Le bonheur dans tes yeux

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Agnès Hittin

Agnès Hittin

Le bonheur dans tes yeux

2020. De très nombreux Français découvrent le visage de Clémence Hittin dans le film De Gaulle où elle incarne Anne, la fille du Général. Pour Clémence, il s’agit d’une parenthèse exceptionnelle dans un quotidien parfois compliqué. Avec une grande douceur, sa maman, Agnès, se livre au fil des pages sur la vie d’une famille nombreuse marquée et enrichie par le handicap. Elle ne cache rien des difficultés et des combats mais veut partager avec les lecteurs une conviction : oui, le bonheur est possible. Aux parents qui s’inquiètent pour l’avenir de leur enfant porteur de handicap, elle donne une réponse pleine d’espérance : le bonheur dans les yeux de leur enfant est la plus belle des réussites.

« Ta trisomie, je l’aime. Si elle n’était plus là, tu ne serais plus toi. » La plus belle déclaration d’amour d’une maman à sa fille. Mère de cinq enfants, Agnès Hittin a créé le blog Le Bonheur dans tes yeux, suivi par plus de 25 000 abonnés. Avec son mari Nicolas, elle travaille actuellement à l’ouverture d’une petite école à travers l’association Dans tes pas.

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Couverture : DR

Clémence, la petite fille qui a ému la France dans le film De Gaulle

Préface d’Isabelle Carré

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Agnès Hittin

Préface d’Isabelle Carré

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Ma Clémence, je te murmure tous ces « merci » et ces « je t’aime » qu’une maman ne dira jamais assez.

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Le bonheur, c’est tout petit. Si petit que, parfois, on ne le voit pas. Alors on le cherche, on le cherche partout. Il est là dans l’arbre qui chante dans le vent. Dans le regard de l’enfant. Le pain que l’on rompt et que l’on partage. La main que l’on tend. Le bonheur, c’est tout petit. Si petit, parfois, qu’on ne le voit pas. Il ne se cache pas, c’est là son secret. Il est là, tout près de nous, et parfois en nous. Le bonheur, c’est tout petit. Petit comme nos yeux pleins de lumière. Et comme nos cœurs pleins d’amour. Sainte mère Teresa de Calcutta

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Préface Lorsque j’ai reçu le scénario du film De Gaulle dans lequel on m’avait proposé le rôle d’Yvonne, j’étais intimidée par le personnage et un peu sceptique. Notre ressemblance ne m’apparaissait pas évidente ! Et puis, en lisant les scènes avec Anne, la fille trisomique de Charles et Yvonne, j’ai été convaincue.Totalement certaine de vouloir entrer dans cette aventure. Je sentais, au fond de moi, que cette histoire m’offrait bien plus qu’un film. Elle m’offrait la possibilité d’une vraie rencontre. J’étais intimement persuadée que ce film serait l’occasion de découvrir un monde différent du mien, de contempler la vie à travers d’autres yeux. Les siens. En me rendant à mon premier rendez-vous avec Clémence, j’étais pleine de confiance, vraiment heureuse. Elle m’attendait dans le hall de la production, avec sa maman. J’avais appris les deux scènes que nous devions interpréter, elle et moi ; j’étais impatiente, mais aussi fébrile. Elle n’avait jamais joué et j’imaginais aisément combien cela serait impressionnant pour une jeune fille de douze ans de se retrouver devant la caméra face à une équipe de cent personnes, pendant plusieurs semaines… Durant cet essai, nous étions, toutes les deux, penchées sur un herbier et discutions de l’absence de Charles. Clémence ne connaissait pas son texte. On lui avait seulement expliqué certaines situations, sa préférée était celle où elle se révoltait, s’opposait à moi. En réalité, elle ne voulait interpréter que ce passage. « Les enfants trisomiques ne savent pas mentir ! » m’expliqua alors sa maman, Agnès. J’ai compris à cet instant qu’en réalité, c’était à nous d’aller vers elle. Cet essai filmé ne ressemblait décidément à aucun autre, je savais déjà que cette expérience allait changer beaucoup de choses en moi.

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Sa présence solaire, sa joie de vivre, son sourire malicieux, l’inquiétude qui, parfois, passait comme un nuage sur son visage, la profondeur de son regard, empli tantôt de sagesse tantôt d’une tendresse infinie, tout cela nous offrait bien davantage qu’une simple récitation. Jour après jour, Clémence nous entraînait dans l’aventure et, à chaque fois, c’était tellement mieux que tout ce que nous avions imaginé ! Ce film doit à Clémence ses plus beaux instants de vérité. Elle lui a donné son rayonnement, son humanité si précieuse. Il y a eu des embûches, des difficultés qui lui semblaient parfois insurmontables. Il y a eu du découragement aussi. Pourtant, à chaque instant, ma petite Clémence nous enchantait. Elle était la magicienne de ce tournage ! Grâce à elle, le monde bougeait autrement, vacillait, remuait et cette histoire prenait d’inégalables couleurs : même ses peines possédaient leurs arcs-en-ciel. Grâce à elle aussi, ces pages d’Histoire sont devenues vivantes. Peut-être est-ce justement cela accompagner un enfant différent ? Recevoir non pas un petit mais un colossal supplément d’âme ? Isabelle Carré

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Ta venue En t’attendant J’ai tricoté ta chambre de mes rêves, Blotti ton prénom contre mes lèvres. Isabelle Boulay, En t’attendant

