont serviables et respectueux. Retraite et société 59 > août 2010


214

L’état de santé des travailleurs âgés

On peut noter un sentiment général d’être respecté par les personnes rencontrées dans la rue, mais surtout dans les commerces. Les services rendus aux enfants et petits enfants engendrent un sentiment d’utilité sociale et améliorent l’insertion dans la société. Cela permet de rester dans le coup ! Quand on est avec ses petits enfants, on se sent plus intégré dans la vie sociale. Cependant, les personnes se sentent insuffisamment consultées et écoutées. C’est bien clair, on ne compte plus, sauf pour payer des impôts ; les commerçants sont polis que pour nous prendre notre argent; je ne sais plus dire non ; les banquiers ne nous laissent jamais tranquilles, et moi je n’y comprends rien à tout cela. Le poids électoral des personnes âgées est fort, leurs voix sont convoitées. Les politiques ne s’intéressent pas à nous, sauf pour qu’on vote pour eux, après, ils nous délaissent… Les conseils de quartiers, pourtant composés en majorité de personnes âgées, sont jugés à des horaires trop tardifs. Les conseils de gérontologie ne sont pas ouverts à tout le monde. Thème 5. La culture et les loisirs

La mobilité est un facteur essentiel en termes de lien social. C’est une grande problématique qui relève simultanément de la dépendance aux transports, mais aussi et plus largement de la dépendance aux autres, lorsque le vieillissement revêt un handicap chronique. On est condamné aux spectacles de l’après-midi, car on ne sort pas le soir. L’un des jours des plus discutés lors de nos rencontres a été le dimanche. Il est synonyme de retrouvailles familiales pour les uns et de rendez-vous de l’ennui hebdomadaire pour les autres. Mes enfants viennent le dimanche, on joue parfois aux cartes, ça fait passer un dimanche ; le dimanche est la journée la plus triste. Thème 6. La communication et l’information

Si on n’a pas Internet, on est bloqué, on ne peut pas avoir l’information. 51,4 % des seniors audités possèdent un téléphone portable, mais il faut savoir que certains ne les utilisent pas, ils sont éteints la plupart du temps. Ils restent dans les tiroirs. Les personnes se sentent exclues à cause d’Internet. Il est souvent écrit : pour plus d’information allez voir sur www… ; pour connaître la suite, allez sur internet ; même dans les institutions (conseil général, agence d’urbanisme.), les comptes rendus sont sur Internet, il faut leur demander de nous les envoyer, ce n’est pas normal. Cependant, certains aînés aimeraient avoir des cours d’informatique qui enseignent l’utilisation d’Internet afin de se sentir moins exclus et pour pouvoir se servir de cette source d’informations. Ils ont peur de cet outil compliqué, mais ils savent qu’Internet peut leur rendre service. Retraite et société 59 > août 2010


Le point sur

215

Thème 7. La solidarité

La réduction de la mobilité entraîne la fin de l’activité bénévole. Le bénévolat permet essentiellement d’être utile de partager et ainsi, de créer du lien social (65,7 % des personnes auditées ont répondu « oui » à cette question). Le besoin de reconnaissance reste faible (pour 17,1 % des personnes auditées). Pour autant, les bénévoles sont touchés et apprécient les gestes de reconnaissance. J’ai donné, on m’apporte maintenant. Thème 8. La santé

Mes enfants m’ont installé une alarme, ils pensent que cela les dispense de passer me voir. Je passe tous les jours chez ma voisine qui est plus âgée que moi, cela la rassure et j’espère que quelqu’un le fera pour moi quand ce sera mon tour. La téléalarme rassure, mais ne remplace pas le passage quotidien d’une personne ou la possibilité d’avoir une aide immédiate à son domicile par une présence humaine. Plus les personnes prennent de l’âge, plus leurs dépenses de santé augmentent. Si l’on veut rester riche, il ne faut pas vieillir. La prise en charge financière de ces aides est variable et engendre aussi des inégalités face au handicap ou à la maladie. On répond bien à nos besoins, mais tout est cher ; si on n’a rien du tout, on a droit à tout, sinon c’est très dur d’avoir des aides. Ce problème est régulièrement évoqué, il semble que dans leur vécu les personnes modestes (mais pas dans la précarité) accordent une part croissante de leur budget dans la santé. Le turn-over des services de soins à domicile est très mal vécu par les personnes âgées. On a juste le temps de s’habituer et on nous envoie déjà une nouvelle personne.

Bibliographie Chapon P.-M., 2009a, « Setting up a methodology to appraise areas in

which housing for the elderly can be built », The Journal of Nutrition, Health and Aging (JNHA), vol. 13, suppl. 1, p. 202-209. Chapon P.-M., 2009b, « Quelles implantations pour la création de futures maisons d’accueil rurales pour personnes âgées (Marpa), étude à partir de cartes mentales. » Actes de la conférence Territoires adaptés au vieillissement et aux modes de vie : enjeux et limites, 25 mars, Hôtel de ville, Lyon, Agence d’urbanisme pour le développement de l’agglomération lyonnaise, 5 p. Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

Chapon P.-M., Renard F., 2009, « Construire des logements adaptés aux

personnes âgées : une analyse par les territoires de vie à Lyon (France) », Geographica Helevetica, n° 3, p. 164-174. Dutheil N., 2005, « Les établissements d’hébergement pour personnes

âgées en 2003 : locaux et équipements », Études et résultats, Drees, n° 380, mars. FNAU, 2007, Seniors, quelle intégration dans les documents de la

planification et d’urbanisme ? Paris, Fédération nationale des agences d’urbanisme (FNAU), Fondation de France, 59 p. OMS, 2007, Guide mondial des villes-amies des aînés, Édition de l’OMS,

Genève, 82 p. Pennec S., Le Borgne-Uguen F., 2005, Technologies urbaines, vieillissement

et handicaps, Rennes, ENSP, 161 p.

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218

le droit

regards sur Minimum contributif et pension de réversion: vers des conditions d’attribution tous régimes

Sylvie Chaslot-Robinet, Cnav Isabelle Bridenne, Cnav Julie Couhin, Cnav

Le régime général verse aux anciens salariés du secteur privé des pensions de vieillesse, ainsi que des pensions de réversion aux conjoints survivants de ses assurés. Au régime général, le montant annuel de la pension de vieillesse de base s’inscrit entre un maximum (50 % du plafond de la sécurité sociale, soit 1 429,50 euros en 2009) et un minimum de pension. La loi du 31 mai 1983 ratifiant l’ordonnance du 26 mars 1982 a ainsi institué dans le régime général et les régimes alignés, un montant minimum de pension, dit « minimum contributif » (Mico). Il s’agit de relever le montant de la retraite des assurés qui, bien qu’ils réunissent les conditions du taux plein, perçoivent une faible pension compte tenu de la base salariale servant à son calcul. Une prestation différentielle complète le droit ainsi calculé au taux de 50 %, pour le porter à ce minimum. Au 31 décembre 2008, près de 4,4 millions de retraités du régime général percevaient le minimum contributif, soit 38 % de cette population. En termes de masse versée par le régime au titre du minimum contributif, cela représente 4,74 milliards d’euros pour l’année 2008, soit un peu plus de 5 % des masses de pensions versées par le régime général. Retraite et société 59 > août 2010


L’état de santé des travailleurs âgés

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À noter que ce minimum de pension se distingue du minimum vieillesse qui est, par essence, non contributif et destiné à garantir un minimum vital. L’allocation de solidarité aux personnes âgées (677,13 euros mensuels pour une personne seule) est versée sous conditions d’âge et de ressources. De la même manière, le régime général verse des pensions de réversion dites droits dérivés, au conjoint survivant des assurés ayant cotisé au régime général. Ces pensions ont été mises en place en 1945 pour assurer un minimum de ressources aux personnes veuves1. Au 31 décembre 2008, le nombre de droits dérivés attribués par la Cnav était de 2,6 millions. Parmi les bénéficiaires d’une pension de réversion, 34 % perçoivent, de la part du régime général, uniquement un droit dérivé et 66 % reçoivent un droit dérivé cumulé à un droit propre. Globalement, 95 % des bénéficiaires de la réversion sont des femmes. En 2008, les masses financières versées par le régime général au titre de la réversion représentent 10 % des masses de pensions versées par le régime général, soit 8,7 milliards d’euros. En 2008, les pouvoirs publics ont réaffirmé « leur objectif de revaloriser les petites pensions » (Gouvernement, 2008)2. Des mesures avaient déjà été mises en place en 2003 à cette fin concernant les pensions de droit personnel : revalorisation des pensions agricoles et du minimum contributif (+3 % tous les deux ans jusqu’en 2008). Plus récemment, cet objectif a visé le minimum vieillesse (revalorisation en euros courants de 25 % à l’horizon 20123). Parallèlement à ces évolutions, le Conseil d’orientation des retraites (COR) et la Cour des comptes ont mis en évidence que certaines prestations s’étaient éloignées de leurs objectifs initiaux, notamment les minima de pension. Alors que le minimum contributif s’adressait initialement à des retraités ayant de faibles pensions, la population en bénéficiant s’est élargie. En outre, la Cour des comptes a souligné la complexité du dispositif dans le cas des polypensionnés4, en raison du versement de minima de pension dans plusieurs régimes de retraite. Par ailleurs, le COR, dans son 6e rapport, s’interrogeait sur les objectifs poursuivis par le dispositif de réversion, à savoir le maintien du niveau de vie des veufs au décès du conjoint ou la redistribution en faveur des veufs les plus modestes (COR, 2008). Dans le prolongement de ces évolutions et réflexions, les pouvoirs publics, à travers la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2009, ont pris 1 Brocas A.-M., 2004, « Les femmes et les retraites en France : un aperçu historique », Retraite

et Société, n° 43, p. 12-33.

2 « Rendez-vous 2008 sur les retraites », document du gouvernement du 28 avril 2008. 3 Voir à ce sujet l’article de N. Augris et C. Bac, 2009, « L’évolution de la pauvreté des personnes

âgées et le minimum vieillesse », Retraite et Société, Cnav, n° 56, p. 14-40.

4 Assurés relevant d’au moins deux régimes de base.

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L’état de santé des travailleurs âgés

des mesures concernant les pensions de réversion et le minimum contributif, désormais assortis de nouvelles conditions d’attribution interrégimes.

Le minimum contributif, évolutions récentes et mesures de la LFSS 2009 Un minimum de pension plus contributif…

Au régime général et dans les régimes alignés, le minimum de pension est calculé en fonction de la durée d’assurance5. Depuis sa mise en place en 1983, le but du minimum contributif est de garantir une pension minimale aux assurés qui bénéficient d'une carrière complète, mais qui ont cotisé sur la base d'un salaire modeste. La réforme de 2003 a fixé, en matière de minimum de pension, l’objectif général d’assurer en 2008 « un montant global de pension (y compris régimes complémentaires) égal à 85 % du Smic net à un assuré ayant une carrière complète cotisée à temps plein et rémunérée au Smic »6. Pour remplir cet objectif, la loi a instauré, à compter du 1er janvier 2004, une majoration de ce minimum, au titre des seules périodes ayant donné lieu au versement de cotisations à la charge de l’assuré, renforçant ainsi la contributivité du dispositif 7. Le minimum comprend ainsi le minimum calculé compte tenu de la durée d'assurance et la majoration au titre des périodes cotisées. D’autre part, le minimum contributif ainsi majoré a été revalorisé de 3 % tous les deux ans entre 2004 et 2008 (Bac et al., 2008), en plus de la revalorisation effectuée en fonction de l’indice des prix. Au 1er avril 2009, cette majoration s’élève à 54,74 euros par mois pour une carrière complète au régime général et représente 8,5 % du minimum contributif majoré, qui est de 645,07 euros par mois. TABLEAU 1 Montant entier non majoré et majoré du minimum contributif 1er jan. 2004 1er jan. 2005 1er jan. 2006 1er jan. 2007 1er jan. 2008 1er sept. 2008 1er avril 2009

Montant Évolution Montant de Évolution non majoré annuelle la majoration annuelle 542,58 16,28 553,44 2,0 % 16,60 2,0 % 563,40 1,8 % 34,31 106,7 % 573,54 1,8 % 34,93 1,8 % 579,85 1,1 % 53,76 53,9 % 584,48 0,8 % 54,20 0,8 % 590,33 1,0 % 54,74 1,0 %

Montant majoré 558,86 570,04 597,71 608,47 633,61 638,68 645,07

Évolution annuelle 2,0 % 4,9 % 1,8 % 4,1 % 0,8 % 1,0 %

Part de la majoration 2,9 % 2,9 % 5,7 % 5,7 % 8,5 % 8,5 % 8,5 %

Note : montants mensuels en euros courants. Source : Cnav. 5 Article L351-10 du code de la sécurité sociale. 6 Article 4 de la loi du 21 août 2003. 7 Article 26 de la loi du 21 août 2003 par opposition aux périodes assimilées, c’est-à-dire les périodes

d’affiliation à l’Assurance Vieillesse des parents au foyer (AVPF), les périodes assimilées (PA) ainsi que les trimestres de majoration de durée d’assurance pour enfants (MDA) n’y sont pas intégrés.

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Regards sur le droit

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En 2007, alors que les pouvoirs publics ont réaffirmé leur volonté de verser une pension de retraite totale égale à 85 % du Smic net à un assuré ayant une carrière complète cotisée à temps plein et rémunérée au Smic, les objectifs poursuivis par le minimum contributif ont suscité des interrogations. Reprenant les travaux de la Drees8, le COR constate dans son rapport de 2007 que le minimum contributif « ne vise plus principalement les personnes ayant effectué des carrières longues mal rémunérées, mais bénéficie à un public nombreux et hétérogène ». La moitié des retraités bénéficiaires du minimum contributif ayant liquidé un droit direct aux régimes général ou alignés, entre 2001 et 2004, ont une pension totale comprise entre 500 et 2 500 euros9. De même, la Cour des comptes a relevé dans son rapport de septembre 2008, un défaut de ciblage du minimum contributif : « Le dispositif a vu sa signification progressivement modifiée […] en raison de l’incidence croissante des nombreuses possibilités de validation de périodes non cotisées […] rendant le dispositif encore moins contributif. » Conformément à la proposition de la Cour des comptes de revenir aux objectifs initiaux de 1983, la LFSS pour 200910 a donc prévu de servir un minimum contributif majoré aux salariés ayant eu de longues carrières professionnelles faiblement valorisées dans le cadre d’une coordination interrégimes, tout en le rendant plus contributif. Ainsi, depuis le 1er avril 2009, la majoration du minimum contributif au titre des périodes cotisées est attribuée si l’assuré justifie d’une durée d’assurance cotisée minimale de 120 trimestres11. Dans le cas contraire, le droit à cette majoration n’est pas ouvert. Le montant calculé de la retraite peut alors être porté au premier niveau du minimum contributif, c’est-à-dire au montant non majoré. L’instauration d’une condition de durée cotisée minimale pour bénéficier de la majoration du minimum contributif réduit le champ des bénéficiaires, en le restreignant aux assurés ayant eu au moins 30 années d’activité. Sur les retraites attribuées en 2008, 97 % des bénéficiaires du minimum contributif percevaient la majoration du minimum. Depuis le 1er avril 2009, date d’entrée en vigueur du nouveau dispositif, 57 % des retraites attribuées avec le minimum contributif ne sont plus augmentées de la Séance COR du 19 décembre 2007 : « Minimum vieillesse, petites retraites et minimum contributif : enjeux et coûts d’une revalorisation », Drees (Direction de la recherche des études, de l’évaluation et des statistiques). 9 Sur la base de l’échantillon inter-régimes 2004 (EIR), la Drees distingue quatre populations bénéficiaires du minimum contributif : les polypensionnés régime général, fonction publique, ne réunissant que quelques trimestres au régime général ; les polypensionnés régime général, régimes alignés ; les bénéficiaires de pensions attribuées au titre de l’inaptitude ; les femmes monopensionnées au régime général à carrière incomplète. 10 Article 80. 11 Article D351-2-2 du code de la sécurité sociale. 8

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L’état de santé des travailleurs âgés

majoration (Cnav, 2009). Les femmes sont davantage concernées par cette mesure : six femmes bénéficiaires du minimum contributif sur dix ne perçoivent plus la majoration, contre trois hommes sur dix.

