ImPerfection

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IM PERFECTION

Fran莽ois-Pierre Nieddu

Dipl么mes 2015



Remerciements Merci tout d’abord à toute l’équipe pédagogique qui a encadré le mastère Innovation & Design de Strate pour la formation que j’ai eu l’opportunité de recevoir.

Je remercie également Frédérique Pain et Isabelle Cossin pour leur aide précieuse dans le choix de mon sujet et l’enrichissement des axes que je souhaitais aborder.

Je tiens à remercier tout particulièrement Antoine Dufeu, responsable du pôle écriture de Strate, pour l’écoute attentive et les conseils avisés qu’il a su me fournir tout au long de la construction de ce mémoire.

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INTRODUCTION

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L’Homme est soumis quotidiennement au concept de perfection,

qu’il en soit conscient ou non. Cette notion, héritage de son histoire, est intrinsèque à sa nature et s’est étendue au fil du temps dans sa culture et ses désirs. Le parfait est sujet à de multiples interprétations. Il est proche des notions de beauté, de précision ou encore d’exactitude et nourrit les ambitions humaines depuis toujours. Paradoxalement, on observe que l’imperfection est une immense source de richesse, permettant la découverte, la création, la différenciation. Cette contradiction nous servira de fil conducteur tout au long de ce mémoire. Ce sujet nous permettra d’aborder les dimensions psychologiques, sociologiques, scientifiques, culturelles et artistiques de ces concepts.

Afin d’établir une possible interaction entre perfection et imperfection, nous nous appuierons sur les différentes notions liées au concept d’équilibre à savoir l’harmonisation, l’accord ou encore l’union. Nous allons tenter tout au long de nos recherches d’apporter des éléments de réponse à la question suivante : Comment trouver un équilibre entre perfection et imperfection ? Cette étude sera étayée grâce à des ouvrages tels que l’Analyse du beau par Emmanuel Kant, Le livre du vide médian de François Cheng ou enfin l’excellent article intitulé Ode à l’imperfection du mathématicien Cédric Villani.

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Nous nous intéresserons dans un premier temps aux interprétations du parfait et leur adaptation dans notre société. Cette entrée en matière nous permettra entre autres d’aborder le sujet du point de vue de différentes cultures. Une seconde partie sera consacrée à l’imperfection et à la richesse qu’elle peut engendrer. Nous évoquerons par exemple la question de l’erreur, étape importante dans l’apprentissage. Nous terminerons enfin ce mémoire par une analyse de ce qu’est un équilibre et s’il est possible d’en trouver un entre perfection et imperfection.

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SOMMAIRE

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Introduction p.2

1 Les différentes interprétations du parfait p.8

2 Une imperfection motrice p.32

3 Un équilibre instable p.56

Conclusion p.76

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LES DIFFERENTES INTERPRETATIONS DU PARFAIT


1 Définitions p.10 Le perfectionnisme p.11 La perfection religieuse p.16 Une perfection fonction de références culturelles et environnementales p.20 Les concepts associés à la perfection p.23 La perfection de l’homme et de la nature p.28


LES DIFFERENTES INTERPRETATIONS DU PARFAIT

Le parfait se définit au sens premier comme étant ce qu’il

est de façon absolue sans la moindre restriction. Cette définition du dictionnaire Larousse donne à cet adjectif une authenticité propre, une valeur intrinsèque sans aucune nécessité de comparaison. On retrouve cette notion dans le dictionnaire de l’académie française où le parfait se caractérise comme réalisant pleinement un type, présentant tous les caractères propres à une catégorie, à une espèce : qui est accompli en son genre. Sur ce principe, le parfait ne constitue pas de tension importante. L’entité qualifiée dans ce cas n’est pas confrontée à ses semblables et ne requiert aucune évaluation qualitative. Cependant, la seconde signification atteint une portée nettement plus sensible : ce qui est parfait possède toutes les qualités qu’on attend de lui (Larousse) ; il est absolument bon, sans défaut et possède au plus haut point toutes les qualités possibles. Dieu seul est parfait (dictionnaire de l’académie française). Ce dernier complément nous permet de mesurer l’ampleur de cette interprétation et le caractère inaccessible d’une telle qualification.

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Jongler avec ce terme peut s’avérer risqué, surtout si la

perfection fait partie intégrante de notre vie et exerce une influence sur nos choix. C’est le cas du perfectionniste, véritable expert du domaine étudié, qui, par principe, se comporte comme si la perfection pouvait et devait être atteinte. David D. Burns, professeur au département de psychiatrie et des sciences du comportement à la Stanford University School of Medicine, dépeint les perfectionnistes comme « des gens qui s’efforcent compulsivement et sans trêve d’atteindre des buts irréalistes et qui jugent de leur propre valeur exclusivement en termes de productivité et de performance »1. Cette représentation reste très pragmatique et omet l’aspect constructif de cet état. Un perfectionniste dit sain peut aisément assumer un rôle de meneur. Il peut, fort de caractère, pousser une équipe à de grandes réalisations et fournir la motivation qui permet de persévérer face au découragement et aux obstacles. Son souci du détail et son aptitude à travailler sans relâche lui confèrent la capacité d’établir de grandes performances. La ténacité dont il peut faire preuve est une qualité motrice dans tous les projets qu’il entreprend. Robert B. Slaney, psychologue à la Pennsylvania State University, a découvert que les perfectionnistes dans leur forme positive présentaient un niveau de procrastination plus faible que les autres. Ce trait de caractère serait commun à de nombreux artistes, scientifiques et athlètes de haut niveau. Le perfectionnisme est souvent une caractéristique présente chez les sujets dotés de grandes capacités physiques ou intellectuelles. Malheureusement, on observe dans de nombreux cas 1 - Wayne D. Parker et Karen K. Adkins, Perfectionism and the gifted, dans Roeper Review, vol. 17, no3, 1994

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un tempérament obsessionnel qui, dans sa forme pathologique, peut pousser le sujet à considérer toute imperfection comme inacceptable. Dans ce cas, l’individu souffre souvent d’anxiété et d’une faible estime, voire d’une dépréciation de soi. Cet état psychique peut avoir des conséquences extrêmes dans le comportement du perfectionniste névrosé : l’acharnement ou l’abandon. Dans la première situation, l’incapacité à se satisfaire de ce qu’il peut produire le poussera à une obstination et une parcimonie dans son travail couplée à une incapacité à se détendre. Sa tendance à se reprocher le moindre oubli ou la plus petite erreur le contraindra à accorder beaucoup trop de temps à des petits détails sans importance au détriment de sa productivité. On parle d’abandon dans l’autre cas lorsque la peur de l’échec est plus forte que son besoin d’être irréprochable. Il sera alors malgré lui adepte de la procrastination, effrayé par l’idée de décevoir ou de ne pas être à la hauteur de la tâche qu’il doit accomplir. Les thérapeutes tentent de s’attaquer à cette philosophie du « tout ou rien » qui affecte dangereusement dans les deux cas les relations sociales du perfectionniste névrosé. Il sera par exemple tellement désireux de trouver un partenaire parfait qu’il n’établira jamais de relation durable et démontrera une retenue émotionnelle maladive. Dans certains cas, cette tare peut engendrer des dépressions très importantes et un repli du sujet sur lui-même.

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Cette pathologie constitue le thème principal du film Black Swan1 qui nous expose la vie de Nina, une ballerine au sein du très prestigieux New York City Ballet. Comme toutes ses consœurs, son existence est entièrement vouée à la danse. Lorsque Thomas Leroy, le directeur artistique de la troupe, décide de remplacer la danseuse étoile Beth McIntyre pour leur nouveau spectacle, Le Lac des Cygnes2, son choix s’oriente vers Nina. Mais une nouvelle arrivante, Lily, l’impressionne également beaucoup. Le Lac des Cygnes exige une danseuse capable de jouer le cygne blanc dans toute son innocence et sa grâce, et le cygne noir, qui symbolise la ruse et la sensualité. Nina est parfaite pour danser le cygne blanc, Lily pour le cygne noir. Alors que la rivalité entre Nina et Lily se mue peu à peu en une amitié perverse, Nina découvre, de plus en plus fascinée, son côté sombre. Dans cette œuvre remarquablement orchestrée par Darren Aronovsky, le spectateur est témoin de l’ascension dangereuse de la psychose chez l’héroïne depuis le jour où le rôle lui est attribué jusqu’au soir de la première. Le réalisateur nous dépeint cette discipline tyrannique qu’est la danse classique où les artistes sont hantés par l’idéal de perfection. Cette ambition les contraint à repousser les limites de leur corps : douleurs aux pieds, chutes, restrictions alimentaires, etc. Dans cette atmosphère de stress et d’exigence, la folie s’empare peu à peu du personnage principal jusqu’à sa dissolution. Nina confie dès le début au directeur de la compagnie qu’elle veut être « parfaite ». Celui-ci lui explique que le rôle du cygne blanc est idéal pour elle, jeune fille sage, précise et fragile. Cependant, il insiste sur le fait qu’interpréter 1 - Darren Aronovsky, Black Swan, film cinématographique américain, 2011 2 - Vladimir Begichev et Piotr Ilitch Tchaïkovski, Le Lac des Cygnes, ballet russe, 1877

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le cygne noir requiert de « savoir se lâcher, se surprendre soi-même afin de surprendre son auditoire : une vraie transcendance ». Elle doit donc apprendre à abandonner sa technique impeccable et froide qu’elle cultive depuis de nombreuses années. Dotée d’une faible personnalité et peu sûre d’elle, Nina se laisse envahir par la folie engendrée par le manichéisme du blanc et du noir, du pur et de l’impur. Ses tendances schizophrènes la conduisent finalement à l’automutilation. Elle ne comprend que trop tard les conséquences de sa soif de perfection, comme si la mort était le seul moyen de pouvoir obtenir satisfaction. Lorsque le ballet est finalement terminé elle déclare à Leroy dans ce qui semble être son dernier souffle : « je l’ai enfin senti : c’était parfait. Vraiment parfait ».

On remarque clairement que les travers du personnage principal de Black Swan correspondent en tout point au perfectionniste acharné que nous définissions plus haut. Son tempérament obsessionnel l’aura conduit à sa perte. La philosophie du « tout ou rien » est aussi présente tout au long du film, illustrée par l’alternance de blanc et de noir ainsi que les comportements extrêmes des personnages. Nous pouvons aussi faire un lien direct entre le comportement du perfectionniste avec les émotions qui se rattachent au concept de perfection. Un sujet névrosé sera souvent déçu du travail qu’il peut fournir, constamment hanté par l’impression de ne pas pouvoir réussir ce qu’il entreprend, ce qui peut le maintenir dans un état de tristesse permanent. En revanche, il éprouvera une grande sensation de plaisir face à la précision ou l’exactitude. Il sera plus que quiconque fasciné par la

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moindre vision qui pourra apaiser son obsession. Dans ce registre, on peut trouver aujourd’hui sur internet beaucoup de pages qui répertorient des photos d’étagères parfaitement rangées, de cadeaux parfaitement emballés ou encore des bonbons triés méticuleusement par couleur. Ces images procurent chez l’internaute un sentiment étrange de soulagement, de fascination, une sorte de thérapie plutôt humoristique de nos petits penchants perfectionnistes.