Samedi 9 décembre 2006 Les arbres dénudés de toutes feuilles et l’air frais qui picote les joues marquent bientôt le début de l’hiver. Noël approche à grands pas ! Le sapin a été décoré, il y a quelques jours, par ta grande sœur Laura, de guirlandes lumineuses et de boules aux couleurs de fête. Bien vert, droit et tout beau comme un roi, il trône au milieu du salon, prêt à accueillir les cadeaux. La petite crèche traditionnelle a été installée à sa place habituelle, au pied de l’arbre. Dans quelques jours, les cloches sonneront la naissance joyeuse de l’Enfant Jésus, que nous déposerons délicatement sur la paille encore vide qui l’attend. Comme nous l’attendons, ce 25 décembre ! Une joie toute particulière, une joie impatiente, s’est infiltrée doucement au fil de ces derniers mois dans notre maison et s’est nichée dans chacun de nos cœurs. Nous souhaitons tant que ce premier Noël à quatre soit le plus beau de tous ! C’est avec le plus grand soin que nous avons peaufiné les dernières touches de décoration de ta petite chambre, pour ta venue maintenant toute proche. Tout est prêt et joli, il ne manque plus que toi. Il est presque une heure du matin, la maison est plongée dans un profond silence. Malgré l’heure tardive, impossible de trouver le sommeil. Aucune position ne me semble assez confortable. L’œil fixé 13

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sur l’aiguille de l’horloge qui ne cesse d’avancer et semble me narguer, je me tourne et me retourne, exaspérée. Tu es bien trop à l’étroit, tes petits pieds tambourinent à la porte et tirent contre les parois de mon ventre énorme qui se déforme sous les coups, laissant apparaître de drôles de petites bosses qui roulent et que je m’amuse à suivre du doigt. Je fredonne un air les yeux fermés. Mes mains posées au plus près de toi te bercent, espérant ainsi calmer le rythme effréné de toutes tes galipettes. Nous sommes à quelques jours du terme. La grossesse s’est bien déroulée, aucune complication, et les quelques nausées des premières semaines n’ont pas duré. Même si j’apprécie de porter la vie, même si je suis de celles qui mettent leur gros ventre en avant, depuis quelques jours, je suis lasse et fatiguée. Le temps me semble si long ! Mon ventre extrêmement tendu subit de nombreuses contractions douloureuses, signes évidents que la naissance approche. Ce soir, elles me paraissent plus fortes, plus rythmées. Comme de nombreuses mamans à l’approche de leur accouchement, je suis à l’affût du moindre signe qui pourrait donner l’alerte. Un peu inquiète, je m’interroge : Vas-tu naître cette nuit ? Ta naissance est pourtant prévue aux alentours du 23 décembre. Dois-je appeler Nicolas ? Et si c’était une fausse alerte ? Il ne faudrait pas le déranger inutilement sur son lieu de travail. Faut-il que je réveille Laura ? Que je prévienne mon beau-frère ? Que je vérifie une dernière fois ma valise ? Que je prenne une douche ? Toutes ces questions, aussi naturelles qu’anxiogènes, intoxiquent davantage mon cerveau. Finalement je me décide et attrape mon téléphone posé « au cas où » à côté du lit pour prévenir Nicolas, mon gendarme de mari d’astreinte cette nuit, au poste de sécurité de la petite caserne où nous habitons. J’essaie de garder mon calme

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pour ne pas l’affoler en lui disant que je crois la naissance toute proche. Il me répond qu’il arrive. À peine le temps de passer aux toilettes, d’enfiler un pantalon et un pull chaud et confortable, que le voilà déjà ! Je devine sa joie et son impatience. Sourire aux lèvres, le regard pétillant, il m’embrasse et attrape le sac qui attend depuis déjà plusieurs jours dans l’entrée. Dedans se trouvent les affaires nécessaires pour notre séjour à la maternité, et le premier pyjama que tu vas porter, je l’ai choisi avec beaucoup d’amour. Il est tout rose, accompagné de son bonnet et de ses mini-chaussettes assortis.Tu es une fille. Nous le savons depuis la deuxième échographie. Tu t’appelleras Clémence. Un prénom doux et chantant. Ce choix s’est fait rapidement, facilement, sans aucune négociation ! Pour Nicolas comme pour moi, c’était une évidence. Quelle intuition nous a permis de donner à notre fille un prénom si riche de sens ? Je réveille doucement avec bien du mal la petite Laura qui, encore tout endormie et sans vraiment comprendre ce qui se passe, descend l’escalier. Je lui enfile rapidement un manteau par-dessus son pyjama au dessin de princesse en lui soufflant : – Ta petite sœur va naître. La porte de notre maison se referme dans un grincement sourd, la rue est totalement déserte. On n'entend que le bruit du vent qui fait remuer les grandes tiges de blé du champ d’en face. Des étoiles scintillent dans le ciel noir. Nous nous engouffrons dans notre voiture, habités par une joie mystérieuse. Celle d’une naissance tant attendue. Tout a été prévu bien à l’avance et notre organisation est sans faille. En peu de temps, nous déposons Laura quelques maisons plus loin, chez mon beau-frère et ma belle-sœur. Pratique et rassurant ! Nous quittons la caserne dans un silence inhabituel, il fait froid, mon cœur bat la chamade, je tremble. Sûrement un mélange d’impatience 15

