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Carl F. Bucherer

Sous le signe de la raie manta Page 16

EUROPA STAR PREMIERE LE JOURNAL DE L’ÉCOSYSTÈME HORLOGER SUISSE

NO 3/17 (Vol.19) JUIN 2017 | 7.00 CHF € | EUROPASTAR.COM

ISSN 2297-4008

Les secrets des marques de volume

ÉDITORIAL

par

Serge Maillard

DR

Alors que l’on désigne souvent le rendez-vous annuel des professionnels de l’industrie comme l’«EPHJ» (pour Environnement Professionnel Horlogerie Joaillerie) par commodité de langage, l’une des trois branches du salon EPHJ-EPMT-SMT semble être particulièrement observée cette année: celle des technologies médicales ou SMT (lire à ce propos l'interview d'Alexandre Catton en page 27). Les changements profonds à l’œuvre dans le secteur horloger n’y sont pas étrangers: le rétrécissement de ce marché s’impose avec dureté aux acteurs de la sous-traitance. Les géants de la branche acceptent de débourser des sommes colossales pour sauver leurs marques en rachetant massivement les stocks d’invendus et en finançant des boutiques tournant à petit régime; mais leur manne ne s’étend bien évidemment pas à leurs fournisseurs...

De même que les détaillants se tournent de plus en plus vers la bijouterie – promesse de marges plus élevées, de liberté retrouvée et de... respirer un peu – les fournisseurs scrutent de leur côté avec intérêt et envie le médical. Les processus mêmes de fonctionnement de la branche ont bien changé, avec la concentration des compétences au sein des manufactures elles-mêmes, entraînant donc un rétrécissement structurel autant que conjoncturel du marché pour les fournisseurs. Nul ne doute que la reprise est en vue, mais sans doute pas avec autant de promesses ni dans la

même configuration qu’auparavant. Alors, de même que les détaillants se tournent de plus en plus vers la bijouterie – promesse de marges plus élevées, de liberté retrouvée et de... respirer un peu – les fournisseurs scrutent de leur côté avec intérêt et envie le médical. Quelques chiffres montrent la force de cette activité qui, comme l’horlogerie, trouve l’un de ses pôles mondiaux entre Arc lémanique et Arc jurassien. Avec un chiffre d’affaires de plus de 14 milliards de francs, elle commence à tenir la dragée haute à l’activité horlogère. Comptant les Etats-Unis et l’Allemagne comme premiers marchés, elle est moins sensible aux mutations drastiques d’un pays au fonctionnement pyramidal comme la Chine, où un mouvement de la tête au sommet secoue toute la nation avec vigueur. Surtout, on sent dans cette activité une dynamique et un état d’esprit qui rappellent ceux des années dorées de l’horlogerie conquérante. Les dépenses en recherche et développement se chiffrent en centaines de millions de francs chaque année dans la région, qui accueille sans cesse de nouveaux acteurs. Rappelons que La Suisse compte la plus importante proportion de salariés dans le secteur medtech de toute l’Europe. De quoi attirer des fournisseurs horlogers dont l’expertise microtechnique et le travail de précision sous des contraintes normatives fortes sont reconnues. L’entreprise biennoise Cendres + Métaux, championne des implants dentaires et qui lance parallèlement un nouveau mouvement horloger, en est un très bon exemple, tout comme le groupe Acrotec, dont les activités nombreuses sont bien détaillées dans ce numéro. On semble se diriger toujours plus vers un tissu industriel suisse composé de groupes à la taille critique et aux compétences multiples, actives tant dans l’industrie horlogère que médicale, et d’autres encore. Pour résister aux reculs qui peuvent affecter tantôt la Watch Valley, tantôt la Health Valley, dont le salon se veut le «premier ambassadeur». Alors, parlera-t-on un jour d’abord de salon «SMT», par commodité de langage? C’est à voir!

RAL Chamber par Docubyte

De l'horlogerie aux technologies médicales

par

Serge Maillard

Au début de l’année, Europa Star a consacré un grand dossier à la question des prix des montres suisses, qui ont explosé entre 2000 et 2013, avant de connaître – en particulier depuis l’an passé – une correction rapide. Nous nous sommes ensuite intéressés, ce printemps, au sort des classes moyennes, une catégorie essentielle pour l’avenir de l’industrie.

Dans ce Chapitre 3 de l’année jubilé d’Europa Star, nous descendons encore d’un cran, hors de cette «stratosphère» horlogère essentiellement suisse et luxueuse, pour mettre en lumière ceux que nous appelons les 99%. C’est-à-dire ceux qui produisent l’immense majorité du quelque 1.2 milliard de montres fabriquées chaque année dans le monde. En Chine pour la plupart, mais ornées bien souvent de grands

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noms de la mode, lorsqu’ils sont produits en sous-traitance, en licence ou private label. Que peuvent-ils nous apprendre, qui sera aussi utile pour les 1% de l’industrie, qui composent l’essentiel de la valeur et sur qui tous les projecteurs sont braqués? Voici les leçons des 99%, qui servent parfois de laboratoire voire d’avant-garde de ce qui sera (ou non) adopté par le haut du panier. (Lire le dossier en page 4)




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Six leçons des marques de volume On a parfois tendance à les ignorer. «Elles», ce sont les montres bon marché qui constituent le 99% des volumes de montres vendues à travers le monde, généralement à moins de 300 dollars, en principe avec une production chinoise, souvent griffées d’une marque célèbre mais d’origine non horlogère, souvent aussi au logo inconnu, souvent aussi fausses... Un univers opaque, dense, éphémère, que d’innombrables nouveaux venus rejoignent tandis que d’autres, tout aussi innombrables, rejoignent le cimetière de l’industrie horlogère. «Elles» que l’on achète parfois sur un coup de tête, parfois au bord de la plage, parfois dans une grande surface urbaine... Loin, très loin de la stabilité relative des 1%, dont les moindres faits et gestes sont scrutés par tous les microscopes de la presse spécialisée. Pour preuve, difficile de trouver dans le cadre de ce dossier des contributeurs maîtrisant l’univers touffu des marques «de volume».

Premiers pas horlogers... Pourtant, observez le poignet de votre serveur, de votre vétérinaire, de votre coiffeuse, de votre belle-sœur ou de cet élégant homme d’affaires tapotant sur son smartphone dans la salle des départs d’un grand aéroport. Peut-être une Daniel Wellington, une Fossil, une Armani, une Hugo Boss, une Esprit, une MVMT – ou encore une Apple Watch ou une Samsung... Ces montres sont importantes, non seulement en volume, mais aussi parce qu’elles représentent souvent le premier pas horloger (et parfois le dernier aussi) de la grande majorité des populations de notre monde, chez ceux qui ne sont ni

fascinés ni obsédés par l’horlogerie, mais qui acquièrent une montre, qui par nécessité, qui par confort, qui par hasard. Une exception notable suisse, tout de même, dans ce bal de l’accessibilité: Swatch (et sa petite sœur Flik Flak), qui a réussi à se maintenir au pinacle du monde de la mode, sur un marché pourtant par nature éphémère et ce sur plusieurs décennies. Quels sont ses secrets? Nous en dévoilons certains dans notre portrait en page 7. Mentionnons également Tissot et ses 4 millions de montres vendues chaque année – et de manière générale l’ambition méritoire du Swatch Group de ne pas se couper de sa «base», liée à ses origines industrielles et à l’héritage bienvenu de Nicolas Hayek, que nous avons détaillé en long et en large dans notre précédent chapitre.

... Mais pas une nouvelle «montre du prolétaire» Ici, il ne s’agit cependant pas de millions de montres mais bien de plus d’un milliard de garde-temps fabriqués annuellement (plus précisément 1.2 milliard selon la Fédération de l’industrie horlogère suisse / FH, 1.4 milliard selon la Fédération japonaise horlogère). Nos fidèles lecteurs se souviennent aussi de notre analyse du marché indien et de son tout-puissant acteur local Titan (lire notre numéro précédent). Les plus nostalgiques de nos lecteurs auront aussi dévoré notre dernière rubrique Archives, consacrée à la «montre du prolétaire», la Roskopf. Il serait cependant malvenu, dans notre époque politiquement correcte, d’évoquer un dossier consacré dans ce nouveau chapitre

aux «prolétaires de l’horlogerie». Ce serait d’autant plus incorrect aujourd’hui que les frontières se brouillent et que la pyramide bien ordonnée des valeurs ressemble désormais davantage à une fresque impressionniste: ce n’est pas parce que l’on est aisé que l’on se soucie d’acquérir une montre de valeur (parfois une Ice-Watch fera l’affaire); et ce n’est pas parce que l’on est modeste que l’on n’économisera pas pour s’offrir la montre (suisse bien sûr) de ses rêves. Internet est passé par là, bien sûr, qui provoque une horizontalité de la communication – Facebook, ce grand égalisateur des mœurs – et un grand brouillage des codes. Mais le surgissement, le bal frénétique de ces multiples marques accessibles influe, paradoxalement, aussi sur la destinée des grandes maisons horlogères. Pas directement, mais en agissant sur le comportement de l’acheteur, qui, lui, est de moins en moins catégorisable dans une case ou dans l’autre.

Regain d’intérêt pour l’entrée de gamme? Dans la grande montée en gamme de l’horlogerie, on a eu tendance à laisser de côté (en termes d’intérêt), à mesure que leur valeur totale dans l’industrie déclinait proportionnellement, les catégories les plus accessibles de montres. Or, on constate qu’une re-démocratisation de l’horlogerie est en cours, qui passe notamment par la baisse du ticket d’entrée dans un nombre considérable de marques du moyen et haut de gamme horloger. Raison de plus de s’intéresser aux leçons de l’entrée de gamme, un seg-

ment précurseur de certains phénomènes qui pourraient un jour toucher le monde du luxe. Notre ambition, non exhaustive, est de tirer six leçons de leur surgissement, favorisé aujourd’hui notamment par le crowdfunding. Des leçons qui, espérons-le, profiteront à tous.

1. Attaques sur la valeur perçue Nous semblons entrer dans une ère du consommateur «post-luxe», dans un monde où la corrélation entre prix et valeur perçue est de plus en plus brouillée. Ainsi, dans les segments du prêt-à-porter et des accessoires, le design a été démocratisé au point d’éreinter la notion qu’un «bon design coûte toujours cher», selon Winston Chesterfield de Wealth-X. C’est le pari que font précisément d’innombrables nouvelles marques horlogères bon marché qui se lancent sur Internet: jouer sur la carte d’un design contemporain, sobre, épuré, original – et non plus simplement copier les grandes marques – bref, ce qui est la tendance du moment, pour essayer de séduire un public qui aurait légitimement les moyens de s’offrir de la «belle horlogerie». En déclarant qu’«une montre fashion à 300 euros doit avoir une valeur perçue de 1'000 euros», Xavier Gauderlot, responsable au Movado Group qui produit notamment les marques de licence Hugo Boss, Tommy Hilfiger ou Coach vendues à des millions d’exemplaires, ne dit guère autre chose. Une valeur perçue suffisante, à tout le moins, pour séduire une clientèle attirée d’abord par un design, un nom ou un état d’esprit et qui ne s’arrête pas davantage sur la légitimité horlogère des marques traditionnelles.

A ce titre, on se doit de souligner que le goût des nouvelles classes moyennes pour dénicher la nouvelle marque «exclusive» semble souvent davantage porter sur un concept original que sur le prix de ce concept. En baissant considérablement le ticket d’entrée dans l’industrie horlogère, en rendant possible le lancement de nouvelles marques à bon prix, via le crowdfunding et des plateformes comme Kickstarter, Internet a accéléré l’éclatement du paysage horloger comme le brouillage des codes. Sans que ces marques ne réussissent généralement à s’inscrire durablement dans le paysage – bien que leurs assauts sans cesse répétés pourraient, un jour, laisser la place à un vrai phénomène. Néanmoins, elles bougent déjà les frontières de l’exclusivité, entre une petite marque horlogère nouvellement créée à 200 dollars mais bien designée et produite à 5'000 exemplaires et une marque bien établie à 2'000 dollars produisant plus d’un million d’exemplaires. Internet a donc démultiplié les chemins possibles vers la «valeur perçue» horlogère. De nouvelles marques ont bénéficié de ce ticket d’entrée réduit, profitant également de l’engouement des jeunes acheteurs pour un design élégant, classique et au final plus... simple; les marques fashion ont, quant à elles, inondé le marché de noms issus du monde du luxe, proposés à des prix bien moindres que ceux des «pure players» horlogers, brouillant encore davantage les codes de la valeur dans l’esprit du consommateur – celui, du moins, pour qui la montre revêt d’abord une valeur esthétique et fonctionnelle. S’agit-il de marques «usurpatrices», profitant de leur fraîcheur d’esprit dans un cas, de leur puissance marketing dans l’autre, pour «détourner» les consommateurs de marques


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2. «Moins formel!»: le diktat des tendances On l’a déjà allègrement observé lors des présidentielles américaines et françaises – à ce titre, il est fascinant d’observer les débats d’hier et d’aujourd’hui –: les formalités de langage disparaissent, laissant la place à ce que beaucoup appellent le «parler vrai». On le voit bien dans le marketing, où Ikea tutoie allègrement sa clientèle quels que soient son âge, son genre ou sa respectabilité. Le monde de l’horlogerie n’y échappe pas: combien de marques désirent se rapprocher de leur clientèle, embrasser leurs nouveaux codes, se réformer, se rajeunir? Le luxe n’a pas d’âge, après tout... L’un des meilleurs exemples de cet esprit de renouveau informel, de nouvelle jeunesse, sous l’influence de son designer Alessandro Michele, est sans doute Gucci, qui n’est autre que l’inventeur de la montre fashion et, partant, de la rencontre entre la mode et l’horlogerie qui a tant bouleversé le paysage industriel. Pour le directeur de la division horlogère, Piero Braga (lire son entretien en page 8), la maison, présente sur presque toutes les gammes avec

des montres pleines d’insolence, est la nouvelle enseigne de luxe des fameux millenials. Ceux-là mêmes qui, insaisissables, remettent en cause la pyramide des valeurs, se permettant d’arborer un t-shirt Zara avec une Rolex, ou un veston Armani avec une Casio vintage au poignet... Une communication informelle pour des produits informels, donc, à moins que la formalité des codes ne soit pleinement revendiquée, presque comme une «exception». L’essentiel étant de se distinguer de trois ennemis: le sérieux, synonyme d’ennui; le suivisme, synonyme d’ennui; et l’immobilisme, synonyme... d’ennui. Faire tourner les stocks, se remettre sans cesse en cause, réinventer en permanence: on sent bien que l’industrie horlogère quasiment dans son ensemble (et pas uniquement les marques de volume) a cédé aux sirènes de la mode – ou plutôt à ses rythmes. A tel point qu’elle risque aujourd’hui la saturation, menacée par le «diktat» de la nouveauté sur un produit industriel qui exige par nature une certaine inertie. La contre-révolution s’est d’ailleurs engagée et les marques traditionnelles ont commencé à réduire leur nombre de références, à rebours des marques de volume. Car le corollaire à cette quête de la tendance est son exigence permanente de renouveau. C’est le risque lorsqu’on s’engage sur le terrain de la «fashionisation» dans une industrie qui promeut par ailleurs des valeurs éternelles et la durabilité de ses produits. Délicat dilemme... dont seuls les plus intransigeants sur leurs propres valeurs se sortiront! Car on connaît les limites du «prêt-à-jeter», à la fois éphémère et insatiable – et où, bien souvent, tout finit paradoxalement par se ressembler! «Le fashion, cela veut dire comprendre très vite les nouvelles tendances, dit Fabrizio Buonamassa, le responsable du design des montres Bulgari. Mais c’est aussi tout le temps changer et se renouveler. Or, le luxe ce n’est pas cela. Notre défi est de

trouver de nouvelles formes de joie de vivre, comprendre les aspirations changeantes du monde, sans céder à la frénésie.» L’exercice le plus délicat consiste certainement à comprendre les nouveaux clients: «Le paradoxe des jeunes est qu’ils évoluent dans un monde globalisé tout en cherchant un aspect unique. Aujourd’hui, l’esprit du luxe doit être plus fun et plus joyeux pour certains segments de clientèle. Nous n’avons plus rien à prouver et c’est ce qui nous permet de jouer avec la marque.» Les marques les plus légitimes sont ainsi les mieux à même de changer durablement les codes et les tendances, en intégrant notamment des nouveautés issues d’acteurs extérieurs. Mais ce sont elles qui, également, doivent se préserver de tomber dans la facilité de langage, dans l’informalité comme pure «doctrine marketing», et donc qui doivent garder le plus de recul face à ces nouvelles tendances. Un nouveau luxe moins formel et plus accessible (d’esprit, pas forcément de prix) émerge depuis plusieurs années déjà. Le succès d’une marque comme Hublot, qui intègre sans cesse de nouveaux matériaux et communique de manière disruptive, est en grande partie à chercher là, elle qui transpose des codes de la mode dans l’industrie horlogère. Pour les marques plus traditionnelles, en revanche, l’une des clés consiste à comprendre très vite les nouvelles tendances... sans y céder!

3. «S**** word»: le Swiss made, de la légitimité à l’incertitude On n’associe généralement pas marques de volume et un Swiss made réservé à une élite de l’horlogerie. Sauf que le récent débat sur ce label, qui a entraîné un renforcement de la législation (réforme Starchaser Rocket par Docubyte

plus légitimes? Permettent-elles également de convertir de jeunes poignets – vierges autrement – au goût de l’horlogerie, ce qui profitera au final à tout l’écosystème? Cette tension est palpable, entre rejet de cette forme de concurrence d’un revers de la main et lecture plus complète de l’intégralité du marché. Ce que l’on retiendra est qu’à l’heure où les marques traditionnelles simplifient leurs lignes et réévaluent bien souvent leur prix d’entrée, des marques de volume, usant de la démocratisation des codes du luxe et de la proximité qu’offre le web avec chaque consommateur (ainsi qu’avec ses fournisseurs), rebattent les cartes de la valeur perçue et posent un défi de taille à toute l’industrie.

