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L’école-village ou comment un programme spécifique peut dépasser ses propres usages pour revitaliser un tissu de centre-bourg

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l’occasion de la première session des Villes vivantes, nous avions poursuivi nos réflexions entre le programme spécifique de l’école et le dépassement de ses propres limites pour revitaliser les tissus de centres-bourgs. Notre proposition de « l’école-village » alors primée en 2021 dans le cadre d’E16 mettait en regard la réalité construite avec les réflexions plus prospectives que peut impliquer ce programme de l’école. Ce sont ces idées qui sont développées ici sur la question des villes vivantes.

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Nous avons pris conscience, en intervenant dans les tissus ruraux et de centres-bourgs, que nous devions les considérer comme des éléments fragilisés. Paradoxalement en place depuis des décennies, ils ont subi, au fil du temps, des altérations à plus ou moins grande échelle, métamorphosant les usages en place. Ainsi, avec l’individualisation des modes de vie, l’emménagement de foyers dans ces communes sans y travailler, les lieux de communauté d’avant (épiceries, petits commerces, cafés, marchés, etc.) ont été vidés par les zones d’activités et les centres commerciaux des villes proches. De plus, un manque de réflexion sur l’harmonisation, la conservation de ces paysages urbains les a complètement déstructurés. En effet on peut lire sur les photos historiques du début du XXe siècle une grande homogénéité dans ces compositions, un ensemble de briques rouges, de tuiles et de pavés qui conférait une grande puissance minérale. Ce n’est plus le cas aujourd’hui après que chacun a entrepris ses travaux de rénovation sans garde-fou, sans ligne directrice, recouvrant la brique d’un enduit blanc ou remplaçant les menuiseries en bois par du PVC blanc.

L’enjeu est alors double, esthétique et fonctionnel, mais il pose pourtant la même question : Comment donc « refaire village » pour revitaliser ces tissus ?

Le programme de l’école est un invariant dans ces communes (quand il n’a pas été mutualisé par les intercommunalités, mais c’est un sujet à part entière). En effet contrairement à d’autres programmes culturels ou sportifs, il est difficile de transiger avec l’école. La ville ou le village se doit d’offrir à ses habitants des lieux d’éducation bien dimensionnés et en bon état. Pour autant c’est souvent dans un caractère de « presque trop tard » que les appels d’offre paraissent. Nous avons fait des visites où les enfants étaient accueillis dans des conditions terribles, eu égard au non-entretien de ces bâtiments communaux datant des années 50.

Le programme, généralement lapidaire, tente alors de résorber l’état existant. Pas de planification à moyen et long terme, à l’échelle d’un village voire à plus grande échelle, juste la réponse à un état de détérioration et d’évolution de la population qui tente de profiter des subventions disponibles. Ainsi, un énoncé classique des programmes scolaires en milieu rural que l’on peut rencontrer est : « Suite à la construction d’un nouveau lotissement dans la commune, le village souhaite réhabiliter thermiquement son école, la doter de deux classes supplémentaires et agrandir son espace de restauration ».

Comment transformer cette commande de base en dézoomant, en imaginant les usages non pas de l’école en tant que telle mais de tout un village, avec ses porosités, ses parcours, ses temporalités ?

