Sethi et Nout - A l'ombre des pyramides

Page 1

Sophie De Mullenheim

SETHI nout

à l’ombre des pyramides

Sophie De Mullenheim

SETHI nout

à l’ombre des pyramides

Précieuse cargaison

Sobek surveille le départ des grands blocs de calcaire blanc. Attachés par des cordes sur de solides traîneaux de bois, ils vont être acheminés jusqu’au chantier de la pyramide de Khâfrê1 à quelques kilomètres de là. Les meilleurs tailleurs de pierre de la carrière ont travaillé sur chaque bloc pour les rendre parfaitement lisses. Ils sont destinés à recouvrir toute la face extérieure de la 1. Nous connaissons la pyramide de Khâfrê sous le nom de pyramide de Khéphren. C’est la deuxième plus haute pyramide d’Égypte encore debout aujourd’hui.

7
1

pyramide et réfléchiront le soleil pour signifier la puissance de pharaon.

– À gauche ! hurle Sobek en alerte.

Il vient de remarquer que le sable commence à rouler sous le montant de l’un des traîneaux. S’il continue, le terrain va s’affaisser et l’engin risque de basculer.

Des hommes se précipitent avec des cruches d’eau pour humidifier le sable et le stabiliser. Pendant ce temps, ceux qui tirent le traîneau à l’aide de cordes tentent de le retenir pour l’empêcher de verser sur le côté.

– Des pierres, maintenant ! ordonne Sobek d’une voix forte.

Des ouvriers arrivent à leur tour pour glisser quelques pierres sous les montants. De leur rapidité dépend la réussite de la manœuvre.

Le moment est critique, car si les cordes lâchent et que le chargement bascule, il risque d’écraser plusieurs hommes. Travailler avec des charges aussi lourdes est extrêmement dangereux. Les accidents sont fréquents, même si Sobek fait son maximum pour les éviter.

Sethi et Nout 8

– Allez ! lance-t-il pour motiver ceux qui tractent la lourde charge. Tirez !

Les hommes plantent les pieds dans le sable et bandent leurs muscles. Au signal, ils avancent tous d’un pas. Le traîneau s’ébranle et penche dangereusement.

– Tirez ! Tirez ! hurle Sobek de plus belle.

Les hommes tremblent sous l’effort, et soudain, le véhicule s’arrache du sable et fait un bond en avant qui déséquilibre les premiers hommes le long des cordes.

– Attention ! gronde Sobek en serrant les dents.

Heureusement, l’engin s’immobilise ; il a retrouvé ses appuis. Les hommes se redressent. Ils reprennent leur effort collectif. Un pas après l’autre. Le traîneau avance doucement tandis que quelques-uns mouillent le sable devant lui à mesure qu’il progresse.

Un à un, les traîneaux sortent de la carrière avec leur précieuse cargaison. Sobek s’essuie le front. Il respire mieux. Le plus difficile est fait.

Avant que le convoi ne parte pour de bon, Sobek vérifie une dernière fois la marchandise. Il s’assure que l’armature de bois qui protège la face lisse des pierres

Précieuse cargaison 9

est bien en place. Elle permet de limiter les éclats et les brisures qui peuvent survenir lors du transport. Il en va de sa réputation.

Le trajet jusqu’au chantier n’est pas très long, moins d’une vingtaine de kilomètres, mais Sobek sait que les occasions de casse sont nombreuses. Il est rare en effet que toutes ses pierres arrivent parfaitement intactes sur le terrain. C’est pourquoi il laisse à la disposition du chantier deux tailleurs de pierre capables de réparer les accrocs et autres défauts. Pour cela, ils découpent la pierre autour de l’impact et y insèrent un autre morceau qui fait office de pansement. Si la réparation est bien faite, elle se voit à peine, mais elle demande du temps, et Sobek espère réduire au minimum ces heures supplémentaires qui lui coûtent cher.

Après avoir vérifié le dernier bloc du long convoi qui s’apprête à partir, Sobek se redresse, satisfait. Les pierres sont magnifiques. Toumis, le chef de chantier de la pyramide, sera content.

– Allez ! En route ! lance Sobek en tapant sur le bloc de pierre immobilisé à côté de lui.

Sethi et Nout 10

Précieuse cargaison

Les cordes se tendent, le bois grince et, lentement, le convoi se met en branle.

Sobek soupire. Pourvu qu’il arrive à bon port sans encombre.