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et de crainte. La naissance de Laura remonte déjà à six années. Les contractions sont régulières et ne me quittent plus. Je me concentre sur ma respiration et essaye d’appliquer au mieux les quelques conseils donnés aux cours de préparation à l’accouchement que j’ai suivis assidûment. Le panneau Urgences se dresse devant nous, je suis soulagée d’arriver. Je sors péniblement de la voiture et tiens mon ventre rond et lourd. Je sais que bientôt, je ne t’aurai plus pour moi toute seule. Je suis heureuse que mon ventre t’ait servi de maison. Un brin de nostalgie m’envahit à l’idée que tu puisses le quitter. Le hall d’accueil est presque vide. On m’installe comme une princesse sur un fauteuil roulant pour me pousser à grande vitesse à travers les couloirs qui mènent au service de maternité. Les murs blancs défilent en même temps que nous avançons, Nicolas, à côté de moi, mon sac de voyage à la main, suit la cadence ! Je crois qu’il est aussi impatient qu’inquiet. Me voilà maintenant allongée confortablement dans un lit où il va falloir attendre que le travail commence. Le monitoring sur le ventre, je me détends en écoutant le battement de ton cœur. Tu sembles aller bien, cela me rassure. Le service est silencieux. Je guette régulièrement le passage de la sage-femme et reste à l’écoute du moindre changement physique qui pourrait donner l’alerte. Nicolas, à côté dans un fauteuil, a l’air fatigué. Pour lui, c’est un grand jour, nouveau aussi, car il va devenir papa pour la première fois. Ma petite Laura est le fruit d’un court amour de jeunesse. Nicolas a pris tout le paquetage et « à bras-lecœur » son rôle de papa de substitution, pour élever Laura comme sa propre fille. La sage-femme pointe enfin le bout de son nez, fait une rapide auscultation et annonce qu’il est temps de passer à la salle d’accouchement. Je suis tellement heureuse que je me lève d’un bond et la suis

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d’un pas rapide. Légère comme une plume, le cœur rempli d’une joie indescriptible qui me ferait presque oublier ces fortes douleurs qui me coupent la respiration. Dire que dans quelques heures, tu seras là ! Tu seras dans mes bras. Je t’aime tellement déjà. Il doit être pas loin des cinq heures du matin, la douleur s’est largement intensifiée. On me pose une péridurale qui fonctionne mal et ne me soulage que trop peu. Le travail est long et pénible. Je tiens fermement la main de Nicolas pour y puiser toute la force nécessaire. Dans ses yeux transparaissent tout son soutien, son amour, et son admiration. C’est ensemble que nous donnons la vie. Dix heures et demie. Tu pousses ton premier cri, un cri qui nous va droit au cœur. On te pose doucement sur mon ventre, tu grelottes et sembles apeurée devant toute cette lumière et ce bruit nouveau pour toi. –  Comment s’appelle cette jolie petite fille ? –  Clémence ! Nicolas pleure. De douces larmes gorgées déjà de tant d’amour coulent doucement sur sa joue. Notre jolie Clémence, si petite, si parfaite. L’émotion est palpable et remplit la pièce. Notre amour pour toi est incommensurable. À peine un baiser posé sur ton petit front si doux, qu’on te retire déjà de mes bras. On te pèse, on te mesure, on te lave et l’on t’habille tout de rose pour t’emmener avec papa dans une autre pièce sous une lampe chauffante. Je me laisse aller à un peu de repos, rêveuse, heureuse, comblée.

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L’annonce La vie est une chance à saisir, une beauté à admirer, une béatitude à savourer. Sainte mère Teresa de Calcutta

La chambre qui nous a été réservée, dans laquelle nous sommes emmenés deux heures après le temps de surveillance obligatoire, est simple et impersonnelle. Sans surprise, elle ressemble à toutes ces chambres que l’on peut trouver dans les hôpitaux. Il y a juste, en plus du grand lit habituel, un petit lit pour le nouveau-né et une table à langer. Une minuscule baignoire est encastrée dans le meuble où l’on peut ranger toutes les affaires nécessaires aux soins de notre bébé. Je connais le milieu hospitalier, puisque j’ai travaillé en tant qu’aide-soignante dans un hôpital en région parisienne. J’aime ce métier, qui offre une certaine proximité, presque intime, avec les patients dont nous avons la charge, des malades qui ont souvent besoin d’écoute et de réconfort. Quelques petites confidences m’ont déjà été glissées au milieu d’un soin. Depuis que j’ai quitté mon appartement de célibataire il y a déjà plus d’un an pour rejoindre Nicolas dans l’Aube, ce travail me manque. Pourtant, j’étais contente de pouvoir m’offrir une année sabbatique. Un temps de pause, pour me faire à cette nouvelle vie. Mais cette grossesse si vite arrivée ne m’a pas permis de chercher un poste. Dès que notre fille aura grandi, j’espère pouvoir remettre ma blouse ! Pour limiter les frais d’hospitalisation, et par goût de la compagnie, nous avions demandé une chambre double. Je me réjouis de découvrir que, finalement, celle qui m’a été attribuée est une chambre simple, ce qui me permettra de me reposer davantage. 19

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Je pourrais te regarder pendant des heures, endormie dans ton petit lit transparent. Tes traits sont réguliers et ta peau fine a une jolie couleur laiteuse. Peu de cheveux recouvrent ton petit crâne lisse et rosé, mais je peux déjà deviner que tu seras très certainement une jolie blondinette ! Tu n’es pas très gourmande, tout contre mon sein tu bois à des heures régulières mais n’en demandes pas davantage : à peine la tétée terminée, je te pose dans ton lit où tu te rendors déjà. Ma petite poupée, je me dis qu’avec toi, tout sera facile. Deux jours que nous sommes à la maternité. Pour une maman qui vient d’accoucher, je suis plutôt en forme. J’ai passé la plus grande partie de ma première journée à envoyer des messages pour annoncer ta joyeuse naissance. Nicolas et moi, nous t’avons bombardée de photos comme si tu étais une véritable petite starlette, immortalisant ces premiers instants si précieux. Ta grande sœur Laura est passée te rendre visite dès le soir de ta venue et a pu te tenir avec fierté dans ses bras. Ce nouveau tableau familial me remplit d’un doux sentiment de bonheur. Un bonheur inestimable. Un bonheur qui ne peut être volé.

