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Casio G-SHOCK

L'icône japonaise fête ses 35 ans et ses cent millions de montres vendues. Page 16

EUROPA STAR PREMIERE LE JOURNAL DE L’ÉCOSYSTÈME HORLOGER SUISSE

NO 5/17 (Vol.19) NOVEMBRE 2017 | 7.00 CHF € | EUROPASTAR.COM

ISSN 2297-4008

ÉDITORIAL

par

Serge Maillard

DR

La vente du modèle Daytona de Paul Newman à 17 millions de dollars n’est que la pointe de l’iceberg. Le marché vintage est en train de prendre le pas, en tout cas en terme de croissance, sur celui de la montre contemporaine. Il se produit en horlogerie ce qui a déjà transformé le marché de l’art... Côté pile, les ventes aux enchères des grandes maisons sont portées par plusieurs phénomènes: vrais collectionneurs, vrais investisseurs, arrivée, donc, d’une nouvelle clientèle, plus mature et tout aussi argentée, prête à s’offrir la «perle rare». Côté face, les ventes de particulier à

La vogue du vintage signifie que tout un pan du marché échappe aux maisons horlogères. particulier ou d’agence à particulier sur des plateformes comme Chrono 24, eBay ou Amazon explosent. S’il est impossible de revendre son iPhone 4 quelques années plus tard, une montre des années 1970 en bon état mise en vente par un particulier de Dallas a toutes se chances de séduire un jeune collectionneur en herbe de Londres. Tout Homo Sapiens fait face à deux questions en ce qui concerne le domaine – insignifiant pour la grande majorité d’entre eux – de l’horlogerie. Primo, dois-je porter une montre?

Secondo, est-ce que je me rends dans une boutique voisine ou alors je la commande plutôt sur un site, sans doute de deuxième main? Pour être cynique: trop honnêtes, les marques horlogères suisses! Elles n’ont pas pris le pli de l’obsolescence programmée d’un Apple ou un Samsung, puisque ce concept n’existait pas alors. Des mouvements de qualité durant toute une vie, voilà le credo historique de l’industrie. Résultat: leurs trotteuses d’il y a cinquante ans, si elles ont été correctement entretenues, peuvent aujourd’hui toujours se passer de père en fils comme le veut la publicité... ou de particulier à particulier en ligne! Autant de ventes qui échappent aux marques mêmes dont le label est ainsi échangé... Le e-commerce est en train d’entrer dans les mœurs, y compris sur la montre. Et la tête de proue de ce mouvement en est la montre vintage commandée avec toujours moins de craintes quant son authenticité et son fonctionnement par les jeunes générations. L’alliance d’une nouvelle technologie (le web) avec une très ancienne (l’horlogerie mécanique) signifie tout un pan de marché qui échappe actuellement aux horlogers contemporains. Vous pouvez bien vous vanter de votre iPhone X mais on en rira dans moins dans dix ans. Qui rira en revanche de votre belle El Primero? Certainement pas Zenith... surtout si vous la revendez à quelqu’un qui aurait peut-être fait l’effort d’aller dans leur boutique si vous n’aviez pas mis votre annonce en ligne. Quelques initiatives, encore rares, sont mises en œuvre. Ainsi, Vacheron Constantin est l’une des seules marques ayant son propre département vintage, organisant et encadrant ainsi quelque peu la vente de ses propres modèles anciens. Sera-t-elle bientôt rejointe par d’autres? Pas sûr, tant la vente de seconde ressemble à une «jungle» digitale aujourd’hui, dont on ne sait pas par quel bout commencer. De leur côté, de plus en plus détaillants proposent de la montre de deuxième main, parfois à côté des productions contemporaines. Elles veulent ainsi regagner une part du gâteau perdu.

Photographie Laurent Baillet

Le principal concurrent de chaque marque? Elle-même!

Asie: carnet de voyage Reportage par Serge Maillard

Que se passe-t-il en Extrême-Orient? Europa Star a investigué pendant plus d’un mois sur place, entre Chine et Japon, pour dresser un portrait de la situation horlogère dans ce qui reste le plus gros marché actuel et potentiel de l’industrie horlogère de luxe. Des sous-traitants aux spécialistes du vintage, tous s’expriment sur une situation de transition cruciale pour l’avenir de l’horlogerie. Qu’on le veuille ou non, il n’y aura pas de deuxième Chine pour entraîner une nouvelle décennie dorée... en revanche, la «nouvelle Chine» de Xi Jinping est en marche! Dégageons les grandes tendances du moment, via la parole des acteurs sur place. (Lire le dossier dès page 3) PUBLICITÉ

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Our story, our brand, our passion. Carole & Pierre Dubois


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Slim d’Hermès, L’heure impatiente Se réjouir du temps à venir.

LMH_HQ • Visual: Slim Hermes HI • Newspaper: 01748 30Sep17 Slim Hermes HI (CH) • Language: French Issue: 30/09/2017 • Doc size: 251 x 353 mm • Calitho #: 09-17-124262 • AOS #: HER_01748 • FP 06/09/2017


Asie: carnet de voyage CITATIONS

«Contrairement aux vallons helvètes, on ne trouve que très peu de soustraitants indépendants au Japon, ceux-là même qui «nourrissent» le travail créatif des artisans en leur permettant de concrétiser le fruit de leur imaginaire. Le pays n’a jamais connu le système d’établissage suisse.»

«En Asie, on voit en ce moment une transition du marché de la montre contemporaine vers le vintage.»

«Depuis le tournant de la crise financière de 2008-2009, un assembleur comme Solar Time a créé pas moins de six marques en propre, dont elle gère elle-même la production, le marketing et la distribution.»

«A Shenzhen, les ateliers de la soustraitance horlogère, cette industrie low-tech et en méforme ces deux dernières années, sont repoussés toujours plus loin du centre, face à l’appétit des ingénieurs informatiques et des promoteurs immobiliers très dynamiques.»

(Jessie Kang, Sotheby’s Hong Kong)

«Toute la philosophie de Grand Seiko est basée sur une lisibilité exceptionnelle, un design élégant et une haute précision.» (Shuji Takahashi, président de Seiko Holdings)

«Des 200 modèles Simplicity conçus par Philippe Dufour, son distributeur japonais Yoshi Isogai en a vendus... 127!»

«Les vrais géants de l’horlogerie chinoise n’ont pas de nom, on les qualifie d’OEM (Original Equipment Manufacturer), autrement dit ce sont des usines de montres génériques, fabriquant pour le compte de marques disséminées partout dans le monde. Mais à 4 dollars pièce, ce sont des géants aux pieds d’argile…»

«Il y a une accélération des réformes en cours en Chine sous l’impulsion de Xi Jinping, à commencer par le renforcement de sa place dans les affaires du monde. Cela n’allait pas de soi. Elle avait avant plutôt la tendance de se concentrer sur son propre destin – un peu comme la Suisse!» (Jean-Jacques De Dardel, Ambassadeur de Suisse en Chine)

«Ma plus grande crainte pour le futur serait le scénario d’un désintérêt des jeunes envers l’horlogerie mécanique.» (William Shum, Memorigin)

«Aujourd’hui, nous poursuivons un modèle plus proche de celui d’Amazon que d’une usine horlogère traditionnelle. Tout est codé, scanné et standardisé. Chaque composant peut être suivi individuellement en ligne par le client. C’est une gestion beaucoup plus rapprochée.» (Ben Djeghdir, Montrichard)

«Demain, via la personnalisation et les commandes sur internet, les gens achèteront la montre avant que celle-ci ne soit produite. Il y aura donc une adéquation beaucoup plus grande entre l’offre et la demande, alors que les marchés croulent sous les stocks d’invendus depuis deux ans.» (Vishal Tolani, Solar Time)

Laurent Baillet, photographe. Né en 1978, Laurent Baillet travaille entre Paris et Berlin. Il est notamment l’auteur de la série très remarquée réalisée avec l’artiste chinois Liu Bolin, surnommé l’homme invisible pour sa propension à se fondre littéralement dans le paysage. Les photographies de ce numéro font partie d’une série nommée Mass Culture.

Mon rapport au temps «L’un des aspects de mon travail, dans la série Mass Culture, est l’utilisation de temps d’exposition très longs. Grace à l’utilisation de filtres réduisant la luminosité, je peux ainsi faire des photos aux temps de pose allant de quelques secondes à plusieurs minutes (au lieu de la fraction de seconde habituelle). Ainsi chaque photographie est le résumé en une seule image de tout ce qu’il s’est passé pendant cette durée. Je trouve ce rapport au temps intéressant, car il nous donne une toute autre perception de la réalité. Les foules de mégapoles asiatiques se transforment alors en un flot en mouvement alors que les « décors » figés restent immobiles. En capturant ces rues, leurs symboles gelés dans un instant temporel, on prend la mesure de la place laissée à l’individu dans un système marqué par une excessive standardisation.» Laurent Baillet


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Fierté chinoise retrouvée Pour mieux comprendre les bouleversements liés à la Chine et atteignant le microcosme horloger, il faut prendre un peu de recul pour saisir la profondeur des réformes en cours dans le pays. Notamment un nouvel élan patriotique qui influence les comportements d’achat.

Investissements massifs Quelques chiffres d’abord: sur les 10 principaux ports de conteneurs du monde, 7 se trouvent aujourd’hui en Chine. Sur voie terrestre, le gouvernement de Xi Jinping, reconduit pour cinq ans à la tête de la nation, s’apprête à investir jusqu’à 900 milliards de dollars dans les pays qui seront traversés par la nouvelle «Route de la Soie». Dans la province autour de Pékin, un nouveau pôle scientifique, technologique et économique est en train d’émerger. La province la plus riche du pays, celle du Guangdong autour de Hong Kong et Macao, compte plusieurs cités en pleine croissance. La population de cette zone fait deux fois celle de Tokyo, dix fois celle de San Francisco... Le développement passe d’abord par des investissements énormes dans les infrastructures: 1'100 kilomètres de lignes ferroviaires d’ici à 2020 au nord et 10 à 12 nouvelles lignes de TGV entre les métropoles au sud. Parallèlement, il y a une dépollution en cours des agglomérations chinoises, face à la grogne réelle d’une population n’en pouvant plus de suffoquer sous les dégagements de CO2. Et la Chine va vite... dans les énergies nouvelles comme la voiture électrique, dont elle est aujourd’hui le principal producteur mondial. Tout en mettant en place des mesures prudentielles contre les risques de bulle immobilière, corollaire incontournable de la croissance.

On ne se détourne pas de la Chine. Ni l’Inde ni le Brésil ne remplaceront la classe moyenne chinoise comme championne du consumérisme. «Surtout, la Chine cherche à renforcer sa position dans les affaires du monde. Cela n’allait pas de soi. Elle avait avant plutôt tendance à se concentrer sur son propre destin – un peu comme la Suisse!, explique Jean-Jacques de Dardel, Ambassadeur de Suisse en Chine. Cela aboutit à plus de multilatéralisme, une vision positive du libre-

échange et de la lutte contre le réchauffement climatique et contre le protectionnisme.» L’heure est au retour de la fierté chinoise, après un siècle d’humiliations.

Qu’est-ce que cela signifie pour l’industrie horlogère? Dans les faits, les opportunités demeurent impressionnantes. On ne se détourne pas de la Chine. Même si elle traverse une «crise de la croissance» qui la conduit à se réformer, ni l’Inde ni le Brésil ne remplaceront la classe moyenne chinoise comme championne du consumérisme. Et contrairement à ce que l’on lit souvent, souligne Jean-Jacques de Dardel, «l’économie chinoise se porte bien et sa croissance se poursuit plutôt mieux que prévu. Elle se stabilisera sur l’année à 6.8%. Les prévisions du FMI ont été revues à la hausse et les investissements étrangers sont en croissance... Aujourd’hui, avec une croissance de 6.5% à 7% par an, la Chine ajoute à la richesse mondiale 1,5 à 2 fois la Suisse entière chaque année!» Cette santé de l’économie générale chinoise est principalement due à une amélioration de la santé du secteur industriel chinois, dont les secteurs moteurs sont l’électronique, les métaux, l’automobile et les machines. Quid de l’horlogerie? En termes de produits suisses exportés vers la Chine, la première place revient à la chimie et la pharmacie... mais l’horlogerie est passée en second, dépassant les machines outils grâce à une très forte reprise des exportations horlogères! «Ceci va se poursuivre avec la montée en gamme de la Chine qui a besoin de produits et de services toujours plus sophistiqués, estime Jean-Jacques de Dardel. Les ventes de détail ont crû de plus de 10% durant le premier semestre de 2017.» Jean-Daniel Pasche, président de la Fédération horlogère suisse, nuance quelque peu ce tableau: «Au premier semestre, les exportations vers la Chine ont crû de 21%, apportant avec le Royaume-Uni la plus grosse contribution à un certain rétablissement de l’industrie. Mais Hong Kong stagne à 0.5%, comme Singapour à 0.4%.» Par ailleurs, ces chiffres sont à prendre avec des pincettes, car la croissance s’exprime sur une base

annuelle très favorable, l’année 2016 ayant été très mauvaise et l’industrie étant revenue aux niveaux globaux d’exportation de 2011. Il n’empêche: le commerce de montres semble se déplacer toujours plus depuis Hong Kong et l’étranger vers la Chine continentale... L’industrie horlogère chinoise elle-même en profite, souligne avec enthousiasme selon son représentant rencontré lors du salon horloger de Hong Kong en septembre (lire à ce sujet la «montée en gamme» des acteurs chinois en p. 9). «Les profits et la qualité des montres s’améliorent. L’an passé, plus de 300 millions de montres ont été exportées, en hausse de +11.78%. Le principal défi reste de convaincre les gens de porter des montres chinoises!»

Quel avenir pour Hong Kong? Pour mieux comprendre l’avenir horloger de l’ancienne colonie britannique – historiquement le premier marché au monde pour l’industrie horlogère suisse – nous rencontrons Francis Gouten, ancien CEO de Richemont Asie-Pacifique, installé depuis 1980 à Hong Kong.

Francis Gouten

«Hong Kong était devenue une poule aux œufs d’or horlogère profitant de l’essor et de l’afflux de capitaux et de visiteurs chinois, avec des détaillants comme Chow Tai Fook qui possède aujourd’hui 2'000 magasins! Les marques ont aussi saisi cette opportunité mais ont ouvert trop de point de ventes, y compris en Chine continentale. Elles se sont engouffrées dans la brèche sans prévoir quand ça s’arrêterait. Xi Jinping a mis un frein à la corruption. Tout cela est parti des nouveaux réseaux sociaux: on a vu des photos des sacs et des montres de luxe au congrès annuel du parti communiste...» Finie l’époque où l’on pouvait trouver des clés de Mercedes dans un moon cake traditionnel, offert par un notable... Il y a à présent une restructuration de la distribution à Hong Kong. Quand ils ne ferment pas des points de ventes, des géants comme Chow Tai Fook ou Emperor ont tendance

à mettre davantage l’accent sur le bijou. «La bijouterie est le nouveau marché porteur, car il y a une nouvelle classe de femmes qui travaillent, ne sont pas mariées et achètent ellesmêmes», souligne Francis Gouten. Parallèlement, les acheteurs chinois sont devenus plus matures, poursuit le spécialiste. «C’est en train de devenir un marché comme les autres et les horlogers doivent l’accepter! Les Chinois aisés mais aussi la classe moyenne consacrent aujourd’hui comme les Occidentaux de plus en plus d’argent à des «expériences». Autrefois, la première raison de voyager était l’achat, aujourd’hui c’est la découverte culturelle.» Pour autant, Hong Kong peut elle rester le marché directeur de l’Asie

pour l’horlogerie? Oui, répond sans hésiter Francis Gouten. La Chine a besoin de Hong Kong: même si une reprise en main politique est en cours, Shanghai ne va pas la remplacer comme plaque tournante horlogère. Les gens gardent l’habitude de se déplacer pour acheter des produits de luxe. Hong Kong n’est pas indépendante mais elle a encore de beaux jours devant elle.» Enders Lam, président de la Hong Kong Watch Manufacturers Association voit quant à lui l’avenir de la ville dans un accroissement des ventes aux locaux. «Nous restons un très gros producteur et consommateur de montres, malgré l’instabilité économique. Il s’agit aussi d’investir dans de nouvelles formes de produc-


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Photographie Laurent Baillet

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tion comme la montre connectée et d’améliorer notre compétitivité.» Son confrère Harold Sun confirme lui que la «décennie dorée» qui a duré de 2004 à 2014 avec la suppression des visas depuis la Chine est finie, sous le coup des tensions politiques entre Hong Kong et Pékin, de la campagne anti-corruption et du cours de change. Il note toutefois un marché en remontée légère, du fait des relations qui s’améliorent avec la Chine et de la baisse du dollar de Hong Kong: «Le commerce de détail est en train de se stabiliser et les stocks en train de baisser. Les détaillants hongkongais essaient de capter davantage de clientèle locale et de nouer des partenariats avec des revendeurs chinois.»

Un tour à la foire de Hong Kong Les évolutions de marché exposées dans ce dossier étaient très perceptibles à la dernière édition de la Watch & Clock Fair de Hong Kong, tenue en septembre: sous-traitants locaux présentant leurs propres marques, présence accrue d’acteurs investissant les nouvelles technologies connectées, détaillants dans le doute, horlogers de Chine continentale en pleine confiance... Et quelques marques suisses, tout de même! Elles étaient notamment réunies au sein du pavillon SIWP. Anonimo, par exemple, plus haut de gamme que la moyenne lors de

cette foire mais qui souhaite ouvrir le marché chinois et déjà Hong Kong d’ici la fin de l’année... tout en recevant des visites intéressantes de représentants potentiels en Russie et en Australie! De son côté, Adriatica participe à la foire depuis plus neuf ans: «Il faut être présent sur le long terme pour réussir. Mais la Chine reste un marché complexe pour faire des affaires. L’objectif principal reste de développer la distribution en Asie, mais nous vendons aussi en direct sur cette foire. Et nous en profitons pour rencontrer nos fournisseurs.» Le dernier jour du salon, les ventes directes étaient justement nombreuses, également en face chez Mathey-Tissot. «Notre marché-clé reste le Moyen-

Orient. Ses représentants viennent à Baselworld mais aussi à Hong Kong. L’an dernier, nous avons par exemple ouvert Oman grâce à cette foire. Ce que l’on remarque cette année, c’est que les clients ne commandent pas moins de quantités mais des montres moins chères. Nous sommes à présent en discussion pour ouvrir le Vietnam, la Chine, l’Indonésie... Mais il faut que cela se concrétise.» Avec 50 montres produites par an, WatchE mise quant à elle sur la vente directe, tout en cherchant un agent local à Hong Kong: «Les Japonais me correspondent peut-être mieux car ils ont une plus grande maturité horlogère que les Chinois!» Parole, enfin, à Amarildo Pilo de la marque éponyme, qui a réuni ces marques

au sein du SIWP: «J’ai mis la priorité sur la Chine continentale depuis plus de 10 ans, où je fais aujourd’hui 60% de mon chiffre d’affaires. Mes partenaires chinois viennent me voir lors de la foire mais je rencontre aussi des gens d’autres marchés, comme l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, la Turquie ou la Russie. Quand on se regroupe sur un pavillon suisse commun comme ici, on attire trois fois plus de visiteurs que si l’on exposait seul.» Trouver un nouvel équilibre entre une Chine continentale en pleine confiance et une cité de Hong Kong en plein doute, face à des comportements d’achats en plein changement, voici le défi qui attend tous les producteurs horlogers, quel que soit leur positionnement prix...