… et coordonné entre régimes au plus tard le 1er janvier 2011 Par ailleurs, renforçant la dimension interrégimes, la LFSS pour 2009 soumet le minimum contributif (au plus tard le 1er janvier 2011) à une double condition d’ouverture de droit. Le minimum contributif, éventuellement majoré, sera soumis à deux nouvelles conditions : une condition de subsidiarité et une condition « de ressources » tous régimes. Le principe de subsidiarité signifie que l’assuré ne pourra bénéficier du minimum contributif, éventuellement majoré, que s’il a fait valoir ses droits à toutes les retraites personnelles auxquelles il peut prétendre. Sont visés tous les régimes de base et complémentaires français et étrangers légalement obligatoires ainsi que les organisations internationales12. La condition de « ressources » tous régimes signifie que le minimum de pension contributif sera attribué aux seuls assurés dont le montant total des pensions de vieillesse n’excède pas un certain seuil. À cet égard, il convient de préciser qu’entre 1984 et 2003, un assuré bénéficiaire de pensions personnelles de retraite attribuées au titre de plusieurs régimes de base et portées au montant minimum prévu éventuellement par chacun de ces régimes ne pouvait percevoir, du fait du cumul de telles pensions, une somme supérieure au montant de la pension minimale la plus élevée13. La réforme de 2003 a abrogé ces règles, dites de cumul des minima, et a prévu de nouvelles modalités de calcul du minimum contributif pour les polypensionnés14. La législation en vigueur permet ainsi à certains retraités ayant une courte durée d’assurance validée au sein du régime général et de faibles rémunérations, de percevoir le minimum contributif au régime général alors même qu’ils bénéficient d’une pension dans un régime autre que le régime général, quel qu’en soit son montant. Au plus tard, à compter du 1er janvier 2011, un assuré ayant relevé du régime général ou d'un ou plusieurs régimes alignés (régime social des indépendants, régime des salariés agricoles) bénéficiera du minimum contributif sous réserve que le montant mensuel total de ses pensions personnelles de base et complémentaires de régimes français et étrangers, ainsi que des régimes des organisations internationales, n’excède pas un montant fixé par décret15. En cas de dépassement du seuil, le minimum est réduit à due concurrence.

12 13 14 15

Article L351-10-1 du code de la sécurité sociale. Décret 84/995 du 5 novembre 1984. Article L173-2 abrogé le 1er janvier 2004 par la loi 2 003/775 du 21 août 2003 (article 26). Article L173-2 du code de la sécurité sociale.

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Regards sur le droit

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La conséquence de cette nouvelle réglementation sera une baisse de la part des bénéficiaires du minimum parmi les nouveaux retraités polypensionnés, l’attribution du minimum dépendant à présent de l’ensemble des pensions perçues par l’assuré. L’ampleur de cette variation sera fonction du seuil qui sera retenu. La population des polypensionnés éligibles actuellement au minimum de pension est composée d’environ un homme sur cinq nouvellement retraité et d’une femme sur quatre. De la même manière que le minimum contributif, la pension de réversion a fait l’objet de modifications, notamment en introduisant un dispositif inter-régimes.

Les pensions de réversion, évolutions récentes et mesures de la LFSS pour 2009 En 1945, lors de sa mise en place, la pension de réversion était attribuée exclusivement aux veufs et veuves âgés d’au moins 65 ans, à la charge de l’assuré décédé. Ces veufs devaient remplir une condition de durée de mariage et ne pouvait cumuler cette pension avec un droit personnel. Depuis l’ordonnance de 1945, ces conditions ont été progressivement modifiées, voire supprimées, au cours du temps (Vanlierde et Bridenne, 2006), notamment dans les années 1970 et dans le cadre de la réforme des retraites de 200316. En 2003, ont été supprimées la condition de non remariage, la condition d’âge17 (encadré 1), mais aussi la condition de cumul entre pension de droit personnel et de réversion. À cette dernière condition s’est substituée une condition de ressources qui intègre les salaires éventuels du conjoint survivant, ses revenus de biens propres (mobiliers et immobiliers), ses pensions de droit propre (base et complémentaires) ainsi que ses pensions de réversion de base servies par les régimes alignés et le régime des professions libérales. En 2007, le Sénat a évalué les conséquences de la réforme des pensions de réversion intervenue en 2003-200418. Il a alors proposé d’introduire des mesures plus favorables aux conjoints survivants, notamment le relèvement du taux de la réversion. Pour sa part, le COR, dans son rapport 2008 qui examine la question du niveau de vie des retraités, a étudié la 16 Article 31. 17 Les décrets 2004-1147 et 2004-1451 avaient prévu un abaissement progressif de la condition

d’âge entre 2005 (52 ans) et 2009 (50 ans), puis sa suppression à compter du 1er janvier 2011. Par ailleurs, la réversion n’est plus réservée aux veuves non remariées. 18 Rapport d’information du 22 mai 2007 de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS).

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L’état de santé des travailleurs âgés

possibilité d’un relèvement de ce taux au régime général et dans les régimes alignés19. Dans le prolongement de ces travaux, la LFSS pour 2009 a ainsi modifié singulièrement le dispositif 20.

Le rétablissement de la condition d’âge En premier lieu, la condition d’âge minimal a été rétablie à compter du 1er janvier 2009 et de nouveau fixée à 55 ans21, en cohérence avec l’âge retenu dans les régimes complémentaires. La suppression progressive de la condition d’âge au 1er janvier 2011 n’aura donc pas lieu. Néanmoins, le décret maintient l’âge actuel de 51 ans pour les personnes devenues veuves avant le 1er janvier 2009. La conséquence de ce rétablissement est, à court terme, une réduction de moitié du nombre de nouveaux bénéficiaires d’une pension de réversion âgés de moins de 55 ans. Néanmoins, pour les personnes qui ne rempliraient pas la condition d’âge au 1er janvier 2009, l’allocation veuvage est maintenue jusqu’au 31 décembre 2010. Reprenant ainsi les préconisations du COR22, la LFSS pour 2009 a précisé que la prise en charge du veuvage précoce (avant 55 ans) doit être revue d’ici fin 201023. À cet égard, le COR s’est interrogé sur « une prise en charge spécifique (du veuvage), soit par des dispositifs publics, soit complémentaires relevant de la prévoyance, soit les deux ».

L’incidence de la suppression progressive de la condition d’âge entre 2004 et 2008 pour l’accès à la réversion

Encadré 1

Jusqu’en 2004, le flux annuel de nouveaux bénéficiaires de la réversion était composé d’environ 145000 personnes. En 2005, le nombre d’attribution d’un droit dérivé passe à 180 000 environ, soit une progression de 23 % par rapport à 2004. Sur les années suivantes, le flux d’attribution demeure globalement au même niveau qu’en 2005. Les attributions de pension de réversion aux personnes âgées de moins de 55 ans expliquent globalement cette progression. Hors abaissement de l’âge d’ouverture du droit à réversion, le nombre de nouveaux bénéficiaires aurait été de 156 000 personnes en 2005, soit une progression du flux de 7 % par rapport à 2004. Cette progression du flux hors attribution aux moins de 55 ans peut s’expliquer par la levée de la condition de non remariage, mais aussi par l’arrivée de générations plus nombreuses parmi les bénéficiaires de la réversion. Cependant, l’effet « papy-boom » est nettement moindre que celui constaté en droit propre ; les droits dérivés sont en moyenne liquidés à 70 ans, ce qui implique que l’effet « papyboom » se fera surtout sentir, en matière de réversion, à partir de 2015.

...

19 Initialement de 50 %, le taux appliqué à la pension de l’assuré décédé (pour déterminer la

pension de réversion) est passé de 52 % en 1985 à 54 % en 1994.

20 Article 74. 21 Décret 2008–1509 du 30 décembre 2008. 22 5e rapport COR du 21 novembre 2007 « Retraites : 20 fiches d’actualisation pour le rendez-vous

de 2008 » et 6e rapport COR du 17 décembre 2008 « Retraites : droits familiaux et conjugaux ».

23 Exposé des motifs.

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Regards sur le droit

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... Les nouvelles attributions d’une pension de réversion depuis 2004 Régime général, Métropole Effectifs

dont moins de 55 ans

2004

146 122 -

2005

179 569

23 321

2006

178 409

23 880

2007

177 254 22 884

2008

174 938

18 961

Source : étude Cnav n° 2009-02

Évolution du flux d’attribution des pensions de réversion – Métropole

Source : flux attribution, études Cnav 02/2009

L’instauration d’une majoration de pension de réversion sous conditions En second lieu, un dispositif de majoration de la pension de réversion est introduit à compter du 1er janvier 2010, à destination des personnes veuves disposant de faibles pensions et âgées de 65 ans au moins24. Les modalités d’application de cette mesure ont été définies par deux décrets publiés au Journal officiel du 25 juin 200925. Initialement envisagée comme le relèvement du taux de réversion de 54 % à 60 %, dans le cadre du « Rendez-vous 2008 », cette mesure s’est traduite par un montant de majoration de 11,1 % de la pension de réversion, prenant en compte l’âge et les ressources du conjoint survivant26.

24 Article L353-6 du code de la sécurité sociale. 25 Décrets n° 2009-788 et n° 2009-789 du 23 juin 2009 relatifs notamment aux conditions

d’attribution de la majoration de la pension de réversion.

26 Article 1er du décret 2009-789 du 23/06/2009 – article D353-4 du code de la sécurité sociale.

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La majoration de pension de réversion peut être attribuée à l’assuré dès lors qu’il a fait valoir l’ensemble des droits à retraite personnelle et de réversion auxquels il peut prétendre auprès des régimes de base et complémentaires, français et étrangers ou versés par une organisation internationale. Outre les conditions d’âge et de subsidiarité, la majoration sera versée à la condition que l’ensemble des avantages vieillesse et de réversion, perçu par le conjoint survivant, ne dépasse pas un plafond fixé à 2 400 euros par trimestre à compter du 1er janvier 2010 (soit 800 euros par mois)27. Ce plafond sera revalorisé aux mêmes dates et dans les mêmes conditions que les pensions de vieillesse. Lorsque le total des avantages retenus et de la majoration dépassera le plafond autorisé, la majoration sera réduite à due concurrence28. Les régimes concernés par la majoration de pension de réversion sont le régime général, la Cavimac, les salariés et non-salariés agricoles, le régime social des indépendants (RSI) et les professions libérales (sauf avocats), ainsi que certains régimes spéciaux29. Un régime interlocuteur unique est désigné dès lors qu’au moins deux régimes l’appliquent30. La population potentiellement concernée par cette majoration est celle des bénéficiaires d’une pension de réversion âgés d’au moins 65 ans, soit globalement 85 % de l’ensemble des retraités ayant une telle pension versée par le régime général. D’après les données 2004 de l’EIR [Burricand, 2007], le montant mensuel moyen de la pension de droit dérivé est de 545 euros en 200431. Mais les pensions de droit dérivé ne représentent en général qu’une partie de la retraite des bénéficiaires d’une pension de réversion. La retraite totale mensuelle des allocataires d’un droit dérivé est en moyenne de 1 028 euros pour les femmes et de 1 513 euros pour les hommes (ensemble des régimes). La majoration de pension ne concernera donc pas l’ensemble des bénéficiaires d’un droit dérivé âgés d’au moins 65 ans. D’après la répartition des bénéficiaires d’une pension de réversion selon les déciles de la retraite globale totale, au moins la moitié a une pension totale supérieure à 800 euros.

Article 1er du décret 2009-789 du 23/06/2009. Articles 1er et 3 du décret 2009-788 – articles R173-17-1 et R353-12 du code de la sécurité sociale. Régimes visés à l’article D173-1 du code de la sécurité sociale. Article R173-17-1 du code de la sécurité sociale. Ce dispositif existe déjà pour le calcul des pensions de réversion. 31 Montant de l’avantage principal de droit dérivé et majoration pour enfants des bénéficiaires d’un droit dérivé de 55 ans et plus, pour l’ensemble des régimes. 27 28 29 30

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Conclusion Une dimension interrégimes de plus en plus prégnante Les pouvoirs publics ont soumis tant la majoration de la pension de réversion que le minimum contributif, éventuellement majoré, à de nouvelles conditions d’ouverture de droit interrégimes, au travers des principes de subsidiarité et de ressources. Pour l’examen de ces deux conditions, sont visés tous les régimes de base et complémentaires français et étrangers légalement obligatoires ainsi que des régimes des organisations internationales32. Le principe de subsidiarité n’est pas nouveau. Il a été mis en œuvre en 2004, en matière d’Aspa (allocation de solidarité aux personnes âgées), aux termes de l'ordonnance simplifiant le minimum vieillesse33. Il s’appliquera désormais, dès le 1er janvier 2010, à la majoration des pensions de réversion, et au plus tard le 1er janvier 2011 au minimum contributif tous régimes.

