PubArt

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ECV 2015-2016

FANNY BRANGER

pubart

AU CROISEMENT DE DEUX MONDES



FANNY BRANGER

AU CROISEMENT DE DEUX MONDES

Mémoire de master 1 sous la direction d’Éric Cattelain ECV 2015 - 2016



La créativité sans stratégie, cela s’appelle de l’Art. La créativité avec de la stratégie, cela s’appelle de la publicité Jef Richards


COMMENT L’AVÈNEMENT DE NOTRE SOCIÉTÉ DE CONSOMMATION A RAPPROCHÉ L’ARTISTE DU PUBLICITAIRE ?


SCHÉMA HEURISTIQUE

p. 8

INDÉFINITIONS

p. 9

INTRODUCTION

p. 10-11

L’APPROPRIATION DE L’ART PAR LA PUBLICITÉ Un chef d’oeuvre d’image de marque

p. 12-16

Réinterprétation de l’art d’hier et d’aujourd’hui

p. 17-43

Le luxe, amateur d’art

p. 44-57

QUAND L’ARTISTE COHABITE AVEC LA PUBLICITÉ La réclame s’affiche et fascine

p. 60-65

L’artiste fait sa pub

p. 66-77

Le « culture jamming » en critique de pub

p. 78-89

CONCLUSION

p. 90-91

BIBLIOGRAPHIE & WEBOGRAPHIE

p. 92-93


ART

MARCHÉ DE L’ART MARKETING

SIGNATURE SLOGAN COURANT ARTISTIQUE MARQUE

COMMANDITAIRE CLIENT

MUSÉES MÉDIAS

EXPRESSION COMMUNICATION

ARTISTE DA PEINTURE/SCULPTURE AFFICHE/FILM

PUB

UNIQUE EN SÉRIE


PUB (n.f)

ART (n.m)

La pub, « action de rendre public », est un moyen de communication à réflexion marketing qui se met au service d’une marque, cherche à toucher une cible, la plus large possible, pour lui vendre un produit ou un service. Elle prend plusieurs formes : print (affiche, annonce presse), spot radio, spot tv, stunt ( street marketing ), PLV ou encore opération digitale ( réseaux sociaux, application,... ). Une création publicitaire se compose d’un slogan qui synthétise le message que doit véhiculer la marque et un visuel impactant conçus par un concepteur rédacteur et un directeur artistique, la team créative de la publicité.

L’art est difficilement définissable, il a une longue histoire marquée par plusieurs courants artistiques qui rendent complexe la réponse au « qu’est-ce que l’art ? ». Plusieurs qualificatifs lui sont associés, pour la plupart diamétralement opposés tels que : beau, provocateur, classique, moderne, visionnaire, abstrait, figuratif, expressif, esthétique, instinctif, unique …

D’abord sous l’appelation de la réclame, c’est avec l’industrialisation et l’essor des marchés de grande consommation au XIXe siècle que la pub prend de l’ampleur. La première agence de publicité voit le jour en 1842 à Philadelphie et depuis une multitude d’autres agences sont nées à travers le monde. La publicité a désormais une place très importante dans notre société, elle en est un témoin idéal mais souvent critiqué, notamment par les artistes, pour son omniprésence dans notre quotidien ou plus rarement admirée pour sa force créative. Selon le philosophe Marshall McLuhan « La publicité, c’est la plus grande forme d’art du XXe siècle ».

En perpétuelle mutation, l’art est d’abord associé à l’artisanat et son savoir-faire avant de basculer, à la Renaissance, de la technique au service de l’esthétisme à celui de l’expressivité. Fin XIXe siècle, arrive l’Impressionnisme puis l’Avant-Garde qui bousculent les normes érigées par leurs prédécesseurs. Ainsi l’artiste contemporain se veut provocateur et novateur et change considérablement notre vision de l’art. Le concept l’emporte peu à peu sur l’esthétisme pour s’inscrire davantage dans son époque, comme un témoin plus ou moins contestataire et contestable qui souhaite délivrer un message, un sentiment à travers ses créations. En cela l’art rejoint la pub qui délivre un message mais à des fins mercantiles.


NOUS OCCUPONS LA MAJEURE PARTIE DE NOTRE TEMPS À REGARDER UN ÉCRAN ET NOUS AVONS L’ILLUSION DE CONNAÎTRE LE MONDE À TRAVERS LUI. LES IMAGES ONT UN POUVOIR DE PERSUASION QUI DÉPASSE DE LOIN CELUI DES MOTS. QUI VEUT EXERCER SA DOMINATION SUR LES MASSES A DEPUIS TOUJOURS PRODUIT ET CONTRÔLÉ LES IMAGES : À CERTAINES ÉPOQUES LES PAPES ET LES ROIS, AUJOURD’HUI LES AGENCES PUBLICITAIRES. NOUS N’AVONS PAS LE POUVOIR D’ARRÊTER DE LES REGARDER, ELLES NOUS ATTIRENT IRRÉSISTIBLEMENT AU POINT DE NOUS OBSÉDER.

Extrait de la préface « L’image au pouvoir » par Maurizio Cattelan F. Bonazzoli et M. Robecchi, Ceci est une icône, du chef-d’oeuvre à la culture populaire Éditions 5 continents, Milan, 2013

La publicité et l’art sont deux mondes créatifs qui savent jouer avec les images pour illustrer un message, chacun au service d’un intêret très différent mais qui présente tout de même certaines similitudes. Le publicitaire doit vendre et pour cela il utilise des images et des mots qui touchent le grand public pour aboutir le plus souvent à l’acte d’achat, la publicité est donc régie par un intêret mercantile. L’artiste, quant à lui, a comme volonté de s’exprimer à travers des médiums tel que la peinture, la sculpture ou encore la vidéo, afin de critiquer ou montrer les qualités du monde qui l’entoure de la façon la plus personnelle et authentique qu’il soit. En cela l’art n’a pas de fonction prédéfinie auquelle se tenir, l’artiste est maître du message qu’il souhaite véhiculer. Néanmoins l’idée que l’art n’aurait pas de prix est utopique, certes il a une indépendance et un anticonformisme que la publicité n’a pas, ou que très rarement, puisqu’elle est soumise à un certain nombre de contraintes liées au support (ex. format court de la radio et mentions légales), à des règles juridiques (ex. Loi Évin) ou encore à l’opinion publique qu’il faut éviter de contrarier si elle veut que son message soit validé, mais l’art a aussi une valeur mercantile à laquelle il est difficile d’échapper. L’artiste doit souvent faire des concessions pour que son oeuvre soit appréciée et ainsi gagner sa vie au grand dam de bon nombre d’artistes qui se voient dans l’obligation de vendre leurs talents aux annonceurs et aux marchands d’art pour vivre et continuer d’exercer leur métier/passion en toute quiétude.


L’artiste a depuis toujours eu des commanditaires, c’est d’ailleurs de l’artisanat qu’est issue sa fonction première, comme le démontre les sculptures de propagande des empereurs de l’Antiquité ou encore les toiles des grands maîtres de la Renaissance qui avaient pour mission de dresser des portraits souvent idéalisés révélant richesses et pouvoir de la personne représentée. Le tout avec le plus d’esthétisme possible, selon des canons artistiques réglementaires enseignés à l’académie de peinture et de sculpture. Avec l’Avant-Garde, l’artiste se libère de ces règles esthétiques pour laisser libre cours à l’expression de sa créativité mais le marché de l’art le ramène toujours à une valeur mercantile. Les artistes contemporains sont d’ailleurs de plus en plus proche du marketing, certains vont même aller jusqu’à devenir une marque à part entière. On constate que l’art s’est rapproché du grand public à partir des années 1960, à travers un grand nombre d’expositions et une couverture médiatique appuyée par la publicité. Il n’est plus tellement l’affaire de quelques connaisseurs, notre société de consommation voit en l’art un bon moyen de vendre. L’art s’immisce dans notre quotidien, on peut alors se procurer des reproductions à moindre prix d’artistes comme Klimt ou encore Picasso chez Ikea, se refaire sa garde robe avec des T-shirt illustrés des petits personnages de Keith Haring, acheter une trousse, un cahier et un agenda Ben Vautier à ses enfants pour la rentrée,... Autant de possibilités pour que l’art soit à la portée de tous. La publicité a bien compris que l’art avait un atout indéniable pour rassembler les foules et susciter leur curiosité : son caractère unique et authentique. Une oeuvre d’art a une qualité de mémoire collective, elle véhicule un message sans frontières et est le témoin de l’époque auquelle elle appartient. En cela la publicité porte un regard interessé sur l’art et le place comme l’une de ses plus grosses références. À travers le détournement d’une oeuvre et la collaboration avec un artiste, la pub cherche à s’innocenter de sa valeur marchande et veut se donner une légitimité culturelle, avec pour idéal de proposer au consommateur quelque chose d’éthique, d’efficace et d’artistique. Cette envie de proposer une publicité esthétique et créative répond à une volonté de mieux vendre aux consommateurs mais aussi d’obtenir les louanges des festivals de la création publicitaire à travers le monde, dont l’un des plus célèbres, les Cannes Lions. À l’aide de ce mémoire, nous répondrons à la problématique suivante: Comment l’avènement de notre société de consommation a rapproché l’artiste du publicitaire. Nous regrouperons ainsi plusieurs exemples déterminant les liens étroits entre l’art et la publicité. Dans un premier temps nous traiterons de l’appropriation de l’art par la publicité à travers la reprise d’oeuvres d’art iconiques, notamment dans le domaine du luxe. Puis nous nous intéresserons à la cohabitation de l’artiste avec la publicité, à travers la notion d’artiste marketé et le monde de l’art qui s’approprie le médium de la publicité dans ses créations, souvent pour mieux la critiquer.



L’APPROPRIATION DE L’ART PAR LA PUBLICITÉ


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UN CHEF D’OEUVRE D’IMAGE DE MARQUE

Si l’on devait dater la première fois où la publicité aurait utilisé l’art à des fins commerciales, ce serait en 1886. Francis Pears, dirigeant de la fabrique anglaise de savon Pears, était propriétaire d’un tableau du peintre britannique préraphaélite John Everett Millais (1829-1896) connu notamment pour son oeuvre La mort d’Ophélie (1852) exposée au Tate Britain à Londres. Avec l’aide de son beaux fils, Thomas J. Barrett, concidéré comme l’un des premiers génies du marketing, Francis Pears aurait demandé à John Everett Millais l’autorisation d’utiliser son tableau A child World pour la publicité de sa marque de savon. Idéal pour illustrer une publicité pour du savon, l’oeuvre représente un chérubin (le petit fils du peintre) en train de regarder des bulles de savons s’élever. Contre toute attente, John Everett Millais accepte et va même aller jusqu’à y intégrer un savon sur lequel figure le logo Pears. Le tableau est alors rebaptisé Bubbles et malgré le scandale qui l’entoure car on l’accuse de dépraver le « Grand Art », cette affiche publicitaire devient une icône que le grand public s’arrache pour l’avoir chez soi, affiché dans son salon, comme si chacun pouvait se procurer l’oeuvre d’un des plus grands peintres anglais du XIXe siècle. L’appropriation d’une oeuvre d’art pour en faire son visuel publicitaire devient alors la marque de fabrique des savons Pears mais Bubbles en reste le plus célèbre pour l’effet de surprise que celui-ci a pu provoquer sur ses contemporains.

qui apparaissent au même moment, chacune cherche à se distinguer, à trouver une identité de marque qui lui est propre afin de mieux se démarquer de la concurence, c’est pourquoi on fait appel aux publicitaires et leurs capacités créatives à trouver des images de marque. Le coup de génie marketing des savons Pears répond à cette notion d’identité de marque, en utilisant une oeuvre d’art, le fabriquant prend alors le contrepied de tout ce qui peut se faire ailleurs, pour marquer de façon plus percutante l’esprit du consommateur en faisant appel à sa sensibilité artistique. Le publicitaire Damien Perret déclare « flatter la culture du consommateur le valorise et valorise la marque ». L’oeuvre d’art apparait alors comme un outil médiatique et commercial redoutable, tout comme la publicité elle s’admire et peut être sujet à indignation. La perfection d’une oeuvre va être ce qui attire la pub, elle lui fournit un modèle visuel efficace et à moindre coup. La publicité appuie lapromesse de la marque par la réappropriation d’une oeuvre d’art mondialement connue pour associer le caractère prestigieux de l’art à celui de la marque. Comme on peut le constater avec la réinterprétation d’oeuvres célèbres pour créer des logos de marques. En 1965 Manpower (agence américaine spécialisée dans le recrutement et l’interim) adopte les traits d’un dessin célèbre de Léonard De Vinci, L’Homme de Vitruve (1490) pour son logo et ce jusqu’en 2006. L’enseigne souhaite ainsi illustrer sa vision du monde du travail avec pour symbole un homme en mouvement, actif et au coeur de l’ouvrage. Ce logo marque plusieurs générations et est combiné au slogan « l’innovation au service de l’humain et de l’emploi » qui dépeint le lien étroit entre l’Homme et la technique et s’oppose à l’industrialisation

Avec la révolution industrielle de 1850 on constate une intensification des échanges commerciaux, essentiellement dus au boom ferroviaire des années 1840. L’ouverture des marchés va voir les offres publicitaires se multiplier, au revoir société agraire et artisanale, bonjour société commerciale, industrielle et capitaliste en devenir. La concurence devient de plus en plus rude entre les entreprises 14


I/L’appropriation de l’art par la publicité

John Everett Millais, A child World (1885)