Au-delà du programme en lui-même, donc de la mission de programmation de définition des besoins purs, il nous semble nécessaire de procéder à un diagnostic à plus grande échelle en amont de l’édition de tout appel d’offre. Cet audit est pour nous le moment de porter l’ambition du village sans se heurter à des problématiques ni trop techniques ni trop économiques. Cette réflexion sur les potentialités du village nous l’avons menée lors de la dernière édition d’Europan dans un projet nommé « l’école-village. » Nous pensons à l’école-village comme un anti-modèle. Elle n’a pas de forme. Elle n’est pas reproductible. C’est une ultra-contextualisation. À la manière d’un médecin de campagne nous diagnostiquons des maux à intensité variable auxquels des dispositifs spatiaux et architecturaux vont tâcher de répondre : La place du village est-elle au bon endroit ? Est-elle justement dimensionnée ? Que faire de l’ancien café ? Le marché hebdomadaire répond-il aux besoins des habitants ? des producteurs ? Les espaces publics accueillent-ils les bons usages ? dans les bonnes temporalités ? Le réseau viaire est-il optimisé ? sécurisé ? Existe-t-il du foncier disponible ? Quel est l’état du patrimoine architectural et paysager ? Ces questions vont ouvrir la voie non pas à une débauche de dispositifs architecturaux, s’accumulant et engendrant une construction neuve « forcée », mais bien à l’optimisation maximale des forces en présence qui sera rendue possible par la réalisation de quelques catalyseurs. Ils agiront comme des relais ou des impulsions qui permettront d’incarner, de faire exister l’école-village. Il peut s’agir de la réhabilitation de l’école qui va partager ses usages comme la pratique sportive, le restaurant scolaire, des salles de réunion qui serviront aussi aux habitants le soir comme le week-end. Il peut s’agir aussi d’une halle en bois sur la place du village qui abrite le marché dans de meilleures conditions en même temps qu’elle favorise l’installation d’une partie d’agriculture urbaine. Cette dernière bénéficierait alors d’une vitrine. La halle pourrait également héberger des pratiques sportives comme des cours de fitness ou de danse (quartier libre, Lille-Vauban). C’est un processus qui doit à la fois porter l’ensemble des usages et ambitions possibles dans le village (et il existe beaucoup d’initiatives, notamment les nouveaux programmes de tierslieux) tout en développant des dispositifs économiques capables de mutualiser un maximum d’équipements dans le but d’optimiser les dépenses. Corrélativement il s’agit aussi de réduire les interventions au minimum pour un maximum d’effet sur le centre-bourg, en replaçant ainsi dans un second temps l’intervention architecturale au centre de la revitalisation de la vie du village.

Comment l’architecture peut-elle s’intégrer, initier des interactions culturelles et sociales ?

La commune de Vendegies-sur-Écaillon souhaitait déplacer l’école maternelle de l’autre côté de la nationale, dans le but d’éviter aux enfants de la traverser pour rejoindre la cantine. L’exemple de Vendegies-surÉcaillon nous force à penser que le programme de base – sans pouvoir se métamorphoser, puisque la logique de marché public, par la mise en concurrence, incite à un respect du programme – peut bien s’adapter à la réalité du terrain et ses différents potentiels. Dans une procédure adaptée, nos interlocuteurs réguliers et immédiats sont les élus euxmêmes (maire, adjoint travaux, adjoint finances, adjoint culture et enfance, etc.). Dans ces projets – onéreux à l’échelle de la commune l’ensemble des interlocuteurs se mobilise, dépassant l’enjeu de « la construction du mandat ». C’est donc dans le développement du projet que les échanges prennent en substance et en valeur : énoncé des états de fait, des difficultés, des envies, tout en nourrissant les besoins lapidaires originels. Les possibilités de l’école-village apparaissent dans ce temps d’études. En ce sens, le village est un incubateur de nouveaux programmes.

Ces interactions fertiles – avec le programme, le quartier, le paysage ou la biodiversité – sont introduites par l’entremise du dialogue mené entre le programme de l’école qui se reconnecte aux usages du village. Au travers de l’évocation concrète des dispositifs architecturaux mis en place, nous invitons à découvrir des facettes de la ville vivante : semer le potentiel pour de nouveaux usages.

Le terrain choisi est issu de la préemption par la mairie de parcelles de maisons individuelles démolies. Présentant une forte déclivité pour le Nord (3 m), il offre – en partie haute – une échappée sur le paysage lointain. Encerclé de programmes publics (cantine, école primaire, périscolaire, salle des fêtes, église) historiquement tournés vers les voies extérieures, le site est vaste, dépourvu de structure. Il énonce les enjeux : clarifier la structure urbaine en introduisant des interactions programmatiques.

L’école conserve une forme d’intériorité, puisque implantée en cœur d’îlot. Pour autant, nous avons choisi de l’ouvrir – de manière maîtrisée –, en opérant un travail minutieux de dialogue avec l’existant. L’école, traversée, est rendue « marchable », trait d’union dans la ville favorisant la revitalisation du tissu urbain.

La topographie dont hérite le site est l’outil œuvrant au parcours de l’école. Si l’ancienne école était située en contrehaut, l’installation de la nouvelle école dans le sens de la pente accentue les qualités du parcours. La traversée se matérialise par la galerie – un nouveau volume – dont la longueur qualifie le nouvel espace public issu de la fragmentation de la cour des primaires. Ainsi, la structuration du lieu géométrise la cour des primaires, tandis qu’un espace paysager est défini en contrebas. Un second mouvement, perpendiculaire, renforce le caractère liant de l’école, entre église et presbytère.