La mise en place d'échanges d’informations dématérialisées interrégimes Pour assurer la mise en œuvre de ces deux mesures, la loi prévoit des échanges dématérialisés entre organismes et services chargés de la gestion des régimes de retraite de base et complémentaires légaux ou rendus légalement obligatoires34. Seront concernées les informations nécessaires à la détermination de l'ouverture du droit et du calcul des prestations de retraite, notamment l’appréciation des ressources tous régimes. À cet effet, un décret en Conseil d'État35 définit les finalités poursuivies par le dispositif d’échanges interrégimes de retraite (EIRR) : simplifier les démarches des bénéficiaires grâce à la mise en commun d'informations liées à leurs pensions et apprécier les droits à majoration de pension de réversion, de pensions des exploitants agricoles et le minimum contributif. Ces échanges comporteront ainsi les données à caractère personnel et des informations relatives aux affiliations et avantages de chaque bénéficiaires.

32 Article L351-10-1 du code de la sécurité sociale. 33 Ordonnance n° 2004-605 du 24/06/2004 – articles L815-5 et R. 815-2-1 du code de la

sécurité sociale.

34 Article L. 161-1-4 du code de la sécurité sociale. 35 Décret n° 2009-1553 du 14/12/ 2009 portant création du traitement informatisé relatif aux

échanges interrégimes de retraite.

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L’état de santé des travailleurs âgés

Encadré 2

Minimum contributif : historique > Avant le 1er avril 1983 1, la pension de vieillesse était comparée au minimum de l'allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS) à 65 ans, âge du taux plein, ou à compter de 60 ans au titre de catégories particulières 2. Le minimum AVTS était servi entier si l'assuré justifiait de 60 trimestres d'assurance. Dans le cas contraire, il était réduit proportionnellement 3. Les pensions attribuées à taux minoré avant le 1er juin 1983 pouvaient être révisées pour être portées au minimum AVTS, au 65e anniversaire de l'assuré ou entre 60 et 65 ans, si l'assuré était reconnu inapte au travail. > À compter du 1er avril 1983, le minimum contributif est créé. Il était servi entier si l'assuré réunissait au régime général la durée d'assurance maximum prévue pour le calcul de la pension. Sinon, le minimum était réduit proportionnellement 4. > À compter du 1er décembre 1984, des règles de limitation de cumul ont été mises en place lorsque l'assuré avait droit à une pension portée au minimum dans plusieurs régimes de base 5 : le total des pensions portées au minimum ne pouvait pas dépasser une certaine limite, dite « de cumul ». La limite de cumul constituait le minimum entier le plus élevé susceptible d'être servi par le régime le plus favorable 6. > À compter du 1er janvier 2004, les règles de limitation de cumul ont été supprimées 7. Le montant minimum est majoré pour tenir compte des périodes cotisées 8. > Du 1er janvier 2004 au 30 juin 2005, devant la difficulté à séparer les périodes réellement cotisées de celles ayant donné lieu à validation, un dispositif transitoire a été mis en place. Le minimum majoré est servi entier à l'assuré qui a été affilié uniquement au régime général et réunit la durée d'assurance maximum prévue pour le calcul de la pension. Si l'assuré ne réunit pas cette durée d'assurance, le minimum majoré est réduit proportionnellement. Si l'assuré a été affilié à plusieurs régimes obligatoires, le minimum dépend de la durée totale d'assurance tous régimes confondus 9. Ainsi, le minimum contributif majoré est calculé en fonction de la durée d’assurance validée sans distinction entre périodes cotisées et non cotisées. > À compter du 1er juillet 2005, la mise en œuvre de la distinction entre périodes cotisées et non cotisées est effective. La majoration du Mico au titre des périodes cotisées est déterminée compte tenu des trimestres cotisés par rapport à la durée d'assurance maximum. > À compter du 1er avril 2009, la majoration du Mico au titre des périodes cotisées est réservée aux assurés ayant une durée de cotisation minimale de 120 trimestres 10. Le montant calculé de la retraite, augmenté du minimum contributif, éventuellement majoré au titre des périodes cotisées, peut être assorti des majorations pour enfants, pour conjoint à charge, de la rente ROP 11 ; et de la majoration retraite anticipée des travailleurs handicapés et de la surcote pour les retraites à compter du 1er avril 2009 12. Ordonnance 45/2454 du 19/10/1945 art. 119. Au titre de l'inaptitude au travail, de l'inaptitude au travail substituée à pension d'invalidité, de déporté, interné politique ou de la résistance, d'ancien combattant, de travailleur manuel salarié, de mère de famille ouvrière. 3 Loi 75/3 du 03/01/1975 article 13. 4 Article L351-10 du code de la sécurité sociale ancien. 5 Article L173-2 du code de la sécurité sociale ancien. 6 Article R173-7 du code de la sécurité sociale ancien. 7 Article D351-2-1 du code de la sécurité sociale. 8 Article D351-2-1 du code de la sécurité sociale. 9 Si la durée totale d'assurance ne dépasse pas 160 trimestres, le minimum est calculé comme si l'assuré avait été affilié seulement au régime général. Si la durée totale d'assurance dépasse 160 trimestres, le minimum est réparti entre les régimes, proportionnellement à leur durée d’assurance. 10 Article D351-2-2 du code de la sécurité sociale. 11 Articles L351-12, L351-13 du code de la sécurité sociale. 12 Articles L351-1-3 et L351-1-2 du code de la sécurité sociale. 1 2

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Regards sur le droit

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Bibliographie Bac C., Bridenne I., Couhin J., 2008, « Les effets de la réforme du minimum contributif en 2003 : limités et éphémères », Retraite et Société, n° 54, Cnav, La Documentation française. Brocas A.-M., 2004, « Les femmes et les retraites en France : un aperçu historique », Retraite et Société, n° 43, Cnav, La Documentation française. Burricand C., 2007, « Les pensions de réversion en 2004 », Études et résultats n° 606, Drees, octobre. Caisse nationale d’assurance vieillesse, 2009, « Brèves statistiques », Cadr@ge n° 8, septembre. Cour des comptes, 2008, Rapport annuel de la Cour des comptes sur la sécurité sociale, septembre. Conseil d’orientation des retraites, 2007, « Retraites : 20 fiches d'actualisation pour le rendez-vous de 2008 », 5e rapport du COR (novembre 2007), La Documentation française, 240 p. Conseil d’orientation des retraites, 2008, Retraite : droits familiaux et conjugaux, 6e rapport du COR (décembre 2008), La Documentation française, 384 p. Drees, 2007, « Minimum vieillesse, petites retraites et minimum contributif : enjeux et coûts d’une revalorisation », Séance COR du 19 décembre, Document de travail, n° 33. Domeizel C., Leclerc D., 2007, Rapport d’information fait au nom de la Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale sur les pensions de réversion, Sénat, document n° 314. Dupeyroux J.-J., Droit de la sécurité sociale, Dalloz. Gouvernement, 2008, « Rendez-vous 2008 sur les retraites », document du 28 avril 2008. Vanlierde S., Bridenne I., 2006, « La réforme de la pension de réversion », Retraite et Société, n° 48, Cnav, La Documentation française.

Circulaire Cnav n° 2009-17 du 16 février 2009 Circulaire Cnav n° 2004/8 du 12 février 2004 Retraite et société 59 > août 2010


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Circulaire Cnav n° 2003/56 du 30 décembre 2003 Circulaire Cnav n° 90/84 du 14 août 1984 Décret 84/995 du 5 novembre 1984 pris pour l'application de l'article 6 de la loi n° 83/430 du 31 mai 1983 portant sur diverses mesures relatives aux prestations de vieillesse. Décrets n° 2004-1 147 et 2004-1451 relatifs à la pension de réversion. Décret n° 2008-1509 du 30 décembre 2008 portant diverses dispositions relatives à l'assurance vieillesse. Décrets n° 2009-788 et n° 2009-789 du 23 juin 2009 relatif aux conditions d'attribution de la majoration de la pension de réversion et à certaines conditions d'attribution du minimum contributif et de l'allocation de solidarité aux personnes âgées. Décret n° 2009-1553 du 14 décembre 2009 portant création du traitement informatisé relatif aux échanges inter-régimes de retraite. Loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009. Loi du 31 mai 1983 ratifiant l’ordonnance du 26 mars 1982 portant sur diverses mesures relatives aux prestations vieillesse. Ordonnance 45-2454 du 19 octobre 1945 fixant le régime des assurances sociales applicable aux assurés des professions non agricoles. Ordonnance 2004-605 du 24 juin 2004 simplifiant le minimum vieillesse.

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de lecture notes

ANALYSES CRITIQUES

Les retraites en France et dans le monde : nouvelles problématiques

François Charpentier, Paris, Economica, 2009, 533 p.

Les diverses réformes des systèmes de retraites provoquent des résistances farouches de par le monde, allant jusqu’à renverser des gouvernements, en Autriche, en Allemagne, en France et en Italie dans les années 1990. Pourtant elles sont incontournables en raison du défi démographique, puisque qu’il y a déjà de moins en moins de cotisants, de plus en plus de retraités qui vivent de plus en plus longtemps et que la capacité d’accueillir des immigrants est limitée pour des multiples raisons. À cela s’ajoutent les crises financière et économique et les déficits et dettes publics croissants, qui menacent tous les régimes de retraites, publics et privés, quel que soit leur mode de fonctionnement. Dans ce contexte, le président de la République, Nicolas Sarkozy a lancé, en juin 2009, un nouveau débat national sur la sauvegarde des retraites par répartition – sujet fort controversé et complexe. Retraite et société 59 > août 2010

Pour alimenter ce débat et faciliter la compréhension, François Charpentier a rédigé cet ouvrage volumineux à caractère pédagogique et destiné principalement au lecteur non initié. Sans préjugés, l’auteur éclaire le sujet explicitant le multiples éléments qui composent la problématique des retraites en France et à l’étranger. L’ouvrage comporte trois parties. La première est consacrée aux retraites en France. Elle retrace brièvement l’origine des retraites en France depuis le XVIIe siècle, les divers projets de réforme depuis les années 1970 et les réformes qui ont été effectivement engagées. Il passe en revue successivement les divers régimes obligatoires de base et complémentaires des salariés, des fonctionnaires et des non-salariés, puis les régimes facultatifs comme les contrats souscrits dans un cadre collectif (régimes supplémentaires d’entreprise, épargne salariale) et enfin, sept


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catégories distinctes de contrats sous- du monde : États-Unis et Canada, crits dans un cadre individuel. Il en tire Amérique latine – notamment Chili, un bilan contrasté des politiques sui- Brésil et Argentine –, Asie, Australie et vies, notant que les systèmes de retraite Nouvelle-Zélande et Afrique. complémentaire (par capitalisation), qu’ils soient individuels ou collectifs L’auteur rappelle d’emblée que tous ont eu un succès limité en France, les pays ne disposent pas de « système » ne représentant actuellement que 3 % de retraite, qui reste un privilège des pays nantis. Dans les à 4 % des sommes versociétés rurales d’Afrique sées par les caisses de Tous les pays qui ont et d’Asie (et on pourrait retraites par répartition institué des systèmes de certainement y ajouter (hors assurance-vie). Ce retraites, ont mis en place l’Amérique latine), la qui n’a pas empêché des systèmes de répartition prise en charge familiale une forte progression de basés sur le principe de prévaut dans un contexte l’épargne salariale qui solidarité entre générations. de grande pauvreté. Touconcernait plus de la moitié des salariés du secteur marchand tefois, tous les pays qui ont institué non agricole en 2006, soit 8,8 millions des systèmes de retraites, en Europe et de salariés. Toutefois cette progression ailleurs (sauf au Chili), ont mis en place masque la disparité d’affiliation entre des systèmes de répartition basés sur le grandes et petites entreprises. Il attribue principe de solidarité entre générations, le ralentissement de cette épargne complétés par la suite par des disposidepuis 2006 à la multiplicité des dispo- tifs par capitalisation, dans une infinie sitifs (Perp, Pere, Perco, etc.), devenus variété de systèmes. Mais tous ces pays trop complexes et incompréhensibles doivent faire face aujourd’hui aux aux éventuels bénéficiaires. Ceux-ci leur mêmes difficultés qui réduisent leur ont préféré les contrats d’assurance-vie capacité d’épargne, qu’elles soient qui bénéficient d’incitations fiscales et démographiques (allongement de la offrent des possibilité de sortie en capi- durée de vie, baisse de la fécondité), tal. Il note d’ailleurs les politiques para- économiques ou sociales (ralentissedoxales qui cherchent à stimuler ment de la croissance, voire récession, l’épargne-retaite salariale, (la France a chômage, éclatement des structures bénéficié d’un des taux d’épargne les familiales, apparition nouveaux risques plus élevés du monde) alors qu’elles et nouveaux besoins de couverture autorisent par la suite de débloquer sociale). cette épargne pour une consommation immédiate, risquant ainsi de ne pas La troisième partie – la plus immédiatement pertinente pour le débat sur les être disponible pour la retraite… retraites et les effets des options possiLa deuxième partie présente un vaste bles – est consacrée aux nouvelles panorama des systèmes de retraite de problématiques, dont le sommaire est par le monde, en commençant par élégamment rédigé en rébus. Il couvre l’Europe, regroupant les synthèses des probablement toutes les questions systèmes pratiqués dans 16 pays en 4 individuelles et collectives que l’on doit grands groupes de régimes (bismarckiens, se poser pour tenter d’assurer la pérenbeveridgiens, nordiques et post-com- nité des retraites : l’impact limité du munistes des pays de l’Europe centrale relèvement de l’âge de la retraite, les et orientale, y compris la Russie). Il diverses modalités d’acquisition de droits élargit sa présentation à d’autres parties à pension, les réalités démographiques, Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

les approches pour financer la dépendance, les scénarios pour sécuriser l’épargne retraite de demain, ce qu’il faut savoir des fonds de pension et des fonds de réserve publics pour garantir les pensions, le nécessaire droit à l’information, les principes de gouvernance, le rôle du paritarisme et l’émergence de l’Union européenne dans ce débat.

plus appelés à assumer le retour sur investissement de leur épargne, mais aussi aux partenaires sociaux et à tous ceux qui, à un titre ou à un autre, sont concernés par la problématique des retraites.

Par Hedva Sarfati, Ancienne directrice du Département des relations professionnelles et de l’administration du travail du BIT. Consultante en matière de marché du travail et de la protection sociale auprès de l’Association internationale de la sécurité sociale (AISS), Genève.

En conclusion, cet ouvrage de vulgarisation, fort opportun, sera certainement utile non seulement à tous les salariés, travailleurs indépendants, fonctionnaires, ou même retraités, préoccupés par l’avenir de leur retraites et de plus en

Étude interdisciplinaire concernant le vieillissement et la réforme des retraites en Hongrie Robert Ivàn Gàl, Ichiro Iwasaki, Zsuzsa Széman Budapest, Akadémiai Kiadó, 2008, 209 p.

& Marché du travail et vieillissement au Japon : problèmes et politiques Koichi Hamada et Hiromi Kato Cheltenham, R.U., Edgar Edward Elgar, 2007, 191 p.