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Shenzhen: les grandes mutations de l’«usine du monde» horlogère C’est à côté de Hong Kong, à Shenzhen, que l’on trouve traditionnellement les producteurs d’une très grosse proportion des montres et composants utilisés dans l’horlogerie mondiale. Mais de forts changements sont à l’œuvre: l’industrie horlogère offre moins de valeur ajoutée que d’autres activités et est repoussée toujours plus loin; les assembleurs en manque de commandes fusionnent ou ferment... ou encore lancent leurs propres marques! En toile de fond, c’est toute la chaîne logistique qui doit se transformer. Visite et analyse.

La «gentrification» de Shenzhen Une ville bien aérée et «verte», foisonnant de vélos électriques et qui compte même un petit quartier hipster et un centre commercial inspiré du monde marin. Copenhague? Non, Shenzhen! Le trait est un peu forcé mais la «gentrification» est bien en cours dans cette ville «usine du monde» de 12 millions d’habitants, à proximité immédiate de Hong Kong, au cœur de cette fameuse zone économique du Delta de la rivière des perles, une mégalopole de 66 millions d’habitants. Déjà, l’industrie du textile a dû quitter les ateliers de la métropole pour se relocaliser dans des pays à main d’œuvre encore moins chère, notamment au Vietnam, ou dans d’autres provinces chinoises. Deux secteurs dominent tout, désormais: le hightech, dont l’un des emblèmes est le géant Apple qui est en train d’y installer un nouveau centre de R&D. Et l’immobilier, bien sûr, avec des prix qui ont tendance à grimper presque aussi vite qu’à Hong Kong, la deuxième ville la plus chère au monde. Sans oublier l’importance constante de la finance. Traditionnellement, les assembleurs horlogers ont leur siège social à Hong Kong et leurs usines de l’autre côté de la frontière, à Shenzhen. Mais les ateliers de la sous-traitance horlogère, cette industrie low-tech et en méforme ces deux dernières années, PUBLICITÉ

sont repoussés toujours plus loin du centre, face à l’appétit des ingénieurs informatiques et des promoteurs immobiliers très dynamiques. «Nous allons devoir déménager d’ici quelques mois. Mais nous en profiterons pour agrandir de trois fois notre surface de production», explique Rémi Chabrat, fondateur de l’assembleur Montrichard, qui travaille notamment pour Timex mais aussi TW Steel. Même constat chez Vishal Tolani, patron du groupe de manufacturing Solar Time: «Shenzhen est en train de devenir le centre mondial de l’Internet of Things, un hub pour jeunes ingénieurs de talent. Ce sont des branches à très forte valeur ajoutée. Par ailleurs, vous pouvez gagner dans l’immobilier dix fois ce que vous faites dans l’horlogerie à Shenzhen si vous vendez votre site industriel pour le transformer en complexe résidentiel.» «Shenzhen est en train de devenir toujours plus cher, constate Ming Hung, de l’assembleur Team Gain. Certains producteurs déménagent à Dongguan ou Huizhou (respectivement 8 et 4 millions d’habitants, ndlr). Parfois, les autorités vous expulsent de Shenzhen, car ils ont besoin de place pour d’autres activités à plus forte valeur ajoutée ou pour des aires résidentielles, notamment avec la prolongation de la ligne de métro! Dans quelques mois, notre fabrique se retrouvera connectée à une nouvelle ligne de métro et j’ai peur qu’ils nous forcent à partir...»

Pour l’assembleur, Shenzhen essaie à présent de devenir un nouveau Hong Kong, c’est-à-dire de se débarrasser des usines et de se concentrer sur les services. Résultat: l’horlogerie s’éloigne toujours plus de Shenzhen et ne constitue plus une priorité gouvernementale face à ces industries à plus forte valeur ajoutée. De plus, le marché est moins porteur. Alors, que faire?

Concentrations et fermetures Impossible pour l’heure de déménager dans d’autres provinces ou d’autre pays, car c’est autour de Shenzhen que se trouve tout l’écosystème horloger sans lequel les assembleurs se retrouveraient démunis. «Nous avons plus de 3'000 fournisseurs dans la région!, s’exclame Ming Hung, de Team Gain. Par ailleurs, notre principal client a sa filiale locale à Shenzhen.» Responsable des opérations chez Montrichard à Shenzhen, Ben Djeghdir explique que tous les sous-traitants se trouvent dans un rayon de 50 kilomètres. «Nous devons rester proches d’eux, car nous devons exercer un strict contrôle qualité sur eux. Et c’est sur place que nous trouvons des gens qui sont déjà qualifiés et ont déjà travaillé dans l’assemblage horloger.» Le responsable poursuit: «Shenzhen s’est bien développé dans l’assemblage horloger mais cela reste très manuel. Il y a très peu de robotisation et une main d’œuvre encore importante. L’horlogerie suisse s’automatise pour des raisons de coût, car la main d’œuvre y est très chère. Ici, cela ne va pas changer.» Puisqu’il n’est pas réellement possible de baisser encore le coût de la main d’œuvre pour pallier le baisses de commande, on assiste pour part à un phénomène de concentration et de rachats dans le secteur de la sous-traitance. Certains gros assembleurs ont aussi perdu leur licence: c’est le cas de celui qui produisait les montres Puma, Esprit et Givenchy. «Le problème, c’est que beaucoup de sous-traitants ont vu le marché changer mais n’ont eu aucune réac-

tion. Et les marques qui ont retiré leurs licences ne vont pas mieux aujourd’hui», constate Ben Djeghdir. De son côté, Ming Hung s’estime «chanceux» de pouvoir travailler à 90% pour une grande marque japonaise, qui continue à bien se porter. «Le marché change fortement. Aujourd’hui, beaucoup de nos clients sont en difficulté: l’un d’entre eux qui nous commandait encore deux millions de montres il y a cinq ans n’ en produit plus que 800'000 aujourd’hui. Nous faisons face à moins de clients et à des clients qui commandent moins.»

Ming Hung, Team Gain

Ici, tout est encore assemblé à la main. «Au total, nous produisons 5,5 millions de montres par an, la plupart sont des montres entrée de gamme en plastique à écran LCD et à batterie mais nous avons aussi des clients américains ou suisses et nous produisons également des montres analogiques avec des mouvements quartz. Nous ne pouvons pas automatiser l’assemblage car les références sont trop nombreuses. Ce ne serait pas sensé d’un point de vue économique.» Alexander Meerovitsch, le fondateur du sous-traitant Optimo Group, est installé depuis 22 ans à Hong Kong. «Les groupes américains de fashion se sont alliés à des sous-traitants comme nous, ils nous ont confié la production pour pouvoir se concentrer sur le marketing et la distribution. Il y a eu un âge d’or pour la sous-traitance ici, dont tout le monde profitait. Mais maintenant tout a changé et il faut modifier sa manière de penser.» Avec la crise, certains sous-traitants abandonnent l’horlogerie ou se diversifient. «Par exemple, ceux qui fabriquaient des verres pour montres en produisent à présent pour les marques de smartphones, souligner Vishal Tolani de Solar Time. D’ailleurs, moi-même, je n’engage plus uniquement des gens issus de l’industrie horlogère mais de plus en plus d’ingénieurs, issus de l’univers high-tech.»

D’autres assembleurs ont fait un choix différents: ils ont décidé de se lancer en propre!

Quand les soustraitants lancent leur propre marque Au-delà de la montre connectée ou de la baisse d’appétence pour la montre à travers le monde, une nouvelle génération de marques a bouleversé le domaine de la montre entrée de gamme, dont les répercussions se font sentir jusqu’à Shenzhen, chez les assembleurs, ou à Dallas, au siège d’un leader mondial de la montre fashion comme le Fossil Group. Chaque jour, pratiquement, de nouvelles marques naissent sur des plateformes de crowdfunding comme Kickstarter. Et celles-ci ne sont pas tant le fruit de geeks de la montre que de spécialistes issus du monde digital. Presque toutes frappent à la porte des principaux assembleurs de Shenzhen. «Nous sommes sans cesse sollicités et prenons de nouvelles marques mais les sélectionnons très minutieusement», souligne Rémi Chabrat de Montrichard. Car ces marques visent une nouvelle clientèle de digital natives, avec un design au ton souvent classiciste ou vintage, dans la lignée de marques ayant percé comme Cluse ou Daniel Wellington. Leur but: consacrer un maximum de moyens à la communication digitale, pour créer une communauté d’acheteurs en ligne. La qualité du produit, elle, ne vient pas en priorité dans l’esprit de ces entrepreneurs souvent extrêmement jeunes. Leur aspect doit être impeccable en revanche et leur promotion extrêmement soignée. Priorité à la valeur perçue! «Aujourd’hui, le plus grand changement est la migration sur le digital et les réseaux sociaux, observe Vishal Tolani. De nouvelles marques nous sollicitent pour que nous nous occupions de la production de A à Z et qu’elles puissent se concentrer uniquement sur le marketing digital. Nous sommes entrés dans l’âge de la disruption et tout change très vite. Or, si nous avons vécu une belle période depuis 2001, nous avons fait l’erreur de ne pas nous diversifier assez et au final de trop dépendre de quelques clients en tant que sous-traitants.» Faut-il accepter ces nouveaux venus – quitte à accentuer une dépendance à des start-up encore plus fragiles que les groupes fashion plus gros, clients traditionnels eux-mêmes en difficulté? Et pourquoi mettre tout un appareil de production au service d’acteurs aux moyens limités, qui investiront en priorité dans leur propre marketing digital?


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considérons d’abord comme une société horlogère.» Il n’empêche que le changement ne s’opérera pas en une nuit et que la sous-traitance restera une activité primordiale dans la région de Shenzhen. Alors, comment améliorer les processus?

McCabe

Repenser la chaîne logistique

Un nombre croissant d’acteurs de la sous-traitance, entre Hong Kong et Shenzhen, entend atténuer cette dépendance à des acteurs en difficulté économique ou aux moyens limités. Comment? En mettant leur appareil de production au service de... leurs propres marques! L’heure est à la diversification des revenus. Depuis le tournant de la crise financière de 2008-2009, Solar Time a ainsi créé pas moins de six marques en propre, dont elle gère elle-même la production, le marketing et la distribution. «Aujourd’hui, nous produisons entre 1,2 et 1,5 million de montres par année, à 60% pour des tiers et à 40% pour nos propres marques, explique Vishal Tolani. Cela a nécessité de développer des compétences différentes, en marketing, photographie, etc. Ce n’est pas quelque chose de «naturel» dans une région qui s’est toujours davan-

tage concentrée sur la production.» L’équipe vise plusieurs «tribus» de niche avec ses marques, positionnées entre 100 et 800 dollars: par exemple, Avi-8 s’adresse aux passionnés d’aviation; McCabe est destinée aux amateurs de café; Dufa, une ancienne marque allemande, a été ressuscitée avec un design Bauhaus... «C’est une marque d’origine allemande pilotée par une compagnie horlogère basée à Hong Kong avec un Indien à sa tête! C’est un effet de la mondialisation, mais l’industrie horlogère se méfie encore de cela.» De son côté, Optimo Group vient de lancer Perry Ellis, en collaboration avec la marque fashion américaine du même nom et sur un positionnement prix de 150 dollars. «Comme la sous-traitance est en baisse et que les marges ont baissé dans cette activité, nous sommes

dans un effort de diversification avec ce nouveau défi et nous allons aussi lancer sous peu une marque Swiss made en propre, baptisée Nove», explique son patron Alexander Meerovitsch. De nouvelles infrastructures doivent être développées et il s’agit pour lui de trouver la bonne formule sur deux axes «O to O»: online to offline et offline to online. Présente au salon horloger de Hong Kong en septembre, la nouvelle marque est en voie de distribution en Chine, Corée du Sud, au Japon, en Asie du SudEst, en Afrique du Sud, Egypte ou encore Inde... et bien sûr en ligne. «A présent, nous devons apprendre un nouveau métier autour du marketing et plus uniquement la production», admet Alexander Meerovitsch. Il y a beaucoup d’acteurs fashion et du prêt-à-porter qui font des montres mais nous nous

Chez Montrichard, on a aussi lancé sa propre marque, baptisée Grayton. Mais d’abord comme «vitrine» de nouvelles capacités et d’une nouvelle manière de penser la chaîne de production. Cela passe par une adéquation beaucoup plus fort et instantanée entre les commandes des marques et les capacités des assembleurs. But: éviter les stocks démesurés et invendus... et remplacer 10 millions de stocks par 800'000 dollars. En toile de fond, éviter surtout le goulet d’étranglement de liquidités insuffisantes. Cela passe, dans le cas de Montrichard, par le développement d’un logiciel de gestion purement horloger baptisé FINS (Flexible Industry Solutions), alors que nombre de marques utilisent de grands logiciels standards comme SAP. Un logiciel de gestion développé dans un centre informatique de Montrichard aux Philippines, d’où la firme propose aussi des services marketing comme du suivi de blogging ou de la création de sites et de contenus. En apparence, l’atelier de Montrichard ne diffère guère des autres. C’est dans l’adéquation des commandes que tout se joue. «Nous voulons faire correspondre offre et demande: une meilleure gestion des liquidités et des stocks grâce à une meilleure prévisibilité des commandes.» Ben Djeghdir enchaîne: «Comment réglez-vous les problèmes d’une marque horlogère au niveau des flux financiers? Vous écrasez les stocks! Nous améliorons le cash flow et nous augmentons les ventes en suivant les tendances à la minute. On passe de 20 millions de chiffre d’affaires 6 millions de stocks à 21 millions de chiffres d’affaires et un million de stock.» D’autres industries sont beaucoup plus avancées du point de vue de la digitalisation des commandes du manufacturing. «Par exemple, vous pouvez personnaliser très facilement vos baskets Converse sur le site de Nike. Même chose chez Zara, H&M et Uniqlo. C’est à la fois très fluide et très simple.» «Aujourd’hui, nous poursuivons un modèle plus proche de celui d’Amazon que d’une usine horlogère traditionnelle. Tout est codé, scanné et standardisé. Chaque composant peut être suivi individuellement en ligne par le client. C’est une gestion beaucoup plus rapprochée. Tout est intégré dans un même système d’ERP. Ce système est constamment en développement et offre notamment du reporting et des fonctions comme les performances de chaque modèle par couleur ou par

pays. Le but est de personnaliser la production pour être au plus près du marché.» «Nous avons déjà accès aux stocks de nos fournisseurs, nous faisons juste l’assemblage donc nous pouvons faire des productions très limitées. Nous standardisons les composants afin de mieux les gérer et d’arriver à un meilleur «time to market». Nos clients sont des marques horlogères qui peuvent faire face à des problèmes de sell-out et d’inventaires datant d’une année. Nous «éclatons» leurs modèles par composants et traçons combien de boîtiers sont disponibles chez nos fournisseurs. Le but final est de fluidifier les processus, que tout soit plus rapide et plus personnalisé, et travailler en flux tendu, avec une bonne gestion de base des données et des stocks. Comme dans l’industrie automobile.» Le premier client historique de ce système a été Disney. Montrichard vient par ailleurs d’annoncer un partenariat avec le géant américain Timex pour la mise en œuvre du logiciel FINS, dans le but d’accélérer drastiquement son time-to-market. «Le but est de changer de dynamique, passer d'un processus de vente basé sur le stock à un modèle piloté par la demande», explique Tobias Reiss Schmidt, Président & CEO de Timex Group. «Nous connaissons parfaitement le nombre de composants que nous avons en stock et les clients peuvent savoir en temps réel la quantité à disposition et le temps de commande, souligne Jérôme Sollier, directeur de l’usine de Shenzhen de Montrichard. Aujourd’hui, les fournisseurs chinois sont restés sur une mentalité où la gestion des données n’est pas prise en compte. Ils font de l’assemblage simple.» Mais aujourd’hui, l’horlogerie rencontre l’informatique. «C’est différent de l’automatisation: on parle ici essentiellement d’une meilleure gestion logistique. Des marques comme Daniel Wellington ou Cluse ont leurs assembleurs à Shenzhen mais ils doivent les payer 30% à l’avance. A un moment donné, cela peut créer des goulets d’étranglement au niveau des liquidités, lorsqu’on se retrouve avec des stocks excessifs. Le fond du problème, c’est qu’aujourd’hui, les marques paient leurs fournisseurs et assembleurs à la commande. Nous proposons de ne payer la montre que lorsqu’elle a déjà été vendue. C’est une grosse différence et cela répond au défi des liquidités et des stocks.» Pour Vishal Tolani de Solar Time, «le processus de production horlogère est en train de s’inverser. Jusqu’à présent, la marque planifiait avec ses détaillants et distributeurs la production en volumes et la répartition géographique des collections. Demain, via la personnalisation et les commandes sur internet, les gens achèteront la montre avant que celleci ne soit produite. Il y aura donc une adéquation beaucoup plus grande entre l’offre et la demande, alors que les marchés croulent sous les stocks d’invendus depuis deux ans.»


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8 | EUROPA STAR PREMIÈRE

Qui sont les vrais géants de l’horlogerie chinoise? Selon les statistiques de la Fédération horlogère suisse, la Chine (continentale) a exporté en 2016 plus de 652 millions de montres-bracelets! C’est de très loin le plus grand producteur mondial. Officiellement, l’Association horlogère chinoise annonce 253 manufactures, ce qui correspondrait à 2,5 millions d’unités en moyenne par entreprise! Quand on sait que la Suisse n’a exporté «que» 25,4 millions de montres, on est curieux de connaître les mystérieux géants de l’industrie horlogère chinoise. Par Jean-Luc Adam, shenzhen

C’est à la foire horlogère de Shenzhen, fin juin, que nous avons tenté de dénicher ces «big players», chiffres à l’appui. Pourtant, les marques chinoises connues et couramment commercialisées se résument à SeaGull, Starking, Tian Wang, Rarone, Fiyta (prononcer «Fi-ya-ta»), Ossine, Peacock, Golgen, Casiden, Poscher, Rosdn, Bowdor, Runosd, Geya, sans oublier Rossini, Ebohr et

l’une des plus anciennes (1958), la Beijing Watch Factory. En incluant les montres digitales, sportives et connectées, ajoutons en gros une vingtaine de marques. Ça fait combien d’unités en tout? En m’adressant à l’Association horlogère chinoise, je pensais obtenir ces chiffres en dix minutes d’interview. En fait, il m’a fallu quatre jours de négociations avec le service de presse pour obtenir l’interview de l’un de ses membres. Ceux

appartenant «au parti» ne sont, paraît-il, pas autorisés à faire des déclarations aux médias et les autres étaient soi-disant surbookés... Ce que je croyais simple à obtenir s’annonce mission impossible. «En Chine, les chiffres sont variables afin de permettre une variation d’interprétations», m’explique le plus sérieusement du monde un membre de l’Association horlogère de Canton, lui aussi incapable d’articuler le moindre chiffre de production, de vente ou d’exportation. Quant aux patrons des marques eux-mêmes, ils peuvent annoncer n’importe quel volume, c’est absolument invérifiable à notre niveau.