2 Une visite imprévue

Quelques jours plus tard, à moins de vingt kilomètres de la carrière.

Les petits fruits jaunes tombent sur Sethi et Nout depuis le haut du palmier.

– Arrête Kekou ! crie Sethi. Kekou !

Le garçon rit tout en se protégeant la tête avec les mains. À côté de lui, Nout grimace sous les fruits durs qui lui mitraillent le haut du crâne.

13

– C’est bon, Kekou, nous en avons assez ! suppliet-elle en riant elle aussi.

Tout à coup la pluie cesse et un petit singe vert sort la tête des feuilles du palmier.

– Bravo, Kekou, le félicite Sethi d’un air joyeux. Descends maintenant. La récolte est suffisante.

Obéissant, l’animal dégringole de l’arbre en un éclair et vient se jucher sur l’épaule de son jeune maître. Sethi ramasse une datte par terre et la lui donne. Le singe à la fourrure grise et jaune l’attrape dans ses petites mains aux doigts agiles, la dépiaute et la grignote avec gourmandise.

– Qu’allons-nous faire de toutes ces dattes ? demande Sethi en croquant lui aussi dans un fruit. Je ne pourrai pas tout manger.

– Ne t’inquiète pas, maman saura comment les cuisiner si nous les lui apportons, répond Nout.

Les deux amis s’accroupissent et commencent à ramasser les dattes éparpillées par terre. Nout se sert de sa robe en lin blanc comme d’un panier. Ils se taisent, entièrement absorbés par leur tâche. Seul le bruit des

14
Sethi et Nout

bracelets de Nout qui tintent entre eux trouble le silence.

Mais soudain, des voix se font entendre de l’autre côté du mur qui les sépare de la cour principale de la maison de Sethi.

– Ce n’est pas vrai ! Qui t’a dit ça ? tonne le père de Sethi dont on reconnaît parfaitement la voix un peu rauque.

Sethi jette un long regard à son amie Nout et lui fait signe de se taire en posant un doigt sur ses lèvres. Son père ne doit pas savoir qu’il est en train de ramasser des dattes dans le jardin. Il lui reprocherait une fois de plus de manger n’importe comment et n’importe quand.

Toumis, le père de Sethi, est toujours très inquiet pour son fils. S’il a bon appétit, il craint qu’il fasse une indigestion. S’il mange du bout des lèvres, il le croit aussitôt malade. Quand Sethi tousse, il l’oblige à porter une amulette. S’il a mal dormi, il fait réciter des formules magiques pour éloigner les revenants. Sethi est le seul fils de Toumis. Arrivé après sept filles, il est la fierté de son père, la prunelle de ses yeux. S’il lui arrivait quoi que ce soit, Toumis ne s’en remettrait pas.

Une visite imprévue 15

Pourtant, Sethi est un garçon en parfaite santé. Il est plutôt grand pour ses douze ans, mince et musclé. Sa peau brune est saine, ses traits réguliers avec un nez légèrement busqué comme sa mère, ses dents parfaites, ses yeux très noirs. Malgré cela, Sethi n’a le droit de presque rien faire. Il est bien moins libre que sa meilleure amie Nout qui a pourtant exactement le même âge que lui.

– Tout le monde en parle, Toumis, répond Maât. Maât, la mère de Sethi, est le plus grand soutien de son mari, sa confidente et sa meilleure conseillère. Il ne prend jamais une décision sans lui demander son avis auparavant et ils sont toujours d’accord. Presque toujours. Car concernant l’éducation de Sethi, Maât trouve que son époux couve trop leur fils. Elle a beau plaider en faveur de plus de souplesse et de liberté pour Sethi, Toumis se montre inflexible. Il ne veut pas que son fils prenne le moindre risque. « Tu vas en faire un faible », reproche régulièrement Maât à Toumis.

« Il aura bien le temps de devenir fort », répond-il invariablement.

Sethi et Nout 16

– Mais comment se fait-il que je sois le dernier prévenu ? s’agace Toumis de l’autre côté du mur.

Les parents de Sethi se sont certainement assis sur le petit banc de pierre adossé au mur. C’est là qu’ils aiment discuter, loin des oreilles indiscrètes des domestiques qui s’affairent sans cesse dans leur grande maison.

– Tu sais ce que c’est, Toumis, répond Maât. La rumeur précède souvent les annonces officielles.

