Le mouvement de désinvestissement des énergies fossiles: fondements, cadrage et résonance.

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Il est non seulement moralement répréhensible de détruire le climat mais également de profiter de cette destruction (McKibben, 2013) ;

L’industrie fossile est profitable seulement parce qu’elle ne paie pas pour polluer. Si les externalités étaient internalisées, elles seraient beaucoup moins rentables (Nyks K. & Scott J., 2013).

Il est immoral d’investir et de soutenir des entreprises qui sont la cause de la crise climatique. Il y a donc un impératif moral, pour les acteurs et institutions soucieux d’un développement durable, de créer une distance avec cette industrie en désinvestissant (350.org).

Ces arguments moraux sont appuyés par un renvoi à une série de droits fondamentaux (justice environnementale, justice économique, droit à la vie, droit à l’information etc.) qui constituent un cri de ralliement et contribuent à galvaniser les troupes. La portée morale du mouvement explique l’engouement qu’il a pu susciter auprès des universités (qui sont, après tout, vouées à former les générations qui subiront le plus le changement climatique), des fonds de pension (qui gèrent les revenus futurs des générations présentes) mais aussi des organisations religieuses. Elle explique pourquoi les désinvestisseurs potentiels sont essentiellement des organisations vouées à défendre l’intérêt général. L’apparition, puis la multiplication de travaux portant sur la théorie de la bulle carbone et des actifs dévalorisés a insufflé une nouvelle dynamique argumentative. En effet, les travaux pionniers du Carbon Tracker Initiative (évoqués dans le premier chapitre) ont contribué à pousser l’université d’Oxford à mettre en place en 2012 un « Stranded Asset Programme » et à proposer à un membre du comité consultatif du Carbon Tracker Initiative, Ben Caldecott, de le diriger. L’objectif du programme est clair : il vise à comprendre les exigences, les défis et les opportunités associés à la réaffectation du capital vers des investissements en adéquation avec une durabilité environnementale mondiale. L’ensemble de ces travaux a contribué à construire un argumentaire financier (ou « Financial divestment narrative »), disponible sur la plateforme gofossilfree. Ce dernier repose sur trois idées principales : −

Les investissements dans l’industrie fossile sont exposés à un risque financier important en raison de la bulle carbone en formation. Ils sont voués à devenir des actifs échoués ;

Dans la mesure où l’idée d’un risque financier est de plus en plus partagée dans la communauté financière, les entreprises fossiles encourent également « un risque de réputation ». Nous reviendrons sur ce point dans la partie suivante.

Le fait d’opérer des investissements risqués est incompatible avec l’obligation fiduciaire des investisseurs institutionnels – en particulier les institutions publiques.

Il y a donc eu une évolution dans l’argumentaire – notamment financier - présenté par les partisans du désinvestissement, afin de répondre aux critiques formulées par les parties adverses. En effet, le discours avancé s’inscrit dans une « trajectoire argumentative », qui renvoie au chemin parcouru par un argument ou un ensemble d’arguments. La trajectoire argumentative se construit à travers des controverses et des polémiques, qui déterminent la portée des arguments dans les arènes publiques (Chateauraynaud, 2011).

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