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PHOTOGRAPHIE ET RESEAUX SOCIAUX

Te r r i t o i r e d ’ e x p r e s s i o n a r t i s t i q u e ? d ’ e x p r e s s i o n c i t o y e n n e ? o u d ’ e x p r e s s i o n d e s o i ?

O L I V I E R D E P R E Z & A D O L P H O AV R I L

Collaboration entre un artiste pluri-disciplinaire et un mentalement déficient Publication de la Fédération des Centres d’Expression et de Créativité - Septembre/Octobre/Novembre 2013


SOMMAIRE 2 Edito. 3 Photographie et réseaux sociaux. Territoire d’expression artistique ? d’expresison citoyenne ? ou d’expression artistique. 8 Olivier Deprez et Adolpho Avril. Collaboration entre un artiste pluridiscipli- naire et un mentalement déficient.

EDITO

Par l’équipe permanente Rentrée scolaire, rentrée télé, rentrée politique et rentrée culturelle, imposible de passer à côté, la rentrée est partout ! Nous vous la souhaitons la plus agréable que possible, et surtout, que cette saison 2013-2014 soit à nouveau le théâtre de votre expression et de votre créativité ! En panne d’inspiration ? Envie de goûter à des langages artistiques qui vous sont inconnus ? Nous vous invitons à passer par notre site http://www.fpcec.be/leblog pour découvrir le programme des Centres d’Expression et de Créativité en Fédération Wallonie-Bruxelles. Des 100 aines d’ateliers et de stages vous attendent ! Dans ce numéro de «public a©tion», vous trouverez des réflexions sur la photo comme moyen d’expression de soi, citoyenne et artistique, et sur les duos que constituent des artistes avec des personnes porteuses d’handicap mental en abordant le rôle de l’artiste dans ce duo.

Editeur responsable : Christian Cession, Rue Godefroid 20 à 5000 Namur Ont collaboré à cette publication : Christian Cession, Maité Marcos, Jean-François Flamey Photo de couverture : Jean-François Flamey (photo prise à l’iPhone - Instagram @jf_flamey) Photos : Loïc Marcos, May Elihayu, Jérôme Bourgeois, Benjamin Edward, Aude, Nathalie Geffroy, Nazaret Sanchez, Aline Moens. Mise en page : Jean-François Flamey

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PHOTOGRAPHIE ET RESEAUX SOCIAUX Territoire d’expression artistique ? d’expression citoyenne ? ou d’expression de soi? Texte : Jean-François Flamey De nouveaux usages de la photographie sont apparus ces cinq ou six dernières années, venant bouleverser toute une logique sociale et économique autour d’une production issue de professionnels et d’amateurs, qu’elle soit purement dans le champ de la création, de l’information ou de la revendication.

Le temps photographique a changé, accéléré par une image fixe dématérialisée, nourrissant un flux continu sur internet. La démocratisation de l’acte photographique est passée par là, accompagnée par l’avènement des réseaux sociaux. Ainsi, aujourd’hui, une photo se prend avec un téléphone de type smartphone (phonéographie) pour ensuite être partagée, parfois en temps réel, sur les réseaux sociaux, les bien nommés Facebook (3500 photos postées à la seconde) et Instagram (40 millions de photos postées par jour) pour ne citer qu’eux. Il est loin le modèle photographique du 20ème siècle alors quasi exclusivement réservé aux professionnels de l’image ou aux amateurs avertis.

Dans le champ de l’information, les groupes de presse ont embrayé : nombre de photographes et éditeurs photos sont licenciés chaque jour. Les journalistes et pigistes se voient confier une mission supplémentaire, celle de ramener des images en même temps que leurs interviews et reportages. Après une quasi disparition du journalisme d’investigation, sommes-nous face à l’effet pervers d’une diffusion anarchique de la photo dont se seront bien vite emparés ceux qui pensent exclusivement en terme de retour sur investissement, au risque d’une perte de qualité iconographique de leurs contenus ? Du côté des citoyens, grâce à la conjonction smartphone, applications, réseaux sociaux, nous sommes tous et toutes devenus des éditeurs potentiels de contenu photographique et donc d’information par la simple démarche de signaler, confirmer ou infirmer un fait. Une forme de concurrence à la presse ? Le terme est volontiers provocateur mais chose certaine, et toute proportion gardée, les mêmes groupes de presse qui demandent à leurs journalistes de faire le métier supplémentaire de photographe, doivent de plus en plus admettre qu’une forme de journalisme citoyen s’est mise en place ces dernières années. Ceci dit, nous avons assez de recul aujourd’hui pour affirmer que sur les réseaux sociaux, les frontières de l’information s’effacent tandis que l’image occupe plus de place que l’écrit. Et le phénomène va probablement aller crescendo, d’autant que depuis cet