Lundi 11 décembre 2006 Nous avons un peu traîné ce matin, il est déjà presque dix heures. Je prévois de te donner un bain avant l’arrivée de Nicolas qui passera dans la matinée. Tu apprécies l’eau chaude et remues pieds et mains, m’éclaboussant au passage ! Je te souris et te parle, laissant toute ma tendresse venir à toi. On toque à la porte de ma chambre. La pédiatre apparaît en me saluant d’un rapide bonjour. Elle doit certainement faire sa tournée de visites habituelles. Devinant qu’elle veut t’ausculter, j’écourte ce moment de douceur et te sors du bain, t’enveloppant vite dans une serviette pour que tu n’attrapes pas 20

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froid, bien emmaillotée, allongée sur la table à langer. Je te laisse aux mains de la pédiatre qui approche et défait ta serviette pour te regarder sous toutes les coutures. Fière de ma progéniture, je souris bêtement mais suis quelque peu surprise de n’avoir aucun sourire en retour. Pour une pédiatre, elle n’est pas très agréable, dis donc ! Après t’avoir retournée dans tous les sens sans dire un mot, les sourcils froncés, je l’entends m’annoncer enfin : –  Il me semble qu’il y a un problème avec votre bébé. Je souhaiterais pouvoir en discuter avec vous dès que votre mari sera là. Elle me balance cette phrase sans donner plus de détails. Surprise, je reste muette, incapable de poser la moindre question. Je la laisse sortir de ma chambre. Encore aujourd’hui, je vois l’image de sa blouse blanche flotter lorsqu’elle m’a tourné le dos pour s’en aller. La situation me semble absurde, je ne comprends rien : tout allait si bien ! « Il me semble qu’il y a un problème. » Au ton de sa voix et au débit rapide sur lequel la pédiatre l’a prononcée, je sens d’instinct qu’il y a quelque chose de grave. J’enlève le bouchon de la baignoire pour évacuer l’eau de ton bain, ma joie insouciante se laisse aspirer en même temps qu’elle. Mes mains t’enfilent machinalement le petit pyjama que j’avais préparé, mais mes pensées voguent ailleurs. Tu as l’air d’aller si bien ! Pourquoi la médecin veut-elle nous voir rapidement ? Et pourquoi veut-elle nous voir ensemble ? Pourquoi ne m’at-elle rien dit ? Lorsque l’on demande aux deux parents d’être présents, c’est souvent mauvais signe… Une bouffée d’angoisse monte et m’engloutit comme une spirale, la tête me tourne. Je te pose doucement dans ton lit puis m’allonge sur le mien. Cette fichue phrase se répète dans ma tête comme un vieux disque rayé : « Je souhaiterais vous voir avec votre mari. Il y a un problème. » Il y a si peu de détails, tout est si flou… Un problème ? Mais c’est quoi, un problème ? Cela peut être tout et n’importe quoi ! Clémence serait-elle malade ? Gravement malade ? Peut-être même atteinte 21

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d’une maladie incurable ? Mais comment puis-je penser à une chose pareille ? L’inquiétude est si forte, si tenace qu’elle me prend soudainement à la gorge. Mes mains sont moites, mon cœur s’emballe. Impossible que je perde mon bébé, impossible, non ! Ça ne peut pas être cela. Mon imagination et mon état de fatigue me jouent des tours. Il faut que je prévienne Nicolas. Au timbre de ma voix, Nicolas comprend que quelque chose ne va pas. Brièvement, je lui raconte la matinée et le passage de la pédiatre avec le peu de détails que j’ai. Je lui expose mes craintes et lui dis que je sens que l’on va nous annoncer une mauvaise nouvelle. J’ai très peur, j’aimerais vraiment qu’il arrive le plus vite possible. Nicolas promet de venir rapidement. Je raccroche. Mon regard se pose sur toi, petite Clémence. Je ne comprends pas, vraiment, je ne comprends pas. Que caches-tu en toi ? La porte s’ouvre à nouveau, cette fois, c’est l’auxiliaire de puériculture, elle semble s’être trompée de chambre et s’excuse. –  S’il vous plaît, savez-vous ce qu’a mon bébé ? Dans l’entrebâillement de la porte, la jeune femme semble mal à l’aise et bafouille qu’elle ne peut rien me dire mais que le médecin va venir. Elle referme bien vite, comme pour fuir. Nicolas est là. Comme portée par une force qui vient d’en haut, je retrouve étonnamment mon calme. La pédiatre va arriver d’un moment à l’autre, j’appréhende et guette la porte. Je dois être sereine pour entendre et accueillir ce qu’elle aura à nous dire. Les prochaines minutes vont être pénibles, peut-être même terribles. Je le sens en mon for ­intérieur… Je dois préparer Nicolas. Je dois nous préparer.