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jugée insuffisante par les uns, trop stricte par les autres, a été en grande partie provoqué par un afflux de marques parvenant à se «payer» ce label à moindres frais, lors de la décennie dorée des années 2000. La contrefaçon, l’autre cheval de bataille de la FH, énorme générateur de volumes, complète d’ailleurs le tableau en permettant à ceux qui ne pouvaient se payer le fameux label de s’en offrir au moins la copie... La marque «Swiss» a donc été utilisée sous toutes ses coutures, perdant de sa superbe et de sa légitimité: non seulement du fait d’une loi très permissive mais aussi par la copie pure et simple et par des montres sous influence, très proches de modèles suisses, ensuite labellisés Swiss origin ou encore Swiss movement. Les codes de la suissitude ont été victimes de leur succès, car travestis pour orner un maximum de poignets. Se relier de n’importe quelle façon à des origines suisses, voilà le mot d’ordre. Au point qu’aujourd’hui, l’industrie légitimement suisse fait face à un dilemme: faut-il arborer ce sésame autrefois glorieux? La nouvelle loi suffira-t-elle à rassurer le consommateur? Et celui-ci s’en soucie-t-il seulement? Car l’ère d’Internet est aussi celle d’un paradoxe: d’un côté, le web a contribué à un brouillage général des codes du luxe, ce qui ne peut qu’ajouter à la confusion autour d’un label prétendu réservé à une élite; de l’autre, la surinformation qu’il permet conduit aussi à une exigence de transparence et de traçabilité des produits toujours plus grande. Bien des marques qui se lancent en crowdfunding entendent ainsi faire «participer leur communauté» à la création et au succès de leurs montres, un processus qui doit logiquement se dérouler en toute transparence; mais se gardent bien d’expliciter les origines et moyens de production de leurs nouveautés... Tout sur le design, donc, rien sur l’origine! C’est à cette exigence ambiguë de transparence, bien reflétée dans le débat autour du label Swiss made, que doivent faire face les marques traditionnelles. Nombre d’entre elles se sont vues copiées: peuvent-elles dès lors se permettre d’afficher un label ayant donné lieu à toutes formes d’excès et de dénaturations? De même que ce label, le langage luimême est en cause: des mots comme «ADN», «codes» ou «héritage» sont aujourd’hui tellement utilisés dans les communiqués marketing de toute marque horlogère que l’on se demande quel est encore leur sens. S’ils sont galvaudés à l’heure du storytelling, ne vaudrait-il pas mieux les bannir? Le fashion s'étant emparé des outils et des éléments de langage du luxe, il contraint celui-ci à évoluer. Søren Petersen, directeur de la marque horlogère haut de gamme Urban Jürgensen, estime ainsi que nous sommes à un tournant pour le luxe, s’insurgeant contre un storytelling sans fondements mais très répandu: «Nous entrons à l’ère de la transpa-

rence. Cette nouvelle ère nous fera paradoxalement revenir à de bonnes valeurs.» Pour lui, derrière l’abondance de discours surfaits, les histoires toutes faites, le manque de consistance ou le faux marketing, une purification de la définition de la montre de luxe est en effet en cours. Le salut, pour le «vrai luxe», réside selon l’entrepreneur dans l’artisanat, la patience et une production limitée: «Je n’ai pas de doutes quant à la pérennité de belles marques qui ont un savoir-faire artisanal et qui prennent le temps de parfaire leurs compétences coûteuses.» La valeur seule de la marque, son nom, devrait suffire à la légitimer au-delà de tout label: «J’aime bien l’attitude de Rolls-Royce. Sur leur vidéo de présentation, le premier élément qu’ils montrent est que le châssis en aluminium vient… d’Allemagne! Et alors? C’est une Rolls-Royce. Et c’est sans doute le meilleur châssis en aluminium au monde. C’est la confiance dans la marque elle-même qui prime.» L’authenticité, donc, quand le label qui devrait la définir a été galvaudé. Encore un mot-valise, mais laissons passer celui-là!

4. De l’importance du bracelet Petit détour en dehors du cadran. Puisque tout ou presque a été dit ou fait sur le boîtier de montre, avec l’explosion de l’offre horlogère depuis quinze ans, bien des marques de volume ont mis l’accent sur un autre objet: le bracelet. Facilement interchangeable pour offrir plusieurs visages à une même montre, décliné en Nato, maille milanaise ou caoutchouc, il a conduit une marque comme Daniel Wellington au succès chez les plus jeunes. Changer de bracelet plutôt que de montre: voilà un concept qui répond tant aux aspirations de renouvellement que d’économies des consommateurs les plus jeunes, qui ne veulent pas non plus se rendre chez un détaillant pour changer le bracelet de leur montre commandée en ligne. Le monde du luxe s’est également emparé avec force de ce nouveau terrain de jeu. La dernière édition de Baselworld a vu une explosion des choix de bracelets, qu’il est de plus en plus facile de personnaliser en ligne. Et aujourd’hui, il n’est plus choquant de voir un bracelet en jeans sur un modèle à plusieurs dizaines de milliers de francs – au grand dam des puristes qui réclament de la durabilité non seulement dans le boîtier mais aussi sur ce qui l’entoure! Quant à la montre connectée, mentionnons encore que jamais Apple n’avait autant décliné un de ses produits que sa Watch: autant de bracelets pour autant d’accessoires pour autant de bénéfices potentiels additionnels. TAG Heuer complète aujourd’hui ce concept en faisant du bracelet un élément central de sa Modular, dont c’est le boîtier, connecté ou «éternel» pour re-


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prendre les termes de Jean-Claude Biver, qui est interchangeable. Au final, tant le bracelet que le boîtier deviennent modulaires, pour une maximisation du choix qui convient à ceux qui ne veulent ou ne savent justement pas choisir! Ce thème de l’interchangeabilité des bracelets est appelé à gagner en importance. Il illustre aussi comment les marques de volume, connectées ou non, peuvent influencer les habitudes du jeune consommateur final, dont les nouvelles attentes entraîneront in fine toute l’industrie à de nouvelles pratiques...

5. L’obsolescence, nouvelle branche de l’arborescence horlogère Et la montre connectée dans tout cela? Ni le raz-de-marée instantané que certains promettaient, ni l’échec total proclamé par d’autres. Les ambitions digitales d’un géant comme le Fossil Group laissent néanmoins à penser que ce marché en sa prime

enfance va encore connaître de nombreux développements. Pour résumer, ce n’est pas un nouvel arbre, mais une nouvelle branche de l’arborescence horlogère... qui, déjà, influe fortement sur le destin des marques fashion, les premières concernées par cette concurrence. Lors de son talk de présentation de l’Apple Watch 2, Tim Cook, le patron du géant californien, a tenté de légitimer son ancrage horloger en citant une étude de la banque Vontobel, qui place sa marque comme la deuxième au monde du secteur. Si les volumes de vente – non dévoilés par Apple – sont sans doute décevants en comparaison avec l’envolée des ventes de iPhone ou iPad, ils sont conséquents au regard de la taille de l’industrie. Alors que la connexion restait à ses débuts – rendons là hommage au Swatch Group pour son esprit pionnier avec ses montres Paparazzi et Access – confinée à des marques entrée de gamme et de volume, la contagion, quoiqu' empruntant un chemin tortueux, est en train de se produire. Ainsi de Montblanc, luimême un acteur venu de l’extérieur, qui, avec sa nouvelle montre Summit, intègre une technologie

étrangère au monde du luxe horloger. Think out of the box!, pourrait-on légitimement ajouter dans son cas... Est-ce que la vaste majorité des volumes horlogers sera composée, à l’avenir, de montres connectées? C’est possible. Est-ce qu’elles contiendront au moins un module connecté? C’est probable. Selon René Weber, de la banque Vontobel, le tiers des montres à quartz sera équipé d’une puce dans le mouvement d’ici à cinq ans. Une vaste reconfiguration est en cours, qui touche d’abord des territoires extérieurs à la Suisse (ce fameux 1,2 milliard de montres produites dans le monde). Mais si l’entrée et le moyen de gamme semblent dans le radar de la connexion, le luxe artisanal, lui, pourrait fort bien s’en passer!

6. Des laboratoires du e-commerce «Depuis des décennies, l’industrie horlogère a mis en place une stratégie de contrôle étroit de sa distribution. Or, Internet provoque une fuite énorme des canaux de diffu-

sion, qui concerne tout le monde. Aujourd’hui, c’est le Wild Wild West sur le web: un écosystème doit encore se mettre en place.» On ne pourrait mieux résumer la situation qu’Aletta Stas, de Frédérique Constant. La révolution numérique passera peut-être à terme par une suprématie de la montre connectée. Mais l’arrivée de la vente en ligne se produit elle en ce moment même. Et pose une série de questions épineuses aux marques de luxe: Comment ne pas écorner son image en ligne? Comment reproduire l’expérience d’une boutique de luxe sur le web? Comment assurer la logistique de ce bouleversement total? Quelle sera la nouvelle marge bénéficiaire dans cette configuration? Qui maîtrisera les données clients? Où trouver les bons partenaires pour réussir cette transition? La liste pourrait continuer encore longtemps. Les marques plus accessibles, elles, constituent déjà un laboratoire pour trouver certaines réponses à ces défis. Car elles doivent s’adapter depuis plusieurs années déjà aux nouvelles habitudes d’achat de leurs clients. Ceux-ci n’entendent pas forcément se déplacer pour acheter un produit

LES VOLUMES MONDIAUX DE MONTRES

de coût similaire aux chaussures qu’ils s’achètent déjà en ligne.... Certains ont l’avantage «technologique» d’être nés sur le web et les réseaux sociaux, de n’utiliser que ceuxci pour leur promotion, et donc logiquement pour la vente: ce n’est pas tout un appareil commercial qui doit être transformé. D’autres entendent quant à eux utiliser à fond tous les canaux, diffusant tant auprès des détaillants «abandonnés» par les marques traditionnelles que sur le web. Détaillants qui, il faut le dire, sont aussi en train de se mettre sérieusement à la vente en ligne – bien que celle-ci ne constitue de loin pas la panacée promise! Les canaux sont multiples, de la vente directe en e-boutique à celles des partenaires spécialisés en passant par des plateformes géantes comme Amazon. L’assaut sur le web pourrait d’abord passer pour les marques de luxe par l’analyse de quelques case studies issus des marques actives dans un créneau en dessous de 500 dollars, notamment aux Etats-Unis et en Asie, à la pointe de cette activité. Nous y reviendrons, bien sûr, dans un prochain dossier, intitulé L’ubérisation des détaillants!

LES PORTFOLIOS DE…

Nous mettons ici quelques chiffres en perspective, concernant la production globale de montres dans le monde.

Fossil Group: Fossil, Michele, Misfit, Relic, Skagen, adidas, Armani Exchange, Burberry, Chaps, Diesel, DKNY, Emporio Armani, Karl Lagerfeld, kate spade new york, Marc Jacobs, Michael Kors, Tory Burch

1,2 milliard

Le nombre de montres produites dans le monde par an

LES EXPORTATIONS EN 2016

652 millions de Chine 241 millions de Hong Kong 17,5 millions d’Allemagne

Movado Group: Coach, Hugo Boss, Tommy Hilfiger, Lacoste, Scuderia Ferrari, Juicy Couture, Rebecca Minkoff Sans oublier bien sûr Movado, Ebel et Concord dans un autre registre horloger.

10,4 millions des Etats-Unis La Suisse concentre PLUS DE 50% DE LA VALEUR HORLOGÈRE MONDIALE, avec un prix moyen à l’export de 708 dollars (contre 4 dollars pour la Chine)

21,1 millions

Le nombre de montres connectées produites dans le monde par an, dont 11,6 millions d’Apple Watch

22,3 millions

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La production annuelle du leader mondial des outils de mesures fitness Fitbit

11 millions

La production annuelle estimée du plus gros producteur (en volumes) de montres Swiss made, Swatch

Timex Group: Timex, Guess, Gc, Versace, Versus, Salvatore Ferragamo, Nautica, Opex

Et aussi, quelques nouveaux visages à mentionner, qui ont connu une percée (parfois éphémère) ces dix dernières années: Ice-Watch, Daniel Wellington, Nixon, Komono, MVMT, Bering, Triwa, Cluse...

Sources: Fédération de l’industrie horlogère suisse FH, Vontobel

25,4 millions de Suisse


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PORTRAIT

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La Swatch, éternelle innovation de rupture Presque trente-cinq ans après son lancement, la petite montre en plastique connaît toujours un succès insolent. Les raisons de cette success story sont à chercher dans les fondements mêmes de sa création, où technologie, mode de production, marketing et design forment une quadrilogie parfaite.

«La durée de vie de ce projet devait être de cinq ans et 5 millions de pièces. Mais nous n’avions pas du tout prévu ce qui allait suivre, non!» A l’autre bout du fil, Elmar Mock éclate de rire. Le co-inventeur de la Swatch est, depuis près de trente-cinq ans, un observateur privilégié du succès planétaire de cette petite montre en plastique. Si ses débuts furent fulgurants – 4 millions de pièces vendues une année seulement après son lancement – c’est sa longévité qui interpelle aujourd’hui. Loin de s’essouffler, la Swatch réalisait encore à elle seule plus de 700 millions de francs de chiffre d’affaires en 2015, selon l’étude annuelle de la banque Vontobel sur l’industrie horlogère – une référence dans le domaine. Une réussite qui s’explique par le dynamisme jamais démenti de la marque, mais aussi et surtout par les fondements mêmes de ce qui fut à l’époque une innovation de rupture. Pour se convaincre de l’extraordinaire engouement que connaît toujours la Swatch, il suffit de se remémorer les prix atteints aux enchères par plusieurs collections, ces dernières années: en 2011 à Hong Kong, les 4,363 modèles amassés par un couple suisse sont adjugés pour 6,6 millions de dollars; quatre ans plus tard, à Hong Kong toujours, ce sont près de 6 millions de francs, soit quatre fois le prix estimé, qu’offre un passionné pour les 5,800 exemplaires qu’un Luxembourgeois a patiemment réunis durant 25 ans; la même année enfin, à Genève, les quelque 4,000 objets conservés par les deux designers à l’origine de la Swatch, Bernard Muller et Marlyse Schmid, se sont arrachés en un coup de marteau pour 1,3 million de dollars. Mais le marché des montres vintage n’est pas le seul à être florissant. Présente dans quelque 700 points de vente à travers le monde, la Swatch jouit actuellement d’une popularité toute particulière en France, en Italie, en Suisse et bien sûr en Chine. Installé à Zurich, le Swatch Lab continue ainsi à créer de nouveaux modèles avec le concours de designers, de graphistes et d’artistes reconnus, issus du monde entier. Un style résolument jeune et cosmopolite que l’on retrouve parmi les plus de 240'000 membres du Swatch Club, institué par la marque. «Outre un contact direct avec eux grâce aux réseaux sociaux, nous les rencontrons de façon régulière dans

les évènements que nous proposons localement, souligne le Creative Director, Carlo Giordanetti. Pour le groupe des Gold & Pioneers, qui sont les plus enthousiastes et loyaux, nous organisons des moments très spéciaux, deux fois par an, et explorons le monde avec eux!»

Un accouchement dans la douleur Cette success story, unique dans l’histoire de l’industrie de la mode, trouve son origine dans les circonstances et les développements qui ont amené à la naissance de cette véritable innovation de rupture. A commencer par le contexte économique de l’époque: au début des années 1980, cela fait plus de cinq ans que l’industrie horlogère suisse subit la plus grave crise de son histoire. Le choc pétrolier de 1973, suivi du renchérissement du franc suisse, et bien sûr du déferlement sur les marchés mondiaux de montres à quartz à bas coûts – notamment japonaises – précipitent bientôt la branche dans une situation catastrophique. Entre 1974 et 1983, la production de mouvements passe ainsi de 84 à 30,2 millions d’unités. Faillites et licenciements se multiplient. Certaines marques sont vendues, alors que d’autres sociétés, notamment des fabriques de mouvements, fusionnent. En 1978 débute ainsi une série de rapprochements autour du motoriste ETA, qui ne s’achèvera qu’en 1982. Une année plus tard, toutes deux financièrement exsangues, la Société Générale de l’Horlogerie Suisse (ASUAG, propriétaire d’ETA) et la Société Suisse pour l’Industrie Horlogère (SSIH) fusionnent sous la houlette d’un certain Nicolas G. Hayek. Naît alors la Société de Microélectronique et d’Horlogerie (SMH), rebaptisée Swatch Group en 1998.

Une révolution technologique C’est dans cette ambiance pesante, paradoxalement propice à l’émergence de visions nouvelles, que se mettent progressivement en place les conditions du succès. En 1979, la division Micro Crystal d’ETA est la première société européenne à fabriquer des mouvements à quartz en série. Un jeune ingénieur horloger, Elmar Mock, est alors appelé à développer des isolants en plastique

By Swatch With Limitations

Par Fabrice Eschmann

à l’aide d’une machine à injection. L’histoire est en marche. Se prenant au jeu, l’ingénieur va même jusqu’à reprendre des études en plasturgie. De nouvelles connaissances qui vont se révéler décisives à l’heure d’imaginer un nouveau concept. Les grands enjeux du moment sont clairs pour tout le monde: seule une montre fabriquée en Suisse à bas coût sera capable de reprendre des parts de marché dans le segment d’entrée de gamme. Sans en avoir reçu l’ordre, Elmar Mock et son collègue Jacques Müller se mettent alors à imaginer un boîtier en plastique coloré. Une idée qu’ils auront bientôt l’occasion de défendre devant le directeur d’ETA, Ernst Thomke, à la faveur d’une remise à l’ordre pour avoir commandé une machine à injection d’un demi-million de francs. Sans le savoir, les deux hommes avaient mis dans le mille. «J’attends ça depuis plus d’un an!», s’exclame alors Ernst Thomke, cité par Elmar Mock dans son livre La fabrique de l’innovation. Entre 1980 et 1983, Elmar Mock va donc adapter à l’horlogerie des techniques d’usinage du plastique appliquées, notamment, à l’industrie automobile. A l’image d’un clignotant, il va ainsi réussir à souder par ultrasons un polymère transparent – la glace – à un polymère coloré – le boîtier. Une solution qui, de facto, rend la montre irréparable, la boîte étant façonnée d’un seul bloc.

