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Une seule difficulté peut faire basculer dans la précarité

Dossier

Plus de 2 millions de Belges

présentent un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale

Quelques chiffres...

14,1 % des Belges connaissaient en 2020 un risque de pauvreté. Des disparités régionales existent : en Flandre, 9,3 % de la population courent un risque accru de pauvreté contre 18,2 % en Wallonie. Le chiffre pour la Région de Bruxelles-Capitale (27,8 %) semble plus élevé que pour les autres Régions « mais l’échantillon est trop petit pour fournir des chiffres fiables », indique le service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, dans son rapport sur la pauvreté en Belgique (juillet 2021).

Ce chiffre, bien que gros, se limite uniquement au critère monétaire, qui n’est qu’un des aspect du calcul réel de ce risque. Dans les faits, beaucoup plus de nos concitoyens sont « à risque » de sombrer dans la précarité.

Trois indicateurs sont utilisés pour en faire le calcul. Pris ensemble, ils constituent l’indicateur européen de la pauvreté dit « risque de pauvreté ou exclusion sociale » :

• risque de pauvreté sur la base du revenu,

• situation de privation matérielle grave*,

• ménages à très faible intensité de travail. Cet indicateur, pour la Belgique, s’élève à 18,9 %. Il s’agit des personnes confrontées à au moins une des trois situations visées ci-dessus. Cela concerne 2.152.000 personnes. Plus de la moitié d’entre eux (1.408.000) étaient à risque selon un seul des trois sous-indicateurs, tandis que 174.000 Belges (1,5 % de la population) combinaient les trois.

Et ceux qui sont « limite »

À ce groupe s’ajoutent bon nombre de travailleurs et travailleuses qui ne sont pas (encore) dans une situation de pauvreté. Une classe moyenne que les statistiques disent « inférieure ». Un groupe qui touche un salaire insuffisant pour mener une vie décente, et qui est toujours « aux portes » de la précarité. Au moindre coup dur, ou à la moindre charge imprévue, tout peut basculer. Ainsi, 4,2 % des travailleurs actifs étaient dans cette situation en 2020 (source Statbel). Ce chiffre augmente en cas de travail à temps partiel, statut précaire, ou encore dans les familles monoparentales avec enfants dépendants (jusqu’à 29 %). Voici quelques jours, la Confédération européenne des syndicats (CES) publiait le chiffre suivant : 8,4 % de ces « travailleurs pauvres », dans notre pays, ne peuvent plus aujourd’hui, se permettre d’allumer le chauffage.

Le sociologue Geert Schuermans a écrit un livre sur ce thème, au contact de ces travailleurs et travailleuses pauvres, ou presque. Vous en lirez plus dans ce dossier.

* Les personnes sont « en situation de privation matérielle grave » lorsqu’elles sont confrontées à au moins 4 des 9 situations suivantes. Ne pas être en mesure : 1. de payer un loyer ou des factures courantes / 2. de chauffer correctement son domicile / 3. de faire face à des dépenses imprévues / 4. de consommer de la viande, du poisson ou un équivalent de protéines tous les deux jours / 5. de s’offrir une semaine de vacances en dehors du domicile / 6. de posséder une voiture personnelle / 7. de posséder un lave-linge / 8. de posséder un téléviseur couleur / 9. de posséder un téléphone.

Dossier 16 Une insécurité permanente peut réellement briser les gens N° 8 • Septembre 2021

En Belgique, la classe moyenne dite « inférieure » représente environ deux millions de personnes. De qui parle-t-on ? Ce sont les personnes qui ne sont « au bord » de la pauvreté. Qui peuvent basculer au moindre pépin. Une voiture qui tombe en panne, ou une maladie… Le sociologue Geert Schuermans a écrit un livre sur le sujet.

La classe moyenne inférieure, c’est qui exactement ? Selon une étude du groupe de réflexion Minerva, ce sont les ménages ayant un revenu net disponible qui se situe entre 60 et 80 % du revenu médian. Le revenu médian correspondant au revenu situé juste au milieu de la répartition des revenus. La moitié des travailleurs exactement gagne plus, l’autre gagne moins. Le revenu médian donne une bien meilleure idée de la réalité que le revenu moyen, ce dernier étant nettement plus soumis aux « extrêmes ».

Aujourd’hui, le revenu médian net en Belgique se situe grosso modo à 2.100 €. On parle d’une classe moyenne inférieure en cas de revenu net disponible entre 1.250 et 1.700 € nets. Il s’agit d’une approximation qui doit légèrement être corrigée vers le haut selon la situation du ménage. Si l’on y ajoute les personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté, ce groupe constitue 34 % de la population belge. Un tiers.