Cette publication rédigée par Robert Ivàn Gàl, Ichiro Iwasaki et Zsuzsa Széman, consacrée au vieillissement et à la réforme des retraites en Hongrie, fait partie d’un programme de recherche plus large portant sur de l’équité intergénérationnelle dans les économies en transition, afin d’étudier les conflits d’intérêts survenant entre les différentes générations après la fin du communisme. Constatant que la transition vers une économie de marché avait démantelé les dispositifs de sécurité Retraite et société 59 > août 2010

sociale dans ces pays qui ont connu une chute brutale du nombre de naissances et de la valeur réelle des retraites, les chercheurs analysent le plus vaste effet de ce changement de système sur les structures démographiques, les marchés du travail, la répartition des revenus et l’égalité. Ces recherches ont été menées sous les auspices de l’Institut de recherche économique (Institute of Economic Research) de l’université de Hitotsubashi au Japon.


Notes de lectures / Analyses critiques

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Ce livre comporte trois parties. La et des autres transferts entre générations première examine les développements sur la fertilité. actuels et futurs de la démographie, ainsi que l’évolution de la perception L’augmentation des déficits publics, du vieillissement. La seconde partie l’insuffisance de l’investissement public étudie la réforme des trois piliers du dans le capital humain et la baisse des système de retraite hongrois (retraite cotisations de sécurité sociale entre par répartition, caisse de retraite obli- 1992 et 1997 (en raison d’une diminugatoire et fonds de pension volontaire). tion de participation de la main-d’oeuvre Les auteurs y remarquant qu’une grande et de l’expansion rapide de l’économie partie des changements en cours au informelle) ont remis en cause l’adésein du premier pilier public ont initia- quation et la viabilité des retraites. lement permis de réduire de façon Les auteurs lancent un avertissement significative les graves déséquilibres à et soulignent que les perspectives en venir à long terme entre les générations, matière de pension des classes d’âge mais que les changements intervenus approchant de la retraite dans les 15 après 1998 étaient d’origine politique et prochaines années sont plutôt sombres : ont entraîné la perte de certains avan- un nombre croissant de personnes risquent d’être exclues du tages. Ils estiment système ou de recevoir néanmoins qu’il est trop En Hongrie la population une pension d’emblée tôt pour pouvoir évaen âge de travailler a le moins importante mais, luer l’efficacité globale plus faible taux d’activité en outre, le niveau des et la viabilité à long de l’UE (60 %). pensions des personnes terme de ces changements. De la même manière, l’intro- admises dans le système baissera sur duction de caisses de retraite privées toute la durée de la période de retraite. obligatoires a été influencée par les conflits d’intérêts entre les ministres L’intérêt de cette étude sur la Hongrie et les partis politiques, et la présence réside dans le fait que ce pays – qui de groupes d’intérêts, notamment les a bénéficié d’une croissance stable pensyndicats et les institutions financières, dant 12 années jusqu’en 2006 – avait aspects qui ont tous atténué la portée particulièrement bien réussi à réformer du cadre juridique et la qualité de sa gouvernance politique par rapport gestion des caisses. Assurer l’efficacité aux autres pays d’Europe de l’Est et et la viabilité à long terme requerrait d’Europe centrale et se classait parmi une meilleure gouvernance et de meil- les premiers en matière de droit à l’exleurs systèmes de surveillance, ainsi pression et de responsabilité, de priqu’une réorientation sur les intérêts des mauté du droit, de qualité de la assurés. La troisième partie de l’ouvrage réglementation et de maîtrise de la est consacrée à l’examen les divers élé- corruption. Le marché du travail et les ments définissant l’équité intergénéra- déficits budgétaires publics représentent néanmoins une source d’inquiétude. tionnelle sous des angles divers : conséquences de la réforme des En effet, en Hongrie, la population en retraites sur la redistribution entre géné- âge de travailler a le plus faible taux d’activité de l’UE (60 %), du fait notamrations ; effet de la fragmentation et de la ment de l’exposition soudaine à la discontinuité des carrières profession- concurrence internationale, qui a fait disparaître près d’un tiers des emplois nelles sur le système de retraite ; conséquences du système de retraite en raison de l’inadéquation des compéRetraite et société 59 > août 2010


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tences. Le pays a également souffert d’un déficit budgétaire exceptionnellement élevé (-6,5 % du PIB) pendant plus d’une dizaine d’années. Ces deux facteurs affaiblissent le système public de réaffectation des ressources entre générations, notamment les allocations familiales, l’enseignement, la santé, les soins de longue durée et surtout, le système des retraites. Cet aspect est particulièrement inquiétant, car le taux de fécondité de la Hongrie a chuté en dessous du niveau de reproduction calculé depuis 1959, la population diminue depuis 1980 et le vieillissement a débuté de façon assez précoce. Par conséquent, le taux de dépendance de la population âgée augmente rapidement depuis 2005 et devrait atteindre des niveaux extrêmement préoccupants lors des prochaines décennies (32 % en 2025 et le chiffre incroyable de 47 % d’ici 2050, d’après les projections de l’ONU), ce qui fera peser une lourde charge sur les générations futures.

l’Institut de recherche économique et sociale (ESRI) du gouvernement japonais portant sur les difficultés associées au vieillissement du marché du travail et aux éventuelles solutions, thème qui déborde très largement les frontières du Japon.

Les auteurs rappellent que le Japon subit une importante pression due à la déflation, à la dette massive du gouvernement et à un vieillissement rapide sans précédent, associé à une diminution de la population (les personnes âgées devraient représenter un quart de la population totale du pays en 2020). Cette situation exige une réforme du système de sécurité sociale, des régimes des retraites, des marchés financiers et du marché du travail afin de maintenir une société viable. Le vieillissement du marché du travail pourrait déformer le mécanisme de l’emploi, favoriser le chômage des jeunes et mettre fin aux incitations au développement du capital humain parmi les jeunes travailleurs. La C’est sans doute pour ces raisons que mise en place d’une telle réforme est la Hongrie a fait partie des premiers encore plus difficile en raison des lourds pays européens à mettre en place une déficits fiscaux, de prêts douteux et des réforme complète des retraites, en problèmes structurels à long terme, mais les auteurs affirment que privatisant partiellement ceux-ci ne sont pas insurla sécurité sociale (en Au Japon, le schéma de montables. Ils admettent 1997). En conclusion, l’emploi à l’échelle d’une vie les difficultés et incitent les auteurs insistent sur reste identique et empêche le lecteur à se méfier de la nécessité d’effectuer les jeunes d’accéder au la « sagesse populaire ». des recherches compléstatut de salarié classique. Par exemple, en règle mentaires, en particulier sur les liens, désormais inexistants, entre générale, une main-d’œuvre vieillisles budgets des allocations familiales et sante devrait susciter une plus grande de l’enseignement et ceux des systèmes demande de jeunes travailleurs et de de santé et de retraite qui sont indis- diplômés. Dans les faits, au Japon, le pensables pour parvenir à redistribuer schéma de l’emploi à l’échelle d’une les ressources de façon plus équitable vie reste identique et empêche les entre les générations. Ce qui ne serait jeunes d’accéder au statut de salarié sans doute pas sans conséquence sur la classique. Ils ne s’engagent pas envers leur travail, ne s’investissent pas afin fécondité. d’améliorer leurs compétences, ont tenLe second livre, consacré au Japon, est dance à rester célibataires ou à se marier le fruit d’un projet de recherches de tard, à ne pas faire d’enfants et à vivre

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Notes de lectures / Analyses critiques

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avec leurs parents. Les employeurs sont entreprises ne suffit plus à absorber leur également réticents à l’idée d’embau- surnombre, tandis que les décisions cher des jeunes en contrat à durée indé- juridiques interdisent leur licenciement terminée, car cela implique de payer (bien qu’il ne soit pas interdit par la loi !). Le ton du 2e chades charges sociales, procure une protection pitre est plutôt différent, Au Japon, la formation, l’âge de l’emploi et rend difcar celui-ci présente un et le genre n’ont que peu ficile le licenciement, le argumentaire en faveur d’incidence sur le chômage. tout dans un contexte du maintien des travaild’incertitude économique. Cette ten- leurs âgés en activité aussi longtemps dance bloque également le processus que possible en utilisant l’expérience de formation au sein de l’entreprise, professionnelle acquise et en leur proqui était considéré comme l’un des posant une formation et des conditions principaux facteurs de réussite des de travail plus souples. Il suggère égaentreprises japonaises. Le nombre de lement d’adopter des conditions de travailleurs irréguliers et de travailleurs travail plus favorables à l’éducation des à temps partiel (freeters) dépasse dés- enfants et un changement de la législaormais les 2,1 millions. Tandis que par tion fiscale qui, actuellement, dissuade le passé, les jeunes qui ne suivaient les femmes de travailler à temps complet pas une formation et n’avaient pas ou de participer au marché du travail. d’emploi (Neet) étaient issus de familles Le chapitre 3 est fondé sur un scénario nanties, depuis 2002, ils ont tendance de plein emploi dans lequel des jeunes à être issus des classes moyennes et à travailleurs, assez peu nombreux, ont plus faibles revenus. Ces changements tendance à obtenir des salaires relativesociaux accentuent la gravité du pro- ment élevés, mais dont la progression blème du vieillissement et des retraites, sera faible tout au long de leur vie étant donné qu’il y a moins de cotisants active ; ils perdent ainsi toute incitation au système de sécurité sociale et que à améliorer leurs compétences, à accules producteurs sont moins nombreux muler du capital humain et ont tenque les simples consommateurs. dance à réduire leur implication au travail. Ce scénario est susceptible d’enLe livre compte sept chapitres. Le pre- traîner une baisse significative de la mier propose un résumé concernant le consommation par habitant, qui affecvieillissement et le marché du travail, tera l’économie de façon négative. Le accompagné d’une analyse macroéco- 4e chapitre examine les besoins en nomique de l’incidence du chômage matière de soins de longue durée et par classe d’âge. En conclusion, il est leurs implications alors que les services indiqué qu’au Japon, la contribution infirmiers ne peuvent être remplacés de la structure des âges est beaucoup par des robots ou d’autres équipements plus importante que l’effet du chômage physiques. Les alternatives consistent d’une classe d’âge particulière et que, alors à recourir à la main-d’œuvre de façon assez surprenante, l’âge, la étrangère ou à exporter du capital afin formation et le genre n’ont que peu d’acquérir davantage de biens, de façon d’incidence sur le chômage. Une ana- à transférer les travailleurs de la lyse microéconomique fait remarquer production aux services infirmiers. Le que la baisse de la demande à l’égard 5e chapitre étudie la mesure dans des jeunes travailleurs résulte de la part laquelle les mouvements de capitaux croissante des salariés d’âge moyen et peuvent remplacer l’immigration et plus âgés, car leur transfert entre les conclut, comme on peut s’y attendre, Retraite et société 59 > août 2010


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en indiquant que l’immigration est probablement plus efficace. Dans le 6e chapitre, les auteurs avancent néanmoins que le coût social d’une importation substantielle de main-d’œuvre étrangère est énorme et peut nuire à l’économie nationale. Ils affirment que la main-d’œuvre féminine nationale peut être employée de façon plus efficace, tandis que les flux de capitaux sortants et une plus grande liberté d’échange représenteraient de bons substituts à l’arrivée de main-d’œuvre. Ils évaluent ces hypothèses au Japon et dans plusieurs autres pays asiatiques et concluent que le Japon peut faire face au vieillissement sans faire appel à une importante immigration. Le dernier chapitre porte sur les décisions de départ en retraite des ménages norvégiens (partir en retraite ou pas, comment les conjoints participent ou ne participent pas à ces décisions). Il a été intégré à ce livre en raison de la pertinence

de l’exemple norvégien en matière de politique de gestion du vieillissement. Les auteurs de cet ouvrage estiment donc que le Japon – cas extrême de vieillissement et de baisse de fécondité accompagné d’une décennie de déflation/récession – peut servir de leçon, d’un point de vue politique et social, aux autres pays confrontés à présent aux mêmes problèmes. Ils soulignent également la nécéssité de réaliser à l’avenir d’autres études.

Par Hedva Sarfati, Ancienne directrice du Département des relations professionnelles et de l’administration du travail du BIT. Consultante en matière de marché du travail et de la protection sociale auprès de l’Association internationale de la sécurité sociale (AISS), Genève.

Vieilles, et après !

Michèle Charpentier et Anne Quéniart (dir.), Montréal, Éditions du remue-ménage, 2009, 295 p.

Panorama des recherches actuelles sur la question du vieillissement des femmes, problématisation de cette question et présentation de résultats d’études : Vieilles et après! est un ouvrage à retenir. L’acuité du regard des auteurs, sociologues, historiennes, psychologues, tout autant que la densité des problématiques abordées et la multiplicité des références permettent au lecteur d’approcher de manière passionnante la question du vieillissement des femmes. Avec pour focale majeure l’Amérique du Nord, et plus particulièrement le Québec, l’ouvrage propose de mettre en lumière l’expérience du vieillir au féminin, Retraite et société 59 > août 2010

d’analyser la place des aînées dans l’espace social et l’image du vieillissement des femmes. Si les textes présentent avant tout des résultats d’études, le propos peut s’y faire revendicatif. En effet, la visée de l’ouvrage est aussi une prise de conscience collective, afin que les femmes âgées passent de l’ombre à la lumière, sortent de l’invisibilité et, ce faisant, acquièrent une reconnaissance publique et politique. L’ouvrage permet de comprendre comment le vécu des aînées, en tant que femmes et en tant que vieilles, se voit doublement soumis aux structures et représentations sociales traversées d’une part, par le primat du


Notes de lectures / Analyses critiques

masculin et d’autre part, par l’âgisme. Embrassant le vieillissement des femmes dans ses divers signes (ménopause, transformations du corps, dépendance fonctionnelle…) et ses expériences significatives (grand-maternité, engagement, vie en milieu d’hébergement…), les auteurs couvrent un large spectre de sujets, de façon claire et pertinente.

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est que le savoir des femmes sur leur corps, leur santé et leur vieillissement pèse dans le traitement social de la ménopause.