Le marketing providentiel Le choix du plastique et la technique de soudure par ultrasons, s’ils n’ont l’air de rien, vont cependant rendre

possible l’ouverture d’une nouvelle ère pour l’industrie horlogère suisse: celle de l’automatisation. Jamais, jusqu’alors, une montre n’avait été fabriquée en série. De plus, les lignes de production qui sont installées sont pratiquement exemptes de personnel, rendant les coûts de fabrication extrêmement bas. Cette conception totalement révolutionnaire à l’époque, tant au niveau de l’utilisation d’une nouvelle matière, de l’architecture de la montre – le mouvement est fixé sur le fond et la platine disparaît – que du prix de revient, n’est pourtant pas encore suffisant pour expliquer le succès de la Swatch. Car de tocantes pas chères, le marché en est couvert. Franz Sprecher va radicalement changer la perception des choses. A une époque où le marketing n’est pas encore la machine à vendre qu’il est aujourd’hui, le concepteur indépendant, à la demande d’Ernst Thomke, va transformer la petite montre en plastique en un accessoire de mode. «Sa forme classique et simple permet d’y mettre ce que l’on veut, analyse Xavier Perrenoud, fondateur de l’Atelier XJC et professeur de design à l’Ecole d’art de Lausanne (ECAL). Ce n’est pas une montre, mais un concept. Qu’il est possible de renouveler en permanence. C’est un objet hors du temps. » Le 1er mars 1983, la Swatch – contraction de Swiss Watch – est lancée sur le marché suisse avec 12 modèles. Les premières semaines, le produit est perçu comme une hérésie par la branche et la marque peine à trouver des revendeurs. Sa condition de montre jetable, en particulier, horripile les professionnels. Mais très vite, le public suit et les ventes décollent. «A l’origine du concept, il y a aus-

si l’idée de «Second Watch», poursuit Carlo Giordanetti. Cette notion a révolutionné l’industrie horlogère et fondé un segment qui n’existait pas auparavant.» Jusqu’à la fin des années 1970 en effet, l’achat d’une montre est un acte coûteux et souvent unique dans la vie d’une personne. La Swatch va laminer cette manière de faire. Portée par un design qui se renouvelle à un rythme soutenu, l’idée d’une montre supplémentaire – voire d’une troisième, puis d’une quatrième… – va propulser la petite montre en plastique au statut de phénomène mondial. Si aucun chiffre officiel n’est disponible, on estime à quelque 600 millions le nombre de Swatch vendues depuis le début. «C’est une Prolex, s’exclame Elmar Mock, devenu un expert international dans le domaine de l’innovation. La Swatch est la Rolex du prolétaire: elle est belle, se reconnaît facilement, fonctionne bien et est robuste; on n’a pas peur de la prendre en vacances, de la perdre ni de se la faire voler; elle ne renvoie pas d’image dégradante, elle est faite pour tout le monde et personne ne commet de faute de goût en la portant. C’est la force tranquille...» Reste à savoir si le XXIe siècle aura raison du mythe? « Le XXe siècle fut celui de la coordination, conclut l’ingénieur. L’organisation était basée sur le temps, l’agenda et des lieux précis. Aujourd’hui, avec tous les appareils connectés, on se voit où on veut, quand on veut! C’est un changement de paradigme, dans lequel je ne suis pas sûr que la montre reste le métronome de poignet qu’elle était avant. Le temps demeure, mais le rythme accélère, passant de la musique classique au jazz. La Swatch va devoir suivre.»


INTERVIEW

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Gucci: «Nous rajeunissons drastiquement l’âge moyen de nos clients» C’est la révolution chez Gucci! Le nouveau designer Alessandro Michele imprime désormais sa patte sur tous les produits de la marque à l’abeille, qui, la première, a construit un pont entre fashion et horlogerie. Le but, à présent: être l’enseigne la plus présente dans le cœur des millenials. Et cela passe notamment par la montre. Les explications du président et CEO de Gucci Timepieces, Piero Braga.

Une étoile filante dorée, la planète Saturne violette, une phase de lune «arc-en-ciel», un cœur, des abeilles sur un cadran noir, comme une constellation ultra-joyeuse, qui tranche avec l’austérité formelle dont se parent souvent les grandes enseignes du luxe... La nouvelle G-Timeless de Gucci illustre bien l’influence du nouveau designer en chef Alessandro Michele, qui a la particularité de faire aussi porter à ses mannequins montres et bijoux sur les podiums. Le goût de l’horlogerie, donc, mais s’intégrant dans l’univers que le créateur décline désormais pour l’ensemble des activités de la maison de mode italienne, propriété du groupe Kering. Un style décalé pour un repositionnement complet de la marque qui vise à séduire les millenials. On a l’impression d’un renouveau pour les montres Gucci en 2017, d’un rafraîchissement de l’image de la marque, assez provocateur... Le responsable du design de l’ensemble de l’univers Gucci, Alessandro Michele, a drastiquement abaissé l’âge moyen des clients depuis son arrivée début 2015. C’est un design très jeune: aujourd’hui, on peut légitimement dire que Gucci est la marque fashion de luxe des millenials.

Il faut du reste souligner que Gucci a été la première marque de mode à se lancer dans les montres en 1972, avec Severin Wunderman. Nous voulons naturellement reprendre le lead sur le segment fashion et jeune de l’horlogerie, tout en ne changeant pas le prix moyen des collections. Au fond, je dirais qu’il y a une «contagion» du nouvel esprit Gucci entre toutes les catégories de produits. Cela tient au fait qu’il y a un seul et même créateur pour toutes ces catégories. C’est un pari audacieux que le rajeunissement de la marque, mais nous voyons qu’il a déjà fonctionné pour nos activités dans la mode. Nous l’appliquons à présent à l’horlogerie. Aujourd’hui, vous considérez-vous comme une marque accessible ou de luxe? Nous sommes actifs à la fois dans l’entrée, le moyen et le haut de gamme. Mais avec cohérence. Car ce sont à chaque fois les symboles de la marque qui sont mis en avant. Nous avons des capacités de haute joaillerie et de vendre des produits chers. Je le répète: il ne s’agit pas d’un repositionnement prix. Nous avons bien segmenté l’offre. Un chat «peace & love» peut côtoyer la haute joaillerie! Nous ne voulons surtout pas être ennuyeux. Ce processus de refonte complète des collections nous a pris trois ans, pour que les projets aboutissent. Il fallait

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Propos recueillis par Serge Maillard

recréer le rêve. 2016 a été une année de transformation pour l’ensemble de Gucci. Aujourd’hui, toutes les planètes sont alignées.

Qu’en est-il de la distribution de vos montres? Nous restons très ouverts à de nouveaux partenariats hors de nos boutiques. Nous nous intéressons à des multimarques horlogers ainsi qu'à des grands magasins, mais aussi à la vente en ligne via de nouveaux concepts comme Mr. Porter. Bref, nous gardons ouverts tous les canaux de distribution.

Piero Braga, président et CEO de Gucci Timepieces

Concours de l’Institut Horlogerie Cartier 2017

Quand espérez-vous recueillir les fruits de votre nouvelle stratégie?

Le Marché des Merveilles – Montre à secret

G-Timeless – GucciGhost

Plexiglas

Nous nous attendons à en voir les résultats dès le second semestre de 2017. La route a déjà été tracée dans le secteur de la mode, où on a vu l’impact du repositionnement neuf mois après les présentations. Aujourd’hui, l’abeille de Gucci est un symbole reconnu du public.

Corentin Currit

1er

Chopard Manufacture | Fleurier


CULTURE HORLOGÈRE

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La saga des Loup de Chine

Par Pierre Maillard

La saga chinoise de la famille Loup, originaire du canton de Neuchâtel, forme la trame de la passionnante exposition montée par la Fondation Baur de Genève, qui met en lumière les rapports étroits entretenus entre la Suisse et le Céleste empire, rapports qui doivent tout ou presque à l'horlogerie. Si l'aventure chinoise de la famille Loup ne débute que dans les années 1860, l'horlogerie, rappelons-le ici, fut l'outil privilégié qui permit à l'Occident de pénétrer jusqu'au cœur du pouvoir de cet empire qui lui était alors totalement fermé.

Les rapports étroits entretenus entre la Suisse et le Céleste empire doivent tout ou presque à l'horlogerie. C'est le missionnaire Matteo Ricci qui, en 1577, réussit à parvenir jusque auprès de l'inaccessible empereur grâce aux horloges qu'il avait emportées avec lui. Quand l'empereur eut vent de l'existence de ces étonnantes «clochettes qui sonnaient toutes seules», il réclama aussitôt qu'on fasse venir à la cour cet étranger et ses merveilles. Cet engouement impérial marqua le début d'une vogue pour l'horlogerie et ses prodiges mécaniques qui ne faiblit pas durant les siècles suivants. La cour impériale fut bientôt imitée par tous les courtisans pour qui posséder une de ces «machines» devint une marque de prestige social. Bientôt, il fallut engager des horlogers (souvent des missionnaires qui voyaient aussi là une façon d'essayer de convaincre les âmes) pour entretenir des collections qui augmentaient sans cesse. Dès 1655, l'empereur K'ang-hsi créa dans l'enceinte de son palais une fabrique d'horloges et de montres et se vanta quelques années plus tard «d'avoir fait faire des centaines de milliers de pendules». Mais cet atelier ne devint jamais le noyau d'une industrie horlogère proprement chinoise, car ses produits restaient réservés aux gens de cour et cette initiative ne freina en rien l'importation des produits les plus sophistiqués en provenance d'Europe. Les automates, sous toutes leurs formes, connurent une vogue toute particulière, comme l'a immortalisé

le conte d'Andersen, «Le Rossignol de l'Empereur», et le roi d'Angleterre fit acheter une copie du célèbre «Ecrivain» des Jaquet-Droz pour en faire cadeau à l'empereur de Chine. Cages à oiseaux chanteurs, pistolets lance-parfums, montres à automates, montres musicales, pendules et pendulettes en tout genre, montres richement ornées, émaillées, peintes… la Chine devint une des destinations privilégiées de l'industrie horlogère anglaise, française puis suisse. L'historien de l'horlogerie Alfred Chapuis a, dans un ouvrage intitulé La Montre Chinoise, dressé l'histoire détaillée de ces relations horlogères. Il précise que, contrairement à ce qu'on croit souvent, «on n'a pas fait pour la Chine des montres au goût chinois, mais on a exécuté en Europe des montres de style Louis XV, Louis XVI et Empire qui ont plu aux Chinois». Si le style était européen, la décoration était, quant à elle, plus poussée, car, dit Chapuis, «les Chinois y mettaient le prix». Le goût chinois pour la décoration a ainsi contribué directement au développement de la montre de luxe et à l'épanouissement tant de l'horlogerie mécanique que des Métiers d'Art qui y contribuèrent activement: sertissage, gravure, émaillage, peinture y trouvèrent d'incomparables espaces d'expression. On retrouve, par exemple dans les archives de Vacheron Constantin, fondée en 1755, diverses commandes de montres destinées au marché chinois, distribuées souvent via des marchands anglais établis à Canton. Montres à carillon, montres perpétuelles, montres émaillées à portrait, montres ornées d'entourages de perles et de rubis, montres à «sujets lubriques», montres d'or à double fond: les lots à destination de Chine sont d'une richesse et d'une variété incroyables.

Du Val-de-Travers à l'Empire du Milieu La région du Val-de-Travers, et au premier plan la bourgade de Fleurier, devint dès la fin du XVIIIe siècle un centre de production tout particulièrement actif dans ces «montres chinoises». Les Bovet, qui furent les premiers à s'installer directement en Chine en 1818 font figure de pionniers et, à leur suite, on compta à Fleurier jusqu'à 340 horlogers en 1850, voire 634 en 1866. C'est dans ce contexte économique tourné vers l'Orient que l'aventure des «Loup» prit son essor. Quand le jeune Eugène Borel (futur beau-frère de Pierre Loup) arriva en Chine en 1857, envoyé par la manufacture Vaucher Frères, la guerre de l'opium faisait rage. Elle avait été déclenchée par les Européens, lassés d'être strictement confinés aux portes de l'empire, dans les cités portuaires de Macao, Canton et Hong Kong. Ils parvinrent bientôt à leurs fins et obtinrent de nouvelles concessions ou légations à Shanghai, Tianjin, Pékin. Une nouvelle ère impérialiste débutait. A la suite des armées occidentales, commerçants, négociants, aventuriers de tous poils viennent faire affaire en Chine. «Les activités commerciales reprennent de plus belle, explique Alfred Chapuis. De nombreuses caisses chargées d'horlogerie ainsi que de pièces détachées arrivent de Fleurier et doivent être

Shanghai, rue chinoise

Ateliers Vrard, Tianjin (1903)

Quand l'empereur eut vent de l'existence de ces étonnantes «clochettes qui sonnaient toutes seules», il réclama aussitôt qu'on fasse venir à la cour cet étranger et ses merveilles. traitées.» En 1859 débarque à son tour Pierre-Frédéric Loup, mais la concurrence horlogère est rude: les Bovet, Dimier, Juvet, Vaucher jouent des coudes pour placer leurs marchandises auprès des riches Chinois.

Comment conquérir la clientèle chinoise Il est cocasse de voir que, comme aujourd'hui, les horlogers d'alors tâtonnent à la recherche du produit-phare qui saura plaire à leur clientèle chinoise. Une des premières vogues est celle des «calibres chinois», de petites montres de poche au boîtier rond, dotées d'un

Intérieur du magasin Hirsbrunner

capot poli et dont le mécanisme gravé se découvre «lorsque le secret du revers est actionné». Ces pièces peuvent être serties de perles fines, émaillées, peintes de décors «dans la tradition genevoise» ou évoquant l'art classique européen: personnalités, figures mythologiques, scènes historiques, paysages, bouquets fleuris, oiseaux, frontons, colonnes, sculptures… «Manifestement, les Occidentaux tâtonnent, ils aimeraient tant proposer des marchandises accommodées au goût chinois mais la rencontre des cultures s'annonce difficile et de nombreuses idées ont

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La Fondation Baur Musée des Arts d'Extrême-Orient de Genève présente jusqu'au 2 juillet L'Aventure chinoise, une belle exposition sous-titrée «Une famille suisse à la conquête du Céleste empire». Une famille d'horlogers, comme il se doit…

été explorées qui se sont révélées diversement fructueuses», notent les deux auteures du riche catalogue de l'exposition. Relevons notamment la fameuse mode des montres vendues par paires: s'agissait-il de disposer ainsi d'une deuxième montre identique pouvant servir à réparer la première? Ou, plus prosaïquement, d'un «formidable coup de marketing» mis au point par les marques elles-mêmes? Autres best-sellers de l'époque, les montres dites «à sujet leste», dont un correspondant dit: «Nous avons acheté à La Chaux-de-Fonds


CULTURE HORLOGÈRE

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Gustave Loup, Tientsin (1925)

Ateliers Vrard, Tianjin (1903)

Montre de poche dite «chinoise» à décor de mandarin. Or, perle et émaux peints sur métal. Mouvement Ilbery (maison active entre 1780 et 1840). Londres, Genève et Fleurier, vers 1820. Patek Philippe Museum

asiatique et vendit nombre d'objets précieux à Alfred Baur, objets que l'on retrouve aujourd'hui dans les collections de la Fondation du même nom – et pour certains dans l'exposition genevoise. Mais c'est l'horlogerie qui forme le cœur de cette saga. En 1881, Pierre

Si les «chinoiseries» sont alors à la mode en Europe, il semble bel et bien que les «occidentaleries» le furent en Chine.

quelques douzaines de montres à bas prix et, pour les relever un peu aux yeux des Chinois, nous avons fait coller des photos lubriques dans les fonds intérieurs…» L'écriture et la transposition des noms posent aussi problème. Ainsi Bovet s'appelle un temps «Tevob», correspondant au sens inversé de la lecture chinoise, puis «Bowei» (qui, semble-t-il, devint pour un temps le nom générique de «»montre«» en Chine). Dimier se transforma en «Dianye» et Juvet en «Youwei». Quant à Vaucher, le choix fut de la renommer «Fushuo», qui signifie «grande prospérité».

Les Loup s'installent Engagés au départ comme simples commis au service de la maison Vaucher, le clan des Loup va peu à peu, au fil de ses générations, prendre de l'importance dans le commerce horloger avec la Chine et s'ouvrir aussi à l'import-export d'autres marchandises, comme le thé, la soie ou ce qu'on nomme alors les curios, ces objets de toutes sortes, plus ou moins antiques, dont la vogue est croissante en Europe. Un des membres de la famille Loup, Gustave, développa ainsi un fructueux commerce d'antiquités et d'art

Loup acquiert des établissements horlogers du nom de Vrard & Co, à Tianjin et à Shanghai. Sous sa direction, ces établissements vont prendre de l'importance et témoignent de la vitalité du commerce horloger d'alors avec la Chine, un commerce qui s'ouvre par ailleurs à toutes sortes de produits de luxe. Aux côtés des montres proprement dites, ont trouve ainsi des bijoux, de l'optique, des jumelles d'opéra, des lunettes, des articles de mode parisiens, de l'argenterie, des objets d'art occidentaux, de la vaisselle, mais aussi toutes sortes d'objets scientifiques comme des thermomètres, baromètres ou encore des alcools, du champagne… Si les «chinoiseries» sont alors à la mode en Europe, il semble bel et bien que les «occidentaleries» le furent en Chine. Mais pour revenir à l'horlogerie, un coup de maître des Loup fut d'installer à Tianjin un véritable atelier

de réparations horlogères, «avec des machines toutes modernes actionnées à l'électricité» et une maind'œuvre locale formée à l'entretien des montres. Un entretien d'autant plus vital et important pour consolider la confiance de la clientèle chinoise que les conditions climatiques de la Chine, avec ses températures extrêmes, son humidité et sa poussière, mettaient les mécanismes à très rude épreuve.