Le véritable géant, c’est lui! La fourchette des prix de vente des marques précitées va d’une centaine de yuans (15 francs) pour une simple montre à quartz à plus de 100’000 yuans (15’000 francs) pour un tourbillon. Or, le prix d’exportation moyen n’est que de 4 dollars pièce! On comprend dès lors vite que les

vrais géants de l’horlogerie chinoise n’ont pas de nom, on les qualifie d’OEM (Original Equipment Manufacturer), autrement dit ce sont des usines de montres génériques, fabriquant pour le compte de marques disséminées partout dans le monde. Mais à 4 dollars pièce, ce sont des géants aux pieds d’argile… Tel est en tout cas l’avis de l’Association horlogère qui, lors du forum d’ouverture de la 28ème foire horlogère de Shenzhen, salue le plan «Made in China 2025» lancé en 2015 par le gouvernement central qui représente une nouvelle phase industrielle: sur dix ans et dans dix secteurs d’activité, l’OEM devra se transformer en «made in China» grâce, notamment, à une élévation

«Un milliard de montres produites en Chine» Propos recueillis par Jean-Luc Adam

Europa Star: Qui sont les plus gros producteurs en volume? Shunhua Zhu: C’est difficile à dire car les entreprises qui fabriquent le plus sont de production OEM, parfois jusqu’à 10 millions de pièces exportées à 2 ou 3 dollars l’unité et destinées aux marchés africains ou sud-américains. On peut donc affirmer que les géants de l’horlogerie chinoise sont de production OEM? Très majoritairement.

Au niveau des marques, pouvezvous nous donner un classement en termes de volume? Légèrement au-dessus de 1 million d’unités par an, on trouve les marques Fiyta, Rossini et Tian Wan. Sea-Gull et Ebohr ont produit 800’000 pièces, Starking, Geya et Poscher 600’000 montres chacune. Quant à la Beijing Watch Factory (voir interview en page 9), qui vise le moyen et haut de gamme, elle fait un chiffre d’affaires supérieur à ces dernières marques, bien qu’elle ne vende que 100’000 pièces environ.

Hong Kong a exporté 241 millions de montres en 2016, toujours selon la Fédération horlogère suisse. Avouons-le, elles sont en réalité «made in China», n’est-ce pas?

Revenons aux marques chinoises, en particulier au segment haut de gamme qui a augmenté de 10,9% l’an passé! Pour un profit annoncé à 46 millions de yuans (6,6 millions de francs suisses), les volumes sont apparemment faibles…

Oui à 99,9%! Même l’assemblage se fait en Chine. Et cela parce que toutes les marques hongkongaises se sont délocalisées en Chine continentale. Seul le siège des marques est resté à Hong Kong. Alors si on additionne 241 millions de montres de Hong Kong aux 652 millions de montres exportées et en ajoutant le marché intérieur chinois, combien la Chine a-telle produite de montres au total en 2016? 1 milliard de montres!

Impressionnant! Mais au fait, à l’heure de la loi Swissness qui impose au minimum 60% de valeur nationale pour une montre «Swiss made», quels sont les critères du «made in China» et du «made in Hong Kong»?

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En Chine, c’est très simple: si l’assemblage est réalisé dans le pays, c’est «made in China». A Hong Kong, c’est le mouvement qui détermine la nationalité d’une montre. Si elle contient un mouvement japonais, elle est made in Japan, si elle a un mouvement chinois, elle est made in China.

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Face à moi, l’émérite Monsieur Shunhua Zhu (朱舜华), co-fondateur de la foire horlogère de Shenzhen et membre de l’Association horlogère depuis 1988.

de la qualité. Mais attention, l’industrie horlogère ne fait pas partie des secteurs concernés. Peu importe, les médias invités s’en contentent en applaudissant des deux mains... Pour la énième fois, je prie le service de presse de m’organiser une entrevue avec un responsable, mais cette fois je décide de m’exprimer en chinois: «Mettez-vous à ma place, imaginez-vous journaliste chinois faisant 10’000 km pour couvrir Baselworld et se voir refuser la moindre interview!» Intriguée, Madame Yang Jingwen, éminente personnalité de l’Association horlogère chinoise depuis 1999, sort de son bureau les yeux tout ronds: «Mais c’est qu’il parle chinois! Je vais vous trouver un interlocuteur». Sésame, ouvre-toi…

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Là, je ne peux vous donner de ranking car, en fait, il y a plusieurs marques (Beijing, Sea-Gull, Ebohr) qui font de très petits volumes dans le haut de gamme. Il s’agit pour eux de montres à tourbillon ou de métiers d’art qui leur permettent de se forger une image de marque.


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Défi: gagner ses lettres de noblesse horlogères

CHINE

Beijing Watch Factory et Fiyta joignent leurs forces Depuis octobre 2016, la «Beijing» et Fiyta ont conclu un partenariat de complémentarité qui pourrait engendrer le meilleur de l’horlogerie chinoise. Interview du nouveau directeur de la Beijing Watch Factory, Monsieur ChuangYue Xu (徐创越). Propos recueillis par Jean-Luc Adam

Europa Star: Pour la Beijing Watch Factory, quel est l’avantage de ce partenariat avec Fiyta? ChuangYue Xu: D’abord, la «Beijing» profite du réseau de distribution tentaculaire de Fiyta (le réseau de distribution Harmony, ndlr). Ensuite, le marketing et surtout le design se font désormais dans les bureaux de Fiyta. Ainsi, la Beijing peut se concentrer sur son cœur de métier, la manufacture de mouvements. Même nos cadrans émaillés ou brodés sont élaborés en externe, mais par des artistes de Pékin.

Fiyta est la marque horlogère chinoise la plus connue à l’international: c’est le chronométreur officiel de l’Agence spatiale chinoise depuis 2003 et un exposant de la prestigieuse Halle 1 de Baselworld depuis 2010. Elle est aussi leader en termes de volumes de vente et la marque plus avant-gardiste en design. Seul bémol, elle s’est toujours contentée de calibres étrangers. A l’opposé, la vénérable Beijing Watch Factory reste chinoise jusqu’au bout des aiguilles: production de mouvements mécaniques, automatiques et de grandes complications 100% manufacture!

Lors de notre visite en 2011, les aiguilles et boîtes étaient également produites sur place, n’est-ce plus le cas?

CHINE

Cambodge ou encore en Thaïlande, poursuit Bruce Cho. Nous disposons de 10'000 points de vente dans toute la Chine! La croissance est au rendez-vous et nous ne cessons de grandir même si cette croissance a pu ralentir ces dernier temps. Nous nous concentrons à présent en particulier sur l’Asie du Sud et sur les nouvelles générations d’hommes et femmes d’affaires.» Les avantages que la marque entend mettre en avant: un bon design et de la qualité à un prix accessible. Mais la marque compte aussi sur des modèles plus haut de gamme, dont un modèle tourbillon proposé à 15'000 RMB. Nous proposons un bon design, un prix accessible et de la qualité. «Pour l’instant, nos mouvements sont livrés par Citizen et Seiko. Mais nous prévoyons de lancer notre propre mouvement dans un futur proche!»

Rossini et Ebohr en force Basée à Zhuhai à proximité immédiate de Hong Kong, Rossini a été fondée en 1987, où elle emploie environ 800 employés. «Nos prix moyens se situent entre 1'000 et 3'000 AMB et nous disposons d’environ un millier de références, organisées autour de deux séries principales, Sport et Business», explique Bruce Cho, responsable des ventes. Sa compagnie-sœur Ebohr est quant à elle positionnée un peu moins haut de gamme et est également propriété de Citiychamp. «Notre production est principalement automatique et nous vendons nos montres en Chine, mais aussi au Royaume-Uni, à Singapour, au

Non! Et cela à la fois pour des questions de coûts et de qualité. Les boîtes sont usinées dans la province méridionale de Guangzhou, chez un fournisseur de qualité. Jusqu’ici, la «Beijing» était une marque destinée à une élite chinoise. En découvrant la nouvelle collection, on est surpris par un design jeune et audacieux. La Beijing viset-elle un public plus large?

Attention, c’est l’un des problèmes en Chine, un prix bas laisse supposer une moindre qualité! En effet, notamment pour des grandes complications. «Comment pouvez-vous vendre un tourbillon à ce prix alors que c’est inaccessible sur les marques internationales?», nous demandent les clients suspectant une qualité douteuse. D’une part nous maîtrisons ces techniques et, d’autre part, nous visons désormais une clientèle plus jeune et non fortunée. Votre gamme de mouvements en 2011 était déjà impressionnante: tourbillon, double tourbillon, eight days tourbillon, minute repetition tourbillon, orbital tourbillon et un mouvement mécanique à double échappement offrant 100 heures de réserve de marche… De nouvelles complications se sont-elles ajoutées depuis lors? En 2015, nous avons conçu un nouveau calibre à tourbillon, le TB10, dont la particularité est de ne mesurer que 2,8 mm d’épaisseur. C’est le plus fin de la production chinoise et le deuxième plus fin au monde. Sa phase de fiabilisation se termine actuellement. Lors de notre visite d’usine, en 2011, les machines-outils étaient suisses HONG KONG

Memorigin: démocratiser le tourbillon William Shum est l’une des personnes qui incarne le mieux l’«esprit de Hong Kong»: natif de la cité, l’entrepreneur a étudié la finance à l’Université de Cornell aux Etats-Unis. Mais l’éruption de la crise financière rend les choses plus compliquées que prévu. A Hong Kong, son père possédait une usine de 900 personnes dédiées à la production de mouvements pour montres mécaniques. «J’ai consacré ma thèse à un cas d’étude. Et c’est là que j’ai découvert qu’elle produisait entre autres un mouvement à tourbillon! C’était donc une société assez mature du point de vue technique.»

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libres n’ont pas encore atteint un tel niveau de qualité. Nos mouvements automatiques SB1, SB11 et SB16 n’atteignent pas les standards de ETA, mais sont en progression.

et très anciennes. Est-ce toujours le cas en 2017? De nombreuses machines datent en effet des années 1960. Mais comme vous le savez, le marché des mouvements se porte mal, ce qui ralentit le renouvellement et la modernisation de notre parc de machines-outils. Mais pour les pièces nécessitant des machines à commande numérique, nous utilisons celles de Fiyta, à Shenzhen. C’est d’ailleurs l’un des atouts de notre coopération. Le design de la nouvelle collection est audacieux. Est-ce sous l’influence de Fiyta, référence en termes de design, organisant même des concours? Oui, nous avons mis sur pied une équipe de designers dans le studio de style de Fiyta, exclusivement dédiée aux montres Beijing Watch Factory. Peut-être que cette première collection s’inspire beaucoup du style Fiyta car nos designers n’ont pas encore parfaitement cerné l’ADN de la Beijing Watch Factory. Mais l’orientation est claire, nous voulons que nos montres respirent la culture chinoise. Je vous promets, cette année encore, le lancement de modèles très chinois. Et du côté de Fiyta, le partenariat prévoit-il enfin l’utilisation des mouvements chinois, de marque Beijing? C’est le but, mais dans l’immédiat, Fiyta ne peut pas encore se passer des mouvements Miyota et ETA, nos caCela donne l’idée à William Shum de profiter ce savoir-faire pour lancer sa propre marque, dont tous les modèles seront... des tourbillons. Memorigin est née. Le but: afficher un prix accessible, entre 4'000 et 6'000 dollars, sur des éditions limitées à 20 pièces. La recette semble fonctionner. «Les horlogers suisses ont évidemment un avantage sur nous car ils sont bien reconnus, et l’on sait que le prix correspond à la valeur de marque! Nous ne pouvons pas attirer des gens qui seraient intéressés par une Jaeger-LeCoultre. En revanche nous essayons d’attirer les gens qui n’auraient pas forcément les moyens de s’acheter une montre à tourbillon. Nous démocratisons le tourbillon.» Aujourd’hui présente dans 20 pays, la start-up garde pour principal mar-

Améliorer les mouvements, j’entends cela depuis presque dix ans et c’est toujours le statu quo... C’est très difficile car il faut déjà changer les habitudes de travail sur toute la chaîne de production. Il y a aussi l’outil industriel qui nécessiterait de gros investissements. Et comme le commerce des mouvements tourne au ralenti actuellement, les marques chinoises n’arrivent pas à investir dans la technique des mouvements. Sea-Gull brandit les mêmes arguments concernant le manque de fiabilité de ses mouvements et se paie une gigantesque usine neuve dans la zone industrielle de Tianjin, au lieu d’investir dans la qualité des mouvements. Ne touchons-nous pas ici le vrai problème de l’industrie chinoise: investir dans la forme plutôt que dans le fond? Je pense que le vrai problème réside dans la formation des employés. Nous n’avons pas de structure offrant une formation continue comme chez vous. Ainsi, les compétences ne progressent guère. Le problème c’est surtout ça, et moins les finances ou les matériaux. Ce problème de formation touche d’ailleurs toute la hiérarchie, du patron au plus simple employé. Et puis, il y a un créneau commercial dans les mouvements bon marché. En poussant la qualité au niveau de Miyota, il faudrait peutêtre diviser la production par cinq! Pour notre part, au cours des deux dernières années, nous avons stoppé la production de mouvements de basse qualité. Mais la Beijing Watch Factory ne peut opérer un tel changement compte tenu de sa relative petite taille.

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Face aux difficultés des maisons de luxe suisses et à leurs prix élevés, encouragées par le nouveau patriotisme chinois, certaines sociétés locales entendent regagner du terrain à domicile, en Chine continentale mais aussi à Hong Kong. On a beaucoup parlé en Suisse du rachat d’Eterna et Corum opéré par le géant chinois Citychamp. Mais beaucoup moins des efforts réalisés sur place pour élever le niveau horloger chinois, en essayant de battre les Suisses au moins sur le prix si ce n’est sur la qualité. Exemples.

En effet, le prix de la nouvelle collection se situe entre 2’000 et 3’000 yuans (300 à 450 francs). Même dans notre collection de tourbillons, nous lançons de nouvelles pièces au style très chinois, mais sans cadran émaillé et avec une boîte en acier, dans une fourchette de prix oscillant entre 2’500 et 4’000 francs. Désormais, le prix de vente moyen d’une montre Beijing en boutique est 3’500 yuans (520 francs). Peut-être est-on positionné trop bon marché car bien des clients sont surpris.

ché Hong Kong. «Face à la baisse de la consommation chinoise, nous essayons de nous baser sur une clientèle locale. Et surtout d’attirer les jeunes vers l’horlogerie mécanique avec la démocratisation du tourbillon. Nous voulons éviter que tout le monde ne porte plus qu’une smartwatch à l’avenir! Ma plus grande crainte pour le futur serait en effet le scénario d’un désintérêt des jeunes pour l’horlogerie mécanique...»


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VENTES AUX ENCHÈRES

Il est évidemment peu surprenant d’entendre que les ventes aux enchères horlogères sont un secteur particulièrement en forme en ce moment par rapport à la montre moderne, lorsque la mise au marteau d’une seule montre vintage équivaut peu ou prou au chiffre d’affaires d’une entreprise horlogère contemporaine de taille moyenne! En revanche, peu voire personne n’a souligné le lien possible entre ce boom de la montre vintage et la campagne anti-extravagance chinoise. Or, en discutant avec des experts du domaine à Hong Kong, ce lien semble évident. Par Serge Maillard

Quand le luxe se fait discret «En période de lutte contre l’extravagance et la corruption, les montres vintage sont plus low profile que les contemporaines, souligne Jessie Kang, responsable de l’horlogerie chez Sotheby’s à Hong Kong. A cela vient s’ajouter le fait que les acheteurs sont plus matures et mieux éduqués sur l’horlogerie et son histoire. On voit en ce moment une transition du marché de la montre contemporaine vers le vintage.»

Simone Woo, experte dans la filiale hongkongaise de Phillips, confirme: «Le marché change rapidement. A l’origine, Hong Kong était un marché très orienté sur les montres modernes. Mais récemment on a vu une transition vers les montres vintage. Et de nouveaux acteurs s’installent sur ce marché.» Parmi ces nouveaux acteurs figure la maison de ventes chinoise Poly Auction, société-sœur de Poly Group, un énorme conglomérat public chinois. Cette société s’est installée depuis cinq ans à Hong Kong, où elle emploie aujourd’hui une centaine de personnes, attirée par ce boom du vintage: «Notre avantage

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est que la plupart de nos clients viennent de Chine continentale, ils nous connaissent déjà via le Poly Group et ils commencent maintenant à vraiment s’intéresser aux montres de collection», souligne sa responsable horlogère Karen Ng.

La trilogie Patek Philippe, Rolex, Richard Mille Poly Auction organise d’ailleurs aussi des ventes aux enchères directement en Chine continentale. Là encore, le constat est implacable: «En raison de la politique gouvernementale, les gens ont tendance à aller vers les montres plus classiques, discrètes et subtiles. Certes, les Chinois aiment toujours des marques de renom comme Richard Mille, ils les achètent toujours mais ne les porteront pas nécessairement de manière aussi extravagante qu’auparavant, plutôt en privé et entre amis...» Richard Mille, le nom est lancé. Cette marque indépendante a réussi l’exploit, aux côté des géants Rolex et Patek Philippe, d’obtenir une cote exceptionnelle en Extrême-Orient

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L’essor de la montre vintage en Chine

non seulement pour sa production contemporaine mais pour tous ses modèles produits mis à l’encan. On ne peut vraiment parler de vintage dans le cas d’une marque fondée en 2001... «Nos collègues du Poly Group nous aident à orienter les acheteurs continentaux vers l’horlogerie, poursuit Karen Ng. La vente de montres reste pour l’heure de petite taille par rapport aux enchères de céramique ou d’art chinois mais le potentiel est énorme!» Chez Poly Auction comme chez Sotheby’s, on essaie de pratiquer le «cross-selling»: parfois, de la porcelaine antique à la montre (relativement) antique, il n’y a qu’un pas à faire dans la salle à côté, puisque les ventes de ces deux objets symboliques en Chine sont systématiquement organisées en même temps et au même endroit.

Diversification de l’offre aux enchères Cet automne, lors de sa vente Important Watches de Hong Kong, Sotheby’s a trouvé preneur pour une Richard Mille RM56-02 Sapphire Tourbillon de 2015 à 14'500’000 HKD (1'850'000 dollars) et une Patek Philippe Ref. 5002 Sky-Moon Tourbillon en or rose à 11,020,000 HKD (1'400'000 dollars). Preuve d’une maturité horlogère plus forte en Asie, de plus en plus de marques moins établies que la «trilogie» mentionnée sont par ailleurs

proposées à l’encan. Jessie Kang le souligne chez Sotheby’s: «Nous vendons des montres de Philippe Dufour, Voutilainen, Romain Gauthier ou MB&F. Philippe Dufour est très apprécié: sous son côté «simple», il faut en apprécier chaque détail! Un grand nombre de collectionneurs ont déjà tellement de montres des marques traditionnelles qu’ils cherchent à diversifier leurs collections», poursuit Jessie Kang. Chez Phillips, on souligne que les marques les plus populaires à côté de Patek Philippe et Rolex sont F.P. Journe, A. Lange & Söhne, Richard Mille, Philippe Dufour, Audemars Piguet, Vacheron Constantin, JaegerLeCoultre, Heuer et Universal. «A l’origine, le goût des collectionneurs asiatiques est un peu différent de celui des Occidentaux mais tout est en train de s’aplanir avec la mondialisation, internet et les réseaux sociaux. Il reste des particularités: par exemple, les collectionneurs du Sud-Est asiatique ont un goût prononcé pour les cadrans tropicalisés», explique Simone Woo chez Phillips. Aucun chiffre officiel n’existe, mais aujourd’hui, le marché de deuxième main semble afficher une croissance plus importante que celui de la montre moderne au niveau global via les ventes aux enchères physiques et la vente de particulier à particulier en ligne, qu’il s’agisse des plateformes occidentales comme Amazon ou Chrono24 ou asiatiques comme AliBaba ou Taobao.