Affiche Bubbles (1886) pour les savons Pears

qui passe au second plan l’homme, au profit de la machine et la mécanisation de l’emploi. Quiksilver construit aussi son logo sur le modèle d’une oeuvre d’art, l’estampe japonnaise La Grande Vague de Kanagawa (1832) d’Hokusai, cette foisci avec un traité plus minimaliste, où la référence y est moins évidente. On constate encore une fois l’adéquation de l’oeuvre (une vague et une montagne) avec les domaines d’activité de la marque (le surf et le snowboard). Certainement l’un des logos issu d’une oeuvre d’art les plus emblématiques, Nestlé et sa Laitière est depuis 1973 une référence en la matière. Il reprend l’oeuvre du même nom, peinte par le néérlandais Johannes Vermeer en 1658. Cette laitière, icône de la peinture flamande, donne une valeur artisanale et rurale à la marque de yaourt, elle rassure le consommateur, donne plus d’authenticité au produit et il est bien connu que l’authenticité fait vendre, c’est en partie pourquoi elle rencontre toujours autant de succès et pourquoi elle n’est pas seulement utilisée comme logo

mais aussi comme l’actrice principale de toutes ses campagnes publicitaires. Comme le montre le premier spot TV de la marque, diffusé en 1974, on y voit le tableau reconstitué s’animer, à l’époque la marque s’appelle encore Chambourcy et son slogan est un clin d’oeil détourné du tableau : « La Laitière, un chef-d’œuvre de Chambourcy ». Forte de son succès, l’image de la laitière apparaît sur l’emballage des yaourts en 1979 et depuis une vingtaine de produits Nestlé de la même gamme sont nés. La marque déclare « Nous ne pensions pas que ce tableau aurait une durée de vie si longue dans la communication ». Comme autre oeuvre majeure de l’artiste reprise dans plusieurs publicités on retrouve également La Jeune Fille à la perle (1665), dont l’histoire d’amour impossible qui se cache derrière son visage fascine le public. En 2010 on la retrouve dans les campagnes pour Faber-Castell (avec la Joconde et l’autoportrait de Van Gogh) et le fabricant italien de linge Zucchi qui transforme me mythique turban du modèle en une serviette de bain. 16


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L’engouement pour cette oeuvre intervient après la sortie du film éponyme en 2004 de Peter Webber avec Colin Firth et Scarlett Johanson dans les rôles titre du peintre et son modèle. Le film sera même nominé trois fois aux Oscars, projetant immédiatement le tableau au coeur de l’imaginaire populaire. Pour reprendre les mots de Gabriel Gaultier, directeur de création et fondateur de l’agence parisienne Jésus et Gabriel mais aussi l’une des figures emblématiques de la création publicitaire, « dans la mesure où l’art fait partie du patrimoine commun de l’imaginaire, il est inévitable que la pub le récupère, de même qu’elle fait sans cesse des emprunts aux films, à la musique ou même au langage et aux expressions populaires ». Et à Christian Vince, directeur de création chez DDB Paris, d’ajouter « les droits des oeuvres les plus connues sont tombés dans le domaine public depuis longtemps. Ceux qui ont recours à ce procédé sont sûrs de faire quelque chose de plutôt beau, qui ne coûte pas cher et qui parle à tout le monde... C’est un peu facile, mais c’est tout bénef. » Et « les choses complètement nouvelles qui naissent spontanément, je n’y crois pas trop. Après tout, les artistes eux-mêmes se sont toujours inspirés des oeuvres préexistantes d’autres artistes. Il y a eu aussi beaucoup de réinterprétations, Mona Lisa a été détournée souvent, par Duchamp ou encore Warhol. »

Johannes Vermeer, La Laitière (1658) Logo La Laitière de Nestlé Affiche publicitaire pour La laitière en 1979 qui joue avec l’âge de la peinture Hokusai, La Grande Vague de Kanagawa (1832) Logo de Quiksilver

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I/L’appropriation de l’art par la publicité

RÉINTERPRÉTATION DE L’ART D’HIER ET D’AUJOURD’HUI

La valeur marketing d’une oeuvre d’art pousse les publicitaires à en détourner ses plus icôniques représentantes dans leurs campagnes publicitaires.

En 1981 Andy Warhol déclare « l’art c’est déjà de la publicité » et il s’attarde sur une oeuvre d’art en particulier, La Joconde (1506) de Leonard de Vinci: « Elle aurait pu servir de support à une marque de chocolat, à Coca Cola ou tout autre chose. » Véritable icône internationale et intemporelle, peut-être même l’oeuvre d’art la plus connue au monde, à la fois énigmatique et réaliste, La Joconde est l’une des oeuvres les plus utilisées par les marques pour vendre tout et n’importe quoi grace à son sourire inimitable. Son détournement relèverait presque d’un exercice de style publicitaire depuis 1950. Ce monument de la peinture est alors réinterprété de plusieurs manières. La plupart des publicités la mettant en scène gardent le même cadrage que l’oeuvre originelle mais en lui apportant quelques retouches. Consilium Medicum, un magazine médical ukrainien, sort une série de print reprenant trois portraits peints de femmes, dont Mona Lisa, avec comme accroche « what you see is what you know ». Cette publicité tente de révéler l’origine médicale de sa pose mythique, elle nous dit par exemple que son célèbre sourire est dû à une « paralisis nervae facialis ». Bic choisi de reprendre la Joconde par le biais de l’oeuvre de Marcel Duchamp L.H.O.O.Q (1919) qui elle même reprend celle de De Vinci. On y voit Mona Lisa couverte d’une moustache gribouillée au stylo. La marque s’approprie alors l’origine de cette réécriture de l’oeuvre dada accompagné

de l’accroche « anyone can be an artist ». Pour Schleiper, une enseigne de magasin de matériel artistique belge, Ogilvy & Mather Bruxelles réalise en 2009 un print présentant la Joconde telle quelle mais flanquée d’un ticket de caisse sur lequel on retrouve une liste imaginaire des fournitures utilisées par De Vinci pour réaliser son chef d’oeuvre et ce à un prix des plus résonnables. Ainsi l’enseigne nous prouve la qualité de ses produits et s’adresse aux artistes en quête d’une création aussi prestigieuse que La Joconde. Les marques Pantène et Blistex vont quant-à elles jouer avec les défauts de l’oeuvres. Pantène la recoiffe grace à son produit miracle, fini les cheveux dépourvus de volume et cachés sous un léger voile. Blistex avec un gros plan sur son visage utilise une nouvelle fois son sourire emblématique pour vanter les mérites de son baume à lèvre hydratant en reprenant pour métaphore les craquelures du tableau comme des lèvres gerçées. Reine de beauté, Mona Lisa est également une digne représentante de l’Europe, c’est pourquoi des compagnies aériennes jouent aussi avec son image. Lufthansa reprend ce symbole d’élégance et la vulgarise pour nous parler de ses prix bas, « My god, France is so cheap these days. » Pour rappel, cette compagnie aérienne allemande avait déjà utilisé l’image de la Joconde au temps des réclames. De son côté, Turkish Airlines s’approprie son image pour en faire une Mona Lisa africaine avec comme message « Europe meets the colours 18


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of Africa », ainsi cette publicité tend à montrer le lien entre l’Europe et l’Afrique grâce à l’une des dignes représentantes de l’Europe.

wasn’t a smile on Mona Lisa’s face ». Les publicités Mona Lisa de Caramilk en 1973 et McDonald’s en 2011 mettent également en scène, dans l’atelier de l’artiste, leur interprétation du mystère qui entoure son sourire, en placant leurs produits et sa gourmandise comme la cause de ce dernier.

Les publicitaires n’hésitent pas non plus à changer son cadrage quand le message s’y prête. Pour Audi, le cadrage s’élargit et fait le lien entre le chef d’oeuvre artistique et le chef d’oeuvre automobile. En présentant Mona Lisa en pied, cette Audi laisse entendre qu’elle a encore plus à nous montrer, « a masterpiece with much more ». Avec cette campagne la marque tend à se démarquer de ses rivaux en choisissant de ne mettre son produit qu’en seconde lecture du visuel, Mona Lisa est alors un moyen d’attirer le regard du consommateur curieux. Même procédé pour la campagne Head & Shoulders de 2008 qui choisit de montrer sous un nouvel angle La Joconde depuis le point de vue d’Head & Shoulders sur un abris bus placé devant un musée. Ils font de même avec l’autoportrait de Van Gogh, peut-être bien l’une des oeuvres les plus reprise par la publicité après Mona Lisa. De cette façon la marque témoigne de cette volonté qu’a la publicité de faire entrer l’art dans l’espace urbain.

Une théorie entourne l’oeuvre, comme quoi ce portrait ne serait pas celui de Mona Lisa mais celui de l’amant du peintre, Gian Giacomo Caprotti, dit Salaï, qui a prêté ses traits à l’oeuvre de Saint Jean-Baptiste en 1513. Une découverte récente du spécialiste Silvano Vincenti affirmerait même, après étude infrarouge, que le maître ne se serait pas inspiré d’un, mais de deux modèles et que Mona Lisa serait l’anagramme de Mon Salaï. En 2007 une publicité pour le site de rencontre allemand Know One se joue de cette théorie en incrustant au tableau l’image de Salaï. Banania joue également avec cette rumeur en 1988 dans une spot TV petit déjeuner chocolat. Encore une fois plongée dans l’atelier de l’artiste, on y voit une Mona Lisa au masculin, en pleine séance de pose, dire face caméra « et en plus il peint, quel homme ! » en parlant de De Vinci, comme un possible clin d’oeil à cette liaison secrète qui passionne tant le public.

Dans certains cas la publicité prend quelques libertés en remplacant le visage de la Joconde par ceux de mannequins ou d’actrices. En 2003 Pizza Hut utilise une Mona Lisa sous des traits plus vrais que nature, avec le slogan « préparez-vous à quelque chose de vraiment italien » afin de promouvoir une pizza italienne car qui mieux qu’une icône italienne de renom pour vendre l’Italie ? On va même jusqu’à changer sa couleur de peau en la rendant noire, sous les traits de l’actrice Whoopi Goldberg dans la publicité « 1 in 3 like me » pour la marque américaine d’hygiène féminine Poise en 2010. Sur le ton décalé, le spot publicitaire montre une Mona Lisa sujette à des problèmes de fuites urinaires à cause d’un rire qu’elle ne maîtrise pas, on la retrouve en pleine séance de pose dans l’atelier de l’artiste à qui elle parle, comme si l’on assistait aux coulisses de la création de l’oeuvre, dans l’intimité du modèle et de son maître. Le slogan qui accompagne le print de la campagne tente alors de donner une signification derrière ce sourire si mystérieux « There’s a 1 in 3 chance that

Enfin, l’adaptation diffère parfois de l’oeuvre originelle sans pour autant la rendre moins lisible, elle est tellement connue, inscrite dans la mémoire collective, que les publicitaires peuvent se permettre des réinterprétations plus graphiques et suggérées. La marque de peinture allemande Dulux veut montrer en 2005, par l’utilisation de l’image de la Joconde, qu’elle propose une large gamme de couleurs digne de rivaliser avec la palette de Leonardo De Vinci, la toile est alors présentée sous une forme cryptée, composée d’un ensemble de carrés de couleurs et leurs références. On retrouve le même type de visuel et le même message pour l’imprimerie macédonienne Skenpoint en 2009 avec sa campagne Printing House mais version pantone et qui s’approprie également l’autoportrait de Van Gogh et la Marilyn d’Andy Warhol, deux autres icônes de l’art largement reprises par la publicité. 18


I/L’appropriation de l’art par la publicité

Une campagne, plus populaire, de 2014 pour Lego s’inscrit dans la même réinterprétation de la Joconde mais cette fois ci pour promouvoir la créativité et son développement chez les enfants. Le visuel est créé à partir de briques de Lego, comme ci quelque chose d’aussi ludique qu’un simple jeu de Lego pouvait aboutir à quelque chose d’aussi grandiose qu’un chef d’oeuvre artistique. Pour cette campagne la Joconde, qui en reste sont visuel le plus populaire, est accompagnée de six autres prints qui reprennent également des peintures marquantes de l’histoire de l’art (l’autoportrait de Van Gogh, American Gothic de Grant Wood, Le Fils de l’Homme de René Magritte, La Jeune Fille à la Perle de Johannes Vermeer et La Dame à l’Hermine de Léonard de Vinci). Magimix, société française d’appareils électroménagers sort une campagne en 2011 « only the exceptional last », y sont réinterprétés la Joconde mais aussi une oeuvre de Picasso et de Magritte sous la forme de légumes découpés qui ne sont pas sans rappeler l’oeuvre du peintre maniériste italien Giuseppe Arcimboldo. La marque surfe alors sur la tendance du food design faisant des cuisiniers de véritables artistes. Ainsi la Joconde reste l’oeuvre la plus réinterprétée dans la publicité mais n’en est pas pour autant la seule.

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CARAMILK - 1973

www.youtube.com/watch?v=k4yqlttpJvk

MCDONALD’S - 2011

www.culturepub.fr/videos/mcdonald-s-big-mac-mona-lisa/

POISE - 2010 « 1 IN 3 LIKE ME » AVEC WHOOPI GOLDBERG

www.youtube.com/watch?v=BS1Wr_zTPWU

BANANIA - 1988 PETIT DÉJEUNER CHOCOLAT

www.ina.fr/video/PUB3784091077


I/L’appropriation de l’art par la publicité

Arcimboldo, peintre maniériste italien du XVIe siècle est également une grande source d’inspiration pour les publicitaires, de par son style unique. Un vrai engouement entoure ses peintures, elles sont comme des enigmes visuelles qu’il nous plait à en déchiffrer tous les symboles cachés, c’est pourquoi la publicité lui empreinte son style, elle veut elle aussi qu’on se retourne sur elle et qu’on y attarde son regard. En 2011, Darty décline trois thèmes dans une campagne print, la cuisine, les équipements électroménagers et les loisirs, les trois domaines d’activité de l’enseigne présentés sous la forme de montages à la manière d’Arcimboldo des différents produits vendus par le magasin. Les visuels sont alors impactant de par leur originalité. En 2007, Malibu en fait de même avec la campagne « Caribbean Creation » et un détournement festif et exotique de son oeuvre, le but étant d’associer un produit grossier à une image culturelle valorisante, exemple de raffinement et de créativité.

Enfin Perrier créé deux portraits à la manière du peintre, « Lime dit l’Ensorcelleur » et « Citron dit le Taquin » pour promouvoir ses boissons aromatisées aux citrons vert et jaune. La campagne remporte un grand succès auprès du public et un Gold Award, catégorie Affiche en 1989, qui prouve l’engouement du public pour ce style maniériste atypique.