Suite et fin de la saga familiale Grâce à l'entregent et à la sagacité des Loup, l'entreprise Vrard & Cie est florissante. La maison fournit jusqu'au Palais impérial, et on retrouve son nom cité dans des romans qui décrivent la Shanghai cosmopolite d'alors. L'exposition de la fondation Baur montre, à travers de nombreux objets et témoignages iconographiques, ce que fut la vie de ces expatriés européens. Au décès de Pierre Loup en 1899, ses trois fils poursuivent l'aventure familiale: Bernard reprend la maison Vrard et poursuit son développement horloger, commercialisant des montres notamment sous le nom fort connu alors de Hantali (ou Hengdeli). Albert devient architecte et construit notamment à Tianjin de somptueuses demeures dont certaines existent toujours, et Gustave, formé à l'horlogerie et à la bijouterie, esprit curieux et érudit, refusera à deux reprises (en 1923 et 1928) un poste de conservateur horloger à la Cité interdite. Grand collectionneur, il monta aussi un

important commerce d'antiquités entre la Chine et la Suisse. Mais la chute de l'Empire, l'expansionnisme japonais du début des années 1930, puis la guerre mondiale, les guerres civiles et enfin la proclamation de la République populaire de Chine mirent fin à cette aventure. Albert fit ses bagages en 1946 et rentra définitivement en Suisse où son frère Gustave s'était replié depuis 1929. Quant à Bernard, il tint bon malgré toutes les difficultés de son commerce jusqu'à son départ forcé de Chine en 1954. Mais il faut croire que sa marque «Hengdeli» évoquait encore de fastueuses mémoires aux oreilles des Chinois car, en 1957, fut fondée à Pékin la firme Beijing Hengdeli, devenue aujourd'hui le Hengdeli Group, sans doute le plus important détaillant horloger au monde, listé à la Bourse de Hong Kong, et dont les actionnaires principaux, outre la famille Zhang, sont le Swatch Group, LVMH et China Re. Comme quoi, la saga des Loup se poursuit à sa manière… L'Aventure chinoise Une famille suisse à la conquête du Céleste Empire Fondation Baur Musée des arts d’Extrême-Orient 8 rue Munier-Romilly 1206 Genève Ouvert tous les jours de 14h à 18h, sauf le lundi Jusqu'au 2 juillet 2017 www.fondationbaur.ch


BUSINESS & TENDANCES

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Face au protectionnisme La hausse de la taxation des achats horlogers de touristes chinois en Suisse n’a pas été le moindre des maux affectant l’industrie. Au Brésil ou en Inde, des mesures fortement protectionnistes empêchent toujours l’éclosion de marchés nationaux importants pour la branche. Des partisans du «patriotisme économique» prennent le pouvoir les uns après les autres.... Economique ou culturel, le protectionnisme est depuis toujours un frein au développement international de l’export horloger. Peu commenté dans les années record, il est devenu un sujet majeur de discussion maintenant que certaines sources de revenus se tarissent. Le protectionnisme est-il lui aussi mondialisé? L’horlogerie est-elle armée pour y faire face? Par Olivier Müller

Trump à la Maison-Blanche? Cela n’arrivera pas. Pas plus que le Brexit! Ou que la Hongrie de Viktor Orban ne se durcisse sous l’influence d’un voisin russe qui, lui aussi, se crispe. Quant à l’économie régionale du Moyen-Orient, son passage à vide n’est que temporaire. Le cours du baril se reprendra rapidement, c’est certain. Les certitudes, voilà précisément ce qui fait défaut aujourd’hui. Ces affirmations se sont toutes écroulées en un temps record – quelques semaines, quelques mois. A peine un changement de saison s'est-il écoulé que les cartes de la géopolitique mondiale sont rebattues. Et l’horlogerie, dans tout cela?

Des Etats-Unis à la Chine Dans le commerce mondial, l’horlogerie est un grain de sable: moins de 20 milliards de francs d’exportations de montres depuis la Suisse en 2016. En comparaison, le leader de la distribution alimentaire dans ce seul pays, la Migros, a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 27 mil-

liards de francs la même année. Sauf que cette entreprise opère sur un marché local, lorsque l’horlogerie suisse ne vit que de l’export, aujourd’hui largement malmené par le retour du protectionnisme. Hausse des droits de douane, taxe antidumping, subventions, restrictions d’investissements, réglementations: le protectionnisme est protéiforme. Le Global Trade Alert en donne la mesure: les Etats-Unis ont à leur actif plus de 1,000 mesures protectionnistes, dont 377 prises depuis 2008. Entre 2008 et 2015, la Russie et l’Inde en ont adopté près de 500. Le Brésil, 281, la Chine 222. Ces marchés sont pourtant des cibles privilégiées de l’horlogerie suisse qui doit donc, de facto, composer avec cette réalité. Imaginons que demain, des géants comme l’Inde (lire l’analyse de ce marché dans notre dernier numéro, ndlr) ou le Brésil soient mieux disposés envers les importations de montres de luxe! Et malgré le récent accord de libre-échange entre la Chine et la Suisse, les taxes «internes» visant les achats réalisés en Suisse par des visiteurs chinois ont été augmentées par Pékin... On a toujours posé que la crise horlogère actuelle reposait sur les trous

d’air individuels des économies locales. Et si le vrai ennemi était le protectionnisme? La forêt derrière l’arbre? «La montée du protectionnisme est un risque qui pèse sur l’économie mondiale», soulignait fin avril Bernard Arnault, PDG de LVMH.

Effets d’annonce ou vrai risque? «Attention à la réalité des faits par rapport aux effets d’annonce, tempère Vincent Subilia, directeur général adjoint de la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève. Le double choc sismique Trump et Brexit n’a pour le moment pas été suivi de mesures concrètes. A cette date, rien de cela n’affecte directement les exportations horlogères suisses.» Néanmoins, certains Etats ont depuis longtemps dépassé les effets d’annonce. Le Mexique a longtemps affiché des droits de douane élevés, jusqu’à 11,5%. Le Brésil a durablement freiné l’usage des carnets ATA, qui facilitent le commerce international de montres. Ses droits de douane et de TVA restent très élevés. «Le protectionnisme des pays émer-

gents est un classique, estime Joëlle de Montgolfier, Senior Director chez Bain & Company, mais il y a eu des débordements. Le luxe, dont l’horlogerie, ne devrait pourtant pas être une cible mais au contraire perçu comme une source de revenus et un facteur de développement pour les Etats les plus fermés. Seulement, jusqu’à présent, l’horlogerie suisse vivait comme une industrie autoportée et ne se posait pas les bonnes questions.»

Choc culturel Le protectionnisme ambiant envers l’horlogerie s’érige en grande partie comme une réaction à un «symbole du luxe», brandi comme un étendard à l’entrée de marchés qui n’y étaient pas préparés, ni commercialement ni culturellement. C’est particulièrement le cas en Chine: «Avec certaines maisons, les clients ont d’abord été sensibilisés au luxe avant de l’être sur les biens de base, rappelle Joëlle de Montgolfier. Un réajustement était inévitable.» Un réajustement qui s’est donc imposé aux exportations horlogères avec la violence que l’on connaît. Malgré tout, certaines barrières, culturelles comme économiques, sont localement en train de tomber. «Je reste confiant, les barrières vont continuer à baisser, estime Davide Traxler, exCEO des marques Corum et Eterna. En Chine, ce qui a été ciblé n’était pas le luxe en tant que tel mais la consommation trop voyante. Ce n’est pas la même chose. Le mot même de corruption se dissipe. Le secteur de la mode a déjà réussi à faire baisser ses taux. Autour de Shanghai, des tours entières sont déjà détaxées.»

Un bilatéralisme déterminant Pour encourager ce mouvement, la Suisse bénéficie de l’une de ses armes les plus aiguisées: les Accords bilatéraux. «La Suisse est l’un des pays au monde avec la plus forte

densité d’accords commerciaux, souligne Vincent Subilia. Elle est par exemple le seul pays d’Europe continentale à disposer d’un accord de libre-échange avec Pékin, engageant la baisse progressive et significative de frais de douane sur l’horlogerie.» Jean-Claude Biver, directeur de l’horlogerie chez LVMH, s’exprime dans le même sens: «L’industrie helvétique a de tout temps pu compter sur ses politiciens, qui ont toujours su se mettre au service de la nation. Sans cette habileté et ce dévouement politique, la Suisse ne serait pas aujourd’hui l’une des dix plus grandes nations économiques et financières du monde.». Les Accords bilatéraux peuvent donc fissurer un mur protectionniste. L’horlogerie, fine molécule dans l’économie mondialisée, s’y glisse avec succès. Pourtant, certaines barrières demeurent. En Inde par exemple, il est nécessaire pour ouvrir un commerce horloger de s’associer avec un négociant local à parts égales. Les marques qui veulent donc garder le contrôle de leur distribution butent sur ce point. Comment le contourner? Filialiser, délocaliser n’est pas une option pour certains. D’autres subterfuges existent: «Une des solutions les plus simples et court-termistes consiste bien souvent à délocaliser une partie de la chaîne de production ou à faire du transfer pricing déguisé, souligne Edouard Meylan, directeur de la marque H. Moser & Cie. Alors que des marques d’entrée de gamme ont déjà franchi le pas et produisent ou même assemblent à l’étranger, et que les grands groupes utilisent leurs filiales pour faire du transfer pricing, cette démarche est plus compliquée et moins pertinente pour des marques comme la nôtre.» Et l’homme de répondre au protectionnisme économique par un protectionnisme... de marque : «Notre salut passe par un protectionnisme de marque, c'est-à-dire en renforçant notre singularité et notre exclusivité tout en augmentant l’attrait de nos produits.»


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BUSINESS & TENDANCES

14 | EUROPA STAR PREMIÈRE

La taille réelle du marché suisse Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le commerce horloger en Suisse... sans jamais oser le demander: une étude récente menée par Thierry Huron du Mercury Project lève le voile sur ce marché fondamental pour l’industrie, précisant le nombre de points de vente, les marques les plus diffusées ou encore les enseignes dominantes. Des pistes pour l’avenir, car les détaillants suisses semblent aujourd’hui plongés dans un profond désarroi. Par Serge Maillard

Paradoxalement, la Suisse est l’un des marchés horlogers les moins connus et les plus opaques, car elle échappe naturellement aux statistiques d’exportation de la Fédération de l’industrie horlogère. «De plus, souligne Thierry Huron, il existe dans notre pays une forme de culture historique du secret des chiffres. Sans oublier la pression des marques, très forte sur les détaillants, quant à la confidentialité.» L’ancien directeur marketing chez TAG Heuer, formé à l’agence statistique Nielsen, entend bien lever à présent les mystères du marché horloger suisse. A la tête d’une nouvelle structure de consulting baptisée The Mercury Project, Thierry Huron compte y parvenir en deux temps. Le premier l’a vu sillonner la Suisse, avec l’aide de deux assistants, pour recueillir le plus d’informations possibles sur les 978 points de vente horlogers qu’il a répertoriés, représentant un total de 396 marques. C’est grâce à ce premier «tableau» global du commerce de détail de montres qu’il compte dans un deuxième temps établir une étude périodique sur le marché suisse, basé sur un panel représentatif de détaillants.

De la taille de la France Plusieurs enseignements peuvent déjà être tirés du premier rapport publié par Thierry Huron. Celui-ci déduit ainsi de ses recherches qu’avec sa forte exposition touristique, «le marché national dépasse le milliard de francs et figure parmi les cinq premiers débouchés mondiaux pour l’horlogerie suisse». La Suisse serait ainsi au niveau des grands pays européens, comme le Royaume-Uni, l’Italie, la France ou l’Allemagne. «Lors de la dernière conférence de presse sur les résultats du Swatch Group, des informations ont été données sur la part du marché suisse: celui-ci a représenté 10% du chiffre d’affaires du groupe en 2015, souligne Thierry Huron. Ce résultat serait monté jusqu’à 14.6% du chiffre d’affaires en 2010, et il a baissé de 23% de 2015 à 2016. Il

faut cependant noter que ces chiffres comprennent la livraison de composants à des tiers, donc on ne peut les considérer en termes absolus sur le sell-out.»

Tissot en maître à domicile Près de la moitié des points de vente répertoriés dans l’étude du Mercury Project affichent des marques aux prix médians allant jusqu’à 800 francs, le reste se partageant de manière équivalente entre les détaillants actifs en dessous et en dessus de la barre des 5'000 francs. A noter la force en Suisse de Tissot, la marque la plus distribuée globalement dans le pays: présente dans 42% de tous les magasins répertoriés, précédant ainsi Certina et Fossil, elle se décline sur l’ensemble des catégories de points de vente. Si l’on observe plus précisément ces catégories, Fossil devance Tissot et Esprit comme marque la plus distribuée parmi les enseignes d’entrée de gamme. Tissot précède Certina et Rado dans le moyen de gamme, véritable chasse gardée du Swatch Group (lire notre précédent numéro consacré aux classes moyennes, ndlr). Quant au haut de gamme, c’est égalité parfaite entre Breitling, Chopard Longines et... Tissot encore, toutes distribuées dans le quart des points de vente les plus prestigieux de Suisse. A noter encore que 134 marques ne sont vendues que dans un seul magasin! Explications de Thierry Huron: «De nombreux détaillants ont perdu leurs références phares horlogères et lancent leur propre marque en private label, de plus certaines marques ont une distribution sélective restreinte à un seul magasin.»

Zurich au premier rang Le consultant a développé un outil statistique baptisé Brand Density Score (BDS), qui multiplie le nombre de magasins horlogers présents en un lieu par le nombre moyen de marques que chacun représente, ce qui permet de calculer la «densi-

4 6 7

9

1 3

5

2 10

8

LES 10 LOCALITÉS LES PLUS IMPORTANTES PAR DENSITÉ DE MARQUES* Moins d'un tiers de tous les magasins sont situés à Genève, Zürich, Lucerne, Bâle et Lausanne LES 10 LOCALITÉS LES PLUS IMPORTANTES PAR DENSITÉ DE MARQUES*

Nb de magasins

Densité de marques*

Nb de marques par magasin

89

819

9.2

B

Zürich

C

Genève

97

677

7.0

D

Lucerne

49

499

10.2

E

Bâle

29

343

11.8

F

Interlaken

24

297

12.4

G

Berne

27

254

9.4

H

Lausanne

29

192

6.6

I

Lugano

24

171

7.1

J

Saint-Gall

17

154

9.1

K

Zermatt

20

113

5.7

* La densité de marques multiplie le nombre de magasins horlogers présents en un lieu par le nombre moyen de marques que chacun représente, ce qui permet de calculer la «densité horlogère» des localités.

té horlogère» des 259 communes suisses prises en compte. Zurich arrive en tête de ce classement, avec 89 points de vente et une moyenne de 9,2 marques par point de vente, ce qui aboutit à un score total de 819. Genève se classe deuxième: on y trouve certes le plus grand nombre de points de vente de Suisse (pas moins de 97, dont plus de la moitié actifs dans le segment premium!), mais la forte proportion de boutiques monomarques de luxe «pénalise» l’assortiment moyen répertorié par magasin, et donc le score final de la cité de Calvin. Lucerne, Bâle et Interlaken complètent le top 5 helvétique de la densité horlogère. Thierry Huron a utilisé le même indice pour déterminer quelle chaîne de points de vente avait la «palette» horlogère la plus large. Avec 64 boutiques et un score total de 1264, c’est sans surprise le

grand magasin Manor qui arrive en tête de ce classement, toutes catégories confondues, devant deux autres enseignes populaires: Christ et Coop City. Dans le segment preConcours de l’Institut Horlogerie Cartier 2017

Till Böhringer

2e

IWC International Watch Co Schaffhausen

mium (au-dessus de 5'000 francs), Bucherer mène le bal avec ses 16 points de vente pour un score de 234, devant Gübelin, Kirchhofer, Kurz et Les Ambassadeurs. Le modèle du Concours de l’Institut Horlogerie Cartier 2017

Manuel Werder Zeit Zentrum Grenchen

3e


BUSINESS & TENDANCES point de vente indépendant reste le plus courant en Suisse: on trouve 582 magasins de ce type, contre 287 enseignes appartenant à des chaînes et 109 boutiques monomarques.

Le mal-être des détaillants Les points de vente indépendants font néanmoins face à une concurrence de plus en plus forte, non seulement de la part des chaînes et des boutiques en nom propre, mais aussi du fait de la vente en ligne. Comment maintenir leurs parts de marché? Par des services supplémentaires, une relation encore

plus personnalisée avec leur clientèle et des produits de niche, répond l’étude. «Aujourd’hui, beaucoup de détaillants horlogers souffrent, estime Thierry Huron. Pour y remédier, ils sont à la recherche de nouveaux investisseurs et développent leur activité en ligne, ainsi que leur présence sur les réseaux sociaux. Les annonces se sont multipliées en ce sens.» «Et ce n’est que la face visible de l’iceberg: une multitude de petits détaillants ferment boutique ou choisissent de se tourner exclusivement vers la vente en ligne ou vers la bijouterie. Dans ce dernier créneau, il y a en effet moins de marques, moins de pression, donc plus de marge pos-

EUROPA STAR PREMIÈRE | 15

sible. Et il est facile de produire du private label bijoutier. Les détaillants qui s’en sortent en ce moment le doivent en particulier à la bijouterie, mais pas à l’horlogerie. De fait, seuls 9% des magasins ne proposent que de l’horlogerie. Face aux défis actuels, le commerce de détail horloger doit se réinventer!»