Vous avez travaillé de près avec les personnes de ce groupe-cible…

Tout à fait. Je travaille depuis plus de 10 ans déjà pour des organisations de lutte contre la pauvreté. Pour mon dernier livre, je suis resté pendant un an dans une antenne de l’asbl « Samenlevingsopbouw » à Deurne, essentiellement pour y observer la situation. De nombreuses personnes que j’y ai vues n’étaient pas réellement pauvres, mais certainement pas riches non plus. C’est avec ces personnes que j’ai pu avoir les discussions les plus intéressantes, parce que très souvent, elles ne partageaient pas mes idées. Cela m’a sorti de ma bulle.

Puis il y a eu cette étude du groupe de réflexion Minerva : « Un nouveau public fragile. Les classes de revenus inférieures en Belgique ». J’ai voulu illustrer la vie de ces personnes. L’asbl « Samenlevingsopbouw » et des syndicalistes m’ont mis en contact avec cinq familles. Pendant un an, tous les mois, j’ai voulu les rencontrer pour discuter, pas seulement de questions d’argent, mais plus largement de leur vie de famille, des enfants, de leur travail. Je voulais non seulement évoquer les problèmes, mais aussi parler de ce qui allait bien. Car ce n’est pas parce que vous flirtez avec le seuil de pauvreté qu’absolument tout est sombre dans votre vie. Je parle donc de Sofie, qui a un diplôme d’assistance médicale et qui ne parvient pas à trouver un emploi stable. Je parle aussi d’Eliza, mère de trois garçons qui, depuis son divorce il y a quelques années, s’en sort tout juste. Puis de la situation de Koen, père de trois enfants, plus deux beaux-enfants, qui fait des petits boulots comme indépendant et se demande si en ces temps de Corona, les clients le laisseront encore entrer chez eux. Et de celle d’Amin, qui est arrivé dans notre pays en 2015 et qui donnait cours en primaire au Maroc, qui est en bonne voie pour obtenir chez nous un diplôme dans le social. J’évoque encore la vie de Kurt, un ouvrier qui fait tous les jours la navette entre Houthulst et Melle, et celle de Cindy, qui travaillait comme femme de ménage et qui est maintenant depuis un petit temps chez elle, en arrêt maladie.

Est-ce que le Corona a changé quelque chose au niveau de votre travail ?

Oui et non. Bien sûr, les contacts sont plus difficiles quand on ne peut pas communiquer avec la personne en face. De façon numérique, créer une connexion est évidemment moins évident. Je n’ai toutefois pas l’impression que le Coronavirus ait créé beaucoup de nouveaux problèmes. Au contraire, il a plutôt fait revenir à la surface des problèmes qui existaient déjà.

Dans notre journal Syndicats, nous avons précédemment écrit que le Coronavirus était un virus de l’inégalité.

Cela s’est vu aux mesures qui ont été prises. De nombreuses personnes ont été oubliées. Bien souvent, ceux qui s’en sortaient déjà pas mal ont encore été soutenus. J’étais chez Kurt quand on a annoncé le confinement en mars 2020. Il était vraiment indigné. « Ceux qui travaillent sur PC, eux, ils pourront travailler de chez eux ». Kurt travaille dans une imprimerie, comme aide aux machines. Et pour ces personnes-là, des conditions de travail saines ne semblaient pas prioritaires. Aujourd’hui, il est souvent question de privilèges quand on parle du racisme ou de discrimination ou encore des questions de genre, mais ce qui est tout aussi important, voire plus encore, c’est le privilège socio-économique. C’est un point qui n’est pas assez souvent pris en compte dans le débat. La situation actuelle devrait être une opportunité pour les partis politiques de gauche de capter cet élément et d’en faire une plus-value.

Le Coronavirus a fait remonter à la surface des problèmes qui existaient déjà.

En quoi les différents confinements ont touché le public plus précaire ?

Ce qui était surtout frappant, c’était l’insécurité. Les personnes qui avaient déjà peu de protection sociale, en raison de leur statut précaire par exemple, ont vu ce peu de protection disparaître. Comme pour Amin, qui travaillait comme étudiant dans un petit supermarché. Bien sûr, il y avait le chômage temporaire, mais beaucoup d’entre eux n’y ont pas eu droit. Sofie a près de 40 ans et de toute sa carrière, elle n’a jamais eu de contrat fixe. On dit que l’intérim est un tremplin vers un contrat fixe. Mais c’est souvent faux. Et donc, ce confinement décidé en mars 2020, a eu d’énormes implications.