Si l’école est traditionnellement hermétique à son environnement proche, la gestion des limites et le rapport au paysage permettent de renforcer le lien avec l’existant en conservant son rôle protecteur. À la fois limite et ouverture, un mur rideau se déploie sur toute la longueur du bâtiment perpendiculairement à la pente. Cette transparence instaure un dialogue entre les enfants et le village en créant des interactions de part et d’autre de ces deux mondes. En rehaussant cette circulation, le regard est élevé au loin, vers le grand paysage, inscrivant ce spectacle dans le quotidien des enfants. Au contraire, la cour des maternelles est fermée pour des raisons de sécurité, s’installant d’ailleurs à l’endroit le plus abrité du site. Un mur d’enceinte en briques, empruntant sa matérialité aux bâtiments avoisinants, chemine en s’adaptant au déjà-là : des fondations existantes, une tombe à conserver ; le pignon du presbytère sur lequel s’adosser. La ligne de crête découpe un paysage de cimes d’arbres et de toitures qui vient s’incarner à travers deux grands cadrages vers le jardin du presbytère.

Le second enjeu, de l’ordre de la vie en communauté, est favorisé par les interactions programmatiques. Comprendre le cycle des habitudes quotidiennes de Vendegies-sur-Écaillon amène une amplitude d’usages selon les temporalités du projet. Cela fonctionne par l’intégration de divers dispositifs architecturaux initiant des ambitions au-delà du programme de l’école.

La topographie imposant un système structurel adapté, l’école se dote d’un socle en béton accueillant les organes techniques et libérant le plateau haut. Dans un enjeu de tissage, ce socle héberge un vaste local de rangement à destination des services techniques municipaux voisins.

Ensuite, le dispositif de galerie qui relie l’ancienne et la nouvelle école tout en protégeant les enfants de la pluie et des vents dominants qui empêchaient l’usage confortable de la cour, se caractérise comme évolutif. Nous y avons aussi intégré un espace de vie – actuellement la tisanerie des enseignants – opportunité pour de futurs usages qui prendront place dans la cour du haut. Cet ancrage est rendu possible par la présence d’une petite cuisine et de sanitaires. Par la simplicité de ce geste – imprévu – la cour peut accueillir en toute autonomie une cérémonie, un événement de village ou un cinéma en plein air et ce, au cœur d’un site sécurisé.

La flexibilité du bâtiment est renforcée par la mise en œuvre d’une charpente métallique. Elle est choisie pour son efficacité et sa rapidité de mise en œuvre, tissant un lien de parenté avec les constructions vernaculaires environnantes – hangars agricoles. La portée donne l’orientation en plan, installant l’école entre cour et couloir. À nouveau, un traitement particulier est donné aux programmes communs. En se dotant de portes accordéons, la salle d’activités – aussi périscolaire – devient un espace tampon. Si elle relie la cour et la galerie, elle peut s’ouvrir complètement à la ville, en reliant l’église et le presbytère en dehors du temps scolaire, dans le cadre de kermesses ou d’événements culturels et sportifs. La structure métallique se déploie jusque dans la galerie, suggérant la finesse voulue dans le dialogue haut/bas. Enfin les dispositifs vitrés apportent tantôt la transparence et les cadrages lointains ; tantôt un jeu de reflets mettant en scène ciel et environnement ; tantôt révélant la domesticité des espaces de l’école par la chaleur des aménagements en bois intérieurs.

L’école, inscrite au cœur du village, tisse une relation étroite et nouvelle avec celui-ci. Son écriture linéaire et discrète ne perturbe pas la lecture du paysage existant en place depuis des décennies. Pour autant, la galerie métallique, d’écriture plus contemporaine, devient un fil conducteur, à la fois d’une nouvelle image au cœur du village et support du potentiel de vie au sein de l’école en interaction avec le village.

Ce rayonnement créé par l’école de Vendegies au profit des habitants et du village résonne avec notre proposition de l’école-village primée à Europan. Nous sommes convaincus que, par ce type de programme et d’échelle, l’architecture peut participer à « faire village », à tisser des liens entre les habitants par les opportunités qu’elle offre au-delà de la réponse à son propre programme. Dépasser les limites, franchir les seuils, permet d’incarner le rôle social de l’architecte et de travailler sur l’éducation au sens large du terme. Apprendre à vivre en communauté, tisser les liens entre les générations, créer une économie de village, grandir ensemble dans des conditions qui « rendent possible » sont autant de thématiques à profondément valoriser dans les réponses qu’apportent les architectes dans ce type de programme en écho aux villes vivantes.