Affaire à suivre C’est entre autres pour contribuer aux prises de décision délicates dans ce paysage en phase de reconfiguration que le Mercury Project concevra une étude périodique. «Mon objectif est de faire pour la Suisse le

Les indépendants font face à une concurrence de plus en plus forte de la part des chaînes, des boutiques en nom propre et de la vente en ligne. travail que le LGI Network fait aux Etats-Unis depuis plusieurs années déjà, précise Thierry Huron. C’està-dire réunir un panel représentatif de détaillants, idéalement le tiers des magasins répertoriés, pour livrer des informations sur le com-

FOCUS SUR LES CHAÎNES: NOMBRE DE MAGASINS ET DENSITÉ DE MARQUES Les chaînes en Suisse: peu nombreuses mais puissantes Segment premium: Prix médians en dessus de 5’000 francs

LES CHAÎNES SUISSES LES PLUS IMPORTANTES

Magasins Densité de marques B

Manor

64

1264

C

Christ

70

986

D

Coop City

28

270

E

Bucherer

16

234

F

Kurz

12

228

G

Kirchhofer

7

188

H

Gübelin

7

157

I

Oro Vivo

23

139

J

Globus

11

138

K

Helen Kirchhofer

8

122

Segment économique: Prix médians jusqu’à 800 francs

PART DES CHAÎNES LES PLUS IMPORTANTES

… dans le segment premium*

LES CHAÎNES DU SEGMENT PREMIUM

Magasins

Segment moyen: Prix médians en dessous de 5’000 francs

Densité de marques

B

Bucherer

16

234

C

Gübelin

7

157

D

Kirchhofer

5

153

E

Kurz

6

123

F

Les Ambassadeurs

5

113

11%

Bucherer

7%

Gübelin

7%

Kirchhofer

6%

Kurz

5%

Les Ambassadeurs

64%

Autres

merce horloger en Suisse, et commercialiser ce rapport aux différents acteurs de la branche intéressés par ce marché stratégique. Il existe des études similaires en France ainsi qu’au Royaume-Uni, mais pas encore en Suisse.» Quel intérêt pour les détaillants à participer? «Il y a quatre ans, je vous aurais répondu: aucun! Car leurs ventes enregistraient des taux de croissance à deux chiffres... Aujourd’hui, ils y ont intérêt, car ils bénéficieront par ce biais d’informations exclusives sur leur concurrence et pourront surtout évaluer leurs propres performances par rapport à celles de magasins aux profils similaires.»

LES TROIS MARQUES LES PLUS DISTRIBUÉES Les 3 marques leaders en Suisse et au Liechtenstein B Tissot

42%

C Certina

30%

D Fossil

29%

Les 4 marques leaders du segment premium B Breitling

25%

B Chopard

25%

B Longines

25%

B Tissot

25%

LES CHAÌNES DU SEGMENT MOYEN

Magasins

Densité de marques

B

Christ

33

518

C

Kurz

6

105

D

Kirchhofer

1

26

E

Manor

1

24

… dans le segment moyen* 21%

Christ

4%

Kurz

1%

Kirchhofer

1%

Manor

73%

Autres

LES CHAÎNES DU SEGMENT ÉCONOMIQUE

Magasins B

Manor

C D

Densité de marques

Les 3 marques leaders du segment moyen B Tissot

69%

C Certina

61%

D Rado

45%

… dans le segment économique*

63

1240

Christ

37

468

32%

Manor

Coop City

28

270

12%

Christ

E

Oro Vivo

23

139

Globus

11

138

7%

Coop City

F

Helen Kirchhofer

8

122

4%

Oro Vivo

G

13

104

Au Rubis

H

Au Rubis

4%

I

Carat

8

76

J

Kirchhofer

1

9

41%

Les 3 marques leaders du segment économique B Fossil

49%

C Tissot

39%

D Esprit

38%

Autres

* Base = par densité de marques du segment en Suisse et au Liechtenstein


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16 | EUROPA STAR PREMIÈRE

Carl F. Bucherer, sous le signe de la raie manta

Carl F. Bucherer soutient le Manta Trust depuis de nombreuses années, afin de contribuer à donner un avenir aux raies manta. Ce partenariat prend à présent une toute nouvelle dimension avec le lancement d’une montre de plongée en édition limitée à 188 exemplaires consacrée à la fondation. Deux raies manta semblant surgir de la montre sont représentées sur le cadran strié noir. Chaque montre est une pièce unique: le fond du boîtier comporte une gravure représentant à l’identique la surface ventrale d’une raie manta spécifique. Cette dernière a été pho-

© Guy Stevens

La manufacture horlogère suisse présente une édition limitée dédiée au Manta Trust. Cette fondation britannique se consacre à la protection et à la survie de la raie manta, une espèce mystérieuse et charismatique mais menacée de disparition pour cause de surpêche. Une partie du bénéfice de la vente des 188 modèles ScubaTec contribuera à financer une première expédition de recherche.

tographiée sous les mers par Guy Stevens, CEO de la fondation Manta Trust, et toute son équipe. Un numéro d’identification est gravé sur le dos

de la montre en dessous de la raie manta. En rentrant ce numéro sur un site Internet dédié, le propriétaire de la montre a la possibilité de donner un nom à la raie manta en question. La nouvelle Patravi ScubaTec Manta Trust est parfaitement adaptée à la plongée sous-marine jusqu’à 500 mètres de profondeur grâce à sa valve à hélium automatique. Les index et les aiguilles luminescents donnent la touche finale à son look sportif et garantissent une lisibilité parfaite même sous l’eau. «Nous sommes fiers d’être partenaires de Manta Trust. À travers la nouvelle Patravi ScubaTec Manta une partie du produit de la vente permettra à Carl F. Bucherer de financer une expédition qui fournira des données essentielles pour préserver l’habitat des raies manta. En août 2017, une équipe observera la population de raies manta au large des Maldives deux semaines durant et étudiera leur habitat, leur comportement alimentaire et leurs proies planctoniques. Les connaissances acquises seront décisives pour la conservation de l’espèce.

«Chaque montre est unique et comporte un motif de raie manta propre» Reprenant les couleurs gris argenté des espèces qu’elle contribue à protéger, la Patravi ScubaTec Manta Trust ne manquera pas de séduire tant les amoureux d’horlogerie que des océans. Le directeur de Carl F. Bucherer, Sascha Moeri, nous dévoile certains aspects de cette édition limitée.

Chaque montre est unique en son genre! En effet, chacun des 188 modèles en édition limitée comporte un motif de raie manta propre, un peu comme l’«empreinte digitale» de chaque animal. En outre, l’acquéreur peut baptiser «sa» raie manta du nom de son choix sur un site web dédié. Outre ces caractéristiques qui rendent la montre unique, nous voulions aussi contribuer à une bonne œuvre à travers le soutien à l’association Manta Trust et le travail incroyable qu’ils effectuent dans plus de 20 pays. C’est pourquoi nous avons décidé qu’un montant précis des revenus sur chaque montre que nous vendons sera investi dans une expédition d’observation de deux semaines, ainsi que dans une base de données qui permettra de classifier les découvertes et les observations de la mission.

DR

Quelles sont les caractéristiques les plus importantes de la Patravi ScubaTec Manta Trust?

Sascha Moeri, CEO de Carl F. Bucherer

Les scientifiques attendaient depuis longtemps tant l’expédition que la base de données. La raie manta est le symbole de notre famille de montres ScubaTec: sur chaque modèle de cette collection-phare, on retrouve deux raies manta gravées au dos des montres. Mais ce n’est que sur l’édition limitée Manta Trust que se trouvent figurés les traits d’une raie manta unique. Justement, à qui s’adresse cette montre? Traditionnellement, notre collection ScubaTec est très forte en Europe, au Moyen-Orient et aux EtatsUnis. L’édition limitée intéressera des connaisseurs, qui veulent avoir au poignet un garde-temps de

très haute qualité, exclusif et certifié chronomètre COSC, mais aussi des passionnés de la vie marine. C’est une montre à la fois élégante et mystérieuse, dont les tons reflètent les couleurs de la raie manta. M. Bucherer lui-même, qui porte traditionnellement un modèle à tourbillon ou calendrier perpétuel, prend toujours sa ScubaTec lorsqu’il part en vacances d’été! Je ne doute pas qu’avec toutes ces qualités, pour un prix de 5'900 francs, cette édition limitée trouve très rapidement preneur, dès son lancement cet été. Avez-vous prévu une suite à ce projet? Bien sûr! Avec cette édition limitée, nous amenons déjà le partenariat avec le Manta Trust à un autre niveau. Vu l’importance de la collection ScubaTec, les évolutions sont encore nombreuses et nous ne manquons pas d’idées. Il nous tient à cœur de continuer à mettre en lumière les activités de l’association. Pour l’anecdote, c’est ce partenariat, initié il y a plusieurs années déjà, qui nous a conduits à graver deux raies manta sur le dos de tous les modèles ScubaTec. En effet, le premier projet en collaboration avec le Manta Trust consistait à suivre deux raies manta aux Maldives, que nous avons naturellement baptisées... Carl et Friedrich!

PATRAVI SCUBATEC MANTA TRUST Référence: 00.10632.23.33.98 Mouvement: automatique, calibre CFB 1950.1, chronomètre, diamètre 26,2 mm, hauteur 4,6 mm, 25 rubis, réserve de marche 38 h Fonctions: date, heure, minute, seconde Boîtier: 
acier, lunette en acier et céramique, valve à hélium automatique, couronne vissée, glace saphir antireflet sur les deux faces, étanche jusqu’à 500 m (50 atm), diamètre 44,6 mm, hauteur 13,45 mm, gravure raie manta individuelle Cadran: noir avec deux raies manta Bracelet: caoutchouc, avec fermoir plongée en acier précisément ajustable Edition limitée: 188 exemplaires


Reef Manta Ray, Manta alfredi, Dhiggaru Kandu, Ari Atoll, Maldives © Guy Stevens, Manta Trust 2015

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18 | EUROPA STAR PREMIÈRE

«Il reste encore beaucoup de mystères à éclaircir sur la raie manta» Qu’elles soient océaniques ou de récif, les raies manta sont un symbole de la vie marine, elles qui possèdent le plus grand cerveau parmi les poissons. Mais ce sont aussi des espèces très fragiles, gravement menacées par la pêche. Soutenue par Carl F. Bucherer, l’association Manta Trust les étudie de près et mène des actions très concrètes pour empêcher leur disparition. Le Britannique Guy Stevens, son fondateur, a répondu à nos questions. La raie manta est classée comme espèce «vulnérable» par l'Union internationale pour la conservation de la nature. Quelles sont les principales menaces à sa survie? La plus grande menace est liée à la pêche: celle qui vise directement la raie manta, mais aussi les prises involontaires dans les filets des pêcheurs. Il faut savoir que les branchies de la raie manta sont prisées en médecine traditionnelle, ce qui entraîne malheureusement la pêche de cette espèce fragile, avec des résultats dramatiques: les populations ont notamment fortement décliné en Indonésie, aux Philippines et dans l’océan Indien. En effet, ces poissons ont un cycle de vie très fragile: leur population naturelle est peu nombreuse, ils n’atteignent leur maturité sexuelle qu’après dix à quinze ans, ne se reproduisent que lentement et ne mettent au monde qu’un petit à la fois. L’impact de la pêche n’en est que plus dévastateur. Justement, quelles actions concrètes menez-vous au Manta Trust pour préserver les raies manta? Nous nous sommes très fortement engagés au niveau global pour l’inscription de cette espèce au CITES, une convention internationale qui régule le commerce des espèces menacées, notamment en assistant les nations concernées ou en fournissant du matériel scientifique. Nous sommes vraiment fiers que notre insistance ait payé! Nous avons également milité pour l’inscription des raies manta dans les registres de la Convention sur la conservation des espèces migratrices (CMS). Un pays peut en effet difficilement prendre des mesures individuellement si les raies manta changent d’habitat... Agissez-vous également à l’échelon national? Oui, par exemple au Pérou, en Indonésie et surtout aux Maldives où nous sommes très actifs: la pêche de raies manta y est heureusement interdite, tout comme les filets de pêche qui peuvent les attraper accidentellement. C’est pourquoi on y trouve la plus grosse concentration de raies manta de récif, avec quelque 5000 individus. Nous avons par ailleurs aidé à identifier leurs zones locales de rassemblement aux Maldives.

Les raies manta ont le plus gros cerveau de tous les poissons! Existe-t-il encore beaucoup de mystères scientifiques à leur sujet? Enormément! Pour ainsi dire, ce n’est que lors des dix dernières années que nous avons pu commencer à répondre à quelques questions-clés: leur durée de vie, leur mode de reproduction, leur habitat, leur alimentation... Et ce n’est que la pointe de l’iceberg. Je suis moi-même scientifique et beaucoup de mes collègues tentent eux aussi de répondre à ces questions. Par exemple, nous ne pouvons définir leur durée de vie qu’à travers l’identification photographique, d’où l’importance de bien enregistrer tous les individus. La taille de leur cerveau est également fascinante et ne laisse que percevoir le degré de complexité de leurs interactions sociales. Vous plongez régulièrement pour photographier et documenter les raies manta. Quelles sont les règles d’approche sous l’eau? Généralement, ce sont plutôt eux qui vous approchent, car ce sont des animaux très curieux! Le mieux est de rester le plus tranquille possible, de nager lentement, plutôt de côté et surtout pas dans leur direction, pour ne pas obstruer leurs mouvements. Laissez-les vous apercevoir, ne les surprenez pas. Comment votre partenariat avec Carl F. Bucherer a-t-il démarré? Il y a un peu plus de trois ans, nous avons été contactés par la marque, car ils étaient en train de créer une montre de plongée et leur designer était fasciné par les raies manta, qu’il désirait graver sur le modèle. Il souhaitait en savoir plus sur cette espèce et la marque a décidé de nous soutenir. Leur soutien nous a en premier lieu permis de démarrer le marquage de raies manta au Mexique. Grâce à Carl F. Bucherer, nous avons aussi pu concevoir un code de conduite visant à minimiser les dérangements envers cette espèce, que nous avons diffusé dans l’industrie touristique. Ce partenariat prend aujourd’hui une autre dimension avec le lancement d’une édition limitée Manta Trust de 188 exemplaires, chacune figurant une raie manta différente.

Researcher Using Stereo Camera to Measure Manta Rays, Hanifaru Bay, Baa Atoll, Maldives © Guy Stevens, Manta Trust 2012

Avez-vous participé à la conception de ces montres? Durant nos discussions, nous avons décidé tous ensemble de graver les raies manta que nous identifions lors de nos plongées sur un nombre limité de montres. Cela me semblait vraiment un concept unique et extraordinaire, car nous pouvons ainsi suivre chacun des 188 animaux choisis. Le détenteur de la montre pourra baptiser «sa» raie manta du nom de son choix. Nous-mêmes, nous donnons toujours un nom de baptême aux raies manta que nous découvrons, c’est plus sympathique et aussi plus facile à retenir que leur numéro ID! C’est aussi un défi logistique, car nous créons une base de données spéciale qui sera accessible aux détenteurs des montres. Ceux-ci pourront obtenir des informations de base sur la raie manta qu’ils parrainent, comme son âge, sa taille, son état de santé,... Ainsi, non seulement vous achetez une montre magnifique, mais en plus, vous contribuez par cet achat à aider à protéger les raies manta.

Une autre partie importante de cette opération en partenariat avec Carl F. Bucherer consiste en une expédition aux Maldives en août. Quel est votre objectif? Nous réunissons un petit groupe de scientifiques de différents domaines pour tenter de mieux comprendre le mode d’alimentation des raies manta. Cela nous permettra de bien identifier quels sont les habitats-clés pour cette espèce, là où ils trouvent leurs aliments, et donc les lieux à préserver en priorité. Pour y parvenir, nous allons plonger pour recueillir du plancton – leur unique type de nourriture – ainsi que des tissus de raies mantas, et les comparer pour essayer d’établir un lien précis entre les deux.

tais en effet de porter ce que je voyais comme un gros «bloc» technique en plastique sur ma combinaison, alors qu’aujourd’hui j’ai un vrai gardetemps au poignet, élégant, que je porte d’ailleurs aussi quand je suis à terre. Cela aurait été inimaginable avec ma montre d’il y a quinze ans!

Concours de l’Institut Horlogerie Cartier 2017

Justement, en tant que plongeur, vous avez certainement une relation bien particulière aux montres... Une montre de plongée est un outil essentiel dans notre équipement, mais mon regard sur celle-ci a bien changé: à mes débuts, je me conten-

Julius Oswald Zeit Zentrum Grenchen

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Reef Manta Ray, Manta alfredi, Surface Feeding, D'Arros Island, Amirantes, Seychelles © Guy Stevens, Manta Trust 2016


TECHNOLOGIE

20 | EUROPA STAR PREMIÈRE

L’heure de vérité pour le quartz Autrefois pionnier, aujourd'hui banalisé, le mouvement à quartz arrive à un point crucial de son histoire. Car une horlogerie mécanique de moins en moins chère et les smartwatches, fonctionnellement supérieures, le prennent en tenaille. Que lui restera-t-il demain? Par David Chokron

Précis, fiable, endurant, il a incarné le futur de la montre. Mais le mouvement électronique avec régulateur à cristal de quartz (alias mouvement à quartz) a fini par se banaliser à mesure qu'il s'est généralisé. Capable de presque tout, il s'est endormi. Aujourd'hui, il est comme un sachet de nourriture lyophilisée: pas cher, efficace, mais artificiel, fade et générique. Et ouvrir une montre pour y trouver un cercle d’emboîtage en plastique et un petit bidule à pile perdu au milieu est une vue terriblement triste. Ironie de l’histoire, après avoir manqué de sortir le mouvement mécanique du paysage horloger, le mouvement à quartz est à son tour menacé de perdre sa pertinence, fonctionnelle et même économique.

Industrialisation massive En 1969, après des décennies de miniaturisation, l'initiative collective du mouvement Beta 21, en Suisse, et l'Astron de Seiko mettent enfin le mouvement à quartz aux dimensions du poignet. Il fait sortir la montre du paradigme de la mécanique pour entrer dans l'électronique. La soudure remplace la vis et la pile, le barillet. De plus en plus

Le calibre E63.171 de ETA

Le quartz est comme un sachet de nourriture lyophilisée: pas cher, efficace mais artificiel et générique.

puissant et économe en énergie, il accède à une fabrication industrielle, volumique et automatisée. Un atelier d'assemblage de mouvements à quartz est une longue ligne robotisée. Quelques rares humains y poussent des chariots d'outils de contrôle et de maintenance.