Arcimboldo, « été » (1563) Extrait de la série des Quatre Saisons

Michel-Ange, La Création d’Adam (1511) détail de la fresque de la Chapelle Sixtine, Vatican

On peut également s’arrêter sur l’oeuvre de Michel-Ange, La Création d’Adam (1511), célèbre fresque de la Chapelle Sixtine. L’image de ces deux mains (Adam et Dieu) est devenue si familière à l’imaginaire visuel international que la publicité n’hésite pas à s’en emparer pour vendre. Elle vient illustrer le célèbre « connecting people » de Nokia en 1997 ou encore une publicité Pizza Hut « préparez-vous à quelque chose de vraiment italien » en 2003. On constate alors que le message d’origine religieuse de ce fragment de fresque est complètement désacralisé par la publicité, prouvant alors toutes les possibilités de significations que l’on peut donner à une image. Elle est également prisée des publicitaires car c’est un symbole de la création, comme le montre la publicité pour Lego signée par l’agence allemande Jung von Matt en 2014 et l’accroche « create » qui vient accompagner la réinterprétation des mains de Michel-Ange en celles d’un enfant et son jouet.

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Publicités pour Malibu (2007), Perrier (1989) et Darty (2011) à la manière du peintre Arcimboldo

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I/L’appropriation de l’art par la publicité

Publicités pour Lego (2014), Pizza Hut (2003) et Nokia (depuis 1997) en référence à La Création d’Adam (1511) de Michel-Ange

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Plus récemment, en juin 2014, l’agence de publicité française Australie a injecté de la culture dans notre quotidien à travers une série de prints décalés pour l’espace culturel Leclerc. Ils reprennent des oeuvres classiques auxquelles sont ajoutées des accroches contemporaines de notre quotidien comme « Chérie, Ibiza ça te dit ? » ou encore « J’appelle ou j’attends qu’il mappelle ? ». Cette campagne ludique montre alors une confrontation des genres impactante, qui fait sourire et donne un quotient sympathie doublé d’une valeur culturelle à l’annonceur. Largement partagée sur les réseaux sociaux, la campagne a eu un grand succès et illustre bien sa signature « la culture dans la vie ».

Campagne publicitaire pour l’espace culturel Leclerc (2014)

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Affiche pour les JO 1948 de Londres

Publicité pour Reebok Classic (2000)

Les oeuvres de la Renaissance ne sont pas les seules à s’exposer aux détournements de la publicité. L’antiquité et ses emblématiques sculptures est une source inépuisable d’inspiration pour la publicité et il est toujours plaisant de voir des chef d’oeuvres d’une telle solennité réappropriés par le marketing.

d’atteindre son but mais sans aucune expression triomphale sur le visage, l’oeuvre personnifie alors la tentative, le moment qui précède l’exécution d’un geste. Cette sculpture se révèle être plus humaine qu’on ne le croit, le véritable sujet ici n’est pas de montrer le sportif dans sa superbe triomphante mais dans sa tentative d’atteindre son but, ce à quoi tout le monde peut alors s’identifier. Il est utilisé pour l’affiche des JO de Londres en 1948, comme clin d’oeil aux origines de l’évènement. En 2000 c’est sous ses traits qu’est présenté l’égérie de la campagne Reebok, accompagné du slogan « Greek Classic ».

Parmis elles on retrouve le Discobole de Myron (480-440 av. J.C.) un marbre de 155 cm de haut qui représente pour l’historien de l’art Walter Pater « tout ce qui fut jamais rêvé ou vu dans la Grèce antique ou sur les rives de la Tamise, du corps intact de la jeunesse ». La publicité réutilise ce symbole de la virilité masculine dans des campagnes mettant en avant la compétition sportive et l’esthétique sportive. Sa figure idéalisée à la particularité d’être saisie dans le moment de concentration extrême du lanceur désireux

Autre sculpture célèbre sur laquelle s’arrêter, la Vénus de Milo (200 av. J.C.), un marbre de 204 cm conservé au Musée du Louvre, qui pourrait bien être l’oeuvre la plus célèbre du musée après la 28


I/L’appropriation de l’art par la publicité

Publicité pour General Telephone & Electronics (1963)

Publicité pour la super glue Loctite (2009)

Joconde et comme le dit le poète Théophile Gautier en 1867 : « Parmi ces statues il en est une que tous les musées d’Europe nous envient et qui passe avec raison pour le type accompli du beau, pour la réalisation la plus parfaite de l’éternel féminin. Tout le monde a déjà nommé la Vénus de Milo ». C’est l’énigme de son iconographie, de ce qu’aurait pu être ses membres manquants, qui lui garantie l’immortalité dans l’imaginaire collectif. Au début des années 1980 le Louvre ira jusqu’à inviter le public à soumettre des hypothèses sur l’action que pourrait bien effectuer cette Venus, l’un des visiteurs y supposera avec humour qu’elle doit faire un service de tennis. Le musée cherche alors à stimuler l’imagination des artistes, des metteurs en scène et des publicitaires. En publicité elle est utilisée en 1963 par General Telephone & Electronics de Stamford pour les premiers téléphones munis d’un système mains libres

avec le slogan « le téléphone qui peut s’utiliser sans les mains », la Vénus y apparaît alors comme sa parfaite ambassadrice de marque. On se joue également de l’amputation de ses bras en 2005 dans le spot publicitaire pour la bière américaine Budweiser dans lequel on nous révèle avec ironie l’origine de cette amputation. On la réprésente avec une Bud Light dans chaque mains et c’est en voulant les prendre que deux hommes finissent par lui arracher malencontreusement les bras. Et en 2009 la marque de super glue Loctite tente de recoller les morceaux entre la Venus et ses bras manquants, montrant ainsi la qualité ultra collante du produit.

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BUDWEISER - 2005 BUD LIGHT - VÉNUS DE MILO

www.youtube.com/watch?v=ZgEXc0e4O6s


I/L’appropriation de l’art par la publicité

Après les peintures de la Renaissance et les sculptures de l’Antiquité, attardons nous sur des oeuvres plus contemporaines allant de l’impressionnisme, aux artistes d’aujourd’hui. Parmi les artistes les plus repris dans la publicité on compte également Vincent Van Gogh. L’attraction qu’il exerce sur la mode, le cinéma et la publicité montre que sa vision fait partie intégrante de la culture populaire contemporaine, sa capacité à insuffler de l’extraordinaire dans la vie ordinaire fascine et c’est pourquoi la publicité le copie. Dans le cadre de la promotion de la carte Fnac MasterCard en 2005, la Fnac Belgique présente une affiche mettant en scène un fleuriste sous les traits de Van Gogh, entouré de Tournesol, en clin d’oeil à son oeuvre Les Tournesols (1888). On constate alors qu’il est aujourd’hui quasiment impossible d’observer ou de reproduire des tournesols sans penser à ce tableau et quand la publicité détourne l’image de l’artiste, elle a une certaine tendance à les glisser quelque part dans le visuel. La particularité de cette artiste est que ce n’est pas seulement son style que l’on réinterpréte mais aussi, comme vu précèdemment, son physique avec ses autoportraits. On le retrouve alors dans des publicités pour des Lego, des lunettes de vue, des appareils photos, des casques audio, une compagnie de transport ou encore des médicaments contre la schizophrénie, toutes ces publicités jouent avec sa personnalité trouble et sa célèbre oreille coupée.

Publicité pour la Fnac MasterCard (2005)

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pubart : au croisement de deux mondes

Shutterstock « from scratch to masterpiece » (2012) Alliance Française « Art from a new perspective » (2007) Travelart « see New York before it’s too late » (2011)

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KelOptic (2013) Lego « imagine » (2014) Samsung « for self-portraits, not selfies » (2015)


I/L’appropriation de l’art par la publicité

Zeldox «for schizophrenia » (2007) Panasonic « a sound experience you wouldn’t to miss » (2014) Welti-Furrer «finest art transports » (2015)

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pubart : au croisement de deux mondes

Avec pour but d’interpeller et de contredire la logique visuelle, les tableaux de l’artiste belge René Magritte ont une esthétique basée sur la transgression et une vision déformée de la réalité qui convient parfaitement à l’anticonformisme du discours publicitaire moderne. C’est l’un des artistes les plus repris dans la publicité, au même titre que son confrère surréaliste Salvador Dali ou encore l’artiste pop, fervant défenseur de la publicité, Andy Warhol. Parmi les oeuvres de René Magritte les plus réinterprétées par la publicité on retrouve La Trahison des images (1929), célèbre pour son visuel d’une pipe accompagnée de la phrase « ceci n’est pas une pipe ». La plupart du temps, les publicitaires s’approprient la phrase et la détourne sans forcement en comprendre le sens, ce qui les interesse est avant tout le contraste qui opère entre le texte et l’image. Siemens (2001) la transforme en « ceci n’est pas un mobile » et Allianz (2006) en « ceci n’est pas un marteau » ou encore «ceci n’est pas une peau de banane », ils se trompent alors totalement en disant que l’objet n’est pas l’objet. Cependant l’or-

ganisme CCFD Terre Solidaires l’utilise en 2010 de la bonne manière pour parler de la lutte contre les clichés, comme le montre l’accroche de l’une des affiches de la campagne publicitaire, « ceci n’est pas une africaine qui souffre de la faim, c’est la gérante d’une coopérative agricole ». Autre oeuvre majeure de l’artiste, La reproduction interdite (1937), un visuel métaphorique de la difficulté de l’artiste à définir sa propre existence, l’image qu’il se fait de lui est éronée, comme le montre la représentation incorecte de son reflet dans le miroir. La Mimi Foundation propose en 2010 une version où, à l’inverse de l’oeuvre de Magritte, on voit le visage d’une femme tourner le dos à son reflet dans le miroir. Cette publicité invite les victimes d’un cancer à se reconcilier avec leur image dont elles n’arrivent plus à voir le reflet, par manque de reconnaissance de leur nouvelle identité de malade. Le modèle rouge (1935), est une oeuvre qui peut aussi bien représenter une métamorphose d’un pied en chaussures, comme si le corps était rabaissé au rang d’objet, qu’une personnification de 34


I/L’appropriation de l’art par la publicité

l’objet, l’art de Magritte réside d’ailleurs en partie sur les liens étroits entre l’homme et l’objet. En 1975, les Douanes Canadiennes détournent l’oeuvre pour une annonce publicitaire qui s’adresse aux grand voyageurs. Utiliser une oeuvre d’art dans une publicité permet de la rendre plus poétique et métaphorique qu’elle ne l’est. Roc communique en 2006, pour sa crème Hydra+ Summer Skin, avec un spot tv et une affiche faisant référence à La décalcomanie (1966) et aux nombreux tableaux du peintre représentant des hommes en chapeau melon qui renvoient à la standardisation de notre société. Le but étant un besoin d’originalité de la marque pour se démarquer de la grisaille de la ville et délivrer un message à l’encontre de la standardisation d’autrui. Dans le spot publicitaire pour le whisky Johnnie Walker de 2005, accompagné de la signature « Change Your World » on voit le personnage emblématique de la marque parcourir plusieurs toiles de maîtres de Delacroix à Mirò, pour aboutir à La Victoire (1939) de Magritte qui par sa porte symbolise la frontière entre réel et imaginaire et montre alors cet éternel aventurier de la marque

emprunter le chemin du réel. La publicité parle ici de la nouveauté, d’un monde en perpétuel changement (cf. l’art qui s’ouvre au monde extérieur) dans lequel l’homme continue d’avancer sans avoir peur de l’inconnu caché derrière cette porte. Selon Magritte « chaque chose en cache une autre, nous désirons toujours voir ce qui est caché par ce que nous voyons. Cet interet peut prendre la forme d’un sentiment assez intense, une sorte de combat entre visible caché et visible apparent ». Enfin, certaines publicités vont aller jusqu’à regrouper plusieurs de ses oeuvres pour former un tout, comme Citroën en 1986 et «cet obscur objet du plaisir» ou encore Volkswagen en 2008.

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In voluptas mors (1951)

La Persistance de la mémoire (1931)

Salvador Dali, un autre surréaliste de renom, inspire les publicitaires qui s’amusent volontier à s’approprier son univers si particulier. Aids reprend l’oeuvre de Dali In voluptas mors (1951) pour parler de la mort, en apportant une dimension plus esthétique et poétique à un sujet aussi tabou que peut l’être le SIDA. Perrier reprend les célèbres montres molles de La Persistance de la mémoire (1931) dans une campagnes de 2009 qui apparait comme une remise en cause du déréglement climatique. Cette toile célèbre de Dali a été reprise plus d’une fois par le monde publicitaire. En 1934 Helene Lansdowne Resor (active suffragette et pilier de l’agence de publicité J. W. Thompson), après avoir acquis l’oeuvre à la galerie Julien Levy de New York, en fait donation au tout nouveau musée d’Art Moderne new-yorkais. Forte de son expérience de publicitaire avertie, la suffragette avait identifié avant tout le monde le potentiel populaire de cette toile, faite pour marquer les esprits. Pour anecdote la première fois que Dali montra l’oeuvre à son épouse Gala, il lui demanda « tu penses que tu t’en souviendras encore dans trois ans ? » à elle de répondre « il est impossible de l’oublier une fois qu’on l’a vu ». L’oeuvre se retrouve dans diverses

publicités comme pour Lipton ou pour la marque d’équipements audio Sonos, dans son spot publicitaire « fusion » issu de la campagne de plusieurs spot de 15 secondes « Sonos your home », dans laquelle la marque fait référence à plusieurs artistes dont Dali ou encore l’artiste contemporaine japonaise Yayoi Kusama. Il est également intéressant de s’arrêter sur la campagne publicitaire de la marque d’électroménager Whirlpool pour KitchenAid en 2011, signée par DDB Brazil. L’agence imagine des affiches sous forme de peintures reprenant le style de grands courants artistiques en peinture depuis 92 ans en réponse à un concept autour de l’art de la cuisine, comme le souligne l’accroche « Depuis 92 ans, faire la cuisine a toujours été de l’art pour nous ». On a alors des tableaux publicitaires signés comme si il s’agissait d’oeuvres originales avec en exemple celui sur Dali signé « KitchenAid by Surrealism - 1931 » où le pouvoir de transformation de l’appareil de cuisine est assimilé à la transformation des rêves en art par l’artiste surréaliste. Parmis les autres courants cités on retrouve l’Art Déco, le Modernisme, l’Art Nouveau ou encore le Pop Art et leurs artistes les plus représentatifs.