Fortes du constat que le vieillissement se vit comme un adversaire pour nombre de femmes, Guilhème Pérodeau, Catherine Gourd et Émilie Grenon nous proposent d’approfondir la question de la médicaLa première partie de l’ouvrage aborde la lisation du vieillissement féminin à traquestion du rapport à soi chez les aînées vers le cas de la dépendance des femmes et la seconde, celle du vieillir au féminin aux benzodiazépines. On touche là aux dans son rapport aux autres, à la société mécanismes à l’œuvre dans la surrepréet aux institutions. Les textes qui com- sentation des femmes dans la consomposent ces deux parties sont à mettre en mation de psychotropes, ainsi que dans regard les uns des autres, car ils s’inter- leur dépendance. Or, cette consommarogent mutuellement et discutent de tion est construite par les représentations sociales de déficit liées au vieillissement manière opportune. des femmes, reprises par les médias et C’est la femme vieillissante dans son les médecins. Les facteurs de consomrapport au corps, à la santé et à l’intimité mation prennent racine dans les rôles assignés aux femmes et qui est donc premièrela perte de valeur sociale ment abordée. Cette Les facteurs de consommation que connaît la femme focale permet de déveprennent racine dans les rôles vieillissante. La consomlopper une analyse de assignés aux femmes et la mation de benzodiazéla médicalisation du perte de valeur sociale que pine chez les aînées vieillissement féminin, à connaît la femme vieillissante. est, in fine, à analyser l’œuvre dans les sociétés occidentales. L’analyse du traitement comme une réponse à l’injonction social de la ménopause (Francine Dufort sociale de performance qui sous-tend et Laurence Fortin-Pellerin) permet de l’âgisme. comprendre comment ce vieillissement est pathologisé. Se référant à des L’expérience du blanchiment des recherches, sociologiques et épidémio- cheveux et le rapport aux procédés de logiques, les auteurs démontrent que la coloration, sont abordés sous la plume de ménopause est l’objet d’une construction Thomas Vannienwenhove. On touche, sociale, largement influencée par des par ce biais, aux conduites corporelles représentations biomédicales. L’hormo- et à la question de la manière dont nothérapie se voit ainsi donnée comme l’individu qui avance en âge parvient à unique solution, dans un mouvement s’identifier à un corps dont l’image se qui n’est pas sans déposséder les femmes transforme inexorablement ainsi qu’au de leur pouvoir et de leur autonomie défi identitaire qui en découle. Il s’agit vis-à-vis de leur corps. Cependant, l’ana- bien là de la recherche d’une congruence lyse montre que les résistances existent. entre l’image corporelle et l’image de Les militantes pour la santé des femmes, soi. Toutefois, la différence entre les particulièrement en Amérique du Nord, sexes se fait jour à l’analyse : on comagissent afin que leur expérience et leur prend que la nouvelle corporéité qui réalité soient prises en compte. Le défi, s’élabore ne remet pas fondamentaleRetraite et société 59 > août 2010


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ment en cause le traitement social inégal du vieillissement des deux sexes. Les femmes âgées restent toujours plus soumises que les hommes à l’injonction de jeunesse.

au sein de l’environnement social et institutionnel. L’auteur plaide pour une meilleure prise en compte de ce groupe, sans l’enfermer dans des catégories discursives qui cantonnent à la différence.

On retiendra le texte de Tania Navarro Swain comme un manifeste. Rappelant la relativité de la catégorie de vieillesse même, ainsi que celle d’une « essentialisation » de la différence entre homme et femme, l’auteur dénonce la construction qu’opère l’espace social en réduisant la femme à un corps sexué dont les visées politiques sont écrasées par le destin biologique. Dans une perspective féministe, se voit déconstruite l’idéologie dominante d’hypersexualisation des femmes dont l’hétérosexualité, la jeunesse et la maternité forment le socle. L’auteur plaide pour une esthétique de l’existence qui permettrait aux femmes de vieillir, non en tant qu’objet, mais en tant que sujet.

La seconde partie de l’ouvrage aborde la question du vieillir au féminin dans son rapport aux autres, à la société et aux institutions. La question de l’engagement des femmes, du familial au collectif, y tient une part importante et les textes mettent en lumière à quel point l’engagement des aînées est minoré dans l’espace social et comment les représentations sociales participent de sa définition.

L’engagement des femmes, sa polyvalence et la variation de ses formes sont abordés sous la plume de Simone Pennec. S’appuyant sur plusieurs études, celle-ci nous propose une analyse de ce qui fonde les mobilisations de femmes, en lien avec les événements ordinaires, La première partie de l’ouvrage se clôt mais aussi rupteurs de la vie, dans les par un texte qui aborde une population sphères privées et publiques. Il s’agit laissée pour compte dans les question- de comprendre comment s’articulent nements : les femmes homosexuelles. les activités des femmes entre les engagements pluriels et les Line Chamberland s’intemporalités de ces terroge sur les spécifiMême si elles sont relativement engagements, selon cités de leur vieillir : assignées aux rôles de proximité, leur âge et la dynaleur parcours de vie se les femmes n’en délaissent pour mique des réseaux répercute-t-il sur leurs autant pas les scènes publiques. relationnels. La préconditions d’existence une fois parvenues au troisième âge ? sence massive des femmes dans des Recensant les recherches récentes sur activités destinées au collectif (celui de les lesbiennes âgées, l’auteur analyse la parenté et de l’entourage élargi) est la réalité des discriminations et des dif- mis en lumière. L’expression de préocficultés auxquelles ces femmes sont cupations à l’égard d’autrui marque cet confrontées. Le texte explore les facteurs engagement. Pourtant, même si elles qui concourent à l’occultation des réali- sont relativement assignées aux rôles de tés de ces femmes, ainsi que les défis proximité, les femmes n’en délaissent particuliers auxquels les couples de les- pas pour autant la scène publique. biennes âgées, manquant de modèles Cependant, elles s’y trouvent, largeet de reconnaissance sociale, doivent ment invisibilisées. On retiendra donc faire face. On comprend ainsi que, mal- que l’ensemble des engagements des gré des avancées, l’hétérosexisme, l’ho- femmes souffre d’un déficit de reconmophobie et la lesbophobie perdurent naissance publique patent. Retraite et société 59 > août 2010


Notes de lectures / Analyses critiques

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Le texte d’Anne Quéniart et Michèle jouent désormais le rôle de pivot entre Charpentier présente les résultats d’une plusieurs générations. C’est sur leur recherche sur les engagements d’aînées présence active et solidaire que repose au sein de divers mouvements sociaux aujourd’hui le maintien de la vivacité et partis politiques au Québec. Partant des formes familiales et des liens de du constat que les formes d’engage- parenté. ment des femmes sont moins claires et moins publicisées que celles des Autre forme d’engagement, autre hommes, les auteurs montrent que l’en- problématique : celle du travail des gagement est souvent hérité et se femmes, abordée d’une part, par le construit tout au long de la vie. L’enga- prisme de l’histoire des travailleuses gement des aînées se caractérise par âgées au 20e siècle et d’autre part, par l’altruisme (tourné vers l’égalité des celui de la question de l’égalité éconosexes, l’éducation, la justice sociale…) mique des femmes. La question des et par la multiplicité : rapports entre âge, sexe engagements privés ou et emploi se trouve ainsi La place de grand-mère de proximité et engageposée. Le texte d’Aline acquiert aujourd’hui une ments collectifs se superCharles dépeint ainsi les importance nouvelle du posent. On comprend travailleuses âgées comme fait des mutations des que ce qui sous-tend le des laissées pour compte formes familiales. désir d’agir sur la société de l’histoire. L’absence et de participer à sa transformation des femmes âgées sur le marché du traest de déjouer le repli sur soi associé vail est, en effet, tout sauf effective. Leur au vieillissement et de poursuivre un invisibilité est le signe que la vieillesse accomplissement personnel pour ces est une construction sociale et sexuée. femmes. La coïncidence élaborée dans l’espace social occidental entre vieillesse et C’est dans la perspective des échanges retrait de la vie active est pertinemment intergénérationnels que Claudine Attias- analysée. Ceci permet de comprendre la Donfut aborde la question de l’engage- force d’un modèle qui limite la particiment : la place de grand-mère acquiert pation des femmes âgées au marché du aujourd’hui une importance nouvelle travail et met l’accent sur l’activité des du fait des mutations des formes fami- hommes et des jeunes. liales. Le rôle des grands-mères dans les solidarités familiales, ses transforma- La question de l’égalité économique des tions du fait de la désinstitutionalisation femmes âgées (Ruth Rose) est au cœur des parcours de vie et les réalités qu’il de cette problématique. L’analyse qui recouvre aujourd’hui sont mis en lumière. en est faite se fonde sur des statistiques S’appuyant sur plusieurs recherches, portant sur les rentes de retraite perçues l’auteur montre comment les transfor- au Canada. Les constats sont sans appel : mations récentes du statut et du rôle des un nombre significatif de femmes âgées femmes bouleversent les rapports entre vit la pauvreté, les rentes des hommes générations. Elles ont des implications étant largement supérieures à celles des sur les formes de reproductions sociales femmes. En outre, les femmes âgées de et sont au cœur des nouvelles formes 18 à 25 ans aujourd’hui risquent de se de solidarités féminines intergénéra- retrouver à la retraite avec des revenus tionnelles. Présentes pour leurs aînées toujours plus faibles que ceux des en situation de dépendance comme hommes. Au cœur des débats actuels, pour leurs enfants, les grands-mères les propositions de réforme des régimes Retraite et société 59 > août 2010


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La question de l’autonomie et du pouvoir des femmes âgées nous semble, enfin, opportunément abordée par l’étude des femmes résidant en milieu d’hébergement. Maryse Soulières et Michèle Charpentier démontrent avec acuité C’est la question du rapport des femmes que l’entrée en milieu d’hébergement, âgées aux institutions et aux acteurs de synonyme d’une perte de contrôle et de leur prise en charge qui clôt cet ouvrage. pouvoir chez la femme âgée, renferme Les représentations sociales qui sous- une grande violence symbolique. En tendent cette prise en charge y sont outre, au sein même de l’institution, mises en lumière, ainsi que les enjeux de les relations de pouvoir avec les aidants pouvoir qui parcourent les conceptions se jouent en défaveur des aînées. Ces relations restent tributaires de la vie de et les pratiques. ces femmes âgées au sein d’une société Amanda Grenier interroge d’abord la patriarcale, dont elles rejouent les catégorie de fragilité : attribuée de facto mécanismes. Pour autant, il est possible à la femme âgée et servant de mar- de rendre compte de véritables stratéqueur dans l’accession aux soins à gies d’empowerment, permettant aux domicile. Cette catégorie se construit résidentes de s’aménager une marge sur un savoir médico-clinique, dans d’autonomie. Aux yeux des auteurs, une perspective déficitaire liée au l’importance est aujourd’hui de faire du risque. Or, ce cadre de référence et les milieu d’hébergement, non seulement pratiques qui en découlent négligent un lieu de soin, mais aussi un lieu de vie deux aspects cruciaux de la probléma- pour les femmes âgées, au sein duquel celles-ci peuvent exertique : d’une part, les cer le plein exercice de besoins et les droits à L’importance est, aujourd’hui, de leurs droits. Ceci revient recevoir des soins à faire du milieu d’hébergement, à réexaminer la place domicile, plutôt que le non seulement un lieu de soin, que l’espace social seul risque encouru et mais aussi un lieu de vie pour accorde aux femmes d’autre part, le décales femmes âgées. âgées en situation de lage avec l’expérience que les femmes âgées font de la fragilité dépendance et les moyens que celui-ci et qui trouve ses racines dans une expé- se donne pour soutenir l’exercice des rience sociale et émotionnelle. C’est droits de groupes sociaux vulnérables. bien cette expérience qui devrait être prise en compte dans les pratiques de Dans l’introduction, Michèle Charpensoin afin de permettre aux femmes tier et Anne Quéniart présentent l’ouâgées de devenir actrices de leur prise vrage Vieilles, et après ! comme une en charge. Face aux construits socio- manière d’agir par la connaissance, la culturels qui dévalorisent les signes de réflexion et la recherche, dans le sens vieillesse et aux pratiques qui ne sou- d’une reconnaissance publique des tiennent que les personnes présentant femmes âgées. Il nous semble que ce but les plus grands risques, les femmes est atteint, avec rigueur et justesse. déploient cependant des stratégies de Par Cécile Charlap, résistance. Ces dernières doivent être Doctorante en sociologie, comprises comme des révélateurs de Laboratoire Cultures et société en Europe, changements requis dans les pratiques Université de Strasbourg de soins de santé et de services sociaux. publics de retraite risquent d’entraîner une diminution du revenu des futurs retraités, et ce, davantage pour les femmes que les hommes comme le souligne pertinemment l’auteur.

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Notes de lectures / Analyses critiques

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A general equilibrium evaluation of the sustainability of the new pension reforms in Italy1

Riccardo Magnani, document de travail du CEPII n° 2008-25.

Le vieillissement démographique dans les pays développés menace l’équilibre financier des systèmes de protection sociale, notamment celui de la branche vieillesse. C’est particulièrement vrai en Italie. Selon les prévisions, la population en âge de travailler (20 à 64 ans) diminuerait de 23 % entre 2000 et 2050, et le taux de dépendance (ratio entre le nombre de personnes de 65 ans ou plus et la population en âge de travailler) passerait de 28,9 % en 2000 à 68,1 % en 2050 (Istat, 2006).

En 2005, l’ensemble des dépenses de retraite représentait 13,6 % du PIB pour 18,4 millions d’assurés. Au cours des années 1990, deux réformes ont été introduites afin de répondre à l’augmentation future des dépenses et d’harmoniser les différents régimes, notamment ceux des employés du secteur public et du secteur privé : la réforme Amato de 1992 et celle de Dini de 1995.