LE QUARTZ, COMMENT ÇA MARCHE? Démontrée en 1880 par les frères Curie, la piézoélectricité est une propriété de matières qui entrent en vibration sous l'influence d'un courant électrique. Le cristal de quartz, qui est un dioxyde de silicium, a démontré le meilleur rapport stabilité/usinabilité/prix pour la mesure du temps. La norme actuelle de fréquence de ces vibrations est de 32,768 Hz. Elles sont comptées par un processeur, qui en font une horloge mère. Il procède également à la division de ce flux pour en déduire la seconde. Dans le cas des montres analogiques, un ensemble de micro-moteurs commande les aiguilles, alimentées par la même pile qui fait vibrer le cristal.

portations suisses. Au porter, la montre mécanique est une exception, presque une aberration technologique. Comme si toutes les voitures de la planète marchaient à l’électricité tandis qu'une frange choisissait la machine à vapeur envers et contre tout. C'est que la belle horlogerie a ses raisons que la raison ignore...

Se passant presque de pièces en mouvement, de lubrification, d'engrenages, la montre devient insensible au choc et au vieillissement des huiles. Sa dernière force est passée sous silence par le monde de l'horlogerie mécanique.

Chronométrie facile Le mouvement à quartz est d'une précision redoutable, une fois protégé contre les variations de température qui l'influencent fortement. Les critères du COSC donnent une bonne échelle de ses capacités. Un chronomètre mécanique a droit à une erreur maximale de 3 minutes par mois. Pour un chronomètre à quartz, c'est 25 secondes par an, soit 85 fois mieux. On assiste même à un retour de la grande précision. Avec ses Conquest V.H.P, Longines renoue avec les années 1980, où un modèle homonyme présentait la même précision: 5 secondes d'erreur par an. La marque britannique Hoptroff a miniaturisé une horloge atomique pour le poignet: une seconde par millénaire. Et si c'est encore trop, de nombreuses montres radio-pilotées (Junghans en particulier) captent les signaux DCF77 en Europe ou WWV aux Etats-Unis, qui diffusent en temps réel l'heure d'horloges atomiques: une seconde chaque million d'années.

La tenaille

La Longines Conquest V.H.P.: 5 secondes d'erreur par an, date perpétuelle, aiguilles resynchronisées après un choc.

Energie tranquille Autre force du quartz, il marche sur batterie. Les progrès des accumulateurs sont tels qu'une montre peut fonctionner cinq ans avant de se mettre en veille pour quinze, voire ne jamais s'arrêter si elle est équipée de capteurs photovoltaïques, depuis longtemps transparents et ultra-fins. Le résultat de tous ces atouts est une domination écrasante. Il équipe 95% des montres, et encore 72% des ex-

Aujourd’hui, le quartz se retrouve face à son fils spirituel, qui pourrait bien tuer le père. A force de glissements, de greffe de modules communicants et de processeurs basse consommation issus de la téléphonie, le mouvement électronique a changé de nature. La rapidité avec laquelle la smartwatch a déboulé dans le paysage horloger, comme un chien dans un jeu de quilles, est sans précédent. En l'espace de trois ans, la montre à quartz s'est retrouvée dépassée. Connectée, évolutive, interactive, la montre dite intelligente est un micro-ordinateur de poignet à écran tactile, qui intègre une horloge-mère à quartz parmi ses milliers d'organes électroniques. La montre à quartz, elle, est figée. Certains fabricants de smartwatch font même le pari de la disparition du mouvement à quartz autre que basique. Car la montre connectée est dans une autre catégorie. Comme le veut la loi de


TECHNOLOGIE

EUROPA STAR PREMIÈRE | 21

Le mouvement bombé de la Bulova Curv Chronograph. 2,98 mm d'épaisseur grâce à son mouvement d'1 mm, la Citizen Eco-Drive One est limitée par la solidité du métal de son boîtier.

La T-Touch Expert Solar est à recharge solaire, mais cette gamme a inventé la montre multifonctions tactile en 1999. Le calibre Seiko 9F62, un des seuls à représenter un vrai progrès technique, et encore est-il bien limité.

Le calibre 700P de Piaget, dernier exemple en date de ce qu'une hybridation méca-quartz peut produire, mais au prix fort.

Moore, les coûts y baissent aussi vite qu'augmentent les performances. Déjà, une smartwatch tactile sous AndroidWear commence autour de 100 francs. Déjà, les concurrents d'ETA, Ronda et IsaSwiss se nomment Intel, Samsung et Google, dont le bénéfice trimestriel approche le chiffre d'affaires annuel du Swatch Group. Déjà, la Swatch Sistem 51 se vend 150 francs, pour une montre automatique Swiss made, fût-elle jetable et à 80% en plastique.

La noblesse La technologie du quartz trouve encore des applications haut de gamme et des marques pour la faire évoluer, mais elles sont rares et surtout, elles plafonnent. Les avan-

cées de Citizen dans le domaine de la finesse extrême, avec son Eco-Drive One de 2,98 mm, sont confrontées aux limites physiques du boîtier, comme en horlogerie mécanique. La recherche ergonomique de la Curv Chronograph Watch de Bulova, dont le mouvement courbe permet à la montre de l’être aussi, peut-elle dépasser l'anecdotique? Peu importe que sa fréquence soit de 262 KHz, soit 8 fois le standard de cette technologie, qui a été fixé par Girard-Perregaux. Car les plus grandes marques horlogères suisses ont participé à l'aventure, et continuent de le faire. Patek Philippe traite ses deux calibres à quartz maison, qui équipent encore environ 25% de la production, avec les mêmes finitions que les autres. Les chronomètres à quartz représentent bon an mal an un quart de

la production de Breitling. Même François-Paul Journe s'y est mis. Le chantre de l'horlogerie classique, qui s'est placé dans l'héritage de Berthoud et Breguet, a lancé l'Elégante, une montre à pile, et pas que pour dames.

La fusion Depuis longtemps, des hybridations sont apparues. Après la recharge d’accumulateur par rotor (Kinetic de Seiko, 1988), les modules de chronographe sur mouvements à quartz de Piguet et Jaeger-LeCoultre (années 1980), et l'avènement du Spring Drive de Seiko en 2004, le quartz est à nouveau accommodé à la sauce rouage. Dans l'Emperador Coussin XL 700P de Piaget , une génératrice/régula-

Un chronomètre à quartz COSC reste sous la barre des 25 secondes d'erreur par an. C'est 85 fois mieux que son homologue mécanique. teur à quartz pilote un calibre mécanique, pour plus de 70 000 francs. Seiko progresse encore avec son calibre 9F, dont les micro-moteurs sont d'une précision extrême. Casio développe des G-Shock en séries limitées coûteuses qui mettent en valeur le savoir-faire métallurgique japonais. Passées ces initiatives japonaises, provenant du pays qui a bâti son horlogerie sur cette tech-

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nologie, elle est dormante. Même le multifonction tactile de la T-Touch remonte à 1999.

L'avenir Entre la montre connectée et le mouvement mécanique low cost, la cisaille pourrait se révéler fatale au quartz. Car à un horizon de cinq ou dix ans, sa pertinence est menacée. Que lui reste-t-il sinon les applications les plus économiques? Les options semblent cruellement rares. La surenchère fonctionnelle est telle qu'il faut dépasser la montre ultrafine à recharge solaire, mise à l'heure automatique par satellite, rétroéclairée, thermomètre, dix ans de garantie et autant d’autonomie. Car celle-ci est déjà prévue pour après-demain.


COLLECTIONNEURS

22 | EUROPA STAR PREMIÈRE

Enchères horlogères, trois décennies de légende (partie 1) A l’orée des années 1990, les ventes aux enchères horlogères étaient noyées dans la masse des opérations à l’encan. Il y avait Christie’s, Sotheby’s et Habsburg Feldman. Retour en arrière… Par Ollivier Broto, contributeur watchonista, et Joël

A. Grandjean, rédacteur

en chef watchonista

Avant de se dessiner comme un fleuve à part entière dans le business des rois du marteau, les ventes aux enchères uniquement horlogères consistaient en une multitude de petits ruisseaux, alimentant tantôt les marchands, tantôt, souvent de manière accessoire, les trois principales enseignes généralistes présentes à Genève.

L’ère des visionnaires Naissaient alors, juste avant cette période, quelques personnalités de flair, des passionnés d’horlogerie, de véritables bâtisseurs de légendes. Osvaldo Patrizzi est l’un d’eux. En 1974, l’homme avait déjà fondé la «Galerie d’Horlogerie Ancienne», PUBLICITÉ

une maison de ventes aux enchères pour «montres-bracelets, horloges et autres objets de vertu», devenue en 1987 Antiquorum SA. Puis, il avait également su tirer parti de la disparition de Habsburg Feldman, dont la dernière vente à Hong Kong semble vouloir remonter à l’année 1990. Le deuxième, c’est le Dr Helmut Crott, un expert collectionneur quelque peu éclipsé par l’ultramédiatique Osvaldo Patrizzi. Il fait pourtant partie de ces visionnaires à qui le domaine doit beaucoup aujourd’hui. Fondateur en 1974 de Auctioneers Dr. Crott, il incarne une certaine tradition allemande qui à l’époque comptait autant voire plus que Genève. Il détient toujours ce que les puristes considèrent comme la plus importante base de données Patek Philippe relative aux montres anciennes. Une base fiable régulièrement mise à jour et consultée encore aujourd’hui, qui répertorie, sur un principe de traçabili-

té et de documentation exhaustive, toutes les références et leurs scores de vente. Des informations qui prouvent au passage à quel point ces pièces, en matière de valeur patrimoniale et de placement, se situent sur les vingt-cinq à trente dernières années au-delà de toute espèce d’indice boursier. Toujours actif dans ce domaine, très respecté auprès d’une race de collectionneurs totalement hermétiques aux tendances et aux courants éphémères, le pionnier Helmut Crott se souvient que dans ces années, il y avait déjà la domination de Patek Philippe. Le reste de l’offre se composait de montres de poche compliquées, autant de marques suisses que de marques étrangères: des montres de poche fabriquées par Abraham-Louis Breguet autour de 1800; des Rolex Sport en acier, tels la Stelline Moon ref. 6062, les chronographes Jean-Claude Killy ou les Daytona modèles Paul Newman; des Vacheron Constantin de poche ou bracelets; des A. Lange & Söhne anciennes de Glashütte. A ces modèles déjà stars s’ajoutaient aussi les émaux de Genève de la première moitié du XIXe siècle ainsi que les automates suisses datant des années 1800, des œuvres d’art mécanique qui tenaient le haut du pavé avec leurs envolées à plus de 2 millions de francs. Quant aux autres montres-bracelets, celles issues de marques moins demandées, souvent des chronographes, elles affichaient des prix dérisoires. Ainsi, les Omega, Eberhard & Co, les Heuer ou Longines étaient, en comparaison avec Patek Philippe, bien plus accessibles.

Le tournant 1989, la naissance des ventes thématiques Soudain, imaginé par Osvaldo Patrizzi, le principe des ventes thématiques bouscule la donne. «Elles sont aujourd’hui des milestones dans l’histoire horlogère» confesse Dr. Helmut Crott. Peut-être puisa-til son inspiration dans la vente par Sotheby’s en 1986 aux Etats-Unis de la collection horlogère Seth Atwood, du nom d’un industriel américain qui liquida son musée horloger à Rockford dans l’Illinois? Toujours est-il qu’il transforme l’année 1989, qui coïncide avec le 150e anniversaire de Patek Philippe, en une date charnière. Osvaldo Patrizzi organise en effet la toute première vente aux enchères exclusivement dédiée aux garde-temps de cette grande maison. En grand manitou, chef d’orchestre sachant manier tant le marteau que les finesses relationnelles et communication-

nelles, le fringant entrepreneur commissaire-priseur parvint à regrouper suffisamment de pièces recherchées pour que l’événement se transformât en plébiscite. Le bref échantillon que voici permet de comprendre de quoi l’offre se composait au sortir des années 1980 et quelles seront les tendances qui s’esquisseront. Une fin de décennie qui, après la mortelle crise du quartz, contribua à sa manière au renouveau de l’horlogerie mécanique. Il y eut le lot 34, une PPC 2499/100 en platine – C pour & Cie puisque l’appellation de l’époque retenait encore la raison sociale Patek Philippe & Cie – une pièce unique dont le prix marteau fut de 380'000 francs. Le lot 297, quant à lui, désignait une répétition minutes rectangulaire, seule pièce attribuée à Mel Blanc (19081989), l’acteur californien surnommé «l’homme aux mille voix» pour avoir été le maître ès doublages des dessins animés, dont l’adjudication passa la barre du demi-million pour s’établir à 520’000 francs. Il y eut aussi le lot 229, une montre rectangulaire Patek Philippe à tourbillon, qui caracola à 650'000 francs. Et le Dr Helmut Crott de préciser, à propos de cette incroyable vente: «A cette époque-là, comme durant les années précédentes, c’était encore les montres de poche qui, comparativement aux montres-bracelets, réalisaient les meilleures performances.» Ainsi, la grande complication reconnue sous le lot 300 ainsi que le Calibre 89 décrochèrent respectivement au prix marteau les montants record de 850’000 francs et de 4,5 millions de francs. 1989 est également l’année de l’inauguration à Genève du Musée Patek Philippe au 7 de la rue des VieuxGrenadiers. Ainsi, aux riches Italiens qui contribuaient alors grandement à l’essor des ventes aux enchères exclusivement horlogères s’ajoutait un nouvel acteur, suivi par les aficionados du monde entier: Philippe Stern lui-même, propriétaire de la marque et grand amateur, avide de compléter ses collections dans les domaines de l’horlogerie et de l’émaillerie, ainsi que dans la constitution de sa prestigieuse bibliothèque. Sa soif d’acquisition de pièces issues de son histoire comme de celle de l’horlogerie suisse en général eut pour effet de doper les scores et de titiller l’engouement. En résumé, cette année 1989 voit la percée des montres-bracelets vintage dans un univers jusque-là dominé par les montres de poche et les automates. Elle est aussi pour le secteur des ventes aux enchères – d’ailleurs les séculaires maisons institutionnelles du secteur devront s’y plier – celle de la séparation des objets horlogers de tous les autres domaines. C’est donc vraiment à partir de ce

moment-là qu’une distinction réelle s’opère et que se font entendre les premiers coups de marteau exclusivement réservés à l’horlogerie. Désormais, auprès des collectionneurs, la montre de collection aura une place à part, au même titre que les toiles et les sculptures. Dès lors, ce nouveau business ira de succès en succès jusqu’à aujourd’hui, à l’exception d’un fort ralentissement au sortir de la Guerre du Golfe, en 1992. «Même les Patek Philippe furent victimes de la crise et de la chute des prix», se souvient le Dr Helmut Crott.

D’autres dates-clés à retenir Il faut tout d’abord mentionner l’agenda des ventes thématiques déclinées par Osvaldo Patrizzi. Sous la bannière d’Antiquorum, il organise plusieurs événements dont la mise en scène culturelle et les catalogues imposants contribuent à associer l’univers des montres anciennes avec ceux de la peinture ou de la sculpture ou des objets de légende: «L’Art de Breguet» en 1991, «L’Art de l’Horlogerie Française» en 1993, «L’Art de Vacheron Constantin» en 1994, «L’Art de l’Horlogerie Anglaise» en 1995, ainsi que «L’Art de Cartier» en 1996. De son côté, la maison de vente Auctioneers Dr. Crott crée le buzz en 1992 à Francfort avec sa vente thématique sur les montres de Glashütte, incluant plus particulièrement des garde-temps de la marque A. Lange & Söhne. Il franchit la barre du million de Deutsche Mark avec une montre de poche à tourbillon en or et émail datant de 1900. Le millénaire se termine sur un record incroyable: en 1999, la super-complication Henry Graves de Patek Philippe, la plus célèbre montre du monde, décroche le titre des titres sous les marteaux de Sotheby’s: avec une adjudication à 11 millions de dollars, elle devient le garde-temps le plus cher de l’histoire. L’article en ligne est à découvrir sur Watchonista.com La partie 2 de cet article sera diffusée dans notre édition de septembre. Concours de l’Institut Horlogerie Cartier 2017

Chantal Staub

6e

IWC International Watch Co Schaffhausen


COLLECTIONNEURS

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Aurel Bacs: collectionneur de superlatifs Aurel Bacs marque aujourd’hui les ventes aux enchères par la facilité apparente qu’il possède d’établir de nouveaux records. Quels mécanismes se cachent derrière ces chiffres d’adjudication toujours plus hauts? Rencontre avec le commissaire-priseur. Propos recueillis par Serge Maillard

Vos équipes vous ont-elles suivi d’une maison à l’autre?

Sans aucun doute la personnalité la plus emblématique du monde actuel des ventes aux enchères horlogères, Aurel Bacs est passé par plusieurs maisons de prestige, laissant à chaque fois une forte empreinte, chez Sotheby’s (1995-2000), une première fois chez Phillips (2000-2003), puis chez Christie’s (2003-2013), avant de revenir chez Phillips depuis 2015 avec l’entité autonome Bacs & Russo qu’il a lancée en compagnie de son épouse. En mai, le commissaire-priseur a encore frappé fort avec un modèle Rolex «Bao Dai» vendu à plus de 5 millions de francs. Entretien.

Je ne suis jamais parti en emportant l’équipe d’une maison! On peut trouver de nouveaux talents partout. Notre responsable du marché américain n’avait jamais travaillé dans une maison de vente horlogère: il vient du monde de la défense... Mais il avait ce qui compte le plus: la passion, le carnet d’adresses et la réputation. On peut appeler cela l’obsession, l’amour, le plaisir de la belle horlogerie... Nous évoluons dans un monde où aucun contrat ne vous protège, qui repose sur la confiance seule entre le client et la maison de ventes. C’est pourquoi notre réputation doit être impeccable. Et c’est cette garantie qui attire aussi les meilleurs experts.