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I/L’appropriation de l’art par la publicité

Le Pop Art, courant artistique américain qui prend pour racine la culture populaire et la publicité en plein essor des années 1950-1960, ne pouvait pas passer entre les filets de l’enfant terrible qu’est la pub qui prend un malin plaisir à s’approprier le style des plus célèbres artistes pop et montre, encore aujourd’hui, que ce courant n’est pas près de se démoder. L’un des artistes les plus repris reste Andy Warhol, véritable pape du Pop Art, ses célèbres lithographies sont détournées dans de nombreuses publicités, jusqu’à très récemment. En 2009 Les Inrockuptibles détournent l’oeuvre Triple Elvis (1963) pour promouvoir les trois sujets récurents du magazine  : la musique, le cinéma et l’art. Pepsi reprend l’îconique Marilyn de 1962 sous les traits de la chanteuse Beyoncé pour une publicité de 2013 où icône moderne remplace îcone du XXe siècle. Encore recemment Ray Ban reprenait le même style graphique avec une séries de portraits pop d’un traité plus numérique. Un autre artiste majeur du Pop Art est revisité par les publicitaires. Pour parler de l’acné, Nivea adopte le style de Roy Lichtenstein et son fameux « benday » (tramage par ligne de points) détourné dans un print de 2013 mettant en scène un jeune couple s’embrassant, la jeune femme a alors le visage dépourvu de points et ce grâce à la crème exfoliante Nivea. L’été 2012, Perrier fait appel à l’illustrateur Joseph McDermott pour une campagne à la manière de Roy Lichtenstein, cette fois-ci son fameux tramage de comics est complètement absent pour mieux parler des « fines bulles » du nouveau Perrier. La campagne, affichée dans le métro parisien, a grandement suscité la curiosité des passants, grâce à ces gros plans impactants, graphiques et un rendu esthétique simple et efficace qui marque les esprits d’un style artistique déjà bien ancré dans la mémoire collective et toujours aussi prisé.

Publicité pour Les Inrockuptibles (2009) Pepsi, avec Beyoncé (2013) Ray Ban (2009) Nivea (2013) Perrier par Joseph McDermott (2012)

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Amnesty International, « Flag » (2008)

L’artiste caméléon Liu Bolin

Depuis quelques années on remarque un certain engouement de la part des associations caritatives pour l’art contemporain et ses qualités marketing. Pour ralier les artistes à leur cause, les associations jouent sur leur volonté de changer le monde, ce qui, pour un artiste, est toujours plus motivant que la simple vente d’un produit dont le consommateur n’a pas forcement besoin.

d’aquascript utilisé pour son oeuvre et la particularité de ce dispositif est que l’eau en est l’élément central. Face au Musée du Louvre, une installation propose « une pluie de mots » qui tombent à un rythme régulier généré par informatique. Les mots dont il est question appellent alors au don, de façon originale, spectaculaire et surtout impactante, le but étant de marquer les esprits des passants et les inciter à s’engager dans la lutte contre l’inaccès à l’eau potable. Amnesty International propose en 2008 une série de quatre visuels forts pour sa campagne d’affiche publicitaire Flag « no one will keep us from seeng », qui dénonce une société où les citoyens se fondent dans un décor capitaliste où les violences sont dissimulées, camouflées. Chacun des visuels présente un drapeau dans lequel se cache des Hommes aux corps peints, à la manière de l’artiste chinois Liu Bolin, le célèbre « homme caméléon ». Touché par la campagne, l’artiste offre l’une de ses sculptures à l’association pour qu’elle puisse la revendre et gagner des fonds pour lutter contre l’aliénation de l’être humain par le capitalisme. Artiste idéal pour soutenir un tel sujet, il déclare que « le plus gros problème qu’il nous faut dans la réalité affronter en tant qu’individu, c’est cette habitude que nous avons de vivre les yeux bandés et de bander ceux des autres. [...] Dans leurs corps

Solidarité International, « Water Talks » (2010)

En 2010, Solidarité International reprend l’oeuvre de Julius Popp Bit Fall (2006) pour sa campagne de sensibilisation sur l’eau non potable « Water Talks  ». L’agence de publicité BBDP Unlimited Paris ne fait pas appel à son artiste mais le système 40


I/L’appropriation de l’art par le publicitaire

livides, l’intelligence est rouge, engourdie. Ils se réjouissent des plaisirs de l’ignorance. Ils manipulent et sont manipulés, dominent et sont dominés. Est ce un effet de notre culture, ou le résultat d’une mentalité modifiée par le pouvoir idéologique ? [...] Tout ce que je peux faire en tant qu’artiste, c’est dire avec mes œuvres ce que je ressens, et par elles tenter de réveiller ceux qui sont à mes côtés. » Le Nouveau Réalisme de Jacques Villeglé et ses affiches déchirées de La rue de la Biche SaintDenis (1963) sont repris dans une série de trois visuels pour l’AFAL (National Alzheimer Organisation) en 2014. La même année, la campagne gagne un Lion de bronze aux Cannes Lions, catégorie Presse. L’oeuvre de Villeglé souhaitait entretenir la mémoire de la France d’Après-Guerre, « en prenant l’affiche, je prends l’histoire. Les révolutions rendent les murs bavards ! » dit-il. cette idée de mémoire,

c’est ce que tente d’exprimer ces affiches publicitaires avec la signature « and 25 year ago, we set to work in case one day you began to remember it like this ». En 2014, la Croix Rouge, contrairement à la plupart des campagnes publicitaires caritatives qui ne font pas directement appel aux artistes, demande au street artiste Mark Jenkin de créer une oeuvre, installée dans l’espace urbain, pour sensibiliser au maintien à domicile des personnes âgées. Il invente alors le personnage de Solange, une grand mère sculptée sur mesure, canne à la main, bagages à ses pieds, qui se confronte à un message sur le mur lui faisant face, « les vieux feraient mieux de rester chez eux ». Les passants sont choqués, surpris dans leur quotidien, l’oeuvre publicitaire provoque ainsi l’empathie et la tristesse que recherche l’association..

AFAL (2014) à la manière de Jacques Villeglé

La Croix Rouge, Solange (2014) Par l’artiste Mark Jenkin

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Les artistes contemporains aussi sont une grande source d’inspiration pour les publicitaires qui n’hésitent pas à plagier totalement leurs oeuvres. En 2010, pour les soldes le magasin londonien Harvey Nichols copie l’oeuvre Head On (2006) de l’artiste chinois Cai Guo-Qian. À la différence que plutôt que d’avoir une masse compacte de loups s’écrasant contre une vitre transparente (symbole du mur de Berlin), les loups se jettent sur une veste, l’objet du désir convoité par la meute. L’entreprise britannique d’informatique Micro Focus reprend en 2013, avec sa campagne « Elephant in the room » (expression anglaise voulant dire qu’il y a une situation difficile dont on ne veut pas parler), une oeuvre du français Daniel Firman, Würsa (2006). L’éléphant de l’artiste y est repris dans un print et devient même l’emblème de l’entreprise, suspendu dans le grand hall des bureaux à Newbury. Il sera également revisité dans un spot publicitaire en train de faire du trampoline.

Le monde de la mode aussi s’empare de l’art contemporain pour rivaliser d’originalité avec la concurence. Pour sa campagne « Be stupid », Diesel reprend en 2010 Trow Yourself Away  (2004) de l’artiste autrichien Erwin Wurm, une oeuvre faite d’une série de défis lancés par l’artiste aux passants qui consistent à devenir des « one minute sculpture » répondant à l’idée que « l’artiste de la modernité c’est l’idiot ». Ainsi l’univers décalé d’Erwin Wurm est en accord avec celui de la marque, toujours dans la provocation et l’anticonformisme.

Cai Guo-Qian, Head On (2006)

Publicité pour les soldes d’Harvey Nichols (2010)

Daniel Firman, Würsa (2006)

Publicité « Elephant in the room » pour Micro Focus (2013)

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I/L’appropriation de l’art par la publicité

Publicité Diesel « Be stupid » (2010)

Erwin Wurm, Trow Yourself Away (2004)

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LE LUXE, AMATEUR D’ART

Enfin, le secteur le plus lié au monde de l’art est celui du luxe. Soit il utilise des oeuvres connues qu’il réinterprète en photographies et photomontages, soit il fait appel à des artistes pour des créations originales proposant alors un subtil mélange entre l’art et la pub. À l’Antiquité et au Moyen Âge l’art et le luxe ne faisaient qu’un, l’artiste n’était alors concidéré que comme un simple artisan. Avec la Renaissance et sa volonté de dépeindre un Art Pur, comme un don du ciel, l’art et le luxe se séparent et il faut attendre la fin du XXe siècle pour les voir se réconcilier et devenir quasiment indissociables. On parle alors d’« arketing », terme qui traduit la volonté de faire de la consommation de produits de luxe une consommation culturelle, ancrée dans la conscience collective. C’est pourquoi on retrouve des musées du luxe qui sont à la fois des outils de souvenirs et des outils de communication interne et externe pour les grandes maisons de luxe. L’un des meilleurs exemple est le musée Christian Dior à Granville, dans la maison qui a vu grandir le célèbre couturier français.

peintures abstraites de l’artiste néerlandais Piet Mondrian. C’est donc sans étonnement que la marque s’accompagne du phot graphe de mode Mario Sorrenti pour la campagne publicitaire de la collection automne-hiver 1999 afin de réinterprèter des oeuvres majeures de l’histoire de l’art, en prenant quelques libertés par rapport aux oeuvres orginelles. On remarque un jeu des genres dans la copie du Dejeuner sur l’Herbe (1863) de Manet où, à la différence du tableau, les femmes sont habillées et les hommes dévêtus. Les oeuvres ne sont alors pas choisies au hasard, toutes sont empreintes d’un érotisme et d’une provocation que la marque souhaite retrouver dans sa campagne publicitaire pour s’adresser aux femmes affranchies, séductrices et élégante, les trois qualificatifs qui collent le mieux à l’image de marque YSL. Laurence Perez, directrice de publicité de l’agence Wolkoff et Arnodin à l’origine de cette campagne, affirme qu’il y a « toujours eu une connexion étroite entre la mode, la marque et l’univers de la peinture ».

Yves Saint Laurent, créateur de mode et fin collectionneur, n’a jamais caché son amour sincère pour l’art, l’une de ses plus grandes source d’inspiration, comme en témoigne sa célèbre robe Hommage à Mondrian en 1965 qui reprend l’une des

Campagne Yves Saint Laurent, automne-hiver 1999 Photos de Mario Sorrenti

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Lookbook Automne-Hiver 2011 Christian Louboutin, « Les Promises de l’Hiver » D’après les tableaux des peintres : James Whistlers, Jean Marc Nattier, Marie Guilleme Benoit et Georges de La Tour

Le chausseur français Christian Louboutin en fait de même en 2011, en reprenant pour son lookbook d’automne-hiver des peintures célébrant différentes facettes de la féminité. Dans cette campagne « Les Promises de l’Hiver », les tableaux sont tournés en dérision par l’ajout des chaussures de la marque dont l’excentricité et la fantaisie contrastent avec l’austérité des oeuvres choisies. En Résulte un choc visuel entre illusion et artifice. Ces photographies de Peter Lippmann, autre grande figure de la

photographie de mode, sont retouchées de façon numérique pour ressembler à des peintures, dites « de mode ». La marque avait déjà fait appel à ce photographe pour une campagne publicitaire de 2009 où les chaussures étaient aussi misent en scène dans des photographies aux allures de peintures de vanités.

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I/L’appropriation de l’art par la publicité

Extrait de la série de photomontage pour les bracelet Hermès (2011) D’après les peintures de Ingres, Bouguereau, Lecomte Du Nouy, Amaury Duval, Manet ...

Diaporama de tableaux d’anges dans lesquels sont incrustés le parfum Cuir d’Ange d’Hermès (lesailes.hermes.com/fr/fr/cuir_dange)

Même principe pour la campagne publicitaire d’Hermès en 2011 qui intègre ses produits aux oeuvres, mais cette fois-ci les oeuvres originales. La marque ne recréée pas les toiles, elle utilise un photomontage. Les modèles de ces tableaux, des femmes peintes mais aux silhouettes plus proches de la réalité que ces mannequins trop minces et retouchées d’aujourd’hui, deviennent les égéries d’Hermès. Son originalité interpelle et la campagne a alors un certain impact. La marque réitère

ce principe d’intégration de ses produits dans des peintures sur son site, pour promouvoir son parfum Cuir d’Ange. On y trouve un diaporama dynamique de tableaux représentant des anges avec entre leurs mains le parfum Cuir D’Ange.

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Cette appropriation directe des oeuvres nous amène à une reflexion sur la question des droits d’auteur. Pour utiliser une oeuvre d’art à des fins mercantiles, une marque se doit d’obtenir une autorisation du titulaire des droits patrimoniaux de l’oeuvre première et parfois aussi des droits moraux. Il faut aussi que cette dernière soit tombée dans le domaine public. C’est pourquoi la publicité use de stratèges pour échapper aux limites posées par les droits d’auteur. Le code de la propriété intellectuelle, article L.122-5 accepte l’apropriation d’une oeuvres quelle qu’elle soit, par la parodie, le pastiche ou la caricature. L’auteur ou l’ayant droit de l’oeuvre n’a alors plus la possibilité de s’y opposer, à condition que la parodie ne dénigre pas l’oeuvre et n’engage aucune confusion entre l’original et la parodie.