La réforme Amato a indexé les retraites sur l’inflation et non plus sur les salaires et augmenté l’âge requis pour bénéficier d’une pension de droit Pour faire face à ce prodirect (passage de 60 blème, la plupart des Les retraites en Italie sont ans pour les hommes et pays européens ont mis versées par un système 55 ans pour les femmes en place des réformes de public financé par répartition. avec au moins 15 ans leur système de retraite au cours des 20 dernières années. Ric- de cotisations à 65 ans pour les hommes, cardo Magnani propose une analyse 60 ans pour les femmes et 20 ans de du cas italien. Comme partout, le vieil- cotisations). Quant à la réforme Dini, lissement de la population n’a pas que elle a introduit le système de comptes des conséquences sur la solvabilité du notionnels. Elle a également fixé l’âge système de retraite. D’un côté, les défi- minimum de départ en retraite à 57 ans cits générés par le système de retraite avec 35 ans de cotisations pour les salaréduisent l’épargne nationale et l’in- riés et 40 ans pour les travailleurs indévestissement, entraînant un ralentisse- pendants (réduit à 35 ans si la personne ment de la croissance. D’un autre côté, a au moins 58 ans). Les réformes Amato le vieillissement réduit l’offre de tra- et Dini ont également introduit les vail, affectant la croissance des salaires, régimes complémentaires par capitalil’accumulation du capital et la crois- sation. Toutefois, le nombre de salariés sance. Cela se traduit par une stagna- concernés reste très faible. tion de la masse des cotisations et par une tendance au déséquilibre financier En 2004, la réforme Berlusconi a augmenté l’âge minimum de départ à la du système de retraite. retraite, le portant à 60 ans pour 35 ans Les retraites en Italie sont versées par de cotisations pour les salariés. L’âge un système public financé par répartition. minimum de départ augmente d’un an en 2010 et d’un an en 2014. Trois ans plus tard, la réforme Prodi a décidé que 1 Une évaluation à l’aide d’un modèle d’équilibre l’âge minimum de 60 ans serait atteint général de la soutenabilité des nouvelles réformes des retraites en Italie. graduellement. Retraite et société 59 > août 2010


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En effet, la baisse de la population active conduit à une hausse des salaires et une baisse des taux d’intérêts qui, ajoutées à l’augmentation de l’espérance de vie, incitent les jeunes à poursuivre leurs études et accroissent la productivité. De plus, les Ce type de modèle est particulièrement individus épargnent davantage pour comapproprié pour étudier les répercussions penser la forte baisse de la générosité du des politiques économiques sur l’évo- système de retraite induite par les réformes lution des systèmes de retraite et plus Amato et Dini. Le taux d’investissement généralement, sur les transferts intergé- progresse jusqu’en 2020, puis décline à nérationnels et les interactions démo- cause de la forte augmentation du déficit économiques sur de longues périodes du système de retraite. Toutefois, les (Guerin, Legros et Soulat, 2008). Ces hausses de l’investissement et de la promodèles sont fondés sur une succes- ductivité ne compensent pas la diminution de la population sion de générations active: le taux de croisqui coexistent à chaque Les réformes Berlusconi et sance du PIB passe de période. Ils prennent en Prodi atténuent la baisse de la 2 % en 2005 à 0,7 % en considération l’espépopulation active en supposant 2045 pour augmenter rance de vie et tiennent que l’allongement de l’âge de nouveau sous l’effet compte de l’hétérogéde la retraite conduise à une des comptes notionnels. néité des comporteaugmentation équivalente ments des ménages. du taux d’emploi des seniors. Les réformes BerlusChaque ménage maximise sa satisfaction sur l’ensemble de sa coni et Prodi atténuent la baisse de la vie, déterminant ses choix d’études, de population active en supposant que consommation et d’épargne. Le modèle l’allongement de l’âge de la retraite de Riccardo Magnani est calibré pour conduise à une augmentation équivareproduire les situations démogra- lente du taux d’emploi des seniors. phiques, macroéconomiques et du sys- En augmentant l’offre de travail des tème de retraite de l’Italie pour l’année ménages, ces réformes provoquent d’abord une moindre croissance des 2005. salaires et une plus faible baisse des L’auteur compare, sur la période 2005- taux d’intérêts que dans la situation de 2055, les effets des réformes Berlusconi référence. Ensuite, l’augmentation des et Prodi à une situation de référence : les gains de productivité induite par l’alévolutions économiques et celles du longement des études est atténuée par système de retraite italien telles qu’elles la plus forte proportion de seniors dans auraient été sans ces réformes, unique- la population active. En effet, le capital ment sous l’effet des réformes Amato et humain étant supposé se déprécier au cours du temps, le stock moyen de Dini. capital humain est inférieur à celui de La situation de référence se caractérise par la situation de référence. Enfin, les indideux effets contraires sur la croissance vidus anticipant le fait de travailler plus du PIB: un effet négatif lié à la forte baisse longtemps et de gagner plus, augmende la population active qui entraîne un tent leur niveau de consommation et ralentissement de la croissance et un effet réduisent celui de leur épargne, entraîpositif provenant des gains de productivité nant une réduction de l’investissement par rapport à la situation de référence. et de l’investissement. Afin d’étudier les conséquences macroéconomiques de ces réformes et leur viabilité, l’auteur s’appuie sur un modèle d’équilibre général à générations imbriquées, à la Auerbach et Koltikoff (1987).

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Notes de lectures / Analyses critiques

En conséquence, ces deux réformes favorisent la croissance du PIB à court et moyen terme (autour de 2025) par rapport à la situation de référence, mais pas à long terme.

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suffisant pour combler les déficits, surtout à long terme. La baisse tendancielle des prestations est plus efficace. Prévus par les réformes Dini et Prodi, de nouveaux coefficients, qui s’appuient sur des données démographiques actualisées, entreront en vigueur en 2015 avec le passage à la méthode mixte entre l’ancien système de calcul des pensions qui s’appuie sur le salaire de référence et les comptes notionnels.

Les réformes Amato et Dini ne permettent pas de faire face aux conséquences de l’évolution démographiques sur le système. Entre 2015 et 2040, son déficit passe de 1,2 % du PIB à 3 % du PIB et les dépenses de retraites de 13 % du PIB à 15 %. Après 2040, grâce aux comptes notionnels, L’immigration, en stimulant le déficit commence à la croissance, peut contribuer baisser pour atteindre à équilibrer le système de 1,7 % du PIB en 2055. retraite à long terme. Les réformes Berlusconi et Prodi, en allongeant les carrières, permettent une importante réduction du déficit à court et moyen terme. Avec la réforme Prodi, le déficit n’est plus que de 0,7 % du PIB en 2015 (0,5 % avec la réforme Berlusconi). En effet, dans les années qui suivent la mise en place des réformes, le recul de l’âge de départ améliore la situation financière du système. Les salariés cotisent plus longtemps, tandis que les retraités sont relativement peu nombreux à bénéficier d’une retraite revalorisée. Toutefois, à long terme, le nombre de retraités bénéficiant d’une hausse de leur pension, conséquence de leur effort contributif, augmente. Finalement, en 2035, le déficit du système rapporté au PIB est plus élevé que dans la situation de référence. L’immigration, en stimulant la croissance, peut contribuer à équilibrer le système de retraite à long terme. Un solde migratoire net de 250 000 entrées supplémentaires par an à partir de la période 2026- 2030 (soit un poids des migrants dans la population totale passant de 18 % à plus de 30 %) permet de réduire le taux de dépendance par rapport à la situation de référence. Mais, à elle seule, l’immigration ne constitue pas un moyen

L’auteur étudie les répercussions d’une réduction des coefficients de transformation du point qui incite les ménages à épargner davantage. Cela provoque une augmentation de l’investissement et du PIB. Cette moindre générosité du système se traduit par des déficits moins importants. En 2055, ils ne seraient plus que de 0,8 % du PIB pour une baisse de 6 à 8 % du coefficient de transformation, soit la moitié de celui induit par la réforme Prodi sans révision des coefficients. Mais, même si cette évolution préjudiciable aux retraités peut être compensée par la croissance des salaires et du PIB favorable au montant des retraites, il n’est pas sûr qu’elle soit socialement acceptée. Riccardo Magnani propose une analyse qui permet de comprendre les effets des réformes sur le système de retraite italien. De plus, l’auteur intègre à son modèle la possibilité de transmissions aux âges élevés. En outre, il souligne qu’en France, la plus grande liberté de choix de l’âge de liquidation favorise une moindre augmentation des déficits, contrairement à l’Italie. Toutefois, trois catégories de remarques peuvent être formulées. D’abord, l’étude de l’évolution du système de retraites semble largement dictée par son équiRetraite et société 59 > août 2010


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libre financier à long terme. Des investigations permises par la modélisation proposée auraient pu être menées sur les risques de pauvreté à la retraite et sur les mécanismes de solidarité et d’équité à l’intérieur de chaque génération et entre les générations, mécanismes sous-jacents à un régime par répartition. L’auteur évoque ensuite l’immigration et la baisse de la générosité du système, sans envisager l’utilisation d’autres moyens possibles : hausse des cotisations, modification de l’assiette, élévation supplémentaire de l’âge de la retraite, augmentation de la dose de capitalisation. Reste que l’augmentation des cotisations patronales entrave la compétitivité des entreprises et que celle des cotisations salariales freine l’offre de travail et réduit le revenu disponible. Finalement, l’arbitrage entre hausse des cotisations salariales et baisse du montant des pensions pose le problème du partage de l’effort entre les actifs et les inactifs. Le développement

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d’une dose d’épargne individuelle ou collective, comme en Allemagne ou en France, introduit la question de l’incitation des ménages à se prémunir euxmêmes contre le risque vieillesse et celle de l’imprévoyance des individus. Enfin, l’auteur établit sa modélisation sur les comportements individuels des salariés. Certains modèles d’équilibre général à générations imbriquées sont plutôt centrés sur les comportements des ménages. Cela peut faciliter la prise en compte des mécanismes de solidarité au sein de la famille, conduire à d’autres modélisations de choix de durée d’études selon les types de foyers et permettre d’intégrer des transferts financiers des plus jeunes vers les plus âgés dans des situations de dépendance et, inversement, des plus âgés vers les plus jeunes à travers l’héritage. Par Laurent Soulat, Caisse des dépôts et consignations, LEDa-SDFi, université Paris-Dauphine



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de lecture notes

LES PARUTIONS

Philippe Daveau, Cnav

L’autonomie brisée, bioéthique et philosophie

Par Corinne Pelluchon, PUF, Paris, 2009, 315 p.

Les biotechniques ont fait irruption sur la scène des savoirs. Non seulement elles bouleversent certaines convictions religieuses et morales, mais elles brouillent les cartes du jeu social, confrontant les démocraties à des problèmes et à des conflits que les législations en vigueur peinent à résoudre faute d’outils conceptuels adaptés. C’est ce constat qui fonde le projet de cet ouvrage au didactisme subtil et riche. La prolongation de la vie se traduit par des formes d’existence différentes de celles auxquelles nous sommes accoutumés, où semble se diluer l’autonomie des sujets, fondement des droits de l’homme. Les identités déchues, laminées, les protestations d’un corps souffrant ou d’une conscience en perdition fondent des demandes que seule une écoute attentive peut saisir. Les biotechniques, utilisées aux frontières de la vie et de la mort, sont en permanence placées face à ces défaillances de l’autonomie. Elles appellent en urgence l’énonciation d’une éthique Retraite et société 59 > août 2010

qui guide l’acte médical en temps de détresse. Corinne Pelluchon, à la suite de Levinas, l’appelle éthique de la vulnérabilité. Se substituant à celle de l’autonome, elle fait reposer la subjectivité sur la sensibilité et invite à penser le sujet à la lumière d’une altérité multiforme. Cette réflexion sur les fondements de la morale et du droit reconstruit les notions d’autonomie et de dignité et enrichit l’anthropologie sous-jacente à la philosophie des droits de l’homme.

Se mobiliser pour la santé : des associations de patients témoignent

Par Madeleine Akrich, Cécile Méadel, Vololona Rabeharisoa, Mines ParisTech, 2009, 206 p.

Les associations déploient une activité intense pour informer le public sur tous les aspects de la santé. Elles jouent un rôle croissant dans les mobilisations collectives dont elles sont le centre. Enfin, elles tendent à se constituer en réseaux au sein desquels peuvent être inventées de nouvelles formes d’action. Dans ce contexte, les auteurs de ce livre entendent donner la parole aux acteurs.


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Réunis en focus groups d’une douzaine de personnes, les militants de 50 associations ont échangé leurs réflexions sur deux thèmes : d’une part le rôle des associations et des collectifs dans la diffusion des informations et des connaissances, d’autre part, leurs relations avec les différentes parties prenantes dans le domaine de la médecine et de la santé. Ces discussions ont débouché sur trois questionnements. Le premier porte sur la gouvernance des associations qui, quelle que soit leur taille, cherchent tous les moyens de rester en phase avec leurs adhérents et s’interrogent sur la pertinence de leur statut juridique. Le second a trait à la production d’informations. Comment, au-delà de la diffusion de l’information, les associations peuvent-elles contribuer au renouvellement des problématiques de recherche ? Enfin, le troisième questionnement concerne la transformation des relations entre le médecin et un malade toujours mieux informé et associé à son traitement. Le livre ne fournit aucune réponse à ces problématiques, mais il ouvre des pistes pour faciliter le dialogue entre les usagers, les politiques et les professionnels.

Les retraites en question

Par Antoine Rémond, La Documentation française, Paris, 2009

Cet ouvrage constitue une présentation pédagogique, à la fois complète et synthétique, des réalités actuelles du système français des retraites, des contraintes qui pèsent sur lui et de ses perspectives d’évolution. Il est organisé en quatre chapitres. Le premier, très classiquement, retrace les principales étapes historiques de construction de ce système et décrit les grands traits d’une organisation conciliant la logique contributive et professionnelle d’un côté et la solidarité nationale non

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contributive de l’autre. Le second chapitre s’intéresse aux évolutions récentes du régime, en particulier aux réformes mises en œuvre à partir des années 1990. Après avoir rappelé les termes du débat (le poids du vieillissement démographique et celui des prélèvements obligatoires), l’auteur met en évidence l’influence de l’Union européenne qui aboutit à limiter le champ de la répartition. La troisième partie du livre expose les deux répercussions essentielles : l’évolution des modes de transition de l’activité à la retraite et le recours accru à l’épargne, tant publique (création du fonds de réserve pour les retraites) que privée, celle-ci constituant désormais un véritable pilier du système. Le quatrième chapitre actualise les termes du débat. Il présente, entre autres, la révision des projections démographiques de l’Insee et les nouvelles prévisions du Cor, les souhaits des assurés concernant l’âge de départ en retraite, les conséquences des crises financières sur les systèmes, particulièrement sur la capitalisation.

La famille : une affaire publique

Par Michel Godet, Evelyne Sullerot, La Documentation française, Paris 2009, 297 p.

Certains rapports du Conseil d’analyse économique suscitent un intérêt particulier du fait de leur sujet, d’où l’idée de la Documentation française d’en publier une version actualisée dans une collection de poche. Le texte présenté ici fait d’abord observer que la France connaît un taux de fécondité exceptionnellement élevé en Europe, conséquence d’une politique qui permet aux femmes de gommer les incompatibilités entre leur vie familiale et leur vie professionnelle. Mais cette politique familiale, que beaucoup de pays nous envient et cherchent à imiter, est loin d’être parfaite et se trouve parfois Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

écornée. C’est alors le développement durable de nos sociétés qui est en jeu. Les auteurs plaident en conséquence pour un renforcement de la politique familiale. La famille, lieu d’investissement du capital humain et social, doit être mieux soutenue. Surtout, il importe, par souci d’équité, d’atténuer la paupérisation des familles et notamment, des familles nombreuses. Michel Godet et Évelyne Sullerot soulignent que la collectivité est loin de compenser le coût inhérent à l’entretien et à l’éducation des enfants. Ils proposent en conséquence des mesures fiscales pour augmenter le pouvoir d’achat des ménages, parmi lesquelles la familialisation de la CSG. Ils formulent d’autres recommandations : des dispositifs permettant de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale, une politique d’immigration choisie doublée d’une politique d’intégration plus dynamique.

Le vieillissement, une bonne nouvelle ?

