mémoire

Page 17

Nous verrons d’ailleurs plus tard, que si libre appropriation de l’interstice il y a, la plupart de ces manifestations et de ces phénomènes se font selon un très grand respect de la nature. Il semblerait que ces interstices, ces brèches de la ville si chères aux individus, soient réellement comprises et perçues comme des terrains de plus en plus rares, à sauvegarder. Dans cette optique se rejoignent les idées de l’IFLA, l’International Foundation of Landscape Architecture, qui assimile les friches industrielles à un paysage en danger, ce que soutient également Gilles Clément qui apporte un soin tout particulier au rôle de sauvegarde des espaces délaissés, critiquant ouvertement ces modes d’anthropisation des espaces, tout droit hérités du capitalisme. Avec les logiques capitalistes qui effacent et brouillent la lecture de la ville, il importe de considérer le potentiel de l’interstice urbain afin de tenter de re-subjectiver la ville, afin de se la réapproprier. Nous l’avons compris, l’interstice urbain concentre nombre de forces : géométriques, anthropologiques, politiques, collectives, sociales, etc. L’interstice est bel et bien un espace à s’approprier, il peut devenir le lieu de désapprentissage des usages assujettis au capitalisme, le lieu de tous les possibles.

LIEU DU POSSIBLE L’interstice ne représente pas uniquement une brèche physique dans le tissu urbain de la ville, mais il déchire l’image performante que la ville se fait d’elle-même : c’est l’espace d’entredeux où les possibilités sont accessibles. L’interstice ouvre littéralement des perspectives pour tout ce que la ville a désinvesti comme les friches urbaines, ou simplement pour ce que la ville ne parvient plus à intégrer comme les mobilités transculturelles. La société par ailleurs ne coïncide jamais parfaitement avec elle-même, laissant en arrière-plan nombre d’hypothèses non encore investies, nombre de socialités ou de citoyennetés capables finalement de susciter les expérimentations les plus ambitieuses : les interstices sont bien présents pour nous le rappeler. La force de l’expérience interstitielle réside d’ailleurs dans les processus qu’elle amorce : son existence, son devenir et sa montée en puissance se justifient et s’autoalimentent par l’intensité vécue et éprouvée de ses expérimentations. En ce sens, « l’interstice représente la parfaite métaphore de ce que peut être le mouvement de l’antagonisme et de la contradiction dans la ville postfordiste : un mouvement qui s’affirme au fur et à mesure de ce qu’il expérimente, qui monte en intensité grâce aux modalités de vie et de désir qu’il libère, qui s’oppose à la hauteur de ce qu’il est susceptible d’inventer et de créer »14. En effet, les interstices et les expérimentations urbaines qu’ils suscitent ne sont pas à sous-estimer, car même si ces phénomènes à première vue semblent mineurs ou minoritaires, ils n’en représentent pas moins une portée constituante et florissante comme le prédisait Michel de Certeau. Nous incitant en 1990 à travers son ouvrage L’invention du Quotidien 15 à renverser et déplacer notre regard sur la société, l’auteur nous dévoile l’idée d’une société d’ontologies multiples. En effet, la société dans laquelle nous vivons présente des développements largement visibles et identifiables, des développements englobants et majeurs. Mais celle-ci se compose également d’une multiplicité de devenirs tout juste ébauchés, encore à l’état de fragments, que nous rapprocherons bien évidement des interstices et de leurs expérimentations.

14- Pascal-Nicolas Le Strat, « Multiplicité interstitielle », Agir Urbain, dans Multitudes, Éditions Multitudes, 2007/4 (n°31). 15- Michel de Certeau, l’Invention du quotidien, I : Arts de faire, Folio essais n°146, éd. établie et présentée par Luce Giard, Paris, Gallimard, 1990 (1re éd. 1980).

18


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.