Quand les fins de mois sont systématiquement difficiles, comment les gens le vivent-ils ?

Une des personnes de mon livre est finalement vraiment tombée en dépression. C’est difficile de pointer une cause en particulier en cas de problèmes de santé mentale. Mais ces situations d’incertitude et d’insécurité, ça mine vraiment le moral des gens. C’est source de gros problèmes psychiques et finalement aussi physiques.

Un seul coup dur suffit pour que les gens se retrouvent au bord du gouffre.

À un moment donné, la voiture de Kurt est tombée en panne. Ennuyeux quand on en a besoin tous les jours pour se rendre au travail. Comme il s’entendait bien avec son patron, il a pu emprunter la camionnette du boulot, le temps des réparations. Mais ce genre de « petit pépin » peut facilement vous faire basculer. Si vous faites partie de la classe moyenne supérieure et que ça vous arrive, ce n’est évidemment pas agréable, mais vous avez en général l’argent, les connaissances ou les connexions nécessaires pour faire face à de telles situations. Mais quand vous n’avez ni argent, ni connaissances, ni réseau sur qui retomber, la situation prend une tout autre tournure. Les risques sont directement nettement plus concrets.

Ce que je remarque chez les gens que j’ai suivis pendant un an, c’est que tous fournissent une réelle contribution à la société. Pourtant, ils sont peu payés et peu valorisés, socialement parlant.

Qui a laissé tomber ces gens ?

Le monde politique, toutes tendances confondues. Mais aussi le monde académique ou les faiseurs d’opinion. Pour moi, le monde académique, malgré toutes ses bonnes intentions, pose généralement les mauvaises questions. On parle beaucoup trop de croissance économique. Il en faudrait « toujours plus ». Il faudrait peut-être se demander comment ce groupe de la classe moyenne inférieure et des personnes pauvres — qui ensemble représentent quand même un tiers de la population ! — pourraient être aidé. Pour que ceux qui sont à la traîne puissent être « raccrochés », et être de la partie.

Ça fait déjà 30 ans que ce groupe est laissé pour compte. Un exemple, le logement. Pas d’accès à la propriété. Loyers impayables. Maisons sociales difficiles d’accès. Ces personnes sont donc toujours les victimes de la politique qui est menée. Est-ce dès lors si étonnant qu’elles finissent, à un moment ou l’autre, par craquer ? Comment la politique pourrait-elle faire en sorte qu’elles puissent remonter la pente ?

Autre exemple : le débat sur le climat et la durabilité. Si un tiers de la population ne suit pas le mouvement, jamais on ne pourra mettre en œuvre une bonne politique climatique. Les publics précarisés sont évidemment conscients du problème climatique, mais ils n’ont pas la marge pour en supporter la charge. Ils contribuent moins au changement climatique, mais ils en subiront en premier les conséquences. Et en plus, ils devraient en supporter les coûts. C’est une situation classique illustrant l’effet « Matthieu » : les classes moins nanties ne profitent pas des avantages et supportent les charges les plus lourdes.

La gauche et les syndicats doivent remettre à l’agenda politique le terme de « classe », ils doivent oser se profiler à gauche, sans avoir honte. Il faut de nouveau montrer aux gens que ce n’est pas une question de choix individuels. Les personnes dont je parle dans mon livre sont fortes, plus fortes que moi. Les structures sociales sont toutefois faites de telle façon que ce sont toujours les mêmes qui gagnent et les mêmes qui perdent. C’est un point qu’il faut changer. Fini le moralisme dans tous les domaines. En utilisant le terme de « classe », on commence à repenser en termes de collectivité.

Dossier 18 Quand les prix flambent Précarité énergétique N° 8 • Septembre 2021

En Belgique, on l’a vu par ailleurs, la précarité énergétique est une réalité. Avec l’hiver qui arrive, elle devient une urgence sociale.

Ces derniers mois, les prix ont connu une augmentation importante sur les marchés de gros de l’électricité et du gaz naturel. Cela se répercute évidemment sur les prix des offres des fournisseurs d’énergie de notre pays.

Prix moyen des offres tarifaires des fournisseurs en Belgique 08.2019 08.2020 08.2021

Électricité 3.500 kWh/an 891 € 814 € 1.014 €

Gaz naturel 23.260 kWh/an (source : CREG) 1.031 € 825 € 1.609 €

Hausse des prix de l’énergie : que s’est-il passé ?