Par Michel Godet, Marc Mousli, La Documentation française, Paris 2009, 266 p.

Ce rapport, publié ici dans une version actualisée, notamment à la lumière des nouvelles projections de l’Insee, est le fruit d’un travail conjoint du Conseil d’analyse économique et de la Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires. Il se propose d’éclairer les décideurs sur les enjeux des évolutions démographiques futures pour innover dans la conduite des projets spécifiques à chaque région, département ou territoire. Actuellement, le financement des retraites et la pénurie de main-d’œuvre inquiètent à juste titre. Pour y faire face, il faudra réaliser des gains de productivité, innover dans les services et travailler plus longtemps, ce qu’autorise l’augmentation de l’espérance de vie en bonne santé. Retraite et société 59 > août 2010

Sur cette toile de fond, les auteurs présentent trois scénarios du vieillissement : le gris (une poursuite sans inflexion des tendances à l’œuvre), le rose, celui de « l’âge d’or des cheveux gris » ou de la valorisation du vieillissement, le noir, scénario de la guerre des âges et du chacun pour soi. Quoi qu’il en soit, un certain nombre d’évolutions sont à craindre : montée de la solitude, inégalités entre les niveaux des retraites, paupérisation des classes moyennes, augmentation du coût de la dépendance, tension sur le logement, etc. Ces perspectives imposent d’abord de prévenir les fractures entre les âges et d’adapter les services au vieillissement, ensuite de stimuler l’activité dans les territoires. Ce rapport s’achève par 22 « coups de projecteurs » destinés à mieux éclairer l’avenir et permettre de ménager des ruptures sans douleur.

Faut-il faire son deuil ? Perdre un être cher et vivre Par Pascal Dreyer (dir.), Autrement, Paris 2009, 334 p.

Cinq cent cinquante-cinq mille décès en France chaque année, ce sont autant de ruptures qui contraignent à un travail pour sortir d’une douleur, apparemment sans fin, et pour faire son retour à soimême et aux autres. Cet ouvrage collectif propose d’abord une lecture critique des apports de la psychanalyse freudienne sur le sujet. Les auteurs soulignent les limites d’une approche exclusivement psychologique de cette épreuve consubstantielle à la condition humaine et qui appelle paradoxalement le survivant à oublier et à se souvenir. Si les cadres religieux de notre société ont longtemps proposé – voire imposé – des rites dont l’objectif était d’accompagner l’endeuillé dans un cheminement à la fois collectif et personnel, la situation a aujourd’hui


Notes de lectures / Les parutions

changé. Malgré une présence virtuelle permanente de la mort dans les médias, la souffrance de l’absence, maintenant prise en charge par la médecine et la psychologie, relève d’un soin qui cherche à en faire disparaître les symptômes les plus traumatisants pour l’individu et la société. Pourtant, les survivants revendiquent cette douleur. Ils souhaitent faire partager aux autres la perte de leur proche et la transformation de leur vie. Le bouleversement de notre rapport au corps et à la mémoire, les nouvelles épidémies et les avancées de la médecine conduisent à reformuler désormais la question du sens à donner à la mort qui tend à devenir une réalité inacceptable. Pour évoquer l’ensemble de ces problèmes, Pascal Dreyer a sollicité la collaboration d’experts (philosophes, artistes, professionnels de la santé, psychologues, anthropologues, théologiens) et a recueilli le témoignage de nombreux endeuillés.

La biologie du vieillissement : une fenêtre sur la science et sur la société

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lement, la mort a changé de sens. L’évolutionnisme la considérait comme un événement nécessaire pour laisser la place aux autres et assurer la perpétuation de l’espèce. Aujourd’hui, la mort est davantage perçue comme le résultat d’un processus génétique qui provoque le vieillissement. Cette approche modifie notre rapport au corps : il semble légitime de vouloir guérir le vieillissement. L’auteur montre aussi que la biologie contemporaine est l’héritière de l’alchimie qui voulait élaborer un élixir de jouvence. En outre, les savants mettent en évidence que le vivant est, en dépit des théories, un organisme doté d’une certaine capacité à se renouveler. C’est pourquoi le vieillissement et la mort naturelle ne sont pas des nécessités du vivant, mais des contingences dont les raisons sont devenues difficiles à justifier d’un point de vue biologique. La mort n’apparaît plus comme une loi inhérente à la nature, mais comme le fruit d’innombrables paramètres que nous apprenons progressivement à modifier.

Jean-David Ponci, L’Harmattan, Paris, 2009, 290 p.

La mort est-elle la loi universelle de la nature ? Ce livre veut contribuer à répondre à cette question. L’auteur souligne d’abord que les biologistes du vieillissement défendent fréquemment des idées qui ne sont pas nécessairement en accord avec les données qu’ils analysent. Ces idées ont considérablement évolué depuis Aristote. Les conceptions anciennes selon lesquelles le vivant se dégrade en raison de la corruptibilité de la matière sont aujourd’hui remplacées par la thèse de l’insuffisance des défenses. Les êtres vieillissent parce qu’ils accumulent au cours du temps des dommages qu’ils ne réparent pas efficacement. ParallèRetraite et société 59 > août 2010



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ab s t r a c t s ésumés

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La santé des travailleurs âgés en Europe Health of mature workers in Europe

Approcher l’âge de la retraite en Suède : santé et ressources des 50-64 ans entre 1968 et 2000 Approaching retirement in Sweden: health and resources of 50 to 64 years old from 1968 to 2000 Tendances de l’incapacité dans les activités de la vie quotidienne : étude chez les Américains de 50 à 69 ans (1997-2006) Disabling trends in everyday activities : study of 50 to 69 year old Americans (1997-2006)

Retraite choisie ou retraite subie ? Les effets de la retraite et du maintien en emploi sur la santé Chosen or imposed retirement? Effects of retirement and of remaining job-active on health.

Environnements capacitants, développement cognitif et possibilité de maintien dans l’emploi Favourable environments, cognitive development and potential for remaining job-active L’accès aux sphères sociale et politique des retraités : quelles formes de participation et de représentation ? Integration of retired people in social and political spheres: what type of participation and representation? Migrations et communautarisation territoriale des personnes âgées aux États-Unis Migration and territorial communitization of retired people in the United States

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L’état de santé des travailleurs âgés

La santé des travailleurs âgés en Europe Nicolas Sirven, Catherine Sermet

Cette étude propose de dresser un bilan de l’état de santé des travailleurs âgés entre 50 et 60 ans dans 14 pays européens, à partir des données individuelles de l’enquête Share (2006-2007). L’analyse procède à des comparaisons internationales en s’appuyant sur plusieurs mesures de l’état de santé – objectives et subjectives –, et pour lesquelles l’effet confondant des caractéristiques sociodémographiques est pris en compte. Bien que le recours à plusieurs mesures de santé ne permette pas de dégager un schéma européen bien tranché, deux résultats principaux émergent. D’une part, on constate une importante hétérogénéité des situations entre les pays d’Europe en matière d’état de santé des travailleurs de 50-59 ans. D’autre part, les actifs occupés français comptent parmi les travailleurs de 50-59 ans les plus souvent en mauvaise santé.

Health of mature workers in europe This study aims to draw up a report of the health of mature workers (50 to 60 year old) in 14 European countries, based on individual data from the Share survey (2006-2007). International comparisons are analysed using a range of both subjective and objective variables measuring health, for which the coinciding effect of sociodemographic characteristics is taken into account. Although the use of this range of health-measuring variables does not provide a clear-cut European schema, it does establish two fundamental results. Firstly, significant situational heterogeneity exists between European countries as regards the health of 50-59 year old workers. Secondly, active French individuals rank among the 50-59 year old workers who are frequently in bad health.

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Résumés / abstracts

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Approcher l’âge de la retraite en Suède : santé et ressources des 50-64 ans entre 1968 et 2000 Marti G. Parker, Carin Lennartsson, Susanne Kelfve

Les études sur les évolutions de la santé cherchent à démontrer comment et pourquoi celle-ci change au fil du temps et à prévoir les besoins de santé à venir. L’un des moyens d’étudier ces évolutions est de comparer différentes cohortes de naissance sur plusieurs années. Cette étude porte sur un échantillon national représentatif de Suédois proches de la retraite, entre 50 et 64 ans. Quatre vagues d’enquêtes ont été menées, entre 1968 et 2000, et pour lesquelles des variables d’ordre sanitaire et para-sanitaire ont été utilisées. Les résultats liés à la santé sont variés, dépendant de l’indicateur. La mobilité et la santé dentaire ont connu des améliorations jusqu’à l’enquête de 1991, tandis que les problèmes d’audition, le diabète et le surpoids sont devenus plus répandus. Les résultats présentaient des différences liées à l’âge et au sexe. Le pourcentage de personnes concernées, diplômées ou employés de bureau, a augmenté avec le temps, tout comme le pourcentage de personnes allant chez le médecin et chez le dentiste. Le tabagisme a diminué chez les hommes, mais il a augmenté chez les femmes. Bien que les résultats suggèrent que les cohortes plus récentes qui approchent l’âge de la retraite sont en meilleure santé, ils montrent aussi que ces cohortes présentent plus de problèmes de santé chroniques nécessitant des soins médicaux et qu’elles feront plus appel aux aides à la personne. Les résultats sont présentés dans le cadre de la problématique de prolongation de la vie active et l’augmentation des coûts financiers pour la prise en charge des personnes âgées handicapées.

Approaching retirement in Sweden: health and resources of 50 to 64 years old from 1968 to 2000 Health trend studies aim to understand how and why health in the population changes over time, and to speculate on future health needs. One way to study trends is to compare different birth cohorts over time. This study looks at a nationally representative Swedish sample of persons approaching retirement, 50 to 64 years old, across four survey waves from 1968 to 2000, using a range of health and health-related variables. Health results are mixed, depending on indicator. Mobility and dental status show improvement up until the 1991 wave, while hearing impairments, diabetes and overweight have become more prevalent. There were age and gender differences in the trends. Education and the percent of white-collar workers increased over time, as did the percentage of persons visiting physicians and dentists. Smoking decreased among men but increased among women. While the results suggest the possibility of better health among more recent cohorts approaching retirement age, there are also signs that these cohorts have more of some chronic conditions requiring medical management and that they will be more likely to utilize care services. Results are discussed in relation to the question of raising the retirement age and the threat of increased costs for care services in the aging population. Retraite et société 59 > août 2010


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L’état de santé des travailleurs âgés

Tendances de l’incapacité dans les activités de la vie quotidienne Étude chez les Américains de 50 à 69 ans (1997-2006) Sandra L. Reynolds, Eileen M. Crimmins

Si de nombreuses études sont consacrées aux tendances de l’incapacité dans la population américaine âgée, rares sont celles qui s’intéressent à l’incapacité des personnes d’âge moyen et des jeunes retraités. Dans cette étude, nous examinons les tendances de l’incapacité sévère telle que mesurée par le besoin d’aide pour effectuer des activités élémentaires et instrumentales de la vie quotidienne (respectivement AVQ et AIVQ) chez les Américains de 50 à 69 ans. Sur la base des national health interview surveys, menées aux États-Unis de 1997 à 2006, nous observons une augmentation de la dépendance pour ces activités, en particulier chez les sujets les plus jeunes de cette tranche d’âge. Les femmes, les personnes âgées, les obèses et ceux qui ont peu fréquenté l’école ont davantage besoin d’aide pour les AVQ et les AIVQ. Cependant, ni l’augmentation du niveau d’instruction ni celle de l’obésité pour cette tranche d’âge sur les dix années étudiées n’expliquent les tendances.

Disabling trends in everyday activities Study of 50 to 69-year-old Americans (1997-2006) Although many studies have been conducted on trends in disability in the older American population, few have examined disability in those who are in middle age and early retirement age. In this study, we examine trends in severe disability as indexed by the need for help with basic and instrumental Activities of Daily Living (ADLs and IADLs, respectively) among Americans between the ages of 50 and 69. Using the US National Health Interview Surveys from 1997 to 2006, we find consistent evidence of increasing need for help with these activities, especially at the younger end of this age range. Women, older persons, obese persons, and persons with lower education have greater need for help with ADLs and IADLs. Neither the increase in the education level nor the increase in obesity in this age group over the 10 year period explain the trends.

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Retraite choisie ou retraite subie ? Les effets de la retraite et du maintien en emploi sur la santé Chantale Lagacé

Les transformations de la gestion de l’emploi et le vieillissement de la population ont entraîné une redéfinition des travailleurs vieillissants. Dans ce contexte, les gouvernements se préoccupent du maintien en emploi. L’article fournit une recension de la littérature sur les effets sur la santé du maintien en emploi et de la retraite. Au vu des résultats, les effets sur la santé sont contradictoires dans les deux cas. Ce qui importe, ce sont les conditions du maintien en emploi ou de la retraite et, tout particulièrement, le choix du statut, un élément des inégalités sociales liées à la santé.

Chosen or imposed retirement? Effects of retirement and of remaining job-active on health Transformation in work management and in the population aging process has given rise to redefining mature/aging workers. As such, governments are concerned with maintaining jobs. The article provides a review of the literature published on the effects retirement and remaining job-active have on health. In light of these results, effects on health are mixed in both cases. What is important are the conditions of remaining jobactive or the conditions of retirement and, in particular, the choice of status, which is a factor of social disparity related to health.

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L’état de santé des travailleurs âgés

Environnements capacitants, développement cognitif et possibilité de maintien dans l’emploi Jean-Claude Marquié

Les mesures prises en faveur du maintien dans l’emploi des seniors dans de nombreux pays de l’OCDE se heurtent à divers obstacles. Parmi eux, la précarité de l’état de santé en fin de carrière de certaines catégories de salariés joue un rôle important. Cette précarité est tangible au travers d’une diversité d’indicateurs statistiques à caractère médical, comme les accidents du travail, les maladies professionnelles, les restrictions d’aptitude ou les inaptitudes prononcées par les médecins du travail. Mais si ces signes de santé précaire sont encore largement inaudibles, que dire des composantes de la santé qui ont un caractère plus inhabituel et moins typiquement médical comme les ressources cognitives ? Ces dernières, en effet, ne bénéficient pas actuellement d’indicateurs aussi clairs et reconnus que les composantes physiques pour exprimer une difficulté en fin de carrière. Dans cet article, nous définissons d’abord ce que recouvrent ces ressources cognitives et nous montrons que leur sollicitation productive et gratifiante dans le travail est un facteur important de maintien dans l’emploi des seniors. Nous montrons ensuite quelles conditions de travail antérieures (expositions à des agents pathogènes, formes d’organisation du travail, parcours de formation et d’emploi) et actuelles sont susceptibles de rendre ces ressources indisponibles ou bien encore plus difficiles ou pénibles à mobiliser dans la dernière partie de la carrière. L’hypothèse développée dans cet article est que les ressources cognitives sont tout autant susceptibles d’usure que les ressources physiques. Certaines conditions de travail peuvent avoir un effet incapacitant à long terme sur ces ressources, et altérer durablement l’envie et la capacité d’agir, dans le travail et en dehors. Les résultats de recherches présentés en faveur de cette hypothèse sont majoritairement empruntés à l’étude Visat (Vieillissement, Santé, Travail).