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Dans un autre registre, la quête de la perfection fut un objectif

important tout au long de l’histoire judéo-chrétienne. Bien que les interprétations religieuses de ce terme aient variées, la plupart des traditions chrétiennes reconnaissent le concept. Selon Thomas d’Aquin, et comme nous avons pu le lire dans la définition du dictionnaire de l’académie française, seul Dieu est absolument parfait dans l’ordre de toute chose. En aparté, cette perfection attribuée à Dieu a été utilisée comme argument pour démontrer son existence. Il est exposé entre autre par René Descartes : « si je puis formuler l’idée de Dieu, c’est bien qu’elle est une entité qui correspond au plus haut point des perfections. Or l’existence est une perfection. Donc, l’une des propriétés de mon concept de Dieu affirme qu’il possède l’existence. C’est-à-dire que Dieu existe »1. Cet argument est appelé ontologique par Emmanuel Kant dans son ouvrage Critique de la Raison Pure parce qu’on prétend prouver l’existence de Dieu à partir de ce que l’on pense qu’il est. Il conçoit ce raisonnement comme une erreur logique, un sophisme. Il refuse cette « preuve » en affirmant qu’en aucun cas un concept ne pouvait produire une existence. Les mots de Jean-Paul Sartre dans La Nausée2 peuvent servir à appuyer ce contre-argument : « Par définition l’existence n’est pas la nécessité. Exister, c’est être là, simplement. Les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on ne peut jamais les déduire ». Quoi qu’il en soit, nous pouvons distinguer trois principales interprétations de la perfection dans la religion judéo-chrétienne : la perfection absolue, perfection chrétienne et la perfection religieuse. La perfection dans 1 - René Descartes, Méditations métaphysiques, Flammarion, 2011 2 - Jean-Paul Sartre, La Nausée, Gallimard, 1938

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son sens absolu est réservée au royaume des cieux. En effet, elle est l’union parfaite avec Dieu c’est-à-dire l’atteinte d’un état de grâce par la « vision béatifique » donnée aux personnes accédant au Ciel. Il est donc impossible de prétendre à cet état dans notre vie actuelle. Il est possible en revanche d’atteindre la perfection chrétienne dans cette vie. Aussi appelée perfection relative, elle tire son essence dans la charité, dans la mesure où elle est réalisable. La charité unit l’âme avec Dieu et permet de s’émanciper de toutes les barrières qui pourraient s’opposer à cette union : « Dieu est charité, et celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu, et Dieu en lui »1. L’appellation perfection relative vient du fait que cette union n’est pas surnaturelle comme pour la perfection absolue. C’est la perfection qu’il est possible d’atteindre sur terre avant l’union ultime. La charité, telle qu’elle est exprimée ici, n’est pas quantifiable. Un haut degré de charité ponctuel ne suffit pas à atteindre la perfection chrétienne. Cette philosophie est un véritable style de vie consistant à considérer Dieu comme objet principal de la charité. Le second est notre voisin puis il s’étend a des amis, des étrangers, des ennemis et peut évoluer jusqu’à un degré héroïque dans le sacrifice des biens extérieurs, du confort ou encore de la vie elle-même pour le bien spirituel des autres. Si la perfection chrétienne s’applique à tous les Hommes, la perfection religieuse impose une obligation plus stricte. Tandis que tout bon chrétien est sensé appliquer les préceptes et commandements enseignés par l’Eglise, les religieux sont également tenus de respecter les conseils évangéliques auxquels ils se sont librement liés par les 1 - 1 Jean 4 :16 – première lettre de Jean, chapitre 4, verset 16

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vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Le vœu de pauvreté n’est pas une incitation à l’indigence ou la misère, mais un appel au dépouillement, à la sobriété, à la réduction de la consommation, au respect de la création et des animaux. Il est un témoignage de l’intérêt porté aux personnes plutôt qu’aux biens. Le vœu de chasteté quant à lui a une définition beaucoup plus large et concerne toutes les relations affectives entre personnes et le bon usage des dons de chacun (tels la beauté, le charme, l’intelligence, la sensibilité...). La chasteté c’est donc d’être au service des autres plutôt que de se servir des autres pour satisfaire ses propres envies. La vertu de chasteté est la liberté de pouvoir aimer Dieu et son prochain de manière désintéressée, de respecter chaque personne. Le vœu d’obéissance incite enfin le chrétien à rechercher la volonté de Dieu dans les événements et les défis de la vie. Pour l’Eglise catholique, l’obéissance est d’abord l’accueil bienveillant de la personne qui ne pense pas comme soimême ; c’est ensuite chercher à comprendre, à voir le positif de ce qui est dit (et qui peut être contraire à ses propres idées). L’obéissance se fait toujours dans la liberté et la limite des règles que fixe l’autorité. Ces trois principes ont pour but de permettre au religieux une croissance plus parfaite ainsi qu’une union plus intime et ferme avec Dieu. En Dieu, se trouvent deux sortes de perfections : les naturelles et les morales. Dans la limite de l’atteignable, Dieu ne demande pas que ses fidèles aient les mêmes perfections naturelles que lui : son éternité, son immuabilité, sa toute puissance, etc. Il ne demande pas non plus une infinie perfection morale, l’Homme étant une créature morale bornée, il n’est pas capable d’affections infinies. En bref, la perfection dans la religion judéo-chrétienne demande que les fidèles

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soient animés des mêmes sentiments que Dieu, qu’ils agissent par les mêmes principes que lui, qu’ils soient purs de tout égoïsme.

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Qu’en est-il de l’interprétation de la perfection dans les autres

religions ? Dans l’Islam, le prophète Mahomet a appelé « al-ihsân » la recherche d’une perfection intérieure dans l’application des règles d’adoration. Ce terme est défini ainsi : « C’est que tu adores Dieu comme si tu le voyais. Car si toi tu ne le vois pas, lui te voit »1. La perfection se trouve donc dans l’adoration de Dieu. Pour les bouddhistes, la recherche de la perfection se divise en six principes fondamentaux appelés perfections transcendantes : la générosité, la discipline, la patience, la volonté, la méditation et la sagesse. La perfection bouddhiste est finalement un guide de conduite, un accompagnement de l’être humain vers la quête de l’extase, du Nirvana. Nous venons de mettre en exergue un aspect important de l’interprétation de la perfection : elle diffère selon les religions, donc les individus. Chacun aura sa représentation de la perfection basée sur sa culture, ses expériences, ses croyances, son environnement, etc.

Il est aisé de faire un parallèle avec le concept de beauté, plus que jamais lié aux cultures locales. Nathalie Ternisien, directrice clientèle chez Research International, a mené une investigation auprès de Russes, Françaises, Chinoises et Américaines, en posant quelques questions simples sur leur vision de la beauté féminine. Elle a relevé quelques grands fondamentaux mais surtout de grandes différences sur les usages, les pratiques et les mots clés associés à la beauté. 1 - Cité dans l’ouvrage de Ryadh Salihin, Le Jardin des vertueux, Orientica, 2005

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Cette étude a mis en évidence des facteurs décisifs de la beauté féminine : l’éclat de mille feux en Russie, le naturel en France, la pudeur en Chine, la confiance en soi aux Etats-Unis. Selon les Russes, la beauté féminine passe par la visibilité et la singularité. Une belle femme est brillante au sens premier du terme. Il faut être impeccable des pieds jusqu’à la tête et il faut que cela se voie. Ce caractère reflèterait le besoin d’émancipation de l’uniformisation imposée par la norme sociale communiste. Dans un autre genre, les Françaises sont attachées à l’authenticité qu’elles dégagent. Leur notion de beauté est intimement liée à l’élégance naturelle et à l’allure dans la démarche, le regard et la personnalité. Tout est question de maîtrise des paradoxes pour donner le sentiment d’une beauté non-artificielle en alliant subtilement le chic et le décontracté. L’étude fait aussi transparaître une obsession pour la minceur beaucoup plus importante que dans les autre pays, comme critère d’intégration ou d’exclusion sociale. Pour les Chinoises, la beauté, dans sa représentation idéale, est déliée de la sexualité. La beauté est considérée comme parfaite et estimable lorsqu’elle s’exprime dans la dignité et dans la pudeur. Il y a un réel rejet des postures d’abandon ou trop suggestives, considérées comme impudiques. L’âme est le point clé de la beauté : si l’âme est belle alors elle rejaillit sur l’extérieur. La pureté spirituelle est aussi supposée transparaître dans la perfection de la peau. Aux EtatsUnis, on parle en premier lieu d’attitude positive et de confiance en soi pour caractériser la beauté, les critères plastiques étant souvent placés au second plan. Etre soi-même, être rayonnante, radieuse, énergique, confiante, sont des conditions indispensables de la beauté.

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Dans un pays qui valorise la réussite, une Américaine sera belle si elle possède une force de caractère tout en restant généreuse et ouverte.

Après cette synthèse d’observations, il est intéressant de comparer les différentes étymologies du verbe « se maquiller » dans les quatre pays respectifs. Les différentes significations semblent coïncider avec la manière dont les femmes perçoivent la beauté. « Maquiller » dans son sens premier est synonyme de dissimuler, comme le montre l’emploi du terme pour un crime ou une voiture volée. On comprend la recherche des Françaises d’une beauté naturelle, sans sophistication excessive qui dénaturerait la « vérité » de la personne. Il faut être maquillée sans le paraître. « To make up » en anglais signifie dans un sens « révéler », comme pour montrer le meilleur de soi-même, ses qualités sous le meilleur jour. Le terme chinois « 化妆 » (huà zhuāng) est proche de la notion de déguisement, référence au maquillage du théâtre traditionnel. A trop se maquiller, avec excès, une femme serait comme déguisée et donc ne laisserait pas transparaître son âme. En Russe, « краситься » (krasitsya) évoque plus le dessin et la peinture. Le maquillage doit être travaillé, soigné, élaboré, faire l’objet de recherche et de raffinement, dans les moindres détails, avec de l’audace dans les couleurs.

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Les représentations de l’idéal de beauté semblent être très

nombreuses et dépendre de beaucoup de paramètres. Mais est-ce réellement le cas ? On touche ici à un sujet qu’Emmanuel Kant expose dans son analyse sur le jugement esthétique1. Sa réflexion est basée sur la différence entre le beau et l’agréable. Il explique que lorsque nous jugeons qu’un objet est beau, ce n’est pas sa matérialité qui entre en compte mais sa représentation. Pour formuler un jugement de goût, il faut être indifférent à l’existence de l’objet c’est-à-dire à l’impact matériel qu’il implique. L’agréable est au contraire ce qui va plaire aux sens, c’est une conséquence directe de la matérialité de l’objet. Il y a bien un plaisir à l’agréable mais il n’est qu’une conséquence pragmatique. Par exemple, la rencontre entre un aliment agréable et nos papilles gustatives produit un plaisir empirique. Au contraire, le jugement de goût est uniquement contemplatif. C’est pourquoi Kant parle d’une satisfaction désintéressée, d’un plaisir libre. Ce qui est agréable plaît aux sens (odeur de fleur) alors que ce qui est beau va plaire à l’esprit (poème). Le beau n’est ni l’utile, ni le bien, il manifeste que l’Homme n’est pas exclusivement conduit par l’agrément et l’intérêt, mais qu’il est aussi, jusque dans sa sensibilité, un être désintéressé et libre. Kant conclut que « le goût est la faculté de juger d’un objet ou d’un mode de représentation sans aucun intérêt, par une satisfaction ou une insatisfaction. On appelle beau l’objet d’une telle satisfaction »2. Le goût, qui est la faculté de juger du beau, serait donc essentiellement universel et désintéressé. Kant élabore ainsi la notion de distance esthétique qui vide l’art de tout pouvoir pratique. 1 - Emmanuel Kant, Analytique du beau, Flammarion, 2010 2 - Emmanuel Kant, Analytique du beau, Flammarion, 2010, §5

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Pourtant, la notion de goût implique tout de même une subjectivité. On dit effectivement : à chacun ses goûts. Cette contradiction n’est qu’apparente : le goût est à la fois universel et subjectif. Selon la pensée kantienne, nous ne sommes pas tous sensibles au goût du vin mais nous sommes tous d’accord sur une peinture de bon goût. « Qui a conscience que la satisfaction produite par un objet est exempte d’intérêt, ne peut faire autrement que d’estimer que cet objet doit contenir un principe de satisfaction pour tous »1. Mais cette universalité ne se fonde pas sur un concept (une connaissance de l’objet qui montrerait que son concept inclut à titre de détermination le fait d’être beau et que tout être connaissant devrait reconnaître), car le jugement de goût n’est pas déterminant mais réfléchissant, il a rapport aux facultés du sujet, à son sentiment de plaisir ou de peine et non aux déterminations de l’objet. Donc cette universalité ne se fonde pas sur un concept : « Est beau ce qui plaît universellement sans concept »1. L’analyse cognitive d’une œuvre d’art n’est donc pas pour Kant un jugement de goût. Le jugement de goût n’a rien de cognitif, il est le « libre jeu de l’imagination et de l’entendement »1.

