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Brochet: Habitat et thermie, deux variables essentielles dans la dynamique des populations.

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ÉDITO

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Les populations de brochets sont actuellement soumises à une importante pression halieutique, avec une recherche spécifique de l’espèce par de nombreux pêcheurs, mais aussi et surtout, à de fortes pressions environnementales : des périodes de hautes eaux qui ont baissé en fréquence et en intensité, une accessibilité aux zones de reproduction limitée voire inexistante, l’artificialisation des berges, etc…

Les efforts de conservation et de protection de l’espèce réalisés par les gestionnaires des milieux aquatiques à travers les acquisitions foncières et la création de frayères, doivent se poursuivre et s’intensifier, tout en intégrant les données relatives à l’habitat des cours d’eau.

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En effet, la productivité globale d’un écosystème dépend avant tout de la qualité et de la quantité d’habitats disponibles. Sur des cours d’eau largement anthropisés, comme la rivière Yonne, le « bon état » d'une population de brochets sera fortement corrélée à l'hétérogénéité et l'accessibilité des habitats présents sur les différents biefs. Cette diversité est essentielle pour assurer, aux espèces piscicoles, la réalisation de leurs cycles vitaux dans de bonnes conditions.

Le Brochet Et Son Habitat

Le brochet est une espèce piscicole qui a besoin, tout au long de son existence d’une importante diversité et quantité d'habitats. A chaque stade de développement correspond un besoin spécifique. Dès son plus jeune âge, il est nécessaire pour les brochetons,

Les jeunes brochets, âgés de 1 à 2 ans vont se développer préférentiellement en eaux peu profondes, à proximité des berges, présentant une végétation immergée et flottante importante. Le brochet est un prédateur qui chasse en poste, à l'affût, et qui a besoin de se confondre dans son environnement pour être efficace. Ainsi, avec un taux de recouvrement de 60% par la végétation aquatique, la capacité d’accueil du site sera quasiment maximale. En cours d’eau, il a été démontré que la limite aquatiques. Les biomasses de poissons et la diversité des espèces sont plus importantes dans les cours d’eau présentant des embâcles, des bois immergés, que dans des cours d’eau exempts de tout habitat.

Il est primordial, pour les gestionnaires des milieux aquatiques, de se mettre à la place des espèces piscicoles et de considérer la végétation aquatique, les embâcles, les arbres morts, les blocs rocheux etc…comme fondamentaux d'avoir accès à une végétation aquatique (hélophytes 1 et hydrophytes 2) relativement dense, sur des secteurs peu profonds. Cela permet de disposer d'une nourriture abondante et de se protéger notamment du cannibalisme qui peut atteindre près de 10% de la population, lorsque les densités de brochets sont fortes et l'habitat faible. Cette même végétation va servir de support de ponte, essentiel aux cyprinidés (gardons, rotengles…) qui constituent les premières proies du brochet. entre l'eau libre et la frange végétalisée était capitale pour la prédation, notamment des brochets adultes. Ces grands brochets, qui craignent moins d'être attaqués par leurs congénères, peuvent devenir « pélagiques » et s'aventurent, plus aisément, en eaux libres dans le chenal des cours d’eau. Malgré tout, en période de repos, même les brochets de tailles importantes chercheront un habitat approprié (arbres morts, embâcles, végétation aquatique etc…).

L'importance de l’hétérogénéité de l'habitat n'est pas seulement bénéfique pour les brochets, mais pour l'ensemble des espèces inféodées aux milieux pour la dynamique des populations. La vision anthropocentriste qui consiste à éliminer tous les habitats dans le but de faire « propre » n'a pas de sens d’un point de vue écologique, et, in fine, nuit aux organismes aquatiques notamment aux poissons.

Thermie Et Reproduction Du Brochet

La thermie des cours d’eau dans le département de l’Yonne est suivie depuis une vingtaine d'années par la

PAGE DE GAUCHE

Un milieu encombré, difficile à pêcher mais particulièrement poissonneux.

PAGE DE DROITE

Thermie de l'Yonne à Auxerre en 2022.

Fédération de Pêche. Mais depuis 3 à 4 ans, cette thématique est revenue sur le devant de la scène, avec notamment les épisodes caniculaires extrêmes qui se sont succédés au niveau local, national mais aussi mondial. Les différents rapports du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat), interrogent aussi sur l’avenir de nos cours d’eau quand les modèles prédictifs annoncent des augmentations de l’ordre de 1,5°C à 4,4°C suivant les scénarios. Ces modifications environnementales, si elles se concrétisent, vont profondément impacter les milieux (cycle de l’eau, processus physico-chimique) et les dynamiques de population des organismes qui peuplent les écosystèmes aquatiques.

La thermie est une variable essentielle pour les différentes espèces piscicoles qui peuplent les cours d’eau du département. La température du milieu influe sur le métabolisme des poissons, comme la vitesse de croissance, la digestion des proies, le cycle de reproduction etc…

Des rivières tempérées, comme la rivière Yonne, offrent un spectre thermique convenable pour le brochet. L’optimum thermique pour la reproduction de l’espèce, se situe entre 6°C et 12°C avec un préférendum compris entre 8 et 10°C. Le développement des juvéniles est optimal pour des thermies comprises entre 12 et 21°C. Pour les brochets adultes, l’idéal se situe entre 10°C et 24°C avec un préférendum compris entre 19 et 21°C. A partir de 25°C, l’activité des brochets est fortement réduite et à partir de 29°C-30°C, les conditions deviennent létales pour l'espèce.

Le suivi thermique des cours d’eau initié par la Fédération de Pêche, fournit des informations essentielles pour le suivi de la reproduction du brochet et permet de mettre en évidence de possibles dysfonctionnements. A titre d’exemple, sur la rivière Yonne à Auxerre, en 2022, la période de ponte la plus probable était comprise entre le 1er février et le 12 avril, en prenant en considération le spectre thermique le plus important (6°C - 12°C). Plus finement, si la fenêtre thermique observée est comprise entre 8°C et 10°C, alors la période de ponte optimale était comprise entre le 16 février et le 19 mars.

A partir de 14°C, la ponte est inhibée, donc dès le 15 avril 2022 la reproduction du brochet dans la rivière Yonne sur l’Auxerrois était quasiment finie. Si certaines femelles sont retrouvées, courant du mois de mai, porteuses d’œufs, cela n’est pas la résultante d’une fraie tardive mais à des problèmes biologiques (dysfonctionnement physiologique) ou physiques (absence de zone favorable, problème thermique etc…).

Bien d’autres paramètres interviennent dans le déclenchement de la reproduction (débit notamment), mais cette approche thermique permet d’avoir une première idée de la période favorable suivant les cours d’eaux étudiés. La bonne santé d’une population piscicole repose sur de nombreux facteurs environnementaux qui doivent être réunis pour être efficients. Mais dans un contexte de changement climatique, qui impactera à terme, les masses d’eau d’un point de vue quantitatif et qualitatif, il est évident que ces évolutions sont préoccupantes et sont les premières menaces qui pèsent sur les peuplements piscicoles. Et ce ne sont pas les différentes mesures halieutiques qui permettront aux cours d’eau de retrouver une fonctionnalité écologique et biologique.

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