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I/L’appropriation de l’art par la publicité

On peut également citer une publicité célèbre pour le parfum Coco, l’esprit Chanel en 1991, qui met en scène Vanessa Paradis reprenant la pose de La Source, chef-d’oeuvre du peintre néo-classique Jean-Auguste-Dominique Ingres, réalisé entre 1820 et 1856. Ce print est réalisé par le photographe aux multiples facettes Jean-Paul Goude et s’accompagne d’un spot tv devenu culte où l’on peut voir l’actrice dans une cage d’oiseau, sifflotant. À la différence du tableau, le modèle n’est pas nue mais habillé par le couturier car on ne peut pas représenter une égérie entièrement nue dans une publicité, encore moins quand il s’agit d’une star du cinéma et de la chanson. Le fait que l’oeuvre d’Ingres montre une femme nue n’est pas choquant puisqu’il s’agit d’une allégorie, une personnification de l’eau qui se veut l’inverse d’une oeuvre de la même époque, présentant aussi une femme nue mais cette fois-ci reconnaissable par ses contemporains, Le Dejeuner sur l’Herbe (1863) d’Édouard Manet. Les critiques parlent alors d’« une vulgaire prostituée, aussi nue qu’on peut l’être, qui se prélasse sans gêne entre deux dandys trop habillés qui font penser à des écoliers. Malheureusement, le nu n’est pas particulièrement réussi et il n’est rien de plus révoltant que cet homme allongé à ses côtés. ». Napoléon, présent au Salon des Refusés qui l’exposa, va même jusqu’à détourner la tête, écœuré à la seule vue de la toile. À noter que la même année l’artiste réitère la provocation avec son Olympia. Contestés par leurs contemporains, ces deux oeuvres majeures de l’histoire de l’art sont pourtant aujourd’hui largement reprises dans des publicités mais plus ou moins vêtues, car encore aujourd’hui le nu doit être justifié et est sujet à la critique.

Publicité Coco, l’esprit Chanel (1991) par Jean-Paul Goude D’après La Source (1820-1856) d’Ingres

Édouard Manet, Le Dejeuner sur L’Herbe (1863)

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Publicité pour Marithé & François Girbaud (2005)

La marque de prêt-à-porter Marithé & François Girbaud en fait d’ailleurs les frais en reprenant La Cène (1494-1498) de Léonard de Vinci en 2005. Cette affiche publicitaire qui met en scène les apôtres sous les traits de femmes vêtues sauf un homme nu de dos est jugée trop suggestive. Elle s’attire les foudres de l’association Croyance et libertés, émanant du haut-clergé catholique, la Conférence des évêques de France, qui intente un procès à la marque. L’association remporte le procès et le juge qualifie cette affiche d’« injure faite aux chrétiens, au surplus renforcée par l’incongruité de la position du seul personnage masculin, présenté dans une pose équivoque ». Recouverte d’une bâche, elle est retirée peu de temps après le procès. En émane alors une polémique sur la liberté d’expression, la Ligue des droits de l’homme se porte même partie civile pour défendre la publicité. C’est pourquoi le 14 novembre 2006, la Cour de cassation annule l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 8 avril 2005 en proclamant que l’affiche « ne constitue pas un trouble manifestement illicite l’affichage

d’une photographie qui se présente comme la seule parodie de la forme donnée à la représentation de la Cène, qui n’a pas pour objectif d’outrager les fidèles de religion catholique ni de les atteindre dans leur considération en raison de leur obédience, de sorte qu’elle ne constitue pas l’injure, attaque personnelle et directe envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse. ». Ironie du sort, cette affaire juridique est en partie à l’origine de l’essor de popularité de la marque. Cette affaire est révélatrice du difficile équilibre entre les intérêts de la liberté de création publicitaire qui bénéficie de la liberté d’expression comme valeur constitutionelle et les intérêts des droits de tiers, la publicité doit alors rester commercialement efficace et respecteuse pour l’opinion publique. Bien que la religion se révèle être un sujet sensible, la publicité, et particulièrement la publicité de mode, reprend souvent des tableaux à connotation religieuse. En 2001 Kookaï réinterprète les 50


I/L’appropriation de l’art par la publicité

Michel Ange, Pietà (1498) Giovanni Bellini, Pietà (1505) Publicité Kookaï (2001)

Pietà de Michel Ange (1498) et Giovanni Bellini (1505) pour une campagne signée CLM BBDO. On nous montre la figure divine du Christ mort dans les bras de la Vierge Marie, retranscrits sous les traits d’hommes évanouis dans les bras de jeunes femme, mis en scène dans des moments de la vie quotidienne contemporaine. Le message publicitaire est celui d’un coup de foudre provoqué par de belles jeunes femmes habillées en Kookaï. L’oeuvre perd ici sa symbolique religieuse mais par sa référence, la marque a pour ambition de se montrer comme un objet d’adoration.

À travers ces différents exemples on constate que le luxe cherche à perpétuer la trace laissée par l’histoire de la peinture en la réactualisant dans les photos de mode. Mais le monde du luxe et la mode ne se contente pas seulement de copier des oeuvres d’art, il va aussi faire appel à des artistes pour des campagnes de communication signées en leur propre nom et est un acteur essentiel du monde de l’art actuel.

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Les grandes maisons de luxe sont devenues les principaux mécènes de l’art contemporain, permettant une glorification de l’image des marques de luxe et un soutien financier unique et essentiel à la créativité des artistes. Elles prennent ainsi le relais sur les commanditaires d’autrefois, riches marchands, cour royale et noblesse. Des organismes sont alors spécialement créés pour promouvoir l’art contemporain, en France les plus célèbres restent la Fondation Louis Vuitton, la Fondation Cartier ou encore La Fondation d’entreprise Hermès. Elles ont pour vocation l’accompagnement de l’art contemporain avec au programme des expositions et des résidences d’artistes.

support sur lequel y apposer son oeuvre. Chacune de ces collaborations est vendue en très peu d’exemplaires, comme de véritables oeuvres d’art, également exposées à travers le monde. Pierre-Alexis Dumas, directeur artistique d’Hermès, s’exprime sur cette initiative : « Il me tenait à cœur de prolonger ce pont entre les arts appliqués qui sont notre domaine et celui des arts plastiques contemporains. A l’origine de ce projet spécifique, il y a sans doute une composante subjective. Comme souvent dans notre maison, la naissance des projets est indissociable de rencontres humaines et de chocs esthétiques. Mais le dialogue ainsi instauré entre la création contemporaine et nos métiers d’art est pour nous d’un intérêt vital. Source d’invention, de dépassement, de découverte sans laquelle nous risquerions de nous reposer sur nos acquis et de nous enfermer dans une certaine routine. Les projets que nous apportent les artistes confrontent nos artisans à de véritables défis, de prime abord insurmontables, mais les relever nous permet de faire reculer les limites de nos savoir-faire. »

C’est alors tout naturellement que le monde du luxe fait appel à des artistes contemporains populaires pour communiquer sur l’image des marques et signer des objets collectors que le monde entier s’arrache. En 2012, Louis Vuitton s’offre les services de l’artiste japonaise Yayoi Kusama pour fidéliser sa clientèle asiatique. Elle va créer « Dots Infinity », une collection de vêtements et d’accessoires reprenant ses désormais célèbres pois colorés. Cette collection communique avec une campagne d’affichage publicitaire qui reprend l’univers de l’artiste et son personnage avec une mannequin coiffée de son éternel carré à frange. Le Printemps Haussmann met à l’honneur cette collaboration avec, au niveau -1, un pop-up store digne d’une installation artistique de Kusama. Enfin, le lancement de cette collaboration à New York arrive au même moment que l’inauguration, au Whitney Museum, d’une exposition itinérante consacrée à l’artiste nipponne et dont la Fondation Louis Vuitton est le mécène principal.

En 2013, Kenzo collabore avec l’italien Maurizio Cattelan, l’un des artistes les plus provocateurs du XXIe siècle. En résulte un magazine, le « Kenzine », un dérivé du mi-livre d’artistes, mi-magazine Toilet Paper dont l’artiste est à l’origine depuis 2010. Kenzine, qui compte aujourd’hui 4 numéros, se constitue exclusivement des photographies de son co-fondateur Pierpaolo Ferrari, créés comme de dignes héritières du Surréalisme. Les visuels sont saisissants, dérangants et troublants, à la fois horribles et plaisants à regarder. Néanmoins, ces images à la fois oeuvres et annonces publicitaires pour Kenzo, ne sont pas aussi audacieuses que l’oeuvre habituelle de Maurizio Cattelan, à l’image de sa sculpture d’Hitler à genoux (Him, 2001) ou celle du Pape terrassé par une météorite (Nona Ora, 2000). Son image, plus mode, plus chic, est contrôlée et assagie par Kenzo pour une cible plus grand public. Avec l’accessibilité de leur format magazine, Toilet Paper et Kenzine s’interrogent alors sur la plus large distribution, la nature et les limites du marché de l’art contemporain.

La Maison Hermès a aussi pour habitude de sortir des collections signées par des artistes contemporains. Avec la création de l’Hermès Éditeur en 2008, son célèbre carré en soie prend des allures d’objet d’art avec la contribution des artistes Josef Albers (Hommage au carré, 2008), Daniel Buren (Photos-souvenirs au carré, 2010), Hiroshi Sugimoto (Couleurs de l’ombre, 2012) et Julio Le Parc (Variations autour de La Longue Marche, 2015) qui utilisent le carré Hermès comme un nouveau 52


«  Dots Infinity », collaboration entre Louis Vuitton et l’artiste japonaise Yayoi Kusama (2012)

Popup store au Printemps Haussmann de la collection, avec mise en scène d’un mannequin à l’effigie de l’artiste en vitrine


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Exposition de la collaboration avec Daniel Buren, Photos-souvenirs au carré (2010) Créations de Hiroshi Sugimoto, Couleurs de l’ombre (2012)

Julio Le Parc portant l’une de ses créations issue de Variations autour de La Longue Marche (2015)

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Photographies de Pierpaolo Ferrari en collaboration avec Maurizio Cattela pour la campagne publicitaire et le magazine «Kenzine » de la marque Kenzo

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I/L’appropriation de l’art par la publicité

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QUAND L’ARTISTE COHABITE AVEC LA PUBLICITÉ


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LA RÉCLAME S’AFFICHE ET FASCINE

John Everett Millais, avec les savons Pears en 1886, n’est pas le seul artiste à collaborer avec les publicitaires. L’artiste cohabite avec la publicité car elle est avant tout un bon moyen de gagner sa vie, lui permet de conforter son ego en lui donnant une meilleure visibilité et est un support sur lequel expérimenter sa créativité. Il est bien loin le temps où un artiste qui créait pour la pub était mal vu, aujourd’hui la majeure partie des artistes de renom jouent avec les médias de communication, Salvador Dali et Andy Warhol en sont les précurseurs.

Avant même que le métier de publicitaire se professionnalise et trouve son propre langage vers 1930, de nombreux artistes ont pu collaborer avec la publicité. Avec la révolution industrielle, l’urbanisation croissante et la loi du 29 juillet 1881 qui consacre la liberté de la presse et proclame le libre affichage, l’affiche se développe à une vitesse folle et la réclame envahit les murs des villes. Le peintre Jules Chéret apparaît comme le père de l’affiche moderne, il introduit et développe l’usage de la couleur dans la lithographie qui permet rapidement une impression en gros tirages et joue un rôle capital dans le changement de l’esthétique de l’affiche. Chéret donne sa forme à l’art mural et le distingue des autres domaines de l’art pictural, à la grisaille de l’affiche de librairie il substitue un art élégant, plein de vie, de mouvement et de couleur, l’affiche qui lance le bal du Moulin-Rouge en 1889 en est un parfait exemple. L’affiche française se compose alors d’une mosaïque extrêmement variée d’artistes aux orientations et styles très divers. Parmi eux, des peintres académiques et symbolistes, des illustrateurs vedettes, des partisans du style Art Nouveau tel que Mucha ou encore le peintre et illustrateur Toulouse-Lautrec. Tous vont contribuer à la richesse de cette periode de renouveau de la réclame. Jules Chéret, Le Bal du Moulin-Rouge (1889)

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II/Quand l’artiste cohabite avec la publicité

Arrêtons nous sur l’oeuvre de l’artiste français Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901) et particulièrement ses célèbres affiches de spectacle. Il réalise sa première affiche en 1891, Moulin-Rouge, la Goulue, une commande de Zidler, directeur de ce celèbre cabaret parisien. Cette affiche rencontre un véritable succès auprès du grand public et incite Toulouse-Lautrec à s’engager dans la création d’autres d’affiches et lithographies pour se faire connaître par un public plus large et se confronter à la singularité du langage publicitaire qui, comme beaucoup d’autres artistes de l’époque, le fascine. Il créera en tout 31 affiches et près de 325 lithographies, faisant de lui le plus grand affichistes de son époque. On remarque chez lui un souci de lisibilité auquel il portait beaucoup d’importance dans ses compositions. Pour le traité graphique il s’inspire des estampes japonaises où le dessin prime toujours, avec un premier plan occupé par des silhouettes coupées arbitrairement et cernées d’un trait épais. Autant l’image que le lettrage qui vient se marier parfaitement et de façon percutante à l’ensemble, comptent dans sa réflexion. Pour le choix des couleurs, il privilégie toujours de larges aplats de couleurs pures et contrastées afin d’attirer le regard des spectateurs. Son affiche est donc conçue comme un outil de communication se devant de frapper les esprits avec des messages brefs mais efficaces et un graphisme vif et maîtrisé. Le succès d’une affiche repose alors dans la surprise qu’elle peut créer, ce qu’elle donne à lire et à voir doit être immédiatement perçue par les passants. Toulouse-Lautrec, en donnant les bases d’une affiches réussie, révolutionne la réclame avec fraicheur et inventivité et préfigure l’art publicitaire contemporain. La publicité, soumise à l’exigence de l’efficacité d’une marque, ne peut pas se permettre d’être à contretemps, elle doit épouser son époque et en être son plus fidèle témoin. En cela les affiches de Toulouse-Lautrec sont de véritables publicités, elles sont empreintes d’une modernité qui évoque la mémoire de Paris à la fin du XIXe siècle avec ses scènes de café-concert et de théâtre, ses acteurs et ses actrices, ses personnalités mondaines... Ses affiches sont à la fois un parfait témoignage du monde du spectacle et de son époque.