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Sans réfléchir, j’attrape les mots au vol et lui dis que je ne sais pas ce qu’a notre petite fille, mais que nous devons nous attendre au pire, à une maladie, à un handicap. Je pense à cet instant aux enfants autistes. Mais je lui dis aussi et surtout : – Quoi qu’il arrive, nous devons continuer à aimer Clémence, ­promets-le-moi  ! À peine ai-je terminé ma phrase que la pédiatre frappe et entre. Je me raidis. Le silence est lourd, trop lourd pour cette petite pièce. Le médecin avance une chaise près de mon lit et s’y assied. Elle nous regarde. Je comprends que notre vie va emprunter un nouveau tournant. Je suis prête à l’entendre. Instinctivement, je sors Clémence de son lit pour la prendre dans mes bras. Je m’allonge et pose doucement notre petite fille chérie tout contre moi. Je veux la protéger. La protéger de tous ces mots que l’on va dire sur elle. Je veux qu’elle entende seulement le battement de mon cœur rempli d’amour pour elle. Nicolas est assis au pied du lit, il ne dit rien, il attend. Ces phrases tant redoutées arrivent enfin. Comme une tornade, elles foncent sur nous. À jamais elles resteront gravées dans ma mémoire. – Est-ce que vous avez remarqué quelque chose d’étrange chez votre bébé ? –  Non. Je ne sais pas… Peut-être. J’ai tellement mal au ventre, l’impression d’étouffer, j’ai hâte qu’elle en finisse, qu’elle nous dise enfin. Mais la pédiatre prend son temps, parle doucement, laisse des blancs, pour limiter certainement le choc. Cette lenteur est un enfer. J’aurais préféré qu’elle me balance tout d’une traite ! Le temps semble s’être arrêté. Je l’observe pour essayer de lire à travers son regard ce qu’elle semble avoir tant de mal à dire. –  Il y a certains signes qui ne trompent pas… je ne pense pas qu’il y ait de doutes. Il faudrait que nous réalisions un caryotype pour en

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être sûrs, mais d’après ce que j’ai pu voir je pense que votre bébé est trisomique. La pédiatre a déballé son petit discours à toute vitesse, comme pour se libérer d’un grand poids. Je respire ! Je respire, quel soulagement ! Mais quel soulagement ! Notre fille va vivre. Elle va vivre ! Moi qui pensais que Clémence allait mourir ! Elle est seulement trisomique. Le soulagement envahit tout mon être.

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Le choc Il y a ces larmes qui irriguent les cœurs Et qui conduisent paraît-il au bonheur. Il y a ce chemin plein d’embûches et de peine, Une route escarpée qui monte vers le ciel. Les Frangines, Ces larmes

Devant ma réaction assurément inhabituelle, la pédiatre semble déstabilisée et me demande si j’ai bien compris ce que cela impliquait. Je lui réponds que oui, j’ai bien entendu que notre bébé était certainement trisomique, mais je n’ai pas envie de lui expliquer pourquoi je semble si soulagée. Même si je suis infiniment apaisée de savoir que notre enfant ne va pas mourir, je suis sonnée par tant d’émotions et cette annonce qui fait irruption si brutalement dans notre vie. Il va falloir maintenant digérer toutes ces informations, les comprendre. Je ne sais pas ce que c’est, la trisomie. Je ne sais pas ce que c’est, d’avoir un bébé trisomique. Je ne sais pas ce que c’est, un caryotype. Je n’ai aucune idée de la vie qui nous attend. La seule chose que je sais, c’est que je veux aimer Clémence. Je me sens perdue, je ne sais quoi dire, quoi répondre, quoi poser comme questions. Je lui demande seulement s’il serait possible de prévoir un soutien psychologique. Une aide que je n’obtiendrai malheureusement jamais… Le médecin ne dira rien de plus et nous laissera seuls. Je ne la reverrai jamais. Dix minutes dans une chambre pour annoncer le handicap d’un enfant à ses parents. C’est très court. Violent et court. Seulement dix petites minutes, quelques mots, et tout bascule. « L’annonce » crée une fissure, elle marque la 25

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frontière qui sépare la vie « d’avant » et la vie « d’après ». Comme un immense iceberg qui se briserait en deux sous l’effet d’un séisme. Nicolas, qui est resté muet durant tout cet échange, s’effondre sur mon lit. Il laisse aller tout son chagrin, je ne peux rien faire pour retenir ses larmes. Le choc pour lui est immense, la douleur, glaçante. Je l’enlace sans un mot et je pleure enfin, avec lui. C’est la chute libre. Seuls dans cette chambre, sur ce lit aux draps blancs, nous sommes unis dans le même tourment. C’est la fin de l’après-midi, je suis seule maintenant. Nicolas a dû rapidement partir pour s’occuper de Laura. Je ne me sens pas très bien, vaseuse, dans le brouillard, triste. Je prends peu à peu conscience du poids de cette annonce et de la réalité qui va avec : notre bébé est handicapé. Un mot que je ne veux pas entendre. Je ne suis pas prête. La peur me submerge totalement. Cette réalité qui prend forme en moi m’effraie terriblement. L’angoisse l’emporte, je me rue dans la salle de bains pour trouver une échappatoire. Je m’enferme à double tour et m’accroupis entre le lavabo et les toilettes, comme un petit oiseau blessé. Je pleure, je pleure à gros sanglots, sans pouvoir m’arrêter. Tout mon monde s’écroule. C’est comme si j’avais dégringolé un escalier. Pourquoi nous ? Nous sommes si jeunes… J’ai envie de hurler mon incompréhension. J’en veux à la terre entière, à moi, à nous, à Dieu. C’est dégueulasse, de nous envoyer cette épreuve. Un sentiment d’injustice m’envahit : nous n’avons pas mérité cela. Je comprends aussi pourquoi nous avons eu droit à cette fameuse chambre simple ! Je suis maman d’une petite fille trisomique. Le personnel le savait avant moi. La tête coincée entre mes genoux, j’ai l’impression que je ne pourrai plus jamais bouger et sortir de cette salle de bains où je me suis cachée. De toute façon, je préfère rester là à attendre, peut-être que finalement, tout cela est un mauvais rêve. Je vais finir par me réveiller.