Avec un peu de provocation, je vous répondrais que même si vous partez avec un logo McDonald’s, vous pouvez devenir numéro un, si vous montez la meilleure équipe! Je ne suis pas tombé du ciel et n’opère pas par miracle. Le succès est affaire de réputation, de carnet d’adresses et d’équipe. Lorsque j’ai rejoint une maison, j’y ai parfois trouvé une équipe, parfois pas du tout. A chaque fois, nous étions soit numéro trois, soit numéro quatre, soit inexistants. A deux reprises, j’ai recommencé depuis zéro chez Phillips. Mais nous avons toujours pu constituer une équipe et réussi à atteindre la position de leader. Concours de l’Institut Horlogerie Cartier 2017

Sylvain Jacquart

7e

Ecole Technique de la Vallée de Joux Le Sentier

Depuis vos débuts, en quoi le profil de votre clientèle a-t-il évolué? Elle n’a plus rien à voir: seulement 10% de mes clients de 1995 sont encore actifs. Si le meilleur spécialiste d’il y a une dizaine d’années tombait dans le coma et se réveillait aujourd’hui, il ne serait pas en mesure de monter une vente aux enchères à 10 millions de francs. D’une part, nous travaillons avec de nouveaux acteurs et le carnet d’adresses a totalement changé: nous voyons arriver de nulle part des fortunes colossales s’intéressant à des achats horlogers. Le savoir s’est, d’autre part, diffusé: les collectionneurs se plongent de manière très pointue dans les montres. Les tendances ont également évolué: le modèle rose et carré à remontoir manuel a cédé la place à l’acier rond automatique. Enfin, les estimations se sont complexifiées. Cette évolution du marché vintage est sans doute liée au regain d’intérêt pour la montre en général depuis les années 2000: sur ce pointlà, votre destin semble avoir été fortement lié à celui de l’industrie horlogère contemporaine... Je remercie en effet ceux qui n’ont jamais abandonné la belle mécanique au sein des manufactures, des personnalités comme MM. Stern, Hayek, Cologni, Rupert, Biver... Ils ont converti des millions de personnes au goût de l’horlogerie, ce dont nous profitons également. En même temps, la mondialisation a énormément contribué à l’essor de l’horlogerie et des ventes aux enchères horlogères: jamais nous n’aurions grandi autant si nous étions

Aurel Bacs, fondateur de Bacs & Russo

DR

Après avoir propulsé Christie’s devant Antiquorum, vous propulsez Phillips devant... Christie’s. La réussite d’une maison de ventes aux enchères est-elle donc d’abord liée à l’aura de son commissaire-priseur – vous aujourd’hui, Osvaldo Patrizzi hier? Est-ce d’abord affaire de personne?

restés confinés à la demande occidentale, voire japonaise. Mais la corrélation avec l’industrie actuelle semble s’arrêter là: aujourd’hui, vous réalisez des ventes record alors que les ventes de montres modernes sont, elles, en recul... C’est simple: il y a plus de demande que de montres vintage achetables. Personne ne va trouver un coffre-fort contenant un million de montres rares. Et beaucoup de montres du passé ne sont plus achetables, car abîmées, mal restaurées ou ayant subi trop de transformations. Alors forcément, les prix montent. Et que faire si vous n’avez pas les moyens pour une Patek Philippe ou une Rolex convoitée? Vous cherchez des alternatives. C’est ce qui explique les succès plus récents aux enchères de marques comme Longines, Tudor, Omega ou Heuer, mais aussi les

«indépendants» comme F.P. Journe, Richard Mille, MB&F, pour n'en citer que quelques-uns. On entend parfois des critiques sur le degré d’expertise des personnels des boutiques modernes. Cela explique-t-il aussi l’intérêt des collectionneurs pour l’univers de la montre vintage? Le sujet des connaissances est complexe. Est-ce que tous ceux qui dépensent des millions de francs pour des montres sont des spécialistes? Moi-même, je ne suis pas œnologue et si l’on m’amène une carte des vins qui a l’épaisseur d’un catalogue de ventes aux enchères, je demanderai au sommelier: «J’aimerais passer un moment de qualité en bonne compagnie; je vous fais confiance: voici mon budget et mon goût.» Cela se passe comme cela également dans le monde de l’horlogerie. Il est tout à fait permis de ne pas être un spécialiste, ce n’est pas indigne!

Internet a cependant accru la diffusion des informations et des connaissances: on peut se renseigner partout et en tout temps sur n’importe quel modèle actuel ou ancien... Je reste méfiant vis-à-vis d’Internet. Récemment, le fondateur de Twitter s’est excusé, car il pensait avoir créé un outil de diffusion de l’information, qui s’avère aujourd’hui en réalité envahi par les fake news influant même le cours d’élections démocratiques... Il ne faut pas se voiler la face: beaucoup de choses écrites sur Internet à propos de l’horlogerie sont fausses! Nous utilisons le web pour notre communication et l’on peut miser lors de nos enchères via Internet, mais je suis d’avis que la technologie ne remplace pas certaines expériences, comme s’entretenir en tête-à-tête... Et 95% de nos clients qui enchérissent via Internet ont vu préalablement de leurs propres yeux la pièce en question.


COLLECTIONNEURS

24 | EUROPA STAR PREMIÈRE

Réhabiliter Antiquorum: la délicate mission de Romain Réa Si elle a lancé les ventes thématiques consacrées à l’horlogerie sous l’impulsion du charismatique Osvaldo Patrizzi, Antiquorum a vu son étoile pâlir fortement durant la décennie écoulée, suite à l’éviction de son fondateur et à un interminable litige aux ramifications multiples. La mission de l’expert-horloger français Romain Réa, qui vient d’en reprendre les rênes, est donc claire mais ardue. Rencontre.

Avez-vous tout de suite été convaincu de reprendre la direction de la maison Antiquorum, qui a beaucoup perdu de sa superbe depuis une décennie et le départ forcé du légendaire Osvaldo Patrizzi? J’ai mûrement réfléchi avant d’accepter de reprendre ce poste. Je n’avais aucune hésitation au niveau du «cœur»: Antiquorum, maison de ventes pionnière dans le domaine, est l’une des raisons de ma passion pour l’horlogerie! Au niveau de la raison, c’était moins «instinctif», car la maison a en effet connu plusieurs péripéties. Mais mon mandat consiste justement à y mettre fin et à tourner la page. J’ai présenté un plan d’actions qui a été accepté par les propriétaires d’Antiquorum Management. Je tiens par ailleurs à souligner que notre actionnariat, FIDES, est basé à Zurich et a investi en 2014 dans la maison: nous n’avons strictement aucun contact avec Antiquorum USA, l’entité qui a connu les déboires que l’on sait vis-à-vis d’Osvaldo Patrizzi. L’une de mes conditions était justement d’avoir en soutien un actionnariat puissant et... sans problèmes. Quelle est votre expérience de la vente aux enchères? Ce sont eux qui m’ont approché, en tant qu’expert horloger et entrepreneur du domaine, avec plusieurs boutiques à Paris et la création du département Horlogerie

d’Artcurial. J’ai notamment réalisé les premières ventes thématiques consacrées à Jaeger-LeCoultre et à Panerai en France. Comment comptez-vous remettre sur pied Antiquorum? Mon plan d’actions comporte trois facettes. D’abord, il s’agit de mettre à nouveau en valeur le patrimoine et la «magie» Antiquorum, nous souhaitons rendre unanime la qualité des expertises de la maison, mettre fin aux rumeurs qui entourent la société et défendre la marque sur tous les plans: c’est l’objectif principal, le travail de fond duquel découle tout le reste. Un deuxième point stratégique est géographique: si les ventes à Genève fonctionnent encore bien, cela est un peu moins vrai à Hong Kong, qui a été abandonnée par l’ancienne direction. Nous allons relancer la dynamique en Asie, pas qu’en Chine, mais aussi au Japon. Par ailleurs, nous lançons une nouvelle présence permanente à Monaco, où je dispose de nombreux liens sur place et que l’on surnomme la «petite Genève». Comme à Genève et Hong Kong, nous y serons 365 jours par an. C’est la Riviera française, et l’importance de l’horlogerie va y croître. A noter encore que même si nous ne sommes pas touche-à-tout, nous allons étendre le panel des lots proposés à la vente en associant aux montres des bijoux et autres biens de luxe. Ainsi, avonsnous programmé à nouveau une vente de bijoux, en juillet à Monaco. Enfin, nous devons redonner à

Romain Réa, nouveau CEO d’Antiquorum

Antiquorum ses lettres de noblesse dans les ventes thématiques horlogères, qui sont nées au sein de la maison. Or, la dernière importante en date est Omegamania de 2007... Nous allons remettre cette activité au cœur du métier. La première vente thématique que nous organiserons, en novembre à Genève, sera The Art of Calatrava – ce sont les 85 ans du modèle et l’anniversaire de la création de la Croix de Calatrava – un clin d’œil à The Art of Patek Philippe, la première vente thématique d’Antiquorum en 1989. Qu’en est-il du digital? Etonnamment, l’adresse du site .com appartient encore à l’ancien directeur, Evan Zimmermann. Nous avons donc lancé une nouvelle adresse antiquorum.swiss, ancrant la maison dans ses origines genevoises, berceau de l’horlogerie de luxe. Plus généralement, la boutique en ligne va être

DR

Propos recueillis par Serge Maillard

développée avant cet été. Il y a beaucoup de chantiers en même temps. On repart comme si l’on venait de démarrer! Comment comptez-vous réparer la mauvaise image qui affecte Antiquorum, dont l’origine est l’éjection d’Osvaldo Patrizzi, qui a depuis lors été réhabilité et est lavé de tout soupçon? On ne sort pas indemne d’une telle affaire, auprès des connaisseurs horlogers... Nous changeons du tout au tout, de la charte graphique des catalogues aux pièces présentées! Le but étant de conserver l’ADN de cette maison historique tout en lui apportant une image et un contenu hautement qualitatifs, symboles de son renouveau. Antiquorum a pris un retard considérable face à la concurrence. Quant à Osvaldo Patrizzi, il est le fondateur de la maison et il est respectable à ce titre. Il n’y a pas de

raison de le nier et j’arrive avec une nouvelle vision du marché. Mais que pouvez-vous proposer de particulier aux collectionneurs, face à un Aurel Bacs chez Phillips, à Christie’s ou à Sotheby’s, qui occupent presque tout le terrain? Je travaille avec une armée d’experts en France et à Monaco. Beaucoup de maisons ont un visage, un expert qui domine. Nous misons sur un travail d’équipe avec une pluralité d’experts. La qualité d’expertise est déjà excellente... mais presque personne ne s’en rend compte. Nous devons la mettre en avant. Nous disposons par ailleurs d’un fichier à la richesse extraordinaire depuis 1974. De mon côté, je n’abandonne pas mes activités à Paris ou mon travail d’expert à la Cour d’Appel. Au fond, je mets mes réseaux au service d’Antiquorum. C’est ce réseau que nous allons encore développer.

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26 | EUROPA STAR PREMIÈRE

Ce fermoir qui en dit long sur votre montre Pas toujours intuitif à boucler lorsqu’on revêt la montre, le fermoir est souvent le premier «écueil» qui se pose au nouvel utilisateur. Alors, autant en faire une bonne expérience... Mais pourquoi tant de systèmes différents? Et quels sont-ils exactement? Réponses. Par Pierre-Yves Schmid, eurotec

Deux approches différentes cohabitent lorsque l’on parle du fermoir, cet élément incontournable de quasiment toute montre. Certains y voient simplement le système d’ouverture et de fermeture du bracelet. D’autres au contraire l’érigent au rang de composant constitutif du design et de l’élégance de la montre et en font un atout de différenciation. Le choix du modèle, des matériaux utilisés et du degré de personnalisation prend alors toute sa dimension. Présentons ici les principaux systèmes de fermoirs utilisés dans l’industrie, ainsi que leur raison d’être. Leur degré de complexité dépend en grande partie de leur mode de fabrication et de la sécurité qu’ils offrent une fois fermés, mais aussi du type de matériau utilisé pour le bracelet.

Les différents types de fermoirs La boucle ardillon Identique au système utilisé sur les ceintures, ce fermoir tire son nom de la petite tige en métal que l’on introduit dans les trous du bracelet. C’est sans aucun doute le système le plus simple et le plus répandu. Si son coût relativement bas peut être mis en avant, il présente toutefois l’inconvénient d’une usure assez rapide. Quant à son domaine d’utilisation, c’est simple: seuls les bracelets souples en cuir, plastique ou encore silicone peuvent en être équipés. Le fermoir à boucle déployante Constitué d’un système articulé, le fermoir à boucle déployante permet de ne jamais séparer les deux parties

du bracelet. Les risques de perdre sa montre sont donc quasi nuls. Ce type de fermoir existe en deux versions. La version dite simple voit le fermoir se déployer lorsqu’on l’ouvre et se replier sur lui-même en «V» lors de la fermeture. La version double, appelée aussi boucle papillon, est constituée de deux articulations pour une ouverture du bracelet en deux temps. A la fermeture, les pans métalliques à l’intérieur du bracelet se replient de part et d’autre de la boucle de façon symétrique. Ces deux types de fermoirs sont fréquemment utilisés sur des montres en acier même s’il est tout à fait possible de les monter sur des bracelets souples. Réputés résistants et sûrs, ils peuvent néanmoins être équipés d’un système de sécurité qui se présente soit sous la forme d’un bouton poussoir qui verrouille la fermeture, soit sous la forme d’un rabat qui se replie sur le dessus de la boucle. On vient d’évoquer deux versions du fermoir déployant. En réalité, il en existe une troisième, dérivée de la version dite papillon. Il s’agit du fermoir papillon à boucle invisible. Pour des raisons d’élégance, l’attache de ce fermoir est totalement dissimulée et l’ouverture se fait par pression sur de petits boutons situés sur les côtés. Le résultat est particulièrement apprécié sur des bracelets en céramique. S’il fallait relever un inconvénient au fermoir à boucle déployante, on parlerait du risque que sa courbure ne s’adapte pas parfaitement au poignet. Le fermoir à clip Egalement très courant, ce type de fermoir est assez basique. Il comporte un système de levier qui vient se clipser sur le bracelet par simple pression. On le retrouve le plus souvent sur des montres à bracelet métallique et sur les montres

à bracelet-bijou. Il présente en effet l’avantage de se fondre discrètement dans les maillons. Certaines marques l’utilisent sur leurs bracelets métalliques en maille milanaise et donc dépourvus de maillons. Le fermoir à coulisse Proche du fermoir à clip, le fermoir à coulisse offre la possibilité d’adapter la longueur du bracelet à la taille du poignet. Il est principalement utilisé sur des bracelets milanais. Le fermoir à scratch Certaines montres (soyons clairs, nous ne sommes pas dans le haut de gamme) utilisent des bandes Velcro pour la confection du bracelet. On peut apprécier la simplicité d’ouverture mais aussi regretter le manque de sécurité du système, la tendance du textile à s’accrocher partout et son usure rapide. Ce système équipe surtout des montres de sport.

La fabrication d’un fermoir, en quatre étapes Tout débute par l’élaboration du design. Elle peut être réalisée sur la base d’idées ou de souhaits précis du client ou laissée à la libre appréciation des designers. Sitôt une première tendance dégagée, le projet passe en mains des ingénieurs qui se penchent sur la faisabilité

du concept en termes de matériaux et de fonctionnalités. En cas de feu vert de leur part, un prototype est réalisé afin de visualiser cette première étape. Ces mêmes ingénieurs vont ensuite assurer la transition entre la phase de conception et de production par l’élaboration des dessins techniques sur des programmes de CAO. La fabrication se fait généralement par étampage, autrement dit par déformation de la matière qui est pressée sur des outils spécialement créés pour reproduire la forme voulue. Les ouvriers en charge de la fabrication de ces outils, longtemps appelés faiseurs d’étampes, ont développé au fil du temps des techniques et types d’outillage particuliers répondant aux besoins spécifiques d’esthétique et de précisioin des horlogers. Aujourd’hui, on parle plus volontiers de mécaniciens en étampes, l’évolution des technologies (machines à électroérosion, fraisage sur CNC multi-axes, etc.) ayant fait évoluer le métier vers une plus grande productivité, une précision accrue et des formes de plus en plus complexes (intégration d’un logo en surimpression, par exemple). Une fois l’opération d’étampage réalisée, la pièce passe au polissage. Le polissage regroupe plusieurs techniques qui consistent à polir (pour rendre brillant) ou à satiner (pour rendre mat) une pièce par le frottement de différentes matières. La difficulté réside dans le fait d’arriver à enlever les défauts sans déformer ou modifier la taille et la géométrie de l’objet. Le choix du polissage manuel ou auto-

matisé dépendra en grande partie du volume de pièces à traiter. En ce qui concerne le polissage automatique, plusieurs types de machines existent: on trouve par exemple des machines avec table à rotation continue pour des productions allant de 30 à 500 pièces à l’heure. Grâce au chargement et déchargement des pièces en temps masqué, elles permettent de limiter les temps d’arrêt et donc de réduire les coûts. L’utilisation de robots, quant à elle, est connue depuis quelques années, mais a longtemps présenté le défaut de ne pouvoir reproduire exactement les gestes d’un polisseur expérimenté. A noter cependant que la société Crevoisier y a remédié avec son concept POLIcapture qui, grâce à l’utilisation de logiciels complexes, de modélisation 3D des pièces et du système de polissage et d’une définition très précise des géométries, permet de capturer à l’identique les gestes à effectuer. La dernière opération consiste en l’assemblage et le contrôle des divers pièces du fermoir. D’entente avec le client, le contrôle peut être effectué sous l’angle de la fonctionnalité, des dimensions et de l’esthétique. Le contrôle esthétique appelé «visitage» est réalisé à l’œil nu ou à la loupe et permet de détecter la moindre imperfection. Si un défaut est constaté, la pièce retourne à l’atelier de polissage pour un rhabillage. Enfin, des conditionnements spécifiques (boîtes en mousse, bandes adhésives ou films de protection) sont utilisés pour préserver intact le travail des polisseurs.

