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Nous pouvons donc retenir de Merleau-Ponty que le lieu interstitiel ne s’inscrit donc pas uniquement dans un espace géométrique, euclidien, mais également dans un espace subjectif, fondé et déterminé par le corps propre. Mais si la phénoménologie nous propose une approche du spatial non pas quantitative mais en fonction de la perception, capable d’établir le caractère sui generis de l’espace subjectif à l’égard de l’espace objectif, l’anthropologie pour sa part propose une approche de l’espace à travers des notions plus sociales, celles d’un espace non plus uniquement perçu mais également vécu.

ESPACE SOCIAL De son côté Marc Augé propose une définition du lieu comme espace vécu par un corps. Ce même corps est dans son ouvrage Non-Lieux métaphoriquement exprimé comme un espace lui-même. En effet, avant de nous livrer une interprétation anthropologique de l’espace, l’auteur propose une métaphore et une comparaison du corps humain comme un espace de frontières, de centres vitaux, un espace composite et hiérarchisé qui peut être investi de l’extérieur. Ces frontières physiques, ses centres et sa composition sont à mettre en relation avec sa lecture de la ville et des lieux. Mais si par cette figure de style le corps peut se rapprocher de l’espace dans sa composition matérielle, Marc Augé cherche avant tout à mettre en avant la manière dont le corps vit cet espace. C’est ainsi qu’il introduit une de ses visions du lieu, la vision sociale qu’il définit comme anthropologique. En effet, revenant aux principes géométriques de l’espace, son interprétation sociologique de ces lois cartésiennes rapprochent la ligne, l’intersection des lignes et le point d’intersection au paysage spatial de la ville vécue quotidiennement : les axes et les itinéraires, les chemins qui relient les lieux les uns aux autres, les carrefours, les places. Tant de lieux qui finalement sont ceux des échanges, lieux où se croisent, vivent et s’organisent les individus. Depuis ces propriétés géométriques découlent donc les propriétés sociales et collectives du lieu, compris comme un espace vécu. Il est vrai que la compréhension du lieu et de l’espace passe par la perception que nous en avons, mais avant tout l’être humain vit et occupe l’espace au sein d’une société, espace qui de ce fait devient irrémédiablement espace social. Vivre un espace, vivre la ville, c’est vivre ensemble, c’est s’organiser, c’est exister à travers l’identité et la relation. La constitution de lieux et l’organisation de l’espace au sein d’un même groupe social représentent les enjeux et les modalités des pratiques individuelles et collectives. En effet, l’individu (ou les collectivités constituées de groupe d’individus) a simultanément besoin de penser l’identité et la relation, il vit un espace dans lequel il a besoin de s’inscrire, c’est pourquoi la notion d’ « espace anthropologique » est apparue. Les lieux sont finalement, pour les individus qui les vivent, « identitaires, relationnels et historiques »5, c’est pourquoi nous pouvons également assigner une notion anthropologique à la définition de l’espace. En effet, nous comprenons bien que le lieu anthropologique représente une construction concrète et symbolique de l’espace à laquelle se réfère tout individu à qui elle assigne une place, et le lieu interstitiel serait donc principe de sens pour celui qui l’habite : l’habitant de l’interstice comme lieu anthropologique s’inscrit donc dans une société de relations, il investit un lieu dans lequel se définit son identité, il vit dans l’histoire. 5- Marc Augé, Non-Lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, La Librairie du XXe siècle, Édition du Seuil, Avril 1992, p. 69.

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