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Culpabilité Une conscience trop coupable ne croit plus à la clémence. Shakespeare

Ah, ma Clémence ! Comme je crois en toi, en ta valeur et en ta capacité de rendre notre monde plus beau ! Même si je sais bien au fond de moi que nous ne sommes pour rien dans la trisomie de Clémence, je ne peux m’empêcher d’en porter la responsabilité. C’est bien dans mon ventre que notre fille s’est développée, qu’elle a grandi. C’est bien moi qui l’ai portée et qui ai accouché. Il y a seulement trois jours, trois petits jours de rien du tout, nous pensions que notre vie serait sans ratures, toute tracée en une jolie ligne droite. Un bonheur facile, évident, presque dû. Cela ne pouvait pas être autrement ! Quelques mots, et cette jolie ligne se déforme, se tord, en une vague qui fonce tout droit sur nous. J’aurais tant voulu l’éviter. Éloigner Nicolas de cette peine. Lui épargner toutes ces larmes, lui offrir cet enfant dont il rêvait. Le voir si éprouvé me fait souffrir, me déchire de l’intérieur. J’ai l’impression d’en être la cause, d’en être la source. Je me sens aussi responsable qu’impuissante. Cela est stupide, irréaliste, même absurde mais j’aimerais lui demander pardon. Pardon de n’avoir pas su, de n’avoir pas pu faire autrement. Il est parfois si éprouvant de voir souffrir ceux qu’on aime. Cette culpabilité me ronge et m’écorche. Une souffrance que je m’inflige sans pouvoir m’en empêcher. Une blessure que je porte secrètement.

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Séjour à la maternité J’ai rêvé la douceur de certains soirs J’ai rêvé surtout qu’il n’était pas trop tard Espéré que l’on pouvait changer J’ai rêvé d’être encore avant Le jour d’après. Chimène Badi, Le Jour d’après

Comme c’est difficile d’être dans ce service de maternité. Entendre tous ces bébés pleurer et gazouiller me fait mal. Je les imagine, ces autres mamans, heureuses et épanouies, avec leur joli poupon en bonne santé. Toute la journée dans le couloir, juste derrière ma porte, j’entends la joie des autres, alors que je traîne mon cafard. Je n’ai plus le courage de sortir de ma chambre de peur de les croiser. Je me sens différente d’elles. Leur monde n’est plus le mien. La chute des hormones n’arrange rien. Une infirmière gentille et douce passe régulièrement me voir, bien sûr, elle est au courant de notre « situation » – qui ne l’est pas ? Je n’ai pas honte de pleurer devant elle, de toute façon, je suis incapable de me retenir. Je lui avoue et lui confie tout mon désarroi et mes peurs pour le futur. Je lui dis aussi que je ne supporte plus d’être dans cette chambre qui me rappelle sans cesse l’annonce de la trisomie de mon bébé, et la supplie presque de m’installer dans une autre. Malheureusement, cela n’est pas possible. Si je le pouvais, je prendrais la fuite et quitterais cet hôpital dès ce soir. Je veux rentrer chez moi. Devoir rester à la maternité est un calvaire. Les angoisses m’assaillent comme des bêtes enragées, jour et nuit. Plus que jamais, j’ai besoin de Nicolas, de sa présence, de son soutien. Je demande alors s’il serait possible que 29

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mon mari reste avec moi la nuit. L’infirmière comprend et accepte. La première nuit après « l’annonce » me plonge dans une atmosphère particulière, je suis si mal que mon sommeil est parsemé de cauchemars et de réveils brusques. Petite Clémence, tu dois sentir la détresse de ta maman… Je suis tellement désolée, tellement désolée de pleurer devant toi, je ne devrais pas, tout cela n’est pas ta faute. Cette annonce, qui a balayé en quelques mots tous mes rêves de vie bien rangée et parfaite, n’enlève pourtant rien à mon statut de mère. Je suis et je resterai toujours ta maman, ne t’inquiète pas. Malgré tous mes chagrins et mes fissures, ma tendresse n’a pas été ébranlée. Je te prends dans mes bras, je te câline, je t’embrasse, je t’ouvre mon cœur tout entier et te souffle des mots qui vibrent d’amour pour toi. Rien ne pourra m’empêcher de t’aimer. Rien ! Pas même cette trisomie. Pourquoi avoir attendu deux jours avant de nous annoncer la trisomie de Clémence ? Je me souviens avoir posé cette question à cette infirmière qui venait régulièrement dans ma chambre pour m’écouter déverser tout mon lot de chagrin. Je me rappelle très bien sa réponse. –  Pour que l’enfant ait toutes ses chances. Sonnée par les émotions des dernières heures, j'avais laissé sa réponse glisser sur moi, je n’y avais pas prêté grande attention ni n’avais cherché à en comprendre le sens. Mais inconsciemment, elle m’a marquée puisque, des années après, je m’en souviens encore. À travers ces mots, je prends aujourd’hui pleinement conscience de la souffrance et du poids qu’elle porte. « Attendre pour que l’enfant ait toutes ses chances »… Ses chances d’être aimé. Des parents, pour des raisons qui leur appartiennent, ne sont pas en mesure de garder leur enfant en situation de handicap. Des enfants se retrouvent sans parents pour les aimer, abandonnés ou confiés à d’autres dès la