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été, Facebook permet de commenter un statut ou une photo par... une photo. Quand on sait que, à titre d’exemple, 81 commentaires à la seconde s’ajoutent sous les photos mise en ligne via Instagram, on peut parler d’un réel taux d’engagement en terme de conversation. Le flux de photos sur les réseaux sociaux se présente comme une porte d’entrée intéressante pour appréhender le sujet de l’expression mais aussi de la socialisation ; d’autant qu’il n’est pas rare que ces conversations débordent dans la vie réelle lors d’échanges verbaux dans les cercles familiaux, amicaux, professionnels. Sans vouloir prendre de raccourci, peut-on dès lors considérer que les pratiques innovantes renforcent la démocratie ou sont à même de dépasser la simple démarche d’information pour, in fine, encourager l’expression citoyenne ? L’envie est de répondre par l’affirmative même s’ il faut émettre plusieurs réserves. Tout d’abord, qui dit «pratique innovante» ne dit pas a fortiori «bonne pratique». Ensuite, aborder l’expression citoyenne requiert de s’intéresser à tout un processus de décisions et d’implications des différents acteurs que sont les institutions, les artistes, les publics. La dynamique existant autour de ces trois acteurs changera selon les niveaux de pouvoir de décision et influencera le seuil de liberté d’expression. La Belge Majo Hansotte, auteure de publications sur l’espace public contemporain et l’intelligence citoyenne, est une source de lecture chaudement recommandée sur le sujet.

Photo : Loic Marcos - Instagram @mr_l_marcos

défilent et qui se retrouvent exposées au plus grand nombre. Mais finalement, la majorité des images postées sur les réseaux sociaux le sont par des personnes pour qui, seul l’usage de l’image compte. Communicante comme jamais auparavant, elle est devenue une forme de conversation et non plus l’objet de la conversation. L’usage, parlons-en, en distinguant l’expression de soi, l’expression artistique et l’expression citoyenne. Même si ces deux types d’expression ont comme tronc commun le même canal de diffusion (ici les réseaux sociaux), elles comportent des nuances à côté des quelles on ne peut pas passer.

Autour de toutes ces photos prises par des personnes EXPRESSION DE SOI lambdas, d’aucuns se questionneront - certes sur l’avenir du métier de photographe - mais aussi sur la Inutile de souligner que cette forme est la plus couvaleur esthétique et sur la créativité qui ne sont pas rante. Elle s’apparente à la réalisation d’un biogratoujours au rendez-vous dans ce flux d’images qui phie en images. FPCEC _ 4


Photo : May Eliyahu - Instagram @mayeliyahu

Photo : Jérome Bourgeois - Instagram @djeeerome

Dans l’expression de soi, les personnes privilégieront souvent les mêmes mises en scène : photo de leur chat, de leurs pieds en éventail au bord d’une piscine à l’autre bout de la planète, pose à côté d’une célébrité ou en terrasse d’une célèbre chaîne internationale et branchée de cafés... Le résultat ne se fera pas attendre, il se mesurera en nombre de «like», de «wow», de (re)partages, telles des récompenses car il faut savoir que sur Facebook ou Instagram, la coutume veut que chacun dise du bien d’un cliché posté par un «ami». La part esthétisante de ces images, elle, sera l’oeuvre des développeurs d’applications permettant un traitement automatique de l’image (filtres vintage des années 70, couleurs saturées et contrastées, etc) afin de gommer des imperfections et donner un aspect tendance.