Nous venons d’associer les concepts de perfection et de beauté car ils possèdent des caractéristiques similaires ou étroitement liées. Il y a tout de même un souci de limite. En effet, la perfection implique une finalité représentée, un but précis, atteignable ou non, mais clairement défini. La beauté quant à elle peut s’évaluer selon des critères mais

1 - Emmanuel Kant, Analytique du beau, Flammarion, 2010, §6

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ne possède pas de but ultime, de limite précise. On peut par exemple juger de la beauté d’un paysage mais on ne peut pas établir de finalité à celui-ci. « Le jugement de goût est un jugement esthétique »1, ce sont nos facultés qui fonctionnent de façon finalisées quand nous contemplons la beauté. Ce n’est pas l’objet qui est finalisé. Kant va donc faire une distinction entre deux types de beautés : la beauté libre et la beauté adhérente. La beauté libre : « des fleurs », « le colibri », « le perroquet » ne correspond à aucun idéal de perfection. La nature est le meilleur exemple de cette beauté libre car le jugement de goût est pur. Lorsqu’on suppose le concept d’une fin, d’un idéal, Kant parle de beauté adhérente car il y a dans ce jugement une liaison de la satisfaction esthétique et de la satisfaction intellectuelle. Pour prendre un exemple, la beauté assimilée à une marguerite est dite libre selon la pensée kantienne. Par contre, l’image que l’on projette de celle-ci, les représentations culturelles liées à cette fleur (effeuiller la marguerite), peuvent intellectualiser la satisfaction que procure sa vision. On se projette donc un idéal de la marguerite, une représentation parfaite. La perfection est donc soumise à une question de finalité, elle représente un but, une limite définie, construite par rapport à certains critères.

Comme nous venons de le faire précédemment, il est possible d’associer plusieurs termes à la perfection : la beauté, la précision et le design. Pour exposer ces trois critères, nous allons prendre

1 - Emmanuel Kant, Analytique du beau, Flammarion, 2010, §15

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l’exemple d’un vase. La première caractéristique qui pourra définir cet objet comme « parfait » est sa beauté, notion abordée dans les paragraphes précédents. Nous pouvons ensuite juger de sa perfection par la précision avec laquelle il a été réalisé. La précision expose une limite parfaite vers laquelle on va essayer de tendre. Dans notre cas, le vase sera précis si, dans sa matérialité, ses proportions sont telles que le créateur les a définies. Le troisième critère est le design. Dans le sens utilisé ici, il n’est pas un paramètre esthétique, caractéristique assurée par la beauté. Il est une question d’usage, d’utilisation ou encore d’intégration de l’objet dans son environnement. On peut considérer un vase comme parfait s’il remplit toutes les fonctions pour lesquelles il a été créé, si sa fabrication et son existence n’ont pas d’impact sur l’environnement, si ses usages ne posent aucune contrainte pour l’utilisateur, etc. Il sera imparfait au contraire s’il est instable, s’il est fendu, s’il est composé d’un matériau nocif pour la plante, etc. Un objet pourra être considéré comme parfait, dans un premier sens s’il atteint la perfection dans ces trois domaines. On peut remarquer ici le caractère inatteignable de la perfection. C’est un idéal fixé qui représente la limite ultime que l’entendement peut imaginer. La perfection est une vue de l’esprit, qui donne un but inatteignable à toute chose. Elle n’est qu’une représentation, à caractère infini, vers laquelle on peut essayer de tendre. Il est néanmoins possible de se détacher de cette notion d’infinité en fixant ses propres critères. Il est dans la capacité de tout un chacun de percevoir la perfection comme une limite personnelle. C’est la raison pour laquelle nous fixons des normes ou nous avons des idoles. Plutôt que de se baser sur une limite inatteignable, il est plus facile de définir de façon personnelle

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un but qui paraît impossible à sa propre échelle mais qui pourrait être atteignable humainement. La perfection pour un cycliste ne sera donc pas d’atteindre une vitesse ou une endurance infinie mais de pouvoir pédaler plus vite ou plus longtemps que tous les autres. La perfection pour un mannequin consistera à apparaître sur la une de tous les grands magazines de mode ou encore d’être l’égérie d’une grande marque de prêt-à-porter. En donnant un but à atteindre, la perfection permet à l’individu d’éprouver du désir, « puissance d’affirmation et de création »1 selon Baruch Spinoza. Selon le philosophe, désirer c’est, bien sûr, prendre des risques car le désir peut être agressif, voire destructeur, surtout lorsqu’il rencontre des obstacles. Il est néanmoins une source de force et une condition sine qua non de la vie, « l’essence de l’Homme »1.

1 - Baruch Spinoza, Ethique III, Flammarion, 1993

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Nous pouvons observer que, dans son l’évolution, l’Homme a

toujours désiré la perfection. Plus nous remontons dans le temps, plus nous pouvons nous rendre compte que cette notion de désir puise ses bases dans un besoin. Bien que la médecine actuelle ait pratiquement réglé la question, l’Homme a été, comme tout autre animal terrestre, sujet à la sélection naturelle. Ce sont ses instincts primaires qui l’ont poussé à rechercher des qualités telles que la beauté, la force ou l’intelligence chez ses partenaires ou à développer personnellement ces mêmes caractéristiques. Cette quête innée serait à l’origine de l’apparition de nombreuses philosophies et religions dans l’antiquité, indiquant aux Hommes la meilleure conduite à avoir. Nous avons précédemment mentionné la question de la perfection religieuse mais l’approche philosophique de l’Homme parfait ou de la société parfaite est sensiblement différente. L’hédonisme et le stoïcisme sont deux des principaux courants visant à atteindre la perfection dans le comportement. Pour les stoïciens, la perfection consiste à vivre en accord avec la nature et la raison pour atteindre le bonheur et la sagesse. Ils pratiquent des exercices de méditation pour parvenir à l’ataraxie, but ultime de l’existence de l’Homme (absence de troubles qui prend la forme d’une absence de souffrance). Epictète résume cette conduite stoïcienne à travers la maxime « Sustine et abstine » qui signifie « Supporte et abstiens-toi ». Les hédonistes quant à eux prônent une vie exempte de tout déplaisir tels que les relations conflictuelles, le rabaissement, l’humiliation, la soumission à un ordre imposé, la violence, etc. Une existence parfaite se résumerait à l’assouvissement des plaisirs procurés par l’amitié, la tendresse, la sexualité, les plaisirs de la table, la conversation, etc. Si certains

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philosophes visaient la perfection morale, d’autres s’interrogeaient sur la sélection des géniteurs comme moyen pour amener l’espèce humaine à se perfectionner. Selon Platon, il existe des caractéristiques propres à certains individus qui les rendent supérieurs aux autres. Ces caractéristiques seraient héréditaires. C’est pourquoi il faudrait selon lui « rendre les rapports très fréquents entre les hommes et les femmes d’élite, et très rares, au contraire, entre les sujets inférieurs de l’un et l’autre sexe »1. Son successeur Aristote va exposer ses idées sur la sélection des individus, s’inspirant de l’œuvre de son prédécesseur. Il va par exemple préconiser d’interdire aux citoyens de « prendre jamais soin de ceux qui naîtront difformes »2 et même de « provoquer l’avortement »2 dans cette éventualité. Sénèque abordera aussi le sujet dans son œuvre De la Colère3 : « Nous abattons les chiens enragés, nous tuons un bœuf intraitable et sauvage, nous égorgeons les bêtes malades pour qu’elles ne contaminent pas le troupeau ; nous étouffons les petits monstres, nous noyons même les enfants lorsqu’ils sont venus chétifs et anormaux : ce n’est pas la colère, c’est la raison qui nous invite à séparer des éléments sains les individus nuisibles ». Ces paroles sont censées justifier la tendance de l’Homme à se débarrasser des individus faibles. La recherche de la perfection étant naturelle, le fait de chercher à éliminer les imperfections au sein de l’espèce serait donc normal. On peut qualifier ces pensées d’avant-gardistes par rapport à la théorie de l’eugénisme.

1 - Platon, République, livre V, Flammarion, 2002 2 - Aristote, Politique, livre VII, Les Belles Lettres, 2003, §10 3 - Sénèque, De La Colère, I, Les Belles Lettres, 2012

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LES DIFFERENTES INTERPRETATIONS DU PARFAIT

Pour ne pas nous limiter à l’exemple de l’Homme, nous pouvons observer le fonctionnement de la nature dans sa globalité. Selon la thèse exposée par Charles Darwin dans son célèbre ouvrage On the Origin of Species1, l’évolution est un processus qui se réalise dans un milieu primitif et hostile, dans lequel les individus les plus adaptés à leur environnement ont plus de chances de survivre et d’atteindre l’âge de la reproduction. Les espèces terrestres sont donc naturellement destinées à tendre vers un équilibre avec leur milieu. Ce tri des individus peut être interprété comme une sorte de recherche de la perfection naturelle et inévitable. Contrairement à notre conception humaine de la perfection basée sur la beauté ou la force, la perfection naturelle consisterait donc simplement dans le fait d’être parfaitement adapté à l’environnement dans lequel nous vivons. Être parfait signifierait par conséquent disposer de toutes les facultés nécessaires pour survivre dans le monde qui nous entoure. Il y a tout de même encore une notion d’inatteignable à cette vision du fait de la variance permanente de notre environnement. La perfection au sens naturel n’est donc pas absolue, c’est une amélioration constante et progressive, une perfection relative à un cadre précis.

1 - Charles Darwin, On the Origin Of Species, Editions du Seuil, 2013

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La recherche de la perfection fait partie intégrante de l’existence de l’être humain de par sa nature, son histoire et l’évolution des civilisations. Nous pouvons nous demander si ce comportement n’est pas qu’un simple héritage de notre passé qui va s’estomper avec le temps ou si le phénomène va croître. Le fait est qu’il est bel et bien présent à l’heure actuelle. La question importante dans cette quête de la perfection se pose sur la manière de procéder et les conséquences qu’elle peut engendrer. Nous devons essayer de ne pas tout confondre et de ne pas nous diriger vers des solutions trop hâtives. Pour reprendre les paroles de Luc de Clapiers, Marquis de Vauvenargues, « la perfection d’une pendule n’est pas d’aller vite mais d’être réglée »1.

