Formules n° 11

Page 54

RHÉTORIQUE

De façon similaire, les fiches confectionnées par Leiris collationnent les mots censés posséder une résonance, des virtualités d’association. Là aussi, le travail d’écriture consiste essentiellement à tisser des rapports, à user de la remémoration selon la tradition aristotélicienne. Il s’agit bien d’une « course à laquelle me provoquent des images toujours à ressaisir et à recomposer » [FI 654], course d’orientation puisqu’au moment où Leiris entame la rédaction du chapitre, sa structure est déjà en gros déterminée par le jalonnement d’un itinéraire balisé par ces fiches qui constituent le corpus à relier. Il ne reste plus qu’à construire « pièce à pièce » [BI 271] une mécanique subtile et de grande ampleur destinée à remonter le temps. Fourbis (et en particulier « Perséphone ») recense ces automates, ces générateurs à trouver (le piano mécanique, etc.) Qu’un noyau phonétique se découvre fissile (comme cet oto qui se décline en Journal l’Auto, marque d’auto, jeu de loto…) et la fuite du sens et du temps circule dans les canaux bien balisés d’une machine rhétorique absolue, d’un mobile mû par la vapeur analogique qui s’échappe. Ainsi, les reliefs du souvenir rendent-ils les chemins du mnémoniste inégaux. À ceci près que lorsque Leiris semble partir en roue libre — ce qui avait tant dérouté Queneau, premier lecteur de Biffures —, Roubaud décrit et justifie toujours avec grand soin (même lorsque cela semble dérisoire) les itinéraires, les protocoles, la manière de « tirer les ficelles » : chaque fois qu’une insertion est annoncée dans la prose, un fil de couleur partirait qui rejoindrait (pas nécessairement par le bas d’ailleurs) le point de texte appelé par l’insertion. Il y aurait des fils de couleurs différentes [GIL 40].

Dans tous les cas, le parcours rhétorique prend les couleurs d’un jeu : Leiris évoque ainsi « la mère l’Oye de [s]a mémoire » [BI 240], tandis que la comparaison revient sous la plume de Roubaud : « le jeu de l’oie ou un Monopoly » [GIL 325]. Ainsi La Règle du Jeu comme Le Grand Incendie de Londres font-ils la part belle à des écritures fortement hypertextuelles, qui produisent un liant, une justification rétrospective de l’œuvre. La constitution progressive d’un art de la mémoire où la citation tient un rôle mnémonique décisif se révèle terriblement efficace. D’où cet incessant métadiscours leirisien embrassant les œuvres précédentes et les nombreuses citations et autocitations qui émaillent le texte de Roubaud. Poésie : , par exemple, est aussi une anthologie : 95 poèmes y figurent dont 39… de Jacques Roubaud. Subrepticement, on fait entrer écriture et lectures d’autres œuvres dans le cercle unifiant et magique de l’Œuvre. 52

LivreF11.indb 52

08/05/2007 10:06:53


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.