Introduction : La découverte du terrain à distance par les cartes Au début de l’année 2018, depuis mon ordinateur, en France, je faisais connaissance avec mon futur terrain de recherche que je venais à peine de choisir : il s’agissait de la Sabie river, un cours d’eau s’écoulant du nord-est de l’Afrique du Sud au sud du Mozambique, où il rejoint le fleuve Incomati. Jusqu’alors, j’avais envisagé une zone d’étude plus vaste, à savoir la totalité du bassin hydrographique de l’Incomati (partagé par trois pays : Afrique du Sud, Mozambique et eSwatini) — une unité géographique naturelle au sein de laquelle les pays riverains organisent et négocient le partage des eaux qui s’y forment. Pour mon mémoire de Master 21, j’avais en effet étudié les vecteurs de la coopération transfrontalière dans cette vaste zone. Parmi les résultats de cette recherche de deux mois, j’avais mis en évidence des dynamiques transfrontalières qui tendent à orienter l’utilisation des ressources en eau vers des activités et des produits essentiellement tournés vers l’exportation (écotourisme 2 , canne à sucre, fruits exotiques). Conséquence des modes de gouvernance des eaux, ces phénomènes favorisent une privatisation des espaces riverains et s’accompagnent d’une réduction de l’accès aux cours d’eau des populations riveraines (pêche, agriculture vivrière, usages domestiques). Aussi ai-je souhaité approfondir ce résultat et en explorer les mécanismes dans une unité géographique plus restreinte, à l’échelle d’une rivière, la Sabie. Bien évidement, quand j’ai cherché à localiser la Sabie river sur Google Maps, la cartographie ne m’a permis ni de prendre connaissance de l’occupation précise des sols, ni des usages de l’eau et des problématiques relatives à son accès. Cependant, deux caractéristiques m’ont tout de suite frappé dans les éléments représentés : une portion de la rivière, d’une trentaine de kilomètres, forme une frontière nette entre des zones habitées et une aire
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protégée, le Kruger National Park. En observant les images satellites de Google Earth, je remarquai qu’en réalité, cet espace était nettement plus fragmenté : la rivière sépare le parc national de zones visiblement cultivées, sur une bande d’une largeur variant de quelques dizaines à quelques centaines de mètres ; un axe routier sépare quant à lui ces espaces cultivés des zones habitées. Deuxième élément marquant pour le profane peu connaisseur de l’Afrique du Sud : la toponymie de ces zones habitées mêlait des noms de villes européennes connues (Lisbon, Belfast, Cork), indiennes (Calcutta, Madras) et des noms avec lesquels j’étais moins familier (Shabalala, Mkhuhlu, Hoxani). Un ensemble de questions a rapidement émergé. Quelle est l’histoire du peuplement et des activités humaines qui se cache derrière ces appellations ? Comment l’accès à la rivière fonctionne-t-il dans cet espace ? Les populations qui vivent et cultivent en lisière du parc peuvent-elles pénétrer dans cette aire protégée ? Diverses lectures ont apporté des réponses aux premières questions relatives à la toponymie en Afrique du Sud (Giraut et al. 2008) et à l’histoire des lieux (Carruthers 1995, Levin et Weiner 1997, du Toit et al. 2003), que je ne développerai pas ici. Je me concentrerai en effet, dans cet article, sur les interrogations relatives à l’accès à l’eau dans ce corridor de trente kilomètres. J’évoquerai d’abord brièvement le contexte géographique et social de la zone étudiée et les spécificités de l’accès à l’eau qui y existent. Dans un deuxième temps, je reviendrai sur la façon dont j’ai construit mon accès à la rivière, en évoquant les obstacles qui ont entravé l’entrée dans la zone d’étude et les rencontres qui m’ont permis de les franchir. La présentation des interlocuteurs et de quelques « situations de terrain »3 (Agier, 2009) serviront à mettre en lumière le fonctionnement des relations entre groupes d’usagers, qui permettent de créer des conditions favorables à l’accès à l’eau (espaces d’échanges, dialogues, structuration d’un groupe d’usagers, financement commun d’infrastructures, etc.). C’est à travers les comptes rendus de deux visites de terrain le
L’Incomati, un bassin versant sous inuence: coopération transfrontalière, sécurité de l’eau et jeux d’acteurs. Mémoire de recherche sous la direction de David BLANCHON. Master GEDELO – Université Paris Nanterre. L’écotourisme est considéré ici comme une activité tournée vers l’exportation en raison de la proportion considérable de la clientèle internationale. Pour Michel Agier (2009, p. 58-61), les situations servent à comprendre la relation entre individu, espace et société et constituent une unité d’analyse ethnographique.
Lesedi #22 | Field notes | IFAS-Research | October 2020