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Photographie Laurent Baillet

Réflexions et notes de voyage sur le marché horloger japonais

Seiko en embuscade Les exportations de montres suisses vers le Japon semblent devoir décroître encore cette année, de quelque -9%. Rolex, Cartier et Omega restent les premières marques vendues au Japon. «Aujourd’hui, le marché japonais va moins bien que le reste du monde», souligne Kinya Mishima, distributeur horloger japonais et fondateur de Les Artisans. Plusieurs raisons l’expliquent, selon lui: «Beaucoup de gens revendent leur montre sur le marché secondaire, qui prend de plus en plus de poids. Car le prix public a été exagéré sur les montres neuves, où il n’y a plus guère de rapport entre le prix et la qualité. La Chine a par ailleurs élevé ses taxes et les touristes chinois venant au Japon n’achètent souvent plus qu’une seule montre, moins chère, qu’ils gardent au poignet.» Kinya Mishima, lui, représente au Japon des marques artisanales comme Urban Jürgensen, Grönefeld, Speake-Marin, Keith Engelbarth, Pierre de Roche, Nomos Glashütte mais est aussi en lien étroit avec le distributeur japonais de Richard Mille. «Avec mes marques de niche, je m’intéresse à une petite minorité de collectionneurs très éclairés. A ce titre, le Japon qui a une longue histoire horlogère est un marché intéressant pour les petits indépendants.»

Que pense-t-il de la stratégie de montée en gamme des grandes marques japonaises Seiko, Casio et Citizen? «Seiko est la plus susceptible d’y parvenir, estime Kinya Mishima. En effet, son grand rival local, Rolex, a durci le ton face à des distributeurs puissants quant aux conditions d’obtention des nouvelles montres. Seiko se tient en embuscade... pour séduire les détaillants peu enclins à cette nouvelle politique.»

«Trop dépendants de la technologie solaire» Aujourd’hui à la tête de l’ Horological Institute Japan, Etsuro Nakajima a quant lui travaillé durant 40 ans chez Casio. Il a tout vu: la conception de mouvements quartz digitaux, la première montre de course à intervalles, la première Pro Trek à altimètre, la première montre radio-contrôlée... et enfin l’arrivée du Bluetooth. «En 2007, nous avons commencé à discuter avec Nokia sur un projet de montre connectée grâce au Bluetooth Low Energy LE, le Wibree. Mais le projet a pris du temps car le défi avec la montre est celui de la consommation d’énergie et de la recharge. Il faut limiter la consommation d’énergie.

Le prix public a été exagéré sur les montres neuves, où il n’y a plus guère de rapport entre le prix et la qualité. En 2012, la G-SHOCK GB5600 a été notre première montre Bluetooth.» En 2015, le lancement de l’Apple Watch change la donne, en particulier pour les géants de la montre entrée de gamme comme Casio, mais aussi Fossil ou Movado. «L’Apple Watch change le jeu en particulier sur la distribution, puisqu’ils vendent surtout via leurs propres boutiques et récupèrent une belle marge, alors que les horlogers traditionnels doivent la partager avec leurs représentants, généralement plus de la moitié. Il y aura toujours des détaillants physiques mais ils doivent se renouveler.» Pour Etsuro Nakajima, les marques japonaises sont trop concentrées sur la technologie solaire. Leur défi est maintenant d’afficher leur particularité et ce qu’elles peuvent apporter comme «new Japanese way of thinking», face aux nouveaux-venus californiens.

JAPON: PHILIPPE DUFOUR, LE MAÎTRE EN SON EMPIRE Après avoir vu le portrait de l’horloger vaudois Philippe Dufour dans les studios de recherche et développement de Seiko, Europa Star a eu le privilège de rencontrer Yoshi Isogai, propriétaire de la boutique horlogère Shellman à Tokyo et distributeur exclusif de Philippe Dufour au Japon. C’est simple: des 200 modèles Simplicity conçus par Dufour, Isogai en a vendus... 127! Comment Philippe Dufour a-t-il atteint un tel statut au Japon, son marché de prédilection? «Au début, en 2000, le défi était de convaincre les collectionneurs que les modèles de Philippe Dufour pouvaient valoir le double du prix d’une Patek Philippe par exemple, en leur expliquant son travail artisanal.» Pour cela, Yoshi Isogai diffuse des images des composants conçus et assemblés de la main de l’horloger de la Vallée de Joux, sans recours à des machines. «Nous avons été aidés dans ce travail de communication de l’œuvre de Philippe Dufour par les médias japonais et les journalistes qui ont su saisir ses particularités. Une émission télévisée sur la chaîne publique nationale en particulier l’a rendu célèbre au Japon.» Ce n’est pas tout, poursuit Yoshi Isogai: si la montre elle-même est séduisante en tant qu’objet, la personnalité simple et authentique de Philippe Dufour l’est tout autant. «Les collectionneurs ont commencé à vouloir au poignet un objet créé par un artisan comme lui. Par ailleurs, le petit diamètre de la Simplicity à 34 mm la rendait aussi adaptée au Japon.» La valeur des modèles conçus par Philippe Dufour ne cesse de grimper. Sa cote aux enchères le prouve: lors des ventes horlogères tenues par Phillips à New York fin octobre, un modèle Duality (en platine et numéroté 00) a trouvé preneur pour près d’un million de dollars... Le collectionneur qui l’avait acquis 150'000 dollars il y a une décennie a empoché une belle marge. L’horloger n’est pas pressé pour autant. «J’ai une longue liste d’attente de clients qui attendent ses futures montres», avoue Yoshi Isogai, rêveur devant un portrait en noir et blanc du «maître».


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Japon: passer de la technologie au luxe En 1938, Europa Star publiait dans son «Guide des Acheteurs», cette coupure de presse qui s'indigne du strict refus fait à un journaliste étranger désireux de visiter une fabrique horlogère japonaise.

Toutes ont constamment développé des innovations technologiques sans pareil, de l’utilisation du quartz à celle de l’énergie solaire. Toutes conservent une production très importante en volumes et très abordable en prix. Toutes, cependant, se veulent à présent davantage «premium». Chacune à sa manière. Visite chez Casio, Seiko et Citizen, les trois géants de l’industrie japonaise. Dans un document de 1938 issu du «Guide des acheteurs» (ancêtre de l’Europa Star actuel, voir ci-joint), il était rappelé à quel point le Japon protégeait alors les secrets de son industrie horlogère. «Il ne nous est pas permis de faire visiter nos fabriques à une personne inconnue de nous et surtout pas à un visiteur d’un pays horloger!», fut-il rétorqué à un reporter sur place. Les choses ont bien changé et Europa Star a pu se rendre dans les usines des grands fabricants horlogers japonais cet automne, comme nous l’avions déjà fait à de nombreuses reprises! Mais il est vrai que l’horlogerie japonaise s’est développée de

manière insulaire, avec ses particularismes et ses secrets bien gardés, fortement différenciés de l’industrie suisse. Tout en s’en inspirant dans la méthode, elle a mis un accent beaucoup plus fort sur la technologie. Et s’est surtout développée autour des trois géants «top-down» que sont Seiko, Citizen et Casio, sans l’écosystème foisonnant de sous-traitance «bottom-up» de la Suisse. Aujourd’hui, chacun de ces géants horlogers – qui tous ont développé une sophistication extraordinaire dans l’innovation technologie à travers leur histoire, du GPS à l’énergie solaire en passant par la montre-ordinateur – tente une stratégie davantage

«premium». Chacun à sa manière: Seiko avec l’indépendance annoncée à Baselworld de Grand Seiko; Casio en tablant sur la G-Shock en acier à l’occasion des 35 ans de l’icône des jeunes, qui ont grandi entre-temps (lire à ce sujet notre article en page 16); Citizen enfin via des rachats stratégiques, dont celui de l’ensemble constitué par Frédérique Constant, Alpina et Ateliers deMonaco dans le cas le plus récent.

Tout en ne négligeant pas la production en masse de mouvements pour des tiers (dans les cas de Seiko et de Citizen), ainsi que celle de modèles très accessibles, nous étudions ici comment chacune entend se positionner plus fortement sur le segment «premium» ou du «luxe accessible», et ce à un niveau global. En bref, passer d’une culture de la technologie à une culture du luxe. Pourquoi? D’un côté, ce qui est perçu

comme «technologie» horlogère de masse – la multiplication des fonctionnalités – semble passer de plus en plus du côté de la Silicon Valley. De l’autre, la perception de la culture japonaise s’est profondément transformée dans le monde: le pays est aujourd’hui synonyme de savoir-vivre tout autant que de savoir-faire, détenteur d’un art et d’une culture ultra-raffinés. N’est-ce pas la définition même du luxe?

de notre technologie de pointe et de l’artisanat japonais. Nous allons accroître la valeur, la technologie, les matériaux et l’artisanat de nos montres.» Un obstacle de taille semble toutefois se dresser sur la route de Casio: aujourd’hui, «premium» est presque synonyme de «mécanique»... M. Itoh ne tremble pas à cette perspective: «Vous savez, il y a 20 ans, personne ne croyait possible de réaliser un chronographe G-SHOCK... Depuis lors, nous avons lancé le chrono-

graphe à énergie solaire G-SHOCK. Nous menons à bien nos rêves! Et finalement viendra un jour – je ne peux pas vous donner de planning – où Casio pourrait lancer également sa propre production mécanique.» La marque réalise aujourd’hui le tiers de ses ventes au Japon, plus du tiers dans le reste de l’Asie et un peu moins du tiers entre l’Europe et l’Amérique du Nord. C’est en particulier dans ces deux régions que Casio veut s’étendre avec cette nouvelle stratégie... en acier.

Comment séduire les générations d’amateurs de G-Shock, les adolescents qui ont mûri? Est-ce que des montres à quartz de très haute technologie peuvent se vendre au prix de montres mécaniques? C’est en visitant le musée dédié à Casio, dans la maison du fondateur Toshio Kashio (1917-2012) à Tokyo, que l’on se rend le mieux compte de l’exceptionnelle aventure technologique de la marque. Dans une petite salle, on égrène les années comme autant d’innovations depuis l’introduction de la première montre, la Casiotron en 1974, par une marque dont le premier objet était un porte-cigarette et qui s’était développée dans la calculatrice. C’est simple, la montre a été couplée avec à peu près tout chez Casio: ordinateur, radio, caméra, altimètre, télévision, GPS, musique, et même un détecteur de radiations! La philosophie de Toshio Kashio peut d’ailleurs être résumée en une phrase: il croyait en les possibilités infinies de la technologie, capable de performances bien supérieures à celles du cerveau humain. Et qu’est-ce que le garde-temps sinon l’addition de chiffres... et la maîtrise de l’infini! Aujourd’hui, la marque est dirigée

par l’héritier Kazuhiro Kashio et la technologie est toujours au rendez-vous, notamment avec l’introduction du Blutetooth dans un nombre grandissant de ses lignes. C’est ce que la marque définit comme le Advanced Global Time System, qui permet une mise à l’heure automatique de la montre connectée au téléphone portable. Certes moins de fonctionnalités que sur une smartwatch «traditionnelle», mais la marque entend ainsi garder l’identité propre de ses montres... Les mots d’ordres: self-adjusting, self-charging et self-updating. Mais derrière cette stratégie, une question lancinante: comment convaincre les amoureux de la G-SHOCK, l’emblème de la marque, de continuer à porter une Casio en mûrissant? L’icône a 35 ans, après tout... ce qui veut dire que ses premiers acheteurs ont aujourd’hui dépassé la cinquantaine, voire plus! La marque a vécu deux âges d’or au cours de son histoire horlogère: le

pic de l’essor de la G-SHOCK, entre 1995 et 2000. Et plus récemment, ces dernières années, une forte augmentation de ses ventes à travers ce qu’elle appelle la stratégie de «l’intelligence analogique», soit le développement des aiguilles au détriment de l’écran digital. La prochaine étape est le développement de nouveaux métaux. «Le défi consiste maintenant à toucher davantage des audiences plus âgées. Auparavant, nous étions une marque très axées sur les jeunes générations, nous évoluons à présent avec les lignes MR-G et G-Steel pour satisfaire toutes les générations», résume Shigenori Itoh, Senior Executive Managing Officer. Ces collections premium en acier, sur lesquelles Casio met aujourd’hui fortement l’accent, doivent permettre à la marque de compléter sa collection et couvrir le plus efficacement possible une gamme de prix qui va aujourd’hui de 90... à plus de 6'000 dollars. Des prix qui la placent aujourd’hui au niveau de modèles proposés par Rolex ou Omega. Qui l’eût cru? Shigenori Itoh se veut confiant: «La culture et les arts du Japon sont très attractifs pour beaucoup à travers le monde et nous avons déjà utilisé des techniques traditionnelles de décoration artisanale sur la MRG. Nous continuerons cette fusion

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Casio: une question d’âge


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Seiko voit l’avenir en Grand

lis par le responsable Hiroshi Kamijo. C’est là-même que le premier modèle Grand Seiko a été développé en 1960. Tout comme, en 1969, la première montre-bracelet à quartz... Ce qui frappe le regard du visiteur, c’est justement la variété de la production, entre quartz et mécanique haut de gamme en passant par le SpringDrive. On oscille donc constamment entre l’automatisation et la main de l’homme. D’un côté, une impressionnante ligne automatisée œuvre 24h/24 à la production de mouvements quartz. «Nous utilisons encore le quartz pour les montres Grand Seiko masculines – ce qui peut paraître surprenant – car nous considérons que nous produisons les meilleurs calibre à quartz au monde en terme de précision, puissance et durabilité, explique Hiroshi Kamijo Cela fait aussi partie de notre héritage. Aujourd’hui, la production de la Grand Seiko se répartit à peu près entre un tiers de

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L’organisation de Seiko peut sembler être un casse-tête... japonais! La plus ancienne marque japonaise, pour faire court, est organisée en trois entités: Seiko Holdings, qui commercialise les montres et se fournit pour cela auprès de Seiko Instruments d’un côté, dont l’usine-phare est située à Morioka dans le nord du Japon, et auprès de Seiko Epson de l’autre, établie pour sa part dans la région de Nagano. Un premier rendez-vous est donné à Morioka, chez Seiko Instruments, où nous sommes accueillis par le responsable local Ryoji Takahashi, qui y supervise les 700 employés: «L’usine de Morioka a ouvert en 2004 dans le but d’atteindre le plus haut degré de manufacture et d’art horloger au Japon.» Pourquoi si loin de Tokyo? Car c’est le grand air, une terre d’eau, de calme et de vallons qui a un petit air de Suisse et où les horlogers peuvent vraiment se concentrer! A noter qu’outre ses deux principaux sites au Japon, Seiko dispose d’usines en Chine continentale, en Thaïlande, en Malaisie et à Singapour, notamment pour la fabrication des mouvements quartz avec une capacité de 10 millions de calibres par mois, dont la plupart sont vendus à des tiers. Elle opère aussi des marques plus fashion comme Issey Miyake ou Agnès B. Ainsi qu’une poignée de marques moins connues à l’étranger, destinées au marché local. Mais rapidement, nous abordons le thème central, celui qui occupe actuellement toutes les énergies chez Seiko: l’accent mis sur Grand Seiko en tant que marque indépendante bien entendu, avec son propre réseau de distribution à l’international! «Nous entraînons longuement nos horlogers à l’assemblage des Grand Seiko, poursuit Ryoji Takahashi. Beaucoup veulent travailler à Morioka mais ce n’est pas facile! Peu de diplômés d’écoles d’horlogerie peuvent nous rejoindre...» L’usine de Morioka produit en particulier le Spiron, un alliage qui permet une élasticité supérieure, une grande robustesse et résistance à la chaleur et à la corrosion dans le balancier-spiral. Il a été développé en partenariat avec l’Université de Tohoku. Mais pour compléter notre visite de Seiko au Japon, il nous faut absolument nous rendre plus au sud, dans la province de Nagano à l’usine de Shiojiri, où nous sommes là accueil-

INTERVIEW

Pour plus de détails sur la stratégie d’indépendance et d’internationalisation de Grand Seiko, nous avons rencontré Shuji Takahashi, le Président et COO de Seiko Holdings.

Dans cette nouvelle optique stratégique, allez-vous lancer davantage de complication pour la «marque» Grand Seiko, par exemple un tourbillon? Vous possédez déjà la maîtrise de hautes complications à travers Credor... allez-vous transférer ces capacité à Grand Seiko? Ce que je peux dire, c’est que nous sommes en train de nous développer sur le marché de l’horlogerie haut de gamme à présent, et dans le futur sans doute dans les complications haut de gamme. Mais il faut être conscient que toute la philosophie de Grand Seiko est basée sur une lisibilité exceptionnelle, un design élégant et une haute précision. Nous nous concentrons d’abord sur la qualité des détails, plutôt que de lancer de nouvelles complications. La Grand Seiko 8-Days est la meilleure illustration de cette philosophie.

Europa Star: Le grand changement de cette année est l’indépendance acquise par Grand Seiko. Pouvezvous nous expliquer cette nouvelle stratégie et ce que vous comptez en retirer? Shuji Takahashi: Dès 2010, nous avons pris l’engagement de nous développer davantage à l’international avec Grand Seiko. Jusqu’alors, il s’agissait d’une ligne de Seiko réservée aux collectionneurs. Nous l’avons désormais établie comme marque à

Quels sont vos principaux avantages comparatifs, sur un positionnement prix dominé par les marques suisses, dans le but de séduire non seulement les collectionneurs mais aussi un plus large public? Ma philosophie, c’est que toute marque de luxe lutte d’abord pour son propre caractère et sa propre identité. Comment l’exprimer de manière unique? Les marques suisses ont une large part de marché car elles ont développé des identités fortes. Nous développons aussi notre identité distincte à travers les trois éléments cités: précision, lisibilité et beauté. Nous poursuivrons cette philosophie jusqu’à son stade ultime. Nous voulons maintenir notre particularité en tant qu’horloger japonais. Nos clients sont sensibles à la délicatesse de la qualité japonaise et au sens du détail que nous mettons dans le design de nos montres. Un bon exemple est le cadran Snowflake. C’est comme si de la neige tombait, poussée par le vent, sur le cadran. Cela peut paraître très subtil mais nous nous sommes toujours inspirés de détails de la nature. C’est cette même sensibilité que l’on retrouvera dans l’habillement, l’architecture ou les jardins à la japonaise.

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C’est la marque horlogère japonaise la plus ancienne, avec un héritage dépassant le siècle. Elle a été de toutes les innovations technologiques. Mais 2017 restera comme une étape importante dans le développement de Seiko à l’international: celle de la prise d’indépendance de Grand Seiko. Et avec elle, d’un art horloger à la japonaise.