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naissance. Je sais combien la souffrance peut être parfois violente, intrusive et si effrayante qu’elle nous pousse à faire des choix bien malheureux. Je suis heureuse de n’avoir jamais eu ce choix à faire. Apprendre la trisomie de notre fille après sa naissance nous a préservés. Même si, dans le fond de nos cœurs, nous savons que cela n’aurait rien changé. Clémence aurait été accueillie et aimée avec la même intensité. Mais je suis soulagée que cela se soit passé ainsi. Ma grossesse aura été préservée de toutes inquiétudes et la naissance de Clémence restera à jamais un merveilleux souvenir. Un souvenir de joie, d’amour donné et reçu en abondance ! La première déferlante passée, une deuxième vague se présente à nous. Surtout je ne veux pas me faire engloutir. Il va nous falloir maintenant trouver le courage d’annoncer à notre tour la trisomie de Clémence à nos familles et amis. C’est une double souffrance, une double peine. Je suis moi-même encore si fragile que je ne sais même pas comment je vais pouvoir tenir ce rôle. Toutes ces personnes qui s’étaient réjouies de la naissance de notre fille, il va falloir les rappeler. En moins de vingt-quatre heures, je me serai retrouvée des deux côtés du tableau. Celle qui reçoit, celle qui annonce. Cette situation démesurée de souffrance m’est insupportable. Même si nous n’y pouvons rien, nous savons que nous allons embarquer dans notre histoire les personnes que nous aimons et les voir souffrir pour nous. À fleur de peau, je ne peux prendre des pincettes ou réfléchir à la meilleure façon de leur faire cette annonce. Je ne suis pas en état de prendre soin de qui que ce soit ! J’ai simplement hâte que tout soit dit. Mon premier appel sera pour ma mère. –  Maman, il y a un problème avec Clémence mais, ne t’inquiète pas, il n’y a rien de grave.

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Je me souviens l’avoir entendue prendre une longue respiration, signe certain de son inquiétude. Et c’est dans un flot de larmes que j’ai pu terminer ma phrase : –  Clémence est trisomique. J’imagine le chagrin et le choc que ma mère a dû avoir. Nos larmes se sont mélangées. Puis, très vite, je l’ai entendue me dire : – Tu verras ma chérie, cette petite, tu l’aimeras de plus en plus. Cette petite phrase si chaude, si réconfortante, portée de tant ­d’espoir, m’a plongée instantanément dans la confiance. Je n’avais besoin d’entendre que cela. Comme elle avait raison ! Nous avons aimé Clémence chaque jour un peu plus. Beaux-parents, frères, belles-sœurs sont mis au courant dans la foulée. Chaque appel est une nouvelle épreuve. Les réactions sont diverses mais le chagrin de chacun reste le même. La famille plus éloignée et nos amis apprendront la nouvelle au fur et à mesure. Des lettres, des messages et des petits cadeaux nous seront très vite adressés, mais je ne serai pas en mesure d’accueillir toutes ces marques d’affection. Leur gentillesse glissera sur moi. Je serai dans l’incapacité de recevoir. Systématiquement, je refuserai de parler à qui que ce soit au téléphone. Je déclinerai les visites, survolerai les lettres et n’écouterai jamais les messages jusqu’au bout. Chaque mot faisant écho à la trisomie de Clémence sera douloureux. Je ne veux pas que l’on m’encourage ni que l’on s’apitoie sur notre sort. J’ai simplement besoin d’être seule, un temps. Juste le temps d’accepter, le temps de me reconstruire intérieurement. Enfin ! Il ne reste plus qu’une journée avant que je puisse retourner à la maison. Je n’en peux plus d’être dans cet hôpital. Ce n’est absolument pas le séjour à la maternité que je m’étais imaginé. J’ai hâte de reprendre le cours de ma vie. Je veux être libre de pouvoir être

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mère sans que l’on me dévisage. Ici, je ne suis que « la maman de la petite fille trisomique ». La façon dont on me regarde me blesse. J’aimerais qu’on ne rentre plus dans notre chambre, j’aimerais qu’on nous laisse tranquilles. Pour bien finir ce séjour qui m’aura semblé interminable, tu as aujourd’hui, petite Clémence, une série d’examens à passer. L’infirmière va te faire cette fameuse prise de sang qui permettra d’étudier ton caryotype, qui définira si tu es bien trisomique. Je déteste l’idée que l’on puisse te décortiquer, que l’on puisse t’analyser de la sorte. La généticienne a également conseillé que nous, parents, fassions le même examen : les médecins aimeraient savoir si cette trisomie est « un accident » ou si l’un de nous est porteur. Nous avons fermement refusé cette prise de sang : nous n’avons pas besoin, Nicolas et moi, de savoir qui pourrait être à l’origine de la trisomie de Clémence. C’est ensemble que nous avons désiré cet enfant, dans un acte d’amour total, alors il n’y aura jamais de fautif ! Que cela soit « un accident », comme les médecins aiment le dire, ou non, nous importe peu. –  Nous ne souhaitons pas nous lancer dans des recherches médicales trop poussées. Après qu’on t’a piquée sur ta toute petite main, tu es maintenant emmenée deux étages plus bas pour réaliser une échographie de ton cœur. Cet autre examen détectera peut-être une malformation cardiaque, fréquente chez les enfants trisomiques. Moi qui ne voulais pas sortir de ma grotte, je ne peux me résoudre à te laisser partir seule et je descends avec toi. Cette sortie m’est pénible, j’ai l’impression de n’être plus que l’ombre de moi-même. J’avance, tête baissée, comme une automate. L’équipe nous conduit dans une salle sombre à l’ambiance froide. On t’installe sur la table prévue.Tu parais si petite, si fragile ! Je t’offre mon doigt pour que tu sentes que je suis à côté de toi, tu le serres et ne le lâcheras pas durant tout l’examen. –  Ne t’inquiète pas, Clémence, maman et papa sont là. 33