Son succès d’affichiste l’amène à créer des images publicitaires : Confetti en 1894 pour la papeterie londonienne J. et E. Bella  et en 1896 Au concert pour Ault et Wiborg Co, un fabricant d’encre américain, son ami le photographe Sescau ou encore une firme de bicyclettes anglaises avec La Chaîne Simpson. À noter que Le cyclisme, nouveau sport à la mode de l’époque, offre à Toulouse-Lautrec l’opportunité de produire une image d’une société en profonde mutation. Le cycliste français Constant Huret est mis en scène dans un format horizontal atypique permettant de dérouler une course dans l’espace où lisibilité s’impose, l’artiste a bien compris qu’une affiche doit être vue à distance. En parallèle les grandes maisons de l’époque comme les biscuiteries Lefèvre-Utile (LU), Nestlé, les chocolats Van Houten, les champagnes Ruinart, Moet Chandon ou encore les cognacs et spiritueux Remy Martin, Comandon ... font aussi appel aux affichistes qui contribuent à leur succès d’hier et d’aujourd’hui. On ne peut parler des affichistes sans également parler de l’Art Nouveau. Avec ce developpement exponentiel de la publicité au cours du XXe siècle, elle apparait comme le témoin de la modernité et fascine. Les affiches ont envahi le milieu urbain (cf. les colonnes Morris à Paris) et en changent considérablement son paysage, les rues se tapissent de publicités où les images prévallent sur le texte, contrairement aux premières réclames des journaux, plus informatives sur le produit, sans couleur et dépourvues de la vie. Les affichistes de la fin du siècle apportent alors de la vie aux images publicitaires. Admirées et convoitées par les passants qui n’hésitent pas à les détacher et les collectionner, l’affiche devient un moyen de rendre l’art accessible à tous, comme le montre l’exemple des savons Pears en Angleterre. « J’étais heureux de m’être engagé dans un art destiné au peuple et non aux salons fermés. C’était bon marché, à la portée de tous et trouvait sa place aussi bien chez les familles pauvres que dans les milieux aisés », explique Mucha.

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Affiches de Toulouse Lautre : La Goulue (1891), Confetti (1894), Sescau photographe, La chaîne Simpson (1896) et Au concert (1896)


II/Quand l’artiste cohabite avec la publicité

Affiches de Alphonse Mucha : Nestlé (1897), Lu (1897), Ruinart (1896), Comandon (1898) et Moët & Chandon (1899)

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Cet engouement qui entoure l’affiche est designé d’«  affichomanie  » par l’écrivain Octave Uzanne dans les années 1880. On en vient à les détourner de leur fonction première étant de vendre un service ou un produit pour les vendre à des galeristes ou des collectionneurs qui parfois, vont jusqu’à soudoyer les colleurs d’affiches pour obtenir les dernières nouveautés. Premier historien de l’affiche, Ernest Maindron organise une grande manifestation d’affichomanie lors de l’Exposition Universelle de Paris en 1889. Et plusieurs publications s’en suivent comme L’Affiche en 1891, L’Estampe et l’affiche en 1897 ainsi que Le Courrier français qui édite des affiches en format réduit. Néanmoins, au début du XXe siècle le public finit par se désintéresser de cet art publicitaire qui commence à s’essoufler. Le rythme effréné imposé par les imprimeurs devient néfaste à la créativité des affichistes et la surabondance de cette édition de masse qui n’arrive plus à se renouveller finit par lasser. L’affichomanie d’Octave Uzanne n’aura donc duré qu’une trentaine d’années.

création. Ils réutilisent ses matériaux au travers de l’affiche entre la fin du XIXe sièce et le début du XXe siècle et de la sérigraphie avec l’arrivée d’Andy Warhol et le Pop Art dans les années 1960. À Paris, les halos colorés des éclairages publics et les néons des enseignes publicitaires vont inspirer l’artiste peintre Sonia Delaunay. Avec sa série des Prismes électriques de 1914 elle propose un patchwork coloré et abstrait sous la forme de disques concentriques et motifs géométriques ondulants traduisant les mutations du paysage urbain parisien. Son travail étant alors très lié à la publicité, elle réalise une oeuvre pour promouvoir les alcools Dubonnet en 1924. Cette oeuvre publicitaire est visionnaire dans le sens où le produit s’efface au profit du nom de la marque présenté de façon frontale et entierement intégré à la composition, elle est donc à l’origine d’un commandement essentiel de la publicité, la place importante qu’occupe le nom de marque. En 1936 elle collabore aussi avec l’enseigne Mica-tube, Lustucru et les papiers à cigarettes Zig Zag et un projet d’enseigne lumineuse.

Malgré tout certains artistes restent encore sensibles à l’esthétique de ces affiches publicitaires qui envahissent leur quotidien. Avec l’arrivée de l’AvantGarde, les artistes, libérés des régles académiques classiques, s’emparent du monde qui les entoure et vont s’amuser à s’approprier la publicité dans leurs oeuvres, la voyant comme un médium idéal à la

Peinture pour les alcools Dubonnet par Sonia Delaunay (1924)

Sonia Delaunay, Prisme électrique (1913)

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II/Quand l’artiste cohabite avec la publicité

Alexandre Rodtchenko et Vladimir Maïakovski, Lengiz (1925) affiche promotionnelle pour les éditions d’État de Leningrad

En Russie, au début des années 1920, après la Première Guerre Mondiale, la révolution de 1917, la guerre civile et la famine, la Russie soviétique souffre et a besoin de renflouer ses caisses. Le peintre et photographe Alexandre Rodtchenko accompagné du poète Vladimir Maïakovski vont unir leurs deux talents propre à chacun, le visuel et les mots, pour faire de la publicité, tel une team créative composée d’un directeur artistique et d’un concepteur redacteur. Ces publicités constructivistes auront pour but de promouvoir la Russie et ses commerces auprès d’une population en majorité analphabète. Ils se donnent comme défi la création d’affiches éloquantes visuellement, traduisant l’enthousiasme militant des slogans qui les accompagnent. Défi relevé avec des affiches percutantes faites de jeux de contrastes et de couleurs complémentaires, des illustrations simplifiées et des attitudes exagérées favorisant la lisibilité de la pub. Les textes apparaissent de façon dynamique et symbolique, on porte beaucoup d’attention à la typographie employée qui permet de mettre en avant certains mots censés stimuler avec énergie l’achat, comme un porte-voix. L’une des oeuvres les plus représentatives est l’affiche Lengiz en 1925. L’affiche présente un photomontage en plan rapproché de l’écrivaine et compagne de Vladimir Maïakovski, Lili

Brik, qui incarne ici au mieux le personnage d’une travailleuse russe, criant à pleine gorge « knigi » (signifiant « livres ») inscrit dans un bloc triangulaire au centre de l’affiche pour promouvoir les éditions d’État de Leningrad. Le graphisme est réduit à l’essentiel, un cercle qui souligne l’arrondi du visage de Lili, des triangles à mettre en parallèle avec la tension de son cou et l’ouverture de sa bouche et enfin des rectangles qui structurent le contour de l’affiche. Quant aux couleurs, on retrouve le rouge, le noir et le blanc toujours présentes dans l’affiche de propagande russe, auxquelles Alexandre Rodtchenko ajoute un bleu et un vert. Cette collaboration fait du constructivisme un mouvement qui a su exploiter de manière inédite le potentiel expressif des éléments plastiques et textuels d’une affiche publicitaire. Rodtchenko refuse l’idée d’oeuvre d’art unique réservée à une élite bourgeoise, selon lui « Il faut travailler pour la vie et non point pour les palais les églises, les cimetières et les musées. Nous devons oeuvrer parmi les hommes, pour les hommes, et avec les hommes ». Il cherche à faire disparaître la frontière entre l’art et l’artisanat, pour un art plus utilitaire et marque les débuts du design.

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L’ARTISTE FAIT SA PUB

Si la plupart des artistes ne voient pas d’un si mauvais oeil de collaborer avec la publicité, certains y sont contraints et l’idée ne les enthousiasme pas vraiment. Le meilleur exemple de cette collaboration forcée est le peintre surréaliste belge René Magritte, il le dit lui même, « la pub et les arts appliqués tuent l’art pur ». Mais faute de notoriété et ne roulant pas sur l’or, comme beaucoup d’artistes à leurs débuts, il fonde, au fond de son jardin avec son frère Paul, le studio Dongo, une petite agence de publicité entre juillet 1930 et fin 1936. René prend en charge toute la partie créative tandis que son frère s’occupe des contrats avec la clientèle et l’administration. À noter qu’il signait ses publicités par le nom de son agence ou bien par un nom issu de la phonétique de ses initiales M.R, donnant « EMAIR ». Selon lui les publicités qu’il produit sont « imbéciles » et son talent n’y est pas exprimé à sa juste valeur, trop contraint par les recommandations de ses clients.

puisse dire, on a bien là une réalisation à caractère artistique, hélas la publicité n’aura pas été acceptée par la marque et par force de propositions audacieuses, Magritte essuie beaucoup de refus. Certaines de ces oeuvres sont issues de publicités jamais parrues, comme pour l’une de ses séries les plus énigmatiques, La voix du sang en 1948 qui reprend sa gouache pour les parfums Mem, refusée en 1946. Il s’est d’ailleurs exprimé au sujet de ce refus « il faut absolument des choses médiocres pour le public, c’est dans des occasions fort rares que l’on peut faire passer quelques idées remarquables ». L’une de ces occasions rares s’est présentée à lui avec la compagnie aérienne Sabena qui l’invite à imaginer un tableau à part entière et donne naissance au célèbre Oiseau de ciel, qui restera le logotype de la compagnie entre 1966 et 1973 ainsi que l’une des oeuvres majeures du Surréalisme, de laquelle découle une série de réinterprétations de l’artiste. Cette oeuvre reste aujourd’hui un exemple pour la publicité, avec cette idée d’un visuel aux formes simplifiées et conjuguées à des éléments stylistiques insolites mais percutants. Ironie du sort, René Magritte qui n’aimait pas la publicité est désormais l’un des artistes modernes les plus cités dans la publicité avec Andy Warhol, Pablo Picasso et Salvador Dali.

Peinture pour les cigarettes Belga (1935) page de droite: Publicité triple, à la fois pour la voiture italienne Alfa-Roméo, le carrossier Snutsel et la couturière Norine (1924)

Il peint sa femme Georgette pour la publicité des cigarettes Belga en 1935 et cette affiche publicitaire apparaît comme la parfaite balance entre la peinture et la publicité, quoi que René Magritte

Illustrations publicitaires pour Norine (1925) Oiseau de ciel (1966) pour la compagnie aérienne Sabena La voix du sang (1948), tableau issu de la publicité pour les parfums Mem (1946)

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Publicité pour les collants Bryans (1945)

Publicité pour la Datson 610 Wagon de Nissan (1972)

En parlant de Salvador Dali, un autre peintre surréaliste au style si singulier, ce dernier n’a aucun problème avec la publicité, il ne s’est jamais caché aimer l’argent et voyait en la publicité un parfait allier pour en gagner plus et lui permettre la liberté et la sérénité financière nécessaires pour créer. André Breton, écrivain à l’origine du Manifeste Surréaliste de 1924, le surnomme alors d’Avida Dollars (anagramme de Salvador Dali). Dali déclare sans complexe « je suis un artiste et j’adore faire de la réclame. Dès lors que vous me payez, je fais tout ce que vous voulez » néanmoins, pour reprendre ses propos, selon lui les médias amènent à la « crétinisation des foules ». Il signe le visuel d’une publicité pour la berline Datsun 610 Wagon de Nissan en 1972, la marque fait appel à lui car comme il est dit dans la réclame « Salvador Dali, leader du Surréalisme, maître de l’inattendu. Nous voulions un homme avec une

vision inhabituelle (...) designée pour ceux qui demandent une valeur inhabituelle dans leur automobile ». Il créé un tableau de la Datsun Original qui n’est pas sans rappeler sa célèbre toile La Persistance de la mémoire (1931) avec cette montre molle au centre sous la forme de promontoire pour l’automobile. Plus tôt déjà, dans les années 1940, il reprend les composants récurrents de ses peintures dans une série de visuels pour la marque de collants Bryans. Enfin peu le savent mais Dali joue un rôle clé pour Chupa Chups. Il créé le logo iconique de la marque de sucettes espagnole en 1969 et décide d’apposer le logo sur le dessus de la sucette pour plus de visibilité et d’impact sur les consommateurs. S’offrir les service de Dali a coûté très cher à l’annonceur mais le prix en valait la chandelle puisque sa stratégie marketing révolutionnaire s’est avèrée efficace et est en partie à l’origine du succès de la marque. 68


II/Quand l’artiste cohabite avec la publicité

Ce n’est pas seulement son oeuvre qu’il vend aux publicitaires, c’est aussi et surtout sa personnalité, à travers ses célèbres moustaches et son image d’artiste décalé et provocateur. On le retrouve dans la publicité des chocolats Lanvin de 1968, où il n’hésite pas à s’autoparodier avec sa réplique désormais culte « je suis fou du chocolat Lanvin ! » qu’il répète avec son accent catalan, les moustaches frémissantes et qui s’avère être un clin d’œil à ses propres mots  « la différence entre un fou et moi, c’est que moi je ne suis pas fou ! ». La marque s’autoparodie en 1989 avec sa publicité le casting Lanvin dans laquelle de mauvais sosies de Dali passent les uns après les autres devant une caméra en récitant, sans grand succès, la fameuse réplique de l’artiste. La morale de cette publicité montre que Dali est inimitable.

créatif où sa toile est humaine, Dali y peint le corps d’une femme. En signature de fin « Alka-Seltzer du travail d’artiste. Vraiment unique en son genre, comme Dali ». Véritable symbole catalan, Dali est, comme peut l’être Mona Lisa pour l’Italie, un parfait ambassadeur pour son pays, l’Espagne. La compagnie aérienne Iberia l’a bien compris, c’est pourquoi on le retrouve dans une publicité en 1972, on le voit encore une fois en plein procesus créatif. Il y peint, avec une mise en scène théatralisée, deux panneaux intérieurs destinés à deux avions actuellement conservés dans la salle du Conseil d’administration du siège central de la compagnie. En 2003 la compagnie aérienne ira même jusqu’à baptiser l’un de ses avions du nom de l’artiste. La compagnie aérienne américaine Braniff International Airways en 1968 avait déjà fait appel à l’artiste pour une publicité devenue culte, avec son accroche « When You Got It, Flaunt It! ». L’insight de la publicité est la suivante : on ne sait jamais à côté de qui nous serons assis pendant notre vol et cela peut paraître effrayant. En découle le concept de la campagne : Et si son voisin de vol était Salvador Dali ou Andy Warhol ? On y voit donc Dali mais aussi le pop artiste Andy Warhol en pleine conversation avec pour l’un le joueur de baseball Whitey Ford et l’autre le boxeur Sonny Liston. Un vrai mélange des genres de ces deux duo que tout semble opposer (le controle du sportif d’un côté, l’exentricité de l’artiste de l’autre) et qui pourtant partagent quelques points communs grace à ce qu’a à leur offrir la compagnie (nourriture, confort, style, respect des horaires, ...). Si cette publicité, déclinée en spot tv et en print, fait appel à des artistes c’est aussi dans une volonté de continuité avec la nouvelle image de marque que la compagnie aérienne veut se donner, en mettant fin à son étiquette d’« avion ordinaire ». Pour cela elle s’accompagne d’une des figures emblématiques de la publicité , la directrice de la publicité Mary Wells Lawrence, notament connue pour être à l’origine de la publicité I Love New York qui a vu naître le célèbre logo I <3 NY. Elle engage l’architecte et designer textile Alexander Girard pour redesigner l’intégralité de l’avion et le créateur de mode italien Emilio Pucci se charge de l’uniforme des employés.