SpringDrive, un tiers de quartz et un tiers de mécanique.» Au Micro Artist Studio, c’est la main de l’homme qui est mise à l’honneur, sous le portrait du vénérable Philippe Dufour qui trône dans l’atelier... L’artisan vaudois est venu en 2006 à Shiojiri enseigner les finitions et leur a même envoyé un outil de polissage en bois de gentiane, aujourd’hui produit en bois de Hokkaido... Le studio s’occupe en effet à la fois de design, de R&D et de finitions: c’est la partie la plus créative de l’usine, où les nouvelles montres à complications sont imaginées. Auparavant, le studio se concentrait sur Credor (à noter un modèle Sonnerie en 2006 et une Répétition minute en 2011), mais aujourd’hui l’accent est naturellement également mis sur le design de la Grand Seiko, dont le modèle primé 8-Days de 2016. Ce sont ces trois modèles qui trônent justement dans la vitrine du flaship store de Seiko dans le quartier chic de Ginza au centre de Tokyo! Quid de leur mise en avant lors de ventes aux enchères, à l’image de leurs confrères suisses? Kaz Fujimoto, expert japonais de la maison Phillips, ne l’exclut pas: «Nous ne proposons pas encore de montres japonaises aux enchères, mais cela viendra peut-être à l’avenir... Car une partie de la stratégie de montée en gamme de Seiko passe aussi par sa valorisation aux enchères auprès des collectionneurs.»

part et souhaitons la populariser auprès d’un plus large public. L’Astron, la Prospex et la Presage ont déjà été bien développées à l’international. Grand Seiko est à présent proposé dans les boutiques Seiko à travers le monde et chez des détaillants de luxe. Les premières réponses sont bonnes. Grand Seiko a d’abord attiré un public de vrais passionnés d’horlogerie, puis les médias, et ensuite a accroché l’œil de la distribution. La récompense reçue au Grand Prix d’Horlogerie de Genève, la Petite Aiguille en 2014, a été très satisfaisante de ce point de vue. Maintenant, Grand Seiko est une marque indépendante.

Dans le nom «Grand Seiko», il y a toujours «Seiko» (contrairement à la différenciation pouvant exis-


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Je saisis bien que du point de vue de la théorie pure du branding et du marketing, les deux marques devraient être séparées. Si c’était une nouvelle marque, nous l’aurions appelée autrement. Mais nous assumons pleinement notre héritage. Nous figurons dans le top 5 des marques perçues de luxe au Japon, tout en ayant la coexistence de plusieurs labels sous l’appellation Seiko. Nous croyons que le terme «Grand» incarne l’idée de luxe. Et depuis le lancement de cette nouvelle stratégie à l’international, je suis renforcé dans ma croyance que Grand Seiko est le bon nom. Il ne faut surtout pas changer son identité, sa nature! C’est la même chose pour vous, d’ailleurs, pour Europa Star: Ce n’est pas un nom qui évoque l’horlogerie instinctivement, pourtant vous avez un héritage de 90 ans dans l’industrie. Ne perdez pas votre identité, c’est votre bien le plus précieux! Le Japon est devenu lui-même une «marque» reconnue dans le monde entier pour le raffinement de sa culture et de ses arts. Envisagezvous d’inclure des touches plus fortes du Japon dans le design de vos montres, qui restent très sobres en comparaison avec vos concurrents suisses? Dès l’an 2000, il est vrai que l’horlogerie haut de gamme est devenue plus «extravagante» et nous avons observé beaucoup de marques suisses suivre cette tendance. La montre n’est plus uniquement un instrument pour lire l’heure mais aussi un objet de mode, relié à des tendances. C’est un sujet très complexe à suivre pour une marque comme Seiko. Nous gardons un œil sur les «megatrends» mais comment gardons-nous notre identité? Nous voulons maintenir un équilibre délicat. Si nous allons entrer davantage en concurrence sur les marchés internationaux, nous devons nous différencier... en restant nousmêmes. Nous ne sommes pas une marque suisse et nous n’allons pas suivre les «megatrends». Je ne peux pas encore parler des développements futurs mais je peux vous dire que nous essayons toujours d’ajouter plus de «goût» japonais dans nos montres, via la laque ou l’émail par exemple. Mais c’est très subtil et un statement tacite. Les Suisses sont plus «show-off» et les clients en connaissent la valeur. Les Japonais doivent davantage expliquer la montre et ce qui en fait la singularité. Pour l’heure, nous vendons encore davantage de Grand Seiko au Japon qu’à l’international. Mais nous voulons partir à l’offensive et il y a encore beaucoup de parts de marché à conquérir. C’est peut-être une philosophie de marque que nous devons encore davantage expliquer.

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ter par exemple entre un Tudor et un Rolex). Cela pourrait se révéler un obstacle dans la perception de Grand Seiko en tant que marque séparée – d’autant plus haut de gamme...

Citizen, la stratégie des rachats Contrairement à ses deux confrères qui se lancent à l’offensive à l’international en montant en gamme leur propre production, le géant a opté pour des rachats stratégiques, dont le dernier en date était le pôle horloger de Frédérique Constant, après celui de Prothor quelques années plus tôt. Europa Star avait rencontré le CEO Toshio Tokura lors d’un précédent voyage, sous la plume de Joe Thompson. Des enseignements qui sont toujours pertinents. Extraits.

«La frénésie de rachats de marques est un signe de changement d’époque au sein du Citizen Group. L’architecte en est Toshio Tokura. Depuis qu’il est devenu Président et CEO de Citizen Holding Co. en avril 2012, il a initié ce qu’il appelle des changements «drastiques» qui transforment l’activité horlogère du groupe. Parmi les points forts: • Il a rétabli les montres à leur position historique en tant que produit-phare du groupe et a lancé ce que l’on pourrait appelé une stratégie de croissance «Watches First». • Il s’est recentré sur la marque Citizen, tentant d’augmenter sa valeur perçue en mettant l’accent tant sur le design que sur des technologies quartz avancées. • Il s’est lancé sur le lucratif marché de l’horlogerie mécanique de luxe via une stratégie d’acquisitions destinée à transformer Citizen en un groupe horloger global et multi-marques, avec une présence sur tous les segments de prix. • Il profite de l’expertise mécanique des nouvelles filiales suisses de Citizen pour augmenter les tech-

nologies maison du groupe, dans l’optique de produire des montres mécanique au Japon. «En observant l’activité horlogère sur les vingt dernières années, nous ne voyons pas une forte croissance, analyse-t-il. Nous devions changer la situation.» Toshio Tokura et son équipe ont identifié deux opportunités principales pour étendre leur activité horlogère. L’une était de faire croître l’image de marque et les ventes de la marque Citizen ellemême. L’autre consistait à prendre une participation dans le marché de l’horlogerie mécanique de luxe, en acquérant des marques suisses. Dans le rapport annuel du Citizen Group de 2012, la compagnie expliquait les raisons qui l’avaient amenée à acheter Prothor Holding (La JouxPerret et Arnold & Son). «La demande pour les montres mécaniques premium Swiss made est en croissance, pouvait-on lire. Nous pensons que participer au segment premium du marché horloger est essentiel pour que le groupe atteigne les objectifs de sa stratégie de croissance sur le segment horloger.»

Avec La Joux-Perret et Arnold & Son, Citizen mettait un premier pied dans le monde de l’horlogerie mécanique de luxe. Arnold & Son, une petite marque de montres de haute complication, était la cerise sur le gâteau. Ce que Citizen désirait réellement, c’était La Joux-Perret. «La technologie de l’horlogerie mécanique – voilà ce qui nous intéresse», explique Toshio Tokura. D’abord dans le but de protéger Bulova, la marque américaine que Citizen avait rachetée en 2008 afin de se donner une position dominante sur le moyen de gamme aux Etats-Unis. Bulova propose une collection de montres mécaniques Swiss made. Lorsque ETA, le principal motoriste de Suisse, a annoncé son intention de restreindre ses livraisons de calibres mécaniques aux tiers, Citizen s’est inquiétée de la sécurisation de son approvisionnement en mouvements pour Bulova et a commencé à s’intéresser au rachat d’un motoriste suisse. La Joux-Perret a également donné à Citizen l’opportunité de revitaliser sa propre production mécanique, quelque peu dépassée. Citizen produit des calibres mécaniques depuis près d’un siècle. Cependant, depuis la révolution du quartz, le groupe s’est principalement centré sur les montres électroniques. «Notre technologie dans le mécanique était assez en retard car nous avions arrêté de la développer, admet Toshio Tokura. Nous avons un gros travail de rattrapage à mener. Et nous pouvons apprendre beaucoup des Suisses.» Prothor a permis à Citizen de s’introduire sur le marché du premium. La prochaine étape consistait à «acquérir une marque suisse pour s’ancrer réellement sur ce seg-

ment de prix». Frédérique Constant s’inscrit dans cette optique. La société fondée par Peter et Aletta Stas en 1988 est un leader dans le «luxe accessible», avec un cœur de gamme situé entre 1'000 et 5'000 dollars pour Frédérique Constant

«Nous pensons que participer au segment premium du marché horloger est essentiel pour que le groupe atteigne les objectifs de sa stratégie de croissance sur le segment horloger.» et Alpina, et quelques modèles dépassant les 10'000 dollars. Elle ne divulgue pas de volumes de ventes mais la holding Frédérique Constant est substantiellement plus grande que la holding Prothor (en 2009, selon Kepler Capital Markets, ses ventes annuelles s’ établissaient à 150 millions de francs pour 90'000 unités). Frédérique Constant dispose par ailleurs de compétences significatives dans la production de montres mécanique. La société développe, manufacture et assemble ses propres calibres, dix-neuf depuis 2004. Comme ce fut le cas lors de l’acquisition de Prothor Holding, Citizen a laissé le management suisse en place. Citizen a déjà beaucoup à faire avec sa propre marque, explique Toshio Tokura, sans essayer de diriger étroitement quatre marques de luxe mécaniques. «Nous n’en avons pas l’expérience, dit-il avec un sourire. Nous ne connaissons pas ce monde. C’est encore un mystère pour nous.»


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G-SHOCK fête ses 35 ans sans égratinures

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Ce sont les 35 ans d’une icône horlogère, la G-SHOCK, qui a révolutionné le visage de l’industrie globale sur plusieurs plans et dont on vient de vendre... le 100 millionième exemplaire! Conçue sous le signe de la résistance, elle a aussi su convertir un nombre extraordinairement élevé de jeunes à l’horlogerie par son design audacieux et identifiable entre tous. Qui n’en a pas eu une au poignet? Elle a donc fait œuvre de «pédagogie horlogère» pour la cause de toute l’industrie. Aujourd’hui, la montre se veut davantage premium avec de nouveaux modèles en métaux dans les collections MR-G et G-Steel, qui font même appel à de l’artisanat traditionnel japonais. Par Serge Maillard

Le rêve de M. Ibe Qui de mieux pour parler de la G-SHOCK que son créateur, Kikuo Ibe, rencontré au Japon par Europa Star? «Il y a 36 ans exactement, la montre que m’avait offerte mon père est tombée par terre et s’est brisée en mille morceaux, explique le facétieux inventeur. Dès lors, mon obsession était de construire une montre indestructible!» Ce sont les débuts des travaux épiques qui mèneront à

la conception de la G-SHOCK. «Au début, je lançais mes prototypes depuis la fenêtre du bâtiment de Casio en utilisant du caoutchouc de protection... Peu à peu, j’ai commencé à protéger les composants individuels des prototypes pour en réduire la taille. Mais certains ne résistaient toujours pas.» La révélation vient alors qu’il se ballade dans un parc: «J’ai vu une fille qui jouait avec une balle de caoutchouc... Soudain la solution me parut évidente: faire «flotter» le mouvement de la montre! Nous avons ainsi développé une structure de

résistance aux chocs avec plusieurs points de contact. Finalement, la première G-SHOCK a vu le jour en 1983.» Son but était atteint, puisque même les ouvriers travaillant sur les chantiers en face du bâtiment de Casio pouvaient porter la montre en toute confiance! «La G-SHOCK est devenue la montre la plus résistante au monde.» Elle connaît un succès commercial quasiment immédiat. Car son design inhabituel séduit les foules, notamment les plus jeunes: «En ce qui concerne le dessin de la montre, le défi consistait à exprimer toute la

technologie que ce modèle recelait pour être aussi résistante», poursuit l’inventeur. Allier le fond et la forme, en quelque sorte! Chaque montre comprend sept éléments fondamentaux: la résistance aux chocs électriques, la résistance à la gravité, la résistance aux basses températures, la résistance aux vibrations, la résistance à l’eau, la résistance aux chocs et la robustesse. Les innovations et technologies mises en place par Casio pour l’empêcher de pâtir de chocs directs intègrent des composants internes protégés par de l’uréthane et des modules horlogers suspendus au sein de la structure de la montre. Le défi suivant consistait à développer, à partir de 1994, un nouveau type de G-SHOCK plus «formel», c’est-à-dire en métal, confie Kikuo Ibe. «J’ai démarré ce projet avec huit jeunes ingénieurs. Mais il était difficile de protéger efficacement le boîtier ainsi que le bracelet en métal...» Cette fois, l’équipe trouve la solution en s’inspirant de l’industrie automobile et plus précisément des pare-chocs de voitures afin de développer une protection de la lunette de la montre. La montre ul-

time de Casio en métal était enfin née: la première MR-G! Rêveur, Kikuo Ibe confie son souhait absolu: «Je voudrais produire à présent une montre qui aille dans l’espace, mais nous devons encore démarrer ce projet!» Retour sur Terre, en attendant... Casio commence dès à présent une série d’événements inédits et une série de modèles spéciaux pour célébrer l’anniversaire de son icône. On peut s’attendre à de belles surprises, de New York à Tokyo en passant par Londres!

Un tour à Yamagata La période est particulièrement importante pour une marque qui entend monter en gamme avec ses lignes G-Steel et MR-G, toujours plus évoluées. L’auteur de ces lignes se souvient d’ailleurs avec nostalgie et émotion de la G-SHOCK qu’il portait dans les années 1990, comme bon nombre de ses amis adolescents... Le but maintenant est de continuer à séduire ces générations qui ont mûri mais également de nouvelles générations!


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Le défi se situe à plusieurs niveaux, mais on peut les regrouper sous un terme générique: celui de l’intégration. Intégration de matériaux toujours plus luxueux dans le boîtier de la montre; intégration d’arts ancestraux japonais, comme le tsuchime; intégration de nouveaux designs; intégration de nouvelles technologies de connexion Bluetooth, face à l’arrivée des smartwatches... de la façon la plus «smart» possible, justement, sans perdre l’identité très forte de la G-SHOCK, reconnaissable entre toutes. C’est en se rendant dans l’usine-phare de Casio, située à Yamagata, que l’on peut se vraiment se rendre compte de la force de frappe de la marque japonaise. Quelque 300 personnes y produisent pas moins de... 2,6 millions de montres par an! Le niveau d’automatisation y est déjà très abouti, essayant de tirer le meilleur de l’homme et de la machine. C’est dans ces salles blanches que se joue le futur de la G-SHOCK! Les tests y sont implacables: on en dénombre plus de 170, sur les différents modèles de la marque. Rappelons que la Casiotron, la première montre de Casio conçue en 1974, se devait déjà de résister à une chute de 10 mètres. Au fil des années, une structure toujours plus élaborée a été développée pour protéger la G-SHOCK... aujourd’hui, on compte ainsi par exemple plus de 400 composants dans la GPW-2000 Gravitymaster.

Combiner le meilleur de la tradition artisanale japonaise avec des technologies de pointes, donc: intéressons-nous de plus près à ce qui est sans doute le meilleur exemple à l’heure actuelle de cette fusion des possibles, le modèle MRG-G2000HT. Produit en édition très limitée, il est un avant-goût des capacités à venir de Casio. «Le modèle MR-G est maintenant la signature de la collection G-GHOCK, souligne Singo Ishizaka, ingénieur en chef. Et nous continuons à améliorer sa qualité: du titane est ainsi utilisé dans le boîtier et le bracelet. Les montres MR-G sont inrayables. Elles présentent à présent aussi de l’artisanat japonais. M. Bihou Asano est un maître de l’ancienne technique de frappe du métal, dont il existe différentes variantes au Japon. Nous avons choisi un motif en forme de vague.» Le MRG-G2000HT intègre la technologie dite GPS Hybrid Wave Ceptor, qui garantit que la montre reste précise quelque soit sa position sur Terre et sous n’importe quelles conditions. La montre reçoit les informations horaires standard via des ondes radio terrestres, des signaux satellitaires GPS et, à présent, la transmission Bluetooth. Elle sélectionne le système le plus approprié aux conditions du moment et fournit le temps exact, ainsi que la durée de

DR

La MR-G, l’alliance de la technologie et de l’artisanat

la journée dans le fuseau horaire du moment. L’application dédiée MR-G Connected sur smartphone fournit des fonctionnalités additionnelles, avec le World Time dans plus de 300 villes, l’ajustement automatique de l’heure de la montre et de son statut, via une connection Bluetooh. Mais le segment premium MR-G, c’est n’est pas que du high-tech... Le modèle est ainsi orné par une technique artisanale très particulière: le kasumi tsuchime, qui a été utilisé depuis plus de 1'200 ans pour décorer des armures et des objets de métal. Les lunettes et les inserts de bracelets de chacune des 500

montres de cette édition limitées ont été élaborée par le maître-artisan Bihou Asano de Kyoto, dont la famille a préservé la tradition du tsuchime depuis des générations. L’ancienne technique de la frappe du métal s’illustre par les coups habiles d’un outil dédié pour imprimer un motif distinctif sur la surface du métal. Dans ce cas, la technique utilisée sur la lunette et au centre du bracelet laisse des indentations mesurées à l’œil et qui permettent au final de rendre chaque montre unique. Après la frappe, le titane forgé est sujet à un processus rigoureux de

durcissement par couches et un revêtement DLC (diamond-like-carbon) bleu est appliqué. Non seulement cette méthode améliore la résistance à l’abrasion, mais elle offre aussi l’opportunité d’appliquer des couleurs sur certaines parties choisies de la montre. Casio a développé un ton unique baptisé «Bleu Japonais». Pour parvenir à réaliser ce ton profond, il a fallu un processus complexe et exigeant en temps, un travail qui n’était rendu que plus difficile encore par les irrégularités de la surface traitée. Casio multiplie désormais les innovations sur la G-SHOCK et ce à tous

les niveaux de prix. Ryusuke Moriai, responsable du design, insiste sur ce point: «Avec la G-Steel connectée par exemple, le défi est de créer un design en acier qui corresponde à la ligne G-SHOCK. Notre objectif est d’arriver à un tout autre design. Nous nous sommes donc efforcés de n’utiliser que des lignes droites et des cercles. Et nous pensons avoir atteint une forme de «beauté primitive» avec nos montres. Notre intention n’a jamais été de se concentrer sur la fonctionnalité uniquement. Nous voulions montrer que la montre est connectée. Nous avons donc dessiné une roue inspirée du réacteur >


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d’un avion.» Un modèle particulier est le GST-B100X, qui est équipé de 37 différentes couches de carbone, ce qui résulte notamment dans la lunette à des caractéristiques antichoc très poussées, et en fait un compagnon de route fiable même dans les environnements les plus extrêmes.

Résister aux chocs de la nature En parlant de conditions extrêmes, justement... La GPW-2000 G-SHOCK Gravitymaster a été conçue en pensant aux besoins spécifiques des pilotes. Extrême précise, elle propose une résistance supérieure aux chocs pour tenir face à une altitude et une vitesse élevées. La construction Triple G- fournit une protection efficace contre trois types de stress gravitationnel – les chocs extérieurs, la force centrifuge et le vibrations.