• Pour le gaz : la demande de gaz élevée en Asie y fait monter les prix, avec comme conséquence directe une diminution de l’approvisionnement en Europe. La diminution de l’offre s’explique aussi par une demande de gaz plus élevée que les autres années en Europe, ainsi que des niveaux de stockage qui restent en-deçà des niveaux habituels. De plus, des travaux de maintenance de certaines installations gazières durant l’été ainsi que divers incidents ont également réduit l’offre. Enfin, l’augmentation du prix du CO2 en Europe a eu tendance à faire augmenter, ces derniers mois, la demande de gaz naturel (au détriment du charbon devenu moins compétitif) .

• Pour l’électricité : la reprise de l’activité économique (en 2020 les prix étaient assez bas à cause de la crise Covid), une faible production d’électricité d’origine éolienne ces derniers mois en raison des conditions météorologiques, différents travaux de maintenance au niveau des centrales et une hausse de la production d’électricité à partir du gaz naturel et du charbon dans un contexte d’augmentation des prix du gaz, du charbon et du CO2.

Selon la CREG, cette hausse devrait se poursuivre dans les mois à venir. Mais jusque quand ?

Contrats fixes, contrats variables

Qui est concerné ? La hausse des prix sur les marchés de gros n’a pas d’impact sur la facture de décompte des ménages disposant d’un contrat à prix fixe, qui n’est pas arrivé à échéance. Si vous avez signé un contrat à prix fixe avant la hausse des prix (par exemple, en 2020 quand les prix étaient bas) : ne changez surtout rien !

Pour les ménages disposant d’un contrat à prix fixe qui arrive à échéance, et qui souhaitent maintenir un contrat à prix fixe, la CREG conseille de bien comparer les offres des fournisseurs sur les sites de comparaison des prix en ligne labellisés par la CREG ou sur les sites de comparaison des prix des régulateurs régionaux .

J Comparer les prix : www.creg.be/fr/consommateurs/prixet-tarifs/comparaison-des-prix-delelectricite-et-du-gaz-naturel

Pour les consommateurs avec des contrats variables (35 % des consommateurs pour l’électricité et 45 % pour le gaz), l’impact est plus grand. L’impact sur la facture de décompte des ménages disposant d’un contrat d’électricité à prix variable sera en moyenne de 49 € si on compare les prix d’août 2021 avec les prix d’août 2019 (une année considérée comme « normale »). L’impact est plus élevé si l’on compare l’année 2020 étant donné les prix exceptionnellement bas à la suite de la crise sanitaire (+ 70 €). Pour la facture de

décompte de gaz naturel, l’impact annuel moyen est de 84 € si l’on compare les prix du mois d’août 2021 avec les prix du mois d’août 2019 (+ 111 € par rapport à août 2020).

L’impact de la hausse des prix sur la facture annuelle des ménages avec un contrat à prix variable est cependant pondéré par le jeu des saisons, surtout pour le gaz naturel (la consommation de gaz est moins grande au printemps et en été qu’en automne ou en hiver). Ainsi la hausse des prix observée aux deuxième et troisième trimestres n’impactera « que » 17 % de la composante énergie de la facture annuelle de gaz naturel des ménages et 44 % de la composante énergie de la facture annuelle d’électricité des ménages.

Toutefois, la CREG note également que si la hausse se poursuit en automne et en hiver, l’impact sur la facture de décompte sera (nettement) plus important.

Tarifs sociaux

Début 2021, le gouvernement a décidé d’élargir temporairement le groupe des bénéficiaires du tarifs social aux bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM*) — de février à décembre 2021 — afin d’atténuer les effets de crise du Covid sur le budget des ménages. En Belgique, avant la crise, environ 488.000 ménages bénéficiaient de ce tarif réduit. Après l’élargissement du groupe de bénéficiaires, ce nombre est passé à environ 1.000.000.

Le maintien de la politique de tarifs sociaux en vigueur est primordial. Ils permettent aux ménages les plus fragilisés de bénéficier des prix les plus bas du marché. Il est également important de travailler sur la qualité du logement afin de réduire les dépenses énergétiques des ménages.

Garantir l’accès à l’énergie

L’accès à l’énergie est un bien de première nécessité qui doit être garanti. Aucun salaire, aucune allocation sociale ne devrait être en-dessous du seuil de pauvreté. Assurer un revenu suffisant à toutes et tous, c’est aussi lutter contre la précarité énergétique.