1 - Luc de Clapiers, Marquis de Vauvenargues, Réflexions et Maximes, Vassade, 2013

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2 Définitions p.34 L’erreur p.36 Le wabi-sabi, philosophie japonaise p.39 Le paradoxe de l’imperfection : Entre richesse et souffrance p.42 L’imperfection comme symbole, comme force, source de personnalité p.44 La personnalité source de style dans les arts p.46 Un monde imparfait p.53


UNE IMPERFECTION MOTRICE

Comme nous avons pu le voir précédemment, l’Homme

est guidé par le désir de perfection par le biais de standards. On recherche la perfection morale, esthétique, l’atteinte d’un concept d’Homme parfait dans le comportement, le paraître et la spiritualité. Dans toute sa complexité, l’Homme semble pourtant porter un intérêt de plus en plus soutenu pour l’imperfection, élément moteur de vie et de création. C’est ce paradoxe que nous allons tenter d’exposer dans cette partie.

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L’imparfait est tout d’abord tout ce qui n’est pas parfait. Il serait néanmoins inexact de qualifier ces deux termes de contraires car le domaine du parfait est fixe, un point unique, alors que l’imparfait contient tout le reste, tous les champs qui ne sont pas catégorisés comme parfaits. L’imparfait est ce qui présente des lacunes, qui n’est pas achevé, complet1. Cette définition implique un manque, un état intermédiaire de la finalité de l’objet. Elle pourrait qualifier par exemple une feuille de coloriage où toutes les cases ne sont pas remplies. L’imparfait est aussi, dans un second sens, ce qui présente des défauts, qui n’atteint pas la perfection absolue1. La question d’une fin parfaite n’est pas envisagée dans ce sens. La définition expose un décalage, une divergence par rapport au parfait et non un manque comme dans le sens premier. Pour reprendre notre exemple précédent, l’imperfection de la feuille de coloriage peut se caractériser dans ce sens avec un dépassement de la zone à colorier, créant un défaut. Il est intéressant de remarquer que les deux interprétations de ce qu’est l’imparfait peuvent se cumuler dans certains cas de figure.

1 - Définition du dictionnaire Larousse

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Bien que cela puisse sembler paradoxal, l’imperfection est

souvent un élément moteur. L’exemple le plus probant est surement celui de l’erreur. Souvent assimilé à une faute, le concept d’erreur avec ses connotations négatives était traditionnellement sanctionné dans le but de le faire disparaître. La pédagogie actuelle, guidée par des courants plus novateurs, considère l’erreur comme partie inhérente de l’apprentissage et impactant positivement l’éducation d’un élève : « l’erreur est un outil pour enseigner »1. Les psychologues constructivistes2 insistent sur l’importance de l’analyse des erreurs pour connaître le niveau de pensée de l’apprenant. Les méthodes éducatives peuvent donc s’adapter à chacun en fonction de ses particularités. Le psychologue américain Edward Thorndike fût l’un des premiers à montrer que l’on apprenait par le biais d’essais ou d’erreurs et que les encouragements étaient beaucoup plus fructueux que les sanctions. Pour démontrer sa théorie, il étudia le comportement d’un chat affamé, enfermé dans une cage. Afin qu’il puisse s’échapper, il laissa au félin la possibilité de tourner un verrou pour ouvrir une porte et obtenir de la nourriture. En répétant plusieurs fois l’expérience, Thorndike put établir une courbe d’apprentissage montrant que le chat parvenait à ouvrir le verrou de la porte de plus en plus rapidement et donc ne faisait plus les mêmes erreurs qu’au début de l’étude. L’erreur n’est pas la conséquence d’une absence de connaissance mais plutôt d’une connaissance inadéquate sur laquelle on va pouvoir construire une connaissance correcte. Comme le souligne André Scala : 1 - Jean-Pierre Astolfi, L’erreur, un outil pour enseigner, ESF, 1997 2 - De constructivisme : théorie de l’apprentissage qui met en avant l’activité et la capacité inhérentes à chaque sujet, ce qui lui permet d’appréhender la réalité qui l’entoure.

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« L’erreur n’est pas l’ignorance, on ne se trompe pas sur ce qu’on ne connaît pas, on peut se tromper sur ce qu’on croit connaître. Un élève qui ne sait pas additionner ne fait pas d’erreurs d’addition et celui qui ne sait pas écrire ne commet pas de fautes d’orthographe. C’est une banalité. Toute erreur suppose et révèle un savoir »1. Dans certains types de pédagogie, les enseignants vont même jusqu’à provoquer volontairement l’erreur des étudiants. En effet, si l’on fait une erreur pendant la phase d’apprentissage, elle sera plus rarement répétée en situation réelle. Ce sera aussi une occasion pour l’élève de se remettre en cause et de prendre conscience de l’intérêt de se former pour ne pas commettre d’impair dans une situation plus importante. Néanmoins, l’enseignant ne doit pas utiliser ce processus avec trop d’insistance afin que ses élèvent gardent confiance en leurs capacités. Certaines grandes découvertes de l’Homme ont été permises par l’erreur. C’est ce qui est arrivé à Henri Poincaré, éminent mathématicien du XIXEME siècle. A trente-deux ans, il étudia le problème de l’interaction des corps pour prétendre au prix mathématique offert par le roi de Suède. A l’époque, on savait depuis Isaac Newton résoudre des équations de mouvements de deux corps en interaction (Planète terre autour du soleil par exemple) mais pas encore de trois, quatre corps ou plus. C’est ce défi que s’est lancé Poincaré, dans sa passion pour la compréhension du monde, qui a marqué sa plus célèbre erreur. Il rendit une copie floue, jonchée d’imprécisions, d’ambiguïtés dans la démonstration, mais qui lui permis de gagner le prix haut la main. La vérification de son manuscrit fut fastidieuse mais 1 - André Scala dans le Collectif de Villeneuve d’Ascq, IUFM du Nord-Pas-de-Calais, Le rôle de l’erreur dans la relation pédagogique, 1995

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son talentueux assistant Phragmén, chargé de l’éditer, prépara une liste de remarques que Poincaré s’empressa de corriger jusqu’à ce que le document soit irréprochable. Pourtant, une des bévues repérée par Phragmen commença à tourmenter Poincaré. Quelque chose ne tenait pas dans son raisonnement. Au fur et à mesure de sa correction, il réalisa que cette petite erreur, apparemment insignifiante, faisait s’écrouler toute l’architecture de son théorème. L’article ayant déjà été publié, Poincaré dut faire rapatrier tous les exemplaires pour éviter de ternir sa réputation. En se plongeant de nouveau sur sa démonstration, il parvint à tout réparer mais avec un changement radical au niveau de sa conclusion. Il venait de mettre le doigt sur une difficulté majeure et de découvrir que des équations impeccables et précises de la mécanique cosmique découlait une grande instabilité. Bien que les calculs fussent exacts, leur résultat était extrêmement sensible aux conditions initiales. Le mouvement des corps en question pouvait être influencé par un grain de poussière ou par le battement d’aile d’un papillon, comme on le dira plus tard. C’est ainsi que sont nés les fondements de la théorie du chaos, un des piliers de la compréhension des phénomènes physiques, que nous développerons un peu plus tard dans ce mémoire. Si l’erreur de Poincaré apporte du charme à cette grande découverte, elle a surtout permis à ses contemporains scientifiques d’établir des théories cohérentes qui expliquent entre autres la mécanique, l’électromagnétisme, les ondes, les fluides et l’astronomie.

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Malgré le constat précédent, il semble encore difficile pour le

monde occidental, ancré dans ses traditions et son histoire, d’utiliser intentionnellement l’imperfection. Il existe néanmoins une alternative à la recherche de perfection, de régularité, de symétrie. Arrivée du Japon depuis quelques années, une philosophie appelée wabi-sabi vient remettre nos acquis en question et propose une autre définition de ce qu’est le beau. Le wabi-sabi est un concept esthétique (au sens de la traduction du terme anglais « aesthetic » : philosophie de l’art, du beau et du goût), une disposition spirituelle, inspirée de principes bouddhistes zen ainsi que du taoïsme. Son nom se compose du terme wabi : solitude, simplicité, mélancolie, nature, tristesse, dissymétrie et du terme sabi : altération par le temps, décrépitude des choses vieillissantes, patine des objets, goût pour les choses vieillies, pour la salissure, etc. Le wabi fait référence à la plénitude et la modestie que l’on peut éprouver face aux phénomènes naturels et le sabi la sensation face aux choses dans lesquelles on peut déceler le travail du temps ou des hommes. Apparue au XIIEME siècle cette philosophie prône le retour à une simplicité, une sobriété paisible pouvant influencer positivement l’existence. Elle a pour principe la valorisation de la beauté des choses imparfaites, éphémères et modestes. On retrouve entre autre dans cette pratique le culte esthétique pour les pierres ou encore le travail des bonsaïs. L’usure du temps, les imperfections, l’asymétrie, sont des éléments valorisés, en ce qu’ils symbolisent un aspect fondamental de la vie : la fluidité essentielle du temps qui passe et l’impermanence de toute chose. L’art japonais est profondément imprégné de cette vision de la beauté, qui transparaît par exemple dans l’ikebana, l’art floral japonais, le hagi-yaki, poterie

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japonaise, ou encore dans les haïkus, ces très courts poèmes qui nous laissent toujours à nous Occidentaux un goût d’inachevé. L’arrivée du wabi-sabi dans le monde occidental n’est pas évidente. En effet, notre vision du beau et de la perfection est basée en majeure partie sur l’héritage grec, en totale contradiction avec cette nouvelle école de pensée. Certains Occidentaux ont rapidement adopté le wabi-sabi dans leur vie. C’est le cas de Jack Dorsey, fondateur de Twitter ou encore de Leonard Koren, designer américain qui promeut l’utilisation du wabi-sabi dans l’art occidental à travers son ouvrage Wabi-Sabi for Artists, Designers, Poets & Philosophers1. L’exemple le plus étonnant est celui des programmeurs informatiques de Wikipédia qui se sont inspirés du wabi-sabi pour créer leur concept. Les articles publiés sur leur site ont en effet une part d’imperfection inhérente au concept même d’encyclopédie collaborative en ligne. Les paroles de la chanson Anthem2 de Leonard Cohen résument assez bien le concept de wabi-sabi :

1 - Leonard Koren, Wabi-Sabi for Artists, Designers, Poets & Philosophers, Imperfect Publishing, 2008 2 - Leonard Cohen, Anthem, The Future, 1992

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« Ring the bells that still can ring Forget your perfect offering There is a crack in everything That’s how the light gets in »1

L’idée d’un monde dans lequel les imperfections permettent la perfection donne matière à réfléchir. A quel point nos vies seraient-elles différentes si on célébrait les petits évènements qui ne se déroulent pas selon nos plans plutôt que de les laisser nous agacer ? Ainsi, plutôt que d’opposer rigoureusement les esthétiques grecque et japonaise, ne vaudrait-il pas mieux apprendre à connaître les deux, afin que leur rencontre nous ouvre de nouveaux horizons ?