Le boîtier est construit à partir de fibre de carbone, un matériau utilisé très fréquemment dans l’aviation du fait de sa robustesse et de sa légèreté, avec la protection supplémentaire de FRP (Fine Resin Parts) afin de renforcer les points de pression et de fournir une résistance encore plus grande à la vibration. Une lisibilité optimale même sous des conditions difficiles est assurée par les index des heures robustes et phosphorescents, et par des éclats de rouge, le tout sur un cadran impressionnant à multi-couches 3D. La faible gravité de l’aiguille des secondes en fibre de carbone vermillon permet d’augmenter sa taille tout en maintenant sa résistance aux impacts. La lisibilité nocturne est fournie par le Super Illuminator, un LED d’une très grande clarté. Outre les fonctions fuseau horaire et ajustement de l’heure, l’application pour smartphone G-SHOCK Connected intègre également une

fonction pour le vol, qui peut sauvegarder la localisation et les informations horaires pour fournir un historique de voyage, incluant les points de départ, de transit, la destination finale et la destination de retour. L’affiche de la latitude et de la longitude, ainsi que l’indicateur Coordinated Universal Time (UTC) constituent des aides supplémentaires à la navigation.

«Ne jamais, jamais abandonner!» Et ce n’est qu’un début... En octobre dernier, Casio a dévoilé des extensions de sa ligne MR-G avec deux nouvelles montres 3 Way Time Sync, capables de recevoir des ondes radio, des signaux satellitaires GPS et des transmissions par Bluetooth pour assurer la plus haute précision possible. Représentant les offres les plus récentes de la marque en

terme de connexion Bluetooth, ces nouveaux modèles intègrent aussi des matériaux de haute qualité, le tout dans une construction à la fois luxueuse et indestructible. La MRG-G2000CB-1A inclut une lunette avec des finitions en Cobarion, un nouveau matériau développé pour créer une belle surface à effet miroir, ainsi qu’une forte résistance aux rayures et aux allergies. La MRG-G2000CB-1A intègre une lunette inspirée par un dragon noir, d’un ton très profond, avec des finitions spéciales par frappe de la tradition Marume-Tsuiki. Les deux montres font preuve d’une grande fonctionnalité avec la lecture proposée des codes urbains et des modes de la montre sur la partie droite du garde-temps. Les montres MR-G et G-SHOCK intègrent également la technologie de G-SHOCK GPS Hybrid Waveceptor afin de mesurer le plus précisément possible l’heure et la localisation

n’importe où sur Terre, les capacités Tough Solar pour une durée de vie rallongée de la batterie, ainsi que des cristaux saphir non réfléchissant, un boîtier noir en titane et un bracelet de haute facture. De plus, en utilisant la nouvelle application G-SHOCK MR-G Connected pour smartphone, les utilisateurs peuvent facilement régler l’heure au fuseau horaire souhaité ainsi qu’avoir un contrôle encore augmenté de la montre grâce au monitoring des fonctions clés comme l’ajustement automatique, la recharge par énergie solaire et bien d’autres. Le rêve de M. Ibe de «concevoir une montre qui ne se casse jamais» s’est concrétisé... et il semble que ce soit juste le début d’une nouvelle ère avec l’extension continue des lignes de la G-SHOCK. La devise de M. Ibe ne semble avoir jamais été aussi pertinente qu’aujourd’hui, sur un marché horloger en changement rapide: «Ne jamais, jamais abandonner!»

La construction Triple-G de la GPW-2000 G-SHOCK Gravity Master garantit une protection contre trois types de forces gravitationnelles - chocs extérieurs, force centrifuge et vibrations.


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La ligne premium métallique MR-G est aussi résistante que la G-SHOCK «traditionnelle» et cherche à fusionner technologie et artisanat japonais.

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CHRONOGRAPHES

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Le chronographe, expression des temps modernes (*) rd ea dw Ea br uy M ge id

Ingénieuse invention des temps modernes, le chronographe mesure les progrès de l’homme depuis presque deux siècles. L’étymologie du mot provient de l’association de deux racines grecques: chronos (le temps) et grapho (l’écriture). Ecrire le temps, c’est aussi retranscrire l’histoire du monde.

(*) Extraits. Publié initialement à l'occasion de l'exposition Le Chronographe, Expression des Temps Modernes, organisée par la Fondation de la Haute Horlogerie en 2007 – 2008, et dans le livre La Conquête du Temps, 2e édition. En collaboration avec Grégory Gardinetti.

Par Dominique Fléchon, historien et expert en haute horlogerie

Chronos… Des temps longs aux temps courts Par Pierre Maillard

La mesure du temps est née de l'observation des temps longs du cosmos, du mouvement des planètes, de la définition des 365 jours de l'année, des phases de la Lune, de l'alternance régulière du jour et de la nuit… Ce n'est qu'avec l'invention de la mesure mécanique du temps que, progressivement, on a pu «descendre» dans la mesure précise de la minute, puis de la seconde, du dixième, du centième, du millième de seconde… Au-delà de cette frontière, l'horlogerie mécanique doit abdiquer et laisser cette mesure à l'horloge atomique et à de scientifiques instruments d'où toute mécanique est absente. L'histoire de la conquête des temps courts reste une des plus belles sagas de l'horlogerie. A ses débuts, le chronographe a permis bien des avancées géopolitiques, scientifiques, astronomiques, technologiques… avant de perdre sa suprématie dans ce domaine. Dans le même temps, le chro-

nographe s'est peu à peu démocratisé et s'est imposé comme LA montre de «l'homme moderne». On s'est souvent gaussé de la réelle utilité pratique de ce calculateur des temps courts en prétendant que son usage le plus courant est désormais l'estimation du temps de cuisson d'un œuf à la coque! Sans doute y a-t-il du vrai là-dedans car qui, aujourd'hui, calcule sa vitesse au volant ou ses pulsations cardiaques grâce aux échelles qui font le tour du rehaut de sa montre? Mais peu importe. Le chronographe – que la plupart des gens ne rangent pas parmi les grandes complications horlogères – est pourtant une des complications les plus nobles et les plus ardues. Et reste, qu'il soit moderne ou vintage – comme le démontre l'incroyable vogue des chronographes acier des années 50-60 – une des montres les plus plébiscitées et les plus désirées. Histoire de fonctions, certes, mais surtout, désormais, histoire de «look».

A LA NAISSANCE DU CHRONOGRAPHE Une histoire d'astronomie… Les avancées et les progrès scientifiques de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle, notamment en astronomie, en médecine, ingénierie et industrie nécessitent la mesure des fractions de seconde. Dans ce domaine comme dans d’autres, inventeurs et solutions apportées sont multiples. Féru d'astronomie, l’horloger parisien Louis Moinet (1768-1853) imagine, après les essais infructueux de John Arnold, un appareil mesurant les soixantièmes de seconde qu’il nomme compteur de tierces. Celleci est la troisième subdivision en base 60 de l’heure après la minute et la seconde et utilisée en astronomie. Ce compteur a été réalisé avec la collaboration d’un horloger des ateliers d’Abraham Louis Breguet en 18151816. De par ses performances, son ergonomie et la lisibilité de son cadran, cet instrument préfigure avec un siècle d’avance les réalisations chronométriques aux cinquantième et centième de seconde par Heuer en 1916. Comme noté dans son Traité d’horlogerie, Louis Moinet informe que son compteur de tierces conçu à des fins astronomiques est mis à la disposition de quiconque désirerait le produire en nombre. Cette offre semble être restée sans suite. Il s'agissait pourtant bel et bien du premier chronographe.

… et une histoire de chevaux Le Jockey Club est fondé en Angleterre en 1751. À la fin du XVIIIe siècle, la haute société anglaise découvre les compétitions, où hommes, chevaux ou chiens se disputent la victoire. Les spectateurs parient sur le vainqueur. À la même époque, les éleveurs cherchent à mesurer les performances de leurs chevaux. Le 4 novembre 1799, Ralph Gout fait breveter en Angleterre une montre-podomètre, appareil destiné à compter le nombre de pas effectués par un piéton ou un équidé en un temps donné. Accrochée à la selle d’un cheval, elle totalise le nombre de pas de la monture ou, fixée à la jambe, celui d’un marcheur. Solidaire d’une roue de voiture, elle peut en compter les rotations. Le 1er septembre 1821, Nicolas Mathieu Rieussec (1781-1866), horloger du roi, chronomètre à l’aide d’un appareil de son invention une série de compétitions de chevaux, organisée sur le Champ de Mars à Paris. Le procès-verbal de l’Académie Royale des Sciences daté du 15 octobre 1821 et signé par Antoine-

Chronographe au soixantième de seconde de Louis Moinet. Instrument à très haute fréquence: 216 000 alternances/heure, 30 hz. Échappement en rubis de Moinet. Le retour à zéro des compteurs s’effectue à l’aide d’un stylet correcteur indépendant. Au dos du chronographe, indicateur de réserve de marche, environ 30 heures. Platine supérieure signée Louis Moinet. D. 57,7 mm; ép. 9 mm.

Louis Breguet et Gaspard de Prony relate que Nicolas Mathieu Rieussec a présenté à cette date un «gardetemps ou compteur de chemin parcouru», dénommé «chronographe à secondes» par l’Académie. Le 9 mars 1822, il obtient pour ce dernier un brevet de cinq ans. L’appareil porte bien son nom puisqu’il dépose une goutte d’encre sur le cadran en émail au début et à la fin de chaque mesure. L’abandon du marquage à l’encre conduira au chronoscope (improprement appelé chronographe), d’abord de poche, puis bracelet. Dès lors, l’histoire s’accélère. En Angleterre, Frédérick Louis Fatton (1812-1876), élève d’Abraham Louis Breguet et établi à Londres, obtient le 9 février 1822 un brevet (no 4645) pour un dispositif de chronographe encreur, puis le 27 septembre 1822 un deuxième pour un système à cadran fixe.


CHRONOGRAPHES

Chronographe encreur de Nicolas Mathieu Rieussec, Paris, 1821. (Copie contemporaine) Demi-frère de Nicolas Joseph Rieussec, l’un des membres fondateurs du Jockey Club de France et de la Société d’encouragement pour l’amélioration de la race des chevaux, Nicolas Mathieu Rieussec testa l’invention de son chronographe en 1821 sur un champ de course.

si la théorie de Sir John Floyer qui stipule la mesure du pouls à l’aide d’une montre dotée d’une aiguille des secondes. A cette fin, il crée un pulsomètre de poche en 1705. Plus tard, la montre à secondes mortes représentera pour le praticien un précieux auxiliaire dans l’établissement des diagnostics. Il faut attendre la deuxième moitié du XIXe siècle pour que les horlogers imaginent de véritables chronographes médicaux dont l’originalité ne réside pas dans leur mécanisme mais dans la graduation de leurs cadrans. Le pulsomètre, également appelé sphygmomètre, compte le nombre de pulsations cardiaques par minute. L’asthmomètre, également appelé pneumographe, compte le nombre de respirations par minute. Ces chronographes, dont les fonctions médicales peuvent être regroupées sur le même cadran, conçus au XIXe et durant une partie du XXe siècle, ont été miniaturisés dans les années 1920 afin de pouvoir être portés au poignet.

AU COURS DE SON HISTOIRE, LE CHRONOGRAPHE Le Chronographe et l’ingénieur EST SUR TOUS La variété des domaines d’activité de LES FRONTS l’ingénieur est telle qu’elle a historiLe Chronographe et l’art médical Dès l’Antiquité, les médecins grecs, alexandrins et romains, s’aperçoivent que la vie humaine est soumise au rythme régulier du pouls. Vers 300 avant JC, Hérophile de Chalcédon découvre que le cœur en est à l’origine et élabore une méthode de comptage de ses battements et de sa cadence au moyen de la clepsydre. Au premier et au deuxième siècle de notre ère, le médecin grec Discoride souligne à son tour l’importance de la clepsydre en médecine, et Galien de Pergame s’en sert pour mesurer fièvre et pouls. Vers la fin du Moyen Age, des médecins mécaniciens créent des horloges à indications à la fois médicales, astronomiques et astrologiques qu’ils consultent avant de pratiquer leur art. Plusieurs des premières horloges monumentales, indiquant automatiquement les signes du zodiaque et la position des planètes, sont complétées d’un tableau représentant une silhouette humaine nommée l’Aderlassmann, sur lequel sont localisés les points de saignée. Elles fournissent, ainsi, les corrélations entre périodes de l’année et parties du corps les plus favorables à une intervention chirurgicale. Au cours de la Renaissance, Galilée recommande l’emploi du balancier pendulaire pour mesurer le rythme cardiaque et ses écarts, et construit même un instrument adapté qu’il nomme pulsilogus. Les recherches des médecins William Harvey et Stephen Hales inaugurent l’ère de la précision de la mesure dans le domaine médical corroborant ain-

quement contraint le monde horloger à imaginer des chronographes dotés d’échelles chronométriques adaptées et qui traduisent directement le problème posé. Ainsi, on a pu voir apparaître: • Le tachymètre, qui marque la vitesse d’un mobile quelconque exprimée selon les unités locales en vigueur au moment de sa fabrication: miles/heure, verstes, kilomètres/heure ou autres. • Le télémètre, qui trouve toute son utilité dans l’art militaire mais aussi auprès des météorologues. • Le tachoscope, indispensable au bon réglage des machines et au contrôle de la production. • Le productomètre, qui indique directement le nombre de pièces produites en une heure. • Le chronographe à rattrapante, aujourd’hui employé dans l’univers sportif mais qui a longtemps servi à évaluer, au cours d’une même expérience, des observations intermédiaires de durées inégales mais commençant toutes au même moment. En fonction de ses recherches, l’ingénieur a besoin d’instruments fractionnant plus ou moins la seconde. Aussi les échelles chronométriques sont, selon les applications, généralement graduées en centièmes, cinquantièmes, vingtièmes, seizièmes, dixièmes ou cinquièmes de seconde. Dès que la montre eut atteint un degré de précision suffisant quel que soit le taux d’armage de son ressort, les cadrans ont été dotés de totaliseurs de temps mesurés allant généralement jusqu’à trente minutes. Sur les chronographes-bracelet contemporains, un second totaliseur enregistre des mesures de

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durée maximale de douze heures. Toutefois, quelques rares modèles de poche ont pu enregistrer un temps mesuré jusqu’à vingt-quatre heures. La majorité de ces chronographes, alors fabriqués par des spécialistes tels notamment A. Lange & Söhne, Glashütte Original, Moser & Co., Union Glashütte, résulte des bouleversements de la technologie et de l’amélioration de la productivité, engendrés par la révolution industrielle. Ils ont grandement aidé Frédérick Winslow Taylor (1856-1915), ingénieur et économiste américain, à concevoir sa méthode scientifique d’organisation du travail. Quelques uns des chronographes, tous développés au XIXe siècle,

à mesurer la distance qui sépare un observateur d’un phénomène visible et audible. Son principe repose sur la différence entre la vitesse de la lumière et la vitesse du son arbitrairement définie à trois cent trente trois mètres par seconde à une température comprise entre 5 et 10 °C. La distance indiquée sur le cadran et rapportée dans la direction indiquée par une boussole sur une carte d’Etat-major permet de déterminer l’emplacement du canon ennemi et éventuellement d’ajuster le tir de réponse. Aujourd’hui, cet instrument est devenu pacifique et peut se révéler précieux à tous ceux qui, en mer ou sur terre, veulent se mettre à l’abri à l’approche de l’orage…

«Aboutissement de progrès horlogers fondamentaux et point de départ de nouvelles recherches, le chronographe, par l’abandon de la piste de l’enregistrement graphique du temps, deviendra au fil des décennies un chronoscope: un temps que l'on peut regarder défiler et compter. D'abord sur une montre de poche puis sur bracelet. Le chronographe va accompagner pas à pas la révolution industrielle jusque dans l’organisation la plus extrême du travail. Compagnon de l’ingénieur mais aussi de l’astronome, du scientifique, du médecin, de l’artilleur et de l’explorateur, aucun domaine ne lui échappe pour exprimer l’instant présent. Avec l’engouement progressif pour le temps libre, il s’immisce dans toutes les disciplines sportives individuelles ou par équipe et, au-delà de sa fonction première de mesure des temps courts, devient l’un des codes identitaires de l’homme moderne. Un homme qui après avoir maîtrisé la technique et la vitesse, croit maîtriser le temps en arrêtant et en faisant repartir un mécanisme magique, d'un beauté rare et d'une complexité qui reflète l'intelligence humaine.» Franco Cologni, extrait de la préface Le Chronographe

ont été transposés sous la forme de montres-bracelets. Expression des besoins de leur époque, certaines graduations, comme par exemple celles des chronographes Omega, rappellent des mesures d’alors: vitesse horaire des pigeons voyageurs, des tramways, hippomobiles, des chevaux au trot ou au galop, temps de développement des épreuves photographiques; d’autres restent auréolées de mystère car nombre d’applications auxquelles elles étaient destinées ont aujourd’hui disparu.

Le Chronographe et le militaire Le temps est la base fondamentale des calculs de balistique et de l’analyse du tir des armes à feu. Si la mesure de la vitesse élevée des projectiles ne peut être chronométrée à l’aide du chronographe classique, cet instrument doté d’une échelle télémétrique a longtemps été utilisé par les artilleurs pour régler le tir des canons. Le télémètre est un appareil servant

Le Chronographe et le scientifique L’amélioration de la précision des observations astronomiques est due à l’horlogerie en général et au chronographe en particulier. Jusqu’à la Renaissance, divers instruments aident à l’observation du passage des étoiles aux méridiens. L’utilisation de la lunette astronomique par Galilée à partir de 1609 révolutionne la technique des observations stellaires. Pour déterminer l’heure du passage d’une étoile dans le plan méridien (plan vertical du lieu de l’observation orienté du nord vers le sud), les astronomes utilisent, jusqu’au XIXe siècle, la méthode dite «de l’œil et de l’oreille»: après avoir lu l’heure sur leur pendule ou leur chronomètre dont le balancier bat la seconde, ils en comptent les battements, jusqu’à l’instant du passage de l’étoile au centre du champ de vision de l’appareil, l’œil rivé à leur lunette de visée. L’invention du chronographe rend

cette méthode obsolète, l’observateur n’ayant plus qu’à arrêter, manuellement d’abord, puis à l’aide d’un contact électrique, le chronoscope rapidement doté d’une bande d’enregistrement graphique. C’est grâce, notamment, à des appareils de mesure du temps de plus en plus précis que pourront être décelées certaines caractéristiques de la Terre, dont la forme imparfaitement sphérique et les variations infinitésimales de sa vitesse ont des conséquences sur la détermination de la longitude et de la latitude. La solution à ce problème, vitale pour les marins, est trouvée par l’horloger anglais John Harrison, en 1761, grâce à ses chronomètres de précision. Un siècle plus tard, au XIXe, le chronographe doté de ses trois fonctions – mise en marche, arrêt et retour à zéro – reste un instrument sans égal pour faire le point, en mer comme sur terre. Complété de boussole, thermomètre et baromètres, il fut l’instrument par excellence des grands explorateurs.