On le retrouve également dans une publicité pour un antidouleur Alka-Seltzer en 1974. Il vante les mérites du médicament, mis en image, comme une métaphore théâtrale, par l’artiste en plein procesus 69


CHOCOLAT LANVIN - 1968

vimeo.com/22847643 + Publicité Lanvin de 1989: www.culturepub.fr/videos/lanvin-pralini-casting

ALKA-SELTZER - 1974

vimeo.com/22847757

DALI BRANIFF - 1968 WARHOL

Dali: www.youtube.com/watch?v=0ZPMxORhSQE Warhol: www.youtube.com/watch?v=8l7KLQcRl4A


II/Quand l’artiste cohabite avec la publicité

Richard Hamilton, Just what is it that makes today’s homes so different, so appealing ? (1956)

James Rosenquist, I love you with my Ford (1962)

Cette publicité nous amène à parler d’un des plus fervents défenseurs de la publicité, l’artiste Andy Warhol, maître du Pop Art, courant artistique des années 1960 dans lequel la publicité occupe une place de choix. Après la Deuxième Guerre Mondiale l’Amérique et l’Europe connaissent une forte croissance économique où la publicité et les médias jouent un rôle essentiel dans le developpement de cette société de consommation en mutation par la vente de produits à grande échelle.

Mel Ramos, Pin Up Vantage (1972)

artistique similaire au Pop Art est en plein essor, le Nouveau Réalisme. Les marchandises indésirables de cette société de consomation naissante enthousiasme les nouveaux réalistes qui y voient de nouveaux matériaux de création. Ils portent une réflexion sur la vie fugace de l’objet qui, après usage par le consommateur est jeté aux oubliettes. Parmis ses artistes on retrouve les affichistes Jacques Villeglé, Raymond Hains, François Dufrêne et Mimmo Rotella qui vont extraire des murs de Paris ses images publicitaires abimées par le temps et les passants et les sublimer dans des compositions construites autour d’un hasard graphique harmonieux, agencés par marouflage.

Né dans une époque de profusion de marchandises et d’images publicitaires, le Pop Art a pour source d’inspiration première la culture populaire dont il tire son nom. Son père est Richard Hamilton et son oeuvre Just what is it that makes today’s homes so different, so appealing ? (1956) qui présente un intérieur envahi de symboles de la société de consommation où culte du corps et confort matériel en sont les valeurs dominantes. On peut également citer James Rosenquist et son oeuvre I love you with my Ford (1962), un nom aux allures de slogan publicitaire, qui juxtapose des annonces promotionelles et des emblèmes de l’Amérique. Ou encore Mel Ramos, pop artiste moins connu que ses confrères mais auteur d’une série de pin up sous les traits stéréotypés de la femme objet des publicités qu’il combine, comme des présentoires de produits, à des marques populaires de la surconsommation (Coca-Cola, Lucky Strike, Toblerone, Snickers, ...). À noter qu’au même moment, en France, un courant

Parmi ces artistes pop, celui qui incarne le mieux l’Amérique des années 1960-1980, reste Andy Warhol, véritable icône aussi bien de l’art contemporain que de la publicité. Avant d’être l’un des artistes les plus importants du XXe siècle, Andy Warhol a commencé une carrière de dessinateur publicitaire, il est même récompensé par le Thirty Fifth Annual Art Director’s Club Award’s en 1956 et l’Art Director’s Club Medal en 1957. La sérigraphie et les affiches en série qui en découlent ainsi que le détournement des produits de la surconsommation rendus au rang d’icônes sont les deux principaux composants de son oeuvre qui devient comme une marchandise elle même. Il cherche à rendre artistique des produits du quotidien des consommateurs américains, dans la ligné de Marcel Duchamp 72


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et ses ready-made où l’objet du quotiden devient art. Avec la technique industrielle de la sérigraphie qui lui permet de reproduire ses oeuvres en plusieurs exemplaires, il abolit les frontières entre l’art et la culture populaire. Il déclare « j’ai commencé comme artiste commercial et je veux finir comme artiste d’affaires. Faire de l’argent est un art, travailler est un art et le bon business est du grand art », c’est pourquoi cette notion de clivage entre l’art et la publicité n’a plus lieu d’être avec l’héritage de cet artiste emblèmatique qui a véritablement révolutionné l’art et la publicité en les rapprochant, pour lui « n’importe quelle pub est une bonne pub », bien loin du discours de Magritte.

signe des sérigraphies pour Perrier en 1983 qui seront réutilisées pour les 150 ans de la marque et la réédition des bouteilles de cette première campagne en 2013. Il signe également une sérigraphie pour Apple et le parfum n°5 de Chanel en 1985. Conscient que les médias avaient changé le monde et qu’il fallait qu’il s’y adapte comme il le disait, « aujourd’hui, tu peux écrire des livres, passer à la télé, donner des interviews : tu es une grande célébrité et personne ne te méprise même si tu es aussi un escroc. Tu restes une star. La raison en est que les gens ont besoin de stars plus que de toute autre chose ». Egérie alors en phase avec son époque, Andy Warhol apparaît comme le pendant américain de Salvador Dali pour les publicitaires. Avec son apparence singulière et sa personnalité tout aussi atypique, quoi que plus introvertie que Dali, les marques se l’arrachent. En plus de la compagnie aérienne Braniff International Airways, le coiffeur Vidal Sassoon recoiffe sa mythique perruque hirsute blond platine dans une publicité de 1985 avec la signature « The art of style » en clin d’oeil à son égérie d’artiste. En 1982 TDK, entreprise japonaise de fabrication de matériels électroniques, va pour sa part jouer avec la personnalité décalée d’Andy Warhol mise en scène, yeux fermés, en train de tenir un écran de télévision, montrant sa fascination pour les médias.

Avec les activités de la Factory, notamment dans le domaine du cinéma et la création des Andy Warhol Entreprises, l’artiste acquière une grande visibilité et devient une marque à part entière, extrêmement puissante ainsi que la première société commerciale artistique moderne. À ses débuts les marques dont il s’approprie les logo portent plainte mais finissent vite par le payer pour qu’il en fasse usage dans ses oeuvres. Sa notoriété d’artiste vedette participe à celle des annonceurs, qu’il transforme en véritables oeuvres d’art. Il exalte et participe à la prolifération des images publicitaires qui envahissent l’espace urbain d’une manière encore plus forte qu’au début du siècle. Il

Warhol égérie pour le coiffeur Vidal Sassoon (1985), TDK (1982) et Pioneer (1975)

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II/Quand l’artiste cohabite avec la publicité

Warhol est ses boîtes de Brillo. Publicités pour Apple, Coca Cola, Chanel N°5, Perrier et Muratti Ambassador

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pubart : au croisement de deux mondes

Entre la fin du XXe siècle et aujourd’hui, avec ses associations entre artistes et publicitaires, on constate que le statut d’artiste évolue, jusqu’à devenir un homme d’affaire et une marque à part entière, comme le montre Andy Warhol et sa Factory.

Parmi les artistes réquisitionnés par la publicité, on retrouve certaines références plus étonnantes, comme celle de l’artiste allemand fluxus engagé Joseph Beuys en 1984 pour Nikka, une marque de whisky japonnais. La raison de cette collaboration est encore une fois financière, il vend son image pour 225 000 €, une somme qu’il transfert directement au parti politique écologique, le German Green Party. L’artiste reste alors cohérent avec son engagement politique et artistique pour l’environnement. Encore aujourd’hui l’annonceur fait directement appel aux artistes pour signer des campagnes publictaires et des packaging en édition limitée. Coca-Cola, depuis sa création, s’est entouré d’artistes pour designer sa bouteille et signer les visuels de ses campagnes publicitaires. Parmis eux l’illustrateur de pin-ups Haddon H. Sundblom, Andy Warhol, Norman Rockwell, N.C Wyeth, Gil Elvgren ... Et plus récemment des créateurs de mode comme Karl Lagerfeld, Marc Jacobs, Sonia Rykiel, Jean Paul Gaultier, ... pour des éditions limitées de bouteilles. En mars 2015, Oreo demande à 10 artistes, peintres et illustrateurs, d’imaginer les prochains visuels de sa campagnes « play with Oreo » Parmis eux : Shotopop, Jeff Soto, Ryan Todd, McBess (déjà à l’origine de plusieurs publicités Deezer), Andrew Bannecker, Geoff McFetridge, Andy Rementer, Alex Trochut, Brosmind et Graig & Karl. Le brief est simple, illustrer des mots tels que « drunk », « twist » et « dream », les visuels sont relayés par la suite sur les réseaux sociaux et affichés en grand dans des villes américaines comme New York, Los Angeles et Indianapolis. Avec cette campagne, la marque a pour volonté de créer une sorte de musée à ciel ouvert.

L’artiste Ben Vautier et son « moi Ben je signe » (1970) devient une marque déposée à l’Institut national de la propriété industrielle, sa signature devient alors un logo et il se met à décliner ses fameuses citations sur des T-shirt, cahiers, trousses, stylos, motifs décoratifs, ... L’artiste se justifie de cette marchandisation de la création en parlant des changements de nature de celle ci, « peindre dans son atelier, être un artiste maudit, c’est de l’histoire ancienne. Nous sommes dans une période où l’art doit communiquer. Aujourd’hui le marketing et l’art se sont rejoints », l’artiste n’est plus vu comme un marginal, l’art rentre dans la vrai vie, comme le montrait déjà les ready-made de Marcel Duchamp dans les années 1910-20. En 1985 le plasticien français Philippe Cazal confie à une agence de communication la création de son logo, l’objet d’art qui accompagne ce logo se retrouve désacralisé, au même titre qu’une simple marchandise. L’artiste belge Wim Delvoye va même jusqu’à devenir un produit dérivé avec Action Doll en 2008, une poupée à son effigie, accompagnée de son oeuvre la plus célèbre Cloaca au format miniature, éditée en 3000 exemplaires et vendue à 240€. Ainsi, l’artiste a pour volonté d’investir la vie quotidienne et sortir de la sphère élitiste de l’Art.

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Wim Delvoye, Action Doll (2008)


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Campagne publicitaire « play with Oreo » (2015) avec 10 artistes-illustrateurs contemporains

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II/Quand l’artiste cohabite avec la publicitÊ

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LE « CULTURE JAMMING » CONTRE LA PUB

Enfin les artistes d’aujourd’hui s’emparent à leur tour des codes de la publicité pour les placer au centre de leurs oeuvres. En cela les artistes ont pour ambition d’avoir une force de frappe et de séduction tout aussi impactante que celle de l’invasion publicitaire qui accompagne et traque les citadins dans leurs moindres déplacements, des abris-bus aux couloirs des métros. Certains artistes vont défendre les valeurs esthétiques cachées derrière ces annonces. Alain Bublex, artiste français hérité des hyperréalistes américains des années 1950, montre dans ses toiles le déploiement à perte de vue de la publicité dans sa série Plan voisin (2013) où il met en scène les gratte-ciels qu’avait imaginé l’architecte Le Corbusier pour Paris en 1920. Richard Prince, photographe des campagnes publicitaires de Marlboro, va pour sa part dépouiller de sa fonction marchande sa photographie du Cowboy en éradiquant les attributions commerciales qui ne permettent pas d’apprécier la photographie pour ses qualités esthétiques. Il veut ainsi défendre les visuels qui servent de support aux messages publicitaires, en rappelant que derrière se trouvent des personnes avec une vraie vision artistique. La photoghraphie est mise aux enchère en 2005 chez Christie’s (NY) et devient la première photographie à dépasser le million de dollars à la vente.

Dans la plupart des cas l’artiste s’amuse à détourner ces supports publicitaires au nom de l’expression artistique et de la libération temporaire du citadin face à cette surabondance d’annonces commerciales. On remarque alors que les artistes contemporains, essentiellement les artistes issus du streetart, ne voient pas d’un si bon oeil la publicité. Beaucoup vont la critiquer à travers leurs oeuvres contre la réduction du monde à un vaste espace de marchandisation. On parle alors de « Culture Jamming » (sabotage culturel), une contestation contre les productions de la communication et des médias, à opposer à la fascination pour le langage publicitaire de la plupart des courants artistiques du XXe siècle.