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Le médecin regarde ton cœur dans les moindres détails sans rien dire, c’est long et désagréable d’attendre ainsi le verdict. La lumière de la machine s’éteint, emportant le battement de ton cœur. Le cardiologue essuie ton petit ventre recouvert d’une flaque de gel et nous annonce que tout va bien : aucune anomalie cardiaque. Nous respirons. Cela t’évitera une opération et des soucis en plus. Une dernière radio des poumons et nous pourrons remonter dans notre chambre. C’est notre dernière nuit. J’ai rangé nos affaires, tout est prêt pour notre grand départ. Mes peurs se sont légèrement évaporées. Je dors déjà mieux. Le choc de l’annonce quant à lui reste encore vif, bien présent dans mes nombreux cauchemars. Chaque petit moment passé près de toi m’aide doucement à apprivoiser un peu plus cette trisomie. Cette trisomie qui, pour l’instant, ne prend pas tant de place et passerait presque inaperçue. Je me dis que je pourrais essayer de lâcher prise, pour vivre simplement le moment présent. Finalement, nous avons aussi droit à notre part de bonheur, même s’il se présente sous une forme différente. Nos larmes ont arrêté de couler à flots et, doucement, des petits sourires les remplacent. Il est évident que l’amour est présent dans chacun de nos cœurs, dans chacun de nos gestes, dans chacun de nos regards. Un amour qui colmate toutes les blessures, catalyse toutes les peurs et nous pousse vers l’avant. Nous sommes mercredi, jour de notre sortie. Ce matin, le réveil est agréable. Nous allons enfin rentrer chez nous ! Laura t’attend avec impatience. Tu vas connaître ta maison et ta chambre, petite ­Clémence. Nicolas arrive avec ton siège auto, il semble détendu et ­heureux de nous ramener à la maison. Pour la dernière fois, nous traversons ce long couloir de la maternité, le personnel est là pour

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notre départ, formant comme une haie d’honneur. Je ne regarde personne, je ne fixe que ces grandes portes battantes qui marqueront notre liberté. Elles claquent derrière nous, c’est fini ! Je souris. Je ne veux plus jamais autant pleurer, plus jamais ! L’air frais redonne vie. VIE ! Oui, c’est une nouvelle vie qui commence, avec toi, ­Clémence. Je ne sais pas ce qui nous attend, mais je suis certaine que le bonheur n’est pas si loin, que ce bonheur est accessible. J’en sens déjà les effluves. Nous allons tout faire pour l’attraper !

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Table des matières Préface........................................................................................................................... 11 Ta venue....................................................................................................................... 13 L’annonce..................................................................................................................... 19 Le choc......................................................................................................................... 25 Culpabilité................................................................................................................... 27 Séjour à la maternité............................................................................................ 29 Retour à la maison................................................................................................ 37 L’amour arrive toujours à se frayer un chemin................................... 41 Laura............................................................................................................................... 51 L’amour......................................................................................................................... 55 Il était une fois.......................................................................................................... 59 Tes premières années.......................................................................................... 65 Le bonheur................................................................................................................. 71 Anniversaires............................................................................................................. 77 Petits pas magiques............................................................................................... 83 Amniocentèse.......................................................................................................... 85 École............................................................................................................................... 93 Le petit frère............................................................................................................. 97 Opération................................................................................................................... 105 Cheveux au vent.................................................................................................... 107 Ta petite main dans la mienne....................................................................... 111 Petits papiers............................................................................................................. 115 « Aime la vie »......................................................................................................... 121 Départs et retours de Nicolas...................................................................... 127 Sept à la maison...................................................................................................... 131 Les vacances.............................................................................................................. 133 L’entourage................................................................................................................. 139 237

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Nicolas........................................................................................................................... 143 Là-bas............................................................................................................................. 145 Douces promenades........................................................................................... 149 Mongolien................................................................................................................... 153 Blog.................................................................................................................................. 157 À bras ouverts......................................................................................................... 161 Noël en famille......................................................................................................... 163 Ce lien qui t’unit à Lui......................................................................................... 167 Le film............................................................................................................................ 171 Maintenant l’adolescence !................................................................................ 183 Scènes du quotidien............................................................................................. 189 L’espérance................................................................................................................. 221 En avant !...................................................................................................................... 229 Épilogue........................................................................................................................ 233 Et après......................................................................................................................... 235

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Agnès Hittin

Agnès Hittin

Le bonheur dans tes yeux

2020. De très nombreux Français découvrent le visage de Clémence Hittin dans le film De Gaulle où elle incarne Anne, la fille du Général. Pour Clémence, il s’agit d’une parenthèse exceptionnelle dans un quotidien parfois compliqué. Avec une grande douceur, sa maman, Agnès, se livre au fil des pages sur la vie d’une famille nombreuse marquée et enrichie par le handicap. Elle ne cache rien des difficultés et des combats mais veut partager avec les lecteurs une conviction : oui, le bonheur est possible. Aux parents qui s’inquiètent pour l’avenir de leur enfant porteur de handicap, elle donne une réponse pleine d’espérance : le bonheur dans les yeux de leur enfant est la plus belle des réussites.

« Ta trisomie, je l’aime. Si elle n’était plus là, tu ne serais plus toi. » La plus belle déclaration d’amour d’une maman à sa fille. Mère de cinq enfants, Agnès Hittin a créé le blog Le Bonheur dans tes yeux, suivi par plus de 25 000 abonnés. Avec son mari Nicolas, elle travaille actuellement à l’ouverture d’une petite école à travers l’association Dans tes pas.

17 € TTC France www.mameeditions.com

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Couverture : DR

Clémence, la petite fille qui a ému la France dans le film De Gaulle

Préface d’Isabelle Carré

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