Le Chronographe et le sportif La première rencontre universitaire d’aviron entre Oxford et Cambridge se déroule en 1829. À cette occasion, les concurrents sont mesurés au quart de seconde, le balancier des chronographes battant alors à 14 400 alternances à l’heure. Dans le domaine sportif, le cinquième de seconde (18 000 alternances à l’heure) restera longtemps considéré comme étant l’unité la plus basse compatible avec les temps de réaction nécessaires à un chronométreur humain pour mettre en route et arrêter son chronographe. Aujourd’hui, l’échelle tachymétrique circulaire indique des vitesses généralement comprises entre soixante et quatre cents. Mais la forme en spirale portée sur les montres-bracelets les plus actuelles permet de porter la plage des mesures de vingt à mille kilomètres/heure. En 1912, les Jeux Olympiques de Stockholm expérimentent des compteurs photographiques capables de distinguer le dixième de seconde. Le centième de seconde est utilisé en 1924 lors des Jeux Olympiques de Paris. Toutefois, la Fédération Internationale d’Athlétisme amateur, considérant que l’œil humain doit continuer à distinguer le gagnant, refusera de reconnaître la validité de ces résultats. Aux Jeux Olympiques de Rome en 1960, les chronoscopes manuels sont abandonnés au profit de procédés photographiques et électriques. Toutefois, à partir de 1892 et peut-être même antérieurement, certaines compétitions sportives sont mesurées à l’aide de chronographes à déclenchement électrique, pour lesquels Mathias Hipp (18131893) fait figure de pionnier. Avec eux, débute une autre histoire car leur performance commence là où la technique de l’horlogerie mécanique a atteint ses limites.


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CHRONOGRAPHES, TENDANCE «BLACK»

VACHERON CONSTANTIN, TRADITIONNELLE CHRONOGRAPHE QUANTIÈME PERPÉTUEL Par souci de lisibilité, le cadran se présente en nuances de gris, avec des finitions différenciées selon les fonctions, conformément aux chronographes Vacheron Constantin des années 1940. Le calibre 1142 QP, mouvement de dernière génération entièrement conçu et développé au sein de la manufacture, remplace ainsi le 1141 QP. Ce mouvement propose les fonctions quantième perpétuel avec indication de la date, des jours, des mois, des années bissextiles et des phases de lune qui viennent compléter la fonction chronographe avec trotteuse centrale et compteur 30 minutes à 3h, vis-à-vis de la petite seconde à 9h.

SINGER, TRACK1 Le nouveau «moteur» de chronographe de Jean-Marc Wiederrecht, le patron d'Agenhor, anime les deux plus intéressants chronographes de l'année, le Visionnaire Chronograph de Fabergé (voir ci-contre) et le Track1 de la toute nouvelle marque Singer. Heures, minutes et secondes du chronographe sont indiquées co-axialement au centre du cadran, sur une échelle de3x60 (60 secondes, 60 minutes et 60 heures) permettant ainsi la lecture des temps mesurés de façon simple, intuitive et immédiate. Ce calibre de 34.4 mm tourne à une fréquence de 3 Hz et ses deux barillets lui assurent une réserve de marche de plus de 60 heures. Ce moteur d’exception est construit autour d’une série de cames en colimaçon permettant l’affichage central des fonctions du chronographe. De plus, son embrayage innovant, exclusif à Singer, permet un confort d’utilisation sans précédent. Le boîtier en titane aux lignes pures et dynamiques est une interprétation moderne des chronographes des années 1960 et 1970. De forme tonneau, il présente une fine lunette et est délicatement incurvé pour une ergonomie optimale. D’un diamètre de 43mm, il alterne des finitions polies et satinées-soleil.

FABERGÉ, VISONNAIRE CHRONOGRAPH Un des codes principaux de la collection Visionnaire de Fabergé est de placer la «complication» au centre, comme dans la précédente Visonnaire DTZ, pour Double Time Zone. Avec la complicité de Jean-Marc Wiederrecht (cf ci-contre la Singer Track1, basée sur le même mouvement) Fabergé présente ce Visionnaire Chronograph, lointainement inspiré des dessins préparatoires du Constellation Egg de 1917 (jamais terminé) et de sa bague extérieure pour indiquer le temps. La complication chronographique est donc placée au centre du cadran, indiquée très clairement par trois aiguilles (24 heures, 60 minutes, 60 secondes), tandis qu'heure et minute passantes sont indiquées sur les échelles extérieures du cadran par deux pointes d'aiguilles surgissant sous le cadran central du chronographe. (Lire en page 26 l'entretien avec Aurélie Picaud, à l'origine du renouveau de l'horlogerie Fabergé).


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RAYMOND WEIL, FREELANCER CHRONOGRAPHE La toute nouvelle édition du chronographe vedette de Raymond Weil cherche à allier élégance et puissance. Boîtier en acier de 42,5 mm, étanche jusqu'à 100 mètres, doté d’un mouvement mécanique à remontage automatique avec une réserve de marche de 46 heures, le dernier né de la collection Freelancer se décline en plusieurs modèles: cadran argenté ou noir logé dans un boîtier de 42,5 mm en acier, assorti d’un bracelet en cuir ou en acier. Couronne vissée, tachymètre et lunette guillochée, font de ce nouveau chronographe de la collection Freelancer un modèle viril et élégant adapté à toutes occasions. Heures, minutes et petite seconde à 9h. Quantième avec date et jour de la semaine à 3h.

HERMÈS, ARCEAU CHRONOGRAPHE TITANE C’est en 1978 qu’Henri d’Origny crée le modèle Arceau: une montre ronde à laquelle il associe des attaches asymétriques à la forme empruntée aux étriers ainsi qu’une typographie identitaire et singulière. Dotée d’une complication chronographe et d’un boîtier en titane microbillé de 41 mm, cette version sportive automatique séduit par sa légèreté. Les trois compteurs et le quantième viennent se positionner harmonieusement. Les codes selliers sont repris sur les deux modèles : soit avec le bracelet Barénia naturel, soit avec le bracelet en Barénia noir embossé témoignant, par leur point sellier et leur toucher, de la tradition d’excellence du cuir de la maison.

EBERHARD, CHRONO4 130 Pour marquer ses 130 ans d'existence, Eberhard sort un modèle spécial de son fameux Chrono4, seul chronographe à présenter 4 compteurs alignés horizontalement: minutes, heures, 24 heures et petites secondes, offrant une lisibilité immédiate. Cette édition commémorative permet de voir les rouages des compteurs grâce à un pont en verre saphir d'une épaisseur de 3 dixièmes de millimètre. Boîtier acier de 42 mm. Edition limitée à 130 pièces.


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CHRONOGRAPHES, TENDANCE «BLACK»

BLANCPAIN, L-EVOLUTION «SUPER TROFEO» FLYBACK CHRONOGRAPHE

LOUIS VUITTON, TAMBOUR ALL BLACK CHRONOGRAPHE Créée en 2002, la montre Tambour marque le début de l’horlogerie Louis Vuitton. Quinze ans après sa naissance, voici une nouvelle version: la Tambour All Black. La Tambour All Black Chronographe donne un esprit sportif à la montre tout en conservant son élégance. Logée dans un imposant boîtier en acier de 46 mm de diamètre, elle est animée d’un calibre automatique et offre les fonctions chronographe, heures, minutes, secondes et date.

MIDO, MULTIFORT SPECIAL EDITION CHRONOGRAPHE La collection Mido Multifort est une des collections les plus en vue de Mido. Edition spéciale en acier 316L traité PVD noir, ce chronographe automatique est équipé d'un mouvement Mido 1320 sur base ETA Valjoux 7750, doté d'un spiral Anachron, d'un balancier Glucydur et d'un ressort de barillet Nivaflex NM. Ce mouvement chronographe est finement décoré, avec vis bleuies et masse gravée Côtes de Genève. Heures, minutes, secondes, chronographe 60 secondes au centre, compteur 30 minutes à 12h et compteur 12 heures à 6h. Jour et date à 3h. Boîtier acier 316L de 44 mm. Fond transparent. Etanche à 100m. Proposé avec deux bracelets interchangeables en cuir veau noir ou orange façon crocodile.

L’association de Blancpain et de Lamborghini a donné naissance à un championnat automobile décliné en six rendez-vous sur l’année, le Super Trofeo, qui voit s’affronter les nouvelles Lamborghini Gallardo. Pour célébrer ces courses Blancpain présente un nouveau chronographe flyback Super Trofeo. Une montre résolument sportive, limitée à 600 pièces. Pour renforcer son caractère dynamique, le mouvement mécanique Calibre F185 de la Blancpain Super Trofeo a subi un traitement galvanique NAC, permettant de noircir les ponts et la platine du mouvement. Chronographe mécanique à remontage automatique, le Calibre F185 dispose de 40 heures de réserve de marche et affiche heures, minutes, petite seconde et date à guichet à 6h, ainsi que les indications chronographe, trotteuse centrale, compteurs 30 minutes à 3h et 12 heures à 9h. Le cadran noir se singularise par ses deux chiffres 9 et 12 rouges et blancs, stylisés à l’image des numéros arborés par les bolides Lamborghini Gallardo LP560-4.


CHRONOGRAPHES, TENDANCE «BLACK»

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BREITLING, SUPER AVENGER 01, BOUTIQUE EDITION Le chronographe Super Avenger 01 accueille pour la première fois un calibre manufacture Breitling 01 dans une édition spéciale limitée à 100 pièces disponibles exclusivement dans l’une des quelque 60 boutiques Breitling à travers le monde. Certifié chronomètre (COSC), il se distingue par son cadran noir avec compteurs ton sur ton rehaussé par l’inscription «Edition limitée» en rouge et par de grands index et aiguilles luminescents. Le boîtier en acier allie un diamètre imposant de 48 mm à une esthétique très professionnelle. Un chrono étanche à 300 m, de construction ultra robuste, avec renforts de poussoirs vissés et couronne massive vissée avec relief antidérapant. A choix sur bracelet en cuir, en caoutchouc, en fibre textile Military haute résistance ou en acier. Le fond spécial gravé arbore une pin-up au look vintage (on n'en sort pas) et la mention «Special delivery».

RICHARD MILLE, RM 50-03 MCLAREN-F1 La RM 50-03 est le tourbillon chronographe à rattrapante le plus léger au monde: 40 grammes, y compris le bracelet. Une performance accomplie grâce à l'emploi de matériaux de haute technicité - titane, carbone TPT et Graph TPT pour le boîtier – et une architecture intégralement aérienne. Le mouvement lui-même ne pèse que 7 grammes. Fixée à la carrure, la cage transversale en carbone TPT™ – dont les lignes s’inspirent des triangles de suspension d’une Formule 1 McLaren-Honda - supporte le calibre RM50-03. En supprimant le cercle d’emboîtage, cette construction atypique garantit une intégration idéale du mouvement au boîtier. L’ensemble de ces solutions techniques octroie à cette pièce complexe une capacité de résistance hors du commun, éprouvée en interne par des chocs de 5000 G.

LONGINES AVIGATION BIGEYE La marque au sablier ailé réédite dans sa collection Heritage une de ses récentes acquisitions, un chronographe au design des années 1930 qui s'inscrit dans la grande tradition des montres de pilotes, The Longines Avigation BigEye. Cadran très lisible mettant l’accent sur le compteur de minutes, imposants poussoirs qui permettent au porteur de les manipuler tout en portant des gants, boîtier de 41 mm de diamètre abritant le calibre chronographe roue à colonnes L688 produit exclusivement pour Longines. Les indications se lisent parfaitement sur un cadran noir semi-brillant à chiffres arabes recouverts de SuperLuminova©. Compteur 30 minutes surdimensionné à 3h, compteur 12 heures à 6h, petite seconde à 9h. Une glace bombée et un bracelet en cuir brun complètent cette pièce qui surfe sur la vague vintage.


ARCADE

26 | EUROPA STAR PREMIÈRE

Aurélie Picaud, la fée horlogère de Fabergé mène et, à la fin, tout le monde voulait voir nos créations. Il faut dire aussi que Jean-Marc Wiederrecht s'est transformé en ambassadeur enthousiaste de la marque. Mais c'est là aussi que commençait véritablement la partie commerciale de l'aventure, la recherche de partenaires. Fabergé est un nom connu mais «sortir de l'œuf» et faire connaître ce que Fabergé fait aujourd'hui était – est toujours - une autre paire de manches. Ceci passe par l'éducation du public, la démonstration de l'incroyable fond créatif que le fondateur a légué, l'explication de la légitimité horlogère de Fabergé – à l'époque, Carl Fabergé travaillait avec Heinrich Moser, installé en Russie…

Peu, très peu de femmes sont à la tête d'une maison d'horlogerie. La jeune Aurélie Picaud qui dirige la branche horlogère de Fabergé est une de ces rares exceptions. En quelques très brèves années, elle est parvenue à placer le nom de Fabergé au centre de l'attention avec des propositions horlogères innovantes techniquement, très créatives et ne ressemblant à aucune autre (raflant au passage deux grands prix au GPHG pour ses deux premières présences). Europa Star l'a rencontrée lors d'un de ses passages à Genève, où a été ouvert un atelier, et Londres, siège de la maison-mère. Et c'est avec douceur, sourire et une gentillesse qui cache une détermination rare qu'elle a bien voulu répondre à nos questions. Visiblement, Aurélie Picaud sait fort bien où elle veut entraîner l'horlogerie selon Fabergé

Votre parcours est totalement atypique. Comment êtes-vous arrivée à diriger l'horlogerie d'une maison comme Fabergé? Je suis née en France, en Normandie et j'ai choisi de faire une école d'ingénieur, l'ITECH à Lyon, qui est spécialisée notamment dans la chimie, la cosmétologie, la plasturgie… Je pensais entrer dans la filiale cosmétique mais en fait je me suis décidée pour les technologies du cuir, de la maroquinerie et donc de la mode. Puis je suis partie pour un stage de 6 mois en Allemagne, auprès d'un équipementier automobile travaillant pour Porsche, Audi, VW. Là, j'ai participé à la recherche de cuirs pour tableaux de bord. En fait, j'y suis restée deux ans, intégrée à l'équipe de R&D. Mais je n'avais pas la passion de l'automobile, je cherchais quelque chose de plus créatif. Je ne connaissais pas du tout l'horlogerie mais par une suite de hasards, je suis entrée au Swatch Group pour travailler sur les bracelets de montres, toutes marques confondues. Là, au sein de la cellule Quality Management, je me suis occupée des critères de qualité, réalisant des audits des différents fournisseurs. Et je me suis prise de passion pour l'objet horloger. Je suis passée ensuite chez Omega, comme chef de produit junior. Je n'étais plus cantonnée au seul bracelet et j'ai travaillé avec le bureau technique sur l'ensemble du produit. Ça a duré 3 ans, avec un passage chez Breguet. Là-dessus, j'ai reçu une proposition d'Audemars Piguet, une marque que j'apprécie, qui a osé en son temps la Royal Oak. On m'a proposé de devenir chef de produit, d'abord les

montres femme puis en partie les Royal Oak homme. J'avais enfin une vision à 360º. Je touchais autant au produit qu'à la stratégie marketing ou à la communication. J'étais heureuse, je travaillais en étroite collaboration avec la designer Julie Dicks… quand j'ai été contactée par Fabergé qui voulait me rencontrer. C'était hier, en 2013… J'y suis allée pour voir, on ne sait jamais. Je connaissais le nom, les fameux œufs de Fabergé mais pas grand chose d'autre. J'ai eu un entretien avec le CEO Sean Gilbertson qui m'a expliqué qu'il voulait «nettoyer» la licence horlogère qui prenait fin prochainement, qu'il voulait reprendre entièrement la partie horlogère. Il fallait tout imaginer, repartir d'une page blanche. Je ne pensais jamais être sélectionnée mais, contre toute attente, ils m'ont fait une proposition. Et l'aventure m'a tentée. On était en novembre 2013 et on m'a donné pour objectif de présenter une collection à Bâle 2014! Là, j'ai dit non, c'est impossible. Tablons sur Bâle 2015 avec plusieurs nouvelles collections. Ils savaient une chose: ils voulaient dès le début une complication féminine. Fort bien, mais comment s'y prendre? Comment part-on d'une feuille blanche… à remplir si rapidement, dans un délai de 14 ou 15 mois? J'ai commencé par m'imprégner le plus possible de Fabergé le joaillier et de son incroyable histoire. On connaît les œufs mais on ignore souvent la richesse créative du reste. Très impressionnant et très stimulant, une grande liberté, l'expression d'une joie, des astuces... J'ai donc commen-

Photographie Fabien Scotti

Propos recueillis par Pierre Maillard

Et la suite a démontré que cette inspiration était vraiment féconde?

cé par échanger et travailler avec les designers joailliers de la maison. De là j'ai cherché à déterminer les attributs fondamentaux du style Fabergé afin de construire une cohérence. Il y a des proportions spécifiques, une propension au mélange des matières, un art très poussé de la couleur et souvent, un jeu, une surprise… A la confluence de la technique et de la créativité. Il n'y a qu'à penser aux œufs, précisément, et à la surprise qu'ils devaient susciter, même auprès du tsar. Quelque chose qui vous met un sourire aux lèvres, qui vous raconte une histoire, qui suscite une émotion particulière. Par ailleurs, Carl Fabergé avait pour habitude de travailler avec des maîtres-artisans en fonction de ses différents projets. Je me suis dit que j'allais employer la même méthode pour l'horlogerie. J'ai établi me feuille de route: que du mécanique et de l'original, c'est à dire de la très belle mécanique qui exprime quelque chose de particulier. On est fin 2013, vous n'avez pas d'équipe, vous êtes toute seule, vous partez en Suisse et vous allez faire des rencontres décisives… J'ai défini quatre projets et pour chacun de ces projets j'ai décidé de monter une équipe différente et autonome qui couvre chacune l'ensemble du projet. Très vite, j'ai fait la rencontre décisive de Jean-Marc Wiederrecht, d'Agenhor. J'ai dû insister pour le rencontrer et lui exposer mes idées,

L'OBJET: DVD du film documentaire «Signé Chanel» de Loïc Prigent, réalisé en 2013 et qui suit de A à Z, la conception d’une collection Haute Couture de la maison Chanel. «J'ai toujours été fascinée par Gabrielle Chanel et toute son histoire. J'aime son caractère tranchant, ses choix avant-gardistes, elle qui, en transformant les codes masculins, a bouleversé la façon dont les femmes s'habillent, les a libérées des carcans et des corsets. A mes yeux, elle est un modèle. Et j'admire la continuité stricte de la marque, son intemporalité, ce côté chic avec toujours une pointe rock'n'roll. Et intransigeante, avec ça!»

mes pistes en vue d'une complication véritablement féminine. Et j'ai réussi à le convaincre de se lancer dans le projet qui, grâce à son approche poétique de l'horlogerie et sa science particulière du rétrograde, est devenu la Lady Compliquée Peacock. En parallèle, j'ai réuni trois autres équipes, une pour une montre purement joaillière, Summer in Provence, une autre pour la collection d'entrée, la Flirt, équipée d'un mouvement Vaucher et une dernière pour la montre masculine Visionnaire 1, avec tourbillon volant à 9h, un projet emmené par Giulio Papi. J'étais encore toute seule, et il fallait aussi mettre en place la gestion du tout, la logistique, le contrôle de qualité, le marketing, la ligne graphique et mille autres points. Sans oublier la nécessité de trouver des locaux à Genève et de mettre en place un atelier, organiser l'emboîtage. Et on se retrouve à Bâle 2015… J'avais évidemment le trac mais l'intérêt s'est tout de suite manifesté. Le bouche-à-oreille a amplifié le phéno-

En 2016, toujours à Bâle, nous avons présenté de nouvelles collections, comme la Dalliance, avec notamment la Fabergé Lady Libertine. L'idée maîtresse de cette ligne particulière était de jouer avec le centre de la montre, occupé par un disque légèrement surélevé d'où surgissent par en-dessous deux pointes d'aiguilles ajourées, de façon à dégager de larges plages – au centre et sur le pourtour, dédiées à la décoration, comme par exemple l'énorme Lune pleine centrale de la Lady Levity. Et toujours en parallèle, nous avons poursuivi la si fructueuse collaboration avec Jean-Marc Wiederrecht en lui demandant de travailler à un deuxième fuseau horaire lisible au centre de la montre. Ça a donné la DTZ qui, à nouveau, a beaucoup fait parler d'elle avec son chiffre de second fuseau affiché dans un guichet central. Une montre à la fois innovante et d'une lecture évidente. Cette idée de fonction placée au centre de la montre est particulièrement bien tombée car Jean-Marc travaillait de son côté depuis longtemps à concevoir un mouvement qui soit «évidé» si on peut dire en son centre de façon à permettre de nouveaux modes d'affichage central de complications. C'est de cette collaboration qu'est né cette année, en 2017, notre Visionnaire Chronograph, dépourvu des traditionnels compteurs au profit d'une lecture centrale à aiguilles. Une innovation que d'aucuns trouvent majeure, obtenue grâce à mouvement révolutionnaire qui, ceci dit, est resté propriété d'Agenhor mais que nous avons pu être les premiers à mettre en œuvre. Aujourd'hui, nous en sommes à près de 200 montres par an. Notre objectif est de parvenir à un millier. Mais nous tenons à rester une marque de niche, une marque joaillière et une marque de complications horlogères. L'intention du groupe est forte et bel et bien là, et les investissements consentis pour y parvenir sont considérables.