Sethi s’approche un peu plus près du mur pour ne pas perdre une miette de la conversation de ses parents. Au ton de son père, il comprend qu’il vient d’apprendre une mauvaise nouvelle.

– Et toi, comment l’as-tu appris ? demande Toumis à sa femme.

– Les domestiques, répond-elle. Ils discutent beaucoup entre eux. Certains ont dû en entendre parler au marché.

– Sais-tu pour quand c’est prévu exactement ? interroge Toumis, de la tension dans la voix.

– D’ici quelques jours tout au plus. Le temps de tout organiser, je suppose.

Une visite imprévue 17

– Et moi ? Qui me laisse le temps de m’organiser ? s’énerve Toumis.

Sethi regarde Nout en faisant une drôle de moue. Il se demande ce qui peut inquiéter son père à ce point.

Toumis est le chef du chantier de construction de la grande pyramide de Khâfrê, le gigantesque futur tombeau du pharaon en place. C’est un travail passionnant mais avec de très lourdes responsabilités. Chaque jour, Toumis surveille l’avancée des travaux, vérifie l’approvisionnement des matériaux, fait entretenir les outils, veille à ce que ses ouvriers soient bien nourris et traités, contrôle le budget de l’ouvrage... Malgré l’énorme pression qui repose sur ses épaules, il est d’ordinaire un homme calme et posé. Cette façon de réagir ne lui ressemble pas.

– Pourquoi faut-il que cela arrive juste au moment où je viens de découvrir un problème ? se lamente Toumis.

– Un problème ? répète sa femme.

– Nous achetons un plus grand nombre de pierres que ce qui est livré réellement sur le terrain.

– Plus de pierres ? Tu es sûr ? s’étonne Maât.

et Nout 18
Sethi

– Presque, dit Toumis. J’ai l’impression que des pierres disparaissent entre le moment où elles partent de la carrière et celui où je m’en sers sur le chantier. Ce ne sont pas de grandes quantités, il est vrai, mais ces pierres valent une petite fortune Ce sont les pierres de parement2, les plus visibles. S’il m’en manque trop, je vais devoir en racheter à Sobek, et le budget va encore augmenter. Les gens en ont assez de ces dépenses qui n’en finissent pas.

– Tu en as parlé à Apsout ? Qu’en dit-il ? demande Maât.

– Pour l’instant, je ne lui ai rien dit.

– C’est étonnant qu’il n’ait rien remarqué de son côté. Il est un intendant si pointilleux d’habitude.

– Oui, c’est étonnant, répond Toumis, songeur.

Un long silence s’ensuit, puis Toumis soupire et lâche :

– Je ferais certainement mieux de résoudre cette affaire avant la visite de Khâfrê.

2. Le parement est la face extérieure de la pyramide, celle que tout le monde peut voir.

Une visite imprévue 19

Sethi

Nout et Sethi écarquillent les yeux de surprise. Khâfrê ! Khâfrê, le pharaon d’Égypte, va venir visiter le chantier de sa pyramide !

et Nout

NOTE DE L’AUTRICE

La construction des pyramides reste un mystère. Même les plus grands égyptologues ne sont pas tous d’accord sur les techniques employées. Pour élaborer ce roman, il a donc fallu chercher beaucoup, choisir parfois, spéculer un peu aussi, et écrire ce qui paraissait le plus crédible. Demain, peut-être, une nouvelle découverte viendra infirmer ce que nous savons aujourd’hui. C’est le jeu de l’archéologie. C’est également ce qui fait la richesse de l’Histoire et la rend si passionnante.

221
Pyramide de Khâfrê/Khéphren et le grand sphinx

Sethi et Nout sont inséparables. Les deux enfants de douze ans ont été élevés ensemble, la mère de Nout ayant été la nourrice de Sethi. Sethi rêve de découvrir la grande pyramide de Khâfrê dont Toumis, son père, est le chef de chantier. Or des pierres destinées à la construction commencent à disparaître. Sethi décide de braver l’interdit paternel et fugue. Alors que Toumis s’inquiète de la disparition soudaine de son fils, Nout part à la recherche de son meilleur ami. Dans sa quête, elle a un allié de poids : Kekou le petit singe vert de son ami. Il semble savoir où se trouve son jeune maître...

Un roman d’amitié et d’aventure au cœur de l’égypte !
www.fleuruseditions.com 14,90 € France TTC
Dans la même collection :
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.