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SALON EPHJ-EPMT-SMT

EUROPA STAR PREMIÈRE | 27

«Les acteurs horlogers se diversifient de plus en plus vers les medtechs»

Par Serge Maillard

Les fournisseurs sont généralement les premiers à faire les frais de la conjoncture horlogère. On voit des fusions, des rachats dans le meilleur des cas, mais aussi beaucoup de liquidations...

Alexandre Catton, responsable du salon EPHJ-EPMT-SMT (DR)

Ce n’est ni la première ni la dernière fois que l’horlogerie traverse une période de turbulences. Mais la période que nous vivons ouvre aussi des opportunités, car les modèles économiques sont en train de bouger, d’être repensés. Dans quel sens? La manière de commercialiser les produits est en train de changer et certaines entreprises de haute horlogerie s’orientent vers plus de personnalisations, de petites productions, demandant une très forte réactiviConcours de l’Institut Horlogerie Cartier 2017

té, avec une importante variation de l’activité. Dans une telle configuration, les sous-traitants peuvent occuper une place très importante. Par ailleurs, la verticalisation des compétences qui a été très fortement à l’œuvre ces dernières années en horlogerie devrait revenir à un mode d’organisation plus horizontal, qui laisse toute leur place aux fournisseurs. C’est tout à fait sensé, car les horlogers se rendent compte que cela permet une meilleure répartition des risques, mais aussi un meilleur potentiel d’innovation, qui se perd à trop intégrer dans une seule structure. Les fournisseurs extérieurs ont besoin d’innover pour survivre, les PME encore davantage que les multinationales. Ils doivent aussi bien le communiquer. Notre salon sert à cela. Vous y organisez également des tables rondes sur l’impression 4D, les nouveaux matériaux et... les horlogers de demain. Une autre grande interrogation concerne en effet le futur de la profession. A quoi ressembleront les métiers de demain et comment assurer la relève? Quelle sera la place de l’homme et celle de la machine? On voit que certaines entreprises communiquent en toute transparence le fait que leur certification de chronométrie est entièrement automatisée. Cette robotisation entraîne une transformation profonde des métiers de l’horlogerie. D’un autre côté, les métiers d’art, l’artisanat, la haute précision, l’action de la main humaine restent très importantes. L’innovation vient de l’homme, pas de la machine. Comment vous assurez-vous que tous les «donneurs de commandes» de l’horlogerie viennent voir vos exposants?

Dylan Parlee

5e

Vaucher Manufacture | Fleurier

Le salon a acquis ses lettres de noblesse et est devenu une référence, il est solidement inscrit dans l’agenda des marques. Nous le promouvons bien sûr activement, et de plus en plus sur les réseaux sociaux, où nous mettons en avant des start-up, des innovations ou de nouveaux accords dans le secteur microtechnique.

DR

Faire le point sur la sous-traitance horlogère en 2017, c’est scruter une industrie en forte mutation. Organisé pour la seizième fois, le salon EPHJ-EPMT-SMT est le baromètre des changements en cours: diversification vers l’industrie médicale, retour à un partage des tâches plus équitable, robotisation... Entretien avec Alexandre Catton, le responsable du salon.

La 16ème édition du salon EPHJ-EPMT-SMT, du 20 au 23 juin à Genève

Il faut dire que les acteurs de la sous-traitance s’ouvrent. La confidentialité à tout prix cède le pas à la nécessité de se faire connaître, d’acquérir de nouveaux clients et de montrer l’innovation dont on est capable. C’est le fruit d’un changement de génération autant que d’une évolution des modèles d’affaires. A la dernière édition de Baselworld, les fournisseurs que nous avons rencontrés semblaient s’interroger sur la pertinence de leur présence à la grand-messe de l’horlogerie... Une opportunité de vous profiler encore plus fortement dans le paysage des salons? En réalité, la plupart des fournisseurs sont déjà à notre salon. Quelques-uns sont encore présents aux deux manifestations, mais nous en accueillons de plus en plus. Notre salon est dédié aux fournisseurs; notre raison d’être est de mettre toute la lumière sur les fournisseurs, vis-à-vis de leurs clients, les horlogers, mais aussi d’encourager les relations d’affaires entre eux. C’est chez nous qu’ils rencontrent leurs clients et leurs pairs, et font des affaires. Nous sommes devenus le plus important salon professionnel suisse. Et, avec plus de 800 exposants, nous occupons la même surface que l’an dernier. Nous avons un taux de fidélisation important, de près de 90%, mais qui nous permet cependant d’accueillir chaque année de nouveaux exposants et d’élargir la gamme de produits créatifs à la disposition de nos visiteurs. Nous ne

souhaitons pas nous étendre davantage, car nous tenons absolument à préserver la convivialité et l’homogénéité de notre événement. Vous vous affichez comme le «premier salon ambassadeur» de la Health Valley. Quelles sont les perspectives dans le domaine de la santé pour les acteurs traditionnels de l’horlogerie? Le secteur médical affiche une croissance annuelle à deux chiffres et la Health Valley a transformé le paysage économique du bassin lémanique. Nous ne sommes pas qu’au cœur de la haute horlogerie, mais aussi d’une activité medtech très dynamique. Bon nombre de fournisseurs horlogers ont l’ambition de se diversifier et d’attirer les acteurs de l’industrie médicale avec leurs produits et leur savoir-faire. Une très belle ambition sur le papier, néanmoins la concrétisation est souvent plus difficile: passer d’une industrie à l’autre reste complexe... Je crois qu’une partie des acteurs a surtout peur de faire le pas ou d’afficher cette polyvalence. A ceux-là, je dis: vous avez l’habitude de travailler en salle blanche, beaucoup de rigueur, des savoir-faire exclusifs, bien souvent toutes les compétences pour réussir dans les technologies médicales! Des expertises mécaniques développées pour l’horlogerie ont tout à fait le potentiel de s’appliquer à la santé également.

Déjà, le tiers de nos exposants ont un pied dans le medtech; et ce taux est beaucoup plus élevé du côté des start-up, souvent actives dans les trois domaines que nous mettons en avant. Lors de cette édition, nous introduisons d’ailleurs le Village des Start-Up où nous accueillons 20 sociétés high-tech en lancement. Par exemple, la technologie d’une start-up comme Athéor, spécialisée dans le marquage unitaire à froid sur le verre, peut être appliquée tant pour les ampoules de vaccin que dans la traçabilité et l’authentification en horlogerie. Nous attirons aussi des acteurs internationaux, venus du Japon, du Danemark ou de Grande-Bretagne, qui sont séduits par la renommée du salon et des perspectives qu’il offre. Par toutes les synergies entre les divers domaines représentés, il forme une entité cohérente et unique.

La Salon EPHJ-EPMT-SMT a lieu du 20 au 23 juin 2017 à Genève – Palexpo, de 9h30 à 18h (9h30 à 16h le 23 juin). Avec votre billet d’entrée, vous obtenez une réduction de 20% sur le voyage en train. Toutes les informations sont sur www.ephj.ch ainsi que sur Twitter @ephj_ epmt_smt et sur LinkedIn.


INDUSTRIE

28 | EUROPA STAR PREMIÈRE

Une taille critique face aux pressions Avez-vous d’autres rachats en tête?

DR

Est-ce que vos récents rachats d’autres sous-traitants compensent les effets du ralentissement horloger?

Après la série de rachats de l’an passé, le groupe Acrotec continue cette année, acquérant coup sur coup trois nouveaux sous-traitants: Gasser-Ravussin, H2i et Mimotec. Et ce n’est pas fini. Employant plus de 600 personnes au sein de 11 entreprises, il s’est profilé comme un catalyseur en période de crise. Alors, en sous-traitance, faut-il désormais se concentrer pour résister aux crises? Entretien avec François Billig, président du groupe Acrotec. Propos recueillis par Serge Maillard

Si une marque horlogère vient vous consulter, que pouvez-vous lui proposer? Nous pouvons lui fournir quasiment toutes les pièces qui composent le mouvement. Si l’on prend l’image éclatée d’un calibre horloger, la seule pièce importante qui nous échappe est... l’échappement. Mais il y a de l’offre en la matière, notamment sur le marché du spiral en silicium. Pourquoi, dans ce cas, ne pas proposer vos propres mouvements? Ce que nous ne voulons jamais faire serait de devenir concurrents de nos clients! Et il s’agit tant de manufactures que de fabricants de calibres.

Il nous arrive cependant de livrer jusqu’à la moitié du mouvement assemblé. Il y a un avantage à l’intégration de plus en plus de compétences et de pièces, c’est que nous livrons de plus en plus de kits. Cela a été tout un parcours: au début nous fournissions des pièces unitaires brutes, puis revêtues, puis des sous-ensembles et aujourd’hui ce sont les kits qui ont la cote. C’est ce qui s’est produit également dans l’industrie automobile, où les sous-traitants ne livraient que des pièces unitaires au départ, avant de se développer. Quels sont les avantages des kits? Aujourd’hui, nous économisons notamment sur la logistique en fournissant directement des kits, car travailler à la pièce unitaire nécessitait davantage d’allers et retours.

Disons qu’il est clair qu’à une époque où l’état du marché est insatisfaisant – notamment les niveaux de stocks – les clients ont tendance à conserver leurs sous-traitants stratégiques. Nous augmentons nos chances de figurer parmi ceux-ci en proposant différentes pièces, d’autant plus si elles sont relativement exclusives. Il y a peut-être 200 fabricants de vis en Suisse, mais que trois fabricants de pare-chocs. Les sous-traitants qui ne se concentrent que sur une opération ont moins de chances de subsister. D’autant que, du fait des investissements qui ont été consentis lorsque les volumes horlogers étaient plus élevés, le parc de machines en Suisse est aujourd’hui beaucoup trop important, par rapport à la production effective. Nous voulons nous profiler sur l’exclusivité. Notre taille critique assure, d’autre part, que nous ne serons pas rachetés par un concurrent. Par ailleurs, nous n’investissons pas que dans l’horlogerie: aujourd’hui, l’électronique se porte beaucoup mieux et nous comptons miser davantage sur le médical. Les activités non horlogères (automobile, médical, aéronautique...) viennent d’ailleurs de dépasser les activités horlogères dans notre chiffre d’affaires, qui s’élève à plus de 150 millions de francs.

DR

Notre coût de production est réduit, et nous pouvons également proposer des produits moins chers. Nous faisons appel à toutes nos ressources: par exemple, nous mobilisons quatre de nos entreprises pour la conception d’un barillet complet. Certaines fournissent le ressort, d’autres l’arbre et d’autres encore le tambour. A la fin, l’horloger a un produit complet et fonctionnel qui facilite le montage. Et nous prenons la responsabilité du produit. Il n’y aura donc pas de «faute» à attribuer à l’interne de la manufacture...

François Billig, président du groupe Acrotec

«Il y a peut-être 200 fabricants de vis en Suisse, mais que trois fabricants de pare-chocs. Les sous-traitants qui ne se concentrent que sur une opération ont moins de chances de subsister.»

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Conception, développement de mouvements à grandes complications manufacturés à Genève

Comment comptez-vous vous «profiler sur l’exclusivité»? Par l’innovation. C’est tout le sens du rachat récent de H2i. Nous intégrons leurs nouveautés à nos compétences en micromécanique. Au salon EPHJ, nous présentons non seulement un appareil de mesure chronométrique qui s’adresse aux particuliers, mais également un second appareil qui permet en plus de démagnétiser la montre. Alors que les problèmes de magnétisme ne cessent de croître et que tous les horlogers veulent des produits amagnétiques, nous nous adressons autant aux collectionneurs qu’aux marques et aux détaillants avec cette innovation.

Ils sont déjà en cours! Le dénominateur commun entre ces rachats est que la micromécanique doit rester notre cœur de métier. Aujourd’hui, on nous connaît davantage et on sait que notre modèle fonctionne: nous sommes donc de plus en plus sollicités, nous ne devons plus engager nous-même le premier pas, notamment dans un contexte de sous-traitance où les successions sont souvent délicates. Nous avons mis en place une structure fédéraliste qui ne dénature pas les entreprises qui la rejoignent, alors que d’autres groupes sont beaucoup plus directifs. Personne n’est «embrigadé», et en même temps nous utilisons la force du nombre. En Suisse et à l’étranger, nos vendeurs font la promotion de toutes les entreprises du groupe. Il faut bien se rendre compte que le marché horloger reste limité et que l’une des pistes d’avenir est l’application de technologies issues de l’horlogerie à d’autres domaines. Déjà, les pierres d’horlogerie peuvent être utilisées dans les buses hydrauliques à haute précision ou dans l’industrie aérospatiale. Mais cela prend du temps si l’on veut le faire sérieusement.

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INDUSTRIE

EUROPA STAR PREMIÈRE | 29

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IMPRESSUM EUROPA STAR PREMIÈRE 25 route des Acacias, P.O. Box 1355, CH-1211 Genève 26 / Suisse Tel: +41 22 307 78 37 / Fax: +41 22 300 37 48 contact@europastar.com Rédaction: Pierre Maillard: pmaillard@europastar.com, Serge Maillard: smaillard@europastar.com, Contributeurs dans ce numéro: Fabrice Eschmann, Olivier Müller, David Chokron, Ollivier Broto, Joël A. Grandjean, Pierre-Yves Schmid, Fabrice Mugnier

originalité

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Ecole Technique de la Vallée de Joux Le Sentier

Publicité, Marketing & Communication: Marianne Bechtel Croze (Bab-Consulting): mac@bab-consulting.com tél. +41 79 379 82 71 Nathalie Glattfelder: nglattfelder@europastar.com Véronique Zorzi: vzorzi@eurotec-bi.com Catherine Giloux: cgiloux@europastar.com Jocelyne Bailly: jbailly@europastar.com Graphisme: Alexis Sgouridis: asgouridis@europastar.com

Direction du groupe Europa Star HBM: Philippe Maillard Éditeur: Serge Maillard Les publications du groupe Europa Star HBM: Europa Star Global Time.Business & Time.Keeper Watch-Aficionado, Watches for China, Horalatina, ES Première, Europa Star Jewels, Eurotec & Bulletin d’informations Sites web & iPad du groupe Europa Star HBM: www. europastar.com, www. watches-for-china.com, www. watches-for-china.cn, www. watch-aficionado.com, www. horalatina.com, www. europastar.es, www. europastarwatch.ru, www.europastarjewellery.com, www. cijintl.com, www.worldwatchweb.com, www. eurotec-online.com Les propos exprimés par les auteurs n’engagent que ces derniers. UNE PUBLICATION D'EUROPA STAR HBM SA. Abonnements: www.europastar.com/subscribe EUROPA STAR, MANUFACTURE ÉDITORIALE HORLOGÈRE DEPUIS 1927


LIVRES

30 | EUROPA STAR PREMIÈRE

Conseils littéraires Par Fabrice Mugnier, watchprint.com

Moonwatch Only: 60 years of Speedmaster Par Grégoire Rossier et Anthony Marquié Cet ouvrage est considéré par de nombreux blogueurs (FratelloWatches, Timezone, Hodinkee...) comme étant l’un des meilleurs livres pour collectionneurs. Il doit son succès à une méthodologie novatrice. La première moitié du livre est consacrée aux éléments qui constituent une Speedmaster: les différents calibres, cadrans, lunettes, boutons. Tout y est décrit permettant ainsi au lecteur de repérer tous les codes d’une Speedmaster. Pour les 60 ans de ce modèle, cette réédition est largement enrichie et se dote de deux nouveaux contributeurs: Petros Protopapas, conservateur du Musée Omega et James H. Ragan, ingénieur à la NASA qui a été le responsable de la sélection des montres pour les astronautes et qui nous relate ici les anecdotes du programme spatial autour de ce modèle. Il dit aussi ne pas connaître d’autres fournisseurs d’équipements pour la NASA qui continuent de livrer leurs produits pour le programme spatial depuis aussi longtemps. 566 pages, anglais, CHF 250.- Edition Watchprint

Patek Philippe: The authorized biography Un grand nombre de livres décrivent les pièces horlogères de Patek, de la montre de poche à la montrebracelet, des ouvrages qui ravissent les collectionneurs du monde entier. A ce jour, aucun ne retraçait réellement le parcours de cette prestigieuse manufacture. Ce récit débute en Pologne, patrie du fondateur Antoine Norbert de Patek avant qu’il ne rencontre en Suisse le génial horloger Jean Adrien Philippe. On y découvre toutes les étapes de son histoire, en passant par le rachat de la manufacture en 1932 par la famille Stern, jusqu’à nos jours. Au cours de plusieurs entretiens exclusifs, Nicholas Foulkes a ainsi pu pénétrer dans l’intimité familiale et faire ressortir des récits et anecdotes oubliées. Ensemble ils ont su exploiter les archives extraordinaires de la marque en nous présentant des photos jusque-là inédites et étonnantes. 544 pages, anglais, CHF 220.- Editions Preface

DR

Par Nick Foulkes

Breguet, Horloger depuis 1775 Par Emmanuel Breguet Parue pour la première fois en 1997, voici la nouvelle édition, mise à jour et augmentée notamment par une iconographie qui prend en compte les pièces acquises par le Musée Breguet depuis l’an 2000. Unique en son genre, cet ouvrage décrit non seulement la vie et l’œuvre très vaste du génial horloger Abraham-Louis Breguet (1747-1823), mais aussi l’histoire ininterrompue de la société Montres Breguet jusqu’à nos jours, avec, notamment, un chapitre consacré à l’action de Nicolas G. Hayek à la tête de la maison de 1999 à 2010. L’ouvrage comporte aussi un important glossaire, une table des montres et pendules illustrées, une chronologie, une bibliographie et un index des noms cités. 452 pages, CHF 130.-

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