1 - « Sonnez les cloches qui peuvent encore sonner Oubliez vos offrandes parfaites Il y a une fissure en toute chose C’est ainsi qu’entre la lumière »

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Nous pouvons aussi essayer à l’inverse de nous représenter,

dans l’éventualité où cela serait possible, un monde dénué de toute imperfection. L’Homme serait en quelque sorte bloqué dans son évolution. Les imperfections de chacun créent des différences entre les individus, sources de tensions dans une société. Ces différences attisent le sentiment d’insatisfaction, le fait que l’Homme ne se contente jamais de sa propre situation. Cette faiblesse de notre espèce poussera toujours certains groupes à se détacher de la multitude pour tenter d’aller plus loin. De ce fait, les écarts vont continuer à se creuser de plus en plus entre, non plus des individus mais des groupes d’individus, ce qui engendre des conflits, des crises ou encore des guerres. Paradoxalement, cet état d’esprit est aussi une grande force dans le sens où c’est ce sentiment qui motive l’homme à aller toujours plus loin, à progresser et donc à évoluer. Il tire globalement l’espèce humaine vers le haut. La différence de chaque être humain est une énorme source de richesse qui fait de nous ce que nous sommes, nous attribue une unicité, une personnalité propre. La différence ouvre la porte de la communication, du débat, du désaccord, de l’alliance, de la création et donc de la vie. Quel serait l’intérêt d’un monde sans tous ces paramètres indispensables à l’existence d’une société active ? Phillip Noyce tente de répondre à cette question dans son film The Giver1 dans lequel il expose l’existence d’une société futuriste dénuée d’émotion et basée sur l’égalité stricte de chaque individu. Ce thème avait d’ailleurs aussi été pleinement traité dans Equilibrium2 de Kurt Wimmer. La morale qui ressort de ces films est que le gain 1 - Phillip Noyce, The Giver, 2014 2 - Kurt Wimmer, Equilibrium, 2003

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de paix dû à l’inhibition de toute différence n’est pas équivalent à la perte de richesse individuelle liée aux émotions.

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Comme nous venons de le voir, les imperfections peuvent

engendrer de l’insatisfaction chez un individu. Nous pouvons néanmoins observer que, dans certains cas, une imperfection peut être une particularité impactant positivement le sujet. Nous pouvons citer l’exemple très connu du nez de Cléopâtre : « s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé »1. La légende veut que Jules César soit tombé sous le charme de la reine en partie grâce à ce nez imposant. Celui-ci est par ailleurs devenu un symbole connu de tous aujourd’hui. Une mouche sur le visage peut aussi être considérée comme une imperfection mais ce caractère physique est devenu un véritable accessoire esthétique. Elle peut être naturelle mais certaines femmes se dessinent ce petit détail au crayon noir ou se collent un petit rond de velours sur la peau. Une symbolique subtile s’est développée au XVIIIEME siècle en fonction de l’emplacement de cette mouche sur le corps d’une femme, révélant ainsi tel ou tel aspect du caractère de la porteuse : l’assassine ou la passionnée, près de l’œil ; la baiseuse, au coin de la bouche ; la discrète, sur le menton ; l’effrontée ou la gaillarde, sur le nez ; l’enjouée, sur une ride ou dans le creux du sourire ; la friponne ou la coquette, sous la lèvre ;

1 - Blaise Pascal, Pensées, Gallimard, 2004

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la galante, sur la joue ; la généreuse, sur la poitrine ; la majestueuse, sur le front ; la receleuse, sur un bouton ;

Bien que cet apparat fut un phénomène de mode à l’époque de la révolution française, on a pu voir certaines femmes contemporaines comme Marylin Monroe, Elizabeth Taylor ou encore Kate Upton, arborer fièrement ce petit « défaut ». « Imperfections are attractive when their owners are happy with them »1 a écrit Augusten Burroughs, écrivain américain. Certains peuvent se sentir handicapés par leurs petites imperfections qu’ils tentent de masquer autant que faire se peut, mais d’autres arborent les leurs et en font un atout de leur personnalité.

1 - Augusten Burroughs, This Is How : Surviving What You Think You Can’t, Picador USA, 2013 : “Les imperfections sont attrayantes lorsque leur propriétaire les accepte. »

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Ce que nous offre aussi la notion de personnalité, associée

à l’unicité et l’imperfection, c’est la notion de style. Dans l’écriture par exemple, le style est primordial. Il est principalement fonction de l’histoire, du milieu culturel, des sentiments et des émotions de chaque écrivain. C’est une facette qui se révèle naturellement en écrivant de façon intuitive, sans le savoir consciemment. « Avoir un style, c’est arriver à bégayer dans sa propre langue »1, philosophait Gilles Deleuze. La première étape pour trouver son propre style d’écriture est de se débarrasser de toutes les imitations, d’être soi-même avec ses particularités et ses imperfections. Chacun a son style personnel, sa façon de retranscrire ce qu’il pense, cela ne s’apprend pas. « Le style ne s’acquiert pas mais cela se développe »2 affirmait Paul Valéry. Chaque auteur possède sa propre manière de colorer ses textes, de les rendre uniques. Cette diversité leur permet de toucher chaque personne selon ses goûts et ses intérêts. C’est la raison pour laquelle nous allons apprécier un auteur plus qu’un autre. Il semble évident que la lecture perdrait toute son originalité si tous les romanciers utilisaient le même style, ce serait lénifiant. Ce sont les singularités de chaque écrivain qui nous surprennent et nous transportent dans des univers très variés avec des personnages différents. On peut déterminer le style d’un auteur à partir de trois éléments stylistiques de base : les registres de langue (populaire, familier, correct, soutenu), les procédés littéraires (dialogues, narration, description, etc.) et les figures de style (hyperbole, ironie, métaphore, etc.). Ces éléments sont très nombreux et permettent à l’écrivain de faire transparaître 1 - Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogues, Flammarion, 1977 2 - Paul Valéry, Regards sur le monde actuel, Folio, 1988

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énormément d’émotions ou de sensations différentes à travers l’écriture. Bien que le style de l’auteur se démarque particulièrement dans les domaines narratifs et poétiques, d’autres dominantes peuvent utiliser les concepts qui déterminent le style que ce soit pour frapper l’imagination du lecteur, pour illustrer une idée ou tout simplement pour piquer sa curiosité.

Si l’on parle de style d’écriture, nous pouvons évoquer le style

musical. Haruki Murakami expose poétiquement cette notion dans son ouvrage Kafka sur le rivage1. Dans l’extrait qui va suivre, un personnage du livre, Oshima, explique au narrateur du roman une écoute de la Sonate no11 en fa mineur2 de Franz Schubert.

« Réussir à jouer les sonates pour piano de Frantz Schubert est une des choses les plus difficiles au monde. Spécialement cette sonate en fa mineur. Certains pianistes arrivent à jouer presque parfaitement un ou deux mouvements, mais, si on considère l’ensemble des quatre mouvements, il n’y a à ma connaissance aucun pianiste au monde capable de les exécuter en entier de manière satisfaisante. De nombreux virtuoses ont essayé de relever ce défi, mais leurs interprétations ont chacune des défauts notables. Il n’y a pas une seule interprétation dont on puisse dire « Ah, là, c’est parfait ! » […] Parce que les sonates elles-mêmes sont imparfaites. […] les œuvres 1 - Haruki Murakami, Kafka sur le rivage, Place Des Editeurs, 2011 2 - Franz Schubert, Sonate no11 en fa mineur, D.625

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qui possèdent une sorte d’imperfection sont celles qui parlent le plus à nos cœurs, précisément parce qu’elles sont imparfaites. […] Les sonates de Schubert, et spécialement celle-ci, si on les interprète telles quelles, elles deviennent juste des antiquités plates et insipides. Aussi, chaque pianiste essaie-t-il d’y insuffler quelque chose de personnel. Comme là… Ecoute comme il insiste sur les articulations. Il ajoute du rubato. De la vitesse, des modulations. Sinon, l’ensemble ne tient pas. Cependant, s’ils ne font pas ça avec précaution, c’est la qualité du morceau dans son ensemble qui risque d’en pâtir. Ce ne serait plus du Schubert. […] toutes les interprétations de ce morceau sont imparfaites. Un sens de l’imperfection, s’il est artistique, intense, stimule ta conscience, maintient ton esprit en alerte. Si j’écoute l’interprétation parfaite d’un morceau parfait en conduisant, je risque de fermer les yeux et avoir envie de mourir dans l’instant. Mais quand j’écoute attentivement cette sonate, je peux entendre les limites de ce que les humains sont capables de créer, je sens qu’un certain type de perfection peut être atteint avec humilité, à travers une accumulation d’imperfections. »

Lorsqu’Oshima parle de sonates imparfaites, il ne se méprend pas. Franz Schubert était un musicien perfectionniste qui a douté de lui toute sa vie. Il était soumis à une continuelle et paralysante envie de bien faire et de faire différemment de ses contemporains, au point de ne pas parvenir à achever nombre de ses œuvres. On peut donc retrouver des lacunes dans beaucoup de ses partitions, des indications manquantes comme par exemple l’absence de

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certaines cadences1 ou mêmes de certaines mesures2 qui laissent la possibilité à tout interprète d’ajouter sa touche artistique au morceau. Aucun pianiste ne va jouer une sonate de Schubert de la même façon. Chacun va intégrer son style, sa sensibilité et ses émotions à son interprétation. Si l’on s’en tient à l’extrait précédent, c’est ce complément personnel qui va sublimer l’œuvre, qui va lui conférer toute sa richesse, la magnifier, la perfectionner. Les imperfections que nous venons de mentionner sur certains morceaux de Schubert sont des défauts structurels. Il est possible d’entendre chez d’autres artistes une forme d’imperfection qualifiable de déformation mélodique. Elle se caractérise par ce que l’on appelle des dissonances, l’association de deux sons qui ne vont pas être harmoniquement apparentés, produisant une impression d’instabilité, de contrariété entre ces sons. On observe souvent ce procédé pour susciter un sentiment de gêne, de peur, de malaise ou d’intrigue dans les films. C’est le cas de la musique The Crisis3 composée par Ennio Morricone pour le film The Legend of 19004 et reprise dans le film Seven Pounds5. La dissonance étant une question de ressenti personnel, il est intéressant d’observer les réactions des auditeurs face à ce morceau. On peut donc relever certains commentaires sur YouTube tels que : « The dissonance of the F and F# is what makes the song for me.

1 - Formule d’accords utilisée pour suspendre ou conclure une phrase, dictionnaire Larousse. 2 - Division du rythme en valeurs proportionnelles (unités de temps), dictionnaire Larousse. 3 - Ennio Morricone, The Crisis, The legend of 1900, 1998 4 - Giuseppe Tornatore, The Legend of 1900, 1998 5 - Gabriele Muccino, Seven Pounds, 2008

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It just wouldn’t be right without it. »1, de jdimdim ou encore « A perfect illustration of what life can be like. Beautiful and miserable in the same single breath, yet still infinitely full of love & hope... Embracing the imperfections... is being perfectly beautiful and complete. Such a masterpiece ! »2, de Dejan Spasovski. Le public semble s’accorder sur le fait que la dissonance utilisée dans ce morceau est ce qui lui donne toute sa richesse, tout son intérêt. C’est cette petite particularité qui va susciter de l’émotion chez l’auditeur et le captiver pendant le visionnage du film.