Favourable environments, cognitive development and potential for remaining job-active Measures taken, in many OECD countries, for encouraging senior citizen jobactiveness, are faced with a variety of obstacles. Among these, the precariousness of health at the end of one’s career, for certain categories of employees, has a significant role to play. This precariousness is tangible through a variety of statistical indicators of a medical nature, such as occupational accidents, workrelated illnesses, or fitness and unfitness restrictions declared by occupational practitioners. However, if these signs of precarious health are still widely imperceptible, what can be said for health variables which are more uncommon and not as specifically medical, such as cognitive resources? The latter do not presently benefit from indicators that are as clear-cut or as acknowledged as physical factors for expressing difficulties at the end of the career. In this article, we first of all define what these cognitive resources cover and we illustrate that Retraite et société 59 > août 2010


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their productive and gratifying solicitation in work is a fundamental factor for encouraging senior citizen job-activeness. We then illustrate which past (exposure to pathogenic agents, work organization structures, training and work backgrounds) and present working conditions are liable to make these resources unavailable or even more difficult or taxing to generate during the final part of the career. The assumption developed throughout this article shows that cognitive resources are just as likely to be worn out as physical resources. Certain working conditions can have a long-term disabling effect on these resources, and can sustainably modify one’s ability to react, both in the workplace and externally. The research results illustrating this assumption are principally reproduced from the VISAT study (Aging, Health, Work).

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L’état de santé des travailleurs âgés

HORS THÈME

L’accès aux sphères sociale et politique des retraités : quelles formes de participation et de représentation ? Catherine Gucher, Denis Laforgue

Cet article se propose, à partir d’une enquête empirique, de s’interroger sur les modalités d’accès des retraités aux sphères sociale et politique et d’identifier les canaux de la mise en forme de leurs attentes et de leurs représentations. Premièrement, il s’agit d’identifier les formes et les modalités d’accès des retraités à la sphère sociale, en soulignant la coexistence d’une « centration sur la sphère privée », d’engagements dans la vie sociale sur le mode de l’épanouissement de soi et d’une aspiration à une meilleure reconnaissance dans la sphère sociale des attentes propres de chaque retraité. Deuxièmement, nous nous intéressons au rapport des retraités à la sphère politique en relevant la difficulté pour les retraités à se constituer en tant que groupe social (condition d’émergence de ces derniers en tant qu’acteurs collectifs dans la sphère politique) et l’existence d’une fraction de retraités indifférents à cet enjeu de l’accès à la sphère politique, sur le mode du citoyen « éclairé » et « vigilant ». Troisièmement, nous étudions un certain nombre d’organisations officielles (dispositifs officiels de participation, syndicats de retraités, élus locaux, institutions publiques) du point de vue de leur capacité à assurer l’accès des retraités aux sphères sociale et politique. Ce faisant, cet article vise à décrire et à interpréter les congruences et les décalages entre d’une part, les prétentions des retraités, dans leur diversité, en matière d’accès aux sphères sociale et politique et d’autre part, les formes de représentation et de participation que leur proposent différentes instances officielles.

Integration of retired people in social and political spheres: what type of participation and representation? Based on an empirical survey, this article considers the approaches adopted for retired people to integrate social and political spheres and identifies the channels used for structuring their expectations and their representation. First of all, we aim to identify the types of access and the related approaches adopted for retired people to integrate the social sphere, by highlighting the coexistence of a “private circle focus”, of social life commitments based on self-fulfilment and of the desire for higher acknowledgement of the expectations of each retired individual in the social sphere. Secondly, we examine the relationship retired people have with the political sphere by illustrating the difficulty these retired people have to form a social group (condition for these individuals to emerge as collective actors in the political sphere) and the existence of a percentage of retired people who consider the challenge of integrating the political sphere, as an “enlightened” and “vigilant” citizen, to be irrelevant. Thirdly, we study a certain number of official organizations (official participative entities, retired people’s unions, local authorities, public institutions) from the position of their ability to ensure integration of retired people into social and political spheres. In doing this, this article aims to describe and to interpret the congruities and the discrepancies between, on the one hand, the claims of retired people, as diverse as they may be, relating to integrating social and political spheres, and, on the other hand, the types of representation and participation proposed to them by different official bodies. Retraite et société 59 > août 2010


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HORS THÈME

Migrations et communautarisation territoriale des personnes âgées aux États-Unis Christian Pihet, Jean-Philippe Viriot Durandal

Le choix des États-Unis dans l’analyse de certaines formes de migrations et communautarisation territoriale des personnes âgées est motivé par l’existence d’importantes recherches sur les mouvements migratoires à la retraite outre-Atlantique, mais aussi par l’émergence et le développement de « villages senior » comme formes concrètes de communautés fermées (gated communities). Ces « cloisonnements » territoriaux s’inscrivent dans une tradition pluriséculaire d’ouverture aux diverses formes de communautarisme qui prirent forme aux États-Unis d’Amérique avec la colonisation et au fil des différentes vagues migratoires qui les renforcèrent. L’intérêt de l’observation des processus à l’œuvre porte ici sur l’émergence de l’âge perçu comme critère pertinent non seulement pour la définition de flux migratoires, mais aussi pour la création de regroupements humains et l’aménagement de lieux de vie où, ainsi rassemblés, les individus pensent mieux maîtriser leur vieillissement pour s’inscrire dans un modèle particulier de « bien vieillir ».

Migration and territorial communitization of retired people in the United States Choosing the United States for analysing certain types of migration and territorial communitization of retired people is prompted by the existence of significant research carried out on migratory movements upon retirement in the United States, and also by the emergence and development of “senior citizen villages” as veritable illustrations of gated communities. These territorial “partitions” are part of a multisecular tradition of openness towards diverse types of communities which established themselves in the United States during colonization and which flourished with the various migratory waves. It is relevant here to observe these processes at work, where age emerges as pertinent criteria, not only for defining migratory flows but also for generating groups of people and for creating living spaces where, in their groups, these individuals, believing they control their aging process better, are part of a specific model of “aging well”.

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aux auteurs notes

Outil de réflexion et d’analyse, Retraite et société est une revue pluridisciplinaire qui a pour vocation de traiter des questions relatives à la retraite et au vieillissement. Chaque numéro porte sur un thème particulier. Les auteurs qui y contribuent reçoivent une présentation détaillée des angles d’approche définis par le comité éditorial. Cependant, la rubrique «Hors thème» peut accueillir des articles qui ne relèvent pas de la partie thématique. Toute proposition d’article est examinée par le comité éditorial ; l’article, qui doit être inédit, est soumis à l’appréciation et à la validation d’experts, français et étrangers, des questions du vieillissement. Le service éditorial informe l’auteur de la décision du comité ; en cas de rejet, ou de demande de modifications, les remarques des lecteurs sont transmises à l’auteur. Les articles doivent être rédigés dans la langue maternelle de l’auteur. La Cnav prend en charge financièrement les traductions. Les auteurs s’engagent à ne pas proposer leur article à une autre revue avant la réponse du comité. Pour tout texte publié, l’éditeur se réserve le droit de proposer des modifications portant sur la forme, en concertation avec l’auteur, qui recevra dans tous les cas un bon-à-tirer.

Présentation des manuscrits Les articles doivent comporter environ 8 000 mots (soit environ 60 000 signes ou 15 à 20 pages A4 dactylographiées). Sur la première page sont précisés : le titre de l’article, les noms des auteurs, leurs fonctions et leurs coordonnées. Les articles sont accompagnés d’un résumé de 280 à 320 mots environ. Pour les graphiques et tableaux : les numéroter, leur donner un titre clair et court et préciser la source. Pour les graphiques, fournir en plus et à part les données chiffrées dans Excel. Retraite et société 59 > août 2010


L’état de santé des travailleurs âgés

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Les notes de bas de page sont numérotées et ne comportent ni tableaux, ni graphiques. Les références bibliographiques sont rassemblées en fin d’article. Elles sont classées dans l’ordre alphabétique et, si nécessaire, pour un même auteur, du plus récent au plus ancien. Préciser en plus du titre et des auteurs, l’éditeur, le lieu et l’année d’édition. Quand il s’agit d’un chapitre dans un ouvrage, préciser également les pages concernées. Lorsqu’il s’agit d’une revue, indiquer son numéro. Elles doivent donc être présentées ainsi (ne pas mettre les noms en majuscules) : Ouvrage Attias-Donfut C., Segalen M., 1998, Grands-parents : la famille à travers les générations, Paris, Odile Jacob, 330 p. Article dans un ouvrage Dandurand R., 1992, «La famille n’est pas une île. Changements de sociétés et parcours de vie familiale», in Daigle G. (dir.), Québec en jeu, Montréal, Presses universitaires de Montréal, p. 200-220. Article dans une revue Gallenga G., 1999, «Usagers âgés, billettique et transports en commun», Retraite et société, n° 34, Paris, Cnav, p. 39-53. Les auteurs ne sont pas rémunérés. Ils reçoivent trois exemplaires de la revue à laquelle ils ont contribué.

Pour soumettre un article Par internet à : carine.cordier@cnav.fr alix.robineau@cnav.fr ou adresser un CD avec une copie papier à : Cnav Service édition/publications – 121 110, avenue de Flandre 75951 Paris Cedex 19 Merci d’utiliser si possible les logiciels Word 2000, 2003, 2007 pour PC Excel 2000, 2003 pour PC. Pour toute information complémentaire, n’hésitez pas à contacter : Carine Cordier au 33 (0)1.55.45.52.87 Alix Robineau au 33 (0)1.55.45.51.31 Fax : 33 (0)1.55.45.81.84 Retraite et société 59 > août 2010



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LIEN SOCIAL ET POLITIQUE

numéro

automne 2009

VIEILLIR POSE-T-IL VRAIMENT PROBLÈME ?

Sous la direction de Nicole F. Bernier et Isabelle Mallon - 184 pages

S o m m a i r e I

La gouvernance sociale du vieillissement démographique

Jacques Légaré ...................................... Le vieillissement des populations : incontournablecertes… mais un plus, s’il est géré dans un esprit d’éthique intergénérationnelle.

Daniel Béland.......................................... Vieillissement, discours politique et réforme des retraites aux États-Unis. Barbara Da Roit, Blanche Le Bihan .......... La prise en charge des personnes âgées dépendantes en France et en Italie. Familialisation ou défamilialisation du care ? II

« Bien vieillir » : des injonctions publiques aux pratiques individuelles

III

Représentation sociale du vieillissement et diversité du « vieillir »

IV

L’adaptation des services aux personnes dépendantes

Aline Chamahian..................................... Vieillissement actif et enjeux de la formation dans le temps de retraite. Pia-Caroline Hénaff-Pineau ..................... Vieillissement et pratiques sportives : entre modération et intensification. Philippe Cardon ...................................... Manger» en vieillissant pose-t-il problème ? Veuvage et transformations de l’alimentation de personnes âgée Alain Thalineau, Laurent Nowik................ Être en « milieu de retraite » et choisir de vivre ailleurs. Vincent Caradec ..................................... Vieillir, un fardeau pour les proches ? Laure Blein, Jean-Pierre Lavoie, .............. Vieilliront-ils un jour ? Les baby-boomers aidants face à leur vieillissement. Nancy Guberman, Ignace Olazabal Jean-Pierre Lavoie, Nancy Guberman...... Le partenariat professionnel-famille dans les soins aux personnes âgées. Un enjeu de reconnaissance. Élise Finielz, Françoise Piotet................... La problématique de la notion de « fragilité » au coeur d’une politique de prévention de la dépendance. Yves Couturier, Hélène Trouvé, ................. Réceptivité d’un modèle québécois d’intégration des services aux Dominique Gagnon, Francis Etheridge, personnes âgées en perte d’autonomie en France. Sébastien Carrier, Dominique Somme Résumés

La revue est disponible en ligne : www.erudit.org sites web : www.lsp.umontreal.ca www.presses.ehesp.fr


parus

numéros

déjà 34 > octobre 2001 35 > janvier 2002 36 > juin 2002 37 > octobre 2002 38 > janvier 2003 39 > juin 2003 40 > octobre 2003 41 > janvier 2004 42 > juin 2004 43 > octobre 2004 44 > janvier 2005 45 > juin 2005 46 > octobre 2005 47 > janvier 2006 48 > juin 2006 49 > octobre 2006 50 > janvier 2007 51 > juin 2007 52 > octobre 2007 53 > janvier 2008 54 > juin 2008 55 > octobre 2008 56 > janvier 2009 57 > juin 2009 58 > novembre 2009 59 > juillet 2010

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Images de la vieillesse ................................................. 16 € Conflits de générations ? .............................................. 16 € Gestion des âges et fin d’activité.................................. 16 € Gestion des âges et fin d’activité (suite)........................ 16 € L’Europe du grand âge... .............................................. 16 € Nouvelles données sur le grand âge............................. 16 € Les retraites au futur..................................................... 16 € À l’Est quoi de nouveau ?............................................. 16 € Travailler après la retraite en Amérique du Nord......16,50 € Les femmes et la retraite ......................................... 16,50 € Le vieillissement des immigrés................................ 16,50 € Les nouvelles données démographiques ...................... 19 € Le soutien aux personnes âgées en Europe................... 19 € Aspects économiques du vieillissement ....................... 19 € Réforme des retraites : bilan et perspectives................. 19 € Santé et inaptitude en fin de carrière............................ 19 € Les retraites en Europe ................................................. 19 € La discrimination fondée sur l’âge dans l’emploi ..........19 € Le vieillissement au grand âge ......................................19 € Face à la dépendance : familles et professionnels..........19 € La réforme des retraites de 2003 : cinq ans après ..........19 € Vieillesse et migrations .................................................19 € Le niveau de vie des retraités ........................................19 € Emploi et retraite en Europe - Enquête Share.................19 € Famille et vieillissement en Europe - Enquête Share ...............19 € L’état de santé des travailleurs âgés ........................................19 €

à paraître

Thème des

numéros

60 > octobre 2010 61 > janvier 2011 62 > juin 2011

: Les rapports intergénérationnels en dehors de la famille : Droits et financements : les nouveaux enjeux : Les politiques familiales et retraite



Dépôt légal : août 2010 IMPRIMÉ EN FRANCE Achevé d’imprimer en août 2010 sur les presses de l’imprimerie de la Cnav 75951 Paris Cedex 19


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