EXPRESSION CITOYENNE Dans une démarche d’expression citoyenne, la photographie apportera du sens et une capacité à relier des personnes d’un territoire (qu’il soit géographique, culturel, social, numérique ou autre) souvent en pleine évolution voire en pleine transition. Nous serons par exemple touchés par des photos prises par des habitants d’un quartier qui ne veulent pas de sa démolition programmée et qui se regroupent pour l’exprimer au travers d’un acte photographique. Dans ce cas de figure, l’acte photographique traduit l’attention que portent des citoyens sur leur environnement immédiat avant de le donner à voir au plus grand nombre et encourager l’interrogation ou la prise de position individuelle ou collective d’autres citoyens, de décideurs ou d’influenceurs.

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L’utilisation des réseaux sociaux sera ici susceptible d’apporter une visibilité accrue au discours photographique grâce à la viralité qui leur est propre. Bien évidemment, cette viralité sera dépendante de l’intérêt porté par la communauté des internautes sur le sujet traité. Se sentant plus ou moins concernés, ils partageront à leur tour le contenu. Facteur d’autonomie des publics à travers la prise de parole par la créativité, cette notion d’expression citoyenne est aujourd’hui imposée par les pouvoirs subsidiants aux « Centres d’Expression et de Créativité » et aux pôles d’action culturelle des « Centres culturels » qui la formalise à travers des ateliers ou de stages mais aussi la médiation culturelle (créer du lien entre les publics et l’offre culturelle). Terminons par une évidence : expression citoyenne et expression créative ou artistique sont intimement liées de par le rapport à la narration et à la réappropriation d’un acte refusé ou mal vécu - que l’on traduira en propos photographiques dans notre cas présent – mais qui s’applique bien évidemment à toute forme artistique et sous différentes manières de présenter l’oeuvre au public.

EXPRESSION ARTISTIQUE Autant les artistes photographes se créent une (indispensable) page Facebook pour faire leur autopromotion ou demander l’avis des internautes sur un travail en cours, autant ils sont très peu nombreux à s’essayer à la photographie par smartphone. C’est qu’entre un appareil réflex numérique (ou un appareil argentique) et un smartphone, le champ des possibles en termes de résultats diffère totalement. Par contre, il n’est pas rare que les artistes utilisent leur smartphone pour réaliser des traces lors d’un vernissage d’expo ou pour montrer le dernier objectif acheté. Ces clichés seront volontiers postés sur Instagram, positionnant les artistes au même niveau que n’importe quel citoyen lambda, c’est à dire dans une démarche d’expression de soi comme évoquée plus haut. Pour terminer, il est intéressant d’observer que de plus en plus d’utilisateurs, sans réel background de photographe, s’essaient à des clichés avec un haut niveau d’exigence artistique. Ne dit-on pas que chacun d’entre-nous a un artiste qui sommeille à l’intérieur ?

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Photo : Nazaret Sanchez - Instagram @nazaret

Photo : Aude - Instagram @_O2_

Photo : Benjamin Edward - Instagram @benjaminedward

Photo : Nathalie Geffroy - Instagram @Nathparis

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OLIVIER DEPREZ & ADOLPHO AVRIL Collaboration entre un artiste pluri-disciplinaire et un mentalement déficient Par : Jean-François Flamey

Dans une ancienne caserne reconvertie en institut psychiatrique, deux personnages, le Docteur A et l’infirmier O tentent de trouver la paix du sommeil, mais ils doivent d’abord lutter contre leurs angoisses d’insomniaques. Pour combattre l’insomnie, ils impriment des gravures noires, visionnent des films étranges et font du repérage pour un film intitulé «Après la mort, après la vie». Dans la caserne, rôdent les spectres… Photo : Aline Moens