Mais il est temps également d’agir structurellement pour mieux contrôler les prix de l’énergie. La baisse de la TVA à 6 % sur le gaz et l’électricité reste la priorité pour la FGTB. La libéralisation du secteur de l’énergie est un échec. Les leçons de cet échec doivent être tirées. Il est temps d’oser ouvrir le débat sur la reprise de contrôle, par les pouvoirs publics, du secteur énergétique.

* BIM : personnes qui perçoivent certaines allocations sociales (RIS, Grapa, allocation pour personne handicapée, ...). La plupart de ces personnes disposent déjà du droit au tarif social ; + personnes dont les revenus sont inférieurs à un certain plafond ( ± 20.000 €/an par titulaire + 3.700 €/an par personne à charge).

La campagne pour Fight for 14 continue

La campagne de la FGTB pour un salaire minimum de 14 € brut de l’heure se poursuit sans relâche. Comme vous le lisez dans ces pages : avoir un emploi en 2021 n’est plus une garantie contre la pauvreté. Dans de nombreux secteurs, le salaire minimum brut oscille autour de 10 € de l’heure. Soit un peu plus de 1.600 € par mois. Les recherches montrent que 14 €de l’heure — ou 2.300 € par mois — sont nécessaires pour mener une vie décente.

Dossier 20 Les bonus grimpent et renforcent les La probabilité de recevoir une rémunération au rendement augmente clairement avec les revenus. N° 8 • Septembre 2021

inégalités salariales

L’Institut syndical européen (ETUI) publiait récemment ses conclusions quant à la part toujours croissante des « bonus » dans le paiement des salaires. De quoi parle-t-on ? Il s’agit de la rémunération au rendement, soit d’un salaire qui va dépendre, comme son nom l’indique, de la productivité du travailleur.

L’étude est menée par Wouter Zwysen, chercheur à l’ETUI. Il indique que la part de travailleurs et travailleuses soumis à la rémunération au rendement a largement augmenté ces 20 dernières années. De 1 sur 5 au début des années 2000, l’on passait à 1 sur 3 en 2015. Un chiffre qui ne fait qu’augmenter, compte tenu du fait que les secteurs hautement technologiques et/ou liés aux échanges commerciaux sont les plus propices à ce type de rémunération.

Inégalités accrues entre hommes et femmes

Cette augmentation de l’utilisation des « bonus » contribue non seulement à l’inégalité salariale entre collègues, mais aussi à des inégalités structurelles telles que l’augmentation de l’écart salarial entre les hommes et les femmes, poursuit l’Institut syndical européen (ETUI). L’étude révèle ainsi que ces bonus sont principalement accordés aux travailleurs et travailleuses les plus qualifié·e·s, à temps plein. Au détriment de celles et ceux qui travaillent à temps partiel (32 heures ou moins) ou sous contrat temporaire. Au final, les premiers peuvent gagner 7 à 9 % de plus que leurs collègues, pourtant à des positions similaires. Par ailleurs, les chiffres démontrent que les femmes sont moins souvent que leurs collègues masculins payées au rendement.

Signalons également que le système des bonus va le plus souvent de pair avec des jobs qui sont d’emblée bien payés. « La probabilité de recevoir une rémunération au rendement augmente clairement avec les revenus. Les travailleurs et travailleuses qui se situent au sommet de la pyramide des revenus sont 2,8 fois plus susceptibles de recevoir un bonus, que les travailleurs qui se situent à la base. »

Fort impact du secteur numérique

De même, la rémunération au rendement est plus fréquente chez les personnes les plus exposées à la technologie, ou qui occupent des emplois dans des secteurs où l’utilisation des technologies numériques est plus répandue. Les travailleurs qui utilisent des ordinateurs au travail sont 5 % plus susceptibles de recevoir une rémunération au rendement — principalement par le biais d’une participation financière.

Des bonus mieux répartis si la représentation est forte

L’étude indique néanmoins qu’une représentation plus forte des travailleurs contribue à diminuer l’inégalité dans la rémunération au rendement. La présence de représentants syndicaux et de conventions collectives de travail « tempère » la rémunération au rendement. Elle est plus équitable, et profite à toutes et tous, pas seulement aux hauts revenus. Cela signifie qu’il est possible de fixer les salaires de manière à récompenser l’effort ou à partager les rentes au niveau de l’entreprise sans accroître les inégalités. n

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