Alexander Kosolapov, This is my blood (2001)

Certains artistes vont parler de propagande de marque en confrontant des images de propagande religieuses ou politiques de leurs pays avec des marques occidentales emblématiques. Parmis eux l’artiste chinois Wang Guangyo et les artistes russes Igor Baskakov et Alexander Kosolapov. Ces artistes critiquent à la fois la politique, la religion et le capitalisme à travers de fausses publicités montrant la victoire du consumérisme américain. Richard Prince, Cowboy (1989)

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II/Quand l’artiste cohabite avec la publicité

Alain Bublex, Plan Voisin (2013)

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Wang Guangyo


Igor Baskalov


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Barbara Kruger, I shop therefore I am (1987)

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II/Quand l’artiste cohabite avec la publicité

Jenny Holzer, « private property created crime », « money creates taste » et sa publicité pour le parfum Helmut Lang (2000)

D’autres, comme l’artiste Barbara Kruger introduisent la notion de slogan à travers des oeuvres, ici construites autour de messages publicitaires à valeurs philosophiques tels que « I shop therefore I am ». Ses oeuvres laissent alors à penser que tout se vend y compris l’amour et que l’identité de l’homme se définit par sa capacité à être un bon client de la société de consommation dans laquelle il évolue, l’artiste s’empare alors des codes de cette société pour mieux la critiquer

promotions. Parmi ses extraits, des messages philosophiques comme « lever les paupières », « l’amour existe », ou encore « J’avance moins rapidement que je voudrais mais j’avance ». Ces messages permettent de stimuler la réflexion des voyageurs pressés en leur proposant de ralentir le pas et laisser place à l’évasion et la contemplation. Dans la même veine d’artiste que Sean Hart, Jenny Holzer, artiste conceptuelle américaine, propose depuis les années 1980 des proverbes abordant des sujets violents comme le sexe, la mort et la guerre de façon poétique, avec le plus souvent comme support des enseignes lumineuses sur les buldings new yorkais. Elle prône une fonction utilitaire de l’art et se renvendique comme une artiste publique, dans la lignée des constructivistes, c’est pourquoi elle utilise les moyens de la communication offrant une plus grande visibilité. Elle choisit la voie des médias et de la publicité plutôt que celle des musées pour y apporter un discours plus spirituel et profond, à la fois subjectif et provocateur, en opposition au flux continu de slogans commercials superficiels, autoritaires et explicites. Elle collabore en 2000 avec Helmut lang pour promouvoir le parfum du designer de mode minimaliste, leurs styles sont très similaire, le « less is more » prîme. Découle alors de cette collaboration une publicité « anti-publicité », sans packshot ni égérie, uniquement de la typographie (l’eurostyle) utilisée en permanence par l’artiste et le logo en petit. La campagne se veut alors anti-conformiste, avec une valeur de véritable création artistique conceptuelle. À noter que la marque avait déjà fait appel à l’artiste à la fin des années 1990 pour une installation I Smell You on My Clothes pour la Biennale de Florence (1996) ou encore l’habillage lumineux de sa boutique /galerie à New York (1998).

Sean Hart, installation au métro lyonnais (2016)

Le street artiste Sean Hart, véritable poète urbain, photographe et graffeur, remplace depuis 1997 les espaces destinés aux publicités par des messages politiques, poétique et philosophiques sous forme de typographies impactantes (sur fond bleu ou noir) en grands formats. Il y pose ainsi ses propres slogans et se fait le porte voix des citoyens, confisqués de leur parole par les publicités envahissantes et polluantes visuellement. Entre janvier et février 2016 le métro lyonnais laisse pour la première fois carte blanche à un artiste en transformant ses couloirs en une galerie exposant quinze slogans que Sean Hart a extrait du spectacle de Philippe Vincent « Etranges Etrangers » pour en faire sa 83


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Les parenthèses contemplatives urbaines d’Ox

L’artiste Ox, ex membre des frères Ripoulin (collectif parisien des années 1980, souvent associé à la Figuration Libre), remplace les publicités des grands panneaux publicitaires urbains par des oeuvres peintes graphiques qui viennent se fondre parfaitement avec l’espace urbain environnant. Il créé alors des « parenthèses contemplatives » qui appellent à « la rêverie au coeur de la cacophonie urbaine », il s’empare des outils publicitaires pour ouvrir la ville à la poésie et la création et attend « qu’un lieu et une image se rencontrent ». Il transforme ainsi la ville en une véritable galerie à ciel ouvert.

pose à des artistes urbains d’investir un panneaux de 3x8m placé à l’angle des rues Oberkampf et Saint-Maur, dans le XIe arrondissement de Paris, en collant des peintures, oeuvres éphémères réalisées dans un atelier. L’artiste Ludo quant-à lui détourne des publicités qu’il juge comme « des tableaux mis à disposition pour être détournés », à la manière d’un véritable hacker qui dénonce le matraquage publicitaire des rues de Paris. Il a une préférence pour les publicités de mode, auxquelles il vient ajouter des éléments d’origines organiques et technologiques et une couleur vert fluo impactante comme signature d’artiste, créant ainsi des visuels hybrides du nom de « Co-branding ». À travers ces détournements, Ludo veut démontrer que l’espace publicitaire, malgré son omniprésence, passerait presque inaperçu aux yeux des passants qui se sont habitués à sa présence et montre son inutilité à travers ses oeuvres de plusieurs mètres carrés qui, malgré l’impact du visuel et sa couleur fluo, passent presque inaperçus à cause de cette saturation d’images superficielles. Avec encore plus de violence envers les affiches publicitaire, l’artiste berlinois Vermibus passe les publicités de mode à l’acide pour son projet Dissolving Europe (2013) pour lutter contre la prolifération de ces silhouettes plastiques photoshopées, partie intégrante du décor urbain. Il métamorphose ces égéries de mode à l’aide de différents solvants, brosse leurs visages et leurs peaux pour rendre leur beauté à la fois effrayantes et superbes. Par son geste il déshumanise les mannequins et rafraîchit les rues, un bon moyen d’éveiller la sensibilité artistique les passants, fatigués de voir des images publicitaires conformistes manquant cruellement d’une sensibilité artistique.

Publicité scalpée par Thom Thom

Thom Thom, alias Thomas Louis Jacques Schmitt, digne héritier du Nouveau Réalisme, détourne également les panneaux de publicité en 4x3 mais, plutôt que d’y apposer directement une création originale, il détourne les affiches de son quartier, à l’aide d’un scalpel pour dénoncer la surconsommation de messages publicitaires qui agressent au quotidien les habitants et souhaite « réanchanter l’espace public ». Avec la fondation de son association Mur, « le street art fait le mur », Thom Thom pro84


Ludo, Co-branding

Vermibus, Dissolving Europe (2013)


Zevs, Liquidated logo (2006) - Visual Attacks (2001) - Visual Kidnapping (2002)


II/Quand l’artiste cohabite avec la publicité

Certains artistes vont s’attaquer directement aux marques en en détournant les logos. Le street-artiste français Zevs (alias Christophe Aguirre Schwarz) est un « casseur de pub » qui rêverait de purifier la société de sa profusion de messages commerciaux, il souhaite alors donner le sentiment que les marques s’effacent dans ses oeuvres et reprend le principe du nettoyage des tags avec sa série Liquidated Logo (depuis 2006). Ce même principe de coulures se retrouve dans sa série Visual Attacks (2001) dans laquelle il dégrade des affiches publicitaires, comme si on leur avait tirées dessus. Avec son oeuvre Visual Kidnapping, il va encore plus loin. À Berlin, le 2 avril 2002 à 5h37 du matin, l’artiste escalade la façade d’un hôtel et « kidnappe » l’effigie d’une affiche publicitaire de 20m de haut pour Lavazza en la découpant avec un scalpel. Il l’expose et présente pendant trois semaines la vidéo du kidnapping à la Rebell Minds Gallery de Berlin . Menaçant de l’exécuter, il lui coupe un doigt qu’il envoie à Turin, enveloppé de coton, au PDG de la marque accompagné d’une demande de rançon de 500 000€. L’otage est exposé dans plusieurs endroits du monde pendant trois ans et une légende urbaine dirait qu’au bout de trois ans de mise en scène, Lavazza aurait fini par payer cette rançon sous la forme d’un mécénat pour le Palais de Tokyo, qui aurait permis d’y exposer l’œuvre. Cette affaire aura beaucoup fait parler d’elle en transformant cette égérie publicitaire en muse de l’artiste et suivront plusieurs kidnappings d’affiches publicitaires à Berlin. Son oeuvre emprunte alors les codes du crime pour une critique encore plus virulente et provocatrice de notre société de consommation, tout en y ajoutant une touche d’humour dédramatisante.

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pubart : au croisement de deux mondes

Les directeurs artistiques travaillant pour des agences de publicité n’hésitent pas eux aussi à critiquer cette invasion des images publicitaires dont ils sont pourtant auteurs. En 2014, avec le projet Street Eraser, le collectif anglais In-Return (composé des créatifs Guus Ter Beek et Tayfun Sarier) efface en partie des affiches publicitaires et des éléments de l’environnement urbain londonien (panneaux de signalisation, graffitis, ...) en y accollant des visuels de la gomme photoshop, pour nous montrer que ce qui nous entoure n’est pas réel et pour critiquer encore une fois la pollution visuelle que provoque ces images urbaines, comme si il cherchait à nettoyer la ville. Daniel Soares, directeur artistique chez Grey New York, cite également photoshop en 2012 en intégrant clandestinement des barres de tâches photoshop à des affiches H&M afin de critiquer les trucages mensongers des photographies publicitaires, pleines d’artifices qui nous donnent l’illusion d’un monde parfait.

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II/Quand l’artiste cohabite avec la publicité

Collectif In-Return, Street Eraser (2014)

Daniel Soares en train de détourner une publicité pour H&M (2012)

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Pour conclure, la publicité n’a pas pour fonction première d’être de l’art cependant ces fondements changent peu à peu et l’étau se resserre entre la publicité et le monde de l’art. Selon Danièle Schneider, historienne de l’art et auteure de La Pub détourne l’Art (1999), « c’est la juxtaposition entre le trivial de la consommation et le caractère sacré de l’oeuvre d’art qui va accrocher le regard ». Les publicitaires veulent désormais toucher le consommateur avec des visuels plus esthétiques et directs par leur authenticité, une authenticité qui fait vendre, celle à caractère artistique. Ils laissent de plus en plus libre cours à leurs instincts créatifs pour faire la différence, vers un idéal de publicité éthique, efficace, belle et artistique, comme le montre des campagnes récentes, le spot tv pour le cognac Hennessy X.O sorti en mars 2016 et réalisé par le réalisateur du film Drive, Nicolas Winding Refn, ou encore la campagne print « commit to something » signée par l’agence américaine Wieden + Kennedy (à laquelle on doit le célèbre « JUST DO IT » de Nike) pour la marque de vêtement de sport Equinox en janvier 2016, qui peuvent vite être concidérées comme de vrais oeuvres d’art. Avec cette notion de culture populaire qui ne cesse d’accroître, on retrouve de plus en plus de musées de marques comme le musée Coca Cola, le musée Haribo, Perrier, ... Dans le domaine du luxe, en plus des musées consacrés aux grandes maisons on retrouve des expositions prestigieuses mettant en scène leurs produits comme de véritables oeuvres d’art, l’exposition Cartier au Grand Palais en 2014 ou encore celle de Jean Paul Gaultier en 2015 en sont la preuve. Les marques s’expose mais la publicité également. Une exposition sur « la publicité au service des grandes causes » a eu lieu entre les 11 février et 9 mai 2010 au Musée du Louvre, Pavillon Marsan et a montré que même la publicité avait sa place dans un musée, aussi prestigieux soit-il. D’anciennes publicités deviennent aujourd’hui des oeuvres d’art à part entière, comme les publicités de Mucha, Toulouse Lautrec ou encore du célèbre graphiste français Cassandre. La question à se poser serait alors « est-ce que l’art peut remplacer la publicité ? » Le plasticien français Etienne Lavie tente d’y répondre avec sa série des OMG who stole my ads ? en 2014. Il créé des photomontages dans lesquels il présente de faux détourne-


ments de panneaux publicitaires remplacés par des oeuvres d’art classiques. Il explique d’où lui est venu l’idée sur le blog mélimélo d’art : « Je me suis demandé ce que serait le monde si chaque message publicitaire, chaque logo, était remplacé par de l’art. Je sais qu’il y a un va-et-vient constant entre l’art et la publicité. Mais finalement l’un et l’autre sont aux antipodes. Le publicitaire a pour mission de nous faire consommer. L’artiste ne veut rien, parfois, ou nous toucher, souvent. Nous faire sentir, penser, nous inspirer, nous faire réagir. Comment peut-on croire que l’art et la publicité sont si proches ? » Ces deux monde que tout oppose sont pourtant bel et bien plus proches qu’on ne le croit. La publicité copie l’art mais l’art aussi copie la publicité. Si cette copie apparaît souvent pour critiquer notre société de consommation, elle peut parfois aboutir à une oeuvre d’art qui ne souhaite pas spécialement mettre en avant une référence publicitaire, même si cette reférence est bien présente. Pour exemple l’artiste Jeff Koons a été assigné en justice en 2015 suite aux accusations du publicitaire Franck Davidovici pour contrefaçon. L’artiste aurait copié délibérément et sans autorisation une campagne Naf-Naf de 1985 pour son oeuvre Fait d’Hiver (1988). Enfin, avec l’arrivée des réseaux sociaux l’artiste devient communiquant, pour faire connaître son art, il doit faire « le buzz » et une multitude de supports permettent désormais de partager l’art. Sur les réseaux sociaux des pages dédiées de sites culturels et de divertissement mettent à disposition des articles, vidéos et photos d’expositions, de performances et d’interviews d’artistes. L’art devient populaire, s’immisce dans notre quotidien et les rapports entre culture populaire, publicité et art sont métamorphosés. Peut-on encore dire qu’il existe une frontière entre l’art et la pub avec l’avènement de notre société de consommation, des réseaux sociaux et des nouvelles technologies ? En avril 2016, une nouvelle étape a été franchi entre l’art et la pub, avec le projet « The Next Rembrandt » auquel Microsoft, l’université de Delft, la banque ING et le musée de la Maison de Rembrandt ont pu participer. Avec les techniques du Deep Learning, des portaits de l’artiste ont été analysés par intelligence artificielle afin de créer une toile originale à la manière de l’artiste hollandais. La publicité ici ne copie plus l’oeuvre de l’artiste mais est à l’origine d’une toile que Rembrandt aurait lui même pu signer. La publicité devient ainsi une oeuvre d’art à part entière.


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