Certains

artistes

choisissent

d’intégrer

volontairement

de

l’imperfection dans leurs morceaux pour les rendre plus authentiques, plus vrais. On peut prendre l’exemple de l’effet « vinyle », souvent utilisé depuis l’arrivée du support audio numérique, qui consiste à utiliser le craquement caractéristique de ces anciens formats dans des musiques contemporaines. On peut l’entendre par exemple dans le succès Que Sera3 de Wax Tailor. Dans la même démarche, nous pouvons citer l’album Solo Piano4 de Chilly Gonzales, enregistré entièrement avec un piano droit ouvert, laissant échapper clairement le bruit des mécaniques de l’instrument. Ce pianiste virtuose joue sur l’autodérision et semble vouloir 1 - « La dissonance du fa et du fa# fait tout le morceau pour moi. Il ne serait pas juste sans cela. » 2 - « Une parfaite illustration de ce que peut être la vie. Belle et misérable en même temps, mais toujours infiniment pleine d’amour et d’espoir… Embrassant les imperfections… est parfaitement belle et complète. Quel chef d’œuvre ! » 3 - Wax Tailor, Que sera, Tales of the Forgotten Melodies, 2005 4 - Chilly Gonzales, Solo Piano, 2004

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désacraliser et rendre plus accessible le jeu de piano pour son auditoire.

Il serait maladroit de parler de style sans mentionner les arts

graphiques tels que le dessin, la peinture ou la sculpture. Nous pouvons constater de par notre histoire que ces disciplines ont longtemps été guidées par une ambition de représentation fidèle de la réalité, une représentation parfaite du monde qui nous entoure. L’une des plus importantes études fut portée sur la vision en perspective c’est-à-dire la représentation en deux dimensions de lieux et d’objets en trois dimensions, en tenant compte de l’influence de la profondeur du champ sur la perception de l’observateur. Les règles géométriques que nous connaissons aujourd’hui n’ont commencé à apparaître qu’à partir de la Renaissance sous l’influence des œuvres de peintres italiens tels que Masaccio et Piero della Francesca entre autres. La plupart des dessins et tableaux d’avant cette période n’utilisaient pas la perspective. La taille des objets et des personnages étaient généralement fonction de leur importance spirituelle ou thématique, et non de leur distance avec l’observateur. Ce n’est essentiellement qu’après la maîtrise de la représentation fidèle que certains artistes se sont mis à représenter des scènes volontairement altérées. On voit alors apparaître différents mouvements tels que l’impressionnisme, le pointillisme ou encore le cubisme. Plutôt que de se contenter d’une technique de représentation « parfaite » de la réalité, déjà acquise à l’époque, certains artistes essayent de faire transparaître des émotions, du ressenti, de l’instantané, à travers leurs œuvres. C’est le cas de

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grands noms tels que Claude Monet, Auguste Renoir ou encore Pablo Picasso. Aujourd’hui, il est courant de trouver des œuvres telles que Les trois Grâces1 de Niki de Saint Phalle. Contrairement aux représentations de Rubens, Raphaël ou Botticelli basées sur les standards des déesses grecques, l’artiste nous présente trois larges et voluptueuses femmes (les fameuses « Nanas ») effectuant des mouvements de danse en maillots de bain bariolés. Dans ses créations, Niki de Saint Phalle tente de faire comprendre au monde que nous devons nous détacher des standards de beauté actuels.

« J’aime l’imperfection. Mes cercles ne sont jamais tout à fait ronds. C’est un choix, la perfection est froide. L’imperfection donne la vie, j’aime la vie »

1 - Niki de Saint Phalle, Les trois Grâces, 1994

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En définitive, l’imperfection est un élément constructeur. Après

tout, l’imperfection nous est familière car le monde qui nous entoure est construit sur des bases imparfaites. C’est par exemple l’imperfection et l’imprédictibilité du processus de reproduction qui a permis l’évolution des espèces. Bien que les individus tentent de trouver le meilleur partenaire possible, comme nous l’avons évoqué dans la première partie, ce sont les innombrables mutations génétiques depuis l’apparition de la première bactérie qui ont fait de nous ce que nous sommes. C’est d’ailleurs cette diversité cellulaire qui permet à l’espèce humaine de ne pas succomber face au monde biologique si mouvant et si menaçant. Nous sommes donc tous différents, tous imparfaits, et c’est ce merveilleux mélange qui caractérise notre espèce. On retrouve d’ailleurs l’imperfection dans tout ce que nous faisons. La multitude de langues parlées actuellement sur terre est le résultat d’innombrables erreurs de restitution, de fautes de grammaire et d’orthographe ou encore de déformations et fautes de prononciations. On trouve aussi beaucoup d’imperfections dans nos programmes informatiques, s’accumulant de plus en plus et générant des bugs impossibles à éradiquer sans en créer une multitude d’autres. Certaines de nos réalisations technologiques sont aussi condamnées par l’histoire de leur conception à l’imperfection. Le simple agencement des touches d’un clavier par exemple, basé sur l’optimisation de la mécanique des vieilles machines à écrire, imparfait certes, qui ne sera peut-être jamais modifié pour cause de d’habitudes bien trop tenaces. Nous pouvons aussi parler de la pensée humaine, dont nous sommes si fiers, qui baigne pleinement dans la confusion. Il est difficile d’imaginer que l’on soit parvenu à créer le raisonnement mathématique, parfait dans

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sa forme et sa logique, avec cet outil intrinsèquement désordonné. Il est impossible de prédire les associations d’idées, les corrélations ou encore les « éclairs » qui ont lieu dans notre cortex cérébral. Quel paradoxe, utiliser notre pensée si imparfaite pour réfléchir sur le concept de perfection, et on ne parle pas encore ici de concevoir ce concept ! Quoi qu’il en soit, heureusement que l’imparfait et l’irrationnel existent car ils permettent la naissance de l’inattendu et parfois du sublime.

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UN EQUILIBRE INSTABLE


3 Définitions p.58 L’équilibre au sens de l’individu p.60 Philosophie de l’équilibre p.63 Le Vide Médian, équilibre entre le Yin et le Yang p.64 Le cubisme, une vision « plus-que-parfaite » p.67 La vallée dérangeante p.69 Les sciences, un leurre de perfection p.72


UN EQUILIBRE INSTABLE

Le lien entre les deux notions que nous avons abordé jusqu’à

maintenant, le parfait et l’imparfait, est particulier. Comme nous l’évoquions précédemment dans notre introduction de l’imparfait, considérer les deux termes comme contraires serait se méprendre. Si nous souhaitons maintenant essayer de les mettre en rapport, nous devons nous pencher sur la signification de la notion d’équilibre.

Ce terme est sujet à de nombreuses interprétations. Du point de vue physique, on considère l’équilibre comme un état de repos, une position stable1 comme par exemple l’équilibre de deux poids déposés sur une balance. On parle aussi de juste proportion entre des éléments opposés, entre des forces antagonistes, d’où résulte un état de stabilité1. De manière plus imagée, l’équilibre peut aussi être la juste répartition des éléments d’un tout1 tel qu’est l’équilibre alimentaire par exemple.

On remarque certaines nuances de la notion d’équilibre selon les termes qui lui sont associés. Lorsqu’on parle d’harmonisation ou d’accord, il est question de justes proportions, un mélange adapté, composé d’une certaine quantité de chaque élément. On distingue aussi un certain côté satisfaisant pour l’esprit dans ces notions, une concordance agréable, une douce coexistence. Aborder l’équilibre en tant que fusion ou d’union implique une association de deux ou plusieurs éléments distincts dans leur intégralité. 1 - Définition du dictionnaire Larousse

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Le rassemblement est étroit, intime, et forme un seul et même élément.

Nous pouvons aussi faire une parallèle intéressant avec les concepts scientifiques d’équilibres statique et dynamique. En physique, un corps qui atteint un équilibre est dit statique s’il est au repos et s’il reste ainsi en l’absence d’influence de forces externes. Cela signifie que la somme de toutes les forces qui s’exercent sur lui est nulle et qu’aucun mouvement ne peut se produire sans action additionnelle. Un rocher posé sur le sol sera dit en équilibre statique, jusqu’à ce que l’on vienne influer volontairement sur sa position. En chimie, une solution est en équilibre dynamique lorsque les composés en présence réagissent de telle façon que la composition initiale du mélange ne change pas. Il se produit des « mouvements », des réactions, parfois même de façon violente, mais sans modifier globalement le ratio de chaque composant. C’est un cas particulier d’état stationnaire qui n’est possible qu’avec des transformations réversibles1.

Si l’on parle donc d’un équilibre entre la perfection et l’imperfection, nous devons prendre en compte toutes ses nuances. Est-ce une harmonie stable, calme, figée dans le temps, ou une fusion dynamique, mouvante, énergique ou encore une coexistence distante, sans influence ni interaction ?

1 - Transformation dans laquelle on passe par les mêmes états d’équilibre pour aller de l’état initial à l’état final et vice-versa.

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La perfection et l’imperfection ont été analysées dans les

précédentes parties en prenant compte de leur signification par rapport à l’être humain. Il semble donc adéquat de s’interroger aussi sur ce que signifie l’équilibre au sens de l’individu.

Dans un premier temps, ce terme représente l’état de quelqu’un qui maîtrise sa position et ses mouvements, qui ne tombe pas1. L’équilibre est dit statique lorsque l’individu parvient à maintenir son équilibre en restant immobile. Par opposition, l’équilibre dynamique est employé lorsqu’il s’agit de maintenir son équilibre en étant en mouvement. On peut néanmoins parler de dynamisme dans les deux cas car, même si l’homme le fait inconsciemment, le maintien en équilibre implique une interaction complexe constante entre les systèmes visuel2, proprioceptif3, vestibulaire4 et moteur5. Un équilibriste professionnel aura une maîtrise accrue de ces systèmes.

Un individu équilibré ne l’est pas seulement physiquement mais aussi psychologiquement, c’est-à-dire qu’il y a un rapport d’harmonie entre ses tendances psychiques, son rythme de vie et ses domaines d’activité. Swami Shraddhananda Giri, philosophe indou, explique 1 - Définition du dictionnaire Larousse. 2 - Ensemble des organes participant à la perception visuelle. 3 - Ensemble de récepteurs musculaires et ligamentaires permettant la perception de la position des différentes parties du corps. 4 - Organe situé dans l’oreille interne qui contribue à la sensation de mouvement et à l’équilibre. 5 - Circuits nerveux responsables de la motricité involontaire, et du contrôle de la posture.

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dans la revue Message du Vedanta1 que l’équilibre de l’homme n’est pas lié à une juste proportion de toutes choses. Aucune envie ne doit être plus forte qu’une autre. Ce qui détermine réellement l’équilibre d’une personne c’est « sa capacité de maintenir sa joie de vivre dans toutes les circonstances »1. Selon Swami Shraddhananda Giri, chaque être humain recherche la joie et si certains acceptent de vivre dans la tristesse, c’est qu’ils espèrent une joie ultérieure. Les critères caractérisant un bon équilibre sont entre autres la convivialité, la capacité d’analyser les situations et d’évaluer les dangers, le sens critique, l’acceptation des autres. La souffrance serait la conséquence principale du déséquilibre, se manifestant par des troubles du comportement et la mise en péril de la tranquillité d’autrui. Des médications sont accordées au sujet déséquilibré afin d’atténuer son sentiment de frustration, de privation, de culpabilité et de le rendre « acceptable dans la société »1.