Co-produit par deux Centres d’Expression et de Créativité, en l’occurence l’Atelier Graphoui & La «S» Grand Atelier, «Après la mort, après la vie» est un court-métrage d’animation réalisé sur base de plans gravés par Adolpho Avril, artiste mentalement déficient, et Olivier Deprez, artiste pluri-disciplinaire. S’il a choisi le sud de la France comme terre d’accueil, Olivier Deprez est né à Binche en 1966. A la fois écrivain et dessinateur de bandes dessinées, Olivier Deprez est également graveur sur bois, peintre et théoricien. C’est qu’Olivier Deprez ne veut pas s’enfermer dans des catégories. Membre fondateur du collectif Fréon et de sa plateforme de projets FRMK (prononcez Frémok), Olivier

Deprez attache beaucoup d’importance à l’aspect pédagogie tout en s’intéressant aux formes de contraintes dans l’art. Si FRMK est impliqué dans diverses collaborations, arrêtons-nous aujourd’hui sur celle avec le CEC La «S» Grand Atelier à Vielsam où Olivier Deprez est en résidence d’artiste. Là-bas, il est amené à travailler avec Adopho Avril vivant à l’hôpital psychiatrique de Lierneux et fréquentant La «S» Grand Atelier depuis 2003 où il pratique le dessin et la gravure. Adolpho Avril, né à Seraing en 1983, et Olivier Deprez ont débuté leur oeuvre commune «Après la vie, après la mort» en 2007. Ce qui n’était qu’au départ un récit gravé devient aujourd’hui un court-métrage d’animation grâce à la complicité du CEC Atelier Graphoui.

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Entretien avec Olivier Deprez autour de cette bien belle aventure, peu commune... FPCEC : Peux-tu nous expliquer comment est née cette collaboration à quatre mains entre Adolpho et toi ? Olivier : Le projet de créer ensemble un récit est le résultat d’une proposition de résidence artistique formulée par Anne-Françoise Rouche (ndlr directrice artistique de La «S» Grand Atelier) et adressée au collectif Frémok . Anne-Françoise Rouche a suggéré que nous passions d’abord une semaine au centre afin d’évaluer la faisabilité du projet auquel était mêlé cinq dessinateurs du collectif FRMK. C’est au cours de cette semaine d’expérimentation que j’ai rencontré Adolpho Avril. Ensuite, passer de la simple rencontre amicale à la création d’un livre gravé à quatre mains a été une tout autre et finalement assez longue et belle expérience.

Photo : Aline Moens

FPCEC : Et qui a eu l’envie de travailler la gravure sur bois comme point de départ ? Pourquoi ce support ? Olivier : Depuis l’époque surréaliste, on aime à attribuer au hasard les choix qui président à l’oeuvre. Je ne dérogerai pas à la règle. C’était en effet fortuit de rencontrer Adolpho dans l’atelier de gravure et non dans l’atelier de gravure. Tout comme il était fortuit qu’Adolpho soit assis près d’une table sur laquelle gisait une plaque de gravure sur bois vierge et quelques gouges. J’ai demandé à Adolpho s’il avait déjà pratiqué la gravure sur bois. Il m’a répondu que non et je lui ai alors demandé s’il voulait apprendre à le faire. FPCEC _ 9


C’est comme ça que ça a commencé et c’est comme ça que le support a été choisi. Bien entendu, le fait que la gravure sur bois soit devenue ma pratique quasi exclusive a joué un rôle important, mais si Adolpho avait refusé cette technique, il aurait fallu en trouver une autre. Si bien que l’on peut dire que nous avons choisi tous les deux cette technique. Adolpho connaissait la gravure sur lino qui est assez proche de la gravure sur bois. FPCEC : Partir d’un récit gravé pour aboutir à un court-métrage d’animation était quelque-chose de déterminé dès le départ du projet ou est-ce venu en cours de route ? Est-ce que vous aviez immédiatement pensé à réaliser des gravures utilisables sous forme de séquences ? Olivier : Très tôt, j’ai eu l’idée de faire un film d’animation, mais je ne savais absolument pas comment procéder n’en ayant jamais fait. Quand Adolpho et moi nous avons affronté la page blanche qui inaugure tout départ, nous avons tenté de dépasser cette blancheur en nous inventant un imaginaire commun. Pour ce faire, nous avons procédé en deux temps. Primo, nous avons visionné des films ensemble et secundo nous nous sommes photographiés et filmés en train d’errer dans l’ancienne caserne des chasseurs ardennais, lieu fantomatique à souhait. En utilisant l’outil de capture-écran et en recourant à la photocopieuse, nous avons créé un réseau de photogrammes rassemblés et punaisés sur un mur . Ces images ont servi de départ aux gravures que nous avons dessinées et gravées. Photo : Aline Moens

