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LIBER

Kami-cases

par Nicolas Trespallé

Escale BD

Dahmer, il fait un malheur

À la fin des années 70, Derf Backderf s’est lié avec un autre lycéen dont le comportement excentrique et bizarre va progressivement verser dans l’étrange et l’inquiétant. Alors qu’il s’apprête à dessiner quelques années plus tard une BD sur ce copain farfelu, le dessinateur le redécouvre à la une des journaux surnommé le « Cannibale de Milwaukee », un serial killer responsable de 17 meurtres. Marchant sur les traces de l’indépassable From Hell, le dessinateur s’emploie à un travail de reconstitution minutieux autour de ses propres souvenirs, de témoignages d’amis, de professeurs de l’époque et des rapports de police, pour cerner la morgue de son camarade et trouver, à défaut d’explications, les signes annonciateurs de sa folie meurtrière. Reconnaissant sa propre inertie de l’époque, Backderf se décrit comme un anonyme perdu dans le ventre mou de cette pyramide cruelle de la popularité que constitue le lycée, juste au-dessus des cas sociaux, des geeks et des moches, une position privilégiée qui l’amène, dans un jeu ambigu de fascination-répulsion, à frayer un temps avec Dahmer. Situé quelque part entre Julie Doucet et Lolmède, le graphisme à la fois rond et géométrique de Backderf tire vers la caricature pour accentuer l’inexpressivité lugubre de Dahmer. Il donne surtout un grand pouvoir d’évocation au décor qui prend des allures de paysages de contes défaits, avec ses forêts sombres et étouffantes. S’il refuse l’empathie, Backderf souligne tout de même le gâchis de cette vie d’un gamin livré à lui-même entre un père absent, une mère dépressive et épileptique ; une adolescence tragique, tout sauf drôle, et ce, même lorsque l’on voit Dahmer en short. Mon ami Dahmer, Derf Backderf (trad. Fanny Soubiran),

Çà et là.

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JUNKPAGE 0 1 / avril 2013

Chaval avarié Sorte de Pléiade dédiée aux grands noms du dessin d’humour, les Cahiers dessinés dirigés par Frédéric Pajak, accueillent en leur sein l’insubmersible Chaval, dessinateur d’origine bordelaise disparu prématurément en 1968. Chaval pourrait être le double inversé d’une autre gloire régionale, Sempé. À la plénitude, et au regard attendrissant et empathique de ce dernier, Chaval oppose un univers austère quasi janséniste, préférant à l’humour bonhomme une forme de ricanement narquois et persistant. Dessinateur volontiers laborieux dont le trait pourrait paraître ingrat, Chaval a développé une ligne cassante où des personnages chauves entre deux âges affrontent stoïquement les ravages de la modernité triomphante, comprenez la voiture, les embouteillages, et, déjà, la télévision. Mais sa force tient sans doute dans l’évidence comique de gags portés par du visuel pur où s’exprime son goût du contrepoint absurde puisqu’on y trouve des éléphants nains, des combats de mouches, ou encore de curieux hommesoiseaux... À découvrir aussi dans cette anthologie indispensable, une facette plus personnelle et allégorique du travail de ce sombre humoriste dont la ligne crasse et atmosphérique flirte parfois avec l’abstraction, un art qu’il prenait pourtant un malin plaisir à dézinguer. Les hommes sont des cons, Chaval, Les cahiers dessinés

L’oreille cassée de Sourdrille Fasciné par les filles callipyges teigneuses, Sourdrille développe un univers fantasmatique sur un mode dégénéré et autodestructeur, dans lequel sa figure de barbu ébouriffé se retrouve déclinée à toutes les sauces. Qu’il prenne les traits réalistes ou caricaturaux, son alter ego cultive un plaisir masochiste à se faire étriller, écrabouiller, charcuter, cuisiner ou simplement se faire casser la gueule dans des histoires drôles dans tous les sens du terme, qui dépassent fréquemment le simple exercice parodique. Mêlant humour beauf, obsessions voyeuristes et délires hallucinatoires, Sourdrille puise autant chez McCay et ses Cauchemars de l’amateur de fondue au Chester, façon trip burlesque et pathétique, que chez Guido Buzzelli, avec son double démantibulé, Zil Zelub, et même chez de La Fontaine qui ne lui en demandait assurément pas tant. Pour ne rien gâcher, le tout est réalisé dans un graphisme hyper léché à la plume, impressionnant de maîtrise. Pas pour rien que Crumb, une autre « idole malade », l’adore au point de signer un dessin à la gloire de ce Chaland crapoteux. Les idoles malades, Sourdrille, Les Requins Marteaux

Du très lourd cette année à l’Escale du livre marquée par la venue de deux géants du 9e art, le Grand Prix d’Angoulême millésime 1998, Boucq, et le Charles Bronson de la BD, Hermann, père de Jérémiah et du non moins génial Bernard Prince, conviés pour une rencontre croisée exceptionnelle. De l’éclectique programmation, l’on retiendra aussi la présence du précieux Michel Rabagliati, porte-drapeau de la BD indé caribou avec sa fresque au long cours semi-autobiographique Paul, ainsi que de Mezzo, placé sur orbite grâce au succès mérité de sa trilogie poisseuse, Le Roi des mouches. Signalons par ailleurs des focus sur la gangsta BD du Label 619, la présentation du mag numérique Professeur Cyclope, des ateliers BD et fanzines pour les plus jeunes animés par Jérôme d’Aviau et Max de Radiguès, sans oublier un regard sur la grouillante scène locale avec La Cerise qui fête ses 10 ans (bon anniversaire !) et la désormais mythique collection BD-cul des Requins Marteaux. De la sueur enfin, avec Bourhis et Halfbob qui deviseront, à l’heure de l’apéro, de rock et de BD, en amorce d’une soirée fiévreuse au Wunderbar, avec concert de la très kawaï Kumisolo, suivi d’une bagarre de DJ, occasion rare de voir Hermann se fendre d’un Harlem shake sur un morceau des Oh Sees. www.escaledulivre.com


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