Dans sa revue, le philosophe nous explique qu’il existe un lien direct entre équilibre physique et équilibre mental. La capacité d’un individu de maintenir son corps immobile sur une longue durée favorise son calme mental et lui permet de percevoir une source de joie interne : la nature même de sa propre conscience. C’est ce type d’exercice qui constitue la base de la méditation. Le but est d’utiliser son corps comme un outil permettant de comprendre la nature de la conscience afin d’équilibrer son corps et son esprit. Un individu équilibré sera 1 - Swami Shraddhananda Giri, Extrait de la revue Message du Vedanta, Bholananda Vedanta Sangha, 1996

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plus apte à percevoir un côté positif à chaque évènement qui le contrarie. Il étudiera dans sa totalité la nature réelle de la cause de ce type d’évènement ce qui lui permettra d’en déceler tous les tenants et aboutissants. C’est même l’un des principaux signes de l’équilibre mental : parvenir à relativiser face à toutes les contrariétés de la vie. Swami Shraddhananda Giri conclut sa réflexion en expliquant que le comportement incohérent d’une personne déséquilibrée est lié à « un problème de l’égo, une insatisfaction, la non réalisation d’une ambition, une frustration, en quelque sorte une imputation de son identité à laquelle elle croit et est attachée »1. Nous pouvons aisément constater ici les similitudes entre l’individu déséquilibré et le perfectionniste névrosé que nous avons décrit dans la première partie. La recherche de l’équilibre serait peut-être une solution bénéfique dans les deux cas de figure.

1 - Swami Shraddhananda Giri, Extrait de la revue Message du Vedanta, Bholananda Vedanta Sangha, 1996

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L’équilibre au sens de l’être humain peut aussi être étudié de

façon plus globale à l’échelle des civilisations. C’est le principe de l’Aequus Libra, philosophie de l’équilibre, qui décrit nos civilisations par le biais de la métaphore de l’équilibriste. Pour résumer, les civilisations avanceraient sur un fil fin de longueur infinie représentant le temps. Elles doivent progresser tout en restant en équilibre sur ce fil dont l’épaisseur augmente proportionnellement à notre capacité à avancer en stabilité. Plus une civilisation a de l’appui, plus elle pourra évoluer rapidement. Elle devra néanmoins veiller à ne pas chuter d’un côté ou de l’autre du fil et donc de tomber dans les extrêmes, ce qui la mettrait en péril.

Cette vision quelque peu utopique se propose de redéfinir dans un premier temps la construction de nos sociétés en s’appuyant sur des bases saines. Il est primordial pour les partisans de l’Aequus Libra d’établir une civilisation mondiale en redéfinissant les points centraux de nos sociétés : la politique, l’économie et les relations sociales. Il est nécessaire pour cela de tisser des liens durables entre chaque nation, chaque peuple, établir une communication saine valorisant les atouts de chacun. Cette philosophie dénonce le déséquilibre mondial actuel causé par la haine, les guerres, les inégalités, un ordre où l’intérêt personnel prime sur le bien-être commun. En bref, l’Aequus Libra prône une conscience nouvelle, insistant sur le besoin pour l’espèce humaine d’accéder à un réel équilibre, indispensable pour le bien de tous.

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Pour comprendre plus en détail la notion d’équilibre, nous

pouvons encore une fois nous intéresser à la culture asiatique, plus précisément chinoise. Depuis toujours, « un » se conçoit, se vit et se construit comme « deux » dans la culture chinoise. Il y a donc une nécessité d’équilibrer ce duo qui porte le nom de Yin/Yang. Avant d’entrer dans les détails de cette conception bipolaire, il semble nécessaire de définir chaque notion. Tout d’abord, il ne faut pas aborder le Yin et le Yang comme des réalités ou comme une vision basique du bien et du mal. Ce sont des indications de mouvement, des descriptions qui n’ont de sens que relativement, l’une par rapport à l’autre. Si l’on se base sur la structure des deux termes dans l’écriture chinoise, on remarque que le sinogramme du Yang représente l’instant où le soleil est en train de gagner sur la pluie, où le temps est de plus en plus chaud et clair. Il est une invitation à sortir, une puissance active. Le sinogramme du Yin quant à lui représente le moment où des nuages porteurs de pluie sont en train de s’amasser, où il fait de plus en plus sombre et de plus en plus froid. Il est une invitation à rentrer, une douceur réceptive. Le Yin et le Yang sont des indications dynamiques, représentant des temps du changement dans le but de décrire une tendance, une propension. Le couplage des deux concepts indique un continuel processus d’actualisation, une interaction continue inhérente à tout être et toute chose.

L’énergie qui va permettre d’assurer un équilibre entre les deux notions est appelée le vide médian, métaphorisé par l’idée de souffle. Ce souffle du vide médian va entraîner le Yin et le Yang dans une

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interaction positive, une transformation constante qui sera bénéfique pour l’un comme pour l’autre. Il va instaurer un rapport harmonieux entre les deux notions. C’est une action qui s’effectue dans le temps. Métaphoriquement, si le temps est représenté par un fleuve, le vide médian est l’énergie permettant le mouvement cyclique de l’eau et donc le renouvellement de la source de ce fleuve. Dans cette vision, chaque être est habité par un souffle et marqué par un pôle plus déterminant du Yin ou du Yang. Il existe une coexistence intime et harmonieuse entre les deux, un équilibre fondé sur l’accord et non sur la juste proportion de chaque chose. François Cheng, écrivain, poète et calligraphe chinois, expose la notion du souffle du vide médian dans un de ses nombreux poèmes :

« Non l’entre-deux mais bien le Trois Souffle de vie à part entière

Qui, né du Deux mû par l’Ouvert N’aura de cesse de voir le jour

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Temps imprévu gonflé de sang Nulle autre loi qu’échange-change »1

Le vide médian est « l’entre », la transformation créatrice de laquelle jaillit l’inattendu, l’inespéré, la beauté, la vie. Dans son roman L’Eternité n’est pas de trop2, François Cheng illustre cette notion en racontant l’histoire d’amour semée d’obstacles de Dao-sheng et de Lan-ying. L’auteur expose dans cet ouvrage l’omniprésence du vide médian et la richesse qui se dégage de l’interaction entre les deux personnages. « Dans cette chambre, il y a elle, il y a moi, il y a ce qui se passe entre nous »2 déclare Dao-sheng. Le protagoniste trouve au fur et à mesure de l’avancement du livre son accomplissement dans l’acceptation du manque, de l’attente, de la maturation. Le plaisir réside dans l’équilibre entre union et séparation, ce qui apparaît entre toute chose. L’intérêt se trouve dans le parcours, dans la notion d’inconnu et d’inattendu. Le roman met aussi en exergue l’importance du dialogue et de l’interaction entre des êtres issus de cultures radicalement différentes.

1 - François Cheng, Le livre du vide médian, Albin Michel, 2004 2 - François Cheng, L’Eternité n’est pas de trop, Albin Michel, 2002

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Après avoir parcouru les différentes notions et visions de

ce qu’est l’équilibre, nous pouvons nous demander si elles sont applicables aux concepts de perfection et d’imperfection et, si oui, dans quelle mesure. On peut observer dans les arts un courant qui s’approche de cette idée : le cubisme. Initié au début du XXEME siècle par les célèbres peintres Georges Braque et Pablo Picasso, le cubisme se définit souvent par ces mots de Paul Cézanne : « Traitez la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout mis en perspective, soit que chaque côté d’un objet, d’un plan, se dirige vers un point central »1. Le respect de la perspective s’est ensuite effacé pour laisser une place plus importante à la symbolique du tableau. Plus précisément, le principe de la peinture cubiste est d’observer un sujet à partir de différents points de vue et de fusionner ces observations en une seule image. Bien que tout le monde ne soit pas en accord, nous pouvons attribuer la première peinture cubiste à Georges Braque avec Maison à l’Estaque2 représentant un village méditerranéen en vue plongeante. Le peintre s’est affranchi des proportions et de la perspective dans ce tableau afin de donner plus d’importance aux toits des maisons présentes sur son œuvre. Le cubisme est un courant qui marque un tournant significatif dans l’histoire de l’art contemporain. Les artistes cubistes révolutionnent la notion de représentation dans l’art en se libérant de la simple imitation du réel. Le but n’est plus de représenter fidèlement ce qu’ils voient mais plutôt de créer un espace pictural qui représente beaucoup plus que la réalité, que ce soit par l’affranchissement de la perspective, l’éclatement des 1 - Paul Cézanne, lettre à Émile Bernard, 15 avril 1904 2 - Georges Braque, Maison à l’Estaque, 1907

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volumes ou les jeux de couleurs. Les peintures sont donc formées d’imperfections qui permettent une compréhension plus profonde du tableau et des émotions qui lui sont liées. On peut littéralement qualifier ces œuvres de « plus-que-parfaites » dans la mesure où elles offrent plus d’éléments au spectateur que si la représentation du sujet était parfaitement fidèle. Le cubisme pourrait donc être une réponse à la question de l’équilibre entre perfection et imperfection, utilisant l’imperfection pour « parfaire » la perfection.

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Si on se réfère aux émotions liées à la perfection et

l’imperfection, on peut observer différentes réactions selon les situations. On peut éprouver un sentiment de satisfaction, de plénitude face à de l’exactitude, de la perfection. Néanmoins, on a pu voir précédemment que la recherche de la perfection pouvait engendrer un mal-être, une tension chez certains sujets. Cette contradiction existe aussi pour l’imperfection. La vue d’une imperfection peut causer un sentiment de frustration ou de manque mais elle peut aussi être ce qui va magnifier ce que l’on regarde, le point d’intérêt qui amène la beauté, le charme.

En plus de ces émotions contraires, le roboticien japonais Masahiro Mori a décelé un sentiment très particulier à la frontière entre perfection et imperfection. Au cours de ses travaux sur la robotique, il a établi une théorie scientifique qu’il a appelé la vallée dérangeante (de l’anglais uncanny valley). Après avoir réalisé plusieurs études, il a observé qu’il nous est plus agréable de voir un robot clairement artificiel qu’un robot humanoïde doté de peau, de vêtements et d’un visage proche de celui d’un être humain. Lorsqu’un robot possède une apparence telle qu’il peut provoquer la confusion avec un être humain, l’observateur va ressentir une « inquiétante étrangeté » selon la traduction par Marie Bonaparte de Sigmund Freud (unheimlich en allemand).

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Ce terme est assez difficile à qualifier car la traduction qui en est faite ne reflète pas totalement sa réelle signification. Roger Dadoun, philosophe psychanaliste, parle d’une « inquiétante familiarité », François Roustang, philosophe et hypnothérapeute, parle d’un « étrange familier ». Unheimlich est formé à partir du mot « heim » qui signifie le foyer en allemand. Il y a sans nul doute un aspect familier à ce terme. Pour résumer, cette inquiétante étrangeté est un malaise lié à quelque chose de connu, une sensation que l’on peut retrouver autour de la superstition, du pressentiment, d’un déjàvu ou encore du mauvais œil.

Masahiro Mori a donc défini une zone, se situant à la limite de la perfection, qu’il nomme vallée dérangeante. Il explique par cette vallée que les progrès qui seront fait vers l’imitation de l’être humain seront de moins en moins bien perçus (à cause de l’unheimlich) avant de recevoir une acceptation plus grande lorsqu’on aura atteint la perfection. En effet, un robot humanoïde qui se situe dans la vallée de l’étrange n’est pas appréhendé par l’observateur comme un robot mais inconsciemment jugé avec les mêmes critères par lesquels on juge l’être humain. La moindre imperfection nous paraît donc monstrueuse. Le même type de sentiment est observé face à un cadavre ou une personne gravement malade mais, s’il existe des normes sociales de comportement face à un être humain, il n’en est rien face à un robot.

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Certains scientifiques s’accordent sur l’existence d’une seconde vallée. Une fois la ressemblance atteinte, le robot peut être capable de surpasser les capacités humaines et donc tomber dans une autre vallée dérangeante. Les mêmes questions se posent aujourd’hui autour de l’homme augmenté.

On remarque bel et bien le paradoxe exposé ici : plus on s’approche de la perfection, moins le résultat est bénéfique. Seule la perfection ou l’imperfection semblent acceptables à nos yeux lorsqu’il s’agit de quelque chose de familier tel le comportement et l’apparence d’un être humain. Il ne semble pas exister dans ce cas de juste milieu admissible.

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Si nous cherchons un équilibre, il faudrait au moins que nous

soyons en présence des deux éléments en question. L’imperfection est présente partout autour de nous mais qu’en est-il de la perfection ? Lorsqu’on pose la question de savoir ce qui est concrètement parfait dans notre monde, les réponses les plus souvent citées sont : les sciences (plus particulièrement les mathématiques), la nature et la musique.

Pour ce qui est de la nature, on peut parler de perfection dans l’imperfection. Elle est imprévisible, d’une grande richesse, d’une complexité étourdissante et toutes ses composantes, aussi différentes soient-elles, se complètent pour former un tout. On peut parler de perfection de fonctionnement ou d’adaptabilité mais la nature est loin d’être parfaite. Comme nous l’avons évoqué précédemment, la nature est hasardeuse (dans le processus de reproduction par exemple), et c’est cette caractéristique qui fait sa richesse et sa beauté. L’utilisation du mot « parfait » n’est pas employée ici à bon escient. Il serait plus adapté de décrire la nature comme étonnante, impressionnante ou même merveilleuse.

Nous avons vu que la musique était soumise à la notion de style mais qu’en est-il de sa structure ? Les partitions semblent être régies par un ordre précis, basé sur l’exactitude mathématique. Il n’en est rien. Depuis Pythagore, et peut-être même bien avant, la musique telle que nous la connaissons est construite à partir des fréquences. Nous

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trouvons par exemple la note « la » à 440 battements par secondes ou 440 Hz1. Si on double cette fréquence, 880 Hz donc, on trouve encore un « la » mais une octave plus haut et ainsi de suite (1760 Hz, 3520 Hz, etc.). Si maintenant nous reprenons la fréquence du « la » à 440 Hz et qu’on la multiplie par trois, ce que l’on appelle une octave plus une quinte, les lois musicales nous indiquent la note « mi ». Il semble donc possible retrouver toutes les notes en naviguant ainsi dans les fréquences, du moins c’est ce que l’on aimerait faire. En effet, il est totalement impossible de retomber sur le même nombre, une succession de double ne sera jamais égale à une succession de triple. Il a donc fallu tricher dans la construction de notre structure musicale, de nos gammes et de nos notes. Ainsi, la musique telle que nous la connaissons aujourd’hui est intrinsèquement imparfaite et le fait même de jouer deux notes successives sur un piano par exemple donnera un résultat strictement faux. Heureusement, ces petites corrections sont difficilement perceptibles par l’oreille humaine, ce qui nous permet quand même d’apprécier la musique. Il y a tout de même aujourd’hui encore des débats sur la légitimité de la fréquence des notes. Certains estiment que régler le « la » à 432 Hz plutôt que 440 Hz rendrait les accords plus riches et agréables à l’oreille.

Pour ce qui est des sciences, nous sommes encore loin de la perfection et nous n’y parviendrons probablement jamais. Les mathématiques sont de la même nature que le concept de perfection : totalement utopiques. 1 - Hertz, unité de fréquence du système international, équivalent à un évènement par seconde.

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Il n’y a que sur le papier qu’un plus un égale deux, la réalité est autrement différente. Les sciences sont basées sur les mathématiques, offrant une exactitude nécessaires à l’établissement de lois physiques. Le souci vient du fait que rien dans le monde n’est précis ni prédictible. Par exemple, si on laisse tomber un stylo par terre, peu importe le nombre de fois que l’expérience sera répétée, il est impossible qu’il tombe deux fois au même endroit, même si les conditions de départ sont les mêmes. Il existe pourtant un modèle mathématique qui va déterminer l’emplacement de ce stylo après sa chute. Il est de la même manière impossible de déterminer le mouvement futur d’une molécule perdue dans le mouvement brownien1. Nous sommes ici face à la théorie du chaos. Henri Poincaré est un des premiers à avoir eu conscience de ce désordre. Il explique dans son livre Science et méthode2 : « Vous me demandez de vous prédire les phénomènes qui vont se produire. Si, par malheur, je connaissais les lois de ces phénomènes, je ne pourrais y arriver que par des calculs inextricables et je devrais renoncer à vous répondre ; mais, comme j’ai la chance de les ignorer, je vais vous répondre tout de suite. Et, ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que ma réponse sera juste ». Cette phrase est tout à fait d’actualité notamment en météorologie par exemple. Le moindre battement d’aile d’un papillon peut effectivement avoir des conséquences sur les courants d’air, comme toute chose sur terre. Il est donc impossible pour les météorologues de prévoir exactement

1 - Mouvement désordonné qu’effectuent des particules de dimensions inférieures à quelques micromètres en suspension dans un liquide ou un gaz. (Définition du dictionnaire Larousse) Découverte du botaniste Robert Brown en 1827. 2 - Henri Poincaré, Science et Méthode, Flammarion, 1908

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le temps qu’il fera ou à quel endroit va tomber la première goutte. Cependant, grâce à des tendances, un historique et des statistiques complexes, ils parviennent tout de même à nous donner un résultat assez satisfaisant pour savoir s’il faut prendre un parapluie ou non avant de sortir de chez nous.

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CONCLUSION

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Dans ce mémoire, nous avons montré que les ambitions de

l’être humain dépassent de loin ses propres capacités. Il se fixe par essence un objectif de perfection, inatteignable par définition. Cet appétit le pousse à se dépasser et lui donne un but, ou du moins une direction pour son développement. Il peut néanmoins se révéler néfaste pour les individus qui conçoivent cette visée comme ayant une finalité.

Cette tendance semble s’atténuer petit à petit avec l’émergence de nouvelles philosophies prônant l’irrégulier, le dissymétrique, l’imparfait comme sources de richesse et de créativité. L’attrait à la perfection tire son origine de la sélection naturelle, à laquelle nous ne sommes plus vraiment soumis aujourd’hui. Il est donc possible qu’au fil du temps, l’idéal de perfection s’efface petit à petit. Peut-être nos standards esthétiques et moraux laisseront une place à l’inattendu et prendront en compte l’importance de la différence.

Dans cette optique, l’idée d’équilibre peut être liée à une phase de transition. Aujourd’hui, le challenge de la plupart des entreprises est de créer des produits innovants. Comme nous avons pu le constater, notre monde est nécessairement imparfait. Il semble donc inapproprié de se contenter d’appliquer des démarches réglées « comme du papier à musique ». Sachant que l’imperfection amène la créativité nous pouvons poser la question suivante :

Comment intégrer l’imperfection dans une démarche de conception ?

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OUVRAGES DE REFERENCE

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Livres (*lectures partielles)

ARISTOTE (2003), Politique, livre VII, Les Belles Lettres, §10* ASTOLFI Jean-Pierre (1997), L’erreur, un outil pour enseigner, ESF* BURROUGHS Augusten (2013), This Is How : Surviving What You Think You Can’t, Picador USA* CHENG François (2002), L’Eternité n’est pas de trop, Albin Michel CHENG François (2004), Le livre du vide médian, Albin Michel DARWIN Charles (2013), On the Origin Of Species, Editions du Seuil* DE CLAPIERS Luc (2013), Marquis de Vauvenargues, Réflexions et Maximes, Vassade* DELEUZE Gilles et PARNET Claire (1977), Dialogues, Flammarion* DESCARTES

René

(2011),

Méditations

métaphysiques,

Flammarion* JEAN, première lettre de Jean, chapitre 4, verset 16* KANT Emmanuel (2010), Analytique du beau, Flammarion KOREN Leonard (2008), Wabi-Sabi for Artists, Designers, Poets & Philosophers, Imperfect Publishing* MURAKAMI Haruki (2011), Kafka sur le rivage, Place Des Editeurs PASCAL Blaise (2004), Pensées, Gallimard* PLATON (2002), République, livre V, Flammarion* POINCARE Henri (1908), Science et Méthode, Flammarion*

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philosophique/kant-jugement-esthetique-humanite+141 Dictionnaire en ligne de l’académie française. Disponible sur : http ://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/generic/form.exe ?4 ;s=3576311760 ; Dictionnaire Larousse en ligne. Disponible sur : http ://www.larousse.fr/ DUBE Julie, Le style d’écriture de l’auteur. Disponible sur : https ://lacroiseefr.wordpress.com/2010/04/07/le-styledecriture-de-lauteur/ Encyclopédie Wikipédia en ligne. Disponible sur : https ://fr.wikipedia.org/ HAGENBURG Marie, SCHMIDT Fabian et SEGUIN Béranger, L’eugénisme permet-il d’atteindre la perfection ? Disponible sur : https ://tpeperfectioneugenisme.wordpress.com/ JAVARY Cyrille J.D. et CHENG François, Le battement Yin Yang et le vide médian. Disponible sur : http ://afdt.chez-alice.fr/TCClecturesdecembre11.htm LAHOUAM Moussa, L’erreur, un passage obligé dans la maîtrise des savoirs et des connaissances. Disponible sur : http ://blogs.psychologies.com/moussa-23/didactique-15548/ maitrise-connaissances-lahouam-118106.html RAGNAUD Gilles, L’évolution. Disponible sur : http ://www.theoriedelevolution.fr/ SPIRIT OPUS, Wabi-sabi : la beauté dans l’imperfection. Disponible sur : http ://www.spiritopus.com/so/wabi-sabi-la-beaute-danslimperfection/

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TERNISIEN Nathalie, La beauté, une idée profondément culturelle. Disponible sur : http ://www.prodimarques.com/documents/gratuit/66/labeaute-une-idee-profondement-culturelle.php VILLANI Cédric, Ode à l’imperfection. Disponible sur : http ://cedricvillani.org/wp-content/uploads/2013/03/ imperfection.pdf

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Films ARONOVSKY Darren (2011), Black Swan MUCCINO Gabriele (2008), Seven Pounds NOYCE Phillip (2014), The Giver TORNATORE Giuseppe (1998), The Legend of 1900 WIMMER Kurt (2003), Equilibrium

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Autres BEGICHEV Vladimir et TCHAÏKOVSKI Piotr Ilitch (1877), Le Lac des Cygnes BRAQUE Georges (1907), Maison à l’Estaque CEZANNE Paul (15 avril 1904), lettre à Émile Bernard DE SAINT PHALLE Niki (1994), Les trois Grâces SCALA André (1995), Le rôle de l’erreur dans la relation pédagogique, Collectif de Villeneuve d’Ascq, IUFM du Nord-Pasde-Calais

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J’ai réalisé moi-même les illustrations de ce mémoire



Diplômes 2015 François-Pierre NIEDDU

Perfection / Imperfection

L’Homme est soumis quotidiennement au concept de perfection, qu’il en soit conscient ou non. Cette notion, héritage de son histoire, est intrinsèque à sa nature et s’est étendue au fil du temps dans sa culture et ses désirs. Le parfait est sujet à de multiples interprétations. Il est proche des notions de beauté, de précision ou encore d’exactitude et nourrit les ambitions humaines depuis toujours. Paradoxalement, on observe que l’imperfection est une immense source de richesse, permettant la découverte, la création, la différenciation. Cette contradiction nous servira de fil conducteur tout au long de ce mémoire. Ce sujet nous permettra d’aborder les dimensions psychologiques, sociologiques, scientifiques, culturelles et artistiques de ces concepts.

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Établissement privé d’enseignement supérieur technique www.stratecollege.fr


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