ARCADE

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Montblanc, l’horlogerie à l’ère du design sont un puits de valeur. Nous avons déjà commencé à valoriser le patrimoine de Minerva à travers nos collections 1858 et TimeWalker. Le RallyTimer ravive par exemple l’esprit des «stop watches» de Minerva. Une stop watch, c’était l’ordinateur de l’époque! Il s’agissait d’instruments au sens propre, avec une contrainte très forte sur la lisibilité de la montre.

Pourquoi les chronographes vintage et utilitaires ont-ils une cote aussi grande aux enchères? Est-ce que le minimalisme est une tendance ou un mouvement de fond? Après des années de surenchère mécanique, l’industrie semble vouloir en faire enfin un peu moins... Rencontre avec Davide Cerrato, responsable de la division horlogère de Montblanc, qui porte son regard aiguisé sur les changements en cours et se réjouit de cette simplicité retrouvée.

Comme on parle d’un «nez» en parfumerie, Davide Cerrato est un «œil» en horlogerie. Italien d’origine, toujours bien mis et affable, il met aujourd’hui son regard au service de la division horlogère de Montblanc, après avoir grandement contribué à la remise au goût du jour de Tudor, qui connaît un nouvel âge d’or grâce à la formule gagnante du chrono, du vintage, du prix accessible et de la lisibilité, décuplant au passage la valeur de cette marque aux enchères. Alors, pourquoi Montblanc? Car derrière Montblanc, il faut lire... Minerva. C’est l’intégration de cette manufacture historique, fameuse pour ses «stop watches», qui a attiré l’œil de Davide Cerrato. Minerva, devenue aujourd'hui la Manufacture Montblanc de Villeret, fêtera ses 160 ans l’an prochain. L’occasion de faire un point avec lui sur les grandes tendances esthétiques du marché. L’ère de l’extravagance technique semblant se refermer progressivement, la discussion s’oriente rapidement vers le design et le minimalisme. Si l’on compare la production horlogère actuelle à celle d’il y a encore cinq ans, on a l’impression que les codes esthétiques se sont assagis. Aujourd’hui, beaucoup de «nouveautés» ressemblent à s’y méprendre à des modèles d’il y a cinquante ans – tandis que les «originaux» d’il y a cinquante ans, eux, s’arrachent aux enchères, notamment les chronos et les montres sport... Prenons un peu de recul. Le quartz a été un choc terrifiant pour l’industrie

horlogère suisse à partir des années 1970 et face à ce choc, la réponse de cette dernière a été de concevoir de la mécanique encore plus technologique. Ce faisant, le design a été quelque peu laissé de côté. La crise de 2008-2009 a vu le début de la clôture de ce cycle technologique. Nous sommes revenus à l’ère du design, avec l’envie désormais de reprendre le meilleur de l’artisanat mécanique et de la forme. En horlogerie, comme dans toute industrie, le design, c’est le premier regard, le plus important. On voit bien aujourd’hui l’importance du design, dans notre époque dévouée au minimalisme. La question qu’il faut se poser n’est plus ce qu’il y a à ajouter mais à enlever sur une montre. N’oublions pas que la raison d’être de la montre a d’abord consisté à servir d’instrument de mesure. Nous nous réapproprions les dimensions primaires de la montre, la lisibilité de la montre sport si appréciée aujourd’hui, son côté fonctionnel pur. Un nouveau cycle s’ouvre, qui puise dans le vintage. Ce cycle ne semble pas forcément favorable aux horlogers contemporains. D’un côté, de nombreux nouveaux acteurs dans l’entrée de gamme puisent dans ces codes vintage pour se donner une image de luxe à bon prix auprès des jeunes... Et de l’autre, beaucoup de collectionneurs semblent préférer l’original et se tournent vers les ventes aux enchères! Je ne crois pas au brouillage des codes du luxe aujourd’hui, car la différence entre un objet de luxe et de mode réside dans deux éléments. La pro-

Photographie Fabien Scotti

Par Serge Maillard

En parlant de lisibilité justement, on est parfois un peu perdu devant l’extension continue de Montblanc – peut-être un héritage de Jérôme Lambert et son activisme créatif – qui va aujourd’hui de la montre connectée aux hautes complications. Quel est le rôle de Minerva au sein de cette gamme de produits très large?

L'OBJET: «Je reviens de Londres, le seul endroit où je peux confortablement sortir avec un chapeau melon à l’anglaise. J’aime beaucoup les chapeaux. Récemment, j’ai d’ailleurs craqué pour un modèle Ranger de parc américain. En Suisse, on voit beaucoup moins de gens porter des chapeaux, c’est dommage! Un jour, quelqu’un m’a demandé ce que j’avais envie d’apporter à l’industrie horlogère? Du style!»

fondeur d’analyse, d’une part, c’està-dire que l’on peut sans cesse explorer son passé et apprendre de chaque étape. Et la qualité technique d’autre part: nous avons fait des recherches sur les matériaux qui ont conduit au développement d’une montre comme la TimeWalker Pythagore UltraLight Concept, qui pèse moins 20 grammes. Et elle ne pourrait pas être plus épurée. C’est là que le design rencontre l’innovation. Par ailleurs, je crois que chaque époque passe par ses cycles de régénération, qui créent de nouveaux collectionneurs. Pour moi, le marché du neuf et celui de l’ancien ont toujours coexisté. Certains retai-

lers ont d’ailleurs toujours eu des montres d’occasion en magasin. Le vintage fait partie du système. Votre patrimoine, parlons-en. L’année prochaine marque les 160 ans de Minerva, qui est aujourd’hui intégrée à Montblanc. Pourquoi ne pas l’avoir faite revivre comme marque, elle qui est justement très appréciée des connaisseurs? Il faut souligner que Minerva a toujours été plus axée sur le produit que sur sa marque propre. Son rôle était d’abord celui de fournisseur. Les montres Minerva sont du reste assez rares. Nous signons aujourd’hui les mouvements Minerva et prolongeons la vie de cette manufacture. Cela me semble cohérent. Nous disposons avec Minerva d’un vrai laboratoire créatif, avec le patrimoine technique et design de cette marque. Cela concerne non seulement les mouvements mais aussi les cadrans ou les boîtes. Ces archives

L’intégration de la manufacture Minerva nous a justement permis de réaliser des pièces haut de gamme, comme l’ExoTourbillon, et nous pouvons maintenant appliquer ces innovations plus largement à la production de la marque. L’ExoTourbillon est un bon exemple, puisque sa «traduction industrielle» a été le modèle slim. Notre corps de métier est clair: c’est la montre mécanique. Nous faisons de l’horlogerie mécanique avec une forte valeur intrinsèque, un bon prix d’appel et des très grandes complications en plus. La montre connectée Summit est un produit d’appel auprès des Millenials et nous appliquons d’ailleurs nos designs de cadrans vintage sur la montre connectée. Mais vous pointez en effet un élément important: nous allons progressivement passer de dix à six collections pour rendre notre offre plus visible, avec une démarcation fondamentale entre les périmètres du sport et de l’héritage. Pour chaque thème, nous avons un niveau de belle horlogerie assez large et un un positionnement prix juste. Nous n’avons donc pas à changer de stratégie comme le font certaines marques, car nous nous sommes toujours battus sur le concept de la valeur intrinsèque. Notre cœur de métier reste un segment entre 2'000 et 5'000 francs mais nous proposons aussi des lignes entre 20'000 et 100'000 francs.

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L’horlogerie verte se cache bien L’horlogerie suisse assure-t-elle sa part de responsabilité environnementale? Il y a dix ans, la réponse était clairement non. Aujourd’hui, les choses bougent. Il n’est plus une marque sérieuse qui n’ait pas sa «Direction du Développement Durable». Si l’action est parfois tangible, la communication est imperceptible. Motif: l’horlogerie vend du rêve, pas de l’engagement environnemental. L’arrivée des générations X et Y, en forte demande sur ce sujet, fait cependant bouger les lignes. Par Olivier Muller

Etes-vous clean, green, RSE, DD ou responsable? Lorsque l’on pose la question aux marques horlogères, aujourd’hui, le sujet est pris très au sérieux. Ce n’était pas le cas il y a quelques années: faire son miel devant sa manufacture, c’était être green. Les abeilles, c’est vrai, c’est important. Peut-être un peu moins que les 10,6 tonnes de piles recyclées l’année dernière par le Swatch Group.

De l’art de monter au créneau (ou pas) La responsabilité environnementale – appelons-la ainsi – remonte évidemment bien plus haut dans la chaîne de valeur d’une entreprise horlogère. Il n’existe plus guère de CEO qui se réfugie derrière la parade (proche du sophisme) selon laquelle une montre mécanique est construite pour des siècles et se trouve donc durable par essence. Aujourd’hui, de nombreux rapports annuels et CSR (Corporate Social Responsability) traitent du sujet. Ils

sont efficaces, un peu trop d’ailleurs: c’est derrière eux, à présent, que les marques se réfugient afin d’éviter toute prise de parole directe. Il en va ainsi du Swatch Group, qui consacre 6 pages à l’écologie horlogère sur les 244 pages de son rapport annuel. Kering y dédie un rapport de 25 pages mais n’hésite pas, en complément, à monter au créneau. MarieClaire Daveu en est la directrice du développement durable et des affaires institutionnelles internationales: «Le développement durable est une source d’innovation et de créativité. Il favorise la collaboration, la connectivité et la transparence. Il comporte toutefois une difficulté: celle de concilier le temps long de la marque avec le temps court du consommateur.»

Durable ou désirable? Les deux! Ce n’est pas le seul écueil. La responsabilité environnementale est avant tout une question de processus et de traçabilité. On est bien loin du marketing horloger de «garde-temps sé-

culaires à l’élégance intemporelle». Traduction: il est bien délicat d’industrialiser le rêve – encore plus de le vendre! De bien des avis, le développement durable ne fait pas rêver. Le consommateur est d’autant moins engagé à le vouloir que son bénéfice dépasse l’échelle de sa propre vie. Se prémunir d’une augmentation des températures de 1,5 degré dans un siècle, c’est bien mais cela ne fait pas vendre des montres... aujourd’hui. Stéphane Truchis l’a bien senti. Il est président de l’institut de son-

dage IFOP. Selon lui, si la responsabilité environnementale ne fait pas (encore) vendre, c’est parce qu’elle n’est pas assez sexy. L’enjeu est donc «d’articuler désirabilité et durabilité. Il faut davantage prouver que, par nature, le luxe est autant durable que désirable». Sandrine Noel, responsable environnement chez Louis Vuitton, abonde: «Aujourd’hui, les attentes des consommateurs sont clairement exprimées. Nos vendeurs ont compris que le développement du-

rable était un avantage, une belle histoire. Une marque qui inclut le développement durable dans ses actes et son discours est plus désirable. Cela contribue à son authenticité et son humilité.» On y est! Pour que la responsabilité environnementale se développe à tout le luxe, dont l’horlogerie, il faut la rendre désirable et authentique. Nécessaire mais pas suffisant: on ajoutera «accessible» car le progrès écologique ne sera réel qu’une fois adopté par les masses.

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ENVIRONNEMENT Une question de certification Ce caractère accessible de l’horlogerie durable est un vaste sujet. Immédiatement, on pense au produit et à son prix. Chopard, par exemple, avec ses pièces dont l’or est certifié «Fairmined». L’initiative est remarquable: c’est la première de ce genre et c’est un succès. La manufacture en renouvelle l’offre chaque année et en augmente les volumes afin de répondre à une demande croissante. Kering suit avec certaines de ses marques une certification assez proche, soutenue par une ONG, Solidaridad. Côté diamants, le processus de traçabilité dit «de Kimberley» est adopté par la quasi-totalité des marques, en parallèle du RJC (Responsible Jewellery Council), lequel fait autorité pour endiguer le fléau des diamants de sang («blood diamonds»). Ces certifications sont indispensables – «et pas simples à obtenir», souffle Karl-Friedrich Scheufele, co-président de Chopard. Toutefois, l’horlogerie durable va considérablement au-delà du produit: boutique, emballage, papiers utilisés, émissions de CO2, etc.

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Ce dernier a donc mis en place des mesures concrètes pour y remédier: tannage sans métaux lourds, intégration de ses propres tanneries, sélection drastique des partenaires. Prochaine étape? Le cuir végétal, probablement. Il n’est pas encore arrivé en horlogerie mais déjà chez une marque qui, elle aussi, dicte son tempo au luxe: Tesla. Depuis cet été, la marque aux bolides électriques a stoppé l’utilisation du cuir animal (au profit du végétal) dans tous ses modèles, sans exception. Cela ne l’empêche pas de vendre du rêve et, accessoirement, des voitures à 150'000 dollars. A méditer?

En attendant les X et Y Les rejets – au sens large – sont l’autre préoccupation majeure des horlogers. Le Swatch Group souhaite diminuer sa consommation énergétique durant la période de 2013 à 2020 en réalisant une réduction de ses émissions de CO2 à hauteur de 27%, tout en augmentant l’efficacité énergétique de 8%. Les panneaux photovoltaïques ont également la préférence de nombreuses marques, qui les déploient sur leur toit, comme chez TAG Heuer ou Hublot.

Les indépendants ne manquent pas d’idées non plus. Christophe Claret a par exemple converti sa chaudière du fioul au gaz tout en déployant un ingénieux système récupérant la chaleur des machines pour chauffer les bâtiments. Ulysse Nardin, non loin de là, a d’ailleurs fait de même. Agenhor, de la même manière, a fait construire ses bureaux selon une exposition solaire optimisée afin d’en réguler naturellement la température. Chez IWC, on agit autrement: 100% de l’énergie achetée par la maison est d’origine renouvelable. Chopard et Hublot ayant rénové leurs bâtiments récemment, les

ont fait certifier Minergie ou HPE (Haute Performance Energétique). Ces initiatives sont elles honteuses? Doivent-elles être à tout prix cachées? Non, évidemment. Pourtant, elles ne sont pas ou peu connues du grand public car encore considérées comme «non désirables». L’horlogerie, volontiers conservatrice, vend du rêve et considère que la responsabilité environnementale ne fait pas rêver. C’était une réalité d’hier. Celle de demain, c’est celle de générations X, Y ou Z qui, elles, rêvent précisément... d’un avenir meilleur.

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Les marques horlogères communiquent peu sur ces sujets. Pourtant, certaines sont en pointe. Chez Girard-Perregaux ou Ulysse Nardin, 100% du papier est d’origine contrôlée et 50% recyclable. 100% des sacs Gucci sont recyclés. Au Japon, le géant Seiko a interdit les chlorofluorocarbures depuis 1993. Depuis 2006, toute trace de plomb a été éliminée de ses mouvements à quartz. Deux ans plus tard, ses batteries se dispensaient de mercure. On notera que d’importants groupes suisses ont d’ailleurs obtenu des dérogations pour ces positions dont certaines, entre temps, ont été rendues obligatoires par l’Union européenne et les produits qui y circulent. Plus en amont, la production reste le premier levier d’une horlogerie écologiquement responsable. Là encore, les marques communiquent peu car elles considèrent que cela ne les rend pas (plus) désirables. Sandrine Noël, de Louis Vuitton, tempère: «Les générations X ou Y ont clairement des attentes sur ce sujet.» Ces attentes trouvent par ailleurs des caisses de résonnance nouvelles dans les réseaux sociaux. Les mouvements en faveur de la protection des animaux comme PETA et L214 bénéficient aujourd’hui d’un écho plus fort qu’ils n’ont jamais pu rêver. Aujourd’hui, rarissimes sont les jeunes de ces générations à réclamer de l’authentique fourrure, par exemple. L’horlogerie? Peu concernée par la fourrure, il est vrai. Reste le cuir, abondamment présent. Chez Kering, son usage et sa transformation sont à l’origine de 24% de l’impact environnemental du groupe!

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Rédaction: Pierre Maillard: pmaillard@europastar.com, Serge Maillard: smaillard@europastar.com, Contributeurs dans ce numéro: Jean-Luc Adam, Dominique Fléchon, Olivier Müller Publicité, Marketing & Communication: Marianne Bechtel Croze (Bab-Consulting): mac@bab-consulting.com tél. +41 79 379 82 71 Nathalie Glattfelder: nglattfelder@europastar.com Véronique Zorzi: vzorzi@eurotec-bi.com Catherine Giloux: cgiloux@europastar.com Jocelyne Bailly: jbailly@europastar.com Graphisme: Alexis Sgouridis: asgouridis@europastar.com

Direction du groupe Europa Star HBM: Philippe Maillard Éditeur: Serge Maillard Les publications du groupe Europa Star HBM: Europa Star Global Time.Business & Time.Keeper Watch-Aficionado, Watches for China, Horalatina, ES Première, Europa Star Jewels, Eurotec & Bulletin d’informations Sites web & iPad du groupe Europa Star HBM: www.europastar.ch, www.europastar.com, www.watches-for-china.com, www.watches-for-china.cn, www.watch-aficionado.com, www.horalatina.com, www.europastar.es, www.europastarwatch.ru, www.cijintl.com, www.worldwatchweb.com, www.eurotec-online.com Les propos exprimés par les auteurs n’engagent que ces derniers. UNE PUBLICATION D'EUROPA STAR HBM SA. Abonnements: CHF 50, www.europastar.com/subscribe EUROPA STAR, MANUFACTURE ÉDITORIALE HORLOGÈRE DEPUIS 1927


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