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Photo : Aline Moens

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A ce moment-là, la teneur du projet est devenue très cinématographique, en quelque sorte, tout se passait comme si nous étions entrés dans un projet de cinéma et non dans un projet de récit gravé ou plutôt l’un s’est substitué à l’autre. Il va de soi que les gravures étant inspirées par les photogrammes, cette influence générait des images au caractère cinématographique même si au début nous n’en avions pas pleinement conscience. Quand le projet de film a pris corps, il est devenu très clair que certaines gravures étaient toutes prêtes à se transformer en photogrammes de film d’animation. Ceci étant dit, l’expérience nous a montré que le passage de la gravure conçue pour le livre à la gravure conçue pour le film engage des procédures tout à fait autres. L’image cinématographique a finalement peu à voir avec la gravure d’origine. Le film doit trouver son autonomie (relative) esthétique tout comme le livre l’a trouvée. FPCEC : La «S» Grand Atelier est un Centre d’Expression de Créativité, cela induit la présence d’animateurs. Est-ce que tu endosses à la fois le rôle de l’artiste en résidence et celui de l’animateur où il y a t-il une troisième personne à vos côtés ? Olivier : Non, ce n’est pas mon rôle et d’ailleurs

corrigées par l’animateur. Je pense que l’artiste invité en résidence doit se concentrer sur sa tâche et faire confiance aux animateurs qui sont là pour veiller au grain. Dans le meilleur des cas, l’animateur a une place tout aussi créative. Par exemple, Fabian Dores Païs qui dirige l’atelier de gravure est devenu l’animateur du film, mais cette fois « animateur » au sens de cinéma d’animation.

La «S» Grand Atelier à Vielsam (province du Luxembourg) développe toute une série d’ateliers créatifs (arts plastiques et arts de la scène) avec des artistes mentalement déficients. Loin de toute considération compassionnelle, ces ateliers sont encadrés par une équipe de professionnels de l’art et diffusent largement les œuvres produites, dans tous les milieux culturels. «La S Grand Atelier» fonctionne comme un véritable laboratoire grâce à des résidences d’artistes contemporains basées sur des interactions entre ces artistes et les personnes porteuses d’handicap mental inscrites aux ateliers, elles mêmes considérées comme artistes «outsiders». http://www.lasgrandatelier.be

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FPCEC : On imagine que travailler avec un artiste mentalement déficient demande une attention et une énergie toute particulière ? Olivier : Travailler avec un partenaire en général demande une énergie et une attention toute particulière. Ce que je conçois très bien dans la mesure où la plupart des projets que j’ai menés ou bien que je mène actuellement sont des projets de duo (cf. Le projet du Blackbookblack mené avec l’artiste Miles O Shea, www.blackbookblack.net). FPCEC : Concrètement, sur «Après la mort, après la vie», qui fait quoi ? L’écriture, la gravure et la numérisation des plans sont-elles communes ? Olivier : Chacun fait ce qu’il peut raisonnablement faire et fait ce qu’il est raisonnable d’attendre de lui qu’il le fasse. Au début, on ne sait pas très bien qui fera quoi et puis on découvre les potentialités de chaque partenaire. Quantitativement Adolpho Avril participe à l’essentiel du projet. Les tâches plus techniques de numérisation ne nous incombent pas. Je m’occupe seul de la mise en page du livre. A propos du film, Adolpho et moi avons mis au point un procédé qui lui permet d’intervenir dans ce que l’on peut appeler techniquement « l’écriture cinématographique ». Grâce à un appareil photo mis à disposition par le centre, Adolpho peut prendre des photographies dans l’ancienne caserne et ces photographies deviennent le départ de plans à filmer.

Photo : Aline Moens

Collectif de cinéastes, atelier de production audiovisuelle et Centre d’Expression et de Créativité reconnu par la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’Atelier Graphoui - basé à Saint-Gilles / Bruxelles - est un véritable laboratoire de sons et images actif dans la production et la formation depuis 1979. Partant de sa pratique du cinéma d’animation, l’Atelier Graphoui développe un travail de réalisation, de production et de réflexion sur le langage audiovisuel. Film d’animation, documentaire, documents audio phoniques, installations vidéo, film expérimental : l’Atelier Graphoui soutient des créations audiovisuelles où les frontières entre fond, forme et genres sont remises en question, où le langage est exploré et travaillé de manière atypique/innovante. http://www.graphoui.org

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FPCEC : Dans notre secteur des CEC, on parle « d’oeuvres » des participants. Est que ce terme te semble adéquat dans le cas d’une collaboration avec une personne mentalement déficiente ? Et pourquoi pas ? Je ne vois pas bien en vertu de quels critères on pourrait empêcher de parler d’oeuvres dans ce domaine. Il y a de bonnes oeuvres et de moins bonnes, des oeuvres qui « fonctionnent » et qui ne « fonctionnent pas », des oeuvres qui « parlent » et d’autres pas, qui séduisent ou pas, qui procurent des émotions ou pas, etc. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, le regardeur (entr’autre instance de légitimation) fait le tableau comme disait Duchamp. FPCEC : Une date de parution ? Janvier 2014.

Adolpho réside au centre hospitalier psychiatrique «L’Accueil» à Lierneux. Il participe aux ateliers peinture du CEC La Hesse depuis 2003 «Enfance chahutée, marquée par la souffrance». Voilà avec quel bagage Adolpho Avril a débarqué dans les ateliers du CEC en 2003, à peine sorti de l’adolescence. Adolpho présente à la fois la légèreté et la fraîcheur du jeune homme mais aussi une désillusion profonde que guette le désespoir. Tel une comète, il est apparu dans l’univers de l’atelier en éclairant de sa gentillesse et de sa spontanéité l’espace de la créativité, mais toujours sur le fil du couteau, il peut rapidement basculer dans l’angoisse et l’agitation brutale. Autant dire que l’acte créatif prend chez lui toute sa puissance vitale. Ses œuvres traduisent parfaitement cette oscillation permanente entre déchirure et envol imaginaire» Anne-Françoise Rouche

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Une dernière question s’impose tout naturellement, celle des enjeux d’un tel projet. Anne-Françoise Rouche, directrice artistique du Centre d’Expression et de Créativité La «S» Grand Atelier : Les principaux enjeux sont tout d’abord l’émancipation sociale par l’art: une forme de reconnaissance, de valorisation des compétences de l’artiste en situation d’handicap mental et avant ça une construction identitaire... Ensuite, et c’est lié, il s’agit de montrer que les pratiques mixtes peuvent créer des œuvres d’art complexes qui relancent le sens même de ce que peut être l’art aujourd’hui. Les pratiques artistiques mixtes innovent et questionnent l’art outsider tout autant que l’art contemporain ! Ensuite, il est question ici de pouvoir trouver aux artistes de La «S» Grand Atelier une place au sein des réseaux d’art contemporain en tant qu’artistes actuels et non pas exclusivement placés dans des catégories d’art ghettoïsées et stigmatisantes (car ce sont des catégories ethnologiques et non esthétiques). Il y a donc aussi un enjeu institutionnel de reconnaissance de ces pratiques, pas d’art sans institution artistique… Enfin ce genre de projet contribue à faire évoluer les représentations mentales du handicap et favorisent une acceptation de la différence auprès des spectateurs et à postériori du grand public…(c’est en tout cas mon vœu le plus cher !) FPCEC _ 15


LA CARTOGRAPHIE DES CENTRES D’EXPRESSION ET DE CREATIVITE DISPONIBLE SUR WWW.FPCEC.BE/LEBLOG

Une publication de la Fédération Pluraliste des Centres d’Expression et de Créativité Rue Godefroid 20, 5000 Namur - 081/ 65 79 99 - info@fpcec.be - www.fpcec.be/leblog Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Service de la créativité